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Les licenciements massifs dans la sidérurgie lorraine

dimanche 10 janvier 2010, par Robert Paris

« Mitterrand trahison »... la marche des sidérurgistes sur Paris

Le 13 avril 1984, des dizaines de milliers de travailleurs de la sidérurgie manifestaient à Paris, à l’appel des syndicats. Ils protestaient contre l’adoption par le gouvernement d’Union de la gauche d’un nouveau plan Acier, synonyme d’une nouvelle saignée dans les effectifs de la sidérurgie.

Ce n’était certes pas la première fois que le gouvernement planifiait les suppressions d’emplois et aidait le patronat à les réaliser. En septembre 1978, le gouvernement de droite de Raymond Barre avait transformé les dettes des maîtres de forge en prise de participation de l’État. 22 milliards de francs de fonds publics furent engloutis dans la sidérurgie et 21 000 emplois furent liquidés. C’était alors le dernier d’une série de plans qui, depuis 1967, sous prétexte de modernisation, prévoyaient des suppressions massives d’emplois. Il permettait aux patrons de la sidérurgie, les de Wendel et les autres, de dégager leurs capitaux pour aller les placer ailleurs.

En 1981, Mitterrand avait remporté l’élection présidentielle et nommé un gouvernement d’Union de la gauche comprenant quatre ministres communistes, du jamais vu depuis la Libération. Sitôt élu, en octobre il faisait une tournée en Lorraine et déclarait : « Aucun poste de travail ne peut être supprimé dans la sidérurgie sans qu’un autre n’ait été créé auparavant dans un autre secteur », dénonçant à Longwy « le coût social d’un capitalisme sauvage. » Mais il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que les paroles de Mitterrand s’envolent.

Votée au Parlement en octobre, la nationalisation complète de la sidérurgie fut achevée en février 1982, sans que les patrons y perdent un centime. Cette nationalisation était présentée par le PCF, depuis des années, comme la panacée.

Dès le mois de juin 1982, l’État annonçait 12 000 suppressions d’emplois. En Lorraine, c’était le début de la fin de l’aciérie de Pompey, celle qui avait coulé l’acier ayant servi à bâtir la tour Eiffel. « J’ai voté pour eux en 1981. Aujourd’hui ils ferment mon usine », pleurait, désespéré, un sidérurgiste de Pompey monté à Paris pour manifester, cité par le journal Le Monde.

Moins de deux ans plus tard, le 29 mars 1984, le gouvernement socialiste Mauroy - comportant toujours quatre ministres communistes - révisait le plan Acier et annonçait la suppression de 21 000 emplois supplémentaires. Ce fut alors la colère et le sentiment d’une immense trahison chez les travailleurs. Dans la région de Nancy, les aciéries de Pompey étaient définitivement rayées de la carte et celles de Neuves-Maisons au trois quarts liquidées. Le tiers des emplois de l’usine de Gandrange (qui en comptait plus de 6 000 à l’époque) étaient condamnés. Mais, surtout, ce plan Acier sonnait le glas de la sidérurgie à Longwy.

Dans toutes les usines souffle alors un vent de colère. Le 4 avril est journée de grève générale interprofessionnelle en Lorraine. On dénombre 150 000 manifestants dans les villes de la région, soigneusement encadrés par les syndicats qui craignent plus que tout une explosion sociale, la réédition des émeutes de Longwy de 1979.

Le vendredi 13 avril, les syndicats organisent une grande marche des sidérurgistes sur Paris. Loin de s’appuyer sur la colère des sidérurgistes et d’en faire une marche contre les licenciements, contre le patronat et le gouvernement, les syndicats lui donnent un caractère régional avec, en tête de cortège, majorettes en costume régional et croix de Lorraine. Et pourtant, ce plan Acier est décidé quelques mois seulement après les licenciements massifs chez Talbot à Poissy et, le 13 avril, c’est Citroën qui annonce près de 6 000 suppressions d’emplois. Les confédérations n’ont pas appelé l’ensemble des travailleurs à venir à la manifestation, très encadrée par le service d’ordre syndical et qui traverse des quartiers déserts de Paris.

En donnant à la lutte des sidérurgistes un caractère régional, en l’orientant sur le terrain de la politique industrielle, les confédérations syndicales l’envoyaient sur une voie de garage. Le secrétaire général du PC, Georges Marchais, était venu à la manifestation du 13 avril et il avait même critiqué le plan Acier. En Lorraine, les dirigeants du PC expliquaient que les ministres et les députés communistes n’accepteraient jamais le plan Acier et rompraient avec le PS s’il était appliqué. Il n’en fut rien. Le PCF vota en mai au Parlement la confiance au gouvernement Mauroy et, si le Parti Communiste choisit de ne pas participer au gouvernement Fabius formé plus tard, en juillet, ce fut après un résultat catastrophique aux élections européennes de juin : en cinq ans, le PC passait de 20,5 % des voix à 11,28 %. C’est devant ce recul électoral qu’il renonça à participer au gouvernement, pas en riposte aux attaques contre les travailleurs.

La politique de la direction du PC a non seulement fait fuir les électeurs mais, surtout, elle a puissamment contribué à démoraliser les militants dont l’énergie et le dévouement ont été gaspillés en vain, alors qu’ils auraient pu et dû servir à préparer une nécessaire contre-offensive du monde du travail. Mais pour cela, il aurait fallu un parti réellement et exclusivement au service des intérêts du monde du travail, ce que le PCF n’était plus, et depuis longtemps.

Le 1er octobre 1975 s’effectue la mise à feu de l’usine Solmer de Fos-sur-Mer dont on prévoit qu’elle pourra produire jusqu’à 20 millions de tonnes par an. Trois ans plus tard cependant, en décembre 1978, le plan de sauvetage de la sidérurgie prévoit 21 750 licenciements frappant particulièrement les deux cités de Denain et de Longwy qui s’étaient constituées autour des mines et de la sidérurgie. Cette annonce et les réactions ouvrières qu’elle a suscitées méritent sans doute d’être inscrites dans la séquence des années de crise, marquées par une diminution conséquente des effectifs ouvriers, en particulier dans la sidérurgie, et par une disparition progressive de la référence ouvrière dans les discours publics, notamment au début des années 1990. Dans notre lecture de ces épisodes, le choix du point de vue ouvrier vise à restituer la vision de ces hommes à la fin des années 1970, et tente de repérer l’articulation entre répertoire d’actions et références identitaires. Notre propos débouche sur l’hypothèse que ces épisodes s’inscrivent et jouent un rôle majeur dans la reconfiguration du champ politique et syndical des années 1978-1984.

(…) La sidérurgie est en déclin. 1978 sur ce point ne constitue pas une rupture mais une accélération des remises en cause. En effet, depuis 1966 et la Convention État-sidérurgie, les plans assortis d’aides publiques se sont succédé – notamment en 1971 et 1977 – et ont entraîné des milliers de suppressions d’emplois [2]. Les causes de cette crise sont bien connues : déclin séculaire de la demande d’acier, relayé désormais par de nouveaux matériaux (aluminium, plastique, céramique par exemple) ; nouvelle géographie mondiale de l’acier avec l’apparition de nouveaux producteurs (Japon dans les années 1960, mais aussi Espagne, Corée, Brésil, etc.) ; effondrement de la demande enfin depuis 1974 et irruption de la crise économique. À ces causes générales valables pour les pays européens, Philippe Mioche ajoute deux éléments plus spécifiquement français : le poids de l’endettement et l’abondance du minerai lorrain à faible teneur [3]. C’est dans ce contexte qu’Étienne Davignon, commissaire européen à l’industrie, propose en novembre 1977 un plan qui combine mesures protectionnistes, relèvement des prix de l’acier et limitation de la production afin de résorber la crise sidérurgique [4]. Une telle situation suscite de vives inquiétudes dans les bassins sidérurgiques qui connaissent déjà une crise des houillères depuis le début des années 1960. La chambre de commerce de Valenciennes annonce ainsi en janvier 1979 que la région a perdu 18 000 emplois depuis 1962.
En dépit de cette crise cependant, les sidérurgistes sont convaincus de travailler dans une industrie qui a de l’avenir. Une telle conviction est d’ailleurs alimentée par une série d’analyses et de décisions des pouvoirs publics et des industriels. En 1966, dans le cadre de la convention État-sidérurgie, l’accélération de la construction des usines de Dunkerque et Gandrange est décidée. Les commissaires au Plan, lors du sixième (1971-1975) comme du septième Plan (1976-1980) anticipent une croissance soutenue de la production. De même, en 1978, les syndicats arguent des études du Hudson Institute et de la Chase Manhattan Bank prévoyant une forte croissance de la consommation d’acier en Europe pour réfuter la logique du Plan Davignon [5]. Au niveau local, cela se traduit également par la conviction de travailler dans des usines modernes. Ainsi, dans une lettre envoyée, en décembre 1978, au Premier ministre Raymond Barre, la section CFDT de Denain souligne que le site, troisième producteur d’acier, comprend deux hauts-fourneaux dont le plus récent, de 1973, est identique à celui de Dunkerque ; une centrale électrique utilisant le gaz de récupération des hauts-fourneaux mise en service en 1978 ; deux aciéries dont une, à oxygène pur, construite en 1971 et un train continu à chaud modernisé en 1968 [6]. De fait, les pratiques industrielles de rapiéçage ont rendu les installations moins archaïques qu’on a coutume de le dire. Elles ont nourri une fierté ouvrière dans le travail et expliquent le sentiment d’incompréhension face aux décisions de réduire la production qui aboutit à la dénonciation de la « casse » d’un outil de travail performant. Dès lors, les réactions ouvrières aux licenciements de 1978 ne peuvent en être que plus vives.

◦ Les réactions ouvrières aux licenciements : crise et identités en crise

En septembre 1978, le plan de sauvetage prévoit que l’État prenne le contrôle des sociétés Usinor-Chatillon-Neuves-Maisons et Sacilor-Sollac par la transformation des créances en participations au capital des deux sociétés, et des rumeurs de dizaines de milliers de suppressions d’emplois fourmillent. Les militants s’attendent au pire : le 9 décembre, des militants cédétistes allument un SOS sur le crassier de Longwy tandis que la CGT de Denain annonce le comité central d’entreprise par un tract titré ainsi : « Tous à Paris contre le massacre de l’usine ». De fait, les mesures sont drastiques : 21 750 suppressions d’emplois sont prévues entre avril 1979 et décembre 1980, parmi lesquelles 8 500 chez Sacilor-Sollac (mais sans fermeture d’installations) et 12 500 à Usinor dont 5 000 à Denain et 6 500 à Longwy, tandis que l’aciérie à oxygène, promise à Longwy, est finalement construite à Neuves-Maisons. L’ampleur des licenciements fait croire à une mise à mort de bassins industriels et suscite la colère d’une large fraction des populations.
Le plan provoque interrogations et oppositions parmi le personnel dirigeant des entreprises : le PDG de Vallourec démissionne, le choix de Neuves-Maisons suscite des critiques chez les cadres d’Usinor jus-qu’au directeur du site de Longwy qui est déplacé en mai 1979. Au RPR également, des élus lorrains, notamment Pierre Messmer, critiquent les sept milliards engloutis dans une liquidation dont 10 % seulement auraient suffi à une modernisation des installations [7]. Ce rejet se traduit par une intense mobilisation dans les semaines qui suivent, marquée par l’organisation d’imposantes manifestations à Longwy comme à Denain : 25 000 manifestants à Denain le 22 décembre, 20 000 à Longwy les 19 décembre et 24 janvier.
Cette volonté de s’opposer au plan de licenciements conduit à mettre en place un répertoire d’actions partiellement inédit comme le montre un extrait du tract de l’Union interprofessionnelle de Longwy :
« Tirant les enseignements des actions passées, nous avons voulu une autre lutte :
LE SOS : sensibiliser toute la population, la presse et la radio
LA RADIO : le syndicat à l’écoute des travailleurs, les travailleurs à l’écoute du syndicat
LE BARRAGE DES ROUTES : sortir la lutte de l’entreprise, faire participer la population
LES OCCUPATIONS, LES OPÉRATIONS COUPS DE POING : s’attaquer à l’organisation de l’État qui a décidé de nous détruire [8]. »
Il est manifeste que les militants entendent dépasser le clivage action légale/ action illégale au profit du critère de l’efficacité, de sorte que des formes d’action inédites voient le jour. C’est dans ce cadre que prospèrent les radios syndicales. La CFDT de Longwy crée ainsi SOS-Emploi avec du matériel fourni par Radio verte Fessenheim. Les enregistrements clandestins qui commencent le 16 décembre cèdent progressivement la place à une émission quotidienne de 45 minutes. La CGT de son côté crée le 17 mars 1979 Radio Lorraine Cœur d’Acier, avec un studio installé dans le hall de la mairie de Longwy. Animée par deux journalistes professionnels, la radio multiplie les émissions en direct, et jouit d’une popularité telle que certains ouvriers branchent des haut-parleurs dans leurs ateliers pour écouter LCA. Dans le Nord, la CGT crée également Radio-Quinquin : la diffusion y est cependant moins forte et le contrôle de l’Union départementale beaucoup plus étroit [9].
En outre, parmi les actions illégales, les militants recourent à une panoplie d’actions violentes, d’abord à l’initiative de la CFDT à Longwy, mais auxquelles se rallient rapidement les militants puis les responsables cégétistes. Cette décision conduit à l’organisation de plusieurs séquestrations, de mises à sac de locaux patronaux ou publics, de blocages des voies de communication avec déchargement du charbon « allemand », etc. [10] La tension culmine avec des épisodes de guérilla urbaine dans les deux villes : à Longwy, le commissariat est attaqué à trois reprises, dont une fois au bulldozer le 24 février. Denain de son côté est secouée par des affrontements entre forces de l’ordre et émeutiers les 7 et 8 mars, pendant lesquels sept CRS sont victimes de tirs à la carabine. C’est dire l’importance du contentieux qui gagne Paris lors de la marche des sidérurgistes le 23 mars 1979 : si des provocations policières et les exactions des autonomes sont attestées, il est clair que des sidérurgistes ont également participé aux affrontements. La violence en effet est une manière d’exhiber une identité malmenée : identité ouvrière tout d’abord qui a l’habitude de s’affronter avec le camp adverse, et qui puise dans une mémoire prégnante des grèves très dures de 1947 et 1948. Elle est résumée par le député denaisien Gustave Ansart dans cette définition : « Ce ne sont pas des hommes qui font de la dentelle ici, mais des sidérurgistes. » Identité virile ensuite dans un affrontement entre hommes dans la mesure où les femmes sont soigneusement exclues de toutes les opérations coups de poing [11].
Ce répertoire d’actions partiellement inédit dans la sidérurgie remporte un assez large succès. Il montre dans le même temps comment l’usine en tant que lieu de résistance ouvrière entre en crise. Cette fuite hors de l’usine correspond explicitement à une stratégie de la CFDT de Longwy, mais la volonté de la CGT d’articuler lutte d’usine et lutte régionale échoue. Ainsi, en avril 1979, les grèves qui touchent les sites sidérurgiques de Fos-sur-Mer et Dunkerque marquent le pas et la volonté de lancer une grève générale, notamment à partir d’Usinor-Longwy, connaît un échec cuisant et aboutit à la reprise du travail le 8 mai. Un pontier de Longwy l’explique d’ailleurs posément : « La grève, c’est pas le moment, car le patron, il ferme l’usine. Il y a un mois il n’y avait plus de brames à laminer et les délégués voulaient faire grève. Le patron, il ne demandait pas mieux [12]. » L’usine ne constitue pas (ou plus) un môle de résistance et les failles qui traversent le groupe ouvrier se révèlent à la suite de cet échec. C’est en effet en mai et juin que des centaines d’ouvriers, des jeunes, des immigrés mais aussi des militants syndicaux, acceptent la prime de départ de 50 000 francs et entérinent l’échec de la lutte [13].

NOTES

[1] Jean-Gustave Padioleau, Quand la France s’enferre. La politique sidérurgique de la France depuis 1945, Paris, PUF, 1981, p. 31-39.
[2] 15 000 en 1966, 10 500 lors du plan de conversion de Wendel – Sidelor en 1971, 16 000 en 1977 avec le plan acier qui prévoit notamment la fermeture d’Usinor-Thionville. Cf. Michel Freyssenet, La sidérurgie française, 1945-1979. Histoire d’une faillite, Paris, Savelli, 1979, 241 p.
[3] Philippe Mioche, « La sidérurgie française de 1973 à nos jours. Dégénérescence et transformation », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 42, avril-juin 1994, p. 17-28.
[4] Yves Meny et Vincent Wright, La crise de la sidérurgie européenne, 1974-1984, Paris, PUF, 1985, p. 190-207.
[5] Serge Bonnet (dir.), L’Homme du fer. Mineurs de fer et ouvriers sidérurgistes lorrains, t. 4, Metz, Éditions Serpenoise, 1985, p. 267.
[6] 18 décembre 1978. Archives de la Fédération générale de la métallurgie CFDT 1 B 623.
[7] Gérard Noiriel, Vivre et lutter à Longwy, Paris, Maspero, 1980, p. 59-61.
[8] 5 février 1979. Archives confédérales CFDT 8 H 507.
[9] David Charasse, Lorraine cœur d’acier, Paris, Maspero, 1981, 198 p.
[10] Pour un récit détaillé : Claude Durand, Chômage et violence à Longwy, Galilée, 1981, p. 19-44 ; Guy Cattiaux, DENAIN. Des hommes d’acier, une région à sauver. Chez l’auteur, 1980, 4e partie.
[11] C’est ce que montre le film de Robert Boarts, Longwy, Syndicat CFDT de Longwy, 1981, 58 minutes.
[12] Claude Durand, op. cit., p. 34.
[13] À Longwy, au 30 juin 1979, 1 063 travailleurs se seraient portés volontaires dont 105 Etam (employés, techniciens, agents de maîtrise) et 953 ouvriers. Ils seraient 990 à Denain (Serge Bonnet, op. cit., note 3, p. 263 et Gérard Noiriel, op. cit., p. 207 ; Guy Cattiaux, op. cit., p. 372).
[14] Christian de Montlibert, Crise économique et conflits sociaux dans la Lorraine sidérurgique, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 27-28.
[15] S.d., archives CFDT 8 H 507.
[16] Gilles Nezosi, La fin de l’homme du fer. Syndicalisme et crise de la sidérurgie, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 183-184.
[17] Odette Hardy-Hemery, De la croissance à la désindustrialisation. Un siècle dans le Valenciennois, Paris, Presses de Sciences Po, 1984, p. 90-95.
[18] Dans le film de Robert Boarts, film cité.
[19] Cité in Guy Cattiaux, op. cit., p. 353.
[20] Nous suivons de près Gérard Noiriel, op. cit., p. 135-143.
[21] Michel Verret, Chevilles ouvrières, Paris, Éditions de l’Atelier, 1995, p. 75-81, ici p. 77.
[22] Liaisons sociales, 17 août 1979.
[23] Gilles Nezosi, op. cit., p. 241 et sq.
[24] Tract SOS-emploi n° 13 (7 mars 1979), cité in Claude Durand, op. cit., p. 93.
[25] 3 avril 1979. Archives CFDT 8 H 507.
[26] Tract CFDT du 25/2/1979 : « Les sidérurgistes de Denain, Valenciennes et Longwy se sont rencontrés », Centre des archives du monde du travail Roubaix, Fonds Usinor Denain 1994 018.
[27] Brochure de la section syndicale « Dans les luttes, la construction de la section CFDT Usinor-Dunkerque », 50 p., citation p. 48. Archives FGM-CFDT 1 B 624.
[28] Sur 10 sections, 6 dont celle de Longwy ont voté contre la signature ; les trois sections qui ont voté pour ne sont pas concernées par le plan de 1979 mais subiront ceux des années ultérieures, Libération, 23 juillet 1979.
[29] Épisode parfaitement audible dans le film de Robert Boarts, Longwy, film cité.
[30] Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, La CGT. Organisation et audience depuis 1945, Paris, La Découverte, 1997, p. 28-29, 131-132 et 295-296 ; Gilles Nezosi, op. cit., p. 230-243 ; Philippe Zarifian, « Le problème de la centralité dans l’animation d’un conflit, l’exemple du conflit de la sidérurgie de 1979 », in Les Coordinations de travailleurs dans la confrontation sociale, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 45-62.
[31] Guy Cattiaux, op. cit., p. 287 et Claude Durand, op. cit., p. 140.
[32] Serge Bonnet, op. cit., p. 357-359.
[33] Yves Meny et Vincent Wright, op. cit., p. 89-90.
[*] Agrégé d’histoire, chargé de cours à l’université de Marne-la-Vallée, Xavier Vigna a soutenu en 2003 une thèse de doctorat sur « Actions ouvrières et politiques à l’usine en France dans les années 68 »

Extraits de « Les ouvriers de Denain et de Longwy face aux licenciements (1978-1979) »
De Xavier Vigna

Luttes ouvrières et tactiques syndicales

La ville de Denain, dans le Nord, a connu les 6 et 7 mars derniers, une situation quasi insurrectionnelle. Les combats à coups de boulons, de briques, de cocktails molotov, de bouteilles de gaz enflammées d’un côté, de grenades lacrymogènes de l’autre, ont duré plus de 24 heures sans discontinuer. Les sidérurgistes avaient pour eux le soutien de toute la population. Le lendemain, des cortèges ouvriers de toute la région de Valenciennes convergeaient vers Denain pour leur prêter main forte. Les affrontements continuaient toujours pendant que l’intersyndicale négociait avec le sous-préfet de Valenciennes le retrait des forces de police en lui expliquant : « Nous sommes en situation d’émeute. Nous ne tenons plus nos gars. Prenez vos responsabilités : si les forces de l’ordre ne décampent pas, nous ne répondons plus de rien » .

Ce qui s’est passé à Denain s’était passé dix jours auparavant à Longwy. Les affrontements avaient seulement duré un peu moins longtemps, avec un peu moins de monde.

A Longwy comme à Denain, les manifestants n’étaient pas isolés. Toute la population est solidaire de ses sidérurgistes.

Visiblement, en quelques semaines, les actions spectaculaires organisées par la CGT ou la CFDT ont eu du répondant, de plus en plus de répondant.
Le gouvernement recule

Il y a six mois, les membres du CNPF, comme les différents ministres ne ménageaient pas leur arrogance à l’égard de la classe ouvrière et en particulier à l’égard des travailleurs qui entraient en lutte. Le gouvernement faisait alors toute une démagogie anti-gréviste.

En février et mars 79, les mouvements se sont multipliés dans les services publics et privés, et les sidérurgistes ont occupé la rue et n’ont pas hésité à assiéger les commissariats. Le langage patronal et gouvernemental a changé de ton. Il est devenu prudent et plutôt conciliant. Après les premières opérations spectaculaires de la fin janvier (occupations de gares avec élus communistes en tête, séquestration des directeurs et du chef du personnel de l’usine de Chiers, occupation de la banque, du central téléphonique de Longwy, etc ... ), le gouvernement se garda de fustiger les initiatives des syndicats mais s’adressa à leur esprit de responsabilité et proposa la concertation. Le journal patronal Les Echos commentait alors avec réalisme : « Il faut offrir aux syndicats des résultats concrets et durables que l’ouverture sociale voulue par le Président de la République n’a pu donner jusqu’à présent » .

Mais les paroles d’apaisement ne suffirent pas à calmer le mécontentement des sidérurgistes. Tout au long du mois de février, des minorités de plus en plus importantes de travailleurs ralliaient les initiatives syndicales, qui visiblement bénéficiaient de la sympathie de tous. La mobilisation des travailleurs de la région montait et se vérifia au cours de la journée d’action du 16 février dans la région, très largement suivie. Au lendemain des affrontements de Longwy le 24 février, le gouvernement rééditait ses propos rassurants. Il proposait cette fois des « sociétés de reconversion » où un certain nombre de futurs licenciés seraient payés à plein salaire en attendant un nouvel emploi.

A chaque nouveau coup de colère, le gouvernement insistait auprès du patronat de la sidérurgie pour proposer de nouvelles formes de concertation... sans toutefois remettre en cause les licenciements prévus.

Le 6 mars, à la veille des affrontements de Denain, sur Antenne 2, le ton de Raymond Barre restait tout aussi modéré, presque « compréhensif » : « Qui n’a pas compris la fureur et le désespoir des sidérurgistes ? » , disait-il, en renouvelant les engagements pris par l’État depuis septembre dernier, « d’élaborer (...) une très large politique sociale pour régler les divers cas de ceux qui allaient être frappés par la restructuration industrielle » .

Le lendemain, les affrontements - éclatent à Denain, alors même que les syndicats négocient avec les PDG d’Usinor et de Sacilor. Claude Etchegaray, le PDG d’Usinor, pressé de faire des propositions concrètes se retire avec ses collaborateurs, donne de nombreux coups de téléphone qui laissent à penser, commente le correspondant du Monde qu’il a consulté les pouvoirs publics, et revient quelques heures après en annonçant « qu’aucune mesure antérieurement arrêtée ne sera rendue opératoire tant que la négociation sur les problèmes industriels et sociaux ne sera pas terminée » , ce que les syndicats et la presse traduisent aussitôt par : « Le PDG d’Usinor suspend les licenciements durant toute la durée des négociations » .

Même s’il s’agissait d’une garantie bien formelle, en pleine bagarre, cela constituait un recul moral spectaculaire de la part des patrons de la sidérurgie. Et le lendemain, le gouvernement renforçait cette impression, en proposant par l’intermédiaire de Robert Boulin de nouvelles propositions sociales : la retraite à cinquante-cinq ans pour les sidérurgistes du Nord, des Ardennes et de la Lorraine ; éventuellement à 50 ans pour les postes pénibles ; une prime d’incitation au départ pour les anciens qui s’ajouterait aux indemnités normales de licenciements. Ces mesures selon le ministre devraient régler 13 000 cas sur les 20 000 licenciements prévus ; 10 000 par le biais des retraites et pré-retraites, 3 000 par les départs volontaires. Le coût de l’opération revenant pour les pouvoirs publics à7 milliards de francs.
La population ouvrière est rapidement mobilisable

Le gouvernement a donc reculé. Il craint peut-être que ces flambées de colère deviennent contagieuses. Et il n’a sans doute pas tort. Depuis des semaines, dans les régions très touchées par les licenciements, la tension de toute la population ouvrière, au chômage ou pas, monte très rapidement. Elle est, en tout cas, très rapidement mobilisable. Et pas seulement dans le Nord et la Lorraine. Le 23 décembre dernier, ce furent les travailleurs de la vallée du Giers, dans la Loire, qui se mobilisèrent instantanément : une entreprise de fabrication de velours en faillite était occupée depuis un an et demi par ses ouvrières. Elle fut évacuée le 23 décembre par la police accompagnée de sept membres d’une officine de gardiennage flanqués de chiens. Les sirènes, les cloches, donnèrent immédiatement l’alerte. A mesure que la nouvelle se répondait dans la vallée, mais aussi à Saint-Étienne et Firminy, les débrayages étaient lancés, des manifestations se formaient. Un millier de travailleurs de Creusot-Loire arrivèrent. L’usine fut envahie aux cris de « il faut casser la gueule aux milices ». Les sept nervis durent se réfugier sur les toits et échappèrent de justesse à la pluie de tuiles, sauvés par la police qui vint les récupérer.

Quelques jours auparavant, le 19 décembre, une mobilisation semblable s’était produite cette fois à Saint Nazaire, parce que la direction des Chantiers voulait faire récupérer la journée de panne d’électricité. 2 000 à 3 000 métallos se retrouvèrent dans la rue en ayant contraint des directeurs des Chantiers Navals à « manifester » avec eux. L’intervention des CRS le soir même accentuait la colère. Le lendemain, plusieurs milliers de manifestants de toute. la région nazairienne venaient montrer leur indignation.

Cela se passait en décembre. Mais c’étaient là des symptômes montrant à quel point la population ouvrière dans certaines régions pouvait répondre extrêmement rapidement au premier mot d’ordre de mobilisation des syndicats. Les journées villes-mortes en décembre, janvier et février dans différentes régions rencontrèrent le même succès.

Quand les syndicats lancèrent les premières actions de commandos, le gouvernement choisit la prudence, la circonspection et la concertation. La proximité des élections cantonales a joué peut-être un rôle dans ce choix, l’unanimité de la population locale pouvant lui faire craindre un vote de désaveu important. Mais le gouvernement peut aussi être simplement prudent.

En tout cas, il est significatif qu’au lendemain même des événements de Denain, le ministre des Transports, Joël Le Theule, ait jugé bon de tenir une conférence de presse pour annoncer qu’il n’y aurait pas de licenciements en 1979 dans les Chantiers Navals, que « la construction navale n’a rien à voir avec la sidérurgie » (quoi qu’on en dise depuis des années !) et « qu’il n’y a pas eu de plan de restructuration comportant la fermeture de tel ou tel chantier et le regroupement des autres » . Comme quoi certaines violences ouvrières peuvent-elles inspirer des prudences salutaires... aux pouvoirs publics.
Quel rôle les centrales syndicales ont-elles joué dans la mobilisation des sidérurgistes lorrains ?

Dans les bassins de Lorraine et du Nord, la mobilisation syndicale a commencé par des journées d’actions (la première eut lieu à Longwy le 19 décembre, dix jours après l’annonce des 20 000 licenciements), le 12 janvier (journée de grève générale) , et le 16 février qui furent autant de succès.

Parallèlement les deux centrales, CGT et CFDT, menèrent presque en concurrence des actions spectaculaires à partir de la fin janvier.

Ces journées villes-mortes, ces journées d’actions, de grève générale, ces actions-commandos auraient pu rester minoritaires. Or il s’est trouvé que les travailleurs ont répondu au-delà de toute attente à ces différents types d’actions. Et y compris ce qui n’était que des actions de commandos spectaculaires de quelques militants syndicalistes imaginatifs est devenu le mode d’action prisé par des minorités de plus en plus larges de travailleurs, pour déboucher sur des démonstrations presque insurrectionnelles de tous les ouvriers à la première violence policière.

Que les deux grandes centrales syndicales françaises, la CGT et la CFDT, aient été à l’initiative d’actions de grande ampleur et d’opérations radicales en Lorraine et dans le Nord n’a rien en soi de très étonnant. De tout temps, sur des luttes défensives, les états-majors syndicaux ont été capables de mener des luttes très dures.

Et, en Lorraine comme dans le Nord, les Unions Locales ont pris l’initiative d’actions à caractère illégal (occupations de locaux officiels, mises à sac de sièges patronaux, blocages de routes, occupations de relais de télévision, de centraux téléphoniques, etc.).
La CGT et la cfdt rivalisent dans des opérations-commandos spectaculaires

La CGT aurait été seule dans l’affaire, qu’elle aurait sans doute été plus prudente. Les pouvoirs publics sont plus enclins à stigmatiser les initiatives de la CGT, liée au Parti Communiste, et à en dénoncer les motivations politiques, même si c’est par pure démagogie, comme vient de le faire d’ailleurs Raymond Barre dans une interview au Nouvel Economiste : « Que ceux qui aujourd’hui semblent retrouver des méthodes d’action déjà utilisées par eux il y a un peu plus de trente ans prennent garde... », menace-t-il. Alors qu’il y a un mois, le même Premier ministre avait l’air de s’inquiéter de ce que les syndicats pouvaient être débordés, il accuse aujourd’hui la CGT de fomenter les grèves et le désordre social comme la bourgeoisie l’en accusait en pleine guerre froide, lors des grandes grèves de mineurs de 1948. Il faut reconnaître que les propos de Raymond Barre gênent sans doute bien moins la CGT après la démonstration populaire massive de Denain que s’il les avait tenus bien avant.

Mais, fin janvier et début février, la CGT se lança d’autant plus volontiers dans les actions spectaculaires (et pas tout à fait n’importe lesquelles) que la CFDT de son côté, était d’accord pour faire la même chose. Et, sur ce terrain d’ailleurs, la CFDT avait les coudées plus franches et ses militants choisirent les modes d’intervention les plus radicaux. Quand des militants CFDT occupent un relais de télévision de province, ils ne prennent qu’une initiative un peu folklorique. Des militants CGT, auraient fait la même chose, qu’on aurait pu tout aussi bien crier au sabotage, voire aux visées insurrectionnelles... En outre, la CFDT étant moins influente dans les couches populaires qui pourraient être tentées par ce type d’actions radicales, elle a dans une certaine mesure les coudées plus franches. La CGT pour sa part est forcément plus prudente car elle a plus de responsabilités et plus de répondant parmi les travailleurs enclins à ce type d’actions.

Ceci dit, les nuances n’étaient que de style, et on peut dire que les deux centrales rivalisèrent alors sur le même terrain... Et c’est un fait que si les affrontements de Longwy du 24 février survinrent après une initiative et une mobilisation des militants CFDT, ceux de Denain, eux, vinrent après une initiative de la CGT, et un appel à la riposte de sa part, après l’attaque par les CRS du car de manifestants.
Cgt, cfdt : deux tactiques distinctes

Mais au lendemain de Denain, on pouvait observer des nuances dans les réactions des deux centrales. Alors qu’il y a quelques semaines, en Lorraine et dans le Nord, les initiatives des militants CFDT pouvaient prendre, dans leur forme, un caractère presque plus radical que celles de la CGT, aujourd’hui la CGT assume en quelque sorte la responsabilité entière de la flambée de colère populaire de Denain.

On remarqua d’abord ces nuances au coeur des événements, lorsque la CGT quitta seule, symboliquement, la table des négociations. Mais aussi par la suite : la CGT, pour sa part, revendiqua pleinement la riposte ouvrière, sans parler « d’ irresponsables », ni même d’ « éléments incontrôlés ». Il en fut de même du Parti Communiste qui publia dans l’Humanité Dimanche un éditorial à la gloire de la riposte des sidérurgistes qui se concluait ainsi : « Non-violents le pouvoir, les patrons, les syndicalistes à la Bergeron, les politiciens à la Mauroy qui appellent à « éteindre les hauts fourneaux de la colère » ? Violents ceux qui luttent pour l’emploi, l’avenir, l’indépendance nationale ? Vive la violence messieurs ! » .

Mais la direction de la CFDT, elle, jugea bon dès le jeudi de faire un communiqué déclarant que « la violence est un piège dans lequel il ne faut pas tomber » . Le leader de la CFDT, Edmond Maire, renouvelait cette mise en garde le lendemain sur Europe 1, interviewé par Ivan Levaï en qualifiant de « dangereux » le langage de l’éditorialiste de l’Humanité Dimanche. Car la CFDT, quant à elle, valorise les concessions patronales, déclare aux journalistes que « les flambées de violence ne font pas partie de la stratégie syndicale » , tout en déclarant, comme le fait Jacques Chérèque, le responsable CFDT de la métallurgie à la table des négociations, qu’il ne faut pas compter sur lui « pour retenir ses troupes » si on ne lui cède pas assez.

En fait, il ne s’agit pas là de simples nuances de style entre les deux centrales, leurs tactiques sont en réalité distinctes. La CFDT tient à faire reculer le gouvernement et le patronat dans les négociations, et en particulier dans celles qui ont lieu sur la sidérurgie, elle tient à ce que le rapport des forces sociales lui permette d’obtenir du gouvernement le maximum de retraits et de concessions, afin d’apparaître comme une centrale aussi efficace que réaliste.

La CGT, elle, veut la même chose. Elle veut aussi, bien sûr, obtenir des concessions dans les négociations et en tirer argument. Mais son objectif ne se limite pas à ce simple terrain syndical. Car la CGT est aussi ouvertement liée au Parti Communiste, et à ce titre elle veut non seulement faire céder le patronat, mais aussi faire reculer le gouvernement, et présenter ces concessions comme une victoire. La CFDT, elle, tient à jouer son rôle de syndicat apolitique (malgré ou à cause de ses liens implicites avec le PS), et tient à battre en brèche l’influence de la CGT, au nom de cet apolitisme.

Le contenu de l’agitation de la CGT, les formes de ses actions et de ses initiatives, prennent la coloration politique de la propagande et des campagnes du Parti Communiste. Et les circonstances électorales ne sont sans doute pas étrangères au fait que la CGT et le Parti Communiste aient en quelque sorte pris en charge politiquement la réaction des ouvriers de Denain, alors qu’en d’autres circonstances ils n’auraient pas hésité à se démarquer des excès et des débordements « d’éléments incontrôlés ». Et c’est bien d’ailleurs ce que reproche aujourd’hui à la CGT la CFDT (comme Barre d’ailleurs), qui dénonce dans la marche sur Paris prévue par la CGT le 23 mars (entre les deux tours des cantonales) son « caractère fourre-tout et de récupération politique politicienne » , et qui pour sa part préférait l’organisation d’une marche des seuls sidérurgistes dont l’objectif devait être uniquement de faire pression sur le patronat dans le cadre des négociations actuelles.

Et, en ce qui concerne les événements de Denain, dès lors que le gouvernement et le patronat avaient marqué un recul et avancé des concessions, la direction de la CFDT et Edmond Maire tenaient à marquer que la « violence » ne se justifiait plus et pouvait être dangereuse.

Dans la foulée de Denain, la CGT tint au contraire à maintenir l’atmosphère de mobilisation anti-gouvernementale des sidérurgistes, avec comme objectif cette marche sur Paris dont elle espère faire une puissante démonstration politique. Tout cela n’empêche pas que sur le terrain, ce sont les militants CGT qui ont contribué à ramener le calme à Denain négocié le retrait simultané des forces de l’ordre et des manifestants, et fait rentrer les sidérurgistes à l’usine. Mais, en la circonstance, la CGT, contrairement à la CFDT, a tenu à donner au recul patronal et du gouvernement toute sa dimension politique, et à faire de l’avantage sur le terrain des travailleurs, une victoire politique.
Après longwy, après denain, quelles sont les intentions de la CGT et de la cfdt ?

A Denain comme à Longwy, les travailleurs se sont battus. Et cette fois, ce n’est pas une façon de parler.

Ils ont montré la bonne manière de faire reculer le gouvernement et le patronat. D’autres villes, d’autres régions, pourraient bien y prendre exemple. Et, pourquoi pas, l’ensemble des travailleurs de ce pays.

Il suffirait que d’autres villes soient prises de la même saine colère pour que l’aspect défensif des actions contre les licenciements se transforme en une lutte offensive de la population ouvrière du pays, et pas seulement des travailleurs directement menacés dans leur emploi.

Il n’est pas impossible que cette conscience, cette montée de la mobilisation des travailleurs puissent s’accroître spontanément sans qu’il soit forcément besoin cette fois des initiatives syndicales. Car, de fait, les affrontements de Denain ont pris un tour politique qui pourrait avoir des répercussions au sein de larges couches de la population laborieuse. Dans une telle éventualité, le problème des grands appareils syndicaux serait de parvenir à contrôler la montée de la colère ouvrière, sans risquer d’être désavoués.

Pour l’instant, tout ce qu’on peut constater, c’est que les travailleurs de Lorraine et du Nord ont répondu au-delà des espérances aux initiatives syndicales. Et la mobilisation ouvrière que l’on peut constater aujourd’hui dans ces régions crée par elle-même une situation nouvelle, peut-être par rapport au reste de la classe ouvrière, mais de toutes façons par rapport aux syndicats eux-mêmes.
Une situation nouvelle

Au journaliste d’Europe 1 qui lui demandait si les syndicats dans le Nord et en Lorraine étaient en passe d’être débordés, le leader de la CFDT, Edmond Maire, déclara que les dirigeants syndicaux doivent désormais tenir compte d’un « fait majeur : nous assistons aujourd’hui à un réveil ouvrier ». En effet. Au travers des initiatives qu’elles ont prises depuis plusieurs semaines dans le Nord et la Lorraine, la CGT comme la CFDT ont pu vérifier une combativité certaine. Plus, les deux centrales se sont rendu compte que leurs actions, quelles qu’en soient les formes, y trouvaient un répondant étonnant dans la classe ouvrière. Et non seulement dans la classe ouvrière, mais dans l’ensemble de la population de ces deux régions. Alors les directions syndicales ont peut-être aussi le sentiment que ce pourrait bien être le cas dons toute la classe ouvrière et dans certaines couches de la population du reste de la France.

Et cette vérification en Lorraine et dans le Nord leur permet peut-être de déduire qu’ils sont à même de mener des actions plus dures ailleurs, et pas seulement dans des secteurs en butte aux licenciements. Et c’est peut-être de nouvelles possibilités tactiques que les appareils syndicaux, au moins les deux plus importants d’entre eux, envisagent d’explorer, afin d’établir un rapport de forces qui leur permettrait de revaloriser leur statut de négociateurs auprès du patronat et de la bourgeoisie, statut qui s’est considérablement dévalué depuis un an.
La tactique des centrales syndicales depuis les dernières élections législatives

Au lendemain de la défaite de la gauche aux législatives de mars 1978, les syndicats, mobilisés depuis des mois sur l’éventualité d’une victoire électorale, se trouvèrent plutôt désarçonnés. Ils commencèrent par se précipiter dans les « ouvertures sociales » proposé es par Giscard d’Estaing, et on les vit défiler à Matignon. Mais l’ouverture n’avait été que verbale. Et ils revinrent bredouilles.

Le patronat n’avait pas les raisons politiques de Giscard pour tendre la main aux syndicats, et, fort de la victoire électorale de la droite, il montra toute son arrogance. Bien contraintes de justifier leur existence, les centrales syndicales, tout au moins les deux plus importantes, la CGT et la CFDT n’eurent guère le choix. Si le patronat rendait impossible la concertation, il ne restait qu’à se résoudre à employer à son égard le moyen de pression le plus naturel, celui de la lutte. Trois mois après les élections, la CGT suivie de la CFDT tentèrent de généraliser certains conflits locaux. Ce fut entre autres le cas aux usines Renault de Flins et de Cléon, et dans les arsenaux. Seulement, en dehors de secteurs très circonscrits, il n’y eut guère de répondant parmi l’ensemble des travailleurs. Il faut dire que l’offensive syndicale fut alors menée avec des objectifs limités et diversifiés, sans le main effort pour lier les luttes en cours, sans dégager aucune revendication unifiante ou générale. Toujours est-il que les mouvements déclenchés ici et là retombèrent, sans qu’ils aient eu de conséquence dans le reste de la classe ouvrière.
Luttes émiettées et grèves à la carte

A la rentrée de septembre, malgré l’annonce des mesures de Barre, les deux centrales attendirent un bon mois avant de prendre l’initiative de mouvements dans la Fonction publique. Pendant les mois d’octobre et de novembre la CGT et la CFDT déclenchèrent une série de grèves sectorielles et tournantes, par branche, par profession, par région, en émiettant jusqu’à la caricature les moindres débrayages : les éboueurs parisiens durent faire grève quartier après quartier, les postiers, secteur par secteur, puis région par région ! Les cheminots, eux, connurent même « Ia grève à la carte ».

Certes, avec de telles formes de luttes émiettées à l’extrême, les centrales ne prenaient pas le risque de se voir débordées. Il fallait pour le moins des états-majors syndicaux ultra-spécialisés pour programmer avec autant de virtuosité (et de manque de bon sens) la rotation des mouvements. Mais cette manière de tâter le terrain et tester le niveau de combativité des travailleurs, bien loin de les regonfler et de susciter une véritable mobilisation, contribuait plutôt à les démoraliser et les désorienter. Et le test fut négatif. Les grèves furent peu ou mal suivies. Ces mouvements tournants et partiels devaient « culminer » selon la consigne de la CGT (sans l’accord de la CFDT) en une journée nationale du 15 novembre, qui passa inaperçue.
De mornes journées d’action

En vérité, pour susciter un début de mobilisation ouvrière, après la démoralisation relative qui suivit les élections, il aurait fallu insuffler du courage aux travailleurs, amener leur conscience au niveau des luttes en leur fixant des objectifs simples et clairs, même s’ils n’étaient pas immédiats. Mais cela aurait risqué de contribuer à ce que cette mobilisation se fasse sur la base d’une grande autonomie. Or des appareils comme ceux de la CGT ou de la CFDT ne peuvent pas envisager, sous peine de contester leur propre existence, de proposer des perspectives de lutte aux travailleurs qui les rendent indépendants des états-majors.

En décembre, la CGT proposa deux journées nationales, l’une le 15 décembre contre le chômage, l’autre le 21 décembre contre les projets du gouvernement contre la Sécurité sociale. La CFDT refusa de s’y associer en revendiquant l’apolitisme et la recherche de solutions strictement revendicatives et dénonça la répétition de « grandes » journées sans lendemain qui visent surtout à accumuler le mécontentement pour des élections futures sans apporter de solutions réelles aux problèmes précis rencontrés ». Les deux journées furent très peu suivies (sauf peut-être dans le Nord et l’Est).
Le succès des opérations villes-mortes

Le 8 décembre, les patrons de la sidérurgie annoncèrent la suppression de 20 000 emplois dans la région de Valenciennes et de Longwy. La première opération ville-morte, à Longwy, remporta par contre un succès. La grève générale du 12 janvier 1979 en Lorraine connut aussi un large succès, ainsi que la manifestation centrale à Metz à l’appel de tous les syndicats. A la fin janvier, la CFDT et la CGT commencent à organiser dans les mêmes régions des actions radicales. Une journée nationale de la sidérurgie est prévue pour le 16 février. Mais Marchais et Krasucki de la CGT continuent à parler d’organiser la lutte « usine par usine », « ville par ville », « région par région », « branche par branche ». La tactique d’émiettement de l’automne n’est donc pas remise en cause. Mais contrairement à ce qui s’était passé en automne, les réactions des travailleurs aux initiatives syndicales s’accentuent. Il y a plus de répondant. Et dans ce contexte, il semble que certaines initiatives et déclarations syndicales laissent peut-être envisager une certaine évolution de la tactique actuelle des deux centrales.
Quelques nouvelles initiatives dans les services publics et privés

En constatant à la fin février et au début mars que le climat social, du moins dans le Nord et la Lorraine, est à la lutte, la CGT et la CFDT ont peut-être pensé que d’autres mouvements pouvaient être déclenchés avec, eux aussi, un certain répondant par ailleurs, et qu’on pouvait se donner les moyens de le vérifier.

A partir de là, les centrales ont semblé pousser à chaque fois qu’un mouvement éclatait, quitte à prendre la tête d’une grève illimitée ne concernant qu’une minorité de grévistes. Ce fut le cas apparemment, dans les assurances (et même dans les banques sans grand succès) à la fin février, et dans les centres de tri postaux de la région parisienne au début mars. Dans les centres de tri, l’occasion fut un incident dans un centre à Trappes à partir duquel la CGT et la CFDT déclenchèrent des mouvements illimités dans d’autres centres de la banlieue parisienne, et ensuite, devant le succès relatif, à Paris même. La participation devait être diverse suivant les endroits.

Dans les assurances, de fortes minorités de grévistes sous les directions syndicales ont occupé certains sièges. Malgré les évacuations par la police les 5 et 6 mars, la grève a continué dans plusieurs endroits, avec le soutien des syndicats et en particulier de la CGT.

A la SNCF, fait sans précédent depuis 1953 lors de la grève générale des fonctionnaires, tous les syndicats sans exception ont appelé à une journée de grève de tous les cheminots le 7 mars. La consigne a été massivement suivie (au point que la SNCF est incapable de donner des statistiques faute de personnel pour les faire !).

Comme le constate Georges Séguy dans une interview à l’Humanité du 6 mars (la veille des affrontements de Denain) : « Nous assistons actuellement à une extension des luttes revendicatives qui atteint à peu près toutes les professions : sidérurgie, SNCF, PTT, SFP, banques, assurances, Livre, etc... l’effervescence se généralise » . Il s’agit bien en effet d’une certaine effervescence, même si le mot de généralisation est un peu fort. Et cette effervescence est visiblement le résultat des initiatives parallèles (et parfois communes, comme aux PTT) de la CGT et de la CFDT, entraînant éventuellement derrière elles les autres syndicats.

Et ces différents mouvements, contrairement aux actions suscitées en automne, ne sont ni émiettés, ni tournants, (bien que, les habitudes étant tenaces, l’intersyndicale des PTT ait néanmoins prévu parallèlement au développement des grèves dans les tris, un mouvement par qualifications s’échelonnant du 19 au 31 mars) et semblent plutôt converger.
De fortes minorités suivent les consignes syndicales

Bien sûr, les deux centrales n’ont pas engagé, avec ces mouvements, une épreuve de force dure dans les services publics et les assurances. Jusque là elles semblent simplement essayer leurs capacités de mobilisation. Et elles s’y essaient ni trop, ni trop peu. Elles testent apparemment la combativité des travailleurs. Leur problème étant sans doute de trouver des mots d’ordre qui correspondent à cette combativité bien sûr, mais aussi à leurs propres perspectives d’appareils et à leurs propres règles du jeu.

L’enjeu est peut-être de vérifier le niveau de combativité qu’il est possible de susciter chez les travailleurs en dehors des régions touchées par le chômage comme dans le Nord et la Lorraine. Et il semble, si l’on en juge sur les seules luttes de caractère non limité menées dans les PTT et les assurances, qu’il y ait d’assez fortes minorités prêtes à suivre les consignes syndicales. Mais pour l’instant il n’y a pas de répondant comparable à ce qui se passe en Lorraine ou dons le Nord. Ce qui permet d’ailleurs aux appareils syndicaux de contrôler parfaitement les mouvements dont ils ont pris l’initiative, en n’hésitant pas à se mettre à la tête de mouvements minoritaires, mais pas véritablement isolés. Et pour une centrale à l’influence majoritaire dans la classe ouvrière comme la CGT, il s’agit là d’une tactique susceptible en effet de rôder la combativité d’un nombre croissant de travailleurs qui trouvent ainsi dans les syndicats réformistes leur direction naturelle.
Vers des actions de plus grande envergure ?

Indépendamment des dernières actions engagées par les grandes confédérations, et mise à part l’initiative commune à tous les syndicats à la SNCF du 7 mars, quelques autres facteurs peuvent faire penser que les centrales syndicales sont peut-être susceptibles d’envisager des mouvements revendicatifs d’une certaine envergure autres que les actions engagées dans le Nord et en Lorraine.

Le premier indice est une réunion du bureau national de la CFDT qui a annoncé à la presse le 24 février dernier son intention de lancer « une action de caractère national), en faveur de la semaine de 35 heures avec si possible l’accord de la CGT et de la FEN (Fédération de l’Éducation Nationale). Elle envisagerait cette semaine nationale d’action avant la fin mars. Cette déclaration prenait en tout cas le contre-pied des prises de position de la CFDT des six derniers mois, où elle s’affirmait à plusieurs reprises opposée à toute action « nationale », s’étant désolidarisée des initiatives de journées d’actions proposées par la CGT en novembre et décembre 1978.

Au lendemain des événements de Denain, Edmond Maire rééditait cette intention : tout en regrettant « un trou énorme dans les propositions de Boulin aux sidérurgistes : la 5e équipe » , qui reviendrait à une diminution du temps de travail, Edmond Maire rappelait que la CFDT « tenait compte de la crise » et à cet effet « sélectionnait une revendication » , « la réduction du temps de travail » et proposait sur ce thème une grande action nationale.
Se mettront-ils d’accord sur les 35 heures ?

A ce premier indice de changement dans la tactique syndicale de la CFDT, s’ajoute le fait que la CGT et la CFDT (comme Marchais et Mitterrand d’ailleurs) convergent vers la revendication de la diminution du temps de travail. « La revendication de la semaine de 35 heures sans diminution de salaire a pris une importance nationale mobilisatrice et unificatrice de l’action revendicative » dit Georges Séguy dans son interview à l’Humanité. Le secrétaire général de la CGT parle donc de revendication « unificatrice, mobilisatrice ». Si la CGT donne suite à ces paroles, cela signifierait qu’on verrait les militants de la CGT avoir désormais pour consigne d’avancer la revendication des 35 heures dans les actions petites et grandes, les tracts, et les pétitions, etc. Et si c’était le cas, il s’agirait effectivement d’un objectif, limité certes, mais d’ensemble et unificateur proposé à la classe ouvrière. Mais ce n’est pas parce que le leader de la CGT en a parlé qu’il vu mettre cela à exécution.

D’ailleurs, jusqu’à présent, les représentants de la CFDT ou de la CGT ont plus souvent parlé d’actions « vers » les 35 heures, d’une diminution « progressive » du temps de travail « devant atteindre » les 35 heures sans diminution de salaire, que des 35 heures elles-mêmes.

Le nouveau slogan de la CFDT par exemple, à la fois plus imagé, mais aussi plus vague, est : « travailler moins, pour travailler tous et vivre mieux » . Et le bureau national de la CFDT, le 24 février dernier, voulait au préalable vérifier si ce slogan faisait mouche en dehors des secteurs touchés de plein fouet par le chômage. « Si la réponse de la base est positive » , la CFDT lancerait sa campagne avant la fin mars, et la mènerait « au moins jusqu’aux vacances » .

Alors, pour le moment, tout cela ne signifie pas forcément une nouvelle orientation. Toute cette compagne peut se réduire à de la propagande platonique sans que les deux centrales en fassent des objectifs concrets aux différents mouvements qu’ils engageront. Car il ne suffit pas que la CGT, comme la CFDT d’ailleurs, parle aujourd’hui de mot d’ordre. « unificateur », pour que cela veuille forcément dire qu’elles veulent effectivement unifier les luttes.

Et à l’heure actuelle, les confédérations en sont seulement à essayer de voir sur quoi elles peuvent se mettre d’accord.

Une lutte sur les 35 heures serait sans doute dure et peut-être longue, et supposerait une mobilisation d’envergure de la classe ouvrière.

Dans la sidérurgie, c’est visiblement un des gros points d’achoppement des négociations. Tout simplement parce que les 35 heures, sous la forme de la mise en place d’une 5e équipe, signifierait non seulement la baisse du temps de travail, mais la création simultanée de milliers d’emplois que les patrons sidérurgistes veulent aujourd’hui supprimer. Et la satisfaction de cette revendication constituerait effectivement une solution pour les travailleurs sidérurgistes.
Ailleurs, les 35 heures pourraient prendre bien des formes inattendues

Ailleurs, la signification des 35 heures serait différente, et pourrait se traduire de façons fort diverses d’un endroit à l’autre, en fonction de la mobilisation des travailleurs concernés et de leur combativité. En lieu et place des 35 heures proprement dites, le gouvernement pourrait par exemple céder une diminution progressive du temps de travail (une ou deux heures tous les 6 mois par exemple), et les patrons maintenir de fait des horaires autour des 40 heures en payant en heures supplémentaires celles qui dépasseraient les 38, 36 ou 35 heures. L’opération dans ce cas pourrait même se réduire à une simple augmentation globale des salaires que la bourgeoisie serait tout à fait à même de supporter en période d’inflation. L’obtention de la semaine de 35 heures pourrait être obtenue sous forme d’une mesure légale. Mais son respect effectif dépendrait de la mobilisation ultérieure des travailleurs pour empêcher que la loi sur la diminution du temps de travail ne soit tournée de multiples façons comme la loi des 40 heures l’a été depuis 1936.
Que veulent vraiment les syndicats ?

Alors, les confédérations syndicales sont-elles prêtes à s’entendre pour engager une offensive permettant d’arracher au patronat et au gouvernement les 35 heures ?

Aussi bien la CGT que la CFDT, pour l’instant, essaient surtout de convaincre le gouvernement qu’elles pourraient bien’ déclencher des luttes de larges secteurs ouvriers sur les 35 heures. Qu’elles en sont capables, et, s’il le faut, qu’elles pourraient aller jusqu’à la grève générale pour l’obtenir.

Depuis la défaite électorale de la gauche, le gouvernement regarde de haut les syndicats, leur dit : si vous voulez quelque chose, chiche, battez-vous et on verra. Eh bien oui, laissent entendre les confédérations. Vous allez voir... Et voilà notre programme de mobilisation pour les 35 heures. Nous pouvons le sortir facilement des tiroirs, voire en faire un objectif unitaire des luttes.

Pour le moment, voilà au maximum où en sont les confédérations : à faire un certain chantage auprès du gouvernement, pour lui montrer jusqu’où elles sont capables d’aller. Mais après tout, c’est de bonne guerre. Jusqu’au moment où la question se pose de savoir si elles seront capables de passer des menaces aux actes...
Les centrales syndicales pourraient-elles s’orienter vers des luttes d’ensemble, et même une grève générale

Le propre des syndicats réformistes n’est pas d’être incapables d’engager une quelconque épreuve de force contre le gouvernement et le patronat. Ils peuvent être amenés à mobiliser, y compris sur des objectifs « unificateurs » de larges secteurs de la classe ouvrière. En fait, leur raison d’être en tant qu’appareils réformistes est précisément d’engager des épreuves de force, mais mesurées et calculées selon leurs intérêts d’appareils, et non selon les intérêts fondamentaux des masses qu’ils sont capables de mobiliser. Depuis un an, ni le gouvernement, ni le patronat, n’ont donné de concession aux syndicats susceptible de justifier honorablement leur existence auprès des travailleurs du rang. Comme le dit Georges Séguy dans l’interview déjà citée, « l’intransigeance (du président de la République et de son Premier ministre) calquée sur celle du patronat n’autorise aucune illusion, nous sommes en présence d’un blocage général qui prive les syndicats de l’une de leurs prérogatives fondamentales : celle de négocier des problèmes sociaux. L’expérience prouve que ces sortes de situations accumulent toujours des éléments explosifs. ( ... ) Subir ou lutter c’est la seule alternative que laissent aujourd’hui patronat et gouvernement aux travailleurs. » Et c’est pourquoi, ajoute-t-il, le rôle de la CGT est-il d’être « à l’initiative des luttes à tous les niveaux » .

Et la détermination des syndicats dans les semaines et les mois qui suivent risque de dépendre à la fois de l’intransigeance de la bourgeoisie à leur égard, et de leurs capacités de mobilisation de la classe ouvrière.

Alors, les centrales syndicales actuelles pourraient-elles aller jusqu’à déclencher une grève générale, c’est-à-dire une riposte d’ensemble qui dans la période de crise économique actuelle soit la seule en mesure de mettre véritablement l’ensemble de la classe ouvrière en position de force face au patronat ?

En fait, pour être en mesure de répondre à cette question, il ne suffit pas de préjuger de la politique des syndicats face à la grève générale, mais aussi et surtout examiner quelle pourrait être leur attitude face aux revendications et aux possibilités de la grève elle-même.

Dans le passé les confédérations se sont déjà trouvées à la tête de grèves générales sans que celles-ci débouchent sur une situation révolutionnaire, bien au contraire. En 1968, c’est d’ailleurs même la CGT qui a permis à la grève de s’étendre et de devenir à proprement parler générale, et du même coup d’ailleurs d’en contrôler totalement le déroulement, les objectifs, et les modalités de la reprise.
À condition de savoir où ça finira

Et les bureaucraties syndicales aujourd’hui peuvent très bien déclencher une épreuve de force à l’échelle nationale, à condition d’être assurées à l’avance de pouvoir en contrôler le déroulement et l’issue. Concrètement, cela signifie qu’elles peuvent très bien lancer la classe ouvrière y compris dans une grève générale mais sur un objectif limité qui permette de faire rentrer dans le rang le mouvement au moment choisi par les appareils sur la revendication qu’ils ont choisie. Mais si les mêmes appareils lançaient les travailleurs sur des revendications mettant en cause les privilèges fondamentaux de la bourgeoisie, cela impliquerait que la lutte engagée ait sa propre dynamique pour être victorieuse ; cela signifierait prendre le risque de laisser une autonomie à la classe ouvrière dans la direction de sa propre lutte, en lui permettant, de fait, de mesurer ses objectifs au fur et à mesure du déroulement de la lutte. Et de cela, effectivement, les bureaucraties réformistes sont incapables. Car elles ne peuvent mobiliser largement la classe ouvrière qu’à la condition de savoir à l’avance quand cela commencera et quand cela finira, de monopoliser du début jusqu’à la fin la direction des opérations, et d’être maîtresses de l’issue de l’épreuve de force et des avantages qu’elles en retireront pour elles-mêmes et qui feront l’objet de leurs véritables négociations auprès du patronat et des représentants de l’État.

C’est bien pourquoi le syndicat le plus puissant, celui qui a la véritable influence sur la classe ouvrière de ce pays, la CGT, ne peut pas se permettre de déclencher une grève générale illimitée, sur des objectifs qui concernent les intérêts fondamentaux de la classe ouvrière. Car ce type de grève, au moins potentiellement, n’est pas acceptable par l’appareil d’État de la bourgeoisie qui serait forcé de réagir si elle se prolongeait. Par contre il n’est pas forcément aberrant que la même CGT soit amenée à déclencher une grève générale limitée dans ses objectifs, et donc dans le temps.

Mais ne serait-ce que cela poserait de difficiles problèmes tactiques à un syndicat comme la CGT. Du moins si elle était seule à vouloir s’engager dans cette voie.
À condition que les travailleurs n’arbitrent pas les divergences syndicales

Car si la CGT, toute influente qu’elle soit parmi les travailleurs, n’a pas l’accord de la CFDT, de FO et des autres confédérations pour une telle épreuve de force, même sur un objectif secondaire et bien déterminé à l’avance, elle devrait, pour parvenir à ses fins, mener une lutte d’influence contre les autres syndicats. mais cela revient à foire en sorte que les travailleurs soient les arbitres entre les positions respectives des confédérations. Mais permettre aux travailleurs de choisir entre les différentes positions politiques et revendicatives des organisations ouvrières, c’est leur permettre de se déterminer par eux-mêmes, de choisir leurs objectifs et donc, pour une large part, d’en être maîtres. Or c’est justement la plus grande hantise des appareils bureaucratiques au sein du mouvement ouvrier, qui peuvent aller parfois très loin dans la mobilisation des masses, mais s’arrêtent toujours devant la menace de l’autonomie des luttes ouvrières. Et c’est bien pourquoi un tel choix apparaît comme hautement improbable de la part de la CGT.

Et si les confédérations syndicales actuelles s’orientaient un peu sérieusement vers la préparation d’une grève générale, cela supposerait très probablement qu’il y ait un consensus préalable entre elles, c’est-à-dire un accord entre les appareils syndicaux sur la tactique à mener, de façon à empêcher les travailleurs d’être en situation d’arbitrer quoi que ce soit, de juger par eux-mômes et de prendre leur propre lutte en charge.

Seulement, se mettre d’accord sur la tactique constitue un problème difficilement soluble pour les confédérations de ce pays. Bien sûr, pour la première fois depuis 25 ans, toutes les confédérations syndicales se sont mises délibérément d’accord pour déclencher une grève de 24 heures à la SNCF. Mais il faut constater qu’elles se sont mises d’accord sur le plus petit dénominateur commun : « contre le contrat d’entreprise », c’est-à-dire un objectif négatif et quelque peu abstrait, et non sur une revendication positive commune.

Alors, la revendication des 35 heures constituerait-t-elle un terrain d’accord entre les confédérations syndicales ?

Elles ne le savent probablement pas elles-mêmes. Leurs propres déclarations sont souvent tempérées ; elles s’avancent un jour, reculent un autre, et d’hésitation en hésitation, coincées entre les nécessités de la mobilisation ouvrière et leurs propres intérêts de boutique, la tactique des unes et des autres se contredit d’un mois sur l’autre.

Dans ce cahin-caha des hésitations des bureaucraties syndicales, il n’est guère permis de savoir ce qui pourra effectivement sortir demain.

Mais si finalement elles font de la propagande pour les 35 heures, il faudra que les révolutionnaires soutiennent cette propagande. Parce que les 35 heures sont un mot d’ordre unificateur. Il faudra que les révolutionnaires participent aux luttes pour les 35 heures. Au fur et à mesure que le mécontentement des travailleurs s’accroîtra, il faudra pousser à l’unification des mots d’ordre ; et dans la mesure où cela correspondra à la conscience des travailleurs, les révolutionnaires devront contribuer à mettre en place des organes de contrôle de ces luttes. Et ils feront en sorte que les travailleurs puissent donner un contenu réel à la revendication des 35 heures, qui devra correspondre à une véritable diminution du temps de travail qui permette de répartir le travail entre tous, et pas seulement servir de base à des négociations qui la réduiraient à de simples augmentations de salaire. article de LO

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