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"L’Ordre et la Morale", la version Kassovitz du massacre de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle Calédonie, un film sur un crime colonial

lundi 14 novembre 2011, par Robert Paris

Sur une stèle, en Nouvelle Calédonie, on peut lire : "Éloi Machoro, combattant de la liberté, victime de l’ordre colonial d’État français, martyr noir, assassiné le 12 janvier 1985".

Tous les leaders kanaks pouvant gêner l’exploitation du nickel calédonien par la France ont été éliminés...

"L’Ordre et la Morale", la version Kassovitz d’un crime colonial

C’est sur ordre commun de Chirac et Mitterrand, par la volonté de l’impérialisme français, qu’a été commis le crime colonial d’Ouvéa pour supprimer les nationalistes kanaks. Même s’il révèle certains faits réels, le film de Kassovitz présente les faits comme un dénouement contraire au but des forces armées, comme si elles n’avaient pas été envoyées pour tuer… Le film est cependant dénoncé par les défenseurs de l’impérialisme.

Pour souligner que le point de vue de Kassovitz n’est pas en défaveur des forces de répression, citons le : « Le GIGN est un groupement qui est respecté dans le monde entier car son éthique est que toute mort d’homme, dans ses rangs et dans ceux de ses adversaires, est un échec. Son travail est de négocier et de trouver une solution à des conflits sans qu’il y ait d’effusion de sang, tout en étant prêt à agir dans la violence si nécessaire. »

Mathieu Kassovitz quand il parle de son personnage principal, le responsable du GIGN :

« J’avais une image très romanesque de Philippe Legorjus, quelqu’un qui avait un vrai conflit à trahir la personne en qui il avait confiance. En fait, je suis tombé sur un animal à sang froid, un professionnel. »

Eh oui ! L’Etat a ses professionnels, même pour éliminer ses ennemis...

Le but du film de Kassovitz est la réconciliation... entre les victimes et les assassins ! Ce n’est pas notre but !!!

Ce n’est pas non plus celui des assassins qui ont fait interdire le film en Nouvelle Calédonie...

Les conciliateurs sont aussi ceux des nationalistes qui ont trahi les victimes de la grotte d’Ouvéa....

Il importe de souligner que l’Etat français a choisi de supprimer de manière très précise les dirigeants indépendantistes radicaux au sein du mouvement nationaliste en mouillant à ses côtés les nationalistes les plus modérés. Il convient de rappeler que la gauche revenue au pouvoir juste après le massacre l’a soutenu et couvert, notamment par la voix de son ministre Chevènement...

Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Défense du gouvernement Rocard prétend « qu’aucun élément de l’enquête ne fait apparaître qu’il y a eu des exécutions sommaires ». Pourtant, on cite le cas de Wenceslas Lavelloi retrouvé mort d’une balle dans la tête et dont plusieurs témoignages confirment qu’il était encore vivant après la fin de l’assaut ; le cas d’Alphonse Dianou, chef du commando, blessé d’une balle au genou, laissé plusieurs heures sans soins et qui devait finalement décéder ; le cas de Patrick Amossa Waina, un « porteur de thé » de 18 ans qui ne faisait pas partie des preneurs d’otages, retrouvé mort d’une balle dans la tête alors qu’il était vivant à la fin de l’assaut ; de Martin Haiwe qui tentait de s’enfuir avant l’attaque et de Samuel Wamo. Le légiste ayant pratiqué les autopsies constatera également un nombre anormalement élevé de victimes tuées d’une balle dans la tête : douze sur 19 ont en plus de multiples blessures reçu une balle dans la tête.

Michel Rocard a déclaré lors d’une émission sur France Culture :
« Il y a eu des blessés kanaks et deux de ces blessés ont été achevés à coups de bottes par des militaires français, dont un officier. » Le gouvernement de Michel Rocard entame des discussions rapidement et boucle le dossier politique le 26 juin 1988, par la signature des accords de Matignon. Lesquels contiennent une loi d’amnistie qui s’applique à tous les faits de cette affaire. Fin de l’enquête.


LES FAITS

Le 18 novembre 1984, suite à la formation du FLNKS en remplacement du Front indépendantiste et à l’appel au boycott des institutions et des élections par Jean-Marie Tjibaou, il fracasse une urne d’un coup de hache et dénonce ainsi le système électoral qui selon lui avantagerait les anti-indépendantistes. Le 1er décembre 1984, Jean-Marie Tjibaou forme un gouvernement provisoire de la République socialiste de Kanaky, et Éloi Machoro en devient le ministre de la Sécurité et donc le véritable chef de guerre des indépendantistes.

Il désarme ensuite les gendarmes de Thio et prend le contrôle du village. Les habitants de Thio rapportèrent des humiliations subies pendant le siège : des pressions psychologiques, maltraitance physiques ainsi que des viols. Elles furent révélées sous l’anonymat des victimes mais restent encore à prouver juridiquement. Beaucoup de personnes craignaient des exactions violentes s’ils se prononçaient contre les indépendantistes. Les immigrants d’origine wallisienne et tahitienne ainsi que les mélanésiens non-indépendantistes étaient particulièrement vulnérables. Le seul décès mentionné est celui du boucher de Thio, qui se noya en tentant de s’échapper par la rivière. Après la fin du siège, le 12 décembre 1984, une vague de réfugiés fut évacuée vers Nouméa.

Le 11 janvier 1985, Yves Tual, fils d’un éleveur européen, est tué par des Mélanésiens. Cet évènement déclenche à Nouméa une émeute nocturne. Le lendemain, le 12 janvier, la gendarmerie déclenche une opération pour libérer la maison d’un Européen occupé par des militants indépendantistes emmenés par Éloi Machoro près de Canala. Les occupants s’enfuient, et se réfugient dans une autre demeure, de laquelle la gendarmerie finira par donner l’assaut après plusieurs sommations. Éloi Machoro et un autre Kanak Marcel Nonnaro sont tués pendant l’assaut. La gendarmerie laisse Machoro agoniser durant de longues heures sans lui porter secours, alors qu’il a été abattu à distance par un tireur d’élite. Daniel Cerdan, ancien membre du GIGN, apporte son témoignage sur la « neutralisation » d’Eloi Machoro.

130 militaires de l’armée française prirent part à l’OPERATION VICTOR, sous les ordres du général VIDAL.

Le commando d’assaut était composé de 75 hommes dont :

- 34 parachutistes du 11ème CHOC
- 16 du commando HUBERT
- 14 du G.I.G.N.
- 11 de l’E.P.I.G.N.

Ce commando d’assaut était placé sous les ordres du lieutenant-colonel DOUCET, en face de nationalistes kanaks civils.

Inutile de préciser que les membres de ce commando étaient des hommes d’élites de l’armée française, armée française utilisée dans une opération de police dans un territoire d’outre-mer français...

C’était vraiment une première dans les annales de la cinquième république française !

Le 05 mai 1988, date des deux assauts successifs de la grotte de GOSSANAH les personnes ci-dessous occupaient les fonctions suivantes :

FRANÇOIS MITTERAND président de la république.

JACQUES CHIRAC premier ministre jusqu’au 10 mai 1988.

ALBIN CHALANDON ministre de la justice jusqu’au 12 mai 1988.

CHARLES PASQUA ministre de l’intérieur jusqu’au 12 mai 1988.

CLEMENT BOUHIN haut-commissaire de la république en NOUVELLE-CALEDONIE.

Il est à noter les dates importantes suivantes :

22 avril 1988 Attaque de la gendarmerie de FAYAOUE OUVEA.

24 avril 1988 Premier tour des élections présidentielles françaises.

BERNARD PONS arrive en NOUVELLE-CALEDONIE.

28 avril 1988 BERNARD PONS demande la dissolution du F.L.N.K.S.

29 avril 1988 JOSE LAPETITE est abattu dans la région de VOH.

08 mai 1988 Deuxième tour des élections présidentielles françaises.

30 mai 1988 Le nouveau ministre de la justice PIERRE ARPAILLANGE ordonne une information judiciaire contre x dans le cadre de l’affaire d’OUVEA. Le juge d’instruction JOELLE RONDREUX du parquet de NOUMEA est chargé de cette enquête.

Depuis c’est le silence sur les morts survenues après la reddition des nationalistes kanaks.

HISTORIQUE DES EVENEMENTS PRECEDENTS

1953 : l’UC (union calédonienne, créée en 1951) remporte la majorité des sièges au Conseil Général « Colons et autochtones unissez-vous », « l’année du centenaire sera l’année de la libération ». Mouvement d’émancipation sociale réclamant une présence kanak dans les institutions mais ne proposant aucune modification du statut colonial.

 1956 : loi-cadre Defferre, décentralisation des pouvoirs ; l’UC obtient la majorité à l’assemblée territoriale en 1958 ; le Rassemblement Calédonien, formation de la droite coloniale obtient 37 % aux élections de 1958.

 1963 lois Jacquinot : coup d’arrêt donné par le régime gaulliste à l’évolution du statut politique de la Nouvelle-Calédonie et régression de statut en statut 1963, 1969, 1976, 1979...

 Une nouvelle vague de colons vient répondre aux nouveaux besoins de l’économie locale boostée par le boom du nickel des années soixante. Dans le même temps le retour de France des diplômés confrontés au chômage, leur politisation à l’épreuve de mai 68, l’accroissement de la population kanak et la nécessité corollaire d’extension des terres, concourent à la radicalisation de la situation politique.

 Création des Foulards Rouges, arrestation de Niddoish Hnaissilin 2 septembre 1969, apparitions de tract en « langue » (une des 23 langues kanak).

 1970 : création de l’Union Multiraciale (plus tard le FULK) considérée comme le premier parti créé par des kanak ; apparition du groupe 1878 dont la revendication principale porte sur la récupération des terres spoliées par les colons.

Les années soixante-dix

Elles marquent le passage de la revendication d’autonomie à celle d’indépendance :

 D’une part, le courant indépendantiste avec les foulards rouges et le Groupe 1978 se regroupent pour former le Palika (Parti de la libération kanak) en 1976.

 D’autre part en 1975 les divers courants autonomistes constituent avec les foulards rouges un comité de coordination pour l’indépendance kanak dont l’existence sera éphémère.

Le Palika représentera alors l’organisation la plus radicale du mouvement indépendantiste basant sa revendication foncière sur la redistribution à la collectivité des terres récupérées (par opposition à l’appropriation privée des parcelles). Il envisage « l’indépendance kanak populaire et révolutionnaire »

Parallèlement l’UC dont la plupart des adhérents européens se détache, se transforme en une organisation nationale kanak et se dirige progressivement vers la revendication indépendantiste pour laquelle elle se prononcera en 1978.

Durant cette période le Palika se trouvera à la pointe des mobilisations en particulier en 1978 dans la grève des ouvriers de la SLN (société le Nickel, plus de 3 000 employés à l’époque) qui durera 51 jours à l’issue de laquelle un comité de réflexion a été installé pour introduire le débat politique anticolonialiste sur le terrain syndical, en particulier à l’USOENC, principal syndicat, affilié à la CFDT.

Du FI au FLNKS

En 1981, à son arrivée au pouvoir, le PS tente d’appliquer le plan Dijoud de réforme foncière héritée du précédent gouvernement pour désamorcer les tensions qui se font sentir : les occupations des terres se multiplient et les attributions de terres se font dans le cadre des principes coutumiers .

Le PS et le PC revoient à la baisse le principe de la reconnaissance du droit à l’autodétermination inscrite dans le programme d’union de la gauche, se repliant sur une autonomie transitoire.

Sur le plan institutionnel, une alliance FI-FNSC (centriste) met en minorité le RPCR et constitue un gouvernement auquel participent 4 indépendantistes.

Les ministres des DOM-TOM se succèdent, Lemoine remplace Emmanuelli ; les statuts se succèdent : Pisani, Lemoine,...mais ils ne tiennent pas compte du « droit inné et actif à l’indépendance du peuple kanak » inscrit dans la déclaration de Nainville les Roches »

 1980 : création du Comité de revendication des terres de la côte ouest.

 1981 : assassinat de Pierre Declercq, secrétaire général de l’UC et création du STKE devenu USTKE Union des syndicats des travailleurs kanak et des exploités l’année suivante.

 Septembre 1984 : Congrès constitutif du FLNKS, boycott actif des élections territoriales, qui s’accompagne de barrages, occupations de terres, manifestations, et conduit avec Eloi Machoro au siège de Thio, village minier de la côte Ouest.

Le même mois, création du gouvernement provisoire de Kanaky.

 1985 : plan Pisani d’indépendance-association Assassinat le 12 janvier d’Eloi Machoro et de Marcel Nonnaro par les gendarmes français sur ordre de Matignon, en accord avec Mitterand.

 1987 : Boycott du référendum.

 août 1987, le FLNKS qui a opté pour la non-violence, voit son sit-in pacifique matraqué violemment de manière impressionnante...

 Avril 1988 : A Ouvéa, attaque de la gendarmerie dans le cadre d’une action décidée sur tout le territoire par la direction du FLNKS. Les militants kanaks se réfugient dans la grotte dont Pons et Chirac, avec l’assentiment de Mitterrand, ordonnent l’assaut : 19 kanaks sont assassinés.

 Juin 1988 : accords de Matignon-Oudinot, suivis d’un référendum, qui instituent une autonomie relative et un corps électoral particulier en vue d’un futur referendum sur l’avenir du Territoire.

Ce statut sera revu lors des accords de Nouméa en 1998 accordant un statut de large d’autonomie et de transmission des compétences au territoire repoussant la date du référendum aux calendes grecques.

Le FLNKS, majoritaire dans les provinces Nord et Iles, s’engage dans un processus de cogestion.

En avril 1988, la France a vécu deux ans de cohabitation droite/gauche. En Nouvelle-Calédonie, en 1984, une embuscade est menée à Hienghène dans laquelle 10 indépendantistes sont tués, dont deux frères du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou.

Devant ces événements, le gouvernement décide de tenter de calmer la révolte anti-coloniale en la détournant par l’annonce d’un référendum concernant l’indépendance éventuelle de la Nouvelle-Calédonie ; le 13 septembre 1987, Jacques Chirac étant Premier ministre de la première cohabitation sous la présidence de François Mitterand, a lieu le "référendum Pons" d’autodétermination : le question posée à près de cent cinquante mille habitants de la Grande Terre et des Îles Loyauté (Maré, Lifou et Ouvéa) est la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance ou demeure au sein de la République française ? ». Si le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) appelle au boycott du scrutin, la participation est de 59 % pour un résultat de 98,3 % de voix favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République Française.

En octobre 1987, un regain de tension se manifeste dans les rangs du FLNKS suite à l’acquittement, par la cour d’assise de Nouméa, des 7 auteurs de l’embuscade menée en 1984. Les indépendantistes manifestèrent leur colère, conspuant le fait que le jury - tiré au sort parmi les citoyens français selon les lois de la République - fût composé exclusivement d’Européens.

Parallèlement, l’élection présidentielle coïncida avec les élections régionales instaurant un nouveau statut pour le territoire, le controversé statut Pons. Le FLNKS, qui à l’époque rassemble la majorité des mouvements indépendantistes, rejette celui-ci et appelle à un « boycott actif » des élections.

Le vendredi 22 avril 1988 au matin, à Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa, deux jours avant le premier tour des élections présidentielles, des indépendantistes kanaks et membres du FLNKS, attaquent la gendarmerie, dans le but de l’occuper jusqu’au jour du deuxième tour. L’attaque dégénère et quatre gendarmes sont tués par balles1 et trois indépendantistes blessés2. Les médias de l’époque relayant les propos du premier ministre Jacques Chirac1 annoncent pourtant que les trois gendarmes ont été « massacrés à l’arme blanche », ce qui est contesté par les autopsies et les témoignages des autres gendarmes.

Les 27 autres gendarmes, désarmés, sont pris en otage et séparés en deux groupes. Le premier groupe, mené par Chanel Kapoeri, se rend dans le sud de l’île à Mouli, où les otages sont finalement libérés trois jours plus tard, à la demande des « vieux » et des coutumiers. Le second groupe de 16 otages conduit par Alphonse Dianou est emmené dans une grotte près de la tribu de Gossanah.

L’argent ( du nickel calédonien ) n’a pas d’odeur

Alors qu’un mouvement de décolonisation s’amorce dans les autres colonies françaises au début des années 1960, le processus connaît pour la Nouvelle-Calédonie et les autres territoires français du Pacifique un brutal coup d’arrêt revenant sur l’essentiel des lois cadres : en 1963 le Conseil de Gouvernement est placé sous l’autorité du Gouverneur et en 1968, la loi Billotte retire à l’Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie l’essentiel de ses pouvoirs, entre autres sur le nickel.

Eh oui ! Le nickel est le but de la colonisation du territoire et la raison pour la France de refuser de s’en retirer !!!

Trop de profit !

Le nickel calédonien, c’est 30% des réserves mondiales...

En France, très peu d’informations, encore moins de recherches, de témoignages, de publications, sur ce pan de nos forfaits coloniaux en Kanaky. Il faut, souvent, recourir à des travaux d’universités australiennes ou néo-zélandaises pour avoir des documents, des analyses. Seul le folklore Kanak est, à présent, célébré par l’administration coloniale… Hors folklore : silence !

Des européens courageux ont essayé de dénoncer, d’entraver, pareils comportements. Ils ont tous été la cible d’attaques et de menaces des milieux colonialistes.

Parmi les plus déterminés, citons le missionnaire protestant Maurice Leenhardt (7), ainsi qu’un de ses élèves, Jean Guiart. Ils n’ont cessé de critiquer l’administration, les milieux colons et l’idée même du colonialisme. Unanimement respectés par le peuple Kanak et dans le Pacifique. Luttant aux côtés des Kanaks, dont l’interdiction de se déplacer librement dans leur propre pays n’a été levée qu’en 1946 …

Deux témoignages :

Le premier, antérieur au soulèvement des années 1980, de Rock Pidjot, une des grandes figures de l’indépendance Kanak :
“… C’est un pays où les autochtones, qui représentent la moitié de la population, sont les seuls à ne pas être propriétaires des terres sur lesquelles ils vivent mais où trois gros propriétaires fonciers possèdent le tiers des terres données en concession lors de la colonisation française (90.000 hectares sur 280.000)…
La Nouvelle-Calédonie attend toujours sa décolonisation. Tous les autres pays du Pacifique sont devenus indépendants ou autonomes : Fidji, Samoa, Tonga, Nauru, Nouvelle Guinée. Il n’y a plus que la France qui conserve, sous de nouvelles dénominations, de véritables colonies…” (8)

Le second, de Marc Coulon :
“… Le 9 mai 1985… des commandos armés, menés par Henri Morini, chef du service d’ordre du RPCR [ancienne émanation de l’UMP local, NdA], ont attaqué un paisible meeting Kanak à Nouméa. Cela n’a pas suffi. Une chasse aux Kanaks s’est amplifiée démesurément, pendant des heures, dans plusieurs quartiers de la ville ; la droite déclenchait la guerre ethnique ou plutôt raciste. L’apartheid ne suffisait pas, il leur faut massacrer…
Les razzias des garde-mobiles [gendarmerie, NdA] dans les tribus (offensives à la grenade, attaques des femmes et des enfants, saccages des cases, destructions des matériels et mobiliers, passage à tabac…) ; les arrestations nombreuses et durables des militants politiques et leur séquestration dans des conditions sans rapport avec aucun discours sur les droits de l’homme, l’espionnage public et privé permanent des activités des leaders… ” (9)

La “gendarmerie”, considérée comme une armée d’occupation, une milice coloniale au service d’intérêts privés, et non pas d’un Etat républicain, démocratique. Honnie, méprisée, vomie, par le peuple Kanak…

Evidemment, cette féroce répression n’a pas pour finalité la préservation de milliers d’hectares ou la production de tonnes de viande pour le bénéfice d’une poignée de colons racistes. Mais, l’appropriation, la spoliation d’une colossale richesse à l’échelle de la planète.

Car, la Kanaky est fabuleusement riche : elle détient, au minimum, le quart des réserves mondiales de Nickel, non comprises celles qui se trouveraient offshore…

Ressource naturelle exploitée dès 1880 par une société constituée à cet effet, Le Nickel, propriété de la famille Rothschild qui en fit à la fin des années soixante la maison-mère de l’ensemble de ses sociétés minières, la locomotive de son pôle minier… (10) Après une multitude de tribulations boursières et juridiques, inévitables changements d’actionnaires et restructurations, cette richesse est actuellement exploitée par le groupe français “Eramet”. Dont le siège se trouve, non pas en Nouvelle-Calédonie, mais dans la Tour Montparnasse, à Paris. (11)

Ce groupe, organisé en plusieurs filiales, revendique ainsi les titres de 6ème producteur mondial de nickel, et 2ème producteur mondial de ferronickel, alliage utilisé dans l’élaboration des aciers inoxydables, et 1er producteur mondial de chlorure de nickel. Le marché des “aciers inoxydables et alliages” représentant 85% de son chiffre d’affaires, en 2010. (12)

Le monde étant petit, il n’est pas inintéressant de noter qu’Eramet dans ses actions de diversification a conclu des accords de partenariat avec le groupe Bolloré qui a affiché ses ambitions dans la construction de la voiture électrique. En février 2009, pour : « … l’extraction et la transformation de lithium pour la fabrication de batteries électriques rechargeables pour l’automobile ». En février 2010, pour : « … l’exploration assortie d’une option d’achat portant sur des gisements de lithium avec la société argentine Minera Santa Rita ». (13)

Les opérations d’extraction du minerai (garniérites) en Nouvelle-Calédonie, avec 5 centres miniers situés dans le Nord et le Sud de l’Ile, s’effectuent sous couvert d’une filiale qui a pour nom Le Nickel-SLN. Avec une usine de transformation du minerai en ferronickel dans l’usine métallurgique de Doniambo, à proximité de Nouméa (80%). Le reste (20 %) est transformé en France, à la raffinerie de Sandouville, sous forme d’une matte de nickel.

Curieuse configuration que l’actionnariat d’Eramet, suite à une rocambolesque jonglerie qui fait le charme subtil du Libéralisme Economique : aux côtés d’actionnaires et “porteurs” d’actions privés, l’Etat français se réserve 27,37 % des actions (dont Areva 26%), la part de la Nouvelle–Calédonie ou Kanaky [les 3 provinces regroupées dans une STCPI] se trouvant réduite à 4,16 %. (14) Autrement dit, la nation Kanak dont le nickel est à la source de la fortune de ce qui est devenu au fil du temps le groupe Eramet, avec ses cascades d’actionnaires et de filiales, doit se satisfaire d’un bol de pois-chiches…

Apartheid et révoltes

La nation Kanak, spoliée de ses terres et ressources naturelles, niée dans son droit à l’autodétermination, marginalisée dans sa représentation aux postes de responsabilité (administration, enseignement, professions libérales, directions d’entreprises, etc.), maintenue dans la pauvreté, la précarité, l’humiliation, refuse de se voir folklorisée dans des “réserves” ou des parcs nationaux pour touristes, de voir sa jeunesse sombrer dans le chômage, l’alcoolisme, la drogue, la délinquance.

Autorisant la puissance coloniale à toutes les répressions et les justifications racistes. La population carcérale est actuellement de 200%, le gouvernement français planifiant, dans sa stratégie visionnaire, la construction de nouveaux centres pénitentiaires et une augmentation des effectifs de police…

Alors, la révolte ne cesse pas et jamais ne cessera face à ce qui est, dans les faits, un abject apartheid destiné à maintenir la suprématie des colons européens.

Un évènement a marqué l’histoire récente, déformé, caricaturé et enseveli par les médias de la désinformation :

Le 5 mai 1988, des troupes spéciales françaises (15) donnent l’assaut à une grotte, dans l’île d’Ouvéa (16), où s’étaient retranchés des indépendantistes Kanaks, avec des gendarmes pris en otages. Point culminant de troubles qui avaient mené le pays au bord d’une guerre civile entre des colons, avec leurs auxiliaires, et des résistants d’origine Kanak. (17)

Les otages sont libérés. Mais les 19 indépendantistes sont tués, plusieurs “… après la prise de la grotte dans des circonstances déshonorantes pour l’armée française (18)”. Michel Rocard, dans une déclaration, dénonce l’assassinat de deux indépendantistes blessés :

“… J’ai honte aussi quand deux militaires ont achevé à coups de crosse deux preneurs d’otage à Ouvéa.”

D’après des témoins, beaucoup plus : sommairement exécutés, ou achevés pour les blessés. Dont Alphonse Dianou, qu’on retrouvera le visage défoncé et les pansements arrachés.

Le 26 juin 1988, sont signés les accords de Matignon, mettant un terme provisoire aux déchirements que vit cette colonie. Accord signé grâce à l’influence modératrice du leader indépendantiste, Jean-Marie Tjibaou (19). Un référendum d’autodétermination est prévu “à partir de 2014”… Ce qui, en fait, ne veut rien dire.

Méconnu en France, où la propagande coloniale censure dans ses médias le discours et la présence d’une telle personnalité, il est considéré dans la région du Pacifique (20), comme une immense figure historique. Par son intelligence, sa sagesse, sa détermination, dans la grande lignée des Gandhi ou des Martin Luther King. De ceux qui ont su redonner la dignité à leur peuple et exiger le respect de leur identité, dans l’humanité à l’égard des autres.

Evidemment… Un an plus tard Jean-Marie Tjibaou est assassiné, avec son adjoint à la direction du parti indépendantiste FLNKS, Yeiwéné. Il s’y attendait.

Plusieurs de ses lieutenants avaient été tués par des snipers de la gendarmerie, Eloi Machoro (21) et Marcel Nannoro, pour ne citer que les plus connus. Deux de ses frères avaient été assassinés, en 1984, avec huit autres Kanaks, dans une embuscade tendue par des colons. Brûlés vifs, encore blessés, dans leurs voitures, criblées de balles. Le tristement célèbre, dans la région Pacifique, massacre d’Hienghène. En dialecte local, Hienghène : “Pleurer en marchant” …

Tous les assassins ont été acquittés pour “légitime défense”, à la suite d’un simulacre de procès, en 1987, analogue à ceux de l’Alabama, de l’Arkansas ou d’autres Etats racistes des USA, du temps de la ségrégation raciale. Tous les membres du Jury étaient des colons, les sinistres “caldoches”, qui ne dépareraient pas dans une assemblée du Ku-Klux-Klan. Il n’y a pas de juge ou d’avocat Kanaks, en Kanaky…

Son pressentiment s’est réalisé le 4 mai 1989. Une balle en pleine tête, tirée par un Kanak, à bout portant, lors d’une commémoration du massacre d’Ouvéa. Comme souvent dans ce genre d’opérations, l’assassin est immédiatement abattu, sans sommation, par un policier présent. Pas d’enquête, pas de procès. Affaire classée…

Le référendum est ainsi repoussé en 2018, par les Accords de Nouméa du 4 mai 1998. Le temps, pour la puissance coloniale, de s’assurer une majorité contre l’indépendance, par un basculement démographique. Schéma classique, que les USA ont pratiqué dans l’archipel d’Hawaii.

Certains hommes politiques français ont le courage d’avoir honte. Ils sont très rares. Combien ont souscrit aux propos de Michel Rocard ? Il avait découvert, il est vrai, le “Dossier Néo-Calédonien” dans tous ses “détails”, en tant que premier ministre lors de la présidence Mitterrand. Choqué, atterré, il s’était démarqué du cynisme colonial par cette volonté de contrition :
“… La France a fait des choses dont j’ai honte. Quand l’armée chassait les tribus de la mer [surnom des Mélanésiens, NdA] à coups de fusil pour faire place aux colons. le grand-père de Jean-Marie Tjibaou a couru comme ça en portant un enfant de quatre ans. A côté de lui, un proche est tombé d’une balle dans le dos…”

Mais, la honte ne change pas grand-chose… L’exploitation, la répression continuent, se perpétuent, dans l’autosatisfaction et l’hypocrisie. Au mépris des principes élémentaires d’une république dite démocratique et civilisée….

Parmi les infamies les plus marquantes de ces dernières années : le 16 janvier 2008. Une manifestation pacifique de militants syndicaux de l’USTKE (Union Syndicale des Travailleurs Kanaks et des Exploités), salariés de l’entreprise de transport en commun Carsud, en conflit avec leur direction (groupe Veolia), est réprimée, avec une violence féroce, par la gendarmerie mobile. (22)

On dénombre 20 blessés, dont cinq grièvement. A cela, s’ajoute arrestations et emprisonnements préventifs, en attente d’un jugement par le tribunal correctionnel de Nouméa. Le 21 avril 2008, ce tribunal rend son jugement : 23 de ces syndicalistes sont condamnés à des peines de prison ferme, allant de 1 mois à 1 an, associées à une privation des droits civiques pendant 3 ans pour les responsable syndicaux…

Dernièrement : le 8 août 2011. Oui, le mois dernier. Gravissime évènement, totalement étouffé dans nos médias, dans le mensonge. L’île de Mare (Nengone en Kanak), à une demie heure de vol de Nouméa, 4 morts et 30 blessés dans un conflit avec la société de transport aérien desservant l’archipel, Aircal (Air Calédonie). Devant une augmentation des tarifs inacceptable pour les insulaires, un collectif des usagers et des travailleurs des îles de Nengone (Mare), Drehu, Iaai, et Kunie, occupe pacifiquement piste et aéroport de l’île.

Une milice patronale, coloniale pour être sociologiquement plus précis, comme il y en a tant en Kanaky, surgit, attaque, mitraille, pour tuer et terroriser. Orgie sanguinaire, d’une implacable cruauté. S’évanouissant dans la nature et provoquant l’envoi aéroporté des forces de l’ordre. En Kanaky, on ne discute pas : on tire dans le tas… Inévitablement, parfaitement rodée, la propagande prend le relais pour désinformer : guerre tribale, règlement de comptes clanique, etc. (23)

Sous-entendu : « Que voulez-vous chez ces sauvages… Ils se complaisent dans le sous-développement… Passant leur temps à se battre entre eux… Heureusement que nous sommes là… »

Ne noyons pas notre tête dans le sable : un massacre organisé de 4 tués et 30 blessés dans une petite île, est l’équivalent de 4.000 tués et 30.000 blessés à la dimension d’un pays. Un crime contre l’humanité. Les responsables, commanditaires, qui organisent, cautionnent, couvrent, l’action de ces milices ou escadrons de la mort, similaires à ceux qui sévissent en Colombie et autres pays d’Amérique latine, méritent le Tribunal de La Haye.

Kanaky : symbole du pillage colonial, de la sauvagerie prédatrice, de la terreur raciste, de l’impunité criminelle.

En visite au Québec, à Montréal en 1967, le général de Gaulle avait eu le courage, l’audace, de crier devant micros et caméras : « Vive le Québec Libre ! ». A Nouméa en vain, j’ai attendu, espéré, rêvé, un même élan chevaleresque, Don Quichotesque. Sarkozy, bras levés, pin de l’OTAN à la boutonnière, épingle à cravate siglée ONU, charismatique de panache, christique de grandeur d’âme, rugir face à la foule :

« Vive la Libye Kanaky Libre ! »…

(1) In Le Dossier Calédonien, Jean-Paul Besset, Cahiers Libres, La Découverte, 1988, p. 75.

(2) Deckker, Paul & al., ouvrage collectif, Le Peuplement du Pacifique et de la Nouvelle-Calédonie au XIX° siècle – Condamnés, colons, convicts, chan dang, Actes du Colloque Universitaire International, publiés sous la direction de Paul de Deckker, Editions l’Harmattan, 1994, p. 318.
(3) Soussol, Alain, Université de Montpellier, in Paul de Deckker, (Op. Cit.), p. 362.
(4) In Paul de Deckker, (Op. Cit.), p. 363.
(5) In Paul de Deckker, (Op. Cit.), p. 365.
(6) Guiart, Jean, La Terre est le sang des Morts – La Confrontation entre Blancs et Noirs dans le pacifique sud français, Editions Anthropos, 1983.

(7) Clifford, James, Maurice Leenhardt – Personne et Mythe en Nouvelle-Calédonie, Editions Jean-Michel Place, 1987.
(8) Rollat Alain, Tjibaou le Kanak, (Op. Cit.), p. 149.
(9) Coulon, Marc, L’Irruption Kanak – de Calédonie à Kanaky, Messidor Editions Sociales, 1985 p. 219.

(10) Cf. : Histoire et évolution de la société sur le site officiel : http://www.eramet.fr/fr/Site/Template/T1.aspx?SELECTID=47&ID=54

(11) ERAMET Nickel – Tour Maine Montparnasse – 33, avenue du Maine – 75755 PARIS – Cedex 15 – Tel. : 33 1 45 38 42 00 – 33 1 45 38 73 48

(12) Cf. : Nos activités – Nickel : Chiffres clés – Chiffre d’affaires par marché en 2010 : http://www.eramet.fr/fr/PRODUCTION_GALLERY_CONTENT/DOCUMENTS/Nickel_In_Society_FR.pdf & Rapport Annuel 2010 (téléchargeable), notamment p. 3.

(13) Nos activités, Op. & site Cit.

(14) STCPI : Société Territoriale Calédonienne de Participation Industrielle

(15) Plenel, Edwy et Rollat, Alain, Mourir à Ouvéa – Le Tournant Calédonien, La Découverte, 1988.

(16) Picard, Gilles, L’affaire d’Ouvéa, Editions du Rocher, 1988.

Exemple emblématique de l’ouvrage de désinformation et de propagande, destiné à discréditer l’aspiration à l’indépendance d’un peuple. La presse de l’époque reprenait, dans sa majorité, les mêmes clichés pour anesthésier l’opinion publique métropolitaine. Avec, face à des “barbares”, “l’élite de l’élite de l’armée” représentant la défense de la civilisation, sans craindre boursouflure et ridicule :

“… les muscles des maxillaires se sont contractés…” (p. 94).
(17) Face à la censure du débat, en France, sur la situation coloniale en Nouvelle-Calédonie, saluons le courage de Mathieu Kassovitz pour avoir réalisé un film sur l’affaire d’Ouvéa. Dans les pires difficultés. Notamment : refus de l’armée et de l’administration de collaborer. Sortie prévue : le 16 novembre 2011. Le titre du film est en soi tout un programme : « L’Ordre et la Morale ».

(18) Spencer, Michael & al., Nouvelle-Calédonie – Essai sur le Nationalisme et la Dépendance, Editions L’Harmattan, 1987. p. 299.

(19) Rollat, Alain, Tjibaou le Kanak, Editions La Manufacture, 1989.

(20) Cf. Michael Spencer (Op. Cit.).

Le rôle et l’influence de Jean-Marie Tjibaou, en Kanaky et dans le Pacifique, systématiquement occultés par la propagande française (il n’est même pas cité dans l’article français de Wikipedia sur la Nouvelle-Calédonie !…), sont unanimement reconnus chez les chercheurs et responsables de la région Pacifique, notamment anglo-saxons, y compris en Australie et en Nouvelle-Zélande…
(21) La stèle, commémorant ce crime d’Etat, porte comme mention :

“ Eloi Machoro, combattant de la liberté, victime de l’ordre colonial d’Etat français, assassiné le 12 janvier 1985 ”.

(22) Le groupe Veolia, une fois de plus, fait étalage de son constant souci éthique dans le respect des droits de l’homme et de la dignité humaine…

(23) Cf. : communiqué de l’UGTG sur cette tuerie coloniale : Guadeloupe-Kanaky même combat, http://ugtg.org/article_1557.html & http://www.internationalistes13.org/article-guadeloupe-kanaky-meme-combat-communique-de-l-ugtg-81091710.html

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