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La Commune n’a pas commencé à Paris en 1871 mais à Marseille et Lyon en août-septembre 1870 !

mercredi 10 avril 2013, par Robert Paris

La Commune n’a pas commencé à Paris en 1871 mais à Marseille et Lyon en août-septembre 1870 !

« A la fin octobre 1870, si rien n’était perdu à Paris, la victoire s’offrait en province. » écrit Lissagaray dans « Histoire de la Commune de 1871 ».

L’Etat impérial se dissolvait tout seul et le midi de la France était en révolution. C’est le "coup" de Bakounine qui a détruit ces possibilités.

Bakounine défendait dans l’Internationale l’« égalisation économique et sociale des classes », le parti exclusivement d’action sans analyse et sans théorie.

En France son Alliance (fraction clandestine de l’Internationale) dominait à Lyon avec Albert Richard et de Gaspard Blanc et à Marseille avec Bastelica.

La situation était plus que favorable à la révolution à Lyon et Marseille comme dans tout le midi de la France. Survint l’insurrection de Lyon.

Marx et Engels rapportent : « Bakounine accourut et, appuyé sur Albert Richard, Gaspard Blanc et Bastelica, s’installa, le 28 septembre, à l’Hôtel de Ville, dont il s’abstint de garder les abords comme d’un acte politique. Il en fut chassé piteusement par quelques gardes nationaux au moment où, après un enfantement laborieux, son décret sur l’"abolition de l’État" venait enfin de voir le jour. »

La veille, Bakounine écrivait à son ami Ogareff :

25 septembre, 1870. Lyon.

Mon vieil ami,

Je t’envoie de suite notre proclamation dans laquelle nous faisons appel au peuple pour procéder à la déposition de toutes les autorités encombrantes qui existent encore. Cette nuit nous allons arrêter nos principaux ennemis, et demain sera livrée la dernière bataille qui, nous l’espérons, nous assurera le triomphe.

Bakounine

voir ici

Peu après son échec sans gloire, en moins d’une journée, Bakounine rejetait toute capacité révolutionnaire aux prolétaires français...

Un simple épisode d’une "journée" sans plan, sans organisation, sans armement, sans rien menant évidemment à l’échec a suffi à détruire sa confiance et à l’amener à quitter ses camarades et les travailleurs qu’il comptait manipuler par derrière par un comité clandestin (pour les travailleurs) et tirant leurs ficelles comme des pantins !

James Guillaume résume ainsi dans « L’Internationale » : « Il s’agissait d’organiser une démonstration des ouvriers des chantiers qui coïnciderait avec l’exécution d’un coup de main sur l’Hôtel de ville. » Les ouvriers n’étant pas au courant de cette coïncidence, la convergence n’eut pas lieu… Guillaume cite Bakounine : « Je joue gros jeu… »

La tentative s’était effondrée sur place par elle-même, démoralisant jusqu’à son auteur et son acolyte Albert Richard !

Albert Richard, bras droit de Bakounine, résumait à sa manière l’action : « Les membres du Comité central éparpillés dans Lyon dans un grand désordre ne pouvaient rien attendre que du hasard. »Il écrit le 20 février 1871, soit peu avant la révolution de la Commune de Paris, au journal lyonnais « La Décentralisation » : « Si les ouvriers se trouvent heureux et libres… je n’ai pas le droit de chercher à imposer aux gens la justice sociale puisqu’elle leur déplait tant. »
Pourtant, il y avait en 1870 à Marseille et Lyon une effervescence ouvrière et populaire, une radicalisation des milieux militants et des conditions extrêmement favorables à la révolution face à un effondrement complet de l’appareil d’Etat de la bourgeoisie et de l’Empire. N’oublions pas que la classe ouvrière avait de solide traditions de lutte à Lyon notamment et que tout le pays était gros d’une révolution populaire qui va éclater en 1871, quelques semaines après que Bakounine et Richard aient déclaré à qui voulait les entendre que la révolution sociale n’aurait plus jamais lieu en France !!!

Sur Cluseret, deuxième acolyte de Bakounine, Lissagaray écrit :

"Le 28, les Lyonnais éclatèrent... Le conseil nomma Cluseret général d’une armée de volontaire à créer. Cet inpartibus était un ancien officier décoré par Cavaignac pour sa belle conduite aux journées de Juin (massacre des ouvriers parisiens)... Ce louche hurluberlu avait persuadé au conseil municipal de Lyon qu’il lui organiserait une armée. Rien ne marchait quand les comités républicains des Brotteaux, de la Guillotière, de la Croix-Rousse (traduisez la classe ouvrière) et le comité central de la garde nationale décidèrent, le 28, de porter à l’hôtel de ville un programme énergique de défense. Les ouvriers des fortifications, amenés par Saigne, appuyèrent d’une démonstration, remplirent la place des Terreaux et les discours, l’émotion aidant, envahirent l’hôtel de ville. Saigne proposa de nommer une commission révolutionnaire et apercevant Cluseret le nomma commandant de la garde nationale. Cluseret, fort soucieux de ses étoiles futures, ne arut au balcon que pour recommander le calme. La commission se constituant, il n’osa pas résister et partit à la recherche de ses troupes. A la porte le maire et le préfet le prirent au collet. Saigne délivra Cluseret, arrêta à son tour le maire et le préfet... Cluseret prit le train de Genève... »

Voilà qui était le chef militaire du coup d’Etat de Bakounine... et qui allait encore tromper longtemps la Commune de Paris en 1871 !

« Je n’ai plus aucune foi dans la révolution en France. Ce pays n’est plus révolutionnaire du tout… » écrit Bakounine le 23 octobre 1870, cité par son ami James Guillaume, après l’échec du 28 septembre 1870 où un coup de force totalement impréparé devait, selon Bakounine, amener des ouvriers des chantiers qui protestaient parce que leur salaire allait être abaissé de 3 fr. à 3fr50 à détruire le pouvoir lyonnais en occupant l’Hôtel de ville sans avoir été mis même au courant du but de leur action, plan que Bakounine résumait par « Pas de discipline, pas de théorie, pas d’autorité. »

Lire ici le bilan de Bakounine juste après les événements

L’antibourgeois en parole expliqua que l’échec provenait de la trahison de la... bourgeoisie :

« Dans une brochure que beaucoup d’entre vous ont lue, intitulée Lettres à un Français, j’ai exposé les moyens dont il fallait faire usage pour les entraîner dans la Révolution. Mais pour le faire, il fallait d’abord que les villes se soulèvent et s’organisent révolutionnairement. Les ouvriers l’ont voulu : ils le tentèrent même dans beaucoup de villes du midi de la France, à Lyon, à Marseille, à Montpellier, à Saint-Étienne, à Toulouse. Mais partout ils furent |25 comprimés et paralysés par les bourgeois radicaux au nom de la République. » voir ici

L’antiautoritaire explique ensuite que c’est faute d’une organisation qu’il a échoué : « Si les soulèvements populaires de Lyon, de Marseille et dans les autres villes de France ont échoué, c’est parce qu’il n’y a aucune organisation. Je puis en parler avec pleine connaissance de cause, puisque j’y ai été et que j’en ai souffert. » Voir ici

En 1874, Bakounine écrit : « Moi aussi, mon vieil ami, je me suis éloigné des affaires, j’ai décidément et à jamais, abandonné toute action personnelle ; aucun lien ne me rattache plus à quelque entreprise pratique que ce soit. En premier lieu parce qu’il se présente aujourd’hui pour ces sortes d’entreprises une masse d’obstacles ; le bismarckonisme, c’est-à-dire le militarisme, la police et le monopole des finances, combinés en un seul système qui s’appelle l’État moderne — triomphent partout. Il se passera peut-être dix ou quinze ans encore, durant lesquels, cette puissante et scientifique négation de tout ce qui est humain sera toujours triomphante. Je ne dis pas qu’il n’y ait rien à faire actuellement ; mais ce nouveau travail exige aussi des méthodes nouvelles et, surtout, des forces jeunes et fraîches — je sens que je ne suis plus bon pour cette nouvelle lutte et je me retire, sans attendre qu’un Gil Blas quelconque me dise avec insolence : « Plus d’homélies, Monseigneur ! » »

« En ce qui concerne Lyon, j’ai reçu des lettres qui ne sont pas faites pour être publiées. Au commencement, tout a bien marché. Sous la pression de la section de l’ « Internationale », on proclama la République, avant même que Paris n’ait fait ce pas. On forma aussitôt un gouvernement révolutionnaire - la Commune -, composé en partie d’ouvriers appartenant à l’ « Internationale », en partie de républicains radicaux de la bourgeoisie. On abolit immédiatement les octrois, et ce avec raison. Les intrigants bonapartistes et cléricaux furent intimidés. On prit des mesures énergiques pour l’armement de tout le peuple. La bourgeoisie commençait, sinon de sympathiser vraiment avec le nouvel ordre des choses, du moins à le tolérer passivement. L’action lyonnaise eut aussitôt un effet sensible à Marseille et Toulouse, où les sections de l’ « Internationale » sont fortes.
Mais, les ânes de Bakounine et de Cluseret arrivèrent à Lyon et gâchèrent tout. Comme tous deux appartiennent à l’ « Internationale », ils eurent hélas suffisamment d’influence pour fourvoyer nos amis. Ils s’emparèrent de la mairie - pour peu de temps - et proclamèrent les lois les plus insensées sur l’abolition de l’État et autres bêtises du même genre. Vous comprendrez que le simple fait qu’un Russe - présenté comme un agent de Bismarck par la presse bourgeoise - ait la prétention de jouer au chef d’un Comité de Salut de la France, suffise à faire revirer l’opinion publique. Pour ce qui est de Cluseret, il se comporta à la fois en fou et en lâche. Tous deux ont quitté Lyon après leur échec. »

Karl Marx, lettre du 19 octobre 1870

Bakounine ne voulait pas répondre publiquement aux critique de Marx et Engels :

« Les attaques de la secte hébraïco-germanique ne sont pas une nouveauté pour moi. Depuis 1848, dans les journaux allemands, ils m’ont attaqué publiquement et de la manière la plus ignoble, prétendant qu’Herzen et moi nous étions à la solde d’un comité panslaviste et tzarien. Herzen et moi nous avons combattu toute notre vie la politique du tzar. Quant à moi, je me suis posé dès le commencement de ma carrière le devoir de combattre spécialement le panslavisme — et nul ne le sait mieux que ces juifs allemands. — Mais chez eux, c’est un parti pris de calomnie. Jusqu’à présent j’avais dédaigné de leur répondre. Il paraît qu’ils veulent me forcer à rompre ce silence. Je le ferai, quoique bien à contre•cœur ; car il me répugne d‘introduire des questions personnelles dans notre grande cause et rien ne me dégoûte tant que d’occuper le public de ma propre personne. J’ai fait tout mon possible pour que mon nom n’intervienne pas dans la polémique des journaux italiens au sujet de l’Internationale. J’ai arrêté pour cela la publication de mes écrits contre les mazziniens ; et lorsque M. Engels m’a indirectement attaqué dans la réponse à Mazzini, j’ai encore gardé le silence... Maintenant ils m’attaquent par de sourdes calomnies. En même temps que je reçois votre lettre, j’en recevais une autre de Milan, une troisième de Naples qui me disaient à peu près la même chose. Alors je conçus la pensée de publier dans les journaux italiens une lettre de défi adressée aux intrigants du Conseil général. Je le ferai, s’ils mettent ma patience à bout. Mais avant de le faire, puisqu’il s’agit de personnalités et non de principes, je veux encore essayer un dernier moyen de conciliation. Je veux d’abord adresser au Conseil général une lettre privée, dont je vous enverrai la copie. Et s’ils ne me donnent pas une réponse satisfaisante, alors je les forcerai à s’expliquer en public. »

Lettre inédite de Bakounine à Celso Cerretti (1872)

En août et septembre 1870, des mouvements sociaux et politiques contre la guerre que menait l’empire de Napoléon III ont commencé en France puis la défaite militaire face à la Prusse et l’arrestation de l’empereur a lancé le début des tromperies des politiciens bourgeois de Jules Favre à Auguste Thiers, qui ont fait croire à un gouvernement de défense nationale pour retarder la révolution sociale, que la guerre elle-même visait à détourner.

Les républicains ou militants ouvriers s’y sont trompés et leurs dirigeants les ont trompé, acceptant, sous prétexte de nationalisme, de continuer à se mettre à la remorque d’une bourgeoisie française qui n’avait prétexté vouloir continuer la guerre que pour mieux éteindre dans le sang la montée ouvrière et la révolution politique et sociale dans un régime impérial finissant et face à un prolétariat montant.

A Paris, s’est mis en place un gouvernement prétendument d’union nationale et d’union des classes sociales mais en fait instrument de guerre contre les milieux populaires, le gouvernement des Jules : Jules Favre, Jules Simon et Jules xxx, a permis à la bourgeoisie de retarder l’explosion de la Commune à Paris. Le nationalisme qui gangrénait le mouvement ouvrier et révolutionnaire a servi à tromper les travailleurs.

En province, la révolution montait déjà peu avant la défaite et la chute de l’empire. C’est pour cela que les communes de Marseille et de Lyon ont été proclamées en 1870 alors que celle de Paris ne l’a été qu’en 1871.

Si les incapacités des républicains, des démocrates, des syndicalistes, des proudhoniens, des blanquistes ont déterminé les retards de la révolution en 1870, puis, en 1871, les faiblesses de celle-ci à Paris, les mêmes faiblesses se sont rajoutées aux errements des bakouninistes à Marseille et Lyon en 1870 que nous rapportons ici….

CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS DE 1870

6 août 1870 : journée tumultueuse à Paris

8 août 1870 : tentative de Commune à Marseille. L’ouvrier Dumay du Creusot, organisateur de la grève de 1870 et licencié de Schneider, conduit une manifestation dans les rues du Creusot.

9, 10 et 11 août 1870 : le peuple manifeste à Lyon.

13 août 1870 : débuts de la Commune à Lyon

14 août 1870 : tentative blanquiste du boulevard de la Villette

2 septembre 1870 : reddition de Napoléon III à Sedan

4 septembre 1870 : manifestation à Paris et formation du « gouvernement de la défense nationale » en même temps que proclamation de la République par les Communes de Marseille et Lyon et formation du « comité de salut public » de Lyon, véritable pouvoir insurrectionnel dans la ville. Recrutement de gardes civiques dans les quartiers populaires de Marseille pour appuyer la révolution. A Grenoble, le peuple oblige un général à signer sa démission. Tout le sud de la France est en révolution. Des gardes nationales se constituent à leur propre initiative et le peuple s’empare même directement des armes les 4 et 5 dans les arsenaux, les forts et les casernes. A Lyon, les sociétés ouvrières dominent dans la Garde nationale.

22 septembre 1870 : les délégués des vingt arrondissements de Paris réclament la Commune.

19 septembre 1870 : Bakounine met sur pied un « Comité central du Salut de la France » qui comprend lui-même, Albert Richard, Gaspard Blanc et Bastelica et qui s’allie au « Comité central fédératif » républicain proches de Raspail. C’est là que Bakounine dévoile son plan : manipuler les ouvriers des chantiers pour transformer leur grève et manifestation en insurrection sans les en informer. L’échec l’amènera à abandonner définitivement les ouvriers des chantiers à leur triste sort alors que ceux-ci montreront, en novembre et décembre 1870, que, contrairement aux pronostics de Bakounine et Richard, ils étaient capables de se battre avec courage quand on ne prétendait pas les manipuler à leur insu…

28 septembre 1870 : coup foireux et échec retentissant de Bakounine à Lyon qui y désamorce la situation.

De fin septembre à fin octobre, bien qu’isolée par l’échec cinglant de Lyon, Marseille est aux mains de l’insurrection avec ses gardes civiques, l’épuration de l’armée et de la police, de l’administration et de la justice, la destitution du commandant de la place, les perquisitions et réquisitions, l’impôt sur les riches, la suppression des écoles religieuses, la révocation des maires de l’Empire, la réduction du traitement des fonctionnaires, la liberté de la presse. Les dirigeants se nomment Esquiros, Gaston Crémieux et Bastelica. Ils vont du camp républicain au camp révolutionnaire. Dès que la révolution est attaquée, elle se débande, les dirigeants s’avérant moins radicaux en faits qu’en paroles… Cependant, les classes dirigeantes mesurent qu’elles n’ont pas intérêt à raviver les sentiments populaires à Marseille et il n’y aura pas de répression sanglante.

31 octobre 1870 : tentative insurrectionnelle à Paris. Les gardes nationaux occupent l’Hôtel de ville, mais ne peuvent mettre sur pied un nouveau gouvernement. Le mouvement s’effondre au cours de la nuit.

1er novembre 1870 : mouvement révolutionnaire à Marseille

2 novembre 1870 : le mouvement marseillais avorte.

3 et 4 novembre 1870 : nouvelles manifestations insurrectionnelles à Lyon

7 décembre 1870 : nouvelle manifestation des ouvriers des chantiers lyonnais.

Fin décembre 1870 : répression du mouvement et reprise en main de Lyon par les forces de l’ordre.

7 janvier 1871 : affiche rouge du Comité central républicain de Paris sous le titre « Place au peuple, place à la Commune ».

18 mars 1871 : début de la révolution parisienne

22 au 25 mars 1871 : insurrection à Lyon

23 mars 1871 : insurrection à Marseille après une grève des dockers et d’autres professions ouvrières depuis plusieurs jours
23 au 27 mars 1871 : insurrection à Toulouse

4 avril 1871 : Espivent, que l’on a surnommé le « général d’antichambre » reprend la ville à coups de canons tirés depuis Notre-Dame de la Garde dès lors surnommée « Notre-Dame de la Bombarde » !

5 avril 1871 : les troupes d’Espivent défilent dans Marseille sous les huées.

30 avril 1871 : combats sanglants à Lyon où cinq bataillons de la Garde nationale se solidarisent avec l’insurrection qui est cependant désarmée et battue…

Lissagaray résumait ainsi les événements : « Les radicaux qui combattirent les travailleurs ou s’en détournèrent attestèrent une fois de plus la décrépitude, l’égoïsme de la classe bourgeoise moyenne, toujours prête à trafiquer des travailleurs avec les classes supérieures…Ainsi la petite bourgeoisie provinciale laissa échapper une occasion bien rare de conquérir ses libertés. »

Mais ce qui frappe surtout, c’est l’incapacité de la gauche de la gauche radicale de penser l’action révolutionnaire des masses, qu’il s’agisse des activistes anarchistes, syndicalistes, proudhoniens ou républicains radicaux…

LYON

Dès les premiers mois de 1870, les membres lyonnais de l’Association internationale des travailleurs (AIT) travaillent à préparer les ouvriers lyonnais à une éventuelle révolution. En liaison avec Bakounine, ils organisent un grand meeting réunissant plusieurs milliers de participants le 13 mars, qui donne un grand poids à la section locale, alors réélue avec à sa tête Albert Richard. Le 20 juillet 1870, au deuxième jour de la guerre entre la France et la Prusse, l’AIT organise une manifestation pacifiste de la place des Terreaux à la rue Sala.

Durant le conflit, dans toute la ville les éléments républicains et plus avancés (anarchistes, révolutionnaires socialistes) se préparent à la chute de l’Empire. Les différentes sensibilités tentent de se réunir pour organiser l’après napoléon III mais ils ne parviennent pas à s’entendre. Toutefois, tous ces milieux sont d’accord sur l’idée d’une autonomie municipale, pour rompre avec les pratiques centralisatrices de l’Empire.

la nouvelle de la défaite de Sedan et de la capture de l’Empereur, apportée par des voyageurs venant de Genève (le préfet ayant souhaité ne pas diffuser l’information immédiatement) se diffuse lentement. Parmi les militants qui l’apprennent et qui préparent la prise du pouvoir, un groupe de tendance radicale qui se nomme le « comité des neuf » fait rapidement une liste d’environ soixante dix noms destiné à former le premier organe de pouvoir qui prendra la place des autorités officielles le lendemain. Ce groupe est composé de membre de l’aile gauche du parti radical, blanquistes pour la plupart. Il n’y a pas de membre de l’AIT. La majorité des personnes prévues sur cette liste formeront effectivement le comité de salut public.
Dès huit heures du matin, la foule se rassemble sans vrai mot d’ordre sur le parvis de l’hôtel de ville. sans résistance, elle s’empare du pouvoir sous la direction de quelques meneurs vite arrivés : Jacques-Louis Hénon, Désiré Barodet, le docteur Durand. Sans attendre, ils proclament la République sur le balcon, dans un esprit avancé, mais non révolutionnaire et placardent en ville une affiche décrétant la déchéance de l’Empire. Des membres de l’Association internationale des travailleurs participent à l’insurrection, et le drapeau rouge est mis à la place du drapeau tricolore, sans que soit bien défini si ce symbole annonce une future révolution ou proclame simplement la déchéance d’un régime honni. Parmi les membres annonçant la République, il y a Charles Beauvoir, membre de l’AIT.

Immédiatement, un comité de salut public composé de républicains et de quelques militants de l’Internationale s’organise. Ce groupe de soixante sept personnes est élu par acclamation sur les balcons de l’hôtel de ville. Ils sont appelés par les membres du comité des neuf. La majorité des membres du comité sont issus de milieux populaires. il y a également Louis Andrieux, alors sorti de la prison Saint-Joseph. Sur la totalité, seuls une dizaine sont membres de l’AIT, le patriotisme de la majorité des créateurs du comité rejetant nombre d’eux.

Le même jour, la commune de la Guillotière connaît un soulèvement et l’établissement d’une commune arborant le drapeau rouge.

Le général Espivant de la Villeboisnet sort ses troupes en ville et leur ordonne de dispersés les révolutionnaires. Les hommes de rang refuse le combat, laissant le sabre au fourreau et montant les crosses des fusils. Pour ne pas voir ses lignes se disperser, et les armes se perdre dans la foule, le général les fait rapidement revenir aux casernes, laissant le comité de salut public en place.

le même jour, les gardes nationaux des quartiers populaire, à qui l’ont n’avait pas confié d’armes prennent d’assaut les forts Lamothe et La Vitriolerie et s’emparent d’armes.

Le 6 septembre, Challemel-Lacour, qui a été nommé préfet du Rhône par le Gouvernement de la Défense nationale, arrive à Lyon. Le 8 septembre, dix commissaires sont désignés pour être les « intermédiaires du peuple lyonnais auprès du Comité de Salut public ». Albert Richard, Louis Andrieux et Victor Jaclard, qui en font partie, sont délégués auprès du gouvernement parisien pour discuter avec lui de la levée en masse contre les Prussiens. Andrieux, qui a pour seul souhait le retour de l’ordre, revient de Paris avec le titre de procureur de la République à Lyon. Albert Richard, quant à lui, revient en compagnie du général Cluseret qui doit être nommé commandant des volontaires du Rhône et des corps de francs-tireurs venus du Midi.

Bakounine arrive à Lyon le 14 ou le 15 septembre avec Vladimir Ozerov, Valence Lankiewick et F. Bischoff. Il se plaint de voir collaborer l’Internationale avec les républicains, et prépare un soulèvement avec tous ses amis lyonnais de l’Internationale.

Le même jour, le comité de salut public se dissout pour laisser la place aux autorités élues le même jour. Hénon devient alors le premier maire de Lyon.

C’est ainsi qu’à Lyon, le 17 septembre 1870, au cours d’une réunion publique, le principe d’un « Comité Central du Salut de la France » est décidé. Au cours d’une autre réunion, ses membres sont élus dont Lunkiéwicz, d’Ozeroff et Michel Bakounine. Camille Camet en est le secrétaire. Bakounine tient des réunions secrètes à la Guillotière, où se trouvent de nombreux membres de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) ainsi que des révolutionnaires, comme le mécanicien Adrien Schettel ou le plâtrier Eugène Saignes.

Le Comité Central du Salut de la France, qui compte en son sein des délégués de différents quartiers de la ville, déploie une grande activité, publiant des manifestes et multipliant les réunions publiques. Une coordination est bientôt établie entre groupes révolutionnaires, associations ouvrières et milices de citoyens et le plan d’une insurrection à Lyon est mis en place.

À Lyon, le 26 septembre 1870, on proclame la Fédération révolutionnaire des Communes, dans la salle de la Rotonde, aux Brotteaux, au cours d’une réunion tenue devant 6 000 personnes, on déclare qu’il est urgent de décréter un emprunt forcé, la peine de mort contre les riches fugitifs, la destitution de tous les officiers, et qu’en premier lieu, il fallait chasser de l’Hôtel de ville le préfet Challemel-Lacour et le Conseil municipal. On y donne lecture de l’affiche rouge, qui sera collée partout dans la ville, dont le texte suivant est acclamé :

« La situation désastreuse dans laquelle se trouve le Pays ; l’impuissance des pouvoirs officiels et l’indifférence des classes privilégiées ont mis la nation française au bord de l’abîme.

Si le peuple organisé révolutionnairement ne se hâte d’agir, son avenir est perdu, la révolution est perdue, tout est perdu. S’inspirant de l’immensité du danger et considérant que l’action désespérée du peuple ne saurait être retardée d’un seul instant, les délégués des comités fédérés du salut de la France, réunis au Comité central, proposent d’adopter immédiatement les résolutions suivantes :

Article 1er. - La machine administrative et gouvernementale de l’État, étant devenue impuissante, est abolie.

Le peuple de France rentre en pleine possession de lui-même.
Art. 2. - Tous les tribunaux criminels et civils sont suspendus et remplacés par la justice du peuple.

Art. 3. - Le paiement de l’impôt et des hypothèques est suspendu. L’impôt est remplacé par les contributions des communes fédérées, prélevées sur les classes riches, proportionnellement aux besoins du salut de la France.

Art. 4. - L’État étant déchu, ne pourra plus intervenir dans le paiement des dettes privées.

Art. 5. - Toutes les organisations municipales existantes sont cassées et remplacées dans toutes les communes fédérées par des comités de salut de la France, qui exerceront tous les pouvoirs sous le contrôle immédiat du Peuple.

Art. 6. - Chaque comité de chef-lieu de département enverra deux délégués pour former la convention révolutionnaire du Salut de la France.

Art. 7. - Cette convention se réunira immédiatement à l’Hôtel de ville de Lyon, comme étant la seconde ville de France et la plus à portée de pourvoir énergiquement à la défense du Pays.

Cette convention appuyée par le peuple entier sauvera la France.

Aux Armes !!! »

— Les 26 signataires de cette convention de la Fédération révolutionnaire des Communes et mentionnés sur l’affiche rouge, sont notamment : Albert Richard, Michel Bakounine, Gustave Blanc, Eugène-Bertrand Saignes, Louis Palix (Lyon), Rajon (Tarare), A. Bastellica (Marseille), Dupin (St Étienne).

À l’appel de ce mouvement qui est très populaire, le 28 septembre 1870, ce sont plusieurs milliers d’ouvriers qui débouchent en manifestant à midi sur la Place des Terreaux. À cause de la diminution du salaire journalier sur les chantiers d’urbanisme et de construction des forts, les travailleurs réclament le maintien de la journée de travail à 3 francs et une prime de chantier de 1,25 franc les jours de pluie où le travail est impossible. Une délégation entre dans l’Hôtel de ville mais ne trouve pas vraiment d’interlocuteurs. C’est alors qu’une centaine d’hommes ont toute facilité pour forcer une porte latérale de l’Hôtel de Ville, rue Puits-Gaillot, et y pénétrer avec Saignes, Bakounine, Richard, Bastelica et d’autres membres encore du Comité.

Du haut du balcon, Saignes lit de nouveau le manifeste et l’acclamation de la foule, qui s’accroit de plus en plus, est générale sur toute la place des Terreaux. Saignes nomme Cluseret « général en chef des armées révolutionnaires et fédératives ». Challemel-Lacour est retenu prisonnier. Cluseret, chargé d’appeler aux armes la Garde nationale de la Croix-Rousse, leur demande de se rendre à l’Hôtel de Ville, mais sans armes. Bakounine attribuera l’échec du mouvement à cette « trahison » et à cette « lâcheté » de Cluseret. Les ouvriers rassemblés sur la Place des Terreaux vont se retrouver en effet sans armes face à la troupe et à la Garde nationale des quartiers bourgeois, qui pénètrent bientôt armées dans la cour intérieure de l’Hôtel de Ville, ce qui fait échouer ce soulèvement populaire et la première « Commune de Lyon ».

Au printemps 1871, ce sont de nombreux militants lyonnais inconnus et insurgés quasi-anonymes qui firent ces révolutions locales. Ces courtes insurrections se passent en deux temps. Du 22 au 25 mars 1871, la scène en est l’Hôtel de ville, tandis que celle du 30 avril et 1er mai 1871, plus sanglante, se déroule dans le faubourg de la Guillotière.

Dans la nuit du 22 au 23 mars, l’Hôtel de ville est une nouvelle fois envahi avec l’aide d’acteurs du 28 septembre 1870, de membres de l’ex-comité de Salut Public, du Comité révolutionnaire de la Guillotière, et de 18 bataillons sur 24 du Comité central de la Garde Nationale. Une commission est installée. Et le 23 mars 1871, Bakounine vient au balcon de l’Hôtel de ville de Lyon, place des Terreaux, lancer un appel à la révolution mondiale. Il a avec lui toute la Première Internationale Ouvrière. Il a une lecture politique de Lyon comme capitale mondiale du socialisme.

Le 25 mars, pourtant, dans une subtile trouvaille pour contrer la Commune de Lyon, Hénon, le premier maire de Lyon de la IIIe République, fait apposer des affiches annonçant la réception solennelle des héros en armes de Belfort qui avaient résisté avec honneur au siège des Prussiens. C’est ainsi qu’une force d’intervention entrait dans Lyon et que la Commune de Lyon, spontanée, mais brouillonne, s’effaçait sans éclat et sans bruit.

Le drapeau rouge continua cependant à flotter sur la mairie de la Guillotière. Le 30 avril, après un appel au boycott des élections, la mairie de la Guillotière (place du Pont) est occupée par les gardes nationaux qui interdisent l’accès aux urnes avec la complicité majoritaire de la population. Des barricades sont dressées Grand rue de la Guillotière et cours des Brosses (actuel cours Gambetta). L’armée arrive de Perrache, sur ordre du préfet Valentin, face à une foule de 20 000 à 25 000 personnes qui crie « Ne tirez pas ! Crosse en l’air ! On vous fait marcher contre le peuple ! » C’est alors que deux colonnes de fantassins, l’une par le pont de la Guillotière avec Valentin, l’autre par la rue de Marseille avec Andrieux dispersent les manifestants vers 19h45 en tirant. Les insurgés ripostent de derrière les barricades et la bataille dure jusqu’à 23h, moment où les militaires font donner l’artillerie pour enfoncer les portes de la Mairie de la Guillotière. On comptera une trentaine de morts. Le matin du 1er mai 1871, le jour se lève sur un massacre place du Pont.

À la Croix-Rousse, une barricade a été dressée rue de Cuire, mais, dépourvue de défenseurs, elle est détruite le 30 avril vers 13h30. Par contre, les barricades de la Grand rue de la Guillotière ont tenues, elles, jusqu’à 11h20 le 1er mai, où l’on dénombre beaucoup de blessés et au moins 13 morts : le plus vieux, Michel Révol, 63 ans, de la Guillotière ; le plus jeune, Joseph Geoffray, 18 ans, tisseur à la Croix-Rousse et une femme Marie Bure, frangeuse à la Guillotière, 50 ans. La Guillotière incarne désormais le quartier ouvrier et remplace ainsi les pentes insurrectionnelles de la Croix-Rousse.

MARSEILLE

La Commune de Marseille est un mouvement insurrectionnel, proclamé par solidarité avec le soulèvement de la Commune de Paris du 18 mars 1871. Son but est de soutenir la république alors naissante contre les manœuvres des « Versaillais » et de permettre à la ville de Marseille de régir ses propres intérêts. Elle réunit des républicains, modérés et Blanquistes, des socialistes, des membres de la première internationale de toutes opinions. La Commune révolutionnaire dirigée « officiellement » par une commission départementale ayant remplacé le préfet se donne pour chef l’avocat-poète Gaston Crémieux. Mais elle connaît très vite la division. Incapable d’assurer ses missions légales, elle est reprise en main par des délégués parisiens incompétents et violents. Afin d’éviter qu’elle organise des élections et gagne ainsi une véritable légitimité démocratique, le général versaillais Henri Espivent de la Villesboisnet la déclare hors la loi et fait donner contre elle ses troupes. Réprimée dans le sang, dans la nuit du 4 au 5 avril 1871, avec elle s’éteint le dernier espoir de la Commune de Paris de gagner des soutiens en Province. Si ces racines plongent bien avant la première insurrection du 1er novembre 1870 ; elle ne dure en tout que quatorze jours, du 22 mars, au 5 avril 1871.

Le 7 août 1870, cette première insurrection populaire avec à sa tête Gaston Crémieux, Émile Bouchet, Maurice Rouvier et Gustave Naquet prend d’assaut la préfecture. Le soir même, ces radicaux se réunissent rue Vacon avec les socialistes, forment un comité d’action, et le lendemain, ils prennent d’assaut la mairie, installant un comité révolutionnaire, formé par Crémieux, Paul Giraud, Clovis Hugues, Félix Granet, Cabasse, un employé de mairie : Joseph Tardif, les journaliste Auguste Sorbier et Armand Elbert, les internationalistes Charles Alerini, Étienne-Louis Combes, Victor Bosc (des Catalans), Philibert Gilbert, Frédéric Bordes, Auguste Conteville et Célestin Matheron. Se joignent à eux un entrepreneur : Félix Debray, un cordonnier : Joseph Maviel, un maçon : Esprit Tourniaire et un employé : Eugène Barthélémy.

Ce premier mouvement sera sévèrement réprimé par l’administration locale, fidèle aux lois impériales. Arrêtés les « factieux » sont emprisonnés dans un cachot du fort Saint-Jean. Le 27 août, un conseil de guerre statue sur le sort des meneurs et les condamne à passer quelques mois de prison à Saint-Pierre. Pierre Bernard, Tardif, Barthélémy et Giraud écopent d’un mois ; Tourniaire de trois ; Crémieux, Combe, Bosc et Sorbier de six ; Bordes de huit ; Conteville, Gilbert, Debray et Maviel, d’un an.

Le 4 septembre 1870, jour de la proclamation de la République, les tire de leurs geôles ; Gambetta confirme l’ordre de les libérer tandis qu’une foule imposante va à la rencontre des prisonniers dans la nuit6. Le même jour, le nouveau chef du gouvernement nomme Alphonse Esquiros administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône ; Adolphe Carcassonne est nommé président de cette première commune ; le drapeau tricolore est hissé sur la mairie. Le 7 septembre, Crémieux accueille Esquiros à la gare Saint-Charles et l’accompagne à la préfecture.

Dans un même temps, la création de la Ligue du Midi (15 départements), dirigée localement par Esquiros et Bastélica et Crémieux, renforce le pôle républicain.

Toutefois, de nombreux conflits se font déjà jour au sein du Conseil municipal de Marseille entre républicains modérés et blanquistes. Ils atteignent leur comble lorsque Esquiros, l’administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône ayant fonction de préfet, perd la confiance de Gambetta. En effet, plusieurs de ses arrêtés sont jugés illégaux par le ministre de l’intérieur du gouvernement provisoire (suspension de la Gazette du Midi, journal légitimiste, dissolution de la congrégation des jésuites de Marseille) Alphonse Esquiros, ne peut pas s’opposer ouvertement au gouvernement provisoire de Tours et en septembre, il envoie Gaston Crémieux à Tours, discuter avec Adolphe Crémieux et Gambetta pour tenter une conciliation mais celui-ci échoue.

Esquiros démissionne. Il est brièvement remplacé par Louis-Antoine Delpech, lui-même aussitôt démissionnaire. Gambetta nomme alors à ce poste Alphonse Gent. Le conflit s’envenime, attisé par la rivalité entre la Garde nationale (bourgeoise) et la Garde civique (ouvrière), créée par Esquiros.

Le 3 octobre 1870, la « Commissaire Générale de la Ligue du Midi pour la défense de la République » mandate Gaston Crémieux pour que la région se rallie à leur cause. Pour l’avocat nîmois, l’heure est venue d’affirmer ses idées :

« Nous sommes résolus à tous les sacrifices, et, si nous restons seuls, nous ferons appel à la révolution, à la révolution implacable et inexorable, à la révolution avec toutes ses haines, ses colères et ses fureurs patriotiques. Nous partirons de Marseille en armes, nous prêcherons sur nos pas la guerre sainte. »

Le 19 octobre 1870, Crémieux fait ovationner la Ligue du Midi, et la Commune Révolutionnaire, lors d’un meeting organisé à l’Alhambra. La Ligue entre peu à peu en opposition ouverte avec le gouvernement de la défense nationale. Alors que la garde civique d’Esquiros est licenciée par le gouvernement provisoire, Gambetta coupe les ponts avec la ligue du midi. Les membres de la Commission départementale insurrectionnelle appellent dès lors les Marseillais à prendre les armes.

Le 1er novembre 1870, l’Hôtel de Ville est de nouveau occupé et la Commune proclamée ; le lendemain, Gustave Cluseret est nommé Commandant de la Garde Nationale, Clovis Hugues prend la tête de la Légion urbaine et Esquiros prend la tête de la Commission municipale. Ce 2 novembre, Gent est accueilli à coup de révolver, gare Saint-Charles (Crémieux, absent, est en meeting dans l’Isère). Pendant ces quelques jours, la popularité d’Esquiros reste intacte, mais la mort de son fils qui vient de succomber à la typhoïde change la donne. Gambetta lui conserve une sympathie personnelle (sinon politique) et lui fait savoir qu’il partage son deuil ; Esquiros accepte d’être remplacé par Alphonse Gent.

Les circonstances jouent d’ailleurs en faveur du nouveau préfet. L’attentat dont il a été la victime à son arrivée lui apporte le soutien populaire. Cette sympathie à son égard lui permet de reprendre le pouvoir en main pour le compte du Gouvernement. Et le 13 novembre, le nouveau préfet peut télégraphier à Tours que l’ordre règne de nouveau à Marseille.

La paix signée avec l’Allemagne, le gouvernement de défense doit céder la place. Des élections législatives ont lieu le 8 février 1871. À Marseille, Esquiros est réélu tandis que Gent démissionne, outré par les conditions de l’armistice. Le parlement se réunit à Bordeaux. La chambre est une émanation des communes rurales ; elle est particulièrement réactionnaire. Une majorité de notables légitimistes et orléanistes est sortie des urnes.

Crémieux, présent à Bordeaux, intervient des tribunes pour saluer Garibaldi, élu, invité à la chambre et qu’empêchent de parler les députés royalistes, par ces mots demeurés célèbres :

« Majorité rurale, honte de la France ! »

La foule des tribunes l’applaudit fortement au grand dam d’un autre marseillais, Adolphe Thiers.

Le 18 mars 1871, commence l’insurrection de la Commune parisienne ; le 22 mars 1871, la nouvelle arrive à Marseille des menaces d’Adolphe Thiers, nouveau chef du gouvernement, de désarmer Paris. Le jour même, Crémieux prend la tête d’un troisième mouvement insurrectionnel. Il enflamme le club de l’Eldorado (républicain radical, voire socialiste), et court au club de la garde nationale (modéré), dénonce Versailles, et réclame qu’on soutienne Paris et la République. Devant la tiédeur du club de la Garde Nationale, Crémieux revient faire patienter l’Eldorado. Curieusement, c’est la maladresse du parti des « Versaillais » qui donne le véritable coup d’envoi de la commune de Marseille.

Dans la soirée, le nouveau préfet l’amiral Paul Cosnier et le général Espivent ordonnent à la Garde Nationale de se rassembler le lendemain en faveur de Versailles, le maire Jacques-Thomas Bory tente de les en dissuader ; leur appel tombe à plat. Le défilé des gardes nationaux, sur le cours Belsunce, dégénère en manifestation où se mêlent garibaldiens, population marseillaise et des restes de la garde civique d’Esquiros.

La foule prend sans effusion de sang la préfecture d’assaut. Crémieux marche avec, à ses côtés le jeune Clovis Hugues. Le jeune journaliste de 20 ans brandit le drapeau rouge de la république sociale et devient son bras droit (plus tard, il sera boulangiste !).

Commencée ce 23 mars la commune de Marseille va durer jusqu’au 4 avril.

Le Préfet prisonnier, le maire démissionné, Espivent en fuite, la commission départementale prend la place du préfet ; elle comprend 12 membres : des Radicaux (Job et Étienne), des membres de l’Internationale (Alérini), de la Garde nationale (Bouchet, Cartoux), et trois délégués du Conseil municipal. L’insurrection victorieuse, Crémieux déclare du haut du balcon de l’Hôtel départemental la solidarité de Marseille avec Paris, appelle la population à maintenir l’ordre et propose de mettre en liberté l’amiral Cosnier ; la foule s’y refuse.

Effrayés par ce qu’ils viennent d’avaliser, les membres de la municipalité tentent de se retirer de la Commune. Crémieux convainc Boucher de demeurer en poste.

Le 27 mars 1871 arrivent quatre délégués parisiens : Landeck, Amouroux, Albert May dit Séligman, et Méguy. Landeck se met à la tête de la Commission, et traite tous les modérés en suspects. Arrêté, relâché, menacé, sans plus de pouvoir, Crémieux est tenté de démissionner à son tour. Des élections communales, afin d’instituer une nouvelle légalité, sont prévues pour le 6 avril. Le 28 mars, le général Espivent de la Villeboisnet, chef des troupes militaires du département, qui a fait refluer ses hommes hors les murs, à Aubagne, proclame - sans aucune base légale - les Bouches-du-Rhône en état de guerre et se déclare partisan du Gouvernement d’Adolphe Thiers.

Alors que l’ordre est rétabli dans les autres villes qui se sont érigées en Communes : Lyon, Toulouse, Saint-Étienne, Limoges, Narbonne, les luttes internes atteignent leur comble à Marseille. La commission départementale (Landeck) dissout le conseil municipal (Bouchet) souhaite que le drapeau rouge devienne l’emblème de la commune. Crémieux y interpose le drapeau noir, signe pour lui de deuil (et non d’anarchie). Son souci constant pendant cette période étant d’assurer une continuité de la loi, d’éviter les désordres (ce qu’il nomme l’anarchie) afin de ne pas prêter le flanc aux critiques de leurs adversaires. Mais les chefs d’administrations ont déserté. Ceux du télégraphe, les magistrats du parquet, les agents de la force publique... et la Commune de Marseille ne peut leur opposer que des proclamations.

Le 3 avril 1871, le général Espivent fait marcher ses troupes (de 6000 à 7000 hommes) contre Marseille. La lutte s’engage le lendemain. La gare résiste, mais la petite armée du Versaillais parvient jusqu’aux barricades de la rue Saint-Ferréol. Elle vise la préfecture où se sont retranchés les défenseurs de l’insurrection.

Crémieux tente de parlementer aux avant-postes de Castellane ; deux bataillons du VIème chasseur fraternisent avec la foule. Les garibaldiens qui défendent la Gare opposent une sérieuse résistance aux troupes du général Espivent. Crémieux croit encore au triomphe de la commune. Après une brève rencontre avec Crémieux, Espivent fait mine de battre en retraite. D’autres soldats fraternisent (nombre d’entre eux seront fusillés), des tirs partent contre les insurgés d’un club légitimiste, situé dans la maison des frères de la doctrine chrétienne, faisant de nombreuses victimes parmi les insurgés. La lutte est indécise.

Soudain, vers midi, Espivent fait bombarder la cité depuis Notre-Dame de la Garde (ce qui lui vaut le surnom de « Notre-Dame de la Bombarde ») ; après avoir reçu plus de 280 obus, la préfecture tombe le 5 avril à 7 heures du matin, après dix heures de combats acharnés. Landeck s’est enfui à Paris, Bastellica est parti en Espagne, Royannez, Clovis Hugues, tous les principaux révolutionnaires de la Commune ont réussi à se faufiler loin des combats. Prises en étau entre les marins et les troupes de chasseurs, pilonnées par les canons postés sur la colline de la Garde, le port sous la domination de deux navires de guerre, la ville et la préfecture, ne peuvent pas résister longtemps sans chef. Les troupes d’Espivent subissent en tout 30 morts et 50 blessés, les insurgés comptent 150 morts environ (et plus de 500 prisonniers). Le lendemain, elles défilent, victorieuses, aux cris de « Vive Jésus ! Vive le Sacré-Cœur ! ».

Gaston Crémieux, quant à lui, refuse de s’enfuir. Il est arrêté le 8 avril 1871 dans le cimetière juif. Son procès commence le 12 juin devant le premier conseil de guerre avec celui des autres Marseillais, dirigeants locaux, le plus souvent modérés, Bouchet, Ducoin, Breton, Pélissier, Duclos, Novi, Nastorg, Hermet, Genetiaux, Chachuat, Éberard et Matheron. Nombre d’entre eux seront acquittés. Mais l’accusation veut un exemple ; le 28 juin les débats sont clos dans un procès militaire. Crémieux - à qui l’on reconnaît le statut de prisonnier politique - est le seul condamné à mort. Clovis Hugues est fait prisonnier quatre mois plus tard. La Cour de cassation confirme les jugements en appel le 15 septembre.

Adolphe Thiers, devenu président, plaide pour la grâce d’Étienne et de Pelissier.

Il retient quatre jours le dossier de Crémieux à la Présidence. Mais Crémieux est condamné ; la commission des grâces cède devant l’insistance répétée du général Espivent.

Crémieux est exécuté au Pharo, le 30 novembre 1871 ; Clovis Hugues est condamné à quatre ans de cellule (et une amende de 6 000 francs).

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