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Burkina Faso : La révolution peut-elle emporter le dictateur Compaoré ?

dimanche 17 avril 2011, par Robert Paris

Burkina Faso :

La révolution peut-elle emporter le dictateur Compaoré ?

La colère qui gronde depuis la mi-février 2011 dans les grandes villes du Burkina Faso est loin de s’estomper en dépit de l’annonce par le gouvernement burkinabé de la création d’un Conseil Consultatif sur les Réformes Politiques (CCRP) au Burkina Faso.

Ce vendredi 15 avril 2011, les Burkinabé ont encore été réveillés par des coups de feu, attribués à une mutinerie des soldats de la garde présidentielle qui revendiquent des « primes de logement », selon les correspondants de plusieurs médias étrangers, dont certains annoncent la « fuite » du président Blaise Compaoré dans sa ville natal de Ziniaré, situé à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou.

Cette dernière information (le retrait du président dans sa ville natale) n’a pu cependant être confirmée de source officielle. D’ailleurs d’autres sources, qu’Ouestafnews n’a pu non plus confirmer, faisaient état de son « retour » à son palais présidentiel de Ouagadougou.

En réalité, le mal est beaucoup plus profond et derrière cette énième mutinerie se cache une sérieuse remise en question de l’autorité du président Compaoré, au pouvoir depuis 1987 et fraichement réélu (octobre 2010) pour un nouveau mandat à la tête du pays, selon les analyses du desk politique d’Ouestafnews. La mobilisation des défenseurs des droits de l’Homme contre « l’impunité », est également une autre source d’inquiétude pour la hiérarchie militaire, habituée à user de la méthode forte, sans réellement avoir à répondre de ses actes.

Juste avant la mutinerie (le mercredi 13 avril 2011), un Conseil des ministres présidé par Blaise Compaoré, annonçait pourtant la création d’un Conseil Consultatif pour les Réformes Politiques (CCRP) au Burkina, selon un communiqué du gouvernement parvenu à Ouestafnews.

Ce conseil, selon le gouvernement a été créé « suite aux rencontres initiées avec les représentants des autorités coutumières, religieuses, politiques et de la société civile jouera un rôle déterminant dans l’identification du schéma de modernisation des instruments de la gouvernance ».

Le président Compaoré avait dû organiser cette série de rencontres en catastrophe après plusieurs manifestations violentes en mars 2011. Il avait promis des réformes qu’il mettrait « immédiatement » en œuvre.

Si l’opposition, les syndicats, la société civile, les instances coutumières et religieuses, etc ,sont représentés dans le CCRP nouvellement créé, l’armée par contre n’y figure pas. Il n’était pas cependant possible de confirmer le lien direct entre cette absence de l’armée au sein du CCRP et la dernière colère des soldats burkinabé, déjà auteurs de plusieurs actes insurrectionnels ces dernières semaines, en même temps que d’autres segments de la société qui protestent aussi contre la vie chère, contre les abus du régime, contre la violation des droits de l’Homme...

Les premiers signes sérieux de la tempête qui menace désormais le régime Compaoré ont commencé à souffler mi-mars 2011, lorsque quelque milliers d’élèves et étudiants sont descendus dans les rues du pays pour exprimer leur colère. Mais l’alerte la plus chaude est venue de la troupe, qui depuis des jours s’agite et a fini par installer l’inquiétude au cœur du régime que l’on disait tenu d’une main de fer.

La révolte estudiantine, selon ce qu’en rapportent les médias locaux, a été déclenché par la mort de l’élève Justin Zongo le 20 février 2011 dans la ville de Koudougou (100 km à l’ouest de Ouagadougou), pendant un séjour dans un commissariat local suite à une plainte déposée contre lui. La police a indiqué que le jeune homme est décédé des suites d’une « d’une méningite », une version qui a soulevé l’ire de ses camarades convaincus qu’il s’agit d’une bavure policière que les autorités ont voulu étouffer. La contestation qui s’en suivra a gagné le pays tout entier et la répression fera au moins deux morts. L’incident pourrait en réalité n’être que la goutte d’eau de trop.

Après les étudiants, c’était au tour des soldats de prendre la relève. Pendant plusieurs jours ils ont manifesté leur colère dans plusieurs endroits du pays, suite à l’incarcération de quelques uns de leur frères d’armes condamnés par la justice et dont ils réclamaient la libération. Dans leur révolte, les soldats s’en sont pris aux édifices publics et aux domiciles des pontes du régime, un signe qui ne trompe pas quant au malaise ambiant qui règne en ce moment aux pays dit des « hommes intègres », alors que le président Compaoré, élu avec plus de …80 % des voix, entame un quinquennat qui pourrait pour lui être celui de trop.

Acculé le régime a cédé aux exigences des militaires, en libérant les cinq détenus en dépit de la décision de justice qui les a condamnés, le mardi 22 mars, à des peines de prison ferme allant de 12 à 15 mois et à plus de 3,5 millions de FCFA d’amende. Fait rarissime, le 31 mars 2011 le président recevait les soldats de la troupe et les sous-officiers de l’armée burkinabé pour les « écouter ». Les officiers devaient à leur tour être reçus le lendemain, alors que le pays entier était sous couvre feu, décision annoncée dans un communiqué du ministère de la défense.

Mais les défenseurs des droits de l’homme n’entendent pas laisser avaliser un « deal » entre militaires qui renforcerait l’impunité dans un pays au passé déjà suffisamment chargé dans ce domaine. Le Mouvement burkinabé des droits de l’Homme et la Fédération internationale des droits de l’Homme ont, dans une déclaration commune, appelé le gouvernement à faire face à ses responsabilités.

Arrivé au pouvoir à la suite à un coup d’Etat mortel contre le capitaine révolutionnaire Thomas Sankara, le président Blaise Compaoré traîne depuis ce lourd fardeau, resté une sorte de « contentieux historique » entre lui et une bonne partie du peuple burkinabé et de l’intelligentsia africaine. Ce symbole du Burkina Faso, « terre de répression et d’impunité », sera renforcée à la fin des années 90, avec l’affaire Norbert Zongo, journaliste assassiné par des proches du régime. Une autre affaire dont les auteurs et commanditaires restent à ce jour « impunis ».

Le chef de l’Etat Blaise Compaoré est confronté à une mutinerie de sa garde présidentielle, à un mouvement étudiant, et à un mécontentement des magistrats et des détenus.
Les agitations qui secouent le Burkina Faso constituent l’une des plus graves crises qu’ait connue le régime du président Compaoré, un ancien militaire arrivé au pouvoir il y a 24 ans à la faveur d’un coup d’Etat contre son ancien compagnon Thomas Sankara, figure emblématique de l’émancipation africaine. A y regarder de plus près, ces mouvements de contestation sont tous liés les uns aux autres.

Dans la nuit du 22 au 23 mars, dans capitale à Ouagadougou, des militaires étaient sortis de leurs casernes, avaient tiré en l’air dans les rues et pillé des boutiques en réaction à la condamnation de cinq des leurs dans une affaire de moeurs et de viol. Le 24 mars, ils étaient libérés par les autorités.

Le 28 mars, les villes de Koupéla, Tenkodogo, et à nouveau Ouagadougou étaient touchées par la grogne des militaires. Dans la capitale, des militaires appartenant au 32e régiment d’infanterie commando (RIC) étaient allés libérer à la prison civile un autre soldat, enfermé pour le viol d’une jeune fille, selon une source proche du gouvernorat de la région de l’Est. Dans la nuit, le maire de Ouagadougou et numéro 3 du parti présidentiel du Burkina, Simon Compaoré, était blessé.

Après ces incidents, le président Compaoré a rencontré, le 31 mars, toutes les composantes de l’armée, des simples soldats aux généraux. Outre la contestation du jugement de six de leurs camarades, les soldats burkinabés protestaient contre leurs mauvaises "conditions de vie", ou encore "des problèmes avec la hiérarchie". "Le président a promis de prendre en compte toutes nos préoccupations. On s’est compris avec le président", affirmait un soldat, qui promettait qu’il n’y aurait "plus de tirs contre la population qui peut être tranquille". Le chef de l’Etat a annoncé la fin de la crise à l’issue de ces rencontres.

Pourtant, le chef de l’opposition, Bénéwendé Stanislas Sankara, a demandé, ce même 31 mars, que soit constatée "la vacance" du pouvoir et que le chef de l’Etat, en tant que chef suprême des armées, soit démis de ses fonctions. Ce jeudi soir, une nouvelle mutinerie a éclaté à Ouagadougou, dans l’enceinte de la présidence, gagnant la garde du chef de l’Etat, et s’étendant vendredi à trois camps militaires, celui de Guillaume Ouédraogo, de Sangoulé Lamizana, et au camp dit "11-78".

Des coups de feu ont été entendus. Le domicile du général Dominique Diendiéré, chef d’état-major particulier du président Blaise Compaoré, qui se trouve dans une caserne à 3 km de celle du régiment présidentiel, a été totalement incendiée lors de ces heurts.
Des discussions étaient pourtant en cours entre la hiérarchie et les mutins. Selon un officier de ce régiment présidentiel ayant requis l’anonymat, il s’agit d’un mouvement de colère de militaires pour protester désormais contre le non-versement d’une indemnité de logement et alimentaire qui leur avait été promise. Le chef de l’Etat a donc préféré quitter ce vendredi matin la capitale pour fuir les violences... avant de revenir quelques heures plus tard.

Parrallèlement, les professionnels de la justice ont suspendu depuis le 23 mars leurs activités, pour exiger la réincarcération de cinq militaires condamnés pour des affaires de moeurs et de viol, et libérés par les autorités.

En guise de réponse à la demande des magistrats, une roquette a été tirée le 29 mars par des militaires sur le palais de justice de la ville de Fada N’Gourma, dans l’est du pays. Et l’appareil judiciaire burkinabé exige désormais une meilleure sécurité et la restauration du palais de justice de Fada N’Gourma, ainsi que celui de Ouagadougou, également saccagé.

Un détenu a été tué et plusieurs autres blessés, le 1er avril, lors d’une tentative de mutinerie à la prison civile de Bobo Dioulasso, dans le sud-ouest du Burkina Faso. Pour les repousser, les gardes ont fait usage de leurs armes à feu, selon Pascal Temaï Benon, gouverneur de la région de Bobo Dioulasso.

Ce dernier a précisé que les prisonniers réclamaient "la reprise des activités de justice [suspendu depuis le 23 mars, voir ci-dessus] pour statuer sur leurs cas." Par leur action, les prisonniers de Bobo Dioulasso entendaient également protester contre la surpopulation carcérale, et "la lourdeur des peines liées à l’application de la loi sur le grand banditisme" adoptée en 2010, selon le gouverneur. La maison d’arrêt de Bobo Dioulasso a été construite pour 150 prisonniers et en accueillait environ 600 fin 2010.

Des manifestations étudiantes sont organisées, depuis le 22 février, pour dénoncer la mort de six personnes lors d’une marche fin février dans la région du Centre-Ouest. A l’origine, les étudiants demandaient le "respect des franchises scolaires et universitaires" et "exigeaient" le "départ" des forces de police qui stationnent sur les campus.
Malgré des mesures prises par le gouvernement pour ramener le calme, les violences se sont étendues à travers le pays. Le 9 mars, le gouvernement a ordonné pour la deuxième fois en dix jours la fermeture des établissements scolaires "jusqu’à nouvel ordre". Nouvelle déclaration de Blaise Compaoré le 10 mars : "En cassant on ne peut pas faire durer le progrès dans notre pays."

Cette réponse n’a pas contenté les étudiants. Le 12 mars, des heurts ont opposé des manifestants de l’Université de Ouagadougou aux forces de l’ordre, après l’échec d’une nouvelle marche "pacifique" pour réclamer justice pour leurs camarades tués. Bilan : neuf blessés et cinq interpellations. Depuis, la contestation continue : des lycéens de Tenkodogo, ville située à près de 200 km au sud-est de Ouagadougou, ont manifesté le 31 mars, en soutien aux étudiants. Et il y a une semaine, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans la capitale et dans plusieurs villes de l’intérieur du pays contre le régime de Compaoré.

Messages

  • En réalité, le mal est beaucoup plus profond et derrière cette énième mutinerie se cache une sérieuse remise en question de l’autorité du président Compaoré

  • La ville de Koudougou, dans l’ouest du Burkina Faso, a été l’objet d’une violente manifestation de la part de jeunes élèves et étudiants. Le siège local du parti au pouvoir et une résidence de l’ancien Premier ministre Tertius Zongo ont été incendiées par les émeutiers. Koudougou est la localité d’où est partie, le 20 février, la protestation qui a embrasé tout le pays.

  • Dans la nuit de dimanche à lundi, après Ouagadougou, Pô et Tenkodogo, un groupe de militaires est descendu dans les rues de la ville de Kaya (100 km au nord-est de Ouagadougou) et ont tiré en l’air dans les rues toute la nuit durant.

    Il faut signaler que la mutinerie qui touche le Burkina Faso depuis deux mois ne concerne jusqu’à présent essentiellement que les militaires.

    Les bars et maquis qui ont reçu les premiers, la visite des mutins ont vu leurs caves vidées et pillées et les serveuses ont été violées à cette occasion.

    Les mutins ont également incendié le domicile du chef du corps du régiment de commandement d’appui et de soutien et saccagé celui du commandant de la première région militaire, a-t-on appris de sources concordantes.

    Des tirs en l’air de soldats avaient déjà gagné une troisième ville dans la nuit de dimanche à lundi, à savoir Tenkodogo, après des actions similaires à Ouagadougou et Pô.

    Face à cette situation, le gouvernement a menacé dimanche dans un communiqué du ministère de la Sécurité de sanctionner les utilisateurs illégaux d’armes à feu.

    Au total, 45 personnes ont été blessées par balles depuis le 14 avril à Ouagadougou, date de la vague de mutinerie, a-t-on appris de sources hospitalières.

    Excédés par les pillages des soldats mutins, des commerçants de la capitale s’en sont pris, samedi 16 avril à plusieurs édifices publics dont l’Assemblée nationale, le Gouvernorat, le siège du parti au pouvoir, et le ministère en charge du commerce.

    Face à cette série de contestations militaires, des scolaires et des commerçants, le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré a dissout le gouvernement et procédé à la nomination, samedi dans la soirée, de nouveaux responsables à la tête des armées de terre, de l’air et de la gendarmerie.

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