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Discussion actuelle sur la révolution permanente

vendredi 30 novembre 2007, par Robert Paris

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La notion de révolution permanente s’oppose à celle de révolution par étapes. Cette dernière laisse entendre qu’il va d’abord falloir obtenir la démocratie ou d’abord l’indépendance, d’abord la naissance d’un Etat ou d’abord telle ou telle revendication de tel ou tel groupe social. Pour l’étapisme, on posera plus tard les autres problèmes. La révolution permanente suppose au contraire que toutes les questions sont liées, qu’elles le seront concrètement au sein d’une même révolution ayant une perspective socialiste et dirigée par le prolétariat révolutionnaire.

Historiquement, la « révolution permanente » est connue comme la thèse de Trotsky qui s’opposait à celle de Staline de « révolution dans un seul pays » renonçant à la révolution mondiale, à la thèse stalinienne d’ « intégration du koulak et du nepman au socialisme » et de « progrès à pas de tortue vers le socialisme », qui allaient être suivies par des thèses comme « la coexistence avec le capitalisme », « la voie pacifique vers le socialisme », entre autres expressions qui cachaient non seulement la renonciation aux perspectives d’octobre 1917 mais la haine virulente de la révolution qui animait la bureaucratie stalinienne. Celle-ci a usurpé le pouvoir du prolétariat, en profitant d’un recul de la révolution européenne et a craint tout réveil de la révolution en Europe qui risquait de remettre en cause le statu quo avec la bourgeoisie impérialiste, statu quo qui lui permettait de survivre. C’est bien la « révolution permanente » initiée en 1917 qui a échoué.
Et, effectivement, la révolution de 1917 en Russie était permanente, au sens où elle marquait le début d’une révolution ouvrière en Europe et qu’elle ne pouvait triompher que si celle-ci l’emportait. Car son caractère n’était pas celui d’une révolution nationale visant à supprimer les restes russes du féodalisme. La révolution qui a renversé le tsarisme ne pouvait s’en tenir à la mise en place d’une démocratie bourgeoise. La locomotive de la révolution était, malgré sa faiblesse numérique, le prolétariat industriel. Lorsque celui-ci prenait des mesures démocratiques révolutionnaires, son caractère de classe marquait ces mesures.
Lénine, lui-même, n’avait pas envisagé les choses ainsi. Jusqu’en mars 1917, il s’opposait à la thèse de Trotsky de la révolution permanente.
Avant 1917, Lénine était victime d’une conception bien peu dialectique du cours de l’histoire, conception que nous pouvons appeler « progressisme » ou « révolution par étapes ». Le tournant de la pensée politique, stratégique, de Lénine a pris un caractère public dans ce que l’on a appelé les « thèses d’avril ». Lénine, tout juste rentré en Russie suite au renversement du tsar, défendait les anciennes thèses de Trotsky au sein de son propre parti. Non sans difficulté. Les thèses opposées affirmaient que la Russie n’était pas mûre pour le socialisme, que l’on devait appuyer l’aile révolutionnaire de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie qui voulait porter la démocratie bourgeoise à son terme en Russie. Il s’agissait d’ « une étape démocratique » à distinguer de l’ « étape socialiste et prolétarienne » qui, selon ses adeptes, n’était pas à l’ordre du jour vu le faible développement de l’économie et du prolétariat.
La révolution russe, elle-même, a tranché le débat en donnant le pouvoir au prolétariat et en marquant le début de la révolution prolétarienne en Europe, menaçant même l’impérialisme mondial.
Au-delà de ce débat entre révolutionnaires russes sur le caractère de la révolution de l’après première guerre mondiale, il y a un débat sur les notions plus générales de démocratie bourgeoise et de dictature du prolétariat, il y a deux conceptions sur la nature de classe de la révolution sociale, sur la dynamique qui pousse la révolution, sur le programme révolutionnaire lui-même. La révolution bourgeoise elle-même posait le problème de la révolution prolétarienne.
Ce débat a été initié par Karl Marx lors des premiers débuts de la révolution prolétarienne en 1848, dans un texte fameux intitulé « Adresse au Comité Central de la Ligue des Communistes » qu’il conclue en affirmant que les prolétaires conscients des intérêts de leur classe doivent lancer comme cri de guerre : « la révolution en permanence ! ». Marx et Engels devaient faire remarquer que ceci n’est pas propre à la révolution prolétarienne. Toute dynamique révolutionnaire qui mène au renversement d’un système et à la mise en place d’un autre système fondamentalement nouveau, a un caractère « permanent » ou « ininterrompu ».
Disons tout de suite que cette « permanence » ne signifie pas que l’affrontement violent entre les classes doive durer éternellement. Elle signifie que la révolution sociale est un processus qui ne dure pas seulement l’espace du renversement d’un gouvernement, les trois jours (ou les quelques jours) nécessaires pour faire tomber une dictature, retourner ou dissoudre l’armée et les forces de répression. La révolution est un changement brutal mais pas instantané. Et d’abord parce que la classe révolutionnaire n’est pas entièrement prête par avance à réaliser les changements dont elle est capable. La bourgeoisie elle-même n’était pas prédisposée automatiquement à prendre le pouvoir. Au cours des révolutions bourgeoises, comme la révolution bourgeoise de la fin des années 1780 et du début des années 1790, dont l’un des épisodes marquants date de 1789, en France, le cours de celle-ci a eu un caractère permanent. Cela signifie qu’elle n’a pas pu atteindre ses potentialités d’un seul coup, en une seule insurrection, dans un seul pays, par l’action d’une seule classe, en réalisant ses buts en une fois. La classe révolutionnaire, elle-même, n’a pas pu atteindre la conscience de son rôle et de ses capacités du premier coup. La poussée révolutionnaire s’est mesurée à des réactions des anciennes classes dirigeantes qui l’ont amené à s’approfondir, à se radicaliser, à s’appuyer sur des couches plus misérables, plus violentes, capables de l’aider à triompher. Du coup, la révolution sociale n’a pas pu s’en tenir à son programme. Si, au début, elle aurait été prête à des compromis avec les anciennes classes dirigeantes, à renoncer à une partie de ses objectifs, la dureté de la réaction l’a obligée, ou du moins sa fraction la plus révolutionnaire, à pousser au-delà même des objectifs de sa classe.
C’est le caractère dynamique de la révolution. Le cours historique n’est pas prédéterminé. Les classes ne savent pas d’avance jusqu’où elles sont capables d’aller, ni même jusqu’où elles auraient voulu aller. Ce sont les événements qui décident du cours de l’histoire. La révolution provient de la nécessité d’une confrontation pour mesurer les rapports de force dans une situation sociale et politique nouvelle. Le combat construit de nouvelles relations et donne un cours à chaque fois différend à la suite de l’Histoire.
La notion de révolution permanente combat donc, en premier, l’image figée des révolutions, image anti-marxiste selon laquelle il y aurait seulement deux classes, une révolutionnaire, l’autre réactionnaire, seulement deux programmes : celui de la classe révolutionnaire et celui de la classe dominante. Ce ne sont pas seulement des simplifications outrancières très éloignées du point de vue marxiste. Ce sont également des conceptions qui ne permettent nullement de comprendre une révolution et, du coup, qui opposent diamétralement des phases de la même révolution, phases qui s’opposent dialectiquement, c’est-à-dire en s’imbriquant les unes dans les autres.
La conception formelle, non-dialectique, de l’histoire oppose diamétralement révolution bourgeoise et révolution prolétarienne, alors que l’histoire combine les deux. Bien sûr, le prolétariat a des objectifs qui sont en contradiction avec les intérêts de la bourgeoisie. Cependant, lorsque la bourgeoisie n’a pas été capable de réaliser ses propres tâches, c’est le prolétariat qui va se charger, en venant au pouvoir, de les réaliser. Pour autant, même si aucune des tâches véritablement socialiste n’est pas encore mure, même si la révolution prolétarienne ne peut, momentanément, réaliser que des tâches bourgeoises ou compatibles avec la bourgeoisie (réforme agraire, démocratie bourgeoise, étatisme, développement national, monopole du commerce extérieur, contrôle sur l’économie privée, etc…), la nature du pouvoir n’est pas bourgeoise mais socialiste. Tant que la société est arriérée, a des survivances féodales, ce serait, selon les thèses « étapistes », encore la bourgeoisie dite démocratique qui serait la dirigeante logique de la lutte. Ils opposent d’un côté la révolution prolétarienne visant à des tâches socialistes et communistes, de l’autre la révolution bourgeoise qui ne peut se poser que des tâches démocratiques bourgeoises : mise en place d’un régime de droit plus ou moins fondé sur une espèce de démocratie, réforme agraire, un certain contrôle économique national se rendant indépendant de la main mise des anciennes classes dirigeantes ou des pays voisins. Il y a une véritable opposition : celle entre les perspectives des deux classes fondamentales : bourgeoisie et prolétariat. Cela ne signifie pas qu’il existe une barrière hermétique entre la révolution prolétarienne et la révolution bourgeoise. La révolution prolétarienne pose souvent d’abord des questions démocratiques, qui traditionnellement étaient attribuées à la révolution bourgeoise, et qu’elle s’avère incapable, ou craintive, de réaliser. Cela ne signifie pas que les tâches bourgeoises aient changé en soi de caractère social. Ce sont les prolétaires qui changent le caractère des tâches qu’ils accomplissent, quand il s’agit des tâches de type bourgeois, du fait de rôle qu’ils ont dans la société et des perspectives que représente leur intervention.
C’est le programme révolutionnaire qui est le premier impliqué par la question de la révolution permanente. Il s’agit de rendre consciente la liaison entre les revendications démocratiques et la question sociale telle qu’elle est posée par le prolétariat révolutionnaire. Cette liaison doit être mise en évidence par le programme qu’il s’agisse d’un pays impérialiste, d’un pays développé ou d’un pays pauvre ayant des restes féodaux plus ou moins marqués. Dans tous ces cas, le programme prendra un tour différent et cependant il sera indispensable de marquer, dans tous ces cas, le caractère permanent de la révolution.
Et, d’abord, ce caractère provient de la nécessité d’une révolution internationale. Le caractère permanent signifie que la révolution ne peut triompher à l’échelle nationale. Toutes les idées de « révolution nationale », de « programme économique de socialisme national » sont les pires ennemies du programme révolutionnaire prolétarien.
Le "démocratisme" a souvent pris le relai du "progressisme" et du nationalisme. Cette fois, le discours, c’est "d’abord la démocratie". Cependant, pour nombre de peuples, on entend toujours "d’abord l’indépendance" ou "d’abord l’autonomie". Et sur bien d’autres revendications démocratiques, il en va de même : "d’abord les droits culturels", "d’abord les droits religieux", "d’abord les droits des femmes", "d’abord la lutte contre l’oppression extérieure de l’impérialisme", etc...

Pour les révolutionnaires prolétariens, il n’est pas question de négliger aucune "question" qui relève d’une oppression mais il n’est pas question non plus d’accepter de séparer ainsi les questions de la question sociale car c’est celle au travers de laquelle les travailleurs peuvent prendre la tête de toutes les luttes. C’est la seule chance que ces luttes aboutissent. Car toutes ces luttes ont la même racine : la domination capitaliste sur le monde. pas une île isolée du monde ne peut être séparée du reste de la planète.

La révolution ne s’arrête pas à la révolution dans un seul pays. Elle ne s’arrête pas à telle ou telle étape. Elle change fondamentalement la société. Jusqu’à la destruction de l’Etat. Jusqu’à la suppression des classes. Jusqu’à la suppression du système d’exploitation.

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