vendredi 11 juin 2010, par
Afrique du sud : la coupe est pleine
A entendre les média d’ici, la coupe du monde de football suffirait à faire le bonheur de tout le peuple sud-africain et à cimenter l’unité de ce pays sorti de l’apartheid. C’est certainement le calcul des dirigeants de l’ANC qui gouvernent depuis la fin du régime raciste blanc. On est loin maintenant des années de l’apartheid et une nouvelle génération qui ne l’a pas vécu ne connaît toujours pas ni la liberté, ni le bien-être, ni même la fin de l’exclusion pour l’immense majorité des Noirs. Le gouvernement compte bien présenter cette coupe en Afrique du sud comme une preuve de la reconnaissance mondiale et comme une raison de fierté sinon d’espoir en l’avenir, espoir qui manque absolument à l’immense majorité.
Si le gouvernement a trouvé les sommes colossales nécessaires pour organiser la coupe et permettre à la FIFA d’engranger des sommes très importantes, le même gouvernement n’a pas un centime pour le logement, pour les hôpitaux, pour la santé alors qu’une fraction considérable de la population subit des graves maladies comme le sida. On affirme ici que le peuple sud-africain fête la coupe dans la rue. Pas étonnant : ne pouvant s’acheter les billets sur internet et faute d’avoir même l’argent pour cela, ils ne peuvent même pas le regarder à la télé car il faudrait encore avoir la télé, même collective, et surtout avoir le courant électrique. La plupart des sud-africains sont tellement démunis qu’avoir le courant consiste à le prendre par une connections piratée ! La moitié des sud-africains, selon les statistiques officielles, vit en effet au dessous du seuil de pauvreté, le quart est au chômage et la plupart n’ont pas un logement suffisant pour vivre. Ce peuple ne vit pas seulement à côté du match mais est totalement démuni de toute santé, de tout emploi, de tout logement et de toute sécurité pendant que les trusts sud-africains caracolent en tête non seulement en Afrique mais dans le monde.
Un résultat étonnant direz-vous après la lutte des travailleurs sud-africains couronnée par la fin de l’Apartheid ? Non, un résultat qui était exactement celui recherché conjointement par les classes dirigeantes, qu’elles soient noires ou blanches, sud-africaines ou internationales. Un résultat que voulaient ensemble l’ANC, parti anti-apartheid et le parti qui avait organisé l’apartheid, le Parti National de De Klerk. Cette entente provenait de la crainte que suscitait la mobilisation extraordinaire des travailleurs sud-africains, notamment ceux des mines d’or, celle de tous les travailleurs, celle aussi des townships, malgré la féroce répression du régime de l’apartheid. C’est cette force fantastique des travailleurs qui explique que les USA et l’URSS de Gorbatchev aient monté ensemble le projet permettant d’en finir avec le régime racial. L’aide du parti communiste sud-africain et celle des dirigeants syndicaux ont permis de cautionner aux yeux des travailleurs ce projet politique qui prévoyait déjà que les trusts sud-africains seraient préservés et que le peuple n’aurait aucun accès aux richesses du pays. Pour remercier Nelson Mandela d’avoir ainsi sauvé les classes dirigeantes d’une révolution sociale capable de s’étendre au continent noir tout entier, on l’a sorti de prison pour le porter directement à la présidence du pays. On peut aussi mesurer combien les classes dirigeantes craignaient le prolétariat sud-africain au pactole reçu par le dirigeant du syndicat des mineurs sud-africains, la NUM, Ramaphosa, devenu milliardaire…
Les véritables artisans de ce changement étonnant, les travailleurs sud-africains, eux, n’ont rien gagné sur le plan économique et social et même souvent sur le plan politique. Comme l’a bien dit l’ancien combattant contre l’apartheid, l’écrivain André Brink, l’ANC a pris la place du Parti National, le parti de l’apartheid, gouverne d’une main de fer contre les travailleurs, contre les habitants des townships, et sert les intérêts des mêmes trusts. Ce parti est celui des bourgeois noirs, des arrivistes, des politiciens et des bureaucrates corrompus qui s’attaquent violemment aux travailleurs. Même les dirigeants du syndicat COSATU, adhérents de l’ANC, sont régulièrement menacés et rappelés à l’ordre par ce parti et par le gouvernement, comme cela vient d’être le cas lors des grèves qui ont précédé la coupe du monde.
La main dans la main, les petits bourgeois nationalistes comme Mandela, les « démocrates » bourgeois comme Desmond Tutu, les staliniens du parti communiste sud-africain et toutes les classes dirigeantes ont détourné la colère révolutionnaire des prolétaires sud-africains et leur ont volé leur victoire. Quant au sort des masses pauvres, noires ou pas, les nouveaux dirigeants s’en footent ! Alors oui, la colère est toujours là, parmi les travailleurs et dans les townships et la coupe ne sera qu’un court répit dans la lutte contre le néo-apartheid capitaliste !