Accueil > 01 - Livre Un : PHILOSOPHIE > La nature fait des sauts (ou le règne universel de la discontinuité) > La discontinuité, un très vieux problème ... qui revient

La discontinuité, un très vieux problème ... qui revient

mercredi 26 mai 2010, par Robert Paris

Site : Matière et révolution

www.matierevolution.fr

La faille de San-Andreas est une manifestation spectaculaire des tremblements de terre qui marquent les mouvements des plaques. Ceux-ci, loin d’avoir lieu de manière continue, sont bloqués par frottement et ne se produisent qu’au cours de tremblements de terre qui sont des discontinuités de toutes les tailles.

Sommaire du site

Pourquoi ce site ?

Pourquoi ce site mêle révolution, sciences, philosophie et politique ?

Quand la philosophie grecque posait la question de la discontinuité de la matière, du mouvement, de l’espace vide et du temps !

Pour nous écrire, cliquez sur Répondre à cet article


Sur la discontinuité, lire aussi sur le site :

La discontinuité, une question philosophique

Qu’est-ce que la continuité ?

Une vieille question

L’illusion du continu

Continuité du vivant ?

Des objets mathématiques continus ou discontinus ?

Le quanta, ou la mort programmée du continu en physique

Pourquoi la notion de continu fait de la résistance ?

La continuité, une propriété mathématique ?

Continuité et discontinuité sont incompatibles

Discontinuité de l’univers et structures hiérarchiques

La discontinuité de la vie : de la création d’espèces à la création de l’homme et à la création humaine

Les paradoxes de Zénon, preuve de la discontinuité dialectique

La théorie du matérialisme historique, d’après Boukharine

Psychisme et discontinuité

 - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

"Les physiciens contemporains sont convaincus qu’il est impossible de rendre compte des traits essentiels des phénomènes quantiques (changements apparemment discontinus et non déterminés dans le temps de l’état d’un système, propriétés à la fois corpusculaires et ondulatoires des entités énergétiques élémentaires) à l’aide d’une théorie qui décrit l’état réel des choses au moyen de fonctions continues soumises à des équations différentielles. [...] Surtout, ils croient que le caractère discontinu apparent des processus élémentaires ne peut être représenté qu’au moyen d’une théorie d’essence statistique, où les modifications discontinues des systèmes seraient prises en compte par des modifications continues des probabilités relatives aux divers états possibles. " (1949)

Albert Einstein

Les sciences s’en sont longtemps tenues à l’hypothèse du continu. La cause principale de ce choix est l’efficacité des mathématiques du continu, du moment que l’on se garde de passer des seuils avec changement qualitatif. Le premier domaine qui a pu être étudié à l’aide d’une mathématique du continu a été la Mécanique. Mais cette science a dû contourner la difficulté. Les objets sont des discontinuités par rapport à l’espace où elles évoluent qui, lui, est considéré comme continu. Pour éluder cette question, on a considéré le mouvement des objets comme celui des points matériels (du centre de gravité des corps), l’espace comme un ensemble de points et le mouvement comme un parcours d’un point à un autre. Bien entendu, cela suppose que la matière ne transforme pas l’espace dans lequel il se déplace, ce que la Relativité a remis en cause. De plus, considérer le segment ou la courbe comme une succession de points physiques est loin d’être une évidence mathématique, comme on le verra par la suite. Il faut, de plus, répondre à la question : la matière (point matériel) est-elle passée d’une position à une autre de l’espace par une série continue de points ou a-t-elle sauté d’un point à un autre ? La Mécanique a choisi de représenter l’ensemble du mouvement par un segment continu ou par une courbe continue. On se déplace donc d’un point à un autre mais le résultat global est une courbe continue. Entre les concepts de point et de ligne, entre le continu et le discontinu, il y a une contradiction sur laquelle se sont penchés notamment les philosophes et mathématiciens grecs. La mathématique enseignée à l’école, est fondée sur le continu, aussi bien la continuité des nombres en algèbre que celle des courbes de la géométrie (géométrie d’Euclide). Mais elle utilise la notion continue de droite mais aussi la notion discontinue de point. Le segment, un des « éléments » de cette géométrie, n’a rien d’élémentaire. C’est un objet mathématique complexe composé d’une ligne continue et de deux extrémités, des ruptures discontinues. Cette mathématique a été bâtie au 3ème siècle avant JC comme une construction logique, utilisant des postulats, des axiomes et des démonstrations. Ses éléments géométriques sont des objets théoriques dessinés (droite, segment, point, cercle). Sur la base de quelques énoncés de base, elle démontre des propriétés géométriques plus complexes. Tout semble découler de façon non contradictoire des définitions et axiomes. En réalité, le véritable postulat de base n’est jamais clairement formulé ni discuté. C’est celui de l’existence de deux sortes d’objets contradictoires, des ensembles continus (ligne, plan, cercle et sphère) et des éléments discontinus (les points). Cette supposition pose aux mathématiciens grecs et posera aux mathématiciens suivants de multiples problèmes et même des contradictions insolubles. Le fond de ces difficultés est l’incompatibilité totale entre l’hypothèse de la continuité du monde et celle de sa discontinuité. Zénon d’Elée a déjà touché du doigt cette incompatibilité lorsqu’il étudie le mouvement. Il a montré que, si on conserve la continuité, le mouvement est impossible (voir en annexe les paradoxes de Zénon).. En effet, le temps est conçu comme une série d’instants (discontinu) formant un intervalle de temps (continu), de la même manière que le mouvement est formé d’états sur une courbe. Pour concevoir un tel mouvement, il faudrait décomposer le mouvement en instants à l’infini. Zénon montrait que jamais le corps en mouvement ne devait atteindre son point d’arrivée. Pythagore avait, pour résoudre ces contradictions du mouvement, admis qu’on peut décomposer le continuum du temps en instants de durée arbitrairement courte, mais il avait produit ainsi de nouvelles contradictions entre immobilité et mouvement, entre continu et discontinu, qui restent insolubles dans la conception de Pythagore du segment composé de suites d’un nombre entier de points, les monades.

Aristote ne pourra répondre à ces problèmes qu’en renonçant à la divisibilité du temps en instants. Au sein du continu, on ne peut admettre aucun trou ni aucune séparation. Cependant, Aristote restera partisan du continu et cela ne l’empêchera pas de défendre un point de vue idéaliste et religieux. Cela devrait d’ailleurs faire réfléchir tous les auteurs qui se retranchent derrière la lutte contre la religion pour combattre les discontinuités dans la nature et la notion de la singularité. On peut lire ainsi dans « La Métaphysique » d’Aristote  : « L’un est le continu. (...) Telles sont les différentes significations de l’Un : le continu naturel, le tout, l’individu et l’universel. (...) Est contigu tout ce qui, étant consécutif, est en contact (...) On dit qu’il y a continuité quand les limites par lesquelles deux choses se touchent, et se continuent, deviennent une seule et même limite. (...) Si les points sont susceptibles d’être en contact, les unités ne le sont pas : il n’y a, pour elles, que la succession ; enfin il existe un intermédiaire entre deux points, mais non entre deux unités. (...) Il est impossible que le mouvement ait commencé ou qu’il finisse, car il est, disons-nous, éternel. Et il en est de même pour le temps, car il ne pourrait y avoir ni l’avant ni l’après si le temps n’existait pas. Le mouvement est, par suite, continu, lui aussi de la même façon que le temps, puisque le temps est lui-même, ou identique au mouvement, ou une détermination du mouvement. (...) Aussi appelons-nous DIEU un vivant éternel rayon parfait ; la vie et la durée continue et éternelle appartiennent donc à DIEU, car c’est même cela qui est DIEU. (...) On pourrait se poser encore la difficulté suivante. Etant donné qu’il n’y a pas de contact dans le nombres, mais simple consécution, est-ce les unités entre lesquelles il n’existe pas d’intermédiaire (...) Les mêmes difficultés se présentent pour (...) la ligne, la surface et le solide (...) La même question pourrait se poser au sujet du point. (...) Ces points ne viennent certes pas d’un certain intervalle. »

La question du continu pose un problème philosophique de fond : celui de la dialectique [1]. Aristote ne s’y trompait pas. « La Métaphysique » est une charge contre les dialecticiens : « Il y a, dans les êtres, un principe au sujet duquel on ne peut pas se tromper (...) : c’est qu’il n’est pas possible que la même chose, en un seul et même temps, soit et ne soit pas, et il e est de même pour tout couple semblable d’opposés. (...) On ne peut donc pas être dans la vérité en adoptant les doctrines d’Héraclite ou celles d’Anaxagore ; sans quoi il s’ensuivrait que les contraires sont affirmés du même sujet. (...) Les arguments d’Héraclite les persuadèrent que toutes les choses sensibles sont dans un flux perpétuel. (...) Il n’y a pas de science de ce qui est en perpétuel écoulement. » Tout en choisissant l’a priori du continu, Aristote a constaté des contradictions de cette position en mathématiques. Il en déduit qu’il faut rejeter non le continu mais … les mathématiques comme base philosophique. La continuité à laquelle il tient en premier est le mouvement et la relation de cause à effet : « Dans l’ordre du temps, un acte est toujours préexistant à un autre acte. (...) Ce qui constitue l’unité de tous les êtres, c’est l’indivisibilité du mouvement. (...) Le mouvement local continu est le mouvement circulaire. »

Pour Aristote, l’exemple même du continu est le cercle et le mouvement circulaire. Cependant le cercle va poser, après les penseurs Grecs, de nouvelles interrogations sur la notion de continuité. Les chercheurs se sont heurtés au problème, appelé « la quadrature du cercle », de l’impossibilité de construire les points d’un cercle par une série des polygones dont on augmenterait à l’infini le nombre de côtés. Beaucoup plus tard, au Moyen Age, le mathématicien Nicolas de Cues tenta une première démonstration, expliquant qu’à chaque augmentation du nombre de côtés du polygone, la longueur du côté se réduisait progressivement, le pourtour du polygone se rapprochait de la courbe circulaire. Par contre, il restait une différence qualitative entre le polygone et le cercle. Pire même, cette différence s’accroissait au fur et à mesure. Dans le polygone, les droites son brisées à chaque sommet alors que, dans le cercle, il n’y a pas de rupture dans l’évolution de la pente. Or, plus le nombre de côtés du polygone grandit, plus grandissent les ruptures (discontinuités de la dérivée). Quand on pousse à l’infiniment petit chaque côté, le nombre de discontinuités est infiniment grand alors qu’il est nul pour le cercle. La limite des polygones n’est pas le cercle. Le cercle, figure continue par excellence, n’est pas atteint par une série infinie de polygones. On allait remarquer ensuite que cette impossibilité d’obtenir le cercle par une série de polygones, ou « la quadrature de cercle », est reliée à la nature « irrationnelle » du nombre π. Il reste que cette réflexion sur le cercle en pose une autre plus large : l’impossibilité de la transformation du discontinu au continu par passage à l’infini. La discontinuité ne peut pas être noyée dans la continuité par limite infinie. Une série infiniment grande de discontinuités infiniment petites n’est pas une fonction continue. Le cercle continu va cependant contribuer à faire crédibiliser la notion mécanique de déplacement circulaire continu. La rotation va même servir d’exemple typique du mouvement continu. Elle va notamment permettre le développement d’une mathématique du mouvement périodique qui va notamment servir de base aux notions d’ondes continues.


[1Jacques Chapelon, professeur à l’école polytechnique, note ainsi dans sa Préface à « Mathématiques et matérialisme dialectique » de Gaston Casanova : « Les mouvements de la mécanique, les variables continues de l’analyse mathématique correspondent à des changements procédant par transitions insensibles. (...) Le plus souvent, les changements dialectiques sont discontinus et parfois les discontinuités font surgir des phénomènes entièrement nouveaux »

Messages

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.