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Pourquoi la révolution doit continuer en Egypte...

lundi 28 février 2011, par Robert Paris

« La montée et l’affirmation du mouvement ouvrier est la principale garantie pour la réussite des objectifs de la révolution »

Mouvement du renouveau socialiste

Nous publions ci-dessous la déclaration du Mouvement du renouveau socialiste, datant du 15 février 2011. Elle met en relief les véritables enjeux de la phase actuelle de la révolution démocratique en Egypte.

Diverses forces allant du Conseil suprême de l’armée au comité en charge d’amender la Constitution, en passant par différentes personnalités aptes, peut-être, à rallier un secteur social significatif (la démission précipitée de Amr Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, laisse augurer de sa volonté de se profiler au plus vite pour l’élection présidentielle), mettent l’accent sur une « transition contrôlée ».

Il est aussi significatif que pour l’heure le Ministère des affaires étrangères de l’Egypte n’a pas réclamé le gel des avoirs du clan Moubarak, à la différence des demandes concernant un certain nombre de personnalités telles que le ministre du Tourisme (Zuheir Garana), le ministre haï de l’Intérieur (Habib al-Adly) ou le ministre de l’Habitat (Ahmed al-Maghraby).

La pertinence de la déclaration du Mouvement du renouveau socialiste peut être vérifiée par les affrontements politiques que suscite l’essor du mouvement de grèves (voir les articles publiés sur ce site). (Rédaction)

*****

La décision prise par Moubarak de quitter le pouvoir [le 11 février] deux jours après le déclenchement du mouvement de grèves n’est pas le fait du hasard. La décision prise par le gouvernement de retourner au plus vite à la vie normale a provoqué des résultats opposés.

En effet, alors que le gouvernement croyait que cette décision aurait comme conséquence l’isolement des manifestants et grévistes sur la place Tahrir, puis un rejet croissant par la majorité de la population de ceux qui poursuivaient la mobilisation – puisque ces derniers seraient devenus un obstacle à la stabilité et empêcheraient donc les gens de mener une vie normale –, c’est effectivement le contraire qui s’est passé : les travailleurs, force sociale principale, ont rejoint collectivement le mouvement de protestation. Une partie d’entre eux participaient jusqu’alors à titre personnel bien qu’ils défendissent les intérêts du groupe social auquel ils appartenaient.

Dans cette situation, le régime s’est retrouvé devant une alternative : ou bien le départ de Moubarak, ou bien l’explosion sociale : les grèves dispersées prendraient la forme d’une grève générale aboutissant à la paralysie de tout le pays.

Mais le départ du roi de la répression a ouvert la porte à toutes les catégories sociales et particulièrement à la classe ouvrière. Elles ont réclamé leurs droits qui avaient toujours été ignorés et revendiquaient le départ de tous les corrompus du régime.

Actuellement, une grande partie du peuple estime que le moment n’est pas adéquat pour faire grève et manifester, car cela empêche la roue économique de tourner ; il faudrait plutôt se concentrer sur les problèmes liés à la démocratie et donner au nouveau gouvernement une chance afin qu’il réponde aux attentes des diverses fractions de la société.

Cette position néglige plusieurs réalités sans lesquelles il n’est pas possible d’établir la vérité.

• Premièrement. Si la participation massive des ouvriers et des employés a poussé en fait le dictateur à démissionner, il serait injuste de leur dénier le droit à faire valoir leurs revendications. D’autant plus que l’expérience dans d’autres pays a démontré que de ne pas battre le fer quand il est chaud peut devenir un obstacle à un changement d’ensemble que la majorité du peuple attend et qu’on pourrait résumer par la seule formule : la volonté d’avoir une vie digne.

• Deuxièmement. La situation dans laquelle vit la majorité de la classe ouvrière est tellement précaire, misérable, qu’il n’est pas imaginable de les convaincre d’attendre encore. Comment demander à un salarié qui touche 300 livres [env. 50 francs suisses] seulement par mois depuis quinze ans d’attendre encore ?

• Troisièmement. Le plus important, c’est que l’obtention des revendications et aspirations démocratiques du peuple ne peut guère se concrétiser sans l’engagement de la classe ouvrière.

Jusqu’ici, il faut avoir à l’esprit que la révolution n’a atteint qu’un seul objectif, celui de faire tomber le dictateur. Par contre, rien n’a été obtenu pour ce qui a trait à l’état d’urgence, le couvre-feu, la liberté de créer des partis politiques ou des syndicats indépendants ainsi que la suppression de la police politique comme de l’actuelle Constitution dans sa totalité et son remplacement par une autre Constitution qui garantisse la liberté et la justice sociale. Pendant ce temps, la majorité des responsables de l’ancien régime sont toujours en place bien qu’ils soient impliqués dans des abus de tout ordre, ce que tout le monde sait.

Par ailleurs, des désaccords ont commencé à s’exprimer parmi ceux qui ont participé à la révolution. Une partie d’entre eux demandent l’arrêt des mouvements revendicatifs, des grèves à ce stade en prétendant que les changements à venir se réaliseront par eux-mêmes. Cette vision des choses ignore que l’ancien régime se battra pour se maintenir en place et faire le maximum pour empêcher un changement quelconque. C’est ce que nous montre l’exemple de la Tunisie. Donc la mise en œuvre des buts de la révolution démocratique ne pourra pas aboutir sans que s’exerce une forte pression qui ne donnera des résultats qu’avec la participation massive de la force des travailleurs. Car ce sont eux qui détiennent le pouvoir d’intervenir directement sur la vie économique du pays. Ce sont aussi eux qui ont le plus grand intérêt à ce que la révolution apporte ses fruits, car cela leur donnera une chance de faire valoir leurs droits de manière incomparable par rapport à ce qui est aujourd’hui possible.

Pour conclure, la continuité de la mobilisation populaire, du mouvement de grève, son unification et sa politisation sont les seules réelles garanties pour un succès de la révolution démocratique. (Traduction de l’arabe par A l’Encontre)

(17 février 2011)

Travailleurs de Malhalla (textile) qui ont mené une grève trois jours (jusqu’au 19 février)

Entretien avec un socialiste égyptien, Sameh Naguib

Conduit par Omar Mostafa *

Les membres des Socialistes révolutionnaires en Egypte ont enduré pendant des années la répression de l’Etat policier alors qu’ils s’organisaient en faveur de la démocratie et des droits des travailleurs et travailleuses. C’est grâce à ces efforts courageux que les socialistes ont été capables de jouer un rôle significatif dans l’organisation des premières manifestations du 25 janvier qui ont galvanisé le soulèvement réussi contre le dictateur Hosni Moubarack. Leur rôle a continué à se développer à mesure que le mouvement devenait plus fort. Sameh Naguib est un membre dirigeant des Socialistes révolutionnaires. Il s’est entretenu avec Mostafa Omar – membre de l’ISO (Etats-Unis) – présent au Caire.

Mostafa Omar - Nous vivons une époque incroyable pour tous les révolutionnaires en Egypte. Vous attendiez-vous à tout ceci avant le 25 janvier ?

Sameh Nagui - Nous comprenions évidemment sur le plan théorique que la situation politique était explosive depuis un certain nombre d’années et que l’éclatement d’une révolution était une possibilité. Mais nous n’avions aucune idée que cela se produirait le 25 janvier 2011. Le nombre massif de manifestants qui ont participé à la mobilisation ce jour-là et leur degré de militantisme, était sans précédent.

Nous avions l’habitude que les appels à des journées d’action massive ne réunissent que 100 ou 200 personnes, qui étaient d’ailleurs rapidement délogées par les « forces de sécurité ». Mais le 25 janvier, le nombre de manifestants a grossi au Caire, à Alexandrie et dans les autres villes, les unes après les autres, tout au long de la journée.

Les manifestants ont repoussé les attaques successives de la police. Ils jetaient des pierres contre les policiers. Les gens sortaient de leurs maisons pour nous rejoindre. Les femmes ululaient et nous jetaient des bonbons. A la fin de la journée du 25 janvier, nous avons compris qu’un mouvement révolutionnaire avait commencé.

Quel a été le rôle des Socialistes révolutionnaires et des autres forces de gauche dans la mobilisation pour la manifestation du 25 janvier ?

Notre mouvement a joué – avec le reste de la gauche et avec le Mouvement des Jeunes du 6 avril – un rôle clé dans cette mobilisation. Les Frères Musulmans n’ont pas soutenu l’appel à manifester ce jour-là, parce que, comme d’habitude, ils n’aiment pas soutenir des actions qu’ils ne contrôlent pas. C’est ainsi que la gauche a joué un rôle de premier plan.

Nous et les autres forces de gauche nous sommes rencontrés et avons développé une stratégie pour l’action le 25. Par exemple, nous avons décidé de commencer la manifestation dans différents quartiers du Caire, pour ensuite marcher sur la place Tahrir. Cette tactique était destinée à éviter que les forces de sécurité ne puissent concentrer leurs forces dans un seul lieu afin de briser notre action avant même qu’elle ne commence, comme elles l’ont toujours fait par le passé, et cette tactique a été utile.

D’ailleurs, pour être honnêtes, les forces de sécurité n’étaient pas préparées à l’afflux massif des personnes qui sont arrivées. Nous avons été pris au dépourvu.

Les médias occidentaux et égyptiens répétaient sans cesse qu’il ne s’agissait que d’une révolte de la jeunesse organisée par Facebook et d’autres médias sociaux. Pouvez-vous nous donner une idée de la nature de classe de la révolution durant ces premiers jours ?

Des jeunes de différentes classes sociales, qui avaient leurs propres griefs contre le régime, ont effectivement joué un rôle de premier plan dans le déclenchement de cette révolution, mais le rôle de la classe travailleuse a été central depuis le premier jour.

Par exemple, la ville de Suez, une ville ouvrière avec une longue histoire de luttes antibritanniques et antisionistes, a été à l’avant-garde de la révolution. Des travailleurs de Suez sont sortis massivement des usines de la ville et sont descendus dans la rue, et ce sont eux qui ont sacrifié les premiers martyrs du premier jour. Sheik Hafez Salama, un dirigeant de la lutte contre le colonialisme britannique dans les années 1940, et plus tard de la guerre avec Israël, était dans la rue avec les révolutionnaires. Il est même venu nous rejoindre ici à la place Tahrir.

De même, les travailleurs du Caire, d’Alexandrie et de Mansoura ont joué un rôle clé dans tous les événements depuis le début. Mais, dans cette phase, les travailleurs n’ont pas pu participer à la lutte révolutionnaire en tant que force collective parce que les capitalistes se sont mis en grève et ont stoppé la production. Cela allait changer dans les jours avant la chute de Moubarak, le 11 février et tout de suite après.

Il y avait des millions de personnes qui participaient à la révolution à la place Tahrir, à Alexandrie et ailleurs en Egypte. Comment est-ce que vous, en tant que Socialistes révolutionnaires, dont le nombre est restreint, avez fonctionné ? Comment êtes-vous intervenus dans ce mouvement de masse ? Et quelles étaient vos priorités ?

Depuis le début, les Socialistes, les nassériens et les autres forces de gauche ont joué un rôle important dans la direction des protestations. Mais comme le nombre de ceux qui rejoignaient la révolution augmentait de manière exponentielle et a atteint plus d’un million de personnes dans des villes comme Le Caire ou Alexandrie, nous avons dû nous focaliser et définir des priorités.

Nous nous sommes prononcés en faveur de la poursuite du mouvement pour renverser le régime et nous avons rejeté toutes les demandes de négocier avec lui.

Nous avons mis les revendications de la classe travailleuse sur le devant de la scène et au centre de toutes nos publications et de notre « agitation ». Nous avons contacté tous nos contacts et alliés dans le mouvement des travailleurs, et nous avons appelé à des grèves et au renforcement de la révolution.

Nous avons appelé à la confiscation des biens des grandes entreprises qui avaient un lien avec le régime de Moubarak et nous avons revendiqué que ces biens soient nationalisés sous contrôle ouvrier.

Nous avons fait de l’agitation pour transformer la révolution d’une révolution politique, démocratique en une révolution sociale. Nous avons soutenu les revendications populaires pour un salaire minimum de 1200 livres [75 CHF], pour des syndicats indépendants, pour des emplois et des allocations de chômage pour les personnes sans emploi et pour d’autres revendications de classe.

Nous avons publié six déclarations pour articuler notre analyse et nos revendications. Nous en avons distribué des milliers et des milliers dans la place ; nous avons également utilisé notre site Web pour atteindre toutes les régions du pays.

Quel est le rôle des Frères Musulmans, le plus grand groupe d’opposition politique dans le pays ?

La direction des Frères musulmans n’a pas soutenu l’appel à la manifestation du 25 janvier. En général, ils ne soutiennent pas les actions qu’ils n’ont pas eux-mêmes initiées et qu’ils ne contrôlent pas. Mais après la première journée, lorsqu’il est apparu clairement qu’une révolution était en marche, ils ont décidé de participer.

Ils ont joué un rôle important dans la place Tahrir, surtout lors de la journée du 2 février, lorsque le gouvernement a envoyé des voyous à cheval et armés de cocktails Molotov pour attaquer les manifestants.

Ce n’est pas nécessairement leur nombre qui a fait la différence – ils n’ont pas plus de 15 ou 20% de soutien politique dans la rue, et seul un des 13 martyrs de ce jour était un membre des Frères musulmans. C’est plutôt leur niveau d’organisation qui a aidé. Ils agissent de manière extrêmement disciplinée. Et cela a aidé dans la défense de la place.

Maintenant ils ont l’intention d’annoncer la formation d’un nouveau parti politique. Certains souhaiteraient qu’il soit formé sur des bases civiles plutôt que religieuses. D’autres, notamment les membres de la vieille garde conservatrice, s’opposeront à cette conception. Autrement dit, on s’attend à voir des divisions apparaître dans leurs rangs.

Nous avons vu la formation d’un groupe plus progressiste, Etilaf Shabab Althawra, la Coalition des Jeunes de la Révolution, qui a formulé un nombre de revendications politiques et qui a négocié avec l’armée.

Cette formation comprend un bon nombre de militants qui ont participé à la révolution. Mais ils en représentent une aile de la classe moyenne qui souhaiterait limiter la révolution à une révolution politique, pour des seules réformes démocratiques, sans remettre en question le système capitaliste, ni s’opposer à celui-ci. Ces progressistes voient leur rôle comme étant celui de conseiller l’armée et de faire pression sur elle pour remplacer tel ou tel personnage corrompu avec tel ou tel autre technocrate honnête.

Beaucoup de ces progressistes sont maintenant opposés aux grèves des travailleurs. Ils déclarent que les travailleurs sont égoïstes. Certains attaquent les grévistes sur Facebook. Comme je l’ai déjà dit, ils veulent simplement des réformes politiques, mais sont opposés à la lutte de classes.

Nous soutenons, bien entendu, les revendications pour des réformes démocratiques. Mais nous luttons pour une démocratie radicale qui met au centre les intérêts des travailleurs et leur donne la priorité. En tant que Socialistes révolutionnaires, nous ne voulons pas nous arrêter à une révolution politique. Nous organisons une révolution sociale dirigée par les travailleurs égyptiens.

Il existe beaucoup d’autres forces radicales de gauche et socialistes en Egypte. Quels sont vos rapports avec le reste de la gauche radicale ? Quelles initiatives politiques prenez-vous ?

Nous nous coordonnons toujours avec toutes les autres forces de gauche. Par exemple, nous faisons partie du front pour la gauche radicale. Ensemble, nous coordonnons le soutien à des grèves, à des manifestations, des déclarations aux médias et au public. Cela est important. C’est une situation nouvelle, et beaucoup de forces à gauche et à droite prennent des initiatives et forment des partis politiques.

Nous prenons également nos propres initiatives. D’abord nous avons aidé à la formation de comités pour défendre la révolution dans les rangs des étudiants et des travailleurs. Nous sommes également en train de récolter des milliers de signatures de dirigeants militants ouvriers pour la formation d’un nouveau parti des travailleurs. Ce parti pourra organiser, représenter et articuler les intérêts de la classe ouvrière et faire avancer la révolution.

La classe travailleuse égyptienne est très nombreuse, et ses grèves sont massives et largement répandues. Où commencer la construction d’un tel parti ?

Cela est vrai, mais nous ne commençons pas à zéro. Au cours des années précédentes de lutte nous avons établi des contacts et des rapports étroits dans la classe ouvrière. En même temps, nous nous concentrons sur les secteurs centraux de l’économie : les travailleurs dans les entreprises du textile, de la Poste, des chemins de fer, du transport, des communications et du ciment.

Je pense aussi que le nouveau mouvement pour former des syndicats indépendants militants pour remplacer les syndicats pro-gouvernementaux réussira, ce qui contribuera à notre effort pour construire un parti des travailleurs. Nous vivons un moment révolutionnaire, où il faut prendre des initiatives et observer ce qui se passera.

L’armée dirige actuellement le pays, publiant des communiqués [du Conseil suprême] et faisant quelques concessions telles que la dissolution du parlement. Qu’attendez-vous de l’armée pendant la prochaine période. Va-t-elle utiliser la force contre les grèves ?

L’armée est une partie clé de l’économie égyptienne. Elle contrôle 25% de l’économie et des industries, des terres agricoles et des hôtels, jusqu’au commerce des armes.

L’armée a obligé Moubarak à partir et a repris le pouvoir pour tenter de ralentir le rythme de la révolution et pour sauver le système. Les pressions de la révolution d’en bas ont entraîné une scission dans la direction de l’armée. Moubarak, le ministre de la Défense Mohamed Tantawi et le Vice-président Omar Suleiman voulaient que l’armée utilise la force pour mettre un terme à la révolution. Le lieutenant général Sami Hafez Anan, le chef de l’état-major de l’armée – qui soit dit en passant était à Washington le 25 janvier – a refusé d’utiliser la force. A ce moment-là, il n’y avait plus d’autre issue que de renverser Moubarak.

Maintenant l’armée en appelle aux grévistes pour qu’ils mettent un terme à leur mouvement. C’est la seule chose qu’ils puissent faire. Pour le moment, ils ne sont pas en position d’interdire ou de réprimer les grèves. L’élan est jusqu’ici du côté des travailleurs. L’armée aura besoin de temps pour mobiliser une majorité de l’opinion publique – et non seulement des progressistes de la classe moyenne – avant de pouvoir envisager d’attaquer les grèves.

L’armée est en fait dans une position difficile. La révolution égyptienne a un énorme impact régional et international. Le monde nous regarde. La révolution a des causes profondes. Elle dispose d’une étendue et d’un potentiel immenses pour se transformer en une révolution sociale. C’est très différent des révolutions qui se sont déroulées aux Philippines contre Ferdinand Marcos dans les années 1980 ou en Indonésie contre Souharto dans les années 1990. Le rôle de la classe ouvrière en Egypte, dans notre révolution, est plus central que le rôle qu’ont joué les travailleurs dans ces autres deux révolutions.

La classe travailleuse égyptienne a préparé le contexte favorable aux événements qui ont suivi le 25 janvier, et cela par une lutte de classe intensive qui se développe depuis 2004. Maintenant, elle est en marche. Il est par conséquent beaucoup plus difficile à la classe dominante, ici en Egypte, de limiter la révolution à des réformes politiques. (Traduction de A l’Encontre)

* Militant de l’ISO aux Etat-Unis et d’origine égyptienne.

(27 février 2011)

Appel des travailleurs égyptiens à ceux « qui nous caractérisent comme contrerévolutionnaires »

Nous publions ci-dessous une déclaration programmatique issue de regroupements de militant·e·s syndicalistes actifs dans le secteur privé et public ainsi que dans diverses entreprises et sociétés. Ce programme révèle la volonté de secteurs importants de la société. En effet, depuis le 11 février, le mouvement de grève n’a pas cessé.

Ce jeudi 24 février, des milliers de travailleurs des transports publics réclament la création de syndicats indépendants, rompant avec le syndicat contrôlé par l’Etat, c’est-à-dire la Fédération syndicale égyptienne (ETUF – Egyptian trade-union federation). Quelque 20’000 travailleuses et travailleurs du secteur textile étatisé de la région de Mahalla avancent la même revendication, selon le quotidien Al-Masry Al-Youm du 24 février 2011.

Les travailleurs des transports publics affirment avoir déjà récolté 15’000 signatures soutenant leurs revendications de rupture avec la structure syndicale corrompue.

Face à cette ébullition sociale, le gouvernement continue d’insister sur la nécessité de « normaliser » la situation sociale en invoquant les « dangers » que ces mobilisations font courir à l’économie. Le texte ici publié, qui traduit la conscience et l’attitude la plus avancée des salarié·e·s en Egypte, est un indicateur concret de la phase dans laquelle se trouve la révolution du 25 janvier. (Rédaction.)

******

Les travailleurs égyptiens étaient parmi les principales forces qui ont préparé et participé à la révolution populaire et démocratique du 25 janvier, poussés par la confiance en leurs forces et leur adhésion aux revendications émanant de la révolution ; cela dans le contexte d’une précarité économique et sociale qui s’est accentuée à l’extrême au cours des dernières années.

Dans le cadre de cette révolution, les travailleurs n’ont fait qu’exercer leur droit de manifester et revendiquer les droits pour lesquels ils se battaient depuis longtemps, c’est-à-dire une vie digne et une justice sociale pour tous.

Le plus étonnant, actuellement, consiste à accuser les travailleurs – qui ont joint leurs voix dans la mobilisation à celles de leurs compatriotes – de ruiner l’économie et de saboter la production. On leur demande de regagner leur poste de travail et de donner une chance à ce même régime et à ce même gouvernement.

Les travailleurs se demandent : pourquoi et dans quel but donner une chance ?

Pour que ce gouvernement continue ses politiques destructrices ou pour se contenter encore durant quelques années de fausses promesses qui se rajouteront à celles des trente dernières années. Ce qui ne fera qu’augmenter les gains des profiteurs et infliger plus de misère aux ouvriers.

Ce qui nous étonne encore plus, c’est que les exigences du gouvernement face au peuple prennent un aspect de menace [voir communiqué n° 5 du Conseil suprême des forces armées] dans le but d’empêcher un mouvement de contestation populaire. Le gouvernement ne s’adresse pas au peuple sur un pied d’égalité. Ce gouvernement fait la sourde oreille face aux revendications des travailleurs. Par contre, il ouvre ses bras aux fonctionnaires du Ministère de l’intérieur, ceux qui ont les mains encore tachées du sang des martyrs de la révolution. Il leur offre des augmentations de salaire de 100 % et accepte le retour des officiers qui ont laissé leur poste. Les privilèges accordés et dont on ignore encore l’ampleur sont multiples.

C’est ainsi que réagit et pense le gouvernement d’Ahmed Chafik qui prétend rendre leurs droits aux anciens ayants droit.

C’est-à-dire à tous ceux qui critiquent les revendications de secteurs de travailleurs en lutte. Or, qui dirige l’Egypte depuis trois décennies et qui a appauvri et ruiné l’économie ?

Pourtant ce n’est jamais les travailleurs qui ont détourné l’argent des banques et qui l’on transféré à l’étranger puis sont rentrés sans que personne ne leur demande des comptes.

Ce n’est pourtant jamais les travailleurs qui ont vendu et fermé des firmes et des usines, cela à bas prix, et en licenciant les salarié·e·s. Ce n’est pourtant pas les travailleurs qui ont offert pour rien des terres de l’Etat à des hommes d’affaires.

Ce n’est pourtant pas les travailleurs qui ont répandu des pesticides et des produits cancérigènes sur les champs agricoles, ce qui a tué aussi bien des plantes que des humains.

Les ouvriers n’ont jamais pratiqué la spéculation sur les produits alimentaires et ce n’est pas eux qui sont à l’origine des envolées de prix. En conclusion, les travailleurs avec tous ces malheurs, ces désastres.

Le seul responsable de la dégradation de l’économie égyptienne est le régime, avec ses hommes d’affaires, ses militaires et son parti politique (le PND) qui continuent, de fait, à gouverner jusqu’à aujourd’hui.

Au lieu de nous demander de renoncer à notre droit de nous mobiliser et de contester le régime, des forces populaires sensibles aux critiques du régime feraient mieux de rallier notre camp pour en finir avec ce régime et arracher par la force ce qui nous est dû à tous.

Les ouvriers ont depuis longtemps la perte de leurs droits. La révolution du 25 janvier leur a donné plus de forces en vue de lutter pour leurs revendications légitimes. Pour toutes ces raisons, nous – en tant que travailleurs – n’arrêterons jamais de nous mobiliser, de nous opposer jusqu’à ce que nous ayons obtenu une vie digne ; nous qui sommes à l’origine de la production de l’ensemble de la richesse. Ainsi, nous exigeons :

1° La réalisation des six revendications de la révolution qui n’ont pas encore été réalisées ;

2° La mise en place d’un salaire minimum et d’un salaire maximum (une échelle allant de 1 à 10), salaires liés à l’augmentation des prix (échelle mobile des salaires) ;

3° La régularisation, sous forme de contrats à durée indéterminée, de tous les travailleurs temporaires qui sont au nombre de centaines de milliers, seulement dans le secteur étatique, régularisation qui prenne en compte les années de service ;

4° L’arrêt de la politique de privatisation (liée à la corruption) et la mise en place d’enquêtes concernant tous les contrats douteux liés à la vente de biens publics, ainsi que la poursuite en justice de tous ceux qui ont participé à ces opérations ;

5°Les sociétés vendues doivent être réintégrées au bien public et les travailleurs ayant perdu leurs emplois doivent être réengagés ;

6° L’abolition de la Loi sur le travail, datant de 2003 [les travailleurs qui agissaient en dehors de la structure de la Fédération syndicale égyptienne – ETUF, liée à l’appareil d’Etat – pouvaient être licenciés si l’employeur les surprenait à engager des actions syndicales ; de plus, cette loi permet de licencier sans fournir aucun motif ; cette loi assurait aussi des cotisations permettant d’engraisser l’appareil syndical], loi qui a divisé les travailleurs et réduit nombres d’entre eux à un statut de quasi esclaves ;

7° Engager une politique permettant à toutes les personnes au chômage d’obtenir un emploi et, dans l’attente, leur assurer une allocation égale à la moitié du salaire conforme jusqu’à ce qu’ils obtiennent un emploi ;

8° Abolition de la Loi sur l’assurance santé, qui a privé à beaucoup de travailleurs l’accès à des soins et a augmenté leurs contributions ;

9° Restitution aux travailleurs de l’argent détourné par le système d’assurances et de retraites ;

10° Arrêt de la privatisation des centres médicaux et création d’un service de santé public avec accès gratuit pour toutes et tous ;

11° Elimination de tous les corrompus de l’ancien régime des organes étatiques et des sociétés contrôlées par l’Etat. Ces derniers doivent être déférés devant la justice.

(20 février 2011)

Ces considérants et ces revendications ont été adoptés par les ouvriers et les employés d’associations, de syndicats, d’usines et de secteurs de l’administration publique. Parmi elles, on citera le Syndicat des collecteurs d’impôt, l’Union des retraités ou le Syndicat des travailleurs de la santé, les travailleurs des minoteries, les employés de l’éducation, etc. (traduit de l’arabe par A l’Encontre)

(25 février 2011)

Appel de travailleurs et syndicalistes égyptiens....

Les travailleurs égyptiens étaient parmi les principales forces qui ont préparé et participé à la révolution populaire et démocratique du 25janvier, poussés par la confiance en leurs forces et leur adhésion aux revendications émanant de la révolution ; cela dans le contexte d’une précarité économique et sociale qui s’est accentuée à l’extrême au cours des dernières années.

Dans le cadre de cette révolution, les travailleurs n’ont fait qu’exercer leur droit de manifester et revendiquer les droits pour lesquels ils se battaient depuis longtemps, c’est-à-dire une vie digne et une justice sociale pour tous.

Le plus étonnant, actuellement, consiste à accuser les travailleurs – qui ont joint leurs voix dans la mobilisation à celles de leurs compatriotes – de ruiner l’économie et de saboter la production. On leur demande de regagner leur poste de travail et de donner une chance à ce même régime et à ce même gouvernement.

Les travailleurs se demandent : pourquoi et dans quel but donner une chance ?

Pour que ce gouvernement continue ses politiques destructrices ou pour se contenter encore durant quelques années de fausses promesses qui se rajouteront à celles des trente dernières années. Ce qui ne fera qu’augmenter les gains des profiteurs et infliger plus de misère aux ouvriers.

Ce qui nous étonne encore plus, c’est que les exigences du gouvernement face au peuple prennent un aspect de menace [voir communiqué n°5 du Conseil suprême des forces armées] dans le but d’empêcher un mouvement de contestation populaire. Le gouvernement ne s’adresse pas au peuple sur un pied d’égalité. Ce gouvernement fait la sourde oreille face aux revendications des travailleurs. Par contre, il ouvre ses bras aux fonctionnaires du Ministère de l’intérieur, ceux qui ont les mains encore tachées du sang des martyrs de la révolution. Il leur offre des augmentations de salaire de 100% et accepte le retour des officiers qui ont laissé leur poste. Les privilèges accordés et dont on ignore encore l’ampleur sont multiples.

C’est ainsi que réagit et pense le gouvernement d’Ahmed Chafik qui prétend rendre leurs droits aux anciens ayants droit.

C’est-à-dire à tous ceux qui critiquent les revendications de secteurs de travailleurs en lutte. Or, qui dirige l’Egypte depuis trois décennieset qui a appauvri et ruiné l’économie ?

Pourtant ce n’est jamais les travailleurs qui ont détourné l’argent des banques et qui l’on transféré à l’étranger puis sont rentrés sans que personne ne leur demande des comptes.

Ce n’est pourtant jamais les travailleurs qui ont vendu et fermé des firmes et des usines, cela à bas prix, et en licenciant les salarié·e·s. Ce n’est pourtant pas les travailleurs qui ont offert pour rien des terres de l’Etat à des hommes d’affaires.

Ce n’est pourtant pas les travailleurs qui ont répandu des pesticides et des produits cancérigènes sur les champs agricoles, ce qui a tué aussi bien des plantes que des humains.

Les ouvriers n’ont jamais pratiqué la spéculation sur les produits alimentaires et ce n’est pas eux qui sont à l’origine des envolées de prix. En conclusion, les travailleurs avec tous ces malheurs, ces désastres.

Le seul responsable de la dégradation de l’économie égyptienne est le régime, avec ses hommes d’affaires, ses militaires et son parti politique (le PND) qui continuent, de fait, à gouverner jusqu’à aujourd’hui.

Au lieu de nous demander de renoncer à notre droit de nous mobiliser et de contester le régime, des forces populaires sensibles aux critiques du régime feraient mieux de rallier notre camp pour en finir avec ce régime et arracher par la force ce qui nous est dû à tous.

Les ouvriers ont depuis longtemps la perte de leurs droits. La révolution du 25janvier leur a donné plus de forces en vue de lutter pour leurs revendications légitimes. Pour toutes ces raisons, nous – en tant que travailleurs – n’arrêterons jamais de nous mobiliser, de nous opposer jusqu’à ce que nous ayons obtenu une vie digne ; nous qui sommes à l’origine de la production de l’ensemble de la richesse. Ainsi, nous exigeons :

1° La réalisation des six revendications de la révolution qui n’ont pas encore été réalisées ;

2° La mise en place d’un salaire minimum et d’un salaire maximum (une échelle allant de 1 à 10), salaires liés à l’augmentation des prix (échelle mobile des salaires) ;

3° La régularisation, sous forme de contrats à durée indéterminée, de tous les travailleurs temporaires qui sont au nombre de centaines de milliers, seulement dans le secteur étatique, régularisation qui prenne en compte les années de service ;

4° L’arrêt de la politique de privatisation (liée à la corruption) et la mise en place d’enquêtes concernant tous les contrats douteux liés à la vente de biens publics, ainsi que la poursuite en justice de tous ceux qui ont participé à ces opérations ;

5°Les sociétés vendues doivent être réintégrées au bien public et les travailleurs ayant perdu leurs emplois doivent être réengagés ;

6° L’abolition de la Loi sur le travail, datant de 2003 [les travailleurs qui agissaient en dehors de la structure de la Fédération syndicale égyptienne – ETUF, liée à l’appareil d’Etat – pouvaient être licenciés si l’employeur les surprenait à engager des actions syndicales ; de plus, cette loi permet de licencier sans fournir aucun motif ; cette loi assurait aussi des cotisations permettant d’engraisser l’appareil syndical], loi qui a divisé les travailleurs et réduit nombres d’entre eux à un statut de quasi esclaves ;

7° Engager une politique permettant à toutes les personnes au chômage d’obtenir un emploi et, dans l’attente, leur assurer une allocation égale à la moitié du salaire conforme jusqu’à ce qu’ils obtiennent un emploi ;

8° Abolition de la Loi sur l’assurance santé, qui a privé à beaucoup de travailleurs l’accès à des soins et a augmenté leurs contributions ;

9°Restitution aux travailleurs de l’argent détourné par le système d’assurances et de retraites ;

10° Arrêt de la privatisation des centres médicaux et création d’un service de santé public avec accès gratuit pour toutes et tous ;

11° Elimination de tous les corrompus de l’ancien régime des organes étatiques et des sociétés contrôlées par l’Etat. Ces derniers doivent être déférés devant la justice.

Ces considérants et ces revendications ont été adoptés par les ouvriers et les employés d’associations, de syndicats, d’usines et de secteurs de l’administration publique. Parmi elles, on citera le Syndicat des collecteurs d’impôt, l’Union des retraités ou le Syndicat des travailleurs de la santé, les travailleurs des minoteries, les employés de l’éducation, etc. (traduit de l’arabe par A l’Encontre)

Messages

  • Le Premier ministre égyptien Ahmad Chafic a démissionné jeudi, une décision saluée par les mouvements d’opposition qui ont fait tomber le président Hosni Moubarak, alors que le pays est engagé dans une difficile transition politique sous la direction de l’armée.

    Le conseil suprême des forces armées a annoncé son remplacement par Essam Charaf, une personnalité populaire parmi les jeunes militants pro-démocratie qui avaient déclenché la révolte anti-régime fin janvier.

    M. Charaf, professeur d’ingéniérie à l’université du Caire, a été ministre des Transports de 2002 à fin 2005, avant d’être démis à la suite de divergences avec l’ancien Premier ministre Ahmad Nazif.

    Il avait participé aux manifestations de la place Tahrir au Caire, épicentre de la contestation anti-Moubarak, et il est apprécié par les jeunes qui ont lancé l’appel à la révolte.

  • Un tribunal du Caire a interdit lundi 28 avril le Mouvement du 6 avril, le principal groupe de la jeunesse qui a mené la révolte ayant conduit à la chute du président Hosni Moubarak en 2011. Le groupe manifeste depuis plusieurs mois contre le régime dirigé par l’armée, une position qui lui a valu d’être condamné pour « diffamation » du pays et « collusion » avec des mouvements étrangers, selon un haut responsable de la justice.

    Le Mouvement du 6 avril tire son nom d’une grande grève d’ouvriers lancée à Mahalla le 6 avril 2008, premier vrai mouvement de contestation contre le régime de Moubarak qui régna sans partage trente années sur l’Egypte. Le groupe, emmené par des jeunes, est devenu le fer de lance de la révolte populaire qui, en dix-huit jours, chassa Moubarak du pouvoir début 2011, dans la lignée des printemps arabes.

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