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Dans l’extrême gauche, on a souvent affaire à une déformation appelée centrisme

vendredi 9 mars 2012, par Robert Paris

Le centrisme est le terme appliqué à une politique qui est opportuniste en substance et cherche à apparaître comme révolutionnaire dans la forme.

Léon Trotsky dans L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires

Qu’est-ce que le centrisme pour Léon Trotsky ?

Le réformisme est le courant qui est né dans les couches supérieures privilégiées du prolétariat et reflète leurs intérêts. Dans certains pays particulièrement, l’aristocratie ouvrière et la bureaucratie ouvrière forment une couche très importante et très puissante avec une mentalité qui est dans la plupart des cas petite-bourgeoise en vertu des conditions mêmes de leur existence et de leur mode de pensée ; mais elles doivent s’adapter au prolétariat sur le dos duquel elles se sont élevées. Les sommets de ces éléments atteignent le pouvoir suprême et le bien être par le canal parlementaire bourgeois.

Dans la personne d’un Thomas, d’un Mc Donald, d’un Hermann Müller ou d’un Paul-Boncourt nous avons de grands bourgeois conservateurs qui ont conservé partiellement une mentalité petite-bourgeoise, le plus souvent une vision petite-bourgeoise hypocrite de la base prolétarienne. En d’autres termes, nous avons dans un type social unique le produit des sédiments de trois classes différentes. Leur rapport est le suivant : le grand bourgeois donne des ordres au petit-bourgeois et celui-ci trompe les ouvriers. Quant à la question de savoir si le grand bourgeois permet à un Thomas de lui rendre visite - par l’entrée de service à son domicile, à sa banque ou à son ministère, ou si, par ailleurs il a introduit ce même Thomas à ses richesses et à ses idées, cette question, bien que secondaire, n’est pas sans importance. L’étape impérialiste de l’évolution qui aggrave toujours plus les contradiction, oblige souvent la bourgeoisie à transformer les groupes dirigeants des réformistes en véritables militants pour ses compagnies et ses combinaisons gouvernementales. C’est ce qui caractérise le degré nouveau - bien plus élevé - de dépendance du réformisme de la bourgeoisie impérialiste et marque une empreinte bien plus distincte sur sa psychologie et sa politique, la rendant utilisable pour prendre directement le manche dans les affaires de la bourgeoisie.

De cette couche supérieure de "réformistes" on ne peut moins que tout dire qu’ils n’ont "rien à perdre que leurs chaines". Au contraire, pour tous ces premiers ministres, maires, députés et dirigeants syndicaux, la révolution socialiste signifierait l’expropriation de leurs positions privilégiées. Ces chiens de garde du capital ne protègent pas simplement la propriété en général mais surtout leur propre propriété. Ce sont de farouches ennemis de la révolution libératrice du prolétariat.

A l’opposé du réformisme, sous le nom de politique communiste et prolétarienne (communiste marxiste), nous comprenons un système de lutte d’idées et de méthodes qui vise au renversement révolutionnaire de l’Etat bourgeois par la méthode qui consiste d’abord à unir le prolétariat, marquée par la dictature, puis de réorganisation de la société de façon socialiste.

Seule la minorité la plus avancée - la plus consciente et la plus audacieuse de la classe ouvrière - est capable de prendre l’initiative de cette tâche, une minorité qui, se basant sur un programme nettement défini et scientifiquement établi et une grande expérience des luttes ouvrières, réunit autour d’elle la majorité toujours plus grande du prolétariat dans le but de la révolution socialiste. Tant que dure le capitalisme qui réduit le prolétariat à de misérables idées, on ne peut s’attendre à ce que les divergences disparaissent entre le parti produit de la sélection des idées - et la classe - constituée automatiquement par le processus de production. Ce n’est qu’après la victoire du prolétariat - marquée par une authentique renaissance économique et culturelle des masses, c’est-à-dire par le processus même de la liquidation des classes - que lé.er, verra le Parti se dissoudre peu à peu dans les masses laborieuses jusqu’à ce que, comme l’Etat, il disparaisse complètement. Seuls des phraseurs ou des mandarins de sectes stériles peuvent parler de révolution prolétarienne tout en niant le rôle de l’avant-garde communiste.

Ainsi, les deux courants fondamentaux dans la classe ouvrière mondiale sont d’un côté le social-impérialisme et de l’autre le communisme révolutionnaire. Entre ces deux pôles viennent un certain nombre de courants et de groupes transitoires qui changent constamment d’apparence et sont toujours en train de se transformer et de se déplacer, allant parfois du réformisme au communisme, parfois du communisme au réformisme. Ces courants centristes n’ont pas et par leur nature même ne peuvent avoir une base sociale bien définie. Cependant que le réformisme représente les intérêts des sommets privilégiés de la classe ouvrière et que le communisme est le porte-drapeau du prolétariat lui-même, le centrisme exprime le processus de transition à l’intérieur du prolétariat, différentes vagues à l’intérieur de ses différentes couches, et les difficultés dans le progrès vers les positions révolutionnaires finales.

C’est précisément pourquoi les organismes de masse centristes ne sont jamais stables ni viables.

Il est vrai qu’il y aura toujours à l’intérieur de la classe ouvrière une couche de centristes constants qui ne veulent pas aller jusqu’au bout avec les réformistes, mais qui ne peuvent pas non plus devenir organiquement révolutionnaires. Un de ces types d’ouvriers centristes honnêtes, en France, était le vieux Bourderon. Un exemple plus brillant et plus frappant - en Allemagne, cette fois - était le vieux Ledebour. Quant aux masses, elles ne restent jamais très longtemps dans cette étape de transition : elles rallient temporairement les centristes puis continuent et rejoignent les communistes ou reviennent aux réformistes - à moins qu’elles ne tombent temporairement dans l’indifférence.

Pour parler de façon formelle et descriptive, tous les courants du prolétariat et de sa périphérie qui se situent entre le réformisme et le marxisme et qui représentent le plus souvent les différentes étapes menant du réformisme au marxisme, et inversement, relèvent du centrisme. Le marxisme, comme le réformisme, a une base sociale stable. Le marxisme exprime les intérêts historiques du prolétariat. Le réformisme correspond à la situation privilégiée de la bureaucratie et de l’aristocratie ouvrières dans l’Etat capitaliste. Le centrisme que nous avons connu dans le passé n’avait ni ne pouvait avoir de base sociale propre. Les différentes couches du prolétariat se rapprochent de l’orientation révolutionnaire par des chemins et à des rythmes différents. Dans les périodes d’expansion industrielle prolongée ou encore dans les périodes de reflux politique, après une défaite, différentes couches du prolétariat glissent politiquement de la gauche vers la droite et se heurtent à d’autres couches qui commencent à évoluer vers la gauche. Différents groupes, freinés à certaines étapes de leur évolution, se trouvent des chefs temporaires, suscitent leurs propres programmes et organisations. On comprend ainsi quelle diversité de courants la notion de "centrisme" recouvre ! Selon leur origine, leur composition sociale, leur orientation, ces différents groupes peuvent entrer en conflit aigu les uns avec les autres, sans cesser pour autant d’être des variétés du centrisme.

Si le centrisme en général joue d’habitude le rôle de caution de gauche du réformisme, il n’est pas pour autant possible d’apporter de réponse définitive à la question : auquel des deux camps principaux, marxiste ou réformiste, appartient telle déviation centriste ? Ici, plus que partout ailleurs, il faut chaque fois analyser le contenu concret du processus et les tendances internes de son évolution. Ainsi, certaines erreurs politiques de Rosa Luxemburg peuvent être caractérisées avec une relative justesse théorique, comme centristes de gauche. On peut même aller plus loin et affirmer que la majorité des divergences de Rosa Luxemburg avec Lénine étaient dues à une déviation centriste plus ou moins importante. Seuls les bureaucrates impudents et ignorants de l’Internationale communiste peuvent ranger le luxemburgisme, en tant que courant historique, dans le centrisme. Il est inutile de rappeler que les "chefs" actuels de l’Internationale communiste, à commencer par Staline, n’arrivent pas à la cheville de la grande révolutionnaire tant politiquement que théoriquement et moralement.

Certains critiques qui n’ont pas assez réfléchi au fond de la question ont à plusieurs reprises ces derniers temps accusé l’auteur de ces lignes d’abuser du terme de "centrisme", en regroupant sous ce terme des courants et des groupes trop divers du mouvement ouvrier. En fait, la diversité des types de centrisme découle, nous l’avons dit, de l’essence même du phénomène et non d’un emploi abusif du terme. Rappelons que les marxistes ont été souvent accusés de mettre sur le compte de la petite bourgeoisie les phénomènes les plus variés et les plus contradictoires. Effectivement, il faut ranger dans la catégorie "petit-bourgeois" des faits, des idées et des tendances à première vue totalement incompatibles. Le mouvement paysan et le mouvement radical dans les villes pour la Réforme ont un caractère petit bourgeois ; de même que les Jacobins français et les populistes russes, les proudhoniens et les blanquistes, la social-démocratie actuelle et le fascisme, les anarcho-syndicalistes français, l’Armée du Salut, le mouvement de Gandhi en Inde, etc. La philosophie et l’art offrent un tableau encore plus bigarré. Est-ce que cela signifie que le marxisme joue sur les mots ? Non, cela signifie uniquement que la petite bourgeoisie se caractérise par l’extraordinaire hétérogénéité de sa nature sociale. Au niveau de ses couches inférieures, elle se confond avec le prolétariat et tombe dans le lumpen-prolétariat. Ses couches supérieures touchent de très près la bourgeoisie capitaliste. Elle peut s’appuyer sur les anciennes formes de production mais également connaître un essor rapide sur la base de l’industrie la plus moderne (les nouvelles "couches moyennes"). Rien d’étonnant à ce qu’idéologiquement elle se pare de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Le centrisme au sein du mouvement ouvrier joue dans un certain sens le même rôle que l’idéologie petite bourgeoise sous toutes ses formes par rapport à la société bourgeoise dans son ensemble. Le centrisme reflète les différents types d’évolution du prolétariat, sa croissance politique, sa faiblesse révolutionnaire, liée à la pression que toutes les autres classes de la société exercent sur lui. Rien d’étonnant à ce que la palette du centrisme soit aussi colorée. Cela n’implique pas qu’il faille renoncer à la notion de centrisme ; il faut seulement dans chaque cas procéder à une analyse sociale et historique concrète pour mettre en évidence la nature réelle de telle variété de centrisme.

La fraction dirigeante de l’Internationale communiste ne relève pas du centrisme "en général" ; c’est une formation historique bien définie, avec des racines sociales puissantes bien que récentes. Il s’agit avant tout de la bureaucratie soviétique. Dans les écrits des théoriciens staliniens, cette couche sociale n’existe pas. Il n’y est question que du "léninisme", de la direction désincarnée, de la tradition idéologique, de l’esprit du bolchevisme, de l’inconsistante "ligne générale" ; mais pas un mot sur le fait que le fonctionnaire bien vivant, en chair et en os, manie cette ligne générale tel un pompier sa lance ; de cela vous n’en entendrez pas parler.

Pourtant, ce fonctionnaire ressemble à tout sauf à un esprit désincarné. Il boit, il mange, il se multiplie et prend soin de sa bedaine florissante. Il donne des ordres d’une voix tonitruante, il fait monter dans l’échelle bureaucratique des gens à sa dévotion, il se montre fidèle à ses chefs, il interdit qu’on le critique et voit en cela l’essence de la ligne générale. Il y a plusieurs millions de ces fonctionnaires, plusieurs millions !

Plus que d’ouvriers dans l’industrie au moment de la Révolution d’octobre. La majorité de ces fonctionnaires n’a jamais participé à la lutte des classes avec les risques et les sacrifices qu’elle implique. Ces individus dans leur immense majorité sont nés politiquement en tant que couche dirigeante. Et derrière eux se profile le pouvoir d’Etat. Il assure leur existence, les élevant bien au-dessus des masses. Ils ignorent le danger du chômage, s’ils savent rester au garde-à-vous. Les erreurs les plus grossières leur sont pardonnées, s’ils sont prêts à jouer, au moment voulu, le rôle de bouc émissaire, en déchargeant leur supérieur immédiat de toute responsabilité. Cette couche dirigeante de plusieurs millions d’individus a-t-elle un poids social et une influence politique dans le pays ? Oui ou non ?

On sait depuis longtemps que la bureaucratie et l’aristocratie ouvrières sont la base sociale de l’opportunisme. En Russie, ce phénomène a pris des formes nouvelles. Sur la base de la dictature du prolétariat - dans un pays arriéré et encerclé par les pays capitalistes - s’est créé pour la première fois, à partir des couches supérieures de travailleurs, un puissant appareil bureaucratique qui s’est élevé au-dessus des masses, qui leur commande, qui jouit de privilèges considérables ; ses membres sont solidaires les uns des autres et il introduit dans la politique de l’Etat ouvrier ses intérêts propres, ses méthodes et ses procédés.

Nous ne sommes pas des anarchistes. Nous comprenons la nécessité de l’Etat ouvrier et, par conséquent, le caractère historiquement inévitable de la bureaucratie durant la période de transition. Nous sommes aussi conscients des dangers que cela implique, particulièrement pour un pays arriéré et isolé. Idéaliser la bureaucratie soviétique est l’erreur la plus impardonnable qui soit pour un marxiste. Lénine déploya toute son énergie pour que le parti, avant-garde indépendante de la classe ouvrière, s’élève au-dessus de l’appareil d’Etat, le contrôle, le surveille, le dirige et l’épure, en plaçant les intérêts historiques du prolétariat - international et non pas seulement national - au-dessus des intérêts de la bureaucratie dirigeante. Lénine considérait que le contrôle de la masse du parti sur l’appareil était la première condition du contrôle de l’Etat par les partis. Relisez attentivement ses articles, ses discours et ses lettres de la période soviétique, particulièrement des deux dernières années de sa vie, et vous verrez avec quelle angoisse sa pensée revient à chaque fois sur cette question brûlante.

Que s’est-il passé dans la période qui suivit la mort de Lénine ? Toute la couche dirigeante du parti et de l’Etat qui avait participé à la révolution et à la guerre civile fut balayée, écartée, écrasée. Des fonctionnaires impersonnels prirent sa place. A la même époque, la lutte contre le bureaucratisme qui avait un caractère si aigu du vivant de Lénine, quand la bureaucratie était encore au berceau, cessa totalement, alors que la bureaucratie s’était développée de façon monstrueuse.

Qui aurait pu mener cette lutte ? Le parti en tant qu’avant-garde autogérée du prolétariat n’existe plus. L’appareil du parti s’est confondu avec celui de l’Etat. Le Guépéou est l’instrument principal de la ligne générale à l’intérieur du parti. La bureaucratie ne tolère aucune critique venant de la base, elle interdit même à ses théoriciens d’en parler. La haine forcenée pour l’opposition de gauche est due en premier lieu à ce que l’opposition parle ouvertement de la bureaucratie, de son rôle spécifique, de ses intérêts et révèle publiquement que la ligne générale est la chair et le sang de la nouvelle couche dirigeante au pouvoir, qui ne s’identifie nullement au prolétariat.

La bureaucratie tire son infaillibilité originelle du caractère ouvrier de l’Etat : la bureaucratie d’un Etat ouvrier ne peut pas dégénérer ! L’Etat et la bureaucratie sont pris ici non pas comme des processus historiques, mais comme des catégories éternelles : la Sainte Eglise et ses serviteurs ne peuvent pas se tromper ! Si la bureaucratie ouvrière dans la société capitaliste s’est élevée au-dessus du prolétariat en lutte et a dégénéré au point de donner le parti de Noske, Scheidemann, Ebert et Wels, pourquoi ne peut-elle pas dégénérer en s’élevant au-dessus du prolétariat victorieux ?

De par sa position dominante et incontrôlée, la bureaucratie soviétique acquiert une mentalité qui, sur beaucoup de points, est en totale contradiction avec celle d’un révolutionnaire prolétarien. Pour la bureaucratie, ses calculs et ses combinaisons en politique intérieure et internationale sont plus importants que les tâches d’éducation révolutionnaire des masses et que les exigences de la révolution internationale. Pendant plusieurs années, la fraction stalinienne a montré que les intérêts et la psychologie du "paysan riche", de l’ingénieur, de l’administrateur, de l’intellectuel bourgeois chinois, du fonctionnaire des trade-unions britanniques lui étaient plus proches et plus accessibles que la psychologie et les besoins des simples ouvriers, des paysans pauvres, des masses populaires chinoises insurgées, des grévistes anglais, etc. Mais dans ce cas, pour quelle raison la fraction stalinienne ne s’est-elle pas engagée jusqu’au bout dans la voie de l’opportunisme national ? Parce qu’elle est la bureaucratie d’un Etat ouvrier. Si la social-démocratie internationale défend les fondements de la domination de la bourgeoisie, la bureaucratie soviétique est forcée de s’adapter aux bases sociales issues de la Révolution d’octobre, tant qu’elle ne procède pas à un bouleversement au niveau de l’Etat. De là, la double nature de la psychologie et de la politique de la bureaucratie stalinienne. Le centrisme, centrisme qui s’appuie sur les fondements de l’Etat ouvrier, est la seule expression possible de cette double nature.

Dans les pays capitalistes, les groupes centristes ont le plus souvent un caractère temporaire, transitoire, car ils reflètent le glissement à droite ou à gauche de certaines couches d’ouvriers. Par contre, dans les conditions de la République des Soviets, des millions de bureaucrates constituent pour le centrisme une base beaucoup plus solide et organisée. Bien qu’étant un bouillon de culture naturel pour les tendances opportunistes et nationales, elle est forcée de défendre les bases de sa domination en luttant contre le koulak ; elle doit aussi se préoccuper de son prestige de "bolchevik" dans le gouvernement ouvrier mondial. Après une tentative pour se rapprocher du Kuomintang et de la bureaucratie d’Amsterdam, pour laquelle elle avait des affinités, la bureaucratie soviétique est entrée en conflit aigu permanent avec la social-démocratie qui reflète l’hostilité de la bourgeoisie mondiale à l’égard de l’Etat soviétique. Telles sont les origines de l’actuel zigzag à gauche.

Ce qui fait l’originalité de la situation, c’est non pas le fait que la bureaucratie soviétique soit particulièrement immunisée contre l’opportunisme et le nationalisme, mais le fait que, ne pouvant adopter de façon définitive une position nationale-réformiste, elle se voit forcée d’accomplir des zigzags entre le marxisme et le national-réformisme. Les oscillations du centrisme bureaucratique qui sont en rapport avec sa puissance, ses ressources et les contradictions aiguës de sa situation, ont atteint une ampleur inégalée : des aventures ultra-gauches en Bulgarie et en Estonie à l’alliance avec Tchang Kaï-chek, Raditch et Purcell ; de la honteuse fraternisation avec les briseurs de grève anglais au refus catégorique de la politique de front unique avec les syndicats de masse.

La bureaucratie stalinienne exporte ses méthodes et ses zigzags dans les autres pays, dans la mesure où, par l’intermédiaire du parti, non seulement elle dirige l’Internationale communiste, mais de plus lui donne des ordres. Thaelmann était pour le Kuomintang, quand Staline était pour le Kuomintang. Au VIIe Plénum du Comité exécutif de l’Internationale communiste, à l’automne 1926, le délégué du Kuomintang, ambassadeur de Tchang Kai-chek, un dénommé Chao Li-tzi, intervint à l’unisson avec Thaelmann, Sémard et tous les Remmele contre le "trotskysme". Le "camarade" Chao Li-tzi déclara :

Nous sommes tous persuadés que le Kuomintang sous la direction de l’Internationale communiste remplira sa mission historique " (Procès-verbaux, tome I, p. 459).

Voilà les faits historiques.

Prenez le Rote Fahne de l’année 1926, vous y trouverez un grand nombre d’articles sur le thème suivant : en exigeant la rupture avec le Conseil général anglais des briseurs de grève, Trotsky prouve son... menchevisme. Aujourd’hui, le "menchevisme" consiste à défendre le front unique avec les organisations de masse, c’est-à-dire à mener la politique que les IIIe et IVe Congrès de l’Internationale communiste avait formulée sous la direction de Lénine (contre tous les Thaelmann, Thalheimer, Bela Kun et autres Frossard).

Ces zigzags effarants auraient été impossibles, si dans toutes les sections de l’Internationale communiste une couche bureaucratique, se suffisant à elle-même, c’est-à-dire indépendante du parti, ne s’était pas formée. C’est là que se trouve la racine du mal.

La force du parti révolutionnaire réside dans l’esprit d’initiative de l’avant-garde qui met à l’épreuve et sélectionne ses cadres ; c’est la confiance qu’elle a en ses dirigeants qui les élève progressivement vers le sommet. Cela crée un lien indestructible entre les cadres et les masses, entre les dirigeants et les cadres et donne de l’assurance à toute la direction. Rien de pareil n’existe dans les partis communistes actuels. Les chefs sont désignés. Ils se choisissent des subordonnés. La base du parti est obligée d’accepter les chefs désignés autour desquels on crée une atmosphère artificielle de publicité. Les cadres dépendent du sommet et non de la base. Dans une large mesure, ils cherchent les raisons de leur influence et de leur existence à l’extérieur des masses. Ils tirent leurs mots d’ordre politiques du télégraphe et non de l’expérience de la lutte. En même temps, Staline tient en réserve à tout hasard des documents accusateurs. Chacun de ces chefs sait qu’à chaque instant, il peut être balayé comme un simple fétu de paille.

C’est ainsi que dans toute l’Internationale communiste se crée une couche bureaucratique fermée, véritable bouillon de culture pour les bacilles du centrisme. Le centrisme de Thaelmann, de Remmele et de leurs compères est très stable et résistant du point de vue organisationnel car il s’appuie sur la bureaucratie de l’Etat soviétique, mais il se distingue par une extraordinaire instabilité du point de vue politique. Privé de la confiance que seule peut donner une liaison organique avec les masses, le Comité central infaillible est capable des zigzags les plus monstrueux. Moins il est préparé à une lutte idéologique sérieuse, plus il est généreux en injures, insinuations et calomnies. Staline, "grossier" et "déloyal", selon la définition de Lénine, est la personnification de cette couche.

La caractérisation donnée ci-dessus du centrisme bureaucratique détermine l’attitude de l’opposition de gauche à l’égard de la bureaucratie stalinienne : soutien total et illimité dans la mesure où la bureaucratie défend les frontières de la République des Soviets et les fondements de la Révolution d’octobre ; critique ouverte dans la mesure où la bureaucratie par ses zigzags administratifs rend plus difficiles la défense de la révolution et la construction du socialisme ; opposition implacable dans la mesure où par son commandement bureaucratique, elle désorganise la lutte du prolétariat mondial.

C’est une erreur fondamentale de penser que le "centrisme" est une description géométrique ou topographique comme au parlement. Pour un marxiste, les concepts politiques sont définis non par des caractères de forme mais par leur contenu de classe considéré d’un point de vue idéologique et méthodologique. Les trois tendances à l’intérieur du mouvement ouvrier actuel - le réformisme, le communisme et le centrisme - découlent inéluctablement de la situation objective du prolétariat sous le régime impérialiste de la bourgeoisie.

C’est précisément pourquoi les organismes de masse centristes ne sont jamais stables ni viables.

Il est vrai qu’il y aura toujours à l’intérieur de la classe ouvrière une couche de centristes constants qui ne veulent pas aller jusqu’au bout avec les réformistes, mais qui ne peuvent pas non plus devenir organiquement révolutionnaires. Un de ces types d’ouvriers centristes honnêtes, en France, était le vieux Bourderon. Un exemple plus brillant et plus frappant - en Allemagne, cette fois - était le vieux Ledebour. Quant aux masses, elles ne restent jamais très longtemps dans cette étape de transition : elles rallient temporairement les centristes puis continuent et rejoignent les communistes ou reviennent aux réformistes - à moins qu’elles ne tombent temporairement dans l’indifférence.

C’est ainsi que l’aile gauche du parti socialiste français s’est transformée en parti communiste, abandonnant en route sa direction centriste. C’est ainsi que le parti social-démocrate indépendant d’Allemagne a disparu, partageant ses adhérents entre le communisme et la social-démocratie.

C’est aussi pourquoi, de la même façon, l’"Internationale 2 1/2" a disparu du monde.

On peut observer le même phénomène dans l’univers syndical : l’"indépendance" centriste des syndicats britanniques qui étaient adhérents à Amsterdam s’est changée en la politique amsterdamienne la plus "jaune" de trahison à l’époque de la grève générale.

Mais la disparition de ces organisations citées ci-dessus en exemple ne signifie pas du tout que le centrisme a dit son dernier mot, comme l’assure la bureaucratie communiste dont l’idéologie est très proche du centrisme. Des organisations de masses et des courants bien définis ont été réduites à néant dans l’immédiat après-guerre quand le mouvement ouvrier européen a reculé. L’aggravation actuelle de la crise mondiale et la nouvelle radicalisation incontestable des masses ont inévitablement conduit à l’apparition de nouvelles tendances centristes à l’intérieur de la social-démocratie, des syndicats et des masses inorganisées.

Il n’est pas exclu que ces nouveaux courants centristes amènent une fois de plus à la surface quelques anciens dirigeants centristes. Mais, une fois de plus, ce ne serait pas pour longtemps. Les politiciens centristes dans le mouvement ouvrier sont comme une poule qui a couvé des œufs de canard et puis se plaint amèrement au bord de I’eau. Ils sont sans vergogne ces enfants qui quittent leur poule l’autonome" et vont nager dans les eaux du réformisme ou du communisme. Si Chambelland veut en prendre la peine, il trouvera facilement autour de lui nombre de poules respectables occupées encore en ce moment à couver des œufs réformistes.

Dans le passé, la bureaucratie ouvrière s’est toujours et partout couverte du principe d’"autonomie", "indépendance", etc. assurant de cette manière leur propre indépendance vis-à-vis des ouvriers ; car comment l’ouvrier pourrait-il contrôler la bureaucratie s’il proclamait tel ou tel principe comme son mot d’ordre ? Comme on le sait, les syndicats allemands et britanniques ont depuis longtemps proclamé leur indépendance à l’égard de tous les partis ; les syndicats américains en tirent de la fierté aujourd’hui encore. Mais l’évolution du réformisme manifestée auparavant, qui l’a définitivement lié à l’impérialisme, empêche à partir de maintenant les réformistes d’utiliser le label de l’"autonomie" aussi facilement qu’ils l’ont fait dans le passé. Les centristes, qui s’y cramponnent plus que jamais, en ont probablement pris avantage. Car ce n’est pas précisément leur nature de garder jalousement l’"autonomie" de leurs hésitations et de leur duplicité vis-à-vis du réformisme et du communisme ?

Voilà comment l’idée de l’autonomie qui, dans l’histoire des mouvements ouvriers du monde a été avant tout un attribut du réformisme, est aujourd’hui un signe de centrisme. Mais quelle sorte de centrisme ?

Nous avons déjà montré que le centrisme change toujours de position : allant tantôt à gauche vers le communisme, ou à droite vers le réformisme.

Si Chambelland pouvait jeter un coup d’œil sur l’histoire passée de son groupe - seulement depuis le début de la guerre impérialiste - il trouverait facilement confirmation de ce que j’avance ici. Actuellement, les syndicats "autonomes" vont clairement de la gauche à la droite, du communisme au réformisme. Ils ont même rejeté l’étiquette de communisme. C’est ce qui les rapproche des pppistes, qui suivent la même évolution mais de façon plus désorganisée.

Le centrisme, quand il va à gauche et détache les masses du réformisme, remplit une fonction progressiste ; il va sans dire que cela ne nous empêche pas de dénoncer dans ce cas aussi la duplicité du centrisme, car, tôt ou tard, la poule progressiste sera abandonnée au bord de l’eau. Quand, d’un autre côté, le centrisme essaie de détacher les ouvriers des objectifs communistes pour faciliter - sous le masque de l’autonomie - leur évolution vers le réformisme, alors le centrisme réalise une tâche qui n’est plus progressiste mais réactionnaire. Tel est actuellement le rôle joué par le Comité pour l’indépendance du syndicalisme.

Mais, "ce sont les mots exacts des staliniens", va répéter Chambelland : Il l’a déjà écrit. Il serait utile de se demander qui - le groupe Chambelland ou l’Opposition de gauche de l’Internationale communiste - conduit la lutte la plus sérieuse et la plus acharnée contre la politique mensongère des staliniens. Mais un fait est certain : la direction de notre lutte est diamétralement opposée à celle de la "lutte" des "autonomistes" parce que nous restons sur la voie marxiste tandis que Chambelland et ses amis poursuivent la voie réformiste. Il est vrai qu’ils ne l’ont jamais fait consciemment, jamais ! Mais, en général le centrisme n’a jamais une politique consciente. Est-ce qu’une poule consciente se mettrait à couver des œufs de canard ? Certainement pas.

Comment, dans ce cas, va-t-on nous demander, pouvez-vous accuser de centrisme des pâles opposés comme Monmousseau et Chambelland ? Cela peut apparaÎtre paradoxal cependant seulement à ceux qui ne comprennent pas la nature paradoxale du centrisme lui-même : il n’est jamais le même et ne se reconnaît jamais dans le miroir même quand il y met le nez dessus.

Depuis deux ans, les centristes du communisme officiel ont zigzagué violemment de droite à gauche pendant que Monatte et ses amis allaient de gauche à droite. Les dirigeants de l’Internationale Communiste et de l’Internationale Syndicale Rouge ont du agir à l’aveuglette pour retenir la vague qu’ils avaient déchainée. Terrifiés par les bonds aventuristes, les centristes du type Chambelland ont rapidement courbé l’échine devant la nouvelle vague qui se forme à l’horizon. Dans une telle période de transition, entre deux flux, ce qui est d’abord lessivé c’est le camp centriste dans lequel sont nés des mouvements disparates allant dans des sens différents. Il n’en est pas moins vrai que Chambelland - ou pour serrer la réalité de plus près - Monatte et Monmousseau ne sont rien que les deux côtés d’une même pièce.

Je pense qu’ici il est nécessaire de rappeler comment les dirigeants actuels de la C.G.T.U. et du parti communiste envisageaient la question il y a à peine six ans, quand ils étaient en fait à la tête du parti officiel et avaient déjà commencé - soit dit en passant - leur lutte contre le trotskysme". Au mois de janvier 1924, après le malheureux meeting sanglant de la Maison des syndicats, les dirigeants pressés de se dissocier de toute responsabilité pour l’action du parti, mais aussi pour le parti lui-même, ont écrit dans la solennelle "Déclaration de la C.G.T.U." :

En ce qui concerne l’autonomie organique et administrative des parties et sectes en rapport avec l’autonomie de la Confédération, les organes de la C.G.T.U. n’ont pas eu à discuter du meeting que la confédération de la Seine et la Jeunesse du parti communiste ont organisé sous leur propre responsabilité. Quel que soit le caractère des meetings organisés ou des activités entreprises par des partis, sectes ou groupes extérieurs, le comité exécutif et le bureau de la confédération n’ont pas l’intention d’abdiquer leur pouvoir aujourd’hui plus qu’hier. Ils sauront préserver leur contrôle et leur maîtrise sur l’activité de la confédération contre toutes attaques de l’extérieur (..]
La C.G.T.U. n’a ni le droit ni le pouvoir d’appliquer une censure à un quelque groupe extérieur que ce soit, à leurs programmes et leurs objectifs ; elle ne peut en interdire aucun sans violer son indispensable neutralité pour manifester un favoritisme entre deux partis en conflit.
Monmousseau, Sémard, Racamond, Dudilieux, Berrar"

Voilà le document - réellement incomparable qui restera pour toujours un monument de clarté communiste et de courage révolutionnaire ! Et nous lisons au bas de ce document les signatures de Monmousseau, Sémard, Racamond, Dudilieux et Berrar. Je pense que les oppositionnels de gauche français devraient non seulement publier intégralement cette "déclaration", mais aussi lui donner la publicité qu’elle mérite. Car personne ne sait quelles surprises l’avenir nous réserve ! Pendant les années qui nous séparent de la signature de la "déclaration" dans laquelle Monmousseau, Sémard, et compagnie annonçaient leur neutralité la plus absolue à l’égard du parti communiste et des autres sectes, ces dirigeants communistes n’ont pas réalisé peu d’actes d’héroïsme révolutionnaire. En particulier, ils ont bien appliqué la politique du comité anglo-russe qui reposait complètement sur la fiction de l’autonomie ; le parti de Mc Donald et Thomas était une chose- disait Staline -, mais les syndicats de Thomas et Purcell une autre bien différente. Après que Thomas, avec l’aide de Purcell, ait fait des centristes communistes des laquais, ces derniers ont pris peur d’eux-mêmes".

Hier encore Monmousseau réclamait que les syndicats soient également indépendants de toutes les sectes et partis. Aujourd’hui il veut que les syndicats ne soient que l’ombre du parti, transformant ainsi les syndicats en sectes ! Qui est le Monmousseau d’aujourd’hui ou Monmousseau numéro deux ? C’est Monmousseau numéro un qui, par peur de lui-même s’est retourné comme un gant. Qui est Chambelland ? C’est un communiste d’hier qui, terrifié par Monmousseau numéro deux, s’est jeté dans les bras de Monmousseau numéro un.

Ne saute-t-il pas aux yeux que nous avons ici deux variétés de la même espèce ou deux étapes de la même confusion ? Monmousseau essaie de faire peur aux travailleurs avec le fantôme de Chambelland ; Chambelland essaie d’effrayer les ouvriers avec le fantôme de Monmousseau. En réalité, cependant, chacun ne fait que se regarder dans la glace en tendant le poing.

Voilà comment sont réellement les choses, si on considère la question de plus près que Le Cri du Peuple - où il y a plus de cri que de peuple.

Le communisme est l’avant-garde de la classe ouvrière unie par le programme de la révolution socialiste. Une organisation de ce type n’existe pas en France. On peut seulement en trouver des éléments et partiellement des débris. Quiconque ose assurer aux ouvriers qu’une telle organisation n’est pas nécessaire pour eux, que la classe ouvrière se suffit à elle-même, qu’elle est suffisamment mûre pour pouvoir se passer de la direction de sa nouvelle avant-garde - est un vil flatteur, un courtisan du prolétariat, un démagogue, pas un révolutionnaire. Il est criminel d’enjoliver la réalité. Il faut dire aux ouvriers la vérité et il faut qu’ils s’habituent à aimer la vérité.

Chambelland se trompe sérieusement s’il pense que les communistes sont au "centre", entre Monmousseau et lui, Chambelland. Non, les communistes sont au-dessus des deux. La position du marxisme est bien au-dessus de toutes les variétés du centrisme et au-dessus du niveau de toutes ses erreurs. Les syndicats peuvent être transformés en organes des masses et pourvus d’une véritable direction révolutionnaire seulement par l’unique courant dans la classe ouvrière qui examine chaque question sérieusement, dont le sang et la moelle sont imprégnés de la compréhension marxiste du rapport entre la classe et son avant-garde révolutionnaire. Sur cette question fondamentale, il n’y a pas de place pour la moindre concession ou pour quoi que ce soit qui ne soit pas dit.

Ici plus qu’ailleurs, la clarté est nécessaire.

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