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Marx envisageait-il dans "Le Capital" l’hypothèse d’une surproduction de capital ?

vendredi 24 octobre 2014, par Robert Paris

Le Capital, tome III, chapitre XV :

Le conflit entre l’extension de la production et la mise en valeur

Le développement de la productivité sociale du travail se manifeste de deux manières : d’une part les forces productives (valeur et masse des éléments de la production et grandeur absolue du capital accumulé) deviennent plus considérables, d’autre part le salaire diminue d’importance par rapport au capital total, c’est-à-dire la quantité de travail vivant nécessaire pour reproduire et mettre en valeur un capital déterminé devient de plus en plus petite. Ces conséquences impliquent en même temps la concentration du capital.

En ce qui concerne spécialement la force de travail, l’action de l’extension de la production s’affirme également sous un double aspect : elle pousse à l’accroissement du surtravail, c’est-à-dire à la diminution du temps indispensable à la reproduction de:la force de travail ; elle restreint le nombre d’ouvriers nécessaires pour mettre cri mouvement un capital déterminé. Non seulement ces deux effets se font sentir simultanément, mais l’un détermine l’autre : ce sont les manifestations d’une même loi, ce qui n’empêche qu’ils agissent en sens inverse sur le taux du profit. En effet, celui-ci est exprimé par pl / C = plus-value / capital total, expression dans laquelle le numérateur dépend du taux de la plus-value et de la quantité de travail mise en œuvre, c’est-à-dire de l’importance du capital variable. Or, l’un de ces facteurs, le taux de la plus-value, augmente tandis que l’autre, le nombre d’ouvriers, diminue (en valeur absolue ou en valeur relative), car d’une part le développement de la productivité diminue la partie payée du travail mis eu œuvre, et d’autre part elle restreint la quantité de travail qui est appliquée par un capital déterminé. Même s’ils pouvaient vivre d’air et par conséquent s’ils ne devaient rien produire pour eux-mêmes, deux ouvriers en travaillant 12 heures par jour ne fourniraient pas autant de plus-value que vingt-quatre ouvriers dont le travail quotidien ne serait que de 2 heures. Il existe une limite infranchissable, au-delà de laquelle il est impossible de poursuivre la réduction du nombre de travailleurs en augmentant le degré d’exploitation du travail ; la baisse du taux du profit peut être contrariée, mais non supprimée.

Le développement de la production capitaliste provoque donc la baisse du taux du profit, mais comme il a pour effet la mise en œuvre de capitaux de plus en plus considérables, il augmente la masse de profit ; quant à l’accroissement du capital, il dépend à la fois de sa masse et du taux du profit. Directement l’accroissement de la productivité (qui ne va pas sans une dépréciation du capital constant) ne peut augmenter la valeur du capital que si, par la hausse du taux du profit, elle donne plus de valeur à la partie du produit annuel qui est reconvertie en capital ; ce qui, en considérant la puissance de production du travail (qui n’a directement rien à faire avec la valeur du capital existant) ne peut arriver que pour autant qu’il y ait augmentation de la plus-value relative ou diminution de la valeur du capital constant, c’est-à-dire dépréciation des marchandises nécessaires à la reproduction de la force du travail ou du capital constant. Dans les deux cas, il y a diminution de valeur du capital existant et réduction du capital variable par rapport au capital constant, résultats qui ont pour conséquence, d’une part de faire tomber le taux du profit, d’autre part d’en ralentir la chute. En outre, toute hausse du taux du profit, par le fait qu’elle augmente la demande de bras, pousse au développement de la population ouvrière, c’est-à-dire de la matière exploitable sans laquelle le capital n’est pas capital.

Indirectement le progrès de la productivité du travail pousse à l’augmentation de la valeur du capital existant, car il multiplie la masse et la diversité des valeurs d’usage qui correspondent à une même valeur d’échange et qui fournissent la matière du capital, c’est-à-dire les objets qui constituent directement le capital constant et indirectement le capital variable. Un même capital mis en œuvre par une même quantité de travail crée, sans que leur valeur d’échange augmente, plus d’objets convertibles en capital et augmente ainsi la masse des produits capables de s’incorporer du travail, de fournir de la plus-value et d’être le point de départ d’une extension du capital. La masse de travail que le capital peut mettre en œuvre dépend, non de sa valeur, mais de la quantité de matières premières et auxiliaires, de machines et d’aliments qu’il représente. Si cette quantité s’accroît, et si en même temps augmente la masse de travail et de surtravail qui lui est appliquée, il y a extension de la valeur du capital reproduit et du capital nouveau qui y est ajouté.

Il importe de ne pas considérer, comme le fait Ricardo, les deux facteurs de l’accumulation, l’un indépendamment de l’autre ; ils impliquent une contradiction, qui se traduit par des tendances et des phénomènes opposés se manifestant simultanément. Pendant que l’augmentation du capital pousse à l’augmentation effective de la population ouvrière, d’autres facteurs interviennent pour ne créer qu’une surpopulation simplement relative. La baisse du taux du profit est concomitante d’un accroissement de la masse des capitaux et d’une dépréciation des capitaux existants, qui agissent pour l’enrayer et activer l’accumulation. Enfin le progrès de la productivité ne va pas sans un relèvement de la composition du capital, c’est-à-dire d’une diminution de la partie variable relativement à la partie constante.

L’action de ces influences contradictoires se manifeste tantôt dans l’espace, tantôt dans le temps et s’affirme périodiquement par des crises, qui sont des irruptions violentes après lesquelles l’équilibre se rétablit momentanément. En ternies généraux elle peut être exposée comme suit : la production capitaliste est caractérisée par sa tendance au développement absolu des forces productives, sans préoccupation ni de la valeur, ni de la plus-value, ni des conditions sociales au milieu desquelles elle fonctionne, bien qu’elle ait pour but et pour caractère spécifique la conservation et l’accroissement le plus rapide possible de la valeur-capital qui existe. Sa méthode comprend : la baisse du taux du profit, la dépréciation du capital existant et le développement des forces productives du travail aux dépens de celles qui fonctionnent déjà.

La dépréciation périodique du capital existant, qui est un moyen immanent de la production capitaliste pour retarder la baisse du taux du profit et accélérer l’accumulation grâce à la formation de capital nouveau, trouble les procès de circulation et de reproduction, et détermine des arrêts subits et des crises de la production. Le recul du capital variable relativement au capital constant, qui accompagne le développement des forces productives, stimule l’accroissement de la population ouvrière et la formation d’une surpopulation artificielle. Quant à la baisse du taux du profit, elle ralentit l’accumulation du capital en tant que valeur pendant qu’elle multiplie les valeurs d’usage, effet dont le contre-coup se manifeste bientôt par une reprise de l’accumulation de valeur-capital. Sans cesse la production capitaliste s’efforce de vaincre ces entraves qui lui sont inhérentes et elle ne parvient à les surmonter que par des moyens qui les font réapparaître et les renforcent.

C’est le capital lui-même qui fixe une borne à la production capitaliste, parce qu’il est le point de départ et le point d’arrivée, la raison et le but de la production et qu’il veut qu’on produise exclusivement pour lui, alors que les moyens de production devraient servir à une extension continue de la vie sociale. Cette borne, qui limite le champ dans lequel la valeur-capital peut être conservée et mise en valeur par l’expropriation et l’appauvrissement de la masse des producteurs, se dresse continuellement contre les méthodes auxquelles le capital a recours pour augmenter la production et développer ses forces productives. Si historiquement la production capitaliste est un moyen pour développer la force productive matérielle et créer un marché mondial, elle est néanmoins en conflit continuel avec les conditions sociales et productives que cette mission historique comporte.

Pléthore de capital et surpopulation

A mesure que diminue le taux du profit, augmente le minimum de capital nécessaire pour la mise en œuvre productive du travail, pour l’exploitation de celui-ci dans des conditions telles que le temps qu’il exige pour produire la marchandise ne dépasse pas celui qui est socialement nécessaire. En même temps s’accentue la concentration, l’accumulation se réalisant plus rapidement, du moins dans une certaine limite, par de grands capitaux opérant à un petit taux de profit que par de petits capitaux fonctionnant à un taux élevé, et cette extension de la concentration provoque, à son tour, dès qu’elle a atteint une certaine importance, une nouvelle baisse du taux du profit. Les petits capitaux sont ainsi entraînés dans la voie des aventures, de la spéculation, des expédients du crédit, des trucs financiers et finalement des crises. Quand on dit qu’il y a pléthore de capitaux, l’expression ne s’applique qu’aux capitaux qui sont incapables d’équilibrer par leur masse la baisse du taux du profit - ce sont toujours des capitaux nouvellement formés - ou que leurs possesseurs, inaptes à les faire valoir eux-mêmes, mettent par le crédit à la disposition des grandes entreprises. Cette pléthore naît des mêmes circonstances que la surpopulation relative et figure parmi les phénomènes qui accompagnent cette dernière, bien que ces surabondances de capital inutilisable et de population ouvrière inoccupée se manifestent aux pôles opposés du procès de production.

La surproduction de capital, qu’il ne faut pas confondre avec la surproduction de marchandise - bien que celle-là n’aille jamais sans celle-ci - revient donc simplement à une suraccumulation, et pour se rendre compte de ce qu’elle est (plus loin nous l’examinerons de plus près) il suffit de la supposer absolue et de se demander dans quelles circonstances la surproduction de capital peut se manifester dans toutes les branches de l’activité humaine.

Il y aurait surproduction absolue si la production capitaliste, qui a pour but la mise en valeur du capital, c’est-à-dire l’appropriation du surtravail, la production de la plus-value et la récolte du profit, cessait d’exiger du capital supplémentaire. Il y aurait donc surproduction si le capital avait pris, relativement à la population ouvrière, une importance telle qu’il y aurait impossibilité d’augmenter le temps absolu de travail ou la partie de la journée représentant le surtravail (cette dernière éventualité n’est pas à envisager puisque la demande de travail serait très forte et qu’il y aurait tendance à une hausse des salaires) ; ce qui aboutirait à cette situation que le capital accru de C à C + DC ne produirait pas plus ou produirait même moins de profit que le capital primitif C. Dans les deux cas, il y aurait une baisse considérable et subite du taux général du profit, due à la modification de la composition du capital et résultant non du développement de la productivité, mais de l’accroissement de la valeur monétaire du capital variable (les salaires ayant haussé) et de la diminution du surtravail par rapport au travail nécessaire.

En pratique, les choses se passeraient de telle sorte qu’une partie du capital resterait entièrement on partiellement inoccupée et que sous la pression de celle-ci l’autre partie serait mise en valeur à un taux de profit réduit. Peu importe qu’une partie du capital supplémentaire vienne ou non se substituer à une partie égale du capital en fonction ; on aurait toujours d’un côté un capital donné en activité et de l’autre un capital donné, supplémentaire. La baisse du taux du profit serait accompagnée d’une diminution de la masse du profit, car selon notre hypothèse la force de travail employée ainsi que le taux et la masse de la plus-value ne peuvent pas augmenter, et cette masse réduite du profit devrait être rapportée à un capital total agrandi. Même si le capital en fonction continuait à rapporter du profit à l’ancien taux et si par conséquent la masse de profit restait invariable, il faudrait rapporter cette dernière à un capital total agrandi, ce qui impliquerait la baisse du taux du profit. Lorsqu’un capital de 1000 rapportant 100 de profit est porté à 1500 rapportant également 100, le taux du profit tombe de 100 à 66 ⅔ par 1000, ce qui revient à dire qu’un capital de 1000, dans les nouvelles circonstances, ne donne pas plus de profit qu’un capital de 666 ⅔ engagé dans les conditions primitives.

Il est clair que cette dépréciation effective du capital ancien de même que cette entrée en fonction du capital supplémentaire DC ne se feraient pas sans lutte, bien que ce ne soit pas celle-ci qui donne lieu à la baisse du taux du profit et que ce soient au contraire la baisse du taux du profit et la surproduction de capital qui provoquent la concurrence.

La partie de DC se trouvant entre les mains des anciens capitalistes serait laissée inoccupée par ceux-ci, afin d’éviter la dépréciation de leur capital original et son éloignement de la production. Peut-être aussi l’appliqueraient-ils même avec une perte momentanée, afin de contraindre leurs concurrents et les nouveaux capitalistes à laisser leurs capitaux inoccupés. Quant aux nouveaux capitalistes détenant l’autre partie de DC, ils chercheraient à prendre place aux dépens des anciens, en s’efforçant de substituer leur capital à une partie de celui de ceux-ci.

Dans tous les cas, il y aurait immobilisation d’une partie du capital ancien, qui ne pourrait plus fonctionner comme capital et s’engrosser de plus-value. L’importance de cette partie résulterait de l’énergie de la concurrence. Nous avons vu, en étudiant le taux général du profit, que tant que les affaires marchent bien, la concurrence fait les parts d’une manière fraternelle, en les proportionnant aux sommes risquées. Mais lorsqu’il s’agit de se partager non plus des bénéfices mais des pertes, chacun cherche à ramener sa part au minimum et à grossir le plus possible celle des autres. La force et la ruse entrent en jeu et la concurrence devient une lutte entre des frères ennemis. L’antagonisme entre les intérêts de chaque capitaliste et de la classe capitaliste s’affirme alors de même que précédemment la concordance de ces intérêts était pratiquement réalisée par la concurrence.

Comment ce conflit s’apaisera-t-il et comment les conditions favorables au mouvement « sain » de la production capitaliste se rétabliront- elles ? Une partie du capital - de l’importance de tout on d’une partie de DC - sera immobilisée ou même détruite jusqu’à un certain point. La répartition des pertes ne se fera pas d’une manière égale entre tous les capitalistes, mais résultera d’une lutte dans laquelle chacun fera valoir ses avantages particuliers et sa situation acquise, de sorte que d’un côté il y aura un capital immobilisé, de l’autre un capital détruit, d’un autre côté encore un capital déprécié. Pour rétablir l’équilibre, il faudra condamner à l’immobilisation ou même à la destruction une quantité plus ou moins grande de capital. Des moyens de production, du capital fixe comme du capital circulant cesseront de fonctionner et des exploitations à peine créées seront supprimées ; car bien que le temps déprécie tous les moyens de production (excepté le sol), une interruption de fonctionnement les ruine davantage.

L’effet de la crise revêtira cependant son caractère le plus aigu pour les capitaux-valeurs. La partie de ceux-ci qui représente simplement des titres à une plus-value éventuelle, sera dépréciée dès que la baisse du revenu qui lui sert de base sera connue. Une partie de la monnaie d’or et d’argent sera inoccupée et ne fonctionnera plus comme capital. Des marchandises sur le marché subiront une dépréciation considérable - d’où une dépréciation du capital - pour terminer leur circulation et leur reproduction ; il en sera de même du capital fixe, et comme la reproduction ne peut se faire qu’à des conditions de prix déterminées, elle sera complètement désorganisée et jusqu’à un certain point paralysée. Ce trouble retentira sur le fonctionnement de l’instrument monétaire ; la chaîne des engagements pour les paiements aux différentes échéances sera brisée en mille endroits et le crédit sera ébranlé. Il y aura des crises violentes, des chutes de prix inattendues et une diminution effective de la reproduction.

D’autres facteurs entreront en même temps en jeu. Le ralentissement de la production condamnera au chômage une partie de la population ouvrière et contraindra les ouvriers occupés à accepter une réduction de salaire même au-dessous de la moyenne. (Ce qui, pour le capital, aura le même résultat qu’une augmentation de la plus-value absolue ou relative, sans augmentation de salaire.) Ce résultat se manifestera avec d’autant plus d’intensité que la période de prospérité avait augmenté la matrimonialité et diminué la mortalité. (Ce qui, sans accroître la population effectivement occupée - bien que cette augmentation puisse avoir lieu - aurait le même effet, au point de vue des relations entre travailleurs et capitalistes, qu’une extension du nombre d’ouvriers mis a l’œuvre). D’autre part, la baisse des prix agissant en même temps que la concurrence poussera chaque capitaliste à appliquer de nouvelles machines, des méthodes perfectionnées et des combinaisons plus efficaces pour réaliser une production supérieure à la production moyenne, c’est-à-dire augmenter la productivité du travail, réduire le capital variable relativement au capital constant, en un mot déterminer en supprimant des ouvriers une surpopulation artificielle. Mais bientôt la dépréciation des éléments du capital constant interviendra pour provoquer une hausse du taux du profit, car, à la faveur de sa diminution de valeur, la masse de ce capital ne tardera pas à s’accroître par rapport au capital variable. Le ralentissement de la production aura préparé son épanouissement ultérieur (toujours dans le cadre capitaliste) et le capital, un certain temps déprécié par l’arrêt de son fonctionnement, reprendra son ancienne valeur. Le même cercle vicieux recommencera donc, mais avec des moyens de production plus considérables, un marché plus étendu, une force de production plus importante.

Même dans l’hypothèse poussée à l’extrême que nous venons d’examiner, la surproduction absolue de capital n’est pas une surproduction absolue de moyens de production. Elle n’est qu’une surproduction des moyens de production fonctionnant comme capital, devant produire une valeur supplémentaire proportionnelle à leur augmentation en quantité. Et cependant elle est une surproduction, parce que le capital est devenu incapable d’exploiter le travail au degré qu’exige le développement « sain » et « normal » de la production capitaliste, qui veut tout au moins que la masse de profit augmente proportionnellement à la masse de capital et n’admet pas que le taux du profit baisse dans la même mesure ou plus rapidement qu’augmente le capital.

La surproduction de capital n’est jamais qu’une surproduction de moyens de travail et d’existence pouvant être appliqués, à l’exploitation des travailleurs à un degré déterminé, le recul de l’exploitation au-dessous d’un niveau donné devant provoquer des troubles, des arrêts de production, des crises et des pertes de capital. Il n’y a rien de contradictoire à ce que cette surproduction de capital soit accompagnée d’une surpopulation relative plus ou moins considérable. Car, les circonstances qui accroissent la productivité du travail, augmentent les produits, étendent les débouchés, accélèrent l’accumulation comme masse et comme valeur et font tomber le taux du profit, sont aussi celles qui provoquent continuellement une surpopulation relative d’ouvriers, que le capital en excès ne peut pas occuper parce que le degré d’exploitation du travail auquel il serait possible de les employer n’est pas assez élevé ou que le taux du profit qu’ils rapporteraient pour une exploitation déterminée est trop bas.

Lorsqu’on envoie du capital à l’étranger, on le fait, non parce qu’il est absolument impossible de l’employer dans le pays, mais parce qu’on peut en obtenir un taux de profit plus élevé. Ce capital est alors réellement superflu eu égard à la population ouvrière occupée et au pays ; il existe par conséquent à côté d’une population relativement en excès et fournit un exemple de la coexistence et de l’action réci­proque des deux phénomènes de la surabondance de ca­pital et de la surabondance de population.

La baisse du taux du profit provoquée par l’accumulation engendre nécessairement la concurrence. Eu effet, si cette baisse est compensée par l’accroissement de la masse du profit pour l’ensemble du capital social et pour les grands capitalistes complètement installés, il n’en est pas de même pour les capitaux nouveau-venus dans la production et qui doivent y conquérir leur place ; pour ceux-ci la lutte s’impose, et c’est ainsi que la baisse du taux du profit appelle la concurrence entre les capitaux et non cette concurrence, la chute du taux du profit. Cette lutte est accompagnée d’une hausse passagère des salaires entraînant une baisse passagère du taux du profit et elle se manifeste par la surproduction de marchandises et l’encombrement du marché. Le capital poursuit, en effet, non la satisfaction des besoins, mais l’obtention d’un profit, et sa méthode consiste à régler la masse des produits d’après l’échelle de la production et non celle-ci d’après les produits qui devraient être obtenus ; il y a donc conflit perpétuel entre la consommation comprimée et la production tendant à franchir la limite assignée à cette dernière, et comme le capital consiste en marchandises, sa surproduction se ramène à une surproduction de marchandises. Un phénomène bizarre c’est que les mêmes économistes qui nient la possibilité d’une surproduction de marchandises admettent que le capital puisse exister en excès. Cependant quand ils disent qu’il n’y a pas de surproduction universelle, mais simplement une disproportion entre les diverses branches de production, ils affirment qu’en régime capitaliste la proportionnalité des diverses branches de production résulte continuellement de leur disproportion ; car pour eux la cohésion de la production tout entière s’impose aux producteurs comme une loi aveugle, qu’ils ne peuvent vouloir, ni contrôler. Ce raisonnement implique, en outre, que les pays où le régime capitaliste n’est pas développé consomment et produisent dans la même mesure que les nations capitalistes. Dire que la surproduction est seulement relative est parfaitement exact. Mais tout le système capitaliste de production n’est qu’un système relatif, dont les limites ne sont absolues que pour autant que l’on considère le système en lui-même. Comment est-il possible que parfois des objets manquant incontestablement à la masse du peuple ne fassent l’objet d’aucune demande du marché, et comment se fait-il qu’il faille en même temps chercher des commandes au loin, s’adresser aux marchés étrangers pour pouvoir payer aux ouvriers du pays la moyenne des moyens d’existence indispensables ? Uniquement parce qu’en régime capitaliste le produit en excès revêt une forme telle que celui qui le possède ne peut le mettre à la disposition du consommateur que lorsqu’il se reconvertit pour lui en capital. Enfin, lorsque l’on dit que les capitalistes n’ont qu’à échanger entre eux et consommer eux-mêmes leurs marchandises, on perd de vue le caractère essentiel de la production capitaliste, dont le but est la mise en valeur du capital et non la consommation. En résumé toutes les objections que l’on oppose aux phénomènes si tangibles cependant de la surproduction (phénomènes qui se déroulent malgré ces objections), reviennent à dire que les limites que l’on attribue à la production capitaliste n’étant pas des limites inhérentes à la production en général, ne sont pas non plus des limites de cette production spécifique que l’on appelle capitaliste. En raisonnant ainsi on oublie que la contradiction qui caractérise le mode capitaliste de production, réside surtout dans sa tendance à développer d’une manière absolue les forces productives, sans se préoccuper des conditions de production au milieu desquelles se meut et peut se mouvoir le capital.

On ne produit pas trop de moyens de subsistance eu égard à la population ; on en produit au contraire trop peu pour la nourrir convenablement et humainement. De même on ne fabrique pas trop de moyens de production, étant donnée la partie de la population qui est capable de travailler. Une trop grande partie des hommes est amenée par les circonstances à exploiter le travail d’autrui ou à exécuter des travaux qui ne sont considérés comme tels que dans un système absolument misérable de production. En outre, les moyens de produire que l’on fabrique sont insuffisants pour que toute la population valide puisse être occupée dans les circonstances les plus fécondes au point de vue de la production et par conséquent les plus favorables à la réduction de la durée du travail.

Mais périodiquement on produit trop de moyens de travail et de subsistance pour que leur emploi à l’exploitation du travailleur puisse donner le taux de profit que l’on veut obtenir. On produit trop de marchandises pour que la valeur et la plus-value qu’elles contiennent puissent être réalisées et reconstituées en capital, dans les conditions de répartition et de consommation inhérentes à la production’ capitaliste, ou du moins parcourir ce cycle sans catastrophes continuelles. On peut donc dire que si la production de richesses n’est pas trop abondante, on produit périodiquement trop de richesses ayant la forme capitaliste avec les contradictions qui en sont inséparables.

Les faits suivants assignent une limite à la production capitaliste :

En entraînant la baisse continue du taux du profit, le progrès de la productivité du travail donne le jour à une force antagoniste, qui à un moment donné agit à l’encontre du développement de la productivité et ne peut être vaincue que par des crises sans nombre ;
L’importance de la production, qu’elle doive être accrue ou restreinte, est déterminée, non par les besoins sociaux, mais par l’appropriation par le capitaliste du travail qu’il ne paye pas et le rapport de ce travail au travail matérialisé, en d*autres termes, par le profit et le rapport du profit au capital engagé ; d’où il résulte que la production s’arrête, non lorsque les besoins sont satisfaits, mais lorsque l’impossibilité de réaliser un profit suffisant commande cet arrêt.

Lorsque le taux du profit baisse, l’activité du capital redouble ; chaque capitaliste s’efforce, en faisant appel à des procédés perfectionnés, à ramener la valeur de sa marchandise au-dessous de la valeur moyenne et à réaliser un profit exceptionnel. Le même phénomène provoque en même temps la fraude, en encourageant l’application incertaine de nouvelles méthodes de production, les engagements hasardés de nouveaux capitaux, en un mot les aventures qui offrent la chance de recueillir un profit exceptionnel.

Le taux du profit et le développement du capital qui y correspond sont importants surtout pour les nouveaux capitaux, qui constituent des entreprises nouvelles et indépendantes. Le feu vivifiant de la production s’étendrait bien vite si cette dernière devenait le monopole de quelques grands capitaux, pour lesquels toute variation du taux du profit serait contrebalancée par la masse de celui-ci. Le taux du profit est le stimulant du régime capitaliste, qui ne produit que lorsqu’il y a un bénéfice à recueillir. On comprend dès lors l’anxiété des économistes anglais en présence de la baisse du taux du profit. L’inquiétude de Ricardo devant la seule possibilité de cette baisse démontre, mieux que toute autre considération, combien est profonde sa compréhension des conditions de la production capitaliste ; ce qu’il y a de plus remarquable en lui et ce qui est précisément ce qu’on lui reproche, c’est que dans son étude de la production capitaliste, il n’attache aucune importance aux « hommes » pour s’en tenir exclusivement au développement des forces productives, quels que soient les sacrifices en hommes et en capitaux qu’il faille lui faire. Le développement des forces productives du travail social, voilà la mission historique et la raison d*être du capital, c’est par là qu’inconsciemment il crée les conditions matérielles d’une forme plus élevée de production. Ce qui inquiète Ricardo, c’est que le taux du profit, stimulant de la production et de l’accumulation capitaliste, soit menacé par le développement même de la production et, en effet, le rapport quantitatif est tout ici. Mais la base du système présente un aspect plus profond, dont il se doute à peine. Même au point de vue purement économique et vulgairement bourgeois, limité par l’horizon de la conception de ceux qui exploitent le capital, le régime capitaliste apparaît comme une forme, non pas absolue et définitive, mais relative et transitoire de la production.

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