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Freud et la religion

dimanche 2 mars 2008, par Robert Paris

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Les idées de Freud examinées à l’aide de nos nouvelles connaissances en neurosciences


Le sentiment religieux semble avoir une base dans le fonctionnement cérébral. Plus exactement, certains sentiments ou certaines images produites par le cerveau peuvent donner lieu par la personne qui les reçoit à des interprétations religieuses. L’isolement, la privation de nourriture ou de sommeil, l’excitation, la drogue, l’abstinence, ou le cumul de plusieurs d’entre eux provoquent des hallucinations, des visions, des rêves qui sont autant de phénomènes venus de l’inconscient. L’individu qui en est le siège prend conscience que des idées et des sentiments qu’il n’avait pas formé consciemment se sont imposées à lui, de l’extérieur croit-il. Cela ne signifie certainement pas qu’il faille assimiler l’inconscient avec le spirituel. L’existence de phénomènes inconscients n’a plus aujourd’hui aucun caractère sulfureux, ni étrange ni métaphysique, qu’il avait autrefois. C’est la base des mécanismes de formation de la conscience, comme l’ont montré des neurologues comme Lionel Naccache. La construction d’idées religieuses à partir de ces émotions issues de l’inconscient est du même type que la création artistique ou que l’intuition scientifique : c’est la sublimation des images et des idées inconscientes. D’autre part, l’impression d’un autre qui vous parle est accrue par le dialogue cérébral entre les deux hémisphères cérébraux. On a parfois l’impression réelle d’un tel dialogue dans le sens : j’y vais, j’y vais pas, je le fais, je ne le fais pas. Enfin, certains circuits cérébraux et certaines images mentales semblent, d’après certains neurologues, accentuer ce sentiment religieux (sentiment d’une présence ou d’une parole qui leur communique directement des idées, des images ou des sentiments) chez certains patients particulièrement réceptifs. Ceux-ci peuvent croire réellement recevoir une parole venue d’ailleurs. Le reste a un caractère social et historique. C’est la manière dont une société reçoit un tel message, le besoin qu’elle en a et l’usage qu’elle en fait. Dans ce domaine, avant même le type de la prétendue révélation, c’est le type de société et ses besoins idéologiques mais aussi politiques et sociaux qui sont en cause et qui dictent des réponses sur le type de religion. Telle serait l’origine d’une « illusion », pour reprendre l’expression de Freud.

Freud, la religion et l’idéologie sociale

« L’homme de croyance et de piété est éminemment protégé contre le danger de certaines affections névrotiques : l’adoption de la névrose universelle le dispense de la tâche de former une névrose personnelle. »
Freud dans « L’avenir d’une illusion »

Freud est plus connu pour ses prises de position sur le traitement psychologique des névroses et son interprétation des rêves que pour ses positions sur la société. Cependant, avec des ouvrages comme « Totems et tabous », « Moïse » et « L’avenir d’une illusion », notamment, il a étudié le sens des religions et le sens de l’organisation sociale et idéologique qu’il appelle « la culture ». Dans ce domaine, il a eu également des prises de position fermes et sans équivoque :

« Il faut sans doute chercher dans cette alliance de la digestion et de la dévotion la raison de la prospérité physique de nos abbés. »
Freud et la religion dans ses lettres de jeunesse (à 18 ans) en 1874

« Il faut traiter la religion comme une affaire humaine. »
Freud dans une conférence sur la psychanalyse en 1932

« Je pense en effet que, pour une bonne part, la conception mythologique de monde qui anime jusqu’aux religions les plus modernes n’est autre chose que psychologie projetée sur le monde extérieur. »
Freud dans « Psychopathologie de la vie quotidienne »

« L’État a interdit à l’individu, l’usage de l’injustice, non parce qu’il veut l’abolir, mais parce qu’il veut en avoir le monopole, comme du sel et du tabac. »
Freud dans "L’avenir d’une illusion"

Extraits de « L’avenir d’une illusion » de Freud :
« La culture humaine – j’entend par là tout ce en quoi la vie humaine s’est élevée au-dessus de ses conditions animales et ce en quoi elle se différencie de la vie des bêtes, et je dédaigne de séparer culture et civilisation – présente, comme on le sait, deux faces à l’observateur. Elle englobe d’une part tout le savoir et tout le savoir-faire que les hommes ont acquis afin de dominer les forces de la nature et de gagner sur elle des biens pour la satisfaction des besoins humains, et d’autre part tous les dispositifs qui sont nécessaires pour régler les relations des hommes entre eux et, en particulier, la répartition des biens accessibles. Ces deux orientations de la culture ne sont pas indépendantes l’une de l’autre (…) Il est remarquable que les hommes, si tant est qu’ils puissent exister dans l’isolement, ressentent néanmoins comme une pression pénible les sacrifices que la culture attend d’eux pour permettre une vie en commun. (…) On retire ainsi l’impression que la culture est quelque chose qui a été imposé à une majorité récalcitrante par une minorité qui s’y est entendue pour prendre possession des moyens de puissance et de contrainte. (…) Tandis que l’humanité a fait de constants progrès dans la domination de la nature et qu’elle est en droit d’en attendre de plus grands encore, il n’est pas certain qu’on puisse constater un progrès analogue dans la régulation des affaires humaines. (…) Une fois reconnu que toute culture repose sur la contrainte au travail et le renoncement pulsionnel, et que, de ce fait, elle suscite inévitablement une opposition chez ceux qui sont concernés par ces exigences, il apparut clairement que les biens eux-mêmes, les moyens de se les procurer et les dispositions prises pour les répartir ne pouvaient être le caractère essentiel, voire unique, de la culture. Car ils se trouvaient menacés par la révolte et la soif de destruction des participants à la culture. A côté des biens, voici venir maintenant les moyens qui peuvent servir à défendre la culture, moyens de contrainte et autres, qui doivent réussir à réconcilier les hommes avec elle et à les dédommager de leurs sacrifices. Ces derniers, quant à eux, peuvent être décrits comme le fond totémique de la culture.
Par souci d’un mode d’expression homogène, nous appellerons « refusement » le fait qu’une pulsion ne peut être satisfaite, « interdit » le dispositif qui fixe ce refusement, et « privation » l’état qu’entraîne l’interdit. Le pas suivant consiste alors à faire la différence entre les privations qui concernent tout le monde et celles qui ne concernent pas tout le monde, mais seulement des groupes, des classes ou même des individus. Les premières sont les plus anciennes : avec les interdits qui les instaurent, la culture a inauguré le détachement avec l’état originaire d’animalité, il y a on ne sait combien de milliers d’années. A notre surprise, nous avons trouvé que ces privations continuent d’être à l’œuvre, continuent de former le noyau d’hostilité à la culture. Les souhaits pulsionnels qui en pâtissent renaissent avec chaque enfant (…) De tels souhaits pulsionnels sont ceux de l’inceste, du cannibalisme et du plaisir-désir de meurtre. Il semble singulier de regrouper ces souhaits qui paraissent susciter unanimement chez les hommes le rejet avec ces autres souhaits dont la permission ou le refusement font, dans notre culture, l’objet d’un si vif combat, mais on est psychologiquement fondé à le faire. (…) Seul le cannibalisme apparaît à tous comme prohibé et, au regard non analytique, comme complètement surmonté ; la force des souhaits de l’inceste, nous pouvons toujours la ressentir derrière l’interdit, et le meurtre, lui, est encore, dans des conditions déterminées, pratiqué voire commandé par notre culture. (…) Il n’est pas exact que l’âme humaine, depuis les temps les plus anciens, n’ait suivi aucun développement et que, en opposition avec le progrès de la science et de la technique, elle soit aujourd’hui la même qu’au commencement de l’histoire. (…) Pour ce qui est des restrictions relatives seulement à des classes déterminées de la société, on tombe sur des faits massifs et qui n’ont d’ailleurs jamais été méconnus. Il faut s’attendre à ce que ces classes laissées pour compte envient aux privilégiés leurs prérogatives et fassent tout pour se débarrasser de l’excédent de privation qui est le leur. Là où ce n’est pas possible s’affirmera au sein de cette culture un degré permanent de mécontentement qui pourrait bien conduire à de dangereuses révoltes. Mais lorsqu’une culture n’est pas parvenue à dépasser l’état où la satisfaction d’un certain nombre de participants présuppose l’oppression de certains autres, de la majorité peut-être – et c’est le cas de toutes les cultures actuelles - , il est alors compréhensible que ces opprimés développent une hostilité intense à l’encontre de la culture même qu’ils rendent possible par leur travail, mais aux biens de laquelle ils n’ont qu’une part trop minime. (…) Il va sans dire qu’une culture qui laisse insatisfaits un si grand nombre de participants et les pousse à la révolte n’a aucune chance de se maintenir durablement et ne le mérite pas non plus. (…) La satisfaction à l’idéal que la culture offre aux participants est de nature narcissique ; elle repose sur la fierté d’une réalisation déjà réussie. (….) Non seulement les classes privilégiées, jouissant des bienfaits de cette culture, peuvent y avoir part, mais aussi les opprimés, du fait du bien-fondé à mépriser ceux de l’extérieur les dédommage des préjudices qu’ils subissent dans leur propre sphère. On a beau être misérable plébéien accablé par les dettes et les services de guerre, on n’en est pas moins Romain, on a sa part à la tâche de dominer d’autres nations et de leur prescrire des lois. Cette identification des opprimés avec la classe qui les domine et les exploite n’est elle-même à son tour qu’une partie d’un plus grand ensemble. (…) Si de telles relations suffisamment satisfaisantes n’existaient pas, il resterait incompréhensible que tant de culture, en dépit d’une hostilité justifiée de grandes masses humaines, se soient maintenues aussi longtemps. (…) La part peut-être la plus significative de l’inventaire psychique d’une culture ne s’est pas encore trouvée mentionnée. Ce sont, au sens large, ses représentations religieuses, en d’autres termes qu’il faudra justifier plus loin, ses illusions.
En quoi consiste la valeur particulière des représentations religieuses ? Nous avons parlé d’hostilité à la culture, produite par la pression que la culture exerce, par les renoncements pulsionnels qu’elle réclame. (…) Les dieux conservent leur triple tâche, exorciser les effrois de la nature, réconcilier avec la cruauté du destin – en particulier, tel qu’il se montre par la mort – et dédommager des souffrances et privatisations qui sont imposées à l’homme par la vie en commun dans la culture. (…) Ainsi, se trouve créé un trésor de représentations, nées du besoin de rendre supportable le désaide humain, édifiées à partir du matériel que sont les souvenirs du désaide de la propre enfance et de celle du genre humain. (…) J’ai essayé de montrer que les représentations religieuses procèdent du même besoin que toutes les autres conquêtes de la culture, de la nécessité de se défendre contre l’écrasante surpuissance de la nature. (…) Je ne trouve pas cela si frappant. Estimez-vous donc que la pensée des hommes ne connaît aucun motif pratique, qu’elle n’est que l’expression d’un désir de savoir désintéressé ? Cela est pourtant fort invraisemblable. Je crois plutôt que l’homme, même lorsqu’il personnifie les forces de la nature, suit un modèle infantile. Il a appris au contact des personnes de son entourage qu’instaurer une relation avec elles est bien la voie pour les influencer et c’est pourquoi, plus tard, dans le même dessein, il traite tout ce qui se présente d’autre à lui comme jadis ces personnes. (…)
Quelle est donc la signification psychologique des représentations religieuses et sous quelle rubrique pouvons-nous les classer ? A cette question, il n’est pas du tout facile de répondre d’emblée. Après avoir écarté diverses formulations, on s’arrêtera à l’une d’entre elles : ce sont des dogmes, des énoncés sur des faits et situations de la réalité externe (ou interne), qui font part de quelque chose qu’on n’a pas trouvé soi-même, et qui revendiquent qu’on leur accorde croyance. (…) Ils se donnent pour le résultat abrégé d’un assez long procès de pensée, fondé sur l’observation et assurément aussi sur la déduction, à celui qui a l’intention de passer lui-même par ce procès, au lieu d’adopter son résultat, ils montrent la voie à suivre. (…) Essayons de mesurer les dogmes religieux à la même aune. (…) Premièrement, ils méritent croyance parce que déjà nos pères originaires y ont cru ; deuxièmement, nous possédons les preuves qui nous sont transmises depuis ces premiers âges précisément ; et troisièmement, il est absolument interdit de soulever la question de cette accréditation. Cet acte téméraire était autrefois assorti de punitions les plus dures, et aujourd’hui encore la société voit d’un mauvais œil que quelqu’un le réitère. (…) Si les preuves que l’on avance en faveur de la crédibilité des dogmes religieux proviennent toutes du passé, on est amené à regarder autour de soi pour voir si le présent, plus facile à juger, ne peut pas, lui aussi, fournir de telles preuves. Si l’on réussissait de la sorte à soustraire au doute ne serait-ce qu’une seule pièce du système religieux, le tout gagnerait extraordinairement en crédibilité. (…) La première tentative est le « Credo quia absurdum » = « Je le crois parce que c’est absurde » (de Tertulllier). Cela veut dire que les doctrines religieuses sont soustraites aux revendications de la raison. (…) La seconde tentative est celle de la philosophie du « comme si ». Elle expose qu’il y a dans notre activité de pensée abondance d’hypothèses dont nous discernons pleinement l’absence de fondement, voire l’absurdité. Elles sont appelées fictions mais, pour une multitude de motifs pratiques, nous devrions nous comporter « comme si » nous croyions à ces fictions. (…) Il faut demander en quoi consiste la force interne de ces doctrines, à quelles circonstances elles doivent leur efficacité, qui ne dépend pas de leur reconnaissance par la raison. (…) Envisageons la genèse psychique des représentations religieuses. Celles-ci qui se donnent comme des dogmes, ne sont pas des précipités de l’expérience ou des résultats ultimes de la pensée. Ce sont des illusions, accomplissements des souhaits les plus anciens, les plus forts et les plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force, c’est la force de ces souhaits. Nous le savons déjà, l’impression d’effroi liée au désaide de l’enfant a éveillé le besoin de protection – protection par l’amour – auquel le père a répondu par son aide, la reconnaissance du fait que ce désaide persiste tout au long de la vie a été la cause de ferme attachement à l’existence d’un père – désormais plus puissant, il est vrai. (…) Lorsque je dis que tout cela ce sont des illusions, il me faut délimiter la signification du mot. Une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur, elle n’est pas non plus nécessairement ; elle n’est pas non plus nécessairement une erreur. (…) Il reste caractéristique de l’illusion qu’elle dérive de souhaits humains, elle se rapproche à cet égard de l’idée délirante en psychiatrie ; mais elle s’en distingue par ailleurs, indépendamment de la construction plus compliquée de l’idée délirante. Dans l’idée délirante, nous soulignons comme essentielle la contradiction avec la réalité effective ; l’illusion, elle, n’est pas nécessairement fausse, c’est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité. Une jeune fille de la bourgeoisie peut, par exemple, se créer l’illusion qu’un prince viendra la chercher. C’est possible, quelques cas de ce genre se sont produits. (…) Nous appelons donc une croyance illusion lorsque, dans sa motivation, l’accomplissement de souhait vient au premier plan, et nous faisons là abstraction de son rapport à la réalité effective, tout comme l’illusion elle-même renonce à être accréditée. (…) Nous savons approximativement en quels temps les doctrines religieuses ont été créées, et par quelle sorte d’hommes. Si, de surcroît, nous apprenons pour quels motifs cela s’est produit, alors notre point de vue sur le problème religieux connaît un déplacement notable. (…) D’innombrables hommes trouvent dans la religion leur unique réconfort, ne pouvant supporter la vie que grâce à son aide. On veut leur ravir ce qui était leur appui et l’on n’a rien de mieux à leur donner en échange. (…) La science, même si elle avait beaucoup progressé ne suffirait pas aux hommes. L’homme a encore d’autres besoins impérieux qui ne peuvent jamais être satisfaits par la froide science, et il est fort singulier, c’est tout simplement le comble de l’inconséquence, qu’un psychologue, qui a toujours à quel point dans la vie des hommes l’intelligence cède le pas à la vie pulsionnelle, s’efforce maintenant de ravir aux hommes une précieuse satisfaction de souhait et entende les en dédommager par des nourritures intellectuelles. (…)
La religion a, durant de nombreux millénaires, dominé la société humaine, elle avait le temps de montrer ce qu’elle est capable de faire. Si elle avait réussi à rendre heureux la majorité des hommes, à les réconforter, à les réconcilier avec la vie, à en faire les porteurs de la culture, il ne viendrait à l’idée de personne d’aspirer à une modification de l’état de choses existant. Au lieu de cela que voyons-nous ? Qu’un nombre effrayant d’hommes sont mécontents de la culture et s’y trouvent malheureux, la ressentant comme un joug qu’il faut secouer, que ces hommes ou bien appliquent toutes leurs forces à une modification de cette culture ou bien même qu’ils vont, dans leur hostilité à la culture, jusqu’à ne rien vouloir savoir de la culture ni de la restriction des pulsions. On nous objectera ici que cet état tient précisément du fait que la religion a perdu une partie de son influence sur les masses humaines justement par suite de l’effet regrettable des progrès de la science. (…) Il est douteux que les hommes, à l’époque où les doctrines religieuses exerçaient une domination sans restriction, aient été dans l’ensemble plus heureux qu’aujourd’hui ; plus moraux, ils ne l’étaient certainement pas. (…) Nous remarquons maintenant que le trésor des représentations religieuses contient non seulement des accomplissements de souhait, mais aussi des réminiscences historiques significatives. (…) De l’enfant à l’homme, nous savons qu’il ne peut mener à bien son développement vers la culture sans passer par une phase de névrose plus ou moins nette. Cela tient à ce que l’enfant ne peut pas réprimer par un travail rationnel de l’esprit un aussi grand nombre de ces revendications pulsionnelles qui sont inutilisables pour plus tard, mais qu’il doit les dompter par des actes de refoulement derrière lesquels se trouve se trouve, en règle générale, un motif d’angoisse. La plupart de ces névroses d’enfant sont spontanément surmontées pendant la croissance ; les névroses de contraintes de l’enfance en particulier ont ce destin. Pour le reste, c’est le traitement psychanalytique qui est censé y mettre ultérieurement bon ordre. (…) La religion serait la névrose de contrainte universelle de l’humanité (…) L’homme de croyance et de piété est éminemment protégé contre le danger de certaines affections névrotiques ; l’adoption de la névrose universelle le dispense de la tâche de former une névrose personnelle. (…) Je vous contredis donc lorsque vous en arrivez à déduire que l’homme, en tout état de cause, ne peut se passer de réconfort de l’illusion religieuse et que, sans elle, il ne supporterait pas le poids de la vie, la cruelle réalité effective. Bien sûr, il ne la supporterait pas, l’homme à qui vous avez infusé dès l’enfance ce poison doux – ou doux-amer. Mais l’autre, celui qui a été élevé dans la sobriété ? (…) L’être humain ne peut rester éternellement enfant, il faut qu’il finisse par sortir à la rencontre de la « vie hostile ». Il est permis d’appeler cela « l’éducation à la réalité ». Ai-je besoin de vous révéler que le seul dessein de mon écrit est d’attirer l’attention sur la nécessité de ce progrès ? (…) Celui qui considère qu’il faut défendre l’illusion religieuse de toutes ses forces, qui pense que, si elle est dévalorisée, notre monde s’effondre, pense qu’il ne nous reste plus qu’à désespérer de tout, de la culture et de l’avenir de l’humanité. Je suis, nous sommes libres de ce servage. Etant prêts à renoncer à une bonne part de nos souhaits infantiles, nous pouvons supporter que quelques-unes de nos attentes s’avèrent être des illusions. »

Article de décembre 2006

de Jean-François Dortier :

"D’où vient le besoin de croire ?"

"Depuis quelques années, des chercheurs ont entrepris d’aller fouiller dans les méandres du cerveau pour y déceler les mécanismes mentaux archaïques qui pousseraient à croire à l’existence des dieux.

"C’est au milieu des années 1990 qu’est née la neurothéologie. Andrew Newberg de l’université de Pennsylvanie est l’un des pionniers du domaine. Ce chercheur a eu l’idée de scanner le cerveau des personnes en train de pratiquer la méditation transcendentale. L’imagerie cérébrale montre que l’extase mystique est associée à une chute d’activité d’une zone précise du cortex pariétal. Or cette zone est justement l’aire cérébrale responsable de l’orientation dans l’espace. L’inhibition de cette aire entraîne donc un sentiment d’indifférenciation entre le soi et le non-soi. De là à penser que l’on avait découvert le "centre de la religion", au même sens qu’il existe un centre du plaisir ou du langage, le pas fut vite franchi. Cependant, les choses ne sont pas si simples. (...) "l’expérience mystique mobilise plusieurs régions du cerveau, et non un centre unique." affirme Mario Beauregard, de l’université de Montréal.

De surcroit, le fait que des zones cérébrales soient activées lors d’expériences mystiques ne signifie en rien que le cerveau soit programmé pour croire. (...)

Pour comprendre comment les humains en sont venus à croire à l’existence d’entités invisibles auxquelles ils vouent un culte, les psychologues évolutionnistes avancent une autre hypothèse. Selon la psychologue Paul Bloom, la croyance en l’existence des "âmes" est un fait universel qui apapraît très tôt dans l’enfance. Cette croyance est un dérivé accidentel d’un mécanisme simple : nous nous percevons nous-mêmes comme des êtres dotés d’un esprit indépendant de notre corps. Les croyances religieuses s’expliqueraient comme le sous-produti d’un mécanisme mental (infantile). (...) Sur ce point, la psychologie évolutionniste rejoint une hypothèse avancée par Sigmund Freud dans "l’avenir d’une illusion". "

Résumé par Freud de sa thèse sur la fondation du monothéisme juif dans son "Moïse et le monothéisme" :

"L’arrière-plan des événements qui nous intéressent est donc le suivant : les conquêtes de la XVIIIe dynastie ont fait de l’Égypte une puissance mondiale. Le nouvel impérialisme se reflète dans l’évolution des concepts religieux, sinon dans le peuple tout entier, du moins dans les hautes sphères intellectuellement actives. Sous l’influence des prêtres du dieu solaire d’On (Héliopolis), influence peut-être renforcée encore par des suggestions venues d’Asie, surgit l’idée d’un dieu Aton - qui n’est plus le dieu d’un seul peuple et d’un seul pays. En la personne du jeune Amenhotep IV, c’est un pharaon, aux yeux duquel l’intérêt pour le développement de l’idée divine prime tout, qui monte sur le trône. Il fait de la religion d’Aton la religion officielle et, grâce à lui, le dieu universel devient un dieu unique ; tout ce qu’on raconte des autres dieux n’est que mensonge et duperie. Il s’oppose implacablement à toutes les tentations de la pensée magique et rejette l’illusion, si particulièrement chère aux Égyptiens, d’une vie après la mort. Avec une étonnante intuition des vues scientifiques ultérieures, il proclame que l’énergie solaire constitue la source de toute vie sur la terre et doit être adorée en tant que symbole du pouvoir divin. Il est fier de jouir de la création et de sa propre vie dans Maat (vérité et justice).

C’est là le premier et sans doute le plus pur cas de religion monothéiste dans l’histoire de l’humanité ; quelle valeur inestimable aurait pour nous une connaissance plus approfondie des conditions historiques et psychologiques de sa formation ! Mais on a veillé à ce que nous ne puissions avoir trop de renseignements sur la religion d’Aton. Dès le règne des faibles successeurs d’Ikhnaton, tout ce que ce dernier avait édifié fut détruit. Les prêtres qu’il avait opprimés s’attaquèrent dès lors, par vengeance, à sa mémoire. La religion d’Aton fut abolie, la résidence du pharaon, pillée et démolie. Vers 1350 av. J.-C., la XVIIIe dynastie vint à s’éteindre ; après une période d’anarchie, le chef Harembad, qui régna jusqu’en 1315, rétablit l’ordre. La réforme d’Ikhnaton sembla n’être plus qu’un épisode destiné à tomber dans l’oubli.

Tels sont les faits historiquement établis, ce qui va suivre est hypothétique. Parmi les proches d’Ikhnaton se trouvait un homme, peut-être appelé, comme tant d’autres, à cette époque, Thothmes ; peu importe d’ailleurs son nom véritable, mais la dernière partie en devait être « mose ». Thothmes occupait une haute situation, se montrait partisan convaincu de la religion d’Aton, mais à l’inverse du roi méditatif, il était énergique et passionné. Pour cet homme, la mort d’Ikhnaton et la chute de la nouvelle religion marquaient la fin de ses espérances. Aux yeux des Égyptiens, il n’était plus qu’un être méprisable, un renégat. Peut-être avait-il eu l’occasion, en tant que gouverneur d’une province frontière, d’entrer en contact avec une tribu sémitique installée là depuis quelques générations. Isolé, déçu, il se tourna vers ces étrangers, cherchant parmi eux une compensation à ce qu’il avait perdu. Il en fit son peuple et chercha à réaliser par eux son idéal. Après avoir avec eux, et accompagné de ses gens, quitté l’Égypte, il les consacra par la circoncision, leur donna des lois, les instruisit dans la religion d’Aton que les Égyptiens venaient justement d’abjurer. Peut-être les lois que ce Moïse donna à ses Juifs étaient-elles encore plus dures que celles de son seigneur et maître Ikhnaton, peut-être renonça-t-il aussi à s’appuyer sur le dieu du soleil d’On qu’Ikhnaton avait continué à révérer.

Nous supposons que l’Exode eut lieu à l’époque de l’interrègne, après 1350. Les périodes suivantes, jusqu’à l’installation en Canaan, sont particulièrement obscures. Les récentes recherches historiques ont cependant permis de mettre en lumière deux faits, tous deux tirés de l’obscurité laissée ou plutôt créée dans le récit biblique. Le premier, découvert par E. Sellin, est que les Juifs, même aux dires de la Bible, se montrèrent insubordonnés et rebelles à l’égard de leur législateur, se révoltèrent, un beau jour, l’assassinèrent et abolirent, comme l’avaient déjà fait les Égyptiens, la religion d’Aton. Le second fait, trouvé par Ed. Meyer, est que ces Juifs revenus d’Égypte fusionnèrent plus tard avec d’autres tribus apparentées habitant le pays situé entre la Palestine, la péninsule de Sinaï et l’Arabie. Là, dans une région fertile appelée Quadès, ils adoptèrent sous l’influence des Midianites arabes une nouvelle religion, l’adoration du dieu des volcans, Jahvé. Peu après, ils se disposèrent à envahir la terre de Canaan.

Il n’est guère possible de situer exactement dans le temps, ni par rapport les uns aux autres ni relativement à la fuite hors d’Égypte, ces divers événements. Un renseignement historique nous est ensuite donné par une stèle du pharaon Merneptah (qui régna jusqu’en 1215). Cette stèle relate une campagne en Syrie et en Palestine et cite Israël parmi les vaincus. Si l’on considère la date donnée par la stèle en question comme un « terminus ad quem », il s’ensuit que tous les événements à partir de la fuite d’Égypte se sont écoulés en un siècle environ, après 1350 jusque vers 1215 ; mais il est possible que le nom d’Israël ne se rapporte plus aux tribus dont nous nous occupons ici et que nous disposions, en réalité, d’un plus grand laps de temps. L’établissement en Canaan du peuple juif, plus tardif, ne constitue certainement pas une conquête rapide, mais une lente pénétration par poussées successives. Si nous négligeons le renseignement fourni par la stèle de Merneptah, il nous sera plus facile d’admettre que l’époque de Moïse eut la durée d’une vie d’homme (30 ans) et que deux générations au moins, mais sans doute davantage, la séparèrent de la réunion à Quadès . Le temps qui s’écoula entre Quadès et la conquête de Canaan peut avoir été court. Nous avons vu plus haut que la tradition juive avait de bonnes raisons d’abréger le temps qui sépare l’Exode de l’instauration à Quadès de la nouvelle religion ; nous pencherions en faveur du contraire.

Mais tout ceci n’est encore que de l’histoire et ne constitue qu’une tentative pour combler les lacunes de nos connaissances historiques et une répétition de ce que nous avons déjà dit dans notre second essai. Notre curiosité s’attache au destin de Moïse et de sa doctrine à laquelle la révolte des Juifs ne mit fin qu’en apparence. Les relations jahvistes écrites vers l’an 1000 av. J.-C. mais qui se basent certainement sur des rapports plus anciens, nous apprennent qu’après la réunion des tribus et la fondation d’une religion à Quadès, un compromis se trouva établi dont les deux parties se distinguent encore fort bien l’une de l’autre. L’un des partenaires n’avait à cœur que de dénier au dieu Jahvé son caractère nouveau et étranger et d’accroître ses droits à la soumission du peuple, l’autre refusait de renoncer à de chers souvenirs, ceux de la libération, de la fuite d’Égypte et de la grande figure de Moïse et il réussit à caser le fait et l’homme dans ce nouvel exposé de la préhistoire juive ou tout au moins à conserver le signe extérieur de la religion mosaïque : la circoncision. Peut-être imposa-t-il certaines restrictions dans l’emploi du nom de la nouvelle divinité. Nous avons déjà dit que ceux qui soutenaient ces points de vue étaient les descendants des partisans de Moïse, les Lévites ; quelques générations seulement les séparaient des contemporains et compatriotes du prophète à la mémoire duquel les attachait une vivante tradition. Les récits si poétiquement enjolivés attribués au jahviste et à son concurrent ultérieur, l’élohiste, étaient des sortes de monuments funéraires sous lesquels les récits authentiques de ces choses passées, de la nature de la religion mosaïque et de l’événement par la violence du grand homme, devaient être soustraits à la connaissance des générations futures et, pour ainsi dire, trouver eux-mêmes un repos éternel. Et si nos hypothèses sont justes, il n’y a plus rien de mystérieux dans cette histoire ; elle aurait pu cependant constituer la fin de l’épisode de Moïse dans l’histoire du peuple juif.

Ce qui est étrange c’est qu’il n’en soit rien. Les plus fortes répercussions de ces événements ne se firent sentir que bien plus tard et ne parvinrent que peu à peu, au cours des siècles, à se manifester. Il est peu probable que Jahvé se distinguât beaucoup, par son caractère, des dieux révérés par les tribus et les peuples voisins. Jahvé était en lutte contre ces dieux comme les tribus elles-mêmes étaient en lutte les unes contre les autres, mais tout porte à croire qu’à l’époque, l’adorateur de Jahvé était aussi peu enclin à nier l’existence des dieux de Canaan, de Moab, d’Amalek, etc., que l’existence des peuples qui croyaient en eux.

L’idée monothéiste, née avec Ikhnaton, était à nouveau dans l’ombre. Des trouvailles faites dans l’île Éléphantine, proche de la première cataracte du Nil, ont révélé ce fait surprenant qu’il y avait eu une colonie militaire juive établie là depuis des siècles. Dans le temple qui y était érigé on adorait, à côté du dieu principal Jahu, deux déités femelles dont l’une se nommait Anat-Jahu. Ces Juifs, il est vrai, se trouvaient séparés de la mère patrie et n’avaient pu subir la même évolution religieuse ; l’empire Perse (Ve siècle av. J.-C.) leur avait communiqué les nouvelles prescriptions religieuses de Jérusalem . En nous reportant à des époques plus lointaines, nous avons le droit de dire que le dieu Jahvé n’avait certainement aucune ressemblance avec le dieu de Moïse. Aton avait été pacifique tout comme son représentant terrestre, ou plutôt son prototype, le pharaon Ikhnaton, qui assistait, les bras croisés, au démembrement de l’Empire immense créé par ses aïeux. Certes, pour un peuple avide de conquêtes, Jahvé était mieux indiqué. Et tout ce qui, dans le dieu de Moïse, méritait vraiment l’admiration devait naturellement échapper à la compréhension des masses primitives.

J’ai déjà dit - et mon avis concorde sur ce point avec celui d’autres auteurs - que, dans l’évolution religieuse juive, on notait un fait central : le dieu Jahvé, au cours des siècles, finit par perdre son caractère propre pour ressembler toujours davantage à l’ancien dieu de Moïse, Aton. Il continuait bien à en différer quelque peu, mais on ne doit pas s’empresser de surestimer ces différences qui s’expliquent facilement : le règne d’Aton avait commencé en Égypte à une époque florissante où l’intégrité de l’Empire semblait assurée. Même quand cet Empire commença à chanceler, les adorateurs d’Aton avaient pu se désintéresser de ces malheurs et continuer à louer les créations de leur dieu et à en jouir.

Le destin apporta au peuple juif une série de dures et douloureuses épreuves, son dieu devint cruel, rigoureux et comme enveloppé de ténèbres. Il conservait son caractère d’universalité, en régnant sur tous les pays et tous les peuples, toutefois le fait que son culte ait passé des Égyptiens aux Juifs s’exprima de la façon suivante : les Juifs seraient le peuple élu dont les obligations spéciales devraient un jour trouver leur récompense spéciale aussi. Certes, le peuple dut avoir quelque peine à concevoir comment l’idée de la préférence que lui accordait son dieu pouvait se concilier avec les tristes expériences auxquelles le soumettait un malheureux sort. Mais il ne se laissait pas envahir par l’incertitude, son sentiment de culpabilité grandissait pour étouffer le doute de l’existence de Dieu. Peut-être alors les Juifs s’en remirent-ils, comme font encore de nos jours les gens pieux, aux « desseins impénétrables de la Providence ». Quand on s’étonnait de ce que Dieu permît toujours l’apparition de nouveaux tyrans oppresseurs et persécuteurs : les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, on voyait se manifester sa puissance dans le fait que ces cruels ennemis finissaient toujours tous par être vaincus et leurs royaumes par disparaître.

Enfin le dieu ultérieur des Juifs s’égala sur trois points importants à l’ancien dieu de Moïse. En effet - et c’est là le fait le plus marquant - il fut reconnu comme dieu unique, aux côtés duquel il était impossible d’en concevoir un autre. Le monothéisme d’Ikhnaton fut pris au sérieux par tout un peuple et cela à tel point que cette idée devint l’essentiel de sa vie spirituelle et accapara tout son intérêt. Le peuple et le clergé, qui avait pris sur lui la haute main, s’accordaient sur ce point ; mais en consacrant toute leur activité à l’établissement du cérémonial religieux, les prêtres se trouvèrent opposés à l’intense courant qui poussait le peuple à faire revivre deux autres doctrines religieuses de Moïse ; les voix des prophètes proclamaient sans cesse que Dieu méprisait les rites et les sacrifices et n’exigeait que la foi et une vie de droiture et de justice. Et quand les prophètes louaient la simplicité et la sainteté de la vie dans le désert, ils étaient certainement influencés par les idéaux mosaïques.

Mais faut-il, pour expliquer comment s’est formée l’idée définitive du dieu juif, invoquer l’influence de Moïse ? Ne suffit-il pas d’admettre qu’il y ait eu une évolution spontanée vers une spiritualité plus haute au cours d’une civilisation s’étendant sur plusieurs siècles ? Cette possible explication mettrait un terme à l’énigme qui nous occupe, mais je ferai à son propos deux commentaires : je dirai d’abord qu’elle n’explique rien du tout. Des conditions analogues n’ont pas amené le peuple grec si hautement doué à embrasser le monothéisme, mais ont entraîné la dissolution du polythéisme et les débuts de la pensée philosophique. Pour autant que nous puissions le comprendre, le monothéisme n’était, en Égypte, qu’un effet secondaire de l’impérialisme ; Dieu n’était que le reflet d’un pharaon exerçant sans contrainte, sur un immense empire, une autorité illimitée. Chez les Juifs, les conditions politiques s’opposaient à ce que le dieu national exclusif se muât en dieu universel. D’où vint à ce misérable et impuissant petit peuple l’outrecuidance de se proclamer le fils chéri du Seigneur ? De cette façon, la question de l’origine du monothéisme chez les Juifs demeurerait irrésolue ou bien il faudrait se contenter de déclarer, comme de coutume, que les choses s’expliquent par le génie religieux particulier de ce peuple. Chacun sait que le génie est incompréhensible et étrange, c’est pourquoi il convient de ne recourir à cette explication que dans le cas où toute autre solution s’avère impossible .

En outre, il faut bien reconnaître que les récits et l’histoire nous montrent eux-mêmes la voie en prétendant, et cette fois sans se contredire, que l’idée d’un Dieu unique a été donnée au peuple par Moïse. La seule objection que l’on puisse opposer à cette affirmation est que les prêtres, dans leur remaniement des texte bibliques dont nous disposons, attribuent beaucoup trop de faits à Moïse. Certaines institutions, certaines prescriptions rituelles, incontestablement bien plus tardives, sont données comme des lois de Moïse, cela dans le but évident de leur conférer plus d’autorité. C’est là pour nous un motif de nous méfier de ces données, sans toutefois les rejeter, La raison profonde, en effet, de cette exagération est claire. Les prêtres, dans leur exposé, cherchent à établir une continuité entre leur époque et celle de Moïse, ils veulent nier ce qui est pour nous justement le fait le plus saillant de l’histoire de la religion juive : a savoir qu’entre les lois de Moïse et la religion juive plus tardive se trouve une lacune qui fut tout d’abord comblée par le culte de Jahvé et ensuite seulement peu à peu et lentement supprimée. À l’aide de toutes sortes d’arguments, l’exposé des prêtres nie cette suite de faits bien que leur exactitude historique soit incontestable et que, malgré le traitement particulier qu’a subi le texte biblique, de nombreuses données viennent la confirmer. La version des prêtres obéissait à cette même tendance déformante qui avait fait du dieu nouveau, Jahvé, le Dieu des Patriarches. En tenant compte de ce motif du Code des Prêtres, il nous sera difficile de ne pas croire que c’est bien Moïse qui a donné à ses Juifs l’idée monothéiste. Nous sommes d’autant plus enclins à y croire que nous savons d’où cette idée vint à Moïse, chose que les prêtres juifs avaient certainement oubliée.

Mais, se demandera-t-on peut-être, quel intérêt y a-t-il à savoir si le monothéisme juif dérive bien du monothéisme égyptien ? Le problème ne se trouve par là déplacé que d’un cran et nous n’y gagnons presque rien en ce qui concerne la genèse de l’idée monothéiste. Nous répondrons que ce qui nous intéresse n’est pas le gain, mais bien la recherche elle-même. Peut-être aurons-nous pu, en retrouvant le véritable cours des choses, acquérir quelque connaissance nouvelle.

Messages

  • "Elles [les doctrines religieuses] sont toutes des illusions, indémontrables, nul ne saurait être contraint de les tenir pour vraies, d’y croire. Quelques-unes d’entre elles sont tellement invraisemblables, tellement en contradiction avec tout ce que notre expérience nous a péniblement appris de la réalité du monde, que l’on peut - tout en tenant compte des différences psychologiques - les comparer aux idées délirantes. On ne peut pas juger de la valeur de la réalité de la plupart d’entre elles. Tout comme elles sont indémontrables, elles sont irréfutables."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Lorsqu’il s’agit de questions de religion, les hommes se rendent coupables de toutes les malhonnêtetés possibles. Les philosophes étirent la signification des mots jusqu’à ce que ceux-ci conservent à peine quelque chose de leur sens d’origine, ils appellent Dieu quelque vague abstraction qu’ils se sont créée et les voilà désormais, à la face du monde, déistes, croyants en Dieu, ils peuvent s’enorgueillir d’avoir reconnu un concept de Dieu plus élevé plus pur, bien que leur Dieu ne soit plus qu’une ombre sans substance..."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Ce fondement rationnel de l’interdit du meurtre, nous ne le communiquons pas, mais nous affirmons que c’est Dieu qui a édicté l’interdit. Nous osons donc deviner ses intentions et nous trouvons que lui non plus ne veut pas que les hommes s’exterminent les uns les autres. En procédant ainsi, nous revêtons l’interdit culturel d’une solennité toute particulière, non sans risque de faire dépendre son observance de la croyance en Dieu."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "La religion serait la névrose de contrainte universelle de l’humanité ; comme celle de l’enfant, elle serait issue du complexe d’Œdipe, de la relation au père. Selon cette conception, il serait à prévoir que se détourner de la religion doit s’effectuer avec la fatale inexorabilité d’un processus de croissance et que nous nous trouvons aujourd’hui même au beau milieu de cette phase de développement."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    Religion, névrose universelle :
    " [...] l’homme de croyance et de piété est éminemment protégé contre le danger de certaines affections névrotiques ; l’adoption de la névrose universelle le dispense de la tâche de former une névrose personnelle."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "A mon avis, il faudrait très longtemps à un enfant non influencé pour qu’il commence à ce faire des idées sur Dieu et les choses au-delà de ce monde. Peut-être ces idées emprunteraient-elles alors les mêmes voies que celles qu’elles ont prises chez ses aïeux, mais on n’attend pas que ce développement ait lieu, on lui sert les doctrines religieuses à un moment où il n’a encore ni intérêt pour elles, ni la capacité d’en saisir la portée."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Une partie [du] refoulement des pulsions est accomplie par les religions, en tant qu’elles incitent l’individu à offrir en sacrifice à la divinité ses satisfactions pulsionnelles. "A moi la vengeance" dit le Seigneur. On croit reconnaître dans l’évolution des vieilles religions que bien des "forfaits" auxquels l’homme avait renoncé étaient "passés" à Dieu et étaient encore permis en son nom, de telle sorte que la cession à la divinité était le moyen par lequel l’homme se libérait de la domination de ses pulsions mauvaises et nuisibles à la société."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "La raison dernière du besoin de religion m’a frappé comme étant le désemparement infantile, tellement plus grand chez l’homme que chez les animaux. A partir de ce moment, il ne peut se représenter le monde sans parents, et s’octroie un Dieu juste et une nature bonne."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Ainsi, en retirant de l’au-delà ses espérances ou en concentrant sur la vie terrestre toutes ses énergies libérées, l’homme parviendra sans doute à la rendre supportable à tous, et la civilisation n’écrasera plus personne."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Il n’y a aucune instance au-dessus de la raison. Si la vérité des doctrines religieuses est dépendante d’une expérience vécue intérieure qui témoigne de cette vérité, que faire des nombreux hommes qui n’ont pas vécu une expérience si rare ? On peut réclamer de tous les hommes qu’ils appliquent le don de la raison qui est en leur possession, mais on ne peut édifier un devoir valable pour tous sur un motif qui n’existe que chez un très petit nombre."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Celui qui est parvenu à accepter sans critique toutes les absurdités que lui offrent les doctrines religieuses, et même à fermer les yeux sur leurs mutuelles contradictions, n’est pas quelqu’un dont la faiblesse de pensée doive nous surprendre outre mesure. Or nous n’avons pas d’autres moyens pour dominer nos pulsions que notre intelligence. Comment peut-on attendre de personnes qui se trouvent sous la domination d’interdits de penser qu’ils accèdent à l’idéal psychologique, au primat de l’intelligence ?"
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Il serait certes très beau qu’il y eut un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l’univers et une vie future, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-mêmes."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "[…] il y aurait un indubitable avantage à laisser Dieu tout à fait hors du jeu et à admettre honnêtement l’origine purement humaine de tous les dispositifs et prescriptions culturels. En même temps que le caractère sacré revendiqué par les commandements et lois, tomberaient aussi leur rigidité et leur immutabilité. Les hommes pourraient comprendre que ceux-ci ont été crée non pas tant pour les dominer que bien plutôt pour servir leurs intérêts, ils établiraient avec eux un rapport plus amical, se fixant pour but, au lieu de les abolir, de seulement les améliorer."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’avenir d’une illusion)

    "Dans les temps passés les représentations religieuses ont exercé sur l’humanité, malgré leur manque incontestable d’accréditation, la plus forte des influences. [...] Celles-ci, qui se donnent comme des dogmes, ne sont pas des précipités de l’expérience ou des résultats ultimes de la pensée, ce sont des illusions, accomplissements des souhaits les plus anciens, les plus forts et les plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force, c’est la force de ces souhaits."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ L’Avenir d’une illusion)

    "L’ignorance est l’ignorance. Nul droit à croire quelque chose n’en saurait dériver."
    (Sigmund Freud / 1856-1839 / L’avenir d’une illusion)

    "Les idées religieuses, qui professent d’être dogmes, ne sont pas le résidu de l’expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, c’est-à-dire la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l’humanité, le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l’impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d’être protégé - protégé en étant aimé -, besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l’homme s’est cramponné à un autre père, à un père cette fois plus puissant."
    (Sigmund Freud / 1856-1839 / L’avenir d’une illusion)

    "Le Dieu de chaque homme est à l’image du père, le rapport personnel à Dieu dépend du rapport au père charnel, il oscille et se transforme avec ce dernier, et Dieu n’est au fond qu’un père élevé au rang supérieur."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ Totem et tabou / 1913)

    "Dans la phase animiste, c’est à lui-même que l’homme attribue la toute-puissance ; dans la phase religieuse, il l’a cédée aux dieux, sans toutefois y renoncer sérieusement, car il s’est réservé le pouvoir d’influencer les dieux de façon à les faire agir conformément à ses désirs. Dans la conception scientifique du monde, il n’y a plus place pour la toute-puissance de l’homme, qui a reconnu sa petitesse et s’est résigné à la mort, comme il s’est soumis à toutes les nécessités naturelles."
    (Sigmund Freud / 1856-1839 / Totem et tabou / 1913)

    "Seuls les croyants qui demandent à la science de leur remplacer le catéchisme auquel ils ont renoncé, verront d’un mauvais oeil qu’un savant poursuive et développe ou même qu’il modifie ses idées."
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ Au-delà du principe de plaisir)

    "Le commandement "Aime ton prochain comme toi-même" est la défense la plus forte contre l’agression humaine et un excellent exemple de la démarche non psychologique du sur-moi-de-la-culture. Le commandement est impraticable ; une inflation aussi grandiose de l’amour peut seulement en abaisser la valeur, elle ne peut éliminer la nécessité. La culture néglige tout cela ; elle se contente de rappeler que plus l’observance du précepte est difficile, plus elle est méritoire. Mais celui qui, dans la culture présente, se conforme à un tel précepte ne fait que se désavantager par rapport à celui qui se place au-dessus de lui. Quelle ne doit pas être la violence de cet obstacle à la culture qu’est l’agression, si la défense contre celle-ci peut rendre aussi malheureux que l’agression elle-même !"
    (Sigmund Freud / 1856-1939/ Le malaise dans la culture / 1930)

    "Au fond, personne ne croit à sa propre mort, et dans son inconscient, chacun est persuadé de son immortalité."
    (Sigmund Freud / 1856-1939)

    "Le diable est encore le meilleur subterfuge pour disculper Dieu."
    (Sigmund Freud / 1856-1939)

  • "Elles [les doctrines religieuses] sont toutes des illusions, indémontrables, nul ne saurait être contraint de les tenir pour vraies, d’y croire. Quelques-unes d’entre elles sont tellement invraisemblables, tellement en contradiction avec tout ce que notre expérience nous a péniblement appris de la réalité du monde, que l’on peut - tout en tenant compte des différences psychologiques - les comparer aux idées délirantes. On ne peut pas juger de la valeur de la réalité de la plupart d’entre elles

  • "Lorsqu’on abolira la propriété privée, qu’on rendra toutes les richesses communes et que chacun pourra participer aux plaisirs qu’elles procurent, la malveillance et l’hostilité qui règnent parmi les hommes disparaîtront. Comme tous les besoins seront satisfaits, nul n’aura plus aucune raison de voir un ennemi en autrui, tous se plieront bénévolement à la nécessité du travail."

    Sigmund Freud ; Malaise dans la civilisation

  • « Il serait très sympathique que Dieu existe, qu’il ait créé le monde et qu’il soit une providence bienveillante ; qu’il existe un ordre moral dans l’univers et une vie future ; mais il est très surprenant que tout ceci soit exactement ce que nous nous sentons obligés de souhaiter. »

    Sigmund Freud

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