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La grande peur des classes dirigeantes à l’égard de la révolution dont les menacent les opprimés

jeudi 11 juillet 2013, par Robert Paris

Nous entrons dans une période où les opprimés représentent objectivement une menace pour la domination mondiale du système même si les travailleurs, les chômeurs, les jeunes, tous les opprimés ne se voient nullement encore comme la classe révolutionnaire porteuse d’avenir.

Les prolétaires sont certainement les derniers à être conscients qu’ils sont une menace de mort pour le système dominant. Ils sont parfois à un doigt du pouvoir sans même le savoir et certaines des répressions violentes qu’ils ont subies, comme les génocides, les dictatures, les fascismes et les grandes guerres, ne leur paraissent pas rationnels car ils ignorent, dans la période précédente, avoir fait peser une menace sur les classes dirigeantes.

Lors de la révolution du 25 janvier 2011, les Égyptiens disaient que le principal acquis de la révolution était que la peur avait changé de camp, passant des exploités et des opprimés aux classes dirigeantes…

De mauvaises langues (à moins que ce ne soit des gens bien informés ?) assurent que Hollande aurait récemment installé à l’Elysée une cellule chargée de surveiller les risques de révolution dans notre pays.

Attali déclarait déjà : "Si les politiques ont peur de la révolte, ils auront la révolution"

Si les travailleurs ont plus en tête leurs propres craintes d’être victimes des politiques d’austérité et des suppressions d’emplois, s’ils craignent les classes dirigeantes, ils ont bien moins en tête une autre crainte, celle qui monte dans les classes dirigeantes elles mêmes : la peur de la révolution sociale qui renversera leur règne ! Les exploités redeviennent « les classes dangereuses » que les bourgeois français regardaient avec effroi de 1789 à 1871 en passant par 1848…. En 1838, l’Académie des Sciences Politiques et Morales récompense le livre d’un obscur fonctionnaire de la Préfecture de la Seine, intitulé : " Des classes dangereuses de la population dans les grandes villes et des moyens de les rendre meilleures."

La peur de la révolte sociale des opprimés et la haine à leur égard revient dans le discours des classes possédantes à chaque époque de révolution…

Même si les travailleurs n’en ont pas encore nécessairement conscience, la peur vient de changer de camp…

Et cette peur entraîne de nombreuses choses impossibles en temps de paix sociale…

Dans ces périodes de révolution, les différences politiques s’estompent et la gauche (même la gauche de la gauche) peut s’unir à l’extrême droite dans la mesure où l’enjeu est la révolution sociale et pas seulement un changement politique.

« Tout mais pas le renversement du capitalisme » est alors la perspective de tous les courants liés à la bourgeoisie, des dirigeants syndicaux, aux dirigeants sociaux-démocrates, aux dirigeants des trust, aux dirigeants de l’armée et de la police et aux dirigeants de l’extrême droite, ainsi réunis par la haine de la révolution sociale…

Des écrits qui témoignent des sentiments des classes dirigeantes face à la révolution qui renverse la dynastie des Pharaons

« Les riches se lamentent, les miséreux sont dans la joie et chaque ville dit : « laissez nous chasser les puissants de chez nous. » Le scribe Ipouer A l’époque de la révolution sociale égyptienne de -2260 avant J.-C

Le scribe Ipouer qui tente d’expliquer la révolution : « Les villes de haute et de basse Egypte sont détruites et se consument. Le palais des rois est dépouillé (...) Contemplez ce qu’il advient lorsque les hommes se hasardent à se rebeller contre l’uræus divin, grâce auquel le dieu Râ pacifie les deux terres. Le serpent de la science est saisi et les pillards sont partout. (...) Sache qu’il est bien que les hommes construisent des pyramides, creusent des étangs et plantes des arbres pour le plaisir des dieux et le bonheur des hommes. »

Dans « Dictionnaire de la civilisation égyptienne », Guy Rachet, qui le cite, raconte ainsi : « Le pays fut le théâtre d’une véritable révolution sociale qui mit un terme à l’Ancien Empire. (...) Une révolution d’une violence inouïe éclata alors contre la noblesse et le roi. » Et de citer certains textes d’époque : « Il n’y a plus de droit et le Mal siège dans la chambre du conseil. (…) Il advint ce qui ne s’était jamais vu. On forge des lances en cuivre pour gagner son pain dans le sang. »

Guy Rachet écrit : « Le pays fut le théâtre d’une véritable révolution sociale qui mit un terme à l’Ancien Empire. A la fin du long règne de Pépi II, dernier roi de la Vie dynastie, le pouvoir royal s’était amenuisé et les nomarques de Haute Egypte s’étaient rendus indépendants. Une révolution populaire d’une violence inouïe éclata alors, dirigée contre la noblesse et le roi. Si les documents officiels restent muets sur ces événements, la littérature contemporaine ou à peine postérieure est pleine d’échos significatifs. (...) ».

C’est dans les « Admonitions d’un sage Egyptien » qu’on trouve le tableau le plus complet de la révolution : ’’Le pays est pleine ébullition et le laboureur porte un bouclier. Les lois de la Salle de justice sont dispersées (...) les portes et les murailles sont incendiées (...) les pauvres sont riches et les riches sont dépouillés (...) les fils de nobles sont jetés à la rue (...) le roi est enlevé par les pauvres (...) des hommes de rien ont renversé la royauté, ils ont osé se révolter contre l’uraeus défenseur de Rê.(...)’’

« La Sublime Salle de Justice, ses écritures sont enlevées, les places secrètes sont divulguées. Les formules magiques sont divulguées et deviennent inefficaces, parce que les hommes les ont dans leur mémoire. Les offices publics sont ouverts ; leurs déclarations (titres de propriété) sont enlevés ; malheur à moi, pour la tristesse de ce temps !... Voyez donc : des choses arrivent qui n’étaient jamais advenues dans le passé : le roi est enlevé par les pauvres… Ce que cachait la Pyramide est maintenant vide. Quelques hommes sans foi ni loi ont dépouillé le pays de la Royauté. Ils en sont venus à se révolter contre l’Uræus qui défend Râ et pacifie les Deux Terres … Les pauvres du pays sont devenus riches, tandis que les propriétaires n’ont plus rien. Celui qui n’avait rien devient maître de trésors et les grands le flattent. Voyez ce qui arrive parmi les hommes : celui qui ne pouvait se bâtir une chambre, possède maintenant des (domaines ceints de) murs. Les Grands sont (employés) dans les magasins. Celui qui n’avait pas un mur pour (abriter) son sommeil est propriétaire d’un lit. Celui qui ne pouvait se mettre à l’ombre possède maintenant l’ombre ; ceux qui avaient l’ombre sont exposés aux vents de tempête. Celui qui ne s’était jamais fabriqué une barque a maintenant des navires ; leur (ancien) propriétaire les regarde, mais ils ne sont plus à lui. Celui qui n’avait pas une paire de bœufs possède des troupeaux ; celui qui n’avait pas un pain à lui devient propriétaire d’une grange ; mais son grenier est approvisionné avec le bien d’un autre… Les pauvres possèdent les richesses ; celui qui ne s’était jamais fait de souliers a maintenant des choses précieuses. Ceux qui possédaient des habits sont en guenilles ; mais celui qui n’avait jamais tissé pour lui-même a maintenant de fines toiles. Celui qui ne savait rien de la lyre possède maintenant une harpe ; celui devant qui on n’avait jamais chanté, il invoque la déesse des chansons… La femme qui n’avait même pas une boîte a maintenant une armoire. Celle qui mirait son visage dans l’eau possède un miroir de bronze… Les (dames) qui étaient dans les lits de leurs maris, couchent sur des peaux (par terre)… Elles souffrent comme des servantes… Les esclaves (femmes) parlent tout à leur aise, et, quand leurs maîtresses parlent, les serviteurs ont du mal à le supporter. L’or, le lapis, l’argent, la malachite, les cornalines, le bronze, le marbre… parent maintenant le cou des esclaves. Le luxe court le pays ; mais les maîtresses de maison disent : « Ah ! si nous avions quelque chose à manger. « Les dames… leurs corps souffrent à cause de leurs vieilles robes… leurs cœurs sont en déroute quand on les salue. Les nobles dames en arrivent à avoir faim, tandis que les bouchers se rassasient de ce qu’ils préparaient pour elles ; celui qui couchait sans femme, par pauvreté, trouve maintenant de nobles dames. Le fils d’un homme de qualité ne se reconnaît plus parmi d’autres : le fils de la maîtresse devient fils de servante…"

Cette haine fantastique contre le pharaon s’est reportée contre toute la lignée des rois de l’Ancien Empire et c’est ce qui explique les sarcophages des pyramides brisés et vidés de leurs restes humains, et surtout les statues des rois jetées au fond de puits ou cassées jusqu’à être réduites en minuscules morceaux. Si cette révolution ouvre l’époque d’anarchie de la première période intermédiaire, si elle brise toutes les structures sociales de l’Ancien Empire, ses conséquences pour la vie morale du peuple égyptien sont sans doute incommensurables : le privilège de l’immortalité solaire, qui n’appartenait qu’au pharaon et à ceux que sa volonté royale avait élus, est donné désormais à tout Egyptien à quelque classe qu’il appartienne. » La « démocratisation » juridique, administrative, politique et religieuse est une conséquence institutionnelle de la révolution. Désormais les paysans vont pouvoir aller en justice contre leur noble. Ils seront protégés par les temples auxquels ils n’avaient autrefois aucun accès. La classe moyenne est développée en nombre et en moyens, car il faut élargir l’assise du régime. Les gouverneurs qui, par corruption, ne maintiendraient pas les greniers à grains pour les cas de famine seraient condamnés à avoir la tête coupée. Mais en même temps, le régime met en place pour la première fois une armée permanente contre tout nouveau risque révolutionnaire. Jusque là, l’armée était d’assez peu d’utilité n’ayant aucun concurrent dangereux au voisinage et ne servant qu’à faire des razzia en Nubie, en Palestine ou en Libye, notamment pour ramener des esclaves (seulement 2% de la population). La police n’avait en effet pas suffi à contenir la révolution sociale.

Guy Rachet dans « Civilisation égyptienne » : « C’est dans les « Admonitions d’un sage Egyptien » qu’on trouve le tableau le plus complet de la révolution : ’’Le pays est pleine ébullition et le laboureur porte un bouclier. Les lois de la Salle de justice sont dispersées (...) les portes et les murailles sont incendiées (...) les pauvres sont riches et les riches sont dépouillés (...) les fils de nobles sont jetés à la rue (...) le roi est enlevé par les pauvres (...) des hommes de rien ont renversé la royauté, ils ont osé se révolter contre l’uraeus défenseur de Rê. (...)’’

Désormais, les Pharaons distilleront la méfiance et la haine à l’égard des opprimés que l’on retrouve dans leurs recommandations à leurs successeurs comme le montrent « Les enseignements pour Mérikaré » cités par Guy Rachet :

« Enseignement du roi Kheti II à son fils Mérikaré

« Si tu rencontres un homme dont les partisans sont nombreux une fois assemblés, et qui soit agréable aux yeux de ses gens, un homme qui soit un orateur prolixe, chassez-le, supprimez-le, efface son nom, chasse son souvenir ainsi que celui de ses partisans. C’est aussi une cause de troubles pour les citoyens qu’un homme au cœur violent, il provoque des factions parmi les jeunes. Si tu t’aperçois que les citoyens subissent son ascendant, humilie le en présence des courtisans, chasse le ; c’est un ennemi aussi. Un bavard est un fauteur de troubles pour la ville. Soumet la multitude ; repousse l’excitation loin d’elle. (...) » « Seul un homme malade est dépourvu d’ennemis, et, à l’intérieur même de l’Egypte, l’ennemi ne s’apaise pas. (...) Je me suis approché de la ville de This [2] et de celle de Mâqi, à la limite sud de Taout, je les ai saisis comme un nuage qui crève. (...) Vois, le pays qu’ils avaient saccagé est maintenant organisé en nomes et toutes sortes de grandes villes. (...) Tous travaillent pour toi comme une seule troupe. Parmi eux, aucun rebelle n’apparaîtra, le Nil ne te nuira pas en ne revenant pas, et les produits de la Bass Egypte sont dans ta main. » « Vois, une action vile est arrivée en mon temps. Les districts de la ville de This ont été saccagés, et cela arriva de mon fait ; je n’en eu connaissance qu’après son accomplissement. Vois la faute capitale que j’ai commise, elle est certes pénible (...). Agis pour Dieu – il agira de même pour toi – au moyen d’offrandes qui renouvelleront son autel. (...) il tue les ennemis et détruit ceux de ses enfants qui songeaient à accomplir une révolte. (...) Il a fait pour eux des chefs, dès l’oeuf, des conducteurs pour soutenir l’échine de l’homme faible. (...) il a tué les hommes vils qui étaient parmi eux. (...) »

« La prophétie de Neferty

"(...) Courage mon cœur, pleure sur ce pays où tu as commencé (ton existence) (...) Vois donc, le Grand personnage est maintenant abattu, dans ce pays où tu as commencé ton existence (...) Vois donc les Grands ne constituent plus le « gouvernement » du pays. (...) Ré doit recommencer la création. Le pays tout entier a péri, il ne subsiste rien ; il ne restera même pas le noir de l’ongle de son destin. Ce pays est si gravement atteint que personne ne se lamente plus sur lui, que personne ne parle, que personne ne pleure. Comment donc ce pays pourra-t-il subsister ? (...) Assurément ces belles et bonnes choses (d’autrefois) ont été détruites. (...) Je te décris le pays à la manière d’un malade, car ce qui n’aurait jamais dû arriver est arrivé. On saisira les armes de combat et le pays vivra dans le tumulte. On fabriquera des flèches de cuivre et l’on demandera du pain avec du sang. (...) Je te décris le Pays à la manière d’un malade. Celui dont le bras était faible sera un homme puissant ; on saluera celui qui (autrefois) saluait. Je te décris l’homme inférieur devenu supérieur, ce qui était tourné sur le dos est maintenant tourné sur le ventre. On vivra dans la nécropole. Le pauvre empilera de grandes richesses. C’est l’homme misérable qui mangera les pains d’offrandes, tandis que les serviteurs seront dans la liesse. Le nome d’Heliopolis, lieu de naissance de tous les dieux, n’existera plus. (...) Alors un roi viendra du sud (...) Il prendra la couronne blanche et il portera la couronne rouge, ainsi il unira les deux puissances (...) Le peuple d’Egypte se réjouira (...) Ceux qui inclinaient au mal et ceux qui complotaient une rébellion ont mis fin à leurs paroles à cause de la crainte qu’il inspire. (...) Les rebelles éprouveront sa colère et les hommes au cœur pervers la terreur qu’il répand. »

Beaucoup plus tard, le Nouvel Empire succéda au Moyen Empire après de nouveaux troubles ayant fait chuter le régime, un interrègne attribué à tort aux envahisseurs asiatiques (qui avaient, au contraire, su rétablir un pharaon), et les mêmes enseignements étaient donnés alors par le pharaon Amnénémès à son jeune fils, cités par Rachet : « Ecoute ce que je te dis maintenant que tu es roi de la terre, maintenant que tu règnes sur les trois régions, afin que tu puisse être meilleur que tes prédécesseurs. Arme toi contre tous tes subordonnés. Le peuple donne son attention à celui qui le terrorise. Ne t’approche pas seul de lui. »

La peur et la haine n’ont pas caractérisé que les classes dirigeantes égyptiennes…

Le massacre des protestants ou la grande peur de la noblesse et de la royauté face à la montée bourgeoise protestante

La Saint-Barthélemy et la peur de la révolution bourgeoise

Nuit du 4 août 1789 de la révolution française

L’abolition des privilèges est la conséquence inopinée de la prise de la Bastille. Dans les semaines qui suivent celle-ci, les paysans s’émeuvent. Ils craignent une réaction nobiliaire comme il s’en est déjà produit dans les décennies antérieures, avec la réactivation de vieux droits féodaux tombés en désuétude. Une Grande Peur se répand dans les campagnes. En de nombreux endroits, les paysans s’arment sur la foi de rumeurs qui font état d’attaques de brigands ou de gens d’armes à la solde des « aristocrates ». Le tocsin sonne aux églises des villages, propageant la panique.

Chauffés à blanc, les paysans en viennent à se jeter sur les châteaux des seigneurs honnis... tout en proclamant leur fidélité à la personne du roi. Ils brûlent les archives, en particulier les « terriers » qui fixent les droits et les propriétés seigneuriales. Parfois ils maltraitent, violent et tuent les « hobereaux » et leur famille.

Ces soulèvements inquiètent les privilégiés, au premier rang desquels les députés qui siègent à Versailles. À la différence des bourgeois, qui en appellent à la répression, les nobles, plus au courant de la situation, préfèrent l’apaisement. « Le peuple cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles pèse sur sa tête, s’exclame à l’Assemblée le duc d’Aiguillon, l’insurrection trouve son excuse dans les vexations dont il est la victime ».

Suite à la grande peur des classes possédantes, celles-ci choisissent de reculer momentanément en abandonnant elles-mêmes leurs privilèges dans la nuit du quatre août 1789

Voir ici le soulèvement révolutionnaire des campagnes qui a causé la grande peur de la noblesse

Et ses suites dans la nuit du quatre août

Ce n’est que tactique : le Manifeste de Brunswick par lequel elles menacent de rôtir à petit feu tous ceux qui ont profité de leurs propriétés montre la violence de leur haine

La Commune de 1871

La grande peur de toutes les classes privilégiées atteint son paroxysme après la Commune et gagne tout le monde civilisé. Elle va de pair avec le terrorisme de la bourgeoisie à l’encontre des ouvriers, des Communards, et des membres de l’Internationale. La répression va des fusillades et déportations à la délation, la fabrication de faux, la provocation, la diffamation et la falsification des principes et des buts de la Commune et du socialisme. Le spectre du communisme hante toute l’Europe voire l’Amérique, et l’attitude courageuse de l’Internationale sous la direction de Marx et d’Engels atteint un résultat que l’on pouvait difficilement espérer après l’écrasement de la Commune et le déchaînement de la réaction : faire de l’Internationale une véritable puissance en Europe.

La haine de la bourgeoisie contre la Commune de Paris

La révolution russe

Le général tsariste Dénikine écrit sur la révolution de février 1917 :

"Krymov était très pessimiste : « Tout cela ne donnera rien qui vaille. Peut-on faire quoi que ce soit lorsque le « sovdep » (Soviet des députés) et la soldatesque démoralisée de Pétrograd ne laissent pas faire un seul pas au gouvernement ? Je leur ai proposé de nettoyer Pétrograd en deux jours, avec une division — non sans effusion de sang, bien entendu… Va te faire fiche ! Goutchkov n’y consent pas, Lvov lève les bras au ciel : « Comment voulez-vous ! Cela amènerait de tels bouleversements ! » Ce sera tant pis. Dans quelques jours je pars rejoindre mon corps : inutile de perdre contact avec les troupes, tout mon espoir est en elles ; jusqu’à présent mon corps est dans un ordre parfait ; peut-être réussirai-je à maintenir cet état d’esprit ».

Je n’avais pas vu Pétrograd depuis quatre ans. À présent, la capitale me faisait une impression étrange et pénible… à commencer par l’hôtel Astoria, où je descendis, absolument saccagé, avec, dans le vestibule, une escouade de matelots grossiers et turbulents ; les rues tout aussi bruyantes, mais sales, remplies des nouveaux maîtres de l’heure, en capotes kaki, qui, loin des souffrances du front, « approfondissaient » et sauvaient la révolution. De qui la sauvaient-ils ? J’avais entendu parler par les journaux de l’enthousiasme qui, prétendument, régnait à Pétrograd, mais je n’en trouvai rien. Nulle part. Les ministres et les dirigeants, pâles, les mouvements las, éreintés par des nuits sans sommeil, par des discours interminables dans les séances, dans les conseils, dans les comités, par des allocutions sans nombre adressées à des délégations, à des représentants, à la foule… Une ardeur factice, une phraséologie encourageante, appelée à relever le moral et dont les orateurs eux-mêmes commençaient à avoir assez, et… une angoisse, une angoisse poignante au fond du cœur. Aucun travail pratique : les ministres n’avaient, en fait, ni le temps, ni le moyen de se recueillir, si peu que se soit, ni de s’occuper des affaires courantes de leurs administrations ; et la machine bureaucratique, remontée une fois pour toutes, continuait, geignant et clochant, à faire marcher tant bien que mal ses vieux rouages actionnés par un nouveau volant… Les officiers subalternes, quelque peu déroutés et oppressés, se sentaient comme des parents pauvres de la révolution et ne savaient trouver le ton qui convenait vis-à-vis de leurs hommes. Quant aux milieux supérieurs, surtout ceux des États-majors, on voyait déjà apparaître le type nouveau de l’opportuniste, tant soit peu démagogue, qui savait toucher les cordes sensibles du Soviet et de la nouvelle classe dirigeante — les ouvriers et les soldats, — et qui cherchait, en flattant les instincts de la foule, à se rapprocher d’elle, à lui devenir indispensable, profitant du temps trouble de la révolution pour se préparer des possibilités illimitées de carrière militaire et sociale. »

Ce sont ces généraux tsaristes qui proposaient en février de tirer dans le tas que vont finalement soutenir les sociaux-démocrates non bolcheviks et les socialistes révolutionnaires, y compris ceux de gauche.

Révolution allemande 1918-1919

Sur la révolution allemande

C’est la haine des sociaux-démocrates à l’égard de la révolution, parmi toutes les réactions au sein de la bourgeoisie allemande, qui est la plus marquante. Citons seulement Ebert et Noske qui ont organisé avec l’Etat-Major et les corps francs fascistes l’assassinat de la révolution des soviets allemands.

Au moment des événements de Kiel, Ebert, un des dirigeants du SPD qui conseillait à l’empereur d’Allemagne d’abdiquer pour éviter que le prolétariat ne prenne le pouvoir, fit cette réflexion significative :

« Si l’empereur n’abdique pas, la révolution socialiste est inévitable. Moi, je ne veux pas de cette révolution : je la hais comme je hais le péché. »

Confronté aux Mutineries de Kiel, le dirigeant social-démocrate Gustav Noske gagne d’abord la confiance des Conseils ouvriers et préserve comme il le peut les institutions militaires ; puis, nommé gouverneur de Kiel par le nouveau gouvernement en 1919, il réprime durement l’insurrection et s’impose comme l’un des appuis les plus solides du nouveau régime. Il est nommé ensuite ministre de la Guerre (Reichswehr, l’armée de la République de Weimar) dans le gouvernement du chancelier Scheidemann et réprime l’insurrection spartakiste de Berlin (la « Semaine sanglante » de Berlin, du 6 au 15 janvier 1919), recrutant aussi des éléments des Corps francs. Au cours de cette semaine, les deux meneurs du parti communiste, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, anciens dirigeants de l’aile gauche du SPD, sont assassinés par les corps francs dépendants de Waldemar Pabst, sur ordre de Noske. Il déclare alors :

[« Il faut que quelqu’un fasse le chien sanguinaire : je n’ai pas peur des responsabilités ».

La menace des Juifs d’Europe de l’Est après la première guerre mondiale

Les bourgeoisies du monde craignaient le rôle révolutionnaire des Juifs d’Europe de l’Est

Le stalinisme ou la peur du prolétariat

Le fascisme ou l’écrasement du prolétariat

Le fascisme italien, par peur du prolétariat

Pourquoi le fascisme ?

Au Rwanda aussi, la peur du prolétariat

Yalta, ou la haine commune du stalinisme et du capitalisme

Quand stalinisme et impérialisme avaient peur de la vague révolutionnaire

Et aujourd’hui ?

L’effondrement économique de 2007 a seulement été momentanément enrayé et il a déjà produit l’effondrement des chaînons les plus faibles de la chaine des Etats bourgeois avec les révolutions du Maghreb, du monde arabe et d’Afrique. Mais les bourgeoisies mondiales ont très bien senti dans quel sens souffle le vent et elles se préparent à lancer le monde dans la violence : tout mais pas la révolution sociale !

La suite :

La grande peur des classes dirigeantes à l’égard de la révolution dont les menacent les opprimés

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