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Le journal "L’Humanité", tel que vous ne l’avez jamais lu...

samedi 14 janvier 2012, par Robert Paris

L’HUMANITÉ

VIVE LA RÉVOLUTION RUSSE DE LÉNINE ET DE TROTSKY

A l’époque, on ne disait pas Lénine et Staline !!!

Quand Trotsky était cité à la une du Bulletin Communiste comme principal dirigeant du Congrès de l’Internationale Communiste

Pour parler de la question paysanne, on donnait la parole dans l’Huma à Trotsky...

Le 14 octobre 1927, le journal communiste L’Humanité pouvait encore écrire :


"Aucun des délégués de l’Internationale communiste n’oubliera le saisissant rapport de Trotsky sur la "nouvelle politique" des soviets. Ce fut un exposé d’une clarté, d’une logique, d’une force rares. Il faut être bouché à l’émeri pour ne rien comprendre à une démonstration si convaincante..."

Peu de mois après, une telle déclaration était synonyme d’exclusion du PC devenu stalinien et , quelques années plus tard, d’élimination politique sinon physique !!!!

Quand Trotsky rédigeait l’éditorial de l’Humanité

L’avènement du bolchévisme

Lorsque notre parti s’empara du pouvoir nous connaissions d’avance toutes les difficultés que nous allions rencontrer. Au point de vue économique, le pays par suite de la guerre, était épuisé jusqu’au dernier degré. La révolution avait détruit le vieil appareil administratif, sans avoir le temps d’en créer un nouveau pour le remplacer. Des millions de travailleurs avaient été, dans cette guerre de trois ans, projetés hors des cellules économiques du pays, déclassés et moralement déracinés. L’énorme industrie de guerre, reposant sur une base économique insuffisamment préparée, dévorait les force vive du peuple.

La démobilisation de cette industrie soulevait les plus grandes difficultés. Des phénomènes d’anarchie économique et politique s’étendaient sur tout le territoire du pays. Les paysans russes avaient été, pendant des siècles, maintenus agglomérés, d’une façon élémentaire, par la discipline barbare du pays et comprimés de haut en bas par la discipline de fer du tsarisme. Or, le développement économique avait ruiné la première et la Révolution avait détruit la seconde de ces disciplines.

Au point de vue psychologique, la Révolution signifiait pour les masses paysannes le réveil de la personnalité humaine. Les formes anarchiques de ce réveil étaient les conséquences inévitables de l’oppression jusqu’alors subie. On ne peut arriver à établir un nouvel ordre de choses, reposant sur le contrôle de la production par les travailleurs eux-mêmes, qu’en éliminant continuellement et radicalement les manifestations anarchiques de la révolution.

Mais d’autre part, les classes possédantes, même quand elles ont été chassées du pouvoir, ne veulent pas abandonner leurs positions sans combattre. La révolution a posé, de la façon la plus radicale, la question de la propriété privée du sol et des moyens de production –question de vie ou de mort pour les classes capitalistes. Au point de vue politique, cela signifie une guerre civile tantôt dissimulée et tantôt à découvert, mais toujours acharnée et continuelle.

Mais la guerre civile, quant à elle, entretient inévitablement toutes les tendances anarchiques existant dans le mouvement des masses ouvrières. C’est ainsi, que lorsque l’industrie, les finances, les moyens de communication et le ravitaillement sont en décadence, une guerre civile permanente engendre des difficultés inouïes dans l’œuvre de production et d’organisation.

Néanmoins, le Gouvernement des Soviets a le droit d’envisager l’avenir avec une pleine confiance. Seul un calcul exact de toutes les ressources du pays, seule une organisation rationnelle de la production, c’est-à-dire une organisation établie sur un plan d’ensemble, et seule une répartition économe et raisonnable de tous les produits peuvent sauver le pays. Or, c’est cela qui est le socialisme. Ou bien déchéance définitive au rang d’une simple colonie, ou bien renaissance socialiste-voilà l’alternative devant laquelle est placé notre pays.

La guerre a miné le sol de l’univers capitaliste tout entier . C’est là ce qui fait notre invincible force. Le cercle de fer de l’impérialisme dont nous sommes oppressés sera brisé par la révolution prolétarienne. Nous n’en doutons pas un seul instant, pas plus que, durant les longues années de notre lutte souterraine contre le tsarisme, nous n’avons douté de son inévitable effondrement.

Combattre, serrer les rangs, instaurer la discipline ouvrière et l’ordre socialiste, accroitre la productivité du travail, et n’avoir peur d’aucun obstacle, voilà notre devise. L’Histoire travaille pour nous. Tôt ou tard, la Révolution prolétarienne éclatera en Europe et en Amérique, et apportera la délivrance non seulement à la Pologne, à la Lituanie, à la Courlande et à la Finlande, mais aussi à toute l’humanité souffrante.

Léon Trotsky. (article de l’Humanité du 7/11/1922)

Un article historique de l’"Humanité"

Un article historique du journal "L’Humanité" du 24 août 1921

De zéro à cinq millions d’hommes

Le roman héroïque de l’Armée Rouge raconté par son créateur : Trotzky

24 août 1921

J’ai pour Trotzky — autant le dire avant qu’on ne s’en aperçoive — une vive admiration.

Trotzky n’a rien du doctrinaire, mais tout de l’homme d’action et d’organisation. En un pays où l’énormité des distances et la lenteur des communications suppriment chez tous — chez presque tous — la notion du temps, où les méthodes de précision et d’exactitude sans lesquelles nous ne concevons pas de travail pratique sont en général inconnues, il règle, lui, ses occupations, sur une observation scrupuleuse de l’heure. Il besogne à la façon d’un occidental, en « homme d’affaires ». Sans doute parce qu’il est juif. Cela n’importe point.

L’essentiel, c’est que son activité aboutit à des résultats féconds. Chaque fois qu’il faut créer ou remettre sur pied un service, on s’adresse à lui. Depuis un an, on lui a confié les chemins de fer, qui ne marchaient plus guère ; ils fonctionnent. Lénine a songé, dit-on, à remettre entre ses mains, l’industrie. Mais ce qui restera toujours, quoi qu’il entreprenne, son œuvre maîtresse, c’est la formation de cette armée rouge qui, depuis trois ans, a permis à la Révolution de lutter victorieusement et de vivre.

L’armée rouge ? Nous savons tous, parbleu, quelle était redoutable, puisque nous connaissons ses exploits. N’empêche que quand Trotzky, dans une de nos premières conversations, a laissé tomber comme une chose naturelle le chiffre des effectifs auxquels elle a fini par monter, nous nous sommes, à quelques-uns, regardés stupéfaits.

« L’année dernière, disait-il, au moment de la guerre avec la Pologne, nous avions sous les armes cinq millions trois cent mille soldats... »

Cinq millions, peste ! C’est un chiffre que personne en Europe, je crois, n’a soupçonné.

« Ne me raconterez-vous pas pour l’Humanité comment vous êtes arrivés là ? » lui ai-je demandé ? « Mais tant que vous voudrez ! » m’a-t-il répondu en souriant. Et, pendant plusieurs après-midi, dans son cabinet du Commissariat de la guerre, il s’est prêté à mes questions avec une bonne grâce inépuisable, et m’a fourni tous les éléments d’une histoire de l’armée rouge qu’il me faut malheureusement trop résumer ici.

Des débuts peu commodes

« L’armée a été instituée, en principe, par un décret du 15 janvier 1918, signé de Lénine et des commissaires à la guerre et à la marine, Dybenko et Podvoisky. Je négociais alors la paix de Brest-Litovsk avec l’Allemagne comme commissaire aux Affaires extérieures, et c’est en mars que j’ai pris mes nouvelles fonctions.

« Il n’y avait plus rien. L’ancienne armée s’était dissoute au hasard ; les hommes étaient partis chez eux, le matériel gisait un peu partout, abandonné au hasard de l’arrêt des trains. Les soviets locaux, tout jeunes alors, très primitifs encore, me télégraphiaient : « J’ai dix canons..., j’ai un parc d’aviation... Dix soldats..., cinq marins... ». Vous voyez cette pagaïe !

« Mon bureau, à Smolny ? Une foire ! Des gens y venaient, de tous les coins du pays : « Donnez-nous des souliers ! vous n’auriez pas un colonel ? » Reportez-vous à la description que fait Lissagaray du ministère de la Guerre sous la Commune. C’était cela.

« Mettre de l’ordre là-dedans, ce n’était pas facile. Je n’avais aucune compétence et j’ai songé d’abord à me faire aider par les missions étrangères, qui caressaient l’espoir que nous reprendrions la guerre. Mais quand j’ai vu le chef de la mission française, le général Niessel, jouer avec moi au général allemand et mettre ses bottes sur ma table, quand j’ai constaté surtout le scepticisme de tous ces professionnels, je les ai mis à la porte. Ils ont regagné leurs pays peu après.

« Un camarade du Parti, Bontch-Brouevitch, m’a amené son frère, général tsariste. Je l’ai pris et je l’ai invité à constituer un état-major en le flanquant de deux communistes pour le surveiller. Il a d’ailleurs parfaitement rempli son office. Il professe maintenant la géodosie à l’Université.

« Avec lui, nous avons commencé à débrouiller la situation. Mais vous voyez cela ? Un général tsariste ? On a commencé par crier à la trahison, par refuser de m’obéir. Le Comité central, heureusement, me comprenait et m’aidait. Pour rétablir la discipline, nous avons sévi impitoyablement. Il le fallait.

« Dans ce qui s’offrait à moi, il y avait de tout : des brigands, des demi-brigands. Un homme, qui venait avec une petite troupe, avait les poches pleines d’or et de montres ; on l’a fusillé. Il y avait des mouchards, des espions. Il a fallu pratiquer de sérieuses opérations d’hygiène révolutionnaire.

« Partout, des initiatives intéressantes se faisaient jour, mais de quelle façon ! Quand un noyau se constituait, l’esprit fédéraliste s’en mêlait nous avions une armée de Tver, ou de Vladimir. Le dégoût général du militarisme empêchait toute cohésion. C’était fou !

La reprise de Kazan

« Enfin en mai, l’appareil fut sur pied : sept régions étaient constituées avec leurs subdivisions de gouvernements, de cantons, de volosts.

« Je n’avais pas osé commencer par rétablir l’obligation militaire : le volontariat seul fonctionnait. Il nous avait alors donné environ 200.000 hommes : anciens soldats et membres des Jeunesses communistes surtout. L’affaire tchéco-slovaque survint et l’élan nécessaire se produisit.

« Vous vous souvenez de cette aventure : les divisions tchéco-slovaques de l’armée autrichienne étaient passées dans nos rangs en entier pendant la guerre.

Nous les avions cantonnées sur la Volga. Travaillées par Savinkov et les socialistes — révolutionnaires, elles se soulevèrent et occupèrent Kazan, Simbirsk et Samara.

« Toukhatchevsky, ancien officier tsariste, converti au bolchevisme pendant sa captivité en Allemagne, qui commandait en chef l’an dernier contre la Pologne, dirigeait Simbirsk notre première armée ; Vatsetis, un Letton, qui a été notre premier généralissime, menait la cinquième devant Kazan. Pauvres armées, de 6 à 8,000 baïonnettes chacune. Je m’établis près de lui, à Swijashsk.

« Nous mobilisâmes d’abord les communistes, en tête, puis six classes dans les gouvernements de la Volga. L’ordre était : « La victoire ou la mort ! » Les paysans venaient en foule contre les blancs, mais il leur manquait la confiance dans leurs propres forces. Voici ce qui la leur donna :

« J’habitais un train, dont a beaucoup parlé, fait de wagons blindés avec des sacs à terre, défendu par un canon, des mitrailleuses, et que suivait un autre train. Ce dernier était monté par 300 cavaliers, avec aéroplane, wagon-garage pour cinq autos, télégraphie sans fil, imprimerie tribunal ; une petite ville militaire en un mot.

« Pour ses débuts, elle faillit se faire prendre. Savinkov, Kappel et Fortunatov étaient si sûrs de leur succès qu’ils l’avaient annoncé. Ils nous entourèrent avec un millier d’hommes. Nous creusâmes des tranchées et subîmes un siège ; finalement ils furent repoussés.

« Afin de profiter de notre avantage, le soir même de notre délivrance, je risquai un grand coup avec Raskolnikov, un jeune officier de marine bolchevik qui nous représente aujourd’hui en Afghanistan.

« Raskolnikov avait fait venir de Cronsdadt, par les canaux, quatre vieux torpilleurs. Nous projetions tous deux d’anéantir avec eux la flotille adverse, composée de barques plates armées de canons et embossée devant Kazan. Un coude du fleuve, dans lequel se dresse une colline escarpée, nous séparait. A une heure du matin, nous franchîmes le goulet avec le premier torpilleur et, du premier coup, nous fûmes assez heureux pour mettre le feu aux réservoirs à pétrole de l’une des barques. Tout brûla.

« Nos autres torpilleurs ne purent nous rejoindre et je me demande encore comment nous avons échappé. L’incendie sans doute empêchait l’ennemi affolé de nous voir. Nous finîmes par rentrer sans encombre avec notre gouvernail brisé.

« L’impression fut énorme. Dès l’aube, après une courte lutte, les blancs évacuèrent Kazan. Le lendemain, Toukhatchevsky prit Simbirsk. Notre armée possédait enfin la confiance. Elle n’a plu, depuis lors, connu que des succès.

Les commissaires aux armées

« Alors commença le véritable travail d’organisation.

« Nos mobilisations partielles, sommaires avaient peu rendu. Nous avons mobilisé régulièrement, par classe. Le nombre des insoumis a diminué. Affiches, meetings, représentations de comédies satiriques dans les campagnes, tribunaux, tous les moyens ont été employés.

« Nous avons rappelés les anciens officiers. La Révolution française, sur 15.000 officiers du roi, n’en a pas retrouvé la moitié. Sur un million, nous en avons trouvé des centaines de mille. Certains ont trahi, c’est vrai. Notre 11e Division par exemple, la division de Nigni-Novgorod, notre orgueil, a été massacrée au printemps de 1919, pendant la rébellion des cosaques de Krasnov, par la faute concertée de ses chefs. Nous avons arrêté les familles des officiers suspects et les avons prises comme otages.

« Nous avons créé les Commissaires aux armées. Mais la Convention n’en plaçait qu’auprès des généraux en chef. Nous en avons mis dans toutes les divisions, dans toutes les brigades, dans tous les régiments, en leur adjoignant dans chaque compagnie des « guides politiques » pour les seconder, dans leur action. Près de chaque armée, deux commissaires composaient avec le commandant un Conseil de guerre. Inviolables, mais responsables de toute trahison, ils possédaient droit de vie et de mort sur tous sans pouvoir s’immiscer dans la direction des opérations.

« Voilà comment a grandi et fonctionné cet organisme militaire qui nous a procuré toutes nos victoires et dont l’importance numérique vous a tant surpris. »

Toute cette histoire héroïque de l’armée rouge, dont je rapporte à peine les grandes lignes, Trotzky me l’a conté pendant des heures, devant les cartes qui tapissent son immense bureau.

Il me l’a contée avec cette simplicité charmante que l’exercice du pouvoir n’a altérée chez aucun des hommes de Moscou, en s’interrompant pour me dire : « Comme vous avez bien fait de me demander tout cela ! Comme cela m’amuse de me rappeler ces choses ! « Jusqu’au moment où il terminait un chapitre en déclarant avec un sourire qui creusait dans ses joues deux fossettes : « Mon garçon joue au ballon sur la place du Kremlin. Nous allons aller le chercher ».

Les rapports officiels de l’état-major sur les opérations contre Koltchak, Dénikine, Youdenitch et Wrangel m’ont été remis, pour que j’en puisse tirer « le plan 17 de l’armée rouge ». Le généralissime Kamenev, le chef d’état-major Lebedev, ont été priés de fournir des renseignements complémentaires.

Je parlerai ces jours-ci de ce qu’ils m’ont appris.

André MORIZET

Paru dans L’Humanité du 17 avril 1922.

Quand le PC de France signait Alfred Rosmer !

La crise du parti français.

Le parti communiste français passe par une crise grave. Et cette crise du parti coïncide curieusement avec la crise de la bourgeoisie française et de son Etat.

J’ai dit curieusement, parce que, en règle générale, ce sont précisément les crises des organismes bourgeois qui créent une situation favorable pour le développement d’un parti révolutionnaire. C’est le parti révolutionnaire qui se nourrit d’ordinaire de la crise de la société bourgeoise. La coïncidence de ces deux crises me permet de dire, de conclure, que le parti français n’a pas encore obtenu pour son organisation, pour son action, cette autonomie, cette liberté absolue envers la société capitaliste, nécessaire pour profiter librement, largement, de la crise de cette dernière. Nous le verrons plus loin d’une manière plus détaillée et plus approfondie.

Mais en quoi consiste cette crise dont l’existence n’est niée par personne ?

On signale l’arrêt et même le recul du recrutement. Le tirage de nos journaux, de nos publications et en particulier de l’Humanité, fléchit. La vie intérieure des organisations est somnolente.

Voilà les signes les plus frappants en même temps que les plus évidents et les plus indiscutables. Il y en a d’autres. C’est le régime des fractions qui s’est installé dans le parti. La lutte des fractions, les polémiques acerbes et parfois personnelles, voilà encore des expressions différentes mais indiscutables d’une crise profonde dans l’organisme du parti.

Ces signes extérieurs n’ont pas tous le même caractère de gravité pour le développement de notre parti français.

Le recul de notre recrutement n’est pas un grand danger, s’il n’est que passager et s’il n’est autre chose que l’expression du fait que notre parti a entraîné, dans une première étape, des éléments qui ne nous appartiennent pas par leur mentalité ou leurs idées et qu’il les élimine en augmentant, en stabilisant son unité, sa fermeté communistes. Même la diminution du tirage de la presse n’est pas un danger. C’est peut être un événement passager, déterminé par un changement dans la situation politique.

Nous avons vu, dans l’histoire de nos différents partis, que leur ligne de développement n’est pas tout à fait directe, qu’il y a inévitablement flux et reflux, que pendant le flux le parti doit développer une grande action extérieure en entraînant les masses, tandis que pendant le reflux le parti peut se concentrer, se. replier sur lui-même en développant son organisation, en précisant ses idées, en se préparant pour les batailles à venir.
Le régime des fractions.

Ce qui est plus significatif, c’est le régime des fractions et leur lutte. D’où viennent ces fractions ? Qui porte la responsabilité de ce régime ?

On peut donner à cette question une réponse plutôt descriptive, celle qu’on trouve assez souvent dans la presse de notre parti français. Je citerai un camarade qui vous est bien connu, le camarade Frossard, qui a écrit dans l’Humanité du 16 juillet un article intitulé : « Ça ne finira donc jamais ! » J’en détache les phrases suivantes : « Quels échappés de Byzance nous sommes quels coupeurs de cheveux en quatre ! quels pauvres discutailleurs ! Et comme il faut plaindre les véritables héros qui nous lisent ! »

Voilà un tableau bien sombre. Mais, dans ces phrases, nous ne trouvons qu’une description extérieure de la situation dans le parti. Pourquoi sommes­-nous des échappés de Byzance, de pauvres discutailleurs, des coupeurs de cheveux en quatre ?... Quelle en est la raison ? Voilà une question qui exige une réponse. On pose aussi parfois la question de savoir de quel côté sont venues les polémiques, les polémiques générales et les polémiques personnelles.

Les camarades qui appartiennent à la même tendance que notre camarade Frossard désignent souvent la gauche comme l’instigatrice de ces polémiques, en même temps que l’instigatrice du régime des fractions. Mais ce régime des fractions est dénoncé bien souvent par des camarades qui appartiennent eux-mêmes à des fractions et considèrent ce régime comme tout à fait artificiel, nullement fondé sur les idées et ne correspondant ni aux aptitudes ni aux buts politiques. Je me permettrai de lire un article de Daniel Renoult, paru au mois de septembre dans l’Humanité : « Comme l’a dit mon ami Duret, à qui, sur ce point, on n’a jamais rien répondu, c’est seulement dans et par l’action qu’une classification sérieuse et juste peut être établie. »

On voit donc, d’une part, les fractions se livrer mutuellement une lutte acharnée et, d’autre part, les représentants de deux fractions affirmer que ces groupements ne sont qu’artificiellement constitués, que c’est seulement par l’action, c’est à dire par l’action future, qu’on pourrait établir la classification juste des tendances dans le parti.

Je ne crois pas que cette analyse soit juste.

D’abord, en devrait se demander comment il se fait que des camarades qui nient la forme idéologique et politique de ces fractions appartiennent à l’une des trois fractions les plus importantes du parti.

Ensuite, il faut se demander si l’argument donné, selon lequel on peut attendre de l’action qu’elle parvienne à nous grouper dans un cadre tout à fait juste, est valable.

S’il s’agit de l’action révolutionnaire, c’est à dire de la lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière, alors nous avons eu tort de nous séparer des dissidents, parce que ces derniers affirment que c’était une scission dictée par une volonté extérieure et non par les besoins intérieurs du parti.

Mais toute la vie du parti doit être la série des actions qui forment une chaîne et cette chaîne doit conduire à l’action la plus importante : la conquête du pouvoir par le prolétariat. Si l’on dit que les groupements qui se sont formés ne sont pas définitifs, nous sommes d’accord, et je crois que nous ne discuterons pas la justesse d’une pareille affirmation. Je crois qu’il y aura toujours une classification par tendances et qu’au moment de l’action révolutionnaire définitive la grande majorité des membres de toutes les fractions se retrouverons groupés sur la même base : c’est juste.

Malgré tout, prétendre que les tendances qui existent maintenant et se combattent ne sont qu’une division artificielle, c’est vraiment commettre une erreur pour le parti français, qui est constitué en tendances et qui n’existe pas en dehors des tendances : il doit donc y avoir une raison importante à leur existence et à leurs luttes.

Le regroupement, dit on, ne peut se produire que par et dans l’action. Mais c’est par l’action que l’Internationale a essayé pendant un an et demi d’aboutir à un regroupement dans le parti français et, pour cette action, l’Internationale a proposé deux voies qui mènent au même objectif : l’action dans les syndicats et par les syndicats et l’action par le Front unique.

Or, pour mener une action, il faut en avoir l’idée, plus ou moins précise, et avoir l’accord de la majorité du parti. Quand on a proposé le regroupement du parti par l’action, il y a toujours eu des obstacles immédiats à cette action. On n’a pas voulu admettre l’action méthodique et organisée du parti dans les organisations syndicales les plus importantes et les plus vastes quoique bien amoindries de la France, non plus que l’action par le mot d’ordre du Front unique.

C’est une vérité devenue banale qu’on ne peut pas, dans un pays où l’on ne possède pas au moins la confiance de l’écrasante majorité de la classe ouvrière, où le prolétariat est divisé syndicalement et politiquement en différentes fractions, où les membres de ces fractions ne constituent dans les syndicats, comme dans le parti, qu’une minime partie de la classe ouvrière, développer l’action autrement que par le mot d’ordre du Front unique, autrement que par une action commune. Si l’on rejette cette possibilité d’action, qui n’est pas une invention de l’esprit, mais qui est une nécessité de l’action, on rejette l’action elle-même. Et si l’on se plaint ensuite d’être classé en tendances, on ne fait qu’accumuler des contradictions inadmissibles.

Vous savez, camarades, que pendant cette dernière année, il y a eu, entre l’Internationale et le parti français c’est à dire la majorité représentée dans cette question par les deux tendances, la tendance du centre et la tendance Renoult une lutte je dois employer cette expression permanente.

On a voulu faire comprendre à notre parti français la nécessité du Front unique et, hier, le camarade Zinoviev, dans la commission que vous avez nommée pour la question française, rappelait cet argument dont on s’est servi en France contre l’Internationale sur cette question importante, à savoir que c’était l’Internationale qui imposait au parti français, sous la forme de l’unité de front, le retour à la collaboration de classes et au millerandisme. Voilà jusqu’à quelle extrémité sont allés les malentendus sur une question qui était en même temps un moyen puissant pour développer une action dans le parti français.

Maintenant, c’est la presse bourgeoise française qui s’empare de cet argument, et c’est là le juste châtiment mérité pour les fautes commises au cours de la polémique. C’est le châtiment de voir l’ennemi s’emparer des formules fausses, les préciser et les lancer sur le marché politique. Voici ce qu’on a pu lire dans le Temps :

« Encore n’est il pas dit que cette humiliante docilité suffira à apaiser le courroux de Moscou, car ne pratique pas qui veut dans son esprit et dans sa lettre la politique de l’Internationale, qui varie à l’infini, suivant les intérêts du moment du gouvernement des Soviets, et suivant les circonstances auxquelles les chefs de ce gouvernement doivent faire face pour essayer de dissimuler dans la mesure du possible la faillite du communisme intégral. »

C’est une formule qu’ils n’ont pas inventée. Ils l’ont empruntée à quelque représentant des tendances de notre parti, ils l’ont précisée et lancée contre le parti tout entier.

Il y a quelques jours, Frossard, qui a lutté aussi contre le Front unique, s’est adressé aux réformistes pour proposer une action selon les principes du Front unique.

Dans la réponse des dissidents, on retrouve toute la terminologie que nous connaissons bien, que nous avons lue déjà dans la presse de notre parti et qui est devenue l’instrument de nos ennemis. Mais, ce qui est pire encore, c’est d’avoir attendu pendant plus d’une année et d’avoir laissé les dissidents eux-mêmes s’emparer de l’idée du Front unique ; car ce n’est plus le parti français qui apparaît au prolétariat comme le promoteur de cette formule, ce sont déjà les dissidents qui nous font concurrence sur ce terrain. Il suffit de lire, dans le Populaire, les articles sur le rétablissement de l’unité syndicale.

Le régime des fractions n’est donc pas artificiel et occasionnel, créé sous l’influence de volontés extérieures : il se fonde sur des tendances qui sont le produit de l’action ou plutôt du manque d’action , laquelle n’est pas occasionnelle non plus dans le parti français.

Quant à la politique, si on demande à qui en incombe la responsabilité, je répondrai que ce n’est pas à la gauche, mais peut être, malheureusement, à l’Internationale elle-même. On n’a pas pu réaliser l’action parce qu’on n’a pas voulu accentuer les prémisses de cette action. Il est nécessaire de détruire par la polémique les obstacles idéologiques à l’action. Voilà pourquoi l’Internationale a pris elle même l’initiative des polémiques.
Il y a un an et demi.

Pour vérifier moi-même la ligne que nous avons suivie pendant ces deux dernières années envers le parti français, j’ai fait rechercher un discours que j’ai prononcé au mois de juin 1921, à la réunion de l’Exécutif élargi sur la question française, il y a donc un an et demi.

Je dois avouer que j’ai été frappé par le fait que nous piétinons toujours au même endroit.

Je ne rappellerai que quelques passages de ce discours :

« On ne voit pas cet abîme qui devrait être creusé par notre presse, par nos discours, entre le parti communiste et toute la société bourgeoise. On ne le voit pas. Il faut maintenant que les ouvriers viennent vous dire : « Mais qu’est ce que vous faites là bas ? Mais pourquoi ne parlez vous pas le langage communiste ? Ce sont chez vous des ombres très vagues, à peine plus colorées que les ombres longuettistes, mais. les mêmes au fond. » J’ajoute : « Il faut connaître et apprécier ce fait encore : l’attitude du parti à l’égard des syndicalistes est tout à fait fausse... »

Et puis :

« Il faut donc dire amicalement, mais énergiquement, au parti communiste français : « Nous ne vous demandons pas d’entreprendre des actions révolutionnaires sans vous rendre compte si la situation est favorable pour cela ou non. Mais, ce que nous vous demandons, c’est de rompre, non seulement formellement, mais en fait, par vos idées, par vos sentiments, par votre attitude totale, de rompre définitivement avec vos anciennes attitudes, vos anciennes relations, vos rapports d’autrefois avec la société capitaliste et ses institutions. »

Ces paroles ne semblent elles pas avoir été prononcées ces jours ci, au moment de la discussion sur la franc maçonnerie ?

Et puis encore :

« Ce que nous demandons, c’est que votre volonté révolutionnaire trouve son expression dans votre presse, au Parlement, dans les syndicats, partout, et finisse par trouver son expression suprême sur les barricades de Paris. »

Voilà comment nous avons présenté la question à l’Exécutif. Ma voix n’était qu’une voix de l’Exécutif, qui était tout à fait unanime sur ce terrain. Il y a de cela un an et demi. Nous avons lutté contre l’esprit de conservatisme que représentait le passé, pour l’esprit révolutionnaire qui était celui de l’avenir. Je ne puis pas dire que nous ayons tout à fait échoué. Quelque chose a changé dans le parti. La crise actuelle, certes, bien pénible, a porté un coup mortel au conservatisme du parti.
Les causes de la crise.

Naturellement, si le parti ne trouve pas les forces nécessaires pour vaincre cette crise, elle peut provoquer un recul dans toute l’évolution révolutionnaire du prolétariat français. Mais il n’y a pas de raisons d’apprécier de manière pessimiste les possibilités qui s’ouvrent devant le parti français. Je le répète : la crise est le résultat, d’un côté des polémiques et de l’autre de la lutte de la part de l’Internationale, de cette lutte que l’on soutenait contre le conservatisme, et la gravité de cette crise, son caractère pénible, proviennent de ce que le conservatisme demeure très fort, trop fort.

Nous avons entraîné avec nous, à Tours, beaucoup d’attitudes, d’habitudes qui ne veulent pas céder leur place aux habitudes et aux attitudes de l’action communiste. Voilà pourquoi s’est créé le régime des fractions, qui n’est autre que la lutte de l’avenir contre le passé ou la tendance intermédiaire qui cherche à s’orienter.

On a souvent indiqué que beaucoup de facteurs extérieurs au parti lui même empêchent une évolution plus rapide. On a parlé de la tradition française et de l’individualisme de l’ouvrier français. Mais un parti qui veut devenir un parti de lutte ne doit pas seulement se placer au point de vue de l’historien qui se met au dessus de la mêlée intérieure du parti et ne fait qu’indiquer les causes empêchant l’évolution vers l’avenir.

J’emprunterai à notre camarade Vaillant Couturier un argument excellent. Il a dit : « Vous prétendez avoir affaire à des ouvriers tout à fait pénétrés de l’individualisme qui empêche l’organisation d’un parti révolutionnaire. Mais, pendant la guerre, est ce que la société capitaliste s’arrêta devant l’individualisme français ? Est ce que les social patriotes ont trouvé un obstacle dans cet individualisme ? Non. Par la force de la police et de l’armée active, par la force surtout de l’opinion publique, ils ont exercé une pression croissante sur le prétendu individualisme de l’ouvrier français et ont plongé celui ci dans les tranchées, où il est resté quatre années et demie. On a su comment vaincre cet individualisme quand il s’est agi des intérêts bourgeois. Est ce que, vraiment, cet individualisme nous paraît tout à fait invincible quand il s’agit de le vaincre au profit des intérêts du prolétariat lui même ? »

Oui, c’est là une objection qu’il faut repousser. Il est vrai que, dans chaque ouvrier surtout en raison de l’histoire française , il y a un côté individualiste très développé, peut être plus que chez les autres ouvriers. Mais il y a aussi un côté généreux. Il faut savoir faire appel à lui en lui ouvrant les perspectives d’une action où il puisse vraiment exprimer tout son dévouement, toute son abnégation et vous verrez qu’il saura sacrifier, non seulement ses intérêts matériels, mais sa vie quand la lutte le demandera.

Il faut cependant pouvoir le faire, Et quand j’entends un communiste dire : « Il n’y a rien à faire : les ouvriers sont tellement individualistes ! », je dis que cette explication ne peut que créer la défiance envers le parti ou une certaine tendance à la défiance - et ne refléter que l’impuissance.

La question syndicale.

Nous avons beaucoup parlé de la question syndicale au cours de ce congrès et nous avons rencontré les obstacles dont on voit le reflet dans les procès-verbaux du congrès de Paris auprès de la tendance du centre et de la tendance Renoult.

Je vous citerai quelques expressions de notre camarade Jacob, qui fait partie de la délégation syndicale. Son argumentation au congrès de Paris est extrêmement caractéristique, et je le dis, en toute amitié, tout à fait fausse, dangereusement fausse.

Le camarade Jacob est membre du parti et en même temps membre qualifié de l’organisation syndicale. Voilà comment il dicte au parti son rôle dans le mouvement ouvrier :

« Le parti ne doit pas gêner l’action des syndicats et certains pas­sages de la résolution du comité directeur ne peuvent qu’entraver cette action. Manouilski est mal renseigné sur la grève du Havre : Frossard et Lepez ont dit que le parti communiste n’a pas fait son devoir dans la grève. Mais nous disons que le parti n’avait rien à y faire... »

Voilà un état d’esprit extrêmement dangereux. On dira peut-être qu’il s’agit seulement d’exagération dans l’expression. Mettons ! Mais elle reste extrêmement caractéristique de la mentalité de notre parti. Ce sont des membres du parti pas des syndicalistes amicaux, comme Monmousseau d’un côté, Monatte de l’autre , ce sont des membres du parti qui lui disent : « Tu n’as rien à faire dans un événement comme la grève du Havre ».

Les syndicats et le Parti.

Vous savez que dans la grève du Havre, c’est le maire du Havre, Meyer, politicien radical bourgeois, c’est le député Siegfried mort depuis, qui sont intervenus ; ce sont les fusils de M. Poincaré qui sont intervenus aussi et cela, c’est de la politique. Il n’y a qu’un seul parti qui ne soit pas intervenu, comme parti, dans cette grève. Certes, il a fait beaucoup pour les grévistes : il a recueilli de fortes sommes d’argent par souscriptions quotidiennes, on a écrit beaucoup d’articles. Mais comme organisation qui puisse donner des conseils, se présenter sans contrecarrer l’action du syndicat, montrer sa figure politique aux ouvriers et dire : « Nous sommes ici pour vous aider, qu’est ce que vous exigez de nous ? Nous sommes prêts à le faire ! », le parti n’a rien eu à faire dans la grève du Havre.

Il y avait des syndicalistes locaux qui disaient, je l’ai appris de camarades qui sont ici : « Ne venez pas nous compromettre devant le gouvernement qui dira : Vous faites une grève communiste, peut-être même ordonnée par Moscou. » Alors le parti s’est esquivé.

Je comprends qu’il peut y avoir des conditions où le parti puisse faire des concessions à l’esprit même le plus arriéré de la masse ou de ses représentants locaux, pendant une grève. Mais alors, on aurait dû écrire dans l’Humanité : « Nous avons offert nos services aux leaders de la grève du Havre ; ils nous ont répondu : « Nous avons des relations avec Meyer, avec Siegfried : n’allez pas nous compromettre ! » Alors, nous n’intervenons pas, mais nous leur disons : « Prenez garde ! Casse cou ! Vous avez affaire à des politiciens bourgeois : ils vous trahiront. Il n’y a qu’un seul parti qui sera avec vous au moment de la grande lutte : c’est le parti communiste. »

Si vous aviez dit cela dès la première journée de la grève du Havre, ou pendant son développement, après les événements tragiques du 28 août et les massacres, votre autorité en aurait été affermie, car c’est vous qui auriez prévu l’évolution des événements.

Non. Nous nous sommes inclinés. Le camarade Frossard a dit : « Le parti n’a rien pu faire dans ce domaine », et voilà un communiste qui travaille dans les syndicats et qui dit : « Le parti n’avait rien à y faire. »

C’est une situation bien triste et bien dangereuse, parce que, de là , il n’y a qu’un pas à faire pour rejoindre notre camarade Ernest Lafont. Celui ci, dans le discours qu’il a prononcé au congrès de Paris, s’est inspiré du « lagardellisme » ; ce n’est plus du syndicalisme, c’est une mixture de quelques déchets idéologiques du syndicalisme avec de la politicaillerie. Ernest Lafont dit : « Les syndicats sont une chose secondaire et je suis créé pour cette chose secondaire. »

Lagardelle était un grand philosophe : il est maintenant l’employé d’organisations capitalistes. On poursuit dans le parti une action tout à fait opportuniste, réformiste et non révolutionnaire quand on se fonde sur une philosophie d’après laquelle la révolution doit être faite en dehors du parti. Ernest Lafont trouve une formule tout à fait heureuse, il dit : « Qu’est ce que nous avons, nous autres, avocats, à nous mêler des affaires des syndicats ? » Et le camarade Jacob, qui n’est ni avocat, ni lagardelliste, mais qui est un bon communiste et un bon ouvrier syndicaliste, dit : « Oui, le parti n’a rien à y faire. »

Cette coïncidence est extrêmement dangereuse.

Je la retrouve un peu dans la déclaration signée par Monatte - mon ami et par les camarades Louzon, Chambelland et d’autres.

On peut comprendre Monatte qui n’est pas membre du parti - quand il dit : « Nous sommes des syndicalistes révolutionnaires, c’est à dire que nous attribuons au syndicat le rôle essentiel dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat. » C’est une déclaration toute récente parue après le congrès de Paris dans la lutte de classe, dirigée par le camarade Rosmer, avec une note de la rédaction.

Je comprends de pareilles affirmations de la part de Monatte qui est en dehors du parti et qui a tort d’ailleurs de rester en dehors du parti mais je ne comprends guère Louzon, ni Chambelland, ni Clavel et S. Orlianges qui appartiennent au parti et sont membres en même temps de la commission exécutive de la C.G.T.U.

Qu’est ce que cela veut dire : « Nous attribuons un rôle essentiel au syndicat dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation » ? Quel syndicat ? Nous connaissons en France plusieurs syndicats. S’agit il du syndicat des jouhausssistes ? Evidemment non. Du syndicat de notre camarade Monmousseau ? Peut être. Mais vous voulez aboutir à une unification, à une fusion de ces deux syndicats. Nous avons aujourd’hui Monmousseau comme secrétaire général de la C.G.T.U., mais nous avions hier une commission administrative de cette C.G.T.U. entre les mains des auteurs du Pacte : les Besnard, les Verdier, etc. Est ce sous leur conduite que le prolétariat petit aller vers la révolution et la faire ? Est ce que vous croyez sérieusement que c’est au syndicat que revient le rôle dirigeant de la classe ouvrière ? Est ce que vous croyez que le syndicat conduit par les réformistes, les confusionnistes, les communistes qui ne veulent pas se soumettre à la discipline et à la doctrine de leur parti, soit la première organisation ouvrière du monde, ou un syndicat inspiré par les idées communistes que nous représentons ? Vous vous servez d’une formule du syndicalisme après l’avoir vidée de son contenu révolutionnaire et idéologique et vous dites : « Le syndicat, c’est la première chose du monde ! »

Naturellement, s’il s’agit d’un syndicat guidé par les meilleurs éléments de la classe ouvrière, tout à fait organisés et conscients, et qui s’inspirent de la doctrine représentant les intérêts de la lutte révolutionnaire, alors ce syndicat est excellent. Mais il n’existe pas, surtout en France. Il faut le créer. Par quels procédés ? Par une collaboration entre les camarades qui n’appartiennent pas au parti et ceux qui y sont, en organisant l’élite de la classe ouvrière, en lui inculquant les idées communistes et en en faisant pénétrer l’esprit dans toutes les organisations ouvrières.

Vous laissez entrer dans les syndicats les ouvriers qui sont en dehors du parti et qui ne sont pas des révolutionnaires, qui ont les préjugés les plus rétrogrades : les ouvriers catholiques, par exemple. Vous êtes obligés de le faire, parce que si le syndicat n’avait dans son sein que des communistes, des syndicalistes qui ne sont pas encore au parti, à cause de quelques préjugés, si le syndicat n’avait que ces éléments, il n’aurait aucune valeur parce qu’il serait une répétition du parti.

Mais ce ne serait pas pire, parce que le parti est plus homogène ou du moins doit l’être que les syndicats, lesquels comprennent des communistes qui ne se soumettent pas à la discipline de leur parti et des syndicalistes qui n’appartiennent à aucun parti et ont peur du parti, en même temps qu’ils ont besoin d’analyser leurs idées, leurs méthodes, sans disposer d’un parti politique pour le faire. Si les syndicats n’étaient que cela, ils représenteraient la formule la plus exécrable d’un parti politique.

L’importance du syndicat consiste en ce que sa majorité est ou doit être composée d’éléments qui ne sont pas encore soumis à l’influence d’un parti. Mais il est évident qu’il y a dans les syndicats des couches différentes : les couches tout à fait conscientes, les couches conscientes avec un reste de préjugés, les couches qui cherchent encore à former leur conscience révolutionnaire. Alors, qui doit prendre la direction ?

Nous ne devons pas oublier le rôle du Pacte. Il doit être un exemple pour chaque ouvrier français, même le plus arriéré, le plus simple. Il faut expliquer ce fait que, par suite de la défaillance du parti dans le domaine syndical, quelques éléments anarchisants ou anarchistes ont créé un pacte secret pour prendre la direction du mouvement. Les syndicats représentent une élite qui a besoin d’une direction d’idées ; ces idées ne sont pas spontanées, elles ne tombent pas du ciel ; il doit y avoir une continuité dans ces idées, il faut les justifier, les vérifier par l’expérience, les analyser, les critiquer et ce travail doit s’opérer dans le parti.

Aujourd’hui, la grande objection que l’on nous oppose, c’est la subordination des syndicats au parti.

Oui, nous voulons subordonner la conscience de la classe ouvrière aux idées révolutionnaires. C’est notre prétention. Il est tout à fait stupide de dire que nous pouvons agir par des pressions du dehors, par des pressions qui ne seraient pas fondées sur la volonté libre des ouvriers eux mêmes, que le parti possède des moyens .de pression à l’égard des syndicats, lesquels sont numériquement plus forts que lui ou au moins devraient l’être. C’est la réaction de tous les pays qui a toujours répété que le parti et les syndicats veulent soumettre la classe ouvrière à leur volonté.

Prenons la presse la plus réactionnaire et la plus perfide, en France, en Allemagne, partout, en Amérique aussi. Ce sont toujours les mêmes affirmations. Ce sont les organisations ouvrières qui s’emparent, contre le gré de la classe ouvrière, de ses actions, qui s’imposent et qui aboutissent, par leurs manœuvres, à la soumission de la classe ouvrière aux syndicats.

Que répondrez vous à cela ? Vous dites : « Non, nous présentons nos services à la classe ouvrière, nous gagnons la confiance des syndicats. La partie avancée de la classe ouvrière entre dans les syndicats ; la grande masse soutient les syndicats dans la lutte et y pénètre peu à peu à son tour. »

N’est ce pas la même chose avec le parti ? Nous voulons gagner la confiance des syndiqués. N’est ce pas notre droit, notre devoir, de nous présenter dans chaque action, et surtout dans les actions difficiles, comme les éléments les plus courageux pour animer ces actions, les encourager, occuper les postes les plus difficiles, ceux qui comportent les plus grands risques, pour démontrer que les communistes sont toujours et partout les éléments les plus fidèles de la lutte révolutionnaire ?

N’est-ce pas notre devoir et notre droit ?

Lisez, sur ce sujet, l’article du camarade Soutif, dans le dernier ou l’avant-dernier numéro du Bulletin communiste, par conséquent après le congrès de Paris. On a une certaine manière, en France, de critiquer l’Internationale : on s’incline devant l’Internationale en tant que telle et on assène en même temps un bon coup à la gauche, de préférence sur une question où la gauche représente fidèlement les idées de l’Internationale. Soutif dit : « Cette résolution - c’était la résolution de Rosmer, que je trouve excellente -, cette résolution proclame que le parti communiste « croit exprimer le mieux les aspirations de la classe ouvrière et être le plus capable d’assurer sa libération ». La majorité du comité directeur rejeta naturellement cette motion. »

Le comité directeur d’un parti qui prétend le mieux servir la classe ouvrière doit « évidemment » rejeter une pareille affirmation. Et ceci est écrit dans l’organe de notre parti, par un membre du comité directeur qui dénonce la gauche pour avoir commis cette grande faute de prétendre que notre parti est capable de servir le mieux la classe ouvrière !

On n’y comprend rien. Si nous nous laissons dénoncer de cette manière, dans nos organes, par les membres de notre comité directeur, est-ce que nous pouvons gagner la confiance de la classe ouvrière ? Peut-on tolérer cela pendant des semaines ? Un parti vivant qui veut gagner la confiance de la classe ouvrière devrait commencer par enseigner l’A B C du communisme à l’auteur de cet article.

Ce n’est d’ailleurs pas le premier. Ce n’est qu’un élément d’une longue série que nous avons dénoncée dans des lettres, dans des discussions, dans des télégrammes.

Les leçons de la grève du Havre.

Les conséquences, c’est la grève du Havre, et surtout la grève générale de protestation vers la fin de la grève du Havre, après les massacres du 28 août.

Vous connaissez tous ces événements. La grève du Havre a duré cent dix jours. Elle a fini par un massacre. On a tué quatre ouvriers : on en a blessé plusieurs. Or, je vais vous montrer quelques documents qui resteront dans l’histoire du mouvement ouvrier français : ce sont des coupures de l’Humanité. C’est l’appel de la C.G.T.U. et de l’Union des syndicats de la Seine. Cet appel a paru dans l’Humanité du lundi ; on y annonce à la classe ouvrière l’assassinat du Havre, et puis, il y a un appendice : « Mardi » - c’est-à-dire le lendemain -, « grève générale de 24 heures ». Et l’on ajoute : « Le Bâtiment décide, en attendant, la grève générale pour aujourd’hui, » Pour le lundi !

Le parti « n’avait rien à faire », comme dit notre camarade Jacob, dans la grève du Havre. C’était une question économique : on a, économiquement, tué quatre ouvriers et on en a blessé plusieurs, question purement syndicale. Il y a des organismes économiques pour s’occuper de cette affaire : c’est d’abord le Bâtiment, « en attendant », c’est-à-dire en n’attendant pas, en sabotant l’action. Il se lance dans une grève qu’il proclame « la grève générale ».

Que fait la C.G.T.U. ? Elle s’incline devant le Bâtiment. Pourquoi ? Parce qu’elle ne peut pas céder la place aux anarchistes qui prétendront être plus révolutionnaires que les autres et diront : « Nous avons proclamé la grève générale et les syndicalistes, les mi-communistes de la C.G.T.U., ont saboté notre grande action » - qui n’était pas une action, mais seulement un mot d’ordre lancé à ce moment-là [3].

On s’incline devant cette erreur et que fait le parti ? Il s’incline devant la C.G.T.U. C’est l’enchaînement des erreurs. Qui commence ? Ce sont quelques jeunes anarchistes qui ne sont peut-être pas si coupables que cela. Ils sont allés au siège de leur organisation et ont dit : « Il faut faire quelque chose. » Et ils ont trouvé là un camarade qui a répondu : « Mais oui, il faut faire quelque chose : on va proclamer la grève générale. »

Et la C.G.T.U. s’incline ; le parti s’incline. Le parti, qui « n’a rien à faire » dans la grève du Havre, qui est resté comme un organisme tout à fait superflu dans ce dialogue entre tous les ouvriers du Havre et la grande société bourgeoise, le parti intervient pour s’incliner devant la C. G. T. U.

Le résultat ? La débâcle. Fiasco complet. Pourquoi ? Parce que c’était prédéterminé, prématuré. Ces coupures que je vous montre prétendaient mettre debout la classe ouvrière en France, du lundi au mardi, pour la grève générale. Etait-ce possible ? Même dans un pays où l’on possède le réseau télégraphique, les radios - comme ici, en Russie -, où le parti est fort, où les syndicats travaillent en plein accord avec le parti, où il n’y a ni partis, ni syndicats opposés aux nôtres, cela n’est pas possible. Ainsi, pour la démonstration en l’honneur du 4° congrès mondial, on a dû expliquer aux ouvriers ce que c’était que le 4° congrès. Il y avait parmi les soldats qui sont passés devant vous le 7 novembre un certain enthousiasme que vous avez peut-être remarqué. D’où venait-il ? Il y avait parmi eux de jeunes paysans qui ne connaissent pas très bien la géographie et qui ignorent ce qui se passe en France, ce qui se passe hors de la Russie. On a dû leur expliquer ce qu’était le 4° congrès mondial, et pourtant, qu’est-ce qu’on exigeait d’eux ? De passer simplement devant les délégués étrangers, et de leur présenter leur salut fraternel.

Pour vous, qui exigiez de la classe ouvrière française une grève générale, vous deviez expliquer à cette classe ouvrière ce qui se passait au Havre, et pas seulement par la formule « gouvernement d’assassins ».

En France, on fabrique ces formules beaucoup mieux que dans d’autres pays : on s’y connaît. Il fallait expliquer à chaque ouvrier et à chaque ouvrière, aux ouvriers agricoles, aux paysans et paysannes, ce qui se passait au Havre : on a tué quatre ouvriers après en avoir tué un million et demi pendant la guerre. On montrait si possible les photographies des tués : on décrivait la situation de la famille des ouvriers ; on présentait les portraits des filles et des garçons de ces ouvriers tués. Vous envoyiez tout de suite des correspondants qui connaissaient ces questions et la vie des travailleurs, des camarades qui pouvaient pénétrer dans les familles des ouvriers tués, partager leur peine et en raconter toute l’horreur à la classe ouvrière.

Il était nécessaire de mobiliser tout de suite, à Paris, un millier des meilleurs communistes et syndicalistes révolutionnaires, la main dans la main avec la C.G.T.U., et de les envoyer partout, non seulement dans tous les coins de Paris, mais aussi dans tout le pays, dans les villes et les campagnes, pour y mener une propagande intense ; il fallait en même temps publier à deux, trois ou quatre millions d’exemplaires des tracts, des appels, pour mettre la classe ouvrière au courant de ce qui se passait en disant : « Nous ne pouvons pas laisser passer ce crime sans protester. »

Devait on pour cela s’engager tout de suite dans une grève générale de 24 heures ? Non. Il fallait mettre en mouvement la classe ouvrière tout entière, par une propagande intense qui n’était autre chose que l’explication des faits. Il fallait expliquer, raconter brièvement les faits à la classe ouvrière : c’était la première condition.

Pourquoi ne l’a t on pas fait ? On a eu peur que le sentiment d’indignation de la classe ouvrière ne dure pas trois, quatre ou cinq journées. C’est l’expression de la méfiance bureaucratique de notre syndicalisme révolutionnaire et de notre communisme à l’égard de la classe ouvrière ! (Applaudissements.)

Il fallait lui raconter, lui expliquer les faits. Nos camarades du Pas de Calais sont descendus dans la mine et n’ont appris qu’ensuite qu’il fallait faire la grève. Naturellement, l’action était tout à fait paralysée et compromise d’avance. Je me demande comment on aurait pu agir autrement si on avait voulu la saboter.

Et puis on a sauvé naturellement pas pour toujours les dissidents, les réformistes, les jouhaussistes. Pourquoi ? C’est bien simple, camarades. La bourgeoisie, en tuant quatre ouvriers en France, n’avait elle pas mis ses amis dissidents et réformistes dans une situation extrêmement difficile ? Avec les réformes, avec les idées du Bloc national, avec la participation de Jouhaux à des assemblées bourgeoises pour l’amélioration du sort des ouvriers, on peut encore duper les travailleurs. Mais le massacre du Havre était un coup presque mortel pour nos adversaires.

Que fallait il faire ? Il fallait dans chaque numéro de l’Humanité, pendant une ou deux semaines, faire toute la propagande possible, toute l’agitation utile en demandant à la C.G.T. réformiste et aux dissidents : « Que proposez-­vous, maintenant ? Il ne s’agit pas de dictature du prolétariat, nous ne vous la proposons pas, quoique nous en soyons partisans. Mais que proposez-­vous contre la bourgeoisie qui vient de tuer quatre ouvriers, contre le gouvernement, contre Poincaré ? »

Voilà une question qu’il fallait chaque jour répéter et faire répéter par les propagandistes, les agitateurs du parti et les syndicats, à tous les coins de rue, dans tous les coins de la France, dans tous les villages où il y a un ouvrier ou une ouvrière, et cela pendant une ou deux semaines. C’eût été vraiment une grande date dans le mouvement de la classe ouvrière. Au lieu de cela, on a compromis la situation. On a lancé cet appel, insensé, à la grève immédiate. On n’annonce pas le lundi une grève générale pour le mardi, car les dissidents et réformistes trouvent naturellement là un prétexte à se dérober et à dire : « Nous ne participons pas à une entreprise aussi risquée. »

Et puisque la grève générale était compromise par avance, ils ont décidé de donner le salaire d’une journée de travail aux victimes. Ils ne l’ont guère fait. Mais tout le monde a oublié leur criminelle passivité, parce que le point de concentration de toute l’attention ouvrière, c’était la grève générale, en fait dangereusement compromise.

C’est le Temps qui écrit : « L’échec de la grève générale constitue pour l’avenir un symptôme encourageant. » Il a raison, Et l’Humanité ajoute : « La bourgeoisie veut profiter de cette passivité inouïe de la classe ouvrière. »

Ç’avait été un échec formidable, mais le lendemain on avait dit que c’était tout de même un gros succès. Comme cette position était indéfendable, on a dit ensuite : « La bourgeoisie veut profiter de cette passivité inouïe de la classe ouvrière. » On rejette toujours la responsabilité sur le dos de la classe ouvrière. Quand il y a une défaillance de la C.G.T.U. et du parti, on impute l’échec à la classe ouvrière. C’est une manière d’agir que la classe ouvrière ne tolérera pas. Elle devra inviter ses chefs à analyser leurs fautes pour apprendre quelque chose de l’expérience de la lutte. Il est vraiment temps, camarades !

Nous avons eu, en France, un grand évènement, dont la grève de protestation ne fut que la répétition néfaste : c’est le mouvement du 1° mai 1920. Le parti n’existait pas encore comme parti communiste. La scission n’avait pas encore eu lieu dans les syndicats. Mais les forces étaient les mêmes, sur le terrain politique comme sur le terrain syndical. Les éléments de la gauche n’avaient pas préparé l’action. Ceux de la droite ont tout fait pour la compromettre et l’écraser par leur trahison. Ils y ont réussi. Vous savez quelle importance a cette date du 1° mai 1920 dans l’histoire de la France d’après guerre. L’élan révolutionnaire de la classe ouvrière a baissé d’un coup, la stabilité du régime bourgeois a augmenté d’un coup. Un grand changement s’est produit après cette grève générale perdue.

Deux ans et trois mois se sont écoulés depuis cette leçon et on fait une deuxième édition de cette grève sous la forme d’une grande protestation contre le massacre du Havre ! Naturellement, le résultat, c’est la désillusion, c’est la passivité de la classe ouvrière, et c’est aussi le maintien du réformisme et du syndicalisme de Jouhaux inévitablement.

Pourquoi ? Parce que le parti n’a pas su donner de conseils, parce qu’il n’est pas intervenu en analysant la situation elle même, en donnant son avis, en invitant notre camarade Monmousseau, qui n’est pas du parti et ne veut pas de liaison organique, à décider ce qu’on ferait ensemble. Il fallait lui dire : « Vous proposez la grève pour demain mardi, mais c’est tout à fait impossible ; vous allez la compromettre et créer une situation défavorable dans la lutte de la classe ouvrière. » je suis sûr que notre ami Monmousseau aurait répondu : « je suis d’accord pour discuter avec vous ; toutefois, mon organisation est autonome et elle prendra les décisions qui lui paraîtront convenables et justes. » Mais s’asseoir à la même table pour analyser la situation et échanger des conseils, est ce que ce n’était pas nécessaire ?

D’autant plus que la C.G.T.U. n’a pas fait autre chose que s’incliner devant l’initiative du Bâtiment. Le résultat, nous le voyons. Après le 1° mai 1920, on a perdu des mois, plus que des mois, et le temps, c’est une matière première précieuse pour la lutte ouvrière. La bourgeoisie ne perd pas de temps. Nous, nous avons perdu deux années et il y a des camarades qui prétendent qu’on les a gagnées !
Le parti français et l’Internationale.

Pendant le congrès de Paris, notre camarade Frossard a caractérisé les relations du parti avec l’Internationale en employant cette formule « gagner du temps ».

Le secrétaire général du parti, qui était déjà secrétaire au moment du congrès de Tours par conséquent le plus qualifié pour représenter le parti s’est exprimé ainsi, selon le compte rendu de l’Humanité, sous le titre « La Crise » :

« Quelles sont les causes de la crise ? Depuis deux ans je suis partagé entre ma fidélité à l’Internationale et l’intérêt de mon parti. Il y a chez moi conflit permanent, crise de devoir. Il y a des attitudes différentes chez moi ? C’est parce que je ne suis pas sûr de moi. (Applaudissements répétés.) »

Ainsi, on applaudit au moment où le camarade le plus qualifié pour représenter le parti dit : « je suis déchiré entre ma fidélité à l’Internationale et ma fidélité au parti. Deux fidélités qui ne coïncident pas, qui sont contradictoires, et si vous dites qu’il y a chez moi des fléchissements, deux attitudes différentes, c’est parce que je suis déchiré entre ces deux antagonismes permanents ». Et après cela, il y a des applaudissements répétés, selon le compte rendu de l’Humanité.

Puis le même camarade déclare :

« Devant certaines décisions de l’Internationale, inapplicables, je le dis, j’ai voulu gagner du temps. J’ai préféré faire cela que casser les reins à mon parti. »

Ainsi, il y avait incompatibilité entre l’Internationale et le parti communiste français ! Le secrétaire général du parti s’est trouvé dans la situation d’un conflit permanent et il a surtout essayé de gagner du temps pour ne pas casser les reins à son parti ! C’est plutôt grave. Chaque fois que j’ai relu cette citation, j’ai ressenti le même choc : c’est tellement inattendu.

Comment ! On a appartenu à l’Internationale pendant deux ans et on dit maintenant que telle résolution formulée par l’Internationale menaçait de casser les reins à son parti ! Alors, pourquoi appartient on à l’Internationale ? On ne comprend pas. On ne peut pas comprendre !

Quand j’ai reçu le numéro de l’Humanité et que j’ai lu ça pour lei première fois, je me suis dit : « Ce sont les prémisses de la rupture avec l’Internationale. » Nous connaissons suffisamment notre camarade Frossard : ce n’est pas un homme à se laisser emporter par son tempérament ; c’est un homme de calcul, froid, et s’il dit, pas dans une conversation, mais au congrès de son parti, comme secrétaire général, que pendant deux années il n’a fait que gagner du temps parce que l’Internationale a pris des résolutions néfastes à son parti, je demande si on peut comprendre cela autrement que comme les prémisses de la rupture avec l’Internationale. (Applaudissements.)

Le cas devient encore plus grave quand on considère les faits qui ont précédé son discours. C’est dans la motion dite Frossard-Souvarine, déjà signée par Frossard et proposée au congrès du parti, que nous lisons :

« Il faut reconnaître, à la lumière de l’expérience, que les survi­vances de l’esprit social démocrate de l’ancien parti et la méconnaissance de la valeur des résolutions de l’Internationale communiste ont nui au renforcement et au perfectionnement du jeune parti communiste. »

C’est à la veille du congrès qu’on dit dans une motion : « C’est la méconnaissance de la valeur des résolutions de l’Internationale qui a surtout nui au parti français » !

Il s’agit de la valeur des résolutions sur le Front unique et l’action syndicale. C’est Frossard qui les a signées et l’encre de sa signature n’est pas encore séchée qu’il déclare à la tribune que les résolutions venues de Moscou et de l’Internationale menaçaient de casser les reins à son parti !

Si quelqu’un comprend, je l’invite à venir nous expliquer cette attitude. Nous avons essayé d’entendre l’explication de la bouche éloquente de notre camarade Frossard. Nous l’avons invité, nous avons répété notre invitation par lettres et télégrammes et même par des décisions de l’Exécutif. Malheureusement, nous n’avons pas abouti. Nous serions pourtant très heureux d’avoir une explication de cette attitude qui ne nous paraît ni bien conséquente, ni bien nette.
L’inertie du secrétariat du parti français.

Pour vous donner un tableau au moins sommaire des relations de l’Internationale et du parti français (son comité directeur et son secrétaire général, surtout), pour vous démontrer comment l’Exécutif a menacé de casser les reins au P.C.F., vous me permettrez de lire ce sera une lecture bien sèche et peu divertissante - l’énumération des lettres, télégrammes et résolutions que nous avons envoyés. C’est un catalogue. Je ne mentionne pas les lettres privées : pour ma part, j’ai fait distribuer parmi les membres de la grande commission les copies des lettres que j’ai envoyées en mon nom propre, mais toujours avec l’approbation de l’Exécutif, en plein accord avec lui, aux camarades français.

Je n’énumère donc que les documents tout à fait officiels.

Au mois de juin 1921, il y avait réunion de l’Exécutif élargi où j’ai prononcé le discours dont je vous ai cité quelques passages essentiels.

En juillet 1921, il y a eu trois résolutions de l’Exécutif (après le 3° congrès mondial) sur le contrôle de la presse, le travail dans les syndicats et la dissolution du comité de la III° Internationale.

Prenez ces résolutions. Est ce celle sur le contrôle de la presse qui menaçait le parti à cause de Fabre et de Brizon qui se couvraient de l’autorité des membres du parti pour poursuivre des entreprises personnelles en compromettant le parti ? N’était il pas utile d’en finir avec une pratique consistant, lorsqu’on détient des postes importants dans le parti communiste, à donner sa collaboration aux organes bourgeois qui empoisonnent les masses populaires ?

Voilà deux résolutions qui n’ont pas, je crois, menacé de casser les reins au parti français, mais seulement à quelques journalistes arrivistes du parti français. Cette résolution ne fut d’ailleurs guère appliquée.

Sur le travail dans les syndicats, je vous ai raconté un peu notre discussion.

En fait, une seule de ces trois résolutions fut appliquée : c’est celle concernant la dissolution du comité de la III° Internationale.

Si nous avons fait des erreurs, et nous en avons fait plusieurs, je crois que nous avons surtout fait celle d’avoir un peu trop confiance en la fidélité des camarades qui dirigeaient le parti français à cette époque.

Le 26 juillet 1921 : lettre confidentielle de l’Exécutif au comité directeur, contenant des critiques amicales et des suggestions sur le travail parlementaire du parti avec l’Internationale, les comptes rendus parlementaires de l’Humanité. Notre camarade Marthe Bigot a fait sur ce point, à la commission, des observations qui confirment la justesse de notre critique, sur les rapports avec les syndicalistes, le travail dans les syndicats, la réorganisation du comité directeur. C’est la première fois que nous avons proposé, par écrit, de créer cette terrible oligarchie qui s’appelle le bureau politique du comité directeur ; sur la structure du parti, l’insuffisance de l’Humanité, le contrôle de la presse.

Invitation à Frossard et Cachin de venir à Moscou : c’est le 1° octobre 1921, un télégramme invitant le parti à envoyer Frossard à Moscou.

15 décembre 1921 : lettre ouverte de l’Exécutif au congrès de Marseille, contenant des critiques et des suggestions sur : la faiblesse de la direction du parti, la discipline, la politique syndicale, le contrôle de la presse, la tendance de droite et le Journal du peuple.

Ce n’est pas le commencement, car le commencement, c’était déjà au cours des conversations avec la délégation pendant le 3° congrès. Puis, c’était la résolution sur le contrôle de la presse, en juillet 1921, quand on a posé pour la première fois la question Fabre. La troisième fois, c’était le 15 décembre 1921. Naturellement, nous avions « exagéré » l’importance de Fabre : mais, maintenant, tous ceux qu’on a rejetés se groupent autour du Journal du peuple. C’est l’abcès qui se forme, mais cette fois hors du parti, avec le concours de la race désormais fameuse des maires de banlieue.

Sur la pénétration du parti dans les usines, l’introduction d’ouvriers à la direction, l’indifférence du parti à l’égard de la vie de l’Internationale : c’est, le 19 décembre 1921, une lettre confidentielle au comité directeur, contenant des critiques et des suggestions sur les questions suivantes : tolérance à l’égard du Journal du peuple. Pour le troisième fois : inexécution des décisions de l’Exécutif, tolérance envers Brizon et la Vague, rapports du parti avec l’Internationale, présidium ou bureau politique du parti.

Si vous me demandez pourquoi je ne vous cite pas les réponses, c’est parce qu’il n’y en a pas. On n’a jamais répondu !

9 janvier 1922 : résolution sur les démissions de Marseille télégrammes convoquant à Moscou les représentants du parti.

C’est une nouvelle série qui commence le 9 janvier 1922.

13 janvier 1922 : télégramme renouvelant la convocation de délégués français en raison de la crise.

23 janvier 1922 : télégramme convoquant Frossard et Cachin, et annonçant l’inscription de la question française à l’ordre du jour de l’Exécutif élargi de février.

24 janvier 1922 : télégramme insistant pour la venue de Frossard et de Cachin et soulignant l’impression regrettable que produirait leur absence.

27 janvier 1922 : télégramme réclamant de nouveau Frossard, « dont l’absence ferait la plus mauvaise impression sur tout l’Exécutif », et annonçant que l’Exécutif élargi sera retardé de quelques jours pour permettre à Frossard d’arriver à temps.

Pendant ces quelques journées où l’on se préparait à envoyer le question française devant l’Internationale et à la soumettre aux représentants des partis affiliés, nous nous interrogions par téléphone chaque soir et chaque matin : « Est ce que vous croyez, Zinoviev, qu’il va venir ? Est ce que vous pensez, Trotsky, qu’il va venir ? je n’y comprends rien. »

On attend, on envoie des télégrammes, mais de quoi s’agit il ? Si nous pouvions aller à Paris, tout de suite, pour consulter nos amis de là bas, chacun de nous voudrait se jeter dans le train le premier. (Applaudissements.) Mais il s’agit de discuter, d’analyser, pour les résoudre, les problèmes difficiles du parti français. Et nous cherchons toujours à inviter les plus représentatifs de ses dirigeants pour discuter avec nous. D’où ces cinq télégrammes qu’on envoie pour inviter les chefs du parti français à venir auprès de l’Internationale résoudre la question française.

Même époque : intervention de Radek auprès de Cachin, à Berlin, pour le décider à se rendre à Moscou.

Février 1922. A l’Exécutif élargi, résolution sur la crise française critique de l’opportunisme du Bloc des gauches, du pacifisme petit-bourgeois, de l’inertie à l’égard du syndicalisme, de l’insuffisance de direction du parti, du fédéralisme ; engagement de la délégation du centre sur : l’exclusion de Fabre (c’est la quatrième fois que la question est posée), la réintégration des démissionnaires de Marseille, l’application de la thèse syndicale de Marseille.

Avril 1922 : conseil national du parti français.

9 mai 1922 exclusion de Fabre par l’Exécutif (alors que la question était posée pour la cinquième fois et après qu’on ait fait jouer l’article 9 des statuts).

12 mai 1922 : lettre confidentielle au comité directeur avec critiques et suggestions sur les questions suivantes

désorientation du parti ;

croissance de l’influence de la droite ;

passivité dans l’affaire Fabre (c’est la sixième fois) ;

silence de l’Humanité sur les questions brûlantes ;

inertie devant les anarchistes et les syndicalistes ;

hostilité au Front unique, campagne de l’Humanité et de l’Internationale constituant un sabotage de l’action de l’Internationale communiste ;

indiscipline du parti envers les décisions de l’Internationale communiste ;

mauvaise volonté dans l’application des résolutions votées par les diverses délégations françaises à Moscou ; rappel des multiples démarches conciliantes antérieures de l’Internationale communiste ;

invitation à clarifier désormais les rapports entre le parti français et l’Internationale.

Même époque : télégramme à Frossard pour réclamer sa présence à l’Exécutif élargi de juin.

Juin 1922 : Exécutif élargi. Résolution sur : la structure du parti, la discipline intérieure, la fédération de la Seine, la question syndicale, le Front unique, le Bloc des gauches, la presse du parti, les fractions du parti, le blâme à Daniel Renoult, l’affaire Fabre (c’est la septième fois), le congrès du parti, la nécessité d’un manifeste du comité directeur.

Juillet 1922 : trois télégrammes invitant le parti à exclure Verfeuil, Mayoux et Lafont.

Juillet 1922 : lettre à la fédération de la Seine sur : le fédéra­lisme et le centralisme, l’article 9 des statuts internationaux, l’affaire Fabre (c’est la huitième fois), la discipline.

Septembre 1922 message au 2° congrès du parti communiste français, traitant de toutes les questions énumérées dans les lettres précédentes.

6 octobre 1922 : message complémentaire au congrès de Paris, concernant : le renouvellement du vote des vingt et une conditions, l’exclusion de Verfeuil ; résolution de l’Exécutif approuvant la décision de la fédération de la Seine excluant Verfeuil.

Novembre 1922 : plusieurs télégrammes invitant Frossard et Cachin à assister au 4° congrès.

Cette sèche énumération des lettres, télégrammes, propositions et suggestions envoyés par nous et demeurés presque sans écho ni réponse, depuis une année et demie, c’est le temps que notre camarade Frossard prétend avoir gagné ! Nous déclarons que ce temps sera inscrit dans l’histoire du parti français à fonds perdus, du fait de la passivité, de l’inertie matérielle et politique des camarades dirigeants et responsables du parti à cette époque.

Qu’on dise maintenant quelle était parmi les suggestions que je viens d’énumérer celle qui pouvait être nuisible et même néfaste au parti ! Pourquoi était il nécessaire de « gagner du temps » dans l’exclusion de Fabre, qui était si simple et si indispensable, et aussi dans les questions du régime de la presse, du bureau politique et surtout du travail syndical et du Front unique ?

Les suggestions de l’Internationale.

Que les membres de l’Internationale ne soient pas infaillibles, personne ne le conteste ; mais est ce qu’on peut nous démontrer que dans ces suggestions, propositions et résolutions, l’Internationale a commis des erreurs ? Où sont ces erreurs ? Et qu’on nous démontre qu’on a fait du bien au parti français en négligeant les suggestions et tentatives de l’Internationale ! Qu’on nous démontre qu’on a gagné et non perdu du temps !

Si le secrétaire général du parti lui-même déclare avoir gagné du temps, contre l’Internationale, qui menaçait de « casser les reins » au parti français, il est clair que les délégués permanents à la propagande doivent dire la même chose et faire la même besogne d’une manière plus simpliste. C’est ainsi que le camarade Auclair raconte à la jeunesse que les décisions de l’Internationale communiste sont basées sur des ragots c’est son expression.

Quand nous avons demandé à Frossard s’il était exact qu’il ait installé Auclair comme délégué à la propagande, il nous a répondu : « Seulement à titre provisoire. » Ce qui était vrai. Mais après le congrès de Paris, on voit le même camarade maintenu à son poste. Et quand nous faisons quelques objections à nos camarades français du centre, ils disent : « Vous exagérez. » Nous « exagérons » pour Fabre, nous « exagérons » pour Auclair, nous « exagérons » avec nos propositions pour le Front unique et pour l’action syndicale, nous « exagérons » dans la question du régime de la presse, nous « exagérons » toujours !

Il est cependant naturel que nous nous élevions contre toutes les manifestations d’un esprit non communiste, qu’il s’agisse de Fabre ou d’Auclair ou de la collaboration à la presse bourgeoise. Chacun de ces faits, si on le considère séparément, a ses racines profondes dans les couches profondes du parti. On a tort de les présenter comme sans importance : ce sont des signes qui ne peuvent tromper sur un militant. Qu’est ce qu’il vous faut, alors, comme preuve évidente de non communisme ? Si Frossard dit que les résolutions de l’Internationale menacent de « casser les reins » au parti français, et si Auclair surenchérit en disant que ces résolutions sont prises sur la base de « ragots », alors on peut imaginer quelles lueurs atteignent les couches les plus profondes du parti, qui ne sont guère informées des faits.
La diginité du parti.

Nous en possédons des témoignages extrêmement précieux apportés par notre camarade Louis Sellier qu’on ne doit pas confondre avec Henri Sellier, exclu du parti. Louis Sellier a représenté quelque temps le parti à Moscou. Il est rentré en France et il est proposé comme secrétaire général suppléant du parti, ce qui est un poste important et vous montre que ce camarade est tenu en grande estime dans le parti français. Nous qui avons fait sa connaissance à Moscou, nous partageons cette estime pour le camarade Louis Sellier.

Dans l’Humanité du 27 août 1922, il a publié sous le titre « Ecartons d’abord les légendes absurdes », un article où il dit :

« Il y a chez nous des camarades qui sont certainement très malins. Ils commencent par affirmer la main sur le cœur que leur dévouement à la révolution russe a été et reste total. Mais... » Et alors, c’est la série des « mais » et des « si » menaçants, solennels et absurdes. « Mais si Moscou veut faire du parti une petite secte stipendiée et servile », « Si Moscou veut enlever au parti toute espèce d’indépendance », « Si Moscou veut installer la guillotine en permanence au sein du parti », etc., etc. »

Et plus loin :

« Nous manquerions, au plus élémentaire de nos devoirs si nous ne hurlions pas à nos camarades de la majorité, à nos camarades du centre, qu’on s’efforce de les tromper en leur racontant sur Moscou les bêtises dont nous venons de citer les plus perfides. Moscou ne veut essentiellement pas que la Ill° Internationale fasse faillite comme la Il°. »

C’est Louis Sellier qui écrit cela. Il faut donc hurler aux camarades du centre que Moscou ne veut pas créer une petite secte stipendiée et servile. C’est un membre du centre qui le dit.

Louis Sellier rapporte ce propos : « Si Moscou veut enlever au parti toute espèce d’indépendance... » et nous avons entendu à la grande commission française quelques paroles dans ce sens : la dignité du parti serait menacée par certaines interventions de l’Internationale. Voilà des sentiments, une mentalité, un état d’âme tout à fait étranges et que nous ne comprenons pas.

En février dernier, il y avait ici une commission qui s’occupait de la question russe. Cette commission était présidée, je crois, par le camarade Marcel Cachin. Il s’agissait de traiter d’un malaise intérieur de notre parti russe. Cette commission n’a pas travaillé à Paris, malheureusement, parce que nous ne pouvons pas encore tenir nos congrès à Paris. Ça viendra. C’était à Moscou. Cette commission était composée de camarades étrangers qui avaient à statuer sur une question bien pénible pour notre parti puisqu’il s’agissait de l’Opposition ouvrière contre le comité central du parti bolchevique.

Zinoviev, moi et quelques autres camarades, nous fûmes cités par la commission. Nous avons donné notre avis. Il y avait chez nous un sentiment de soulagement qu’il existât une institution internationale, une instance suprême, et personne ne s’est senti humilié pour l’autorité de notre parti. Au contraire, on était très heureux de pouvoir résoudre une question importante avec l’aide de l’Internationale communiste.

L’intervention de cette commission eut un résultat excellent pour notre parti, puisque l’Opposition ouvrière a cessé après cette intervention suprême.

Alors, qu’est ce que c’est que la dignité du parti ? Il y a l’intérêt du parti, c’est la loi suprême, et chacun de nous doit s’incliner devant cette loi suprême. C’est en cela que consiste la dignité du parti et de chaque membre du parti. (Applaudissements.)

J’ai insisté sur ce point parce que, au congrès de Paris, on a agité ce spectre de la dignité du parti. Vous connaissez tous la situation créée par le congrès de Paris. Quelques mois avant le congrès, nous avions proposé de constituer un bloc des deux fractions les plus fortes, le centre et la gauche, contre la droite, avec une certaine attitude, je dirais expectative, envers la tendance Renoult Dondicol.

Quelle était l’idée de ce plan ? Elle était bien simple. La lutte des fractions avait été prévue par l’Exécutif. Nous avons maintes fois répété à notre camarade Louis Sellier que, si le centre maintenait son attitude conservatrice, la création de fractions était inévitable comme réaction nécessaire et salutaire pour le parti, pour l’empêcher de sombrer dans le marais de la passivité.

En même temps que se déroulait ce processus inévitable, il y avait la nécessité où l’on se trouvait de donner au parti la possibilité de mener une action extérieure. La fraction Renoult Duret constituait, à cette époque, l’opposition la plus extrême au Front unique. Il n’y avait pas possibilité d’envisager alors une collaboration avec cette fraction, bien qu’on ait su, à l’Exécutif, qu’elle comportait des éléments ouvriers excellents, nettement opposés au parlementarisme et aux combinaisons avec les dissidents, les réformistes, c’est à dire des éléments animés d’un pur esprit révolutionnaire, mais mal informés. Nous avons pris envers cette tendance, tout en la critiquant, une attitude d’expectative.

En même temps, nous n’avons jamais négligé le fait que, malgré telle ou telle erreur commise par la gauche, c’est elle qui représentait le mouvement en avant du parti, contre le conservatisme et la passivité.

D’un autre côté, nous n’avons jamais négligé le centre, malgré ses erreurs qui menacent la base même du parti. Cette fraction englobe beaucoup d’excellents éléments ouvriers qui se grouperont demain ou après demain sur la même base d’action révolutionnaire.

Nous avons alors proposé un bloc des deux grands groupements, centre et gauche, pour faciliter au congrès de Paris sa tâche, qui était exclusivement de préciser les idées du parti et de créer les organismes centraux qui pouvaient le diriger. La lutte des fractions conduisait le parti à une impasse. Il fallait proposer une combinaison, qui pouvait ne pas être parfaite, mais qui apportât une solution plus ou moins convenable pour l’année suivante.

Nous avons toujours insisté pour fonder la réalisation de ce bloc sur une base révolutionnaire ; ce bloc devait être énergiquement dirigé contre la droite afin de régler cette question sur le plan politique, totalement et définitivement ; dans ces conditions, nous aurions eu la possibilité de mener une action vigoureuse et le parti aurait pu se présenter devant le 4° congrès comme un parti beaucoup plus discipliné et capable de diriger l’action.

C’est ce qui fut dit et maintes fois répété : « Si le centre fait de l’opposition, s’il se laisse entraîner par les éléments du conservatisme et de la réaction, par la passivité, en gagnant du temps, nous pensons qu’il ira vers sa décomposition et que sa décomposition provoquera la crise la plus pénible pour le parti tout entier. »
Le rôle du centre au congrès de Paris.

Je ne veux pas raconter ici l’histoire des pourparlers qui ont eu lieu à Paris pour la constitution des organismes centraux. Les fractions se sont heurtées à des difficultés sans pouvoir aboutir. Quand il y a des pourparlers entre deux fractions en lutte, les questions d’organisation sont toujours pénibles : il y a eu des discussions, des exigences, excessives des deux côtés. Ce n’est pas possible autrement. Mais la rupture s’est produite sur des propositions tout à fait nettes, non pas sur des exigences exagérées de la gauche, comme on l’affirme, mais sur des propositions de parité présentées par les représentants de l’Exécutif.

Le centre a préféré rompre les pourparlers ; il a repoussé la parité, même provisoirement, jusqu’au congrès. Et c’est le camarade Ker qui a prononcé un grand discours, le 17 octobre, sur ce sujet. Il a posé la question de la manière suivante : « Il s’agit de savoir si le parti français ne sera pas libre de désigner lui-même les hommes qui doivent le diriger. » Ceci, d’après le compte rendu de l’Humanité du 18 octobre (séance du 17).

Au moment où les pourparlers viennent d’être rompus sur l’initiative du centre, on dit aux délégués de province qui n’ont pas encore connaissance des propositions de l’Internationale : « Il s’agit de savoir si le parti français ne sera pas libre de désigner lui même les hommes qui doivent le diriger » ! C’était dénoncer la gauche d’un côté et les représentants de l’Internationale de l’autre comme ayant l’intention de priver le parti français du droit de disposer de lui-même, de son autonomie comme parti. Cette dénonciation tout à fait injuste était très dangereuse du point de vue des aspirations nationales et non internationalistes.

La même idée est répétée dans l’appel signé par le nouveau comité directeur formé par le centre. Au lendemain du congrès de Paris, on dit : « Le 4° congrès mondial examinera la situation du parti... Il se trouve saisi, dépouillé de son droit de choisir les hommes qu’il investit de sa confiance et qui sont chargés de le représenter dans les organismes de direction du parti. »

Camarades, quand il s’agit, dans chaque section, de formuler une ligne directrice pour une action, de donner des conseils d’organisation du parti, de surveiller les tendances du parti, chaque parti est en droit de se demander s’il est libre de disposer de lui-même ou si on ne le menace pas de le priver de ses droits.

Mais en quoi consiste le droit d’un parti à disposer de lui-même

Il consistait, dans le cas présent, en ce que les deux fractions, qui, réunies forment l’écrasante majorité du parti, pussent s’entendre pour dresser une liste commune, fixer d’un commun accord la composition des organismes centraux et présenter cette liste au congrès en lui disant : « Voilà ce que nous vous proposons, ce que nous vous conseillons d’accepter, parce que, dans cette période de décomposition menaçante du parti, c’est la meilleure issue. »

Or, on n’a pas présenté la question de cette manière. Après avoir mené les pourparlers avec la gauche et les représentants de l’Internationale, après avoir consommé la rupture, on a dénoncé la gauche et les représentants de l’Internationale comme des institutions, des organismes, des personnes qui menacent la dignité et la souveraineté du parti français et, dans le tumulte et la nervosité du congrès, un appel signé par le comité directeur déclare : « C’est le congrès mondial qui devra s’occuper de la question. il s’agit de savoir si le congrès national a le droit de choisir lui-même son comité directeur. »

Mais c’est un droit indiscutable ! Et nous voyons que ce droit est exercé. Mais nous voyons aussi que les mêmes camarades n’ont pas osé, je peux le dire, proposer au congrès, dans la situation dans laquelle ils sont mis, d’affirmer et de réaliser pleinement sa souveraineté en créant un comité directeur normal. Ils ont proposé eux-mêmes de créer un comité directeur provisoire. Pourquoi ? Parce qu’ils ont eux-mêmes paralysé la souveraineté du congrès parce qu’après l’avoir paralysé, ils n’ont pas pu, étant donné la situation du parti, engager ce congrès à se donner, avec les deux cinquièmes des voix, un comité directeur. Après cela, il ne restait plus qu’à s’adresser au congrès international pour rattacher les fils qui avaient été rompus par la faute du centre.

L’incident Jaurès.

Camarades, je vous ai déjà dit que je ne pouvais pas vous exposer ici l’histoire du congrès de Paris. Il y a eu cependant un incident que je trouve nécessaire de porter à votre connaissance. C’est l’incident qui fut rapporté à la grande commission par notre camarade Clara Zetkin. Il s’agit d’un incident extrêmement pénible parce qu’il est lié au nom de Jean Jaurès. Je crois nécessaire d’en dire quelques mots, non pour renouveler ici la scène du congrès de Paris, mais simplement pour mettre au point une question idéologique sérieuse.

Une motion fut présentée par la commission des conflits, qui avait pour secrétaire, d’après ce que l’on m’a dit, un jeune camarade de la gauche. Cette motion proposait d’exclure Henri Sellier, tout à fait mûr pour cela, en indiquant qu’Henri Sellier se nourrissait, dans sa conception démocratique, de « la tradition jauressiste ».

Tout le monde admettra qu’il n’était pas nécessaire de parler de Jaurès dans la résolution d’exclusion, même indirectement. De cette maladresse, on a fait un grave incident politique, non seulement dans le congrès mais après le congrès, dans la presse du parti.

Une résolution a été rédigée à la hâte. On en a fait une question de tendance et on a demandé : « Etes vous pour ou contre la tradition de Jaurès ? Etes-­vous avec ou contre Jaurès ? » Voilà comment on a posé la question. Je ne crois pas que cela ait été bénéfique ni à la mémoire de Jaurès, ni au parti lui-même.

Jaurès, nous l’avons tous connu, sinon personnellement, du moins par son rayonnement politique. Nous connaissons tous sa grande et monumentale figure historique, qui dépasse sa personne et qui reste et restera, dans l’histoire, comme une des plus belles figures humaines. Et nous pouvons dire maintenant, et nous pourrons dire demain, que chaque parti révolutionnaire, chaque peuple opprimé, chaque classe ouvrière opprimée, et surtout l’avant-­garde des peuples et des classes ouvrières opprimées, l’Internationale communiste, peuvent se réclamer de Jaurès, de sa mémoire, de sa figure, de sa personnalité. Jaurès est notre bien commun, il appartient aux partis révolutionnaires, aux classes, aux peuples opprimés.

Mais Jaurès joua un certain rôle à une certaine époque, dans un certain pays, dans un certain parti, dans une certaine tendance de ce parti. C’est l’autre aspect de Jaurès.

Il y avait en France, avant la guerre, dans le parti socialiste, deux tendances, et le chef spirituel et politique de l’autre tendance était Jules Guesde, lui aussi une grande et belle figure de l’histoire de la classe ouvrière française et internationale. Il y avait une grande lutte entre Jaurès et Guesde, et dans cette lutte, c’est Guesde qui avait raison contre Jaurès. Nous ne pourrons jamais l’oublier.

Quand on nous dit que nous nous séparons de la tradition jauressiste, cela ne veut pas dire que nous confions la personnalité de Jaurès et sa mémoire aux mains malpropres des dissidents et des réformistes. Cela veut seulement dire qu’il y a un grand changement dans notre politique et que nous combattrons les survivances et les préjugés de ce qu’on appelle la tradition jauressiste dans le mouvement ouvrier français.

C’est mal servir la classe ouvrière en France que d’avoir fait de cet incident un conflit d’idées, comme si les communistes pouvaient vraiment se réclamer des traditions démocratiques et socialistes de Jaurès.

Relisons les livres de Jaurès, son Histoire socialiste de la Grande Révolution, son livre sur l’Armée nouvelle, ses discours, on se sent toujours soulevé par un grand esprit, une grande foi, mais en même temps on distingue les grandes faiblesses qui ont fait sombrer la II° Internationale. Nous ne sommes pas les gardiens des faiblesses et des préjugés de la Il° Internationale, de cette II° Internationale qui était représentée dans sa forme la plus géniale par Jaurès. Nous ne sommes pas des gardiens de ces préjugés ; au contraire, nous luttons contre cette tradition : nous devons la combattre et la remplacer par l’idéologie communiste.

Camarades, la grande commission que vous avez créée a, après une discussion très large et parfois passionnée, créé une sous commission chargée des questions d’organisation et de l’élaboration d’un projet de résolution politique. Vous avez reçu notre proposition par écrit. Nous nous sommes inspirés, pour la rédiger, de deux idées.

Il faut condamner les fautes, les erreurs politiques commises par la principale fraction dirigeante du parti communiste français : le centre.

Il faut souligner les fautes commises par la tendance Daniel Renoult Duret­-Dondicol.

Et il faut reconnaître que, quelles que soient les erreurs secondaires commises par la fraction de gauche, c’est la gauche qui a fidèlement représenté l’Internationale, ses idées, ses suggestions, dans les questions les plus importantes pour la vie et pour la lutte de la classe ouvrière française.

C’est ce que nous avons reconnu dans notre résolution politique.

Quant à notre proposition d’organisation et de composition des organismes centraux du parti, nous avons essayé de mesurer les rapports de force entre les différentes tendances et d’adapter la composition des organismes centraux à la situation momentanée du parti. Naturellement, ce n’est pas ainsi que nous procédons d’ordinaire, Nous rejetons absolument le principe de la représentation proportionnelle, parce que ce principe menace toujours de faire du parti une fédération de tendances. C’est un encouragement pour tout groupement qui veut créer une tendance ; c’est un régime néfaste pour le parti et pour son activité. Mais nous sommes dans une situation créée par une préhistoire dont je vous ai un peu parlé - suffisamment, j’espère, pour vous faire comprendre notre politique.

Nous avons donc demandé, dans cette situation, pour ce comité directeur et pour les autres organismes centraux du parti, la représentation proportionnelle. La sous-commission qui a élaboré cette proposition était composée des camarades Zetkin, Bordiga, Kolarov, Humbert-Droz, Katayama, Manuilski, Trotsky.

La grande commission à laquelle nous avons présenté notre projet, élaboré après une discussion approfondie, a adopté à l’unanimité toutes les propositions d’ordre politique ou d’ordre organique, et nous demandons au congrès de faire de même et se de conformer à l’unanimité aux résolutions votées.

La franc-maçonnerie.

Pendant la discussion de la grande commission, une nouvelle question a été posée. C’est la question de la franc-maçonnerie, qui, jusqu’à maintenant, a toujours été passée sous silence dans la vie du parti. II n’y a jamais eu d’articles de polémique, on n’a jamais mentionné dans la presse que, dans le parti communiste, comme d’ailleurs dans les syndicats révolutionnaires et réformistes, il y a pas mal de camarades qui appartiennent en même temps à la franc-maçonnerie !

Quand ce fait a été connu de la commission, ç’a été de la stupeur, parce qu’aucun des camarades étrangers ne pouvait supposer que, deux années après Tours, le parti communiste français pût avoir dans son sein des camarades appartenant à des organisations dont il est superflu de définir le caractère au sein d’un congrès communiste mondial.

J’ai essayé de traiter le problème dans un article de l’organe du congrès, le Bolchevik. J’ai dû, pour écrire cet article, chercher dans ma mémoire les arguments les plus vétustes, couverts de poussière, contre la franc-maçonnerie, que j’avais tout à fait oubliée comme force réelle.

Je ne vous ennuierai pas en reprenant ces arguments. Il est de fait qu’en France la bourgeoisie radicalisante, qui a des chefs bien médiocres et une presse bien pauvre, se sert des institutions secrètes, de la franc-maçonnerie surtout, pour masquer son entreprise réactionnaire, sa mesquinerie, la perfidie dans les idées, l’esprit, le programme. La franc-maçonnerie est une de ses institutions, un de ses instruments.

Il y a un an et demi, nous avons dit au parti français : « On ne voit pas cet abîme qui devrait être creusé par notre presse, par nos discours, entre le parti communiste et toute la société bourgeoise. »

Nous voyons maintenant que non seulement cet abîme n’existe pas, mais qu’il existe des passerelles à peine un peu arrangées, un peu masquées, un peu couvertes : ce sont les passerelles de la franc-maçonnerie, de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen, etc. La liaison s’opère par ces passerelles entre la Ligue, la franc-maçonnerie et les institutions du parti, la rédaction du journal, le comité directeur, le comité fédéral.

On fait des discours, on écrit des articles sur la nécessité d’écraser cette société, corrompue par la lutte de classe menée par le prolétariat, lui-même guidé par un parti absolument indépendant de la société bourgeoise. On est révolutionnaire jusqu’au bout... et on va dans les loges maçonniques rejoindre et embrasser les frères aînés qui représentent les classes bourgeoises !

On ne peut comprendre cette mentalité et cette façon d’agir. Quelques camarades ont dit : « Oui, nous pensons comme vous que chaque communiste doit sacrifier toutes ses forces au parti et qu’il ne doit pas les prêter à d’autres institutions, à d’autres entreprises, à d’autres organisations. » Ce n’est pas la seule raison. Si un communiste est musicien, s’il fréquente les concerts, les théâtres, nous ne pouvons pas exiger de lui qu’il en fasse le sacrifice, si ce sacrifice n’est pas exigé par la situation. S’il est père de famille et qu’il veuille consacrer à ses enfants une partie de sa vie, évidemment, nous pouvons exiger beaucoup de lui, mais nous ne pouvons pas exiger qu’il renonce à s’occuper de ses enfants. Ici, il ne s’agit pas de ça. Il ne s’agit pas d’un certain partage de son travail, de son attention, de sa vie entre deux institutions ou deux occupations : non !

Si vous présentez cette question de cette manière devant la classe ouvrière, elle ne comprendra jamais pourquoi l’Internationale s’y intéresse. Il faut affirmer l’incompatibilité complète et absolue, implacable, entre l’esprit révolutionnaire et l’esprit de la petite bourgeoisie maçonnique, instrument de la grande bourgeoisie (Applaudissements.)

Cette question ne fut malheureusement pas soulevée au lendemain du congrès de Tours. Elle n’a surgi devant notre commission qu’à l’occasion de la lutte des fractions. Quand la commission a pris connaissance de ces faits, elle les a immédiatement mis à l’ordre du jour de son travail comme des faits d’une grande importance.

On nous a dit alors : « Vous exagérez. » C’est toujours la même chose. C’est toujours le cas de Fabre qui revient. Fabre est immortel ; même tué une fois par l’Internationale communiste, il renaît toujours sous un autre masque, et aujourd’hui sous celui de la maçonnerie secrète.

On nous a dit : « Vous exagérez. » Nous croyons, au contraire, que nous sommes cette fois en présence d’une question qui peut devenir un levier pour changer efficacement, immédiatement, quelque chose dans ce parti.

Il y a de grandes questions : la question des syndicats, la question du Front unique. C’est sur cette base que se développera le mouvement ouvrier. La tradition parlementaire du parti français s’est cristallisée dans la couche supérieure des députés, des journalistes , des avocats, des intellectuels, et elle a constitué, dans une certaine mesure, comme un Etat dans l’Etat.

C’est surtout l’esprit de l’« opportunité » qui est développé chez les éléments intellectuels, dont les cerveaux sont pleins de réminiscences des différentes situations par lesquelles ils sont passés et dans lesquels on ne peut plus rien déchiffrer.

Il faut un choc. C’est surtout dans cette couche du parti qu’il sera salutaire, non seulement pour le parti ce qui est la raison principale mais pour les éléments de valeur qui existent naturellement dans cette couche dirigeante, un peu traditionaliste, trop conservatrice et qui se réclame toujours de la journée d’hier ou d’avant hier au lieu de s’orienter vers l’avenir.

Ce devra être un grand choc, parce que leur ligne n’est pas la ligne directrice qu’il faut à la classe ouvrière. C’est un ensemble de relations, de comportements, d’aptitudes, d’habitudes personnelles chez les camarades appartenant à cette couche dirigeante.

Beaucoup de fonctionnaires du parti fréquentent les loges maçonniques. Naturellement, ils ne cachent pas là bas leur communisme comme ils cachent leur franc maçonnerie quand ils sont parmi nous. Mais, tout de même, ils arrangent leur communisme de façon à le rendre convenable pour les frères bourgeois, acceptable pour cette société si délicate, aux nerfs si raffinés. Maeterlinck, le poète, a dit une fois qu’en cachant son âme parmi les autres, on finit par ne plus se retrouver soi même. Eh bien, quand on est dans un milieu pareil et qu’on a modifié ses opinions selon les goûts exquis de ces frères raffinés en politique radicale, on finit par ne plus retrouver sa véritable physionomie de communiste révolutionnaire.

Voilà pourquoi c’est, selon nous, une question importante pour les couches dirigeantes du parti. Naturellement, le comité directeur , quand il accomplira cette tâche que nous lui proposons d’accomplir, aura tout de suite contre lui, en France, les neuf dixièmes de l’opinion publique officielle. On peut déjà prévoir avec une certaine joie révolutionnaire que ces milieux réactionnaires, catholiques, francs maçons, de la nuance Léon Daudet ou de la nuance des amis d’Herriot, avec toute leur presse, se lanceront à l’assaut de l’Internationale et du parti communiste, et si vous vous présentez avec des excuses, des atténuations, des explications, en disant que la franc maçonnerie n’est pas une chose tout à fait condamnable en soi, mais qu’il ne faut pas partager son cœur entre le parti et la franc-maçonnerie parce que le parti a besoin des quatre quarts du cœur, alors vous vous trouverez, camarades du comité directeur, dans une situation intenable. Au contraire, le parti doit frapper sur la table avec énergie et proclamer : « Oui, nous avons commis une faute en tolérant que des camarades de valeur, par une inertie regrettable, aient appartenu à la franc maçonnerie. Mais, après avoir reconnu cette faute, nous engageons une lutte implacable contre cette machine de subversion de la révolution. La Ligue des droits de l’homme et la franc maçonnerie sont des machines bourgeoises qui circonviennent la conscience des représentants du prolétariat français. Nous déclarons à ces méthodes une guerre impitoyable, parce qu’elles constituent une arme secrète et insidieuse de l’arsenal bourgeois ».

Si le comité directeur engage l’action avec cette énergie implacable, il aura naturellement contre lui les dissidents, les Léon Blum et les catholiques, qui défendront les maçons. La maçonnerie trouvera des excommunications catholiques pour maudire les communistes. Le parti aura contre lui un mélange de la bourgeoisie de toutes les nuances, mais le parti communiste restera debout, opposé à toute cette politicaillerie, cette tromperie de la société bourgeoise, comme un bloc révolutionnaire qui défend les intérêts suprêmes du prolétariat.

Et je suis sûr que si vous procédez ainsi, par un choc salutaire, vous retrouverez votre parti, après un. mois, ou deux ou trois, dans une situation bien différente de la situation dans laquelle il se présente devant le 4° congrès mondial.

On criera beaucoup contre les « ordres » de Moscou. On criera de nouveau à la liberté d’opinion, mais cette fois d’opinion franc-rnaçonnique : ce sont les mêmes camarades qui demanderont encore la liberté de pensée et de critique. Mais ces camarades qui polémiquent pour la liberté de pensée et d’opinion envisagent ils les divergences inévitables à l’intérieur des cadres communistes ? Non. Mais ils voudraient disposer d’un cadre qui engloberait les pacifistes, les francs maçons, les propagandistes de la sainte loi catholique, les réformistes, les anarchisants, les syndicalisants. Voilà ce qu’ils appellent la liberté de pensée.

Ces hommes qui, presque toujours des intellectuels, passent les neuf dixièmes de leur temps dans les milieux bourgeois, ont des occupations qui les détachent tout à fait de la classe ouvrière. Leur mentalité se trouve travaillée dans ce milieu pendant les six jours de la semaine qu’ils y passent. Ils rentrent dans leur parti le dimanche, en ont oublié les principes et doivent recommencer par la critique, par le doute surtout. Ils disent : « Nous réclamons pour nous la liberté de pensée. » Alors, on rédige une nouvelle résolution qu’on leur impose. Puis ils retournent dans leur milieu et recommencent. Ce sont des amateurs, des dilettantes, et parmi eux il y a beaucoup d’arrivistes.

Il faut les éliminer ; il faut libérer le parti de ces éléments pour lesquels le parti n’est qu’une porte ouverte vers un poste, vers un mandat.

C’est pourquoi nous acceptons comme principe rigoureux que les neuf dixièmes des postes électoraux mis à la disposition du parti soient occupés par des ouvriers et pas même par des ouvriers devenus fonctionnaires du parti, mais par des ouvriers qui sont encore à l’usine ou aux champs.

Il faut montrer à la classe ouvrière qu’on l’a jusqu’à présent trompée et que les différents partis se sont servis d’elle comme d’un tremplin pour faire un bond dans leur carrière, et il faut montrer que notre parti considère le domaine parlementaire comme une partie seulement de son domaine révolutionnaire.

C’est la classe ouvrière qui agit dans ce domaine ; ce sont ses représentants les plus purs, les plus capables, ceux qui l’expriment le mieux qu’il faut introduire au Parlement, naturellement en les épaulant par des camarades dévoués et sûrs qui ont une certaine instruction. Mais la majorité écrasante de notre fraction parlementaire, municipale, cantonale, etc., doit être prise parmi les masses ouvrières et surtout en France, étant donné ses mœurs, ses conceptions, ses habitudes.
La presse.

Il faut en finir avec ce régime qui consiste à considérer la presse comme le domaine où s’exerce le talent des journalistes. Il est bien qu’un journaliste ait du talent, mais la presse n’est rien d’autre que l’instrument de la lutte, un instrument qui doit être, autant que possible, anonyme, représentant la collectivité, reflétant l’idée directrice de la classe ouvrière et non les idées particulières de tel ou tel individu.

A ce point de vue, le Populaire représente très bien les traditions du parti parlementaire.

Je trouve ici un éditorial du Populaire, avec une note de la rédaction ; le rédacteur en chef écrit : « je crois devoir rappeler que les éditoriaux du journal n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. »

Voilà leurs mœurs : les articles n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs ! On demande aux ouvriers le sacrifice de leurs sous pour un journal qui se réclame du socialisme et qui fait une règle générale du fait que les articles de tête n’engagent que leurs auteurs !

Les articles, chez nous, engagent le parti. Le journaliste doit être anonymement à la disposition du parti. Et si messieurs les journalistes et j’appartiens un peu à cette caste nous répondent que leur dignité personnelle est atteinte par cette procédure, nous dirons que la plus haute dignité du journaliste communiste est d’être l’instrument le plus fidèle et, autant que possible, impersonnel, de la mentalité, de la politique, de la lutte de la classe ouvrière.
Notre action parmi les paysans.

Je dois encore mentionner tout particulièrement deux questions. D’abord, celle de notre action parmi les paysans.

Cette question a été traitée plus rapidement que toutes les autres questions de principe au congrès de Paris. Elle a été mise en discussion par le camarade Jules Blanc ; celui ci a dit que la lecture de lettres de paysans montre l’existence chez eux d’un sentiment révolutionnaire dont la constatation permet de protester contre l’épithète « petite bourgeoise » trop rapidement appliquée à la classe paysanne, et que répandre les brochures où la classe paysanne est traitée de petite bourgeoise, c’est desservir la propagande du parti.

La même objection a été faite par le camarade Renaud Jean, et je crois nécessaire de dire quelques mots sur notre travail parmi les paysans.

L’expression « petite bourgeoise » n’est pas une insulte. C’est une expression scientifique qui exprime que le producteur est propriétaire de ses moyens de production : il n’est pas encore tout à fait détaché de ses moyens de production, sans être pour autant salarié. Voilà ce que signifie l’expression « petite bourgeoise ».

Si, au cours d’un discours de propagande et non dans une discussion scientifique un paysan m’interrompt pour me demander : « Est ce que je suis un petit bourgeois ? », je lui fournirai des explications qui, je crois, ne le choqueront pas. On trouve trop souvent des paysans qui se distinguent du prolétaire, lequel n’a rien, tandis qu’eux sont propriétaires de leurs moyens de production. Ils ont, de ce fait, une mentalité plus individualiste que celle des ouvriers.

Cette expression est juste et nécessaire, pour éviter de nous tromper nous mêmes sur le caractère de cette classe paysanne, pour éviter de tromper les ouvriers. Mais, malgré la différence qu’il existe, dans le mode de vie et la mentalité, entre ces deux classes, l’expression « petit bourgeois » ne peut nullement gêner notre action parmi les paysans.

La question coloniale.

L’autre question est la question coloniale. Je ne sais pas si on a cité ici la résolution de la section de Sidi bel Abbès, en Algérie. Cette résolution d’un groupement qui se prétend communiste constitue un grand scandale, quoique émanant d’un petit groupe. Elle dit : « En matière coloniale, elle (la section) est en complet désaccord avec les thèses de Moscou ( ... ). Les fédérations communistes indigènes sont seules qualifiées pour arrêter une tactique d’action communiste locale. Les fédérations communistes algériennes ne sauraient admettre sous aucun prétexte que soient publiés en Algérie des manifestes dont l’esprit et la lettre, engageant leur responsabilité, n’auraient pas été arrêtés par elles. »

C’est dire que l’Internationale ne doit pas intervenir de trop près dans les questions intérieures du parti. Voilà une section coloniale qui se dresse contre son parti et contre son Internationale, et dit : « Non, non, quand il s’agit des indigènes, c’est notre domaine réservé. »

La résolution dit encore :

« Un soulèvement victorieux des masses musulmanes d’Algérie qui ne serait pas postérieur à un même soulèvement victorieux des masses prolétariennes de la Métropole amènerait fatalement en Algérie un retour vers un régime voisin de la féodalité, ce qui ne peut être le but d’une action communiste. »

Voilà le fond. On ne peut pas admettre la révolte, et surtout la révolte victorieuse des indigènes dans les colonies, parce que s’ils commettent cette bêtise de se libérer de la domination de la bourgeoisie française, ils retourneront à la féodalité, et les communistes français d’Algérie ne peuvent pas tolérer qu’à la suite d’une émeute révolutionnaire les pauvres indigènes se libèrent de la bourgeoisie française et retombent dans la féodalité !

Quant à nous, nous ne pouvons pas tolérer deux heures ni deux minutes des camarades qui ont une mentalité de possesseurs d’esclaves et qui souhaitent que Poincaré les maintienne dans les bienfaits de la civilisation capitaliste ! C’est Poincaré en effet qui est le mandataire d’un tel groupe, puisque c’est lui qui, par ses instruments d’oppression, sauve les pauvres indigènes de la féodalité et de la barbarie !

Une trahison dans l’action se couvre toujours du pavillon de l’indépendance, de l’autonomie, de la liberté d’action. On ne cesse de protester contre les interventions de l’Internationale et du parti français lui même. Certes, il y a beaucoup de choses à changer dans le parti français. Nous voyons déjà les dissidents se réjouir de la situation du parti quand ils écrivent dans les articles « qui n’engagent que leur auteur » : « La décomposition du parti communiste rend le moment propice. Il ne s’agit plus maintenant de se défendre, mais de passer à l’offensive », etc.

La préparation de la Révolution Prolétarienne.

Les dissidents annoncent une large progression de leur parti. voilà une prophétie qui ne se réalisera pas. Au contraire, on peut prédire sans risquer d’être démenti par les faits que, si les partis restent comme ils sont maintenant, où deux nuances se présentent devant la masse ouvrière, avec leurs adhérents, deux églises établies avec leur bureaucratie hiérarchique, cela peut durer des années et des décennies, mais qu’à partir du moment où quelque chose changera radicalement dans le parti communiste, où il deviendra un parti fait autrement que les autres et où les ouvriers pourront voir en lui plus qu’un parti, mais le promoteur de la révolution prolétarienne, alors les dissidents seront morts, ils n’existeront plus, pas plus que les réformistes de la C.G.T.

Et je vous dis avec une pleine certitude que ce n’est pas la C.G.T.U., par ses propres forces, qui tuera la C.G.T. réformiste. Non. Seul un parti puissant et vraiment révolutionnaire, englobant toute l’élite de la classe ouvrière, écrasera totalement le réformisme politique et syndical. Vous le verrez bientôt.

Dans les premières semaines de la lutte contre la franc maçonnerie, ou contre la Ligue des droits de l’homme, il y aura des défaillances, des déserteurs qui passeront aux dissidents : ceux ci y gagneront tout d’abord, j’en suis sûr, mais ils ne recevront que les déchets et les excréments du parti communiste. (Applaudissements.)
Vers l’action.

Il s’agit de procéder à des opérations douloureuses, énergiquement, vigoureusement, afin d’accélérer le processus et d’entamer une grande action pour un parti révolutionnaire.

Nous vous proposons, au nom de notre commission, un programme d’action qui a été soumis à la commission par la gauche et adopté unanimement, avec des corrections plutôt secondaires.

Il y a, à la base, la possibilité d’entamer maintenant une grande action du parti, en écartant les éléments qui empêchent cette action révolutionnaire. Qu’on ne dise pas, surtout, que ces revendications immédiates risquent de créer un nouveau réformisme dans le mouvement français. A cette époque de décomposition de la société bourgeoise, les revendications immédiates deviennent la clé d’un mouvement vraiment révolutionnaire. Ce mouvement doit se développer avec comme point de départ les comités ou conseils d’usine, avec, comme formule nécessaire, l’unité de front pour fournir toutes les possibilités d’action et de succès et avec, comme formule très nécessaire, surtout en France, le gouvernement ouvrier.

Les querelles sur ces questions doivent cesser parce que les polémiques n’aboutiront qu’à ébranler la conscience ouvrière, déjà suffisamment inquiète.

L’idée d’un gouvernement Blum Frossard n’est que symbolique, indiquée ici sous la forme la plus concise. Mais il ne s’agira pas là d’une combinaison entre parlementaires en vue de la constitution d’un gouvernement : en effet, pour que dissidents et communistes disposent de la majorité au Parlement, il faut que la classe ouvrière tout entière vote pour les dissidents et les communistes et, pour aboutir à ce résultat, il faudrait que les dissidents n’invitent pas la classe ouvrière à voter pour le Bloc des gauches, il faudrait que les dissidents se détachent du Bloc des gauches, de la société bourgeoise. Il faut donc en premier lieu montrer à la classe ouvrière française la nécessité de se détacher de la bourgeoisie et de s’opposer à elle sous toutes ses formes. Quand il y a une grève au Havre et ce massacre d’ouvriers, nous disons aux ouvriers qu’avec un gouvernement d’ouvriers pareil massacre n’aurait pas eu lieu et nos représentants au Parlement doivent dire que la classe ouvrière ne peut pas tolérer un gouvernement Poincaré ou Bloc des gauches, mais seulement un gouvernement représentant la classe ouvrière, et composé d’ouvriers.

Nous autres, communistes, nous nous orientons de toute notre force vers un gouvernement ouvrier créé par un mouvement révolutionnaire. Mais si les ouvriers croient qu’on peut créer un pareil gouvernement par les méthodes parlementaires, nous leur disons : « Essayez. Mais, pour le faire, il faut se détacher d’abord, et totalement, du Bloc des gauches, des combinaisons bourgeoises ; il ne faut qu’un Bloc ouvrier. Si vous vous détachez totalement de la bourgeoisie, mais croyez encore aux méthodes parlementaires, nous vous disons : « Nous n’avons pas confiance dans cette méthode, mais nous soutenons votre action dès lors que vous vous détachez de la bourgeoisie. » Si on nous demande : « Un gouvernement de coalition de partis se réclamant de la classe ouvrière est il possible ? », je répondrai : « Naturellement, mais pas sur la base d’une combinaison parlementaire, seulement sur la base d’un grand mouvement qui englobe tous les domaines de la lutte de la classe prolétarienne et aussi le Parlement. »

L’essentiel est que le mouvement donne à la classe ouvrière cette idée bien simple qu’elle peut créer un gouvernement ouvrier par les ouvriers et pour les ouvriers.

Si vous nous demandez : « Serons nous sûrs que les dissidents ne nous trahiront pas ? », je vous répondrai : « jamais nous n’en serons sûrs. » C’est pourquoi, même si nous sommes en état de créer avec eux un gouvernement ouvrier révolutionnaire, nous devrons les surveiller avec la même attention et la même méfiance que nos pires ennemis et, à l’instant même de leur défaillance, de leur trahison, les rejeter hors du gouvernement, comme nous l’avons fait chez nous avec les socialistes révolutionnaires de gauche qui ont représenté la paysannerie dans le gouvernement ouvrier créé par nous et que nous avons dû rejeter, en maintenant le gouvernement tout entier dans les mains de la classe ouvrière.

Le mot d’ordre du gouvernement ouvrier signifie en premier lieu l’indépendance absolue de notre parti. Cette indépendance doit être acquise rapidement.

En France, le centre va être dans les prochaines semaines responsable de ce travail d’action énergique à l’intérieur de notre parti communiste. Je suis sûr que les explications douloureuses que nous avons eues avec nos camarades français dans la commission, et que je vous présente ici sous la forme d’un rapport, ne peuvent pas se répéter. Le discours de Frossard nous montre le danger ; je l’ai cité, je l’ai interprété, c’est au centre à y obvier, à écarter définitivement le danger. Je ne vois pas de raison pour la rupture. Je crois au contraire que la situation est extrêmement favorable pour notre parti français. Il y a la décomposition du Bloc national, l’impossibilité absolue des réparations, la situation difficile du Bloc des gauches ; je crois que notre parti tient dans ses mains l’avenir de la France et, par cela même, de l’humanité tout entière. Nous sommes sûrs qu’inspiré par ces vastes perspectives, le centre fera son devoir jusqu’au bout et qu’au prochain congrès nous aurons un parti unifié, homogène, révolutionnaire, fidèle à son devoir jusqu’à la révolution victorieuse du prolétariat français (Applaudissements prolongés.)

Dans la foulée de la révolution en Europe, la majorité du Parti socialiste devient communiste

La naissance du Parti communiste en France

Léon Trotsky
Lettre à Lucie Leiciague sur L’Humanité

Moscou, le 23 juillet 1921

Chère camarade,

J’accède à votre désir et je vous expose plus en détails mon point de vue sur l’Humanité.

1 - Les comptes rendus parlementaires occupent une place importante dans le journal communiste français. Ce n’est pas que nous considérions, comme le font les réformistes, la participation au Parlement comme une méthode fondamentale ou particulièrement importante de la lutte de la classe ouvrière, mais nous donnons au Parlement et au parlementarisme la place qu’ils occupent réellement dans la société actuelle, afin de dissiper par là les préjugés du réformisme parlementaire en même temps que les superstitions anti-parlementaires de l’anarchisme. Le but des comptes rendus parlementaires est de montrer aux ouvriers le rôle véritable du Parlement et des partis qui y sont représentés. Or, à mon avis, la rubrique parlementaire de l’Humanité n’est pas du tout ce qu’elle devrait être. Les débats y sont relatés dans le style courant, frivole, du journalisme, sous forme de plaisanteries, d’allusions ... Jamais on n’indique à quel parti appartient l’orateur, les intérêts de la classe ou de la fraction de classe qu’ils représentent, jamais on ne dévoile le caractère de classe des idées soutenues, jamais on ne découvre le sens, l’essence des discours et des propositions, toutes ramenées à des contradictions dans la forme, à des jeux de mots, à des plaisanteries. Arrêtez dans la rue, au sortir de l’usine, cent ouvriers et lisez-leur le compte rendu parlementaire de l’Humanité, je suis sûr que quatre-vingt-dix-neuf n’y comprendront ni n’y apprendront rien ; quant au centième, peut-être y comprendra-t-il quelque chose, mais il n’y apprendra rien. Ce n’est pas dans un style de journalistes causant entre eux au fumoir de la Chambre que l’on peut décrire, dans un journal ouvrier, le Parlement et la lutte dont il est le cadre.

Ce qu’il faut surtout, c’est la clarté, la netteté, la popularité. Je ne veux pas dire par-là qu’il faille donner de secs résumés des débats avec des remarques sur les orateurs et les partis. Bien au contraire, les comptes rendus doivent avoir un caractère vivant, un caractère d’agitation. Mais l’auteur doit se représenter nettement son lecteur, il doit s’assigner comme tâche de découvrir à ses lecteurs la signification de classe du travail et des manoeuvres parlementaires. li suffit parfois de deux mots bien choisis dans un discours pour caractériser non seulement l’orateur, mais tout son parti. Il faut répéter, souligner, insister, répéter encore et souligner encore, et non pas papillonner en vrai journaliste à la surface des discussions parlementaires.

2 - L’attitude de l’Humanité vis-à-vis des dissidents est par trop indéterminée, et même parfois le contraire de ce qu’elle devrait être. La scission est chose sérieuse et, du moment que nous l’avons reconnue inévitable, il faut que la masse en comprenne toute la signification. Il faut démasquer impitoyablement la politique des dissidents. Il faut tourner en ridicule leurs chefs et leur presse devant la masse, et les lui rendre odieux. Ainsi la masse du parti parviendra-t-elle à une netteté, une clarté politiques beaucoup plus grandes. Dans le numéro du 17 avril dernier, le camarade Launat adopte envers les dissidents une attitude radicalement fausse. Il exprime le désir que le texte du projet de loi de Paul-Boncour paraisse le plus vite possible afin que l’on puisse juger si les divergences de vue sont véritablement aussi irréductibles que l’affirme Blum. Tout cet article, ainsi d’ailleurs que d’autres sur ce même sujet, donne l’impression que nous ne conduisons pas contre les longuettistes une lutte politique à mort, mais une simple discussion entre camarades. Ce devrait être exactement le contraire. Il est nécessaire, cela va de soi, de détacher des longuettistes la fraction des ouvriers qu’ils entraînent derrière eux. Mais ce n’est que par une campagne impitoyable contre le longuettisme dans toutes ses manifestations, que nous y arriverons.
3 - J’ai lu, dans le numéro du 5 mai, l’article du camarade Frossard intitulé « Sang-froid et discipline ». Dans son essence, cet article est entièrement juste, dans la mesure où il expose ce qu’il faut faire et comment le faire. Mais il est insuffisant, car il ne donne pas suffisamment libre cours au sentiment de révolte qui a envahi l’élite de la classe ouvrière. Le ton même du journal manquait de fermeté et d’énergie. Le journal n’a pas suppléé à l’insuffisance de la fraction parlementaire dont l’action a été extrêmement faible et même radicalement fausse. Je n’oserais l’affirmer, mais il me semble qu’il devait exister des formes de protestation telles qu’elles n’engageassent pas le parti dans une action décisive. L’Humanité ne citait aucune action à ce sujet.

4 - Le numéro du 3 avril contient un article intitulé « Christianisme et socialisme ». Cet article est en contradiction flagrante avec le marxisme, car on veut y faire reposer le socialisme sur des lieux communs avec l’Evangile. L’auteur se réclame de la Russie soviétique où l’Eglise est tolérée, et il exige que le parti communiste français imite sous ce rapport la République des soviets. Mais il y a là une confusion d’idées monstrueuse. La République soviétique est un Etat, qui est forcé de tolérer chez lui les préjugés et leur expression organisée, l’Eglise. Le parti communiste est une union volontaire de gens dont les idées sont identiques, et il ne peut souffrir dans son sein la propagande du socialisme chrétien. A plus forte raison ne peut-il mettre à la disposition de cette propagande les colonnes de son organe central, et lui permettre de s’exprimer dans des articles importants. Le parti peut se résigner à ce que certains de ses membres, particulièrement des ouvriers et paysans, ne soient pas encore dégagés des préjugés religieux mais, en tant que parti, il doit, par ses organismes dirigeants, travailler à éclairer les masses. En tout cas, nous ne pouvons permettre à des intellectuels mystiques de faire du parti un auditoire où ils débiteront leurs rêveries religieuses. Au moment décisif, ces éléments, neuf fois sur dix, donneront leur préférence au côté religieux de leur nature, et ils entraveront l’action révolutionnaire.

5 - Les camarades luxembourgeois se sont plaints de l’indifférence du parti aux violences exercées par l’armée du gouvernement français contre les ouvriers de leur pays. Je n’ai trouvé là-dessus, dans l’Humanité, qu’un seul article, celui du camarade Victor Méric. Il est hors de doute qu’on pouvait et qu’on devait, en l’occurrence, développer une agitation beaucoup plus soutenue.

6 - Les questions coloniales ne sont que très faiblement reflétées dans les colonnes de l’Humanité. Et pourtant, l’attitude face à l’asservissement des colonies est la véritable pierre de touche du degré d’esprit révolutionnaire d’un parti prolétarien. L’article du numéro du 20 mai sur le prétendu complot en Indochine est écrit dans un esprit démocratique et non dans un esprit communiste. Il nous faut profiter de toutes les occasions pour inculquer aux ouvriers l’idée que les colonies ont le droit de se soulever contre la métropole et de s’en séparer. Nous sommes tenus, en toute occasion, de souligner que le devoir de la classe ouvrière est de soutenir les colonies qui s’insurgent contre la métropole. Non seulement en Angleterre, mais en France, la révolution sociale comporte, en même temps que l’insurrection du prolétariat, l’insurrection des peuples coloniaux contre la métropole. Le manque de netteté sur cette question ne peut qu’engendrer et couvrir le chauvinisme.

7 - Dans une série d’articles et particulièrement de commentaires, on observe un usage irréfléchi des mots « patrie », « république », « mourir pour son pays », etc. C’est justement en France que l’exactitude de la terminologie, le caractère de classe strictement mesuré de la phraséologie politique sont nécessaires, plus que partout ailleurs.

8 - Je ne citerai point les innombrables exemples des flottements et même de l’irrésolution de l’Humanité dans sa ligne envers le syndicalisme. Une série d’articles sont en contradiction avec les principes fondamentaux du marxisme et du communisme. Des communistes écrivent des articles diamétralement opposés aux directives du parti. Les résolutions des syndicalistes sont imprimées sans commentaires. Il est incontestable que, dans la période actuelle, l’Humanité doit ouvrir ses colonnes à la discussion de la question syndicale et permettre à la partie adverse d’exposer son point de vue. Mais la voix de la rédaction doit toujours se faire entendre, sinon le lecteur s’embrouille et finit par être complètement désorienté. La discussion de cette question, surtout en France, fera apparaître un extraordinaire bariolage d’opinions. Si la rédaction ne tient pas le gouvernail d’une main ferme, il peut en résulter une inextricable confusion. Au contraire, si la rédaction ne dévie pas de la voie qu’elle s’est tracée, la masse choisira la ligne communiste véritable et la suivra fidèlement, en rejetant bien loin la confusion, les réticences, les contradictions de ses adversaires.

9 - L’Humanité insère volontiers les photographies de ministres allemands et anglais, de social-démocrates allemands, etc. J’estime qu’il serait beaucoup mieux de les remplacer par les portraits des communistes. Il faut rapprocher les uns des autres les partis communistes, ainsi que les personnes.

En terminant, je profite de l’occasion pour vous exprimer une fois encore mon admiration pour votre Gassier (*).

Salut communiste.

LEON TROTSKY

"L’Humanité" débat des thèses de Trotsky

Le lock-out des usines Citroën (Monatte, 1924)

Article de Pierre Monatte dans l’Humanité du 18 février 1924.

Cette semaine commence avec une foule de grèves dans tous les coins du pays. Rien que dans la Seine on peut compter au moins 30.000 grévistes ou lock-outés.

Ce qu’il y a de frappant, c’est que ce sont, en majorité, des grèves de non-syndiqués. Chez Citroën, sur 11.000 ouvriers, il y avait 300 syndiqués au grand maximum.

Dans la chaussure c’est l’usine Dressoir, où il n’y avait pas une demi-douzaine de syndiqués, qui a ouvert la danse. Dans les pétroles, situation à peu près pareille.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout simplement que la classe ouvrière, même dans ses éléments non organisés, ne peut plus vivre avec les salaires qu’on lui donne ni supporter l’exploitation qui pèse sur elle. La classe ouvrière est à bout de patience et le moindre appel à une action prochaine trouve un écho immédiat.

La C.G.T.U. a eu beau mettre en garde contre les grèves partielles, il a suffi qu’elle lance le mot d’ordre des 6 francs pour qu’éclatent de toutes parts des grèves forcément partielles. Il ne faut pas plus s’en étonner que s’en désoler. Rien ne donne mieux la température réelle dans les couches les plus profondes et les plus passives de la classe ouvrière que cette multitude de grèves.

C’est parce qu’il s’en rend parfaitement compte et qu’il prévoit les mouvements de demain, que le Comité des Forges a provoqué le second lock-out Citroën.

L’an dernier, il s’était trouvé devant une situation à peu près semblable. Le deuxième Congrès des usines métallurgiques de la seine avait décidé en principe un mouvement revendicatif. De toutes parts on s’y préparait. Mais le Comité des Forges n’a pas voulu attendre que les préparatifs ouvriers soient terminés. Il n’a pas voulu laisser aux Conseils d’usine le choix de l’heure. C’est lui qui a choisi cette heure. Il a frappé, sabré dans quelques boîtes. La réaction escomptée s’est produite ; quelques grèves sont parties. Finalement, toutes les espérances forgées au Congrès des usines ont été brisées.

Le Comité des Forges espère recommencer le même coup que l’an dernier. Il voit le mouvement pour les 6 francs lancé par la C.G.T.U. rallier et entraîner toute la classe ouvrière. Il s’agit, pour lui, d’écraser les premières troupes rassemblées.

Citroën avait cédé sur la question des salaires pour le travail à la chaîne. Il avait demandé à recevoir des délégations ouvrières.

Pas de ça ! lui a dit le Comité des Forges. Céder, c’est capituler. On ne capitule pas. Il faut reprendre votre parole, renier vos engagements. Mieux vaut une lutte partielle aujourd’hui contre vos 11.000 ouvriers qu’une lutte englobant les 200.000 métallurgistes de la Seine dans un mois ou deux.

Citroën s’est incliné ; il a repris sa parole, renié ses engagements. Il est tellement convaincu d’avoir voulu le conflit et chassé lui-même ses ouvriers de l’usine qu’il a dit et fait dire par tous les journaux bourgeois que ses usines étaient lock-outées.

En effet, il ne s’agit pas d’une grève chez Citroën, mais d’un lock-out, d’un lock-out préventif, d’un lock-out destiné à briser le mouvement pour les 6 francs, avant même qu’il n’ait pris son élan.

Le patronat se propose un tas de choses, mais les ouvriers disposent. Ceux d’Halluin viennent de nous montrer comment on peut flanquer une rossée à des colosses du genre du Consortium du textile de Roubaix-Tourcoing.

Pierre MONATTE.

Lire ici ce que l’Huma n’a pas publié

Lettre de démission de L’Humanité
A. Rosmer
23 avril 1924

L’Humanité est, paraît-il, en train de faire "perdre au Parti sa claire figure communiste (phrase de Treint in BC)". Dans l’intérêt même du Parti, il est du devoir du comité directeur de mettre fin à cette situation. Que les vrais communistes, que ceux qui sont "dans la ligne" viennent redonner à l’Humanité la "claire figure communiste" qu’elle a perdue.

Nous t’adressons notre démission des fonctions dont nous avons la charge à l’organe central du Parti.

Nous le faisons avec le sentiment qu’un travail urgent de redressement du parti s’impose […]

A l’heure où la campagne électorale bat son plein et où le Parti donne l’impression qu’il y participe surtout dans l’intention de conquérir des sièges, il est normal que les membres du Parti issus du syndicalisme révolutionnaire soient traités en pestiférés et même menacés d’exclusion […]

Etroitement solidaires de Monatte, nous te prions instamment de pourvoir sans délai à notre remplacement […]

Nous rentrons dans le rang.

Nous y serons plus à l’aise pour défendre notre point de vue : celui d’un Parti communiste où les ouvriers ne seraient pas des figurants mais le vrai moteur de l’organisme tout entier ;

D’un Parti communiste qui comprendrait la nature exacte du travail syndical et son importance ;

D’un Parti communiste où le centralisme mécanique céderait la place au centralisme animateur ;

D’un Parti communiste d’où seraient bannies les crises artificielles de direction qui démoralisent et détournent de leur travail les militants du rang ;

D’un Parti communiste qui aurait à cœur d’être une vraie section de l’Internationale.

Nous y serons plus à l’aise pour lutter contre ceux qui sont en train de saboter le Parti et le mouvement ouvrier.

Alfred Rosmer

Ferdinand Charbit

D. Antonini

Victor Godonnèche

Maurice Chambelland

Le début de la campagne contre Trotsky en France

Léon Trotsky était le dirigeant de l’Internationale chargé de la « Question française »

Quand Trotsky était le rapporteur de l’Internationale communiste chargé de la question française

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L’Huma en 1936

Les anciens numéros de l’Huma

Lire intégralement les vieilles Huma sur Trotsky

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