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Ceux qui, en Allemagne, combattaient la boucherie guerrière de 1914-1918

lundi 10 novembre 2014, par Robert Paris

Le 11 novembre, la fête de la barbarie guerrière

Ceux qui, en Allemagne, combattaient la boucherie guerrière de 1914-1918

L’écrivain allemand Klaus Mann écrit dans « Le tournant » :

« Ce fut seulement beaucoup plus tard, longtemps après la fin de la guerre, que je lus pour la première fois le produit singulier de ces années difficiles, les « Considérations d’un apolitique » (œuvre de son père, Thomas Mann) Peut-être ne peut-on comprendre ce livre – aussi bien ses erreurs stupéfiantes que sa beauté complexe – que si l’on connaît les circonstances dans lesquelles il a été écrit. La cruelle tension de cette époque, la solitude et la mélancolie farouche de l’auteur, son manque total d’entraînement en matière de politique, et même la nourriture insuffisante et la température glaciale de son studio pendant les mois d’hiver, tout ceci rassemblé concourut à créer cette bizarre atmosphère, ce mélange troublant d’agressivité et de tristesse, de polémique et de musique, qui caractérise les « Considérations ». C’est un document extrêmement singulier, unique même, que ce long et douloureux monologue du poète brisé par la guerre : au point de vue littéraire, un chef d’œuvre, un éblouissant tour de force ; au point de vue politique, une catastrophe. L’analyste ironique des émotions complexes se risquait ici pour la première fois hors de sa propre sphère, dans le périlleux domaine des problèmes politiques et sociaux. Son intérêt nouveau pour la politique se manifesta tout d’abord, paradoxalement, par une protestation irritée, amère, contre la politique. L’élève de Goethe, de Schopenhauer et de Nietzsche considérait que son tout premier devoir était de défendre la grandeur tragique de la culture germanique contre l’attitude du militantisme humanitaire de la civilisation occidentale. Il confondait la brutale arrogance de l’impérialisme prussien avec les pures manifestations du génie allemand, depuis Dürer et Bach jusqu’aux Romantiques et à « Zarathoustra ». L’extase mortelle de « Tristan », l’innocence étourdie de « Bon à rien » d’Eichendorff, la mélancolie sévère du « Palestrina » d’Hans Pfitzner, tout cela lui servait d’arguments en faveur de l’expansion pangermanique et de la guerre sous-marine à outrance. Cependant, ces raisonnements spécieux n’ont pas la moindre force de persuasion ; l’auteur semble les présenter d’une façon étrangement hésitante, avec une mauvaise conscience, en quelque sorte comme s’il n’était, au fond, que trop persuadé du caractère douteux de ses propres positions…

L’ennemi contre lequel on fait donner l’artillerie lourde des « Considérations » est un personnage mystérieux – « le Chantre de la Civilisation ». Son nom n’est pas cité mais cet anonymat n’est qu’apparent. Car les longs passages extraits des écrits de l’adversaire proviennent mot pour mot d’un essai de Heinrich Mann (le frère de Thomas Mann). Son étude biographique sur Emile Zola avait paru pendant la première année de la guerre. Alors que les vagues de chauvinisme atteignaient leur point culminant, tandis que la nation tout entière s’enthousiasmait pour les exploits héroïques de notre invincible armée, Heinrich Mann osait dresser un monument littéraire à l’esprit invincible du combattant et du poète français. Ceux qui, dans ce panégyrique, se retrouvent en fâcheuse posture, ce sont ces intellectuels français qui frappèrent traîtreusement dans le dos la cause du capitaine Dreyfus, c’est-à-dire la cause de la vérité et de la justice. Ceux-là, leur compte leur est réglé sans pitié. Mais les fougueuses invectives de Heinrich Mann ne s’adressaient-elles vraiment qu’aux militaristes et obscurantistes français du XIXème siècle finissant ?... L’œuvre de son frère, cette évocation de Zola, riche d’allusions et de rapprochements, l’atteignit et le blessa comme une attaque personnelle.

Depuis le début de la guerre, les rapports des deux frères s’étaient considérablement détériorés. Heinrich était pacifiste ; la guerre était pour lui une infâme aventure, destinée à précipiter le peuple allemand dans le malheur le plus extrême. Il essaya de rester « au-dessus de la mêlée », comme quelques uns de ses confrères français, Romain Rolland à leur tête….

Heinrich Mann qui, jusque-là, n’avait joué un certain rôle que dans les milieux d’avant-garde littéraire, devenait maintenant en quelque sorte le représentant d’un mouvement politique. Lorsque, en 1914, l’intelligentsia allemande, presque sans exception, fit chorus avec les partisans enthousiastes de la guerre, il fut un des rares à rester clairvoyants et circonspects. Deux ans plus tard, ses avertissements commencèrent à être entendus dans d’autres milieux, sinon encore par la masse, déjà du moins par une élite intellectuelle qui allait s’élargissant. L’opposition pacifiste, d’abord décentralisée et privée de chef, se mit à se manifester avec de plus en plus de fermeté et de clarté. Un groupe d’écrivains allemands dont la plupart avaient trouvé refuge en Suisse neutre, osa non seulement condamner, en général, l’ancestrale monstruosité de la guerre de masse des temps modernes, mais encore clouer au pilori, tout particulièrement, le militarisme allemand. Le jeune poète Klabund dans la fièvre de son enthousiasme qui embrassait le monde entier et dans celle, en même temps, d’une grave infection tuberculeuse, adressa à l’empereur Guillaume un manifeste passionné, dans lequel il exigeait l’arrêt immédiat de la guerre – et d’ailleurs, aussi, l’abdication du monarque. L’écrivain satirique Carl Strenheim démasqua avec une insolence iconoclaste le mensonge de la phraséologie nationaliste. Stefan Zweig, en 1918, décida de vanter, dans un journal de Vienne, les mérites du roman qu’Henri Barbusse avait écrit contre la guerre, « Le Feu » ». L’Alsacien René Schickele, brillant styliste et vaillant champion de la cause pacifiste, se distingua en tant que fondateur et éditeur du « Pages blanches » - la meilleure revue littéraire et politique de l’époque… Le roman classique « Bas les armes », écrit contre la guerre par Berta von Suttner, n’est certainement pas un chef d’œuvre littéraire ; mais si plats et si sentimentaux que soient l’intrigue et le style, la passion authentique et puissante de cet appel venu du fond du cœur agit fortement sur mon esprit réceptif et ouvert. Ce fut en partie, et même surtout, grâce au plaidoyer éloquent de Berta von Suttner [1] que je commençai alors à comprendre quelques faits fondamentaux et à poser certaines questions élémentaires. Se pouvait-il que nos professeurs, et les journaux, et même le quartier général aient essayé de nous mener en bateau durant trois ans et demi ? Jour après jour, depuis 1914, on nous avait affirmé que la guerre était premièrement quelque chose de beau et d’exaltant, deuxièmement quelque chose de nécessaire. Mais la pacifiste autrichienne me persuada que ce massacre organisé était abominable et n’avait rien d’inéluctable. Je me rendis compte que la catastrophe aurait pu être évitée si notre empereur avait été un moins tranchant et téméraire. La responsabilité n’incombait donc pas exclusivement à nos ennemis, comme on nous l’avait si souvent assuré. Peut-être ces ennemis étaient-ils, à d’autres égards aussi, moins affreux que ne les décrivait la propagande nationaliste ? Peut-être, en réalité, n’étaient-ils pas du tout des brutes et des sous-hommes, mais seulement, tout simplement, des hommes ?

De telles pensées frisaient le blasphème. Elles mettaient en question tout ce que nous avions pris jusqu’alors pour des axiomes, tout le système des principes et des idéaux reconnus. Car s’il se trouvait que les hommes étaient partout des hommes – quel que soient le pays où ils vivaient – qui donc alors les avait excités les uns contre les autres ? Qui avait voulu la guerre et s’était enrichi grâce à elle ? Où étaient les criminels de guerre ?

1 - C’est de l’étranger, et non d’Allemagne, que va démarrer l’impulsion pacifiste allemande. Une aristocrate autrichienne, Bertha von Suttner, publie en 1889 le roman Die Waffen nieder !, dans lequel elle raconte la vie de Martha Althaus, une vie marquée par un engagement pacifiste contre les guerres qui détruisent sa propre famille en tuant son premier mari, son père ainsi que sa fratrie. Le roman remporte un franc succès, connaît pas moins de 37 éditions et un grand nombre de traductions, et devient une œuvre fondatrice. Forte de son succès, la comtesse fonde en 1891 une société pacifiste en Autriche, la Österreichische Gesellschaft der Friedensfreunde, dont elle devient la présidente. Un autre Autrichien, Alfred Hermann Fried, alors libraire à Berlin, prend connaissance de l’action de Suttner et entre en contact avec elle dès 1891. Le 1er février 1892, paraît le premier numéro d’une revue que Fried et Suttner lancent conjointement et qui porte le même titre que le roman à succès : Die Waffen nieder !, avec pour sous-titre Monattschrift zur Forderung der Friedens-Idee. Dans le premier numéro de la revue qui se veut l’organe officiel du mouvement, l’introduction est un poème de Conrad Ferdinand Meyer et la revue comporte alors entre autres une réflexion sur le projet de paix perpétuelle de Kant, des écrits de Fredrik Bajer et des comptes-rendus de congrès.

On s’achemine progressivement vers la constitution d’une association pacifiste. Le contexte est celui du projet militaire que Caprivi présente au Reichstag et dans lequel il prévoit de réduire la durée du service militaire mais en augmentant le nombre de réservistes. Avec l’appui de Bertha von Suttner, Fried tente de mobiliser les cercles libéraux, intellectuels et scientifiques afin de constituer un comité pour cette fondation. Des personnages tels que l’écrivain Gustav Freytag, l’astronome Wilhelm Foerster (dont le fils Friedrich Wilhelm Foerster est lui aussi pacifiste), des membres du Deutsche Freisinnige Partei comme Max Hirsch, ou encore les militants pacifistes déjà actifs Adolf Richter et Franz Wirth se rallient à la cause. En novembre 1892, le comité est fondé, et, le 21 décembre 1892, la Deutsche Friedensgesellschaft (DFG) est créée. Elle est la première association allemande à se réclamer officiellement du pacifisme.

Toutefois, le succès attendu n’est pas au rendez-vous. La Deutsche Friedensgesellschaft ne parvient pas à attirer les adhérents, d’autant qu’elle est déchirée par des querelles internes, les uns voulant influencer la politique du Parlement, les autres voulant développer au sein de l’opinion publique les idées de paix et d’arbitrage. De plus, les libéraux de gauche se déchirent à la suite du projet militaire de Caprivi, les uns rejettent le projet en bloc, tandis que d’autres veulent arriver à un compromis. En 1893, Alfred Fried est expulsé de la société en raison de son attitude de plus en plus critique au sein de l’association ainsi que dans la revue qu’il publie avec Wirth, la Monatliche Friedenskorrespondenz. En 1894, Otto Umfrid entre à la Deutsche Friedensgesellschaft et en devient le vice-président en 1900. Sur son initiative est fondée l’association régionale du Wurtemberg de la DFG. Le bureau principal quitte Berlin pour s’installer la même année à Stuttgart, le sud de l’Allemagne, imprégné de libéralisme et avec lequel le mouvement essayait de garder contact au moyen de la revue de Fried, étant beaucoup plus réceptif aux idées du pacifisme, contrairement à ce que l’on constate dans le nord35. L’un des seuls moyens pour garder le contact avec le sud de l’Allemagne était la revue publiée par Fried et Wirth, la Monatliche Friedenskorrespondenz. Ces dissensions ne font qu’affaiblir un pacifisme naissant, d’autant que la Deutsche Friedensgesellschaft se révèle incapable de servir d’organisation aux autres mouvements qui naissent. Jusqu’en 1900, on compte soixante-dix groupes forts au total de 5 000 membres, chiffres à relativiser cependant, la passivité des membres étant flagrante.

Le mouvement pacifiste allemand remporte une reconnaissance sur le plan international à travers le Verband für internationale Verständigung fondé en 1911 sous l’impulsion du professeur Otfried Nippold et d’Alfred Hermann Fried. Le mouvement qui se prononce contre la guerre, pour l’entente entre les pays et pour l’éducation de la jeunesse, a également pour but de rassembler le plus grand nombre de pacifistes possible en approchant ceux n’osant pas s’avouer liés à la cause. La fédération rejoint le mouvement général de la Conciliation internationale du baron d’Estournelles de Constant. Son rattachement au mouvement d’Estournelles de Constant lui permet de bénéficier de l’aide financière de la Fondation Carnegie, et donc d’obtenir une reconnaissance parmi les nations, chose que la Deutsche Friedensgesellschaft n’est pas encore parvenue à atteindre. Lors des congrès du Verband qui se tiennent à Heidelberg le 5 octobre 1912 et à Nuremberg le 6 octobre 1913, la fédération gagne en prestige avec la venue de pacifistes comme Théodore Ruyssen. Toutefois, ce succès relatif n’est que de façade, comme le souligne le député membre du Verband Conrad Haußmann lors du congrès de Nuremberg : « Nous avons la paix mais pas de tranquillité », un constat également fait par le baron d’Estournelles de Constant et qui pose aussi la question des relations franco-allemandes.
L’attitude des pacifistes allemands à la déclaration de guerre n’est, à l’image du mouvement, pas unitaire. Deux attitudes se dessinent : celle d’un soutien inconditionnel ou modéré à l’action de l’Allemagne, et celle d’un pacifisme modéré à radical rejetant la guerre et souhaitant la défaite allemande. Une grande majorité des pacifistes soutiennent la guerre, présentée par le régime comme un conflit défensif. En octobre 1914, certains pacifistes apposent leur signature au bas du Manifeste des 93, parmi lesquels Friedrich Naumann, Franz von Liszt ou Wilhelm Foerster — ce dernier retire cependant sa signature lorsqu’il prend connaissance du texte et signe l’autre manifeste contre la guerre du pacifiste Georg Friedrich Nicolai, l’Appel aux Européens, également signé par Albert Einstein et Otto Buek. De nombreux membres du Verband soutiennent eux aussi la guerre comme un devoir national et moral. À travers leur soutien à la patrie, cette branche des pacifistes peut prouver à ses détracteurs d’avant-guerre qu’ils ne sont pas moins Allemands qu’eux et ainsi affirmer leur place dans la société.

La Deutsche Friedensgesellschaft, plus modérée, adopte toutefois une attitude patriotique où la défense de l’Allemagne et de ses intérêts est primordiale, tout en ne voulant pas rompre avec ses contacts internationaux. Ludwig Quidde, alors président de la DFG, tente de défendre la politique allemande lors des rassemblements internationaux tout en refusant d’aborder certains sujets comme celui de la responsabilité allemande dans la guerre, chose qui aurait desservi la cause pacifiste en Allemagne. Certains pacifistes comme Fried reconnaissent dans les cercles privés la part de responsabilité allemande. Sur le plan international toutefois, les autres mouvements pacifistes n’en ont pas vent et restent sur l’impression donnée par le président de la DFG : celle d’une position ambiguë.

Le dernier groupe pacifiste est composé de ceux qui partent s’exiler en Suisse. Ces derniers forment deux groupes, un groupe modéré autour de Fried et l’autre plus radical autour de Richard Grelling, entre autres. Les deux groupes aspirent à une réforme démocratique de l’Allemagne, mais le second plaide expressément pour l’établissement d’une république sur le modèle français. Ce second groupe se montre plus radical, à l’image du livre de Richard Grelling intitulé J’accuse ! et dans lequel il place la responsabilité de la guerre sur les épaules de l’Allemagne, en soulignant sa politique annexionniste, tout comme le fait Hermann Fernau dans son ouvrage La vérité allemande devant l’Histoire. Après des années de stagnation, il semble bien que le premier pacifisme soit mort pour faire place à un nouveau pacifisme qui s’engage dans une réflexion politique et qui à terme pourrait faire valoir ses idéaux.

Avec la création du Bund Neues Vaterland en 1914 et celle de la Zentralstelle für Völkerrecht, le pacifisme allemand tranche avec ce qu’il était avant le début du conflit. Désormais, il côtoie la sphère politique d’une part en entretenant des contacts avec celle-ci mais aussi d’autre part en participant également au débat politique lui-même, ce qui n’est pas sans conséquence pour lui, notamment au vu des différentes mesures policières prises à son encontre.

Fondé en réaction aux opérations militaires et à la propagande de guerre le 16 novembre 1914, le Bund Neues Vaterland est l’initiative de Kurt von Tepper-Laski et de Georg von Arco, et est le principal mouvement pacifiste allemand. Le Bund prend ouvertement position contre la guerre et les possibles annexions, notamment à travers un mémoire écrit par Ludwig Quidde Sollen wir annektieren ?. Les rivalités économiques sont pour eux l’une des raisons du déclenchement du conflit et le Bund cherche alors à conclure une paix le plus rapidement possible en nouant des contacts personnels auprès des représentants des gouvernements étrangers et des organisations internationales de paix. Dans ses statuts, il se fixe pour mission « de mener la diplomatie des États européens dans l’idée d’une compétition pacifique […] et d’aboutir à une conciliation politique et économique entre les peuples cultivés ».

Loin de vouloir être une organisation de masse, l’organisation recrute des membres éminents des sphères culturelle et politique. On compte parmi ses adhérents des membres de la DFG comme Quidde, Hans Wehberg ou Walther Schücking, des diplomates comme Lichnowsky, des socio-démocrates tels que Rudolf Breitscheid ou Kurt Eisner ou encore d’autres grands noms comme Ferdinand Tönnies. Le Bund constitue alors un cercle de travail au sein duquel il peut discuter de la paix de manière scientifique et non idéaliste comme ses prédécesseurs en mettant l’accent sur la politique étrangère et surtout sur la politique intérieure de l’Allemagne dans les structures de laquelle il voit l’impossibilité de promouvoir la paix. C’est grâce à cette « spécialisation » que le mouvement aspire à être reconnu sur la scène internationale. Alors que le premier pacifisme refusait de prendre part à l’action politique — la Deutsche Friedensgesellschaft ne s’implique d’ailleurs pas comme le fait le Bund —, ce dernier veut être un acteur à part entière. C’est ainsi qu’il noue des contacts avec le Ministère des Affaires étrangères, l’un se rendant compte de l’intérêt qu’il peut tirer de l’autre et inversement, même si les pacifistes ne sont pas toujours conscients d’une certaine manipulation. Ainsi Sophie Lorrain écrit : « Il existe donc une certaine identité d’intérêts entre les deux parties : les pacifistes échangent leurs services officieux de médiation contre l’assurance d’une certaine protection des pouvoirs civils pour pouvoir continuer leurs activités et leurs voyages à l’étranger ».

Cette politisation va cependant de pair avec un accroissement des mesures policières. De janvier jusqu’à la mi-mars 1915, le Bund publie des communiqués qui sont vite interdits par les autorités militaires, et il faut attendre septembre 1918 pour qu’ils reprennent leur publication. La surveillance policière sur le Bund et sur les autres sociétés se fait de plus en plus ressentir, jusqu’à atteindre son paroxysme en 1916. Le projet du Bund par exemple de formuler dans un livre les caractéristiques d’une paix durable pour l’Allemagne échoue. Le 7 février 1916, le haut-commandement interdit toute activité au Bund pendant la durée du conflit en raison de l’état de siège. Lilli Jannasch, en tant que dirigeante du Bund, est arrêtée le 31 mars 1916 par mesure de précaution, soupçonnée de haute trahison. Le 8 juin 1916, un groupe de remplacement est fondé sous le nom de Vereinigung Gleichgesinnter. Ce groupement abandonne un temps l’action politique pour retomber dans une conception éthique du pacifisme. Ce n’est qu’en octobre 1918 que l’interdiction prononcée envers le Bund est levée.

Les activités de la DFG sont elles aussi ralenties, ses journaux sont censurés, les réunions interdites. C’est ainsi qu’est créée après de nombreux rebondissements la Zentralstelle für Völkerrecht afin de remplacer une DFG immobilisée. L’organisation milite pour une paix de conciliation et présente une pétition au Reichstag, dans laquelle est entre autres présenté le programme minimal pour la paix défini à La Haye. Remportant de plus en plus de succès, la Zentralstelle est interdite dès janvier 1917. Le mouvement pacifiste des femmes, qui prend de l’ampleur, a quant à lui trouvé la parade en ne se constituant pas en association, évitant ainsi tout fichage qui pourrait lui nuire comme il nuit à la DFG par exemple. Le pacifisme allemand se révèle donc être un acteur politique qui peut être dérangeant.

Revues « Die Waffen nieder ! »

Karl Liebknecht contre la guerre de 1914

Les causes de la première guerre mondiale

C’est la révolution prolétarienne allemande qui, en renversant le kaiser et en menaçant le pouvoir bourgeois, a mis fin à la première guerre mondiale

Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, deux adversaires résolus de la guerre impérialiste

La social-démocratie allemande a pactisé avec la bourgeoisie militariste

Brochure de Rosa Luxemburg écrite en prison en 1915 et tirant les premières leçons de l’effondrement de la social-démocratie :

"La scène a changé fondamentalement. La marche des six semaines sur Paris a pris les proportions d’un drame mondial ; l’immense boucherie est devenue une affaire quotidienne, épuisante et monotone, sans que la solution, dans quelque sens que ce soit, ait progressé d’un pouce. La politique bourgeoise est coincée, prise à son propre piège : on ne peut plus se débarrasser des esprits que l’on a invoqués.

Finie l’ivresse. Fini le vacarme patriotique dans les rues, la chasse aux automobiles en or ; les faux télégrammes successifs ; on ne parle plus de fontaines contaminées par des bacilles du choléra, d’étudiants russes qui jettent des bombes sur tous les ponts de chemin de fer de Berlin, de Français survolant Nuremberg ; finis les débordements d’une foule qui flairait partout l’espion ; finie la cohue tumultueuse dans les cafés où l’on était assourdi de musique et de chants patriotiques par vagues entières ; la population de toute une ville changée en populace, prête à dénoncer n’importe qui, à molester les femmes, à crier : hourra ! et à atteindre au paroxysme du délire en lançant elle-même des rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de pogrome, où le seul représentant de la dignité humaine était l’agent de police au coin de la rue.

Le spectacle est terminé. Les savants allemands, ces « lémures vacillants », sont depuis longtemps, au coup de sifflet, rentrés dans leur trou. L’allégresse bruyante des jeunes filles courant le long des convois ne fait plus d’escorte aux trains de réservistes et ces derniers ne saluent plus la foule en se penchant depuis les fenêtres de leur wagon, un sourire joyeux aux lèvres ; silencieux, leur carton sous le bras, ils trottinent dans les rues où une foule aux visages chagrinés vaque à ses occupations quotidiennes.

Dans l’atmosphère dégrisée de ces journées blêmes, c’est un tout autre choeur que l’on entend : le cri rauque des vautours et des hyènes sur le champ de bataille. Dix mille tentes garanties standard ! Cent mille kilos de lard, de poudre de cacao, d’ersatz de café, livrables immédiatement, contre payement comptant ! Des obus, des tours, des cartouchières, des annonces de mariage pour veuves de soldats tombés au front, des ceinturons de cuir, des intermédiaires qui vous procurent des contrats avec l’armée - on n’accepte que les offres sérieuses ! La chair à canon, embarquée en août et septembre toute gorgée de patriotisme, pourrit maintenant en Belgique, dans les Vosges, en Masurie, dans des cimetières où l’on voit les bénéfices de guerre pousser dru. Il s’agit d’engranger vite cette récolte. Sur l’océan de ces blés, des milliers de mains se tendent, avides de rafler leur part. Les affaires fructifient sur des ruines. Des villes se métamorphosent en monceaux de décombres, des villages en cimetières, des régions entières en déserts, des populations entières en troupes de mendiants, des églises en écuries. Le droit des peuples, les traités, les alliances, les paroles les plus sacrées, l’autorité suprême, tout est mis en pièces. N’importe quel souverain par la grâce de Dieu traite son cousin, s’il est dans le camp adverse, d’imbécile, de coquin et de parjure, n’importe quel diplomate qualifie son collègue d’en face d’infâme fripouille, n’importe quel gouvernement assure que le gouvernement adverse mène son peuple à sa perte, chacun vouant l’autre au mépris public ; et des émeutes de la faim éclatent en Vénétie, à Lisbonne, à Moscou, à Singapour ; et la peste s’étend en Russie, la détresse et le désespoir, partout.

Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment.

Et au coeur de ce sabbat de sorcière s’est produit une catastrophe de portée mondiale : la capitulation de la social-démocratie internationale. Ce serait pour le prolétariat le comble de la folie que de se bercer d’illusions à ce sujet ou de voiler cette catastrophe : c’est le pire qui pourrait lui arriver. « Le démocrate » (c’est-à-dire le petit-bourgeois révolutionnaire) dit Marx, « sort de la défaite la plus honteuse aussi pur et innocent que lorsqu’il a commencé la lutte : avec la conviction toute récente qu’il doit vaincre, non pas qu’il s’apprête, lui et son parti, à réviser ses positions anciennes, mais au contraire parce qu’il attend des circonstances qu’elles évoluent en sa faveur. » Le prolétariat moderne, lui, se comporte tout autrement au sortir des grandes épreuves de l’histoire. Ses erreurs sont aussi gigantesques que ses tâches. Il n’y a pas de schéma préalable, valable une fois pour toutes, pas de guide infaillible pour lui montrer le chemin à parcourir. Il n’a d’autre maître que l’expérience historique. Le chemin pénible de sa libération n’est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d’erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l’atteindra s’il sait s’instruire de ses propres erreurs. Pour le mouvement prolétarien, l’autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu’au fond des choses, c’est l’air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre.

Dans la guerre mondiale actuelle, le prolétariat est tombé plus bas que jamais. C’est là un malheur pour toute l’humanité. Mais c’en serait seulement fini du socialisme au cas où le prolétariat international se refuserait à mesurer la profondeur de sa chute et à en tirer les enseignements qu’elle comporte. Ce qui est en cause actuellement, c’est tout le dernier chapitre de l’évolution du mouvement ouvrier moderne au cours de ces vingt-cinq dernières années. Ce à quoi nous assistons, c’est à la critique et au bilan de l’oeuvre accomplie depuis près d’un demi-siècle. La chute de la Commune de Paris avait scellé la première phase du mouvement ouvrier européen et la fin de la Ire Internationale. A partir de là commença une phase nouvelle. Aux révolutions spontanées, aux soulèvements, aux combats sur les barricades, après lesquels le prolétariat retombait chaque fois dans son état passif, se substitua alors la lutte quotidienne systématique, l’utilisation du parlementarisme bourgeois, l’organisation des masses, le mariage de la lutte économique et de la lutte politique, le mariage de l’idéal socialiste avec la défense opiniâtre des intérêts quotidiens immédiats. Pour la première fois, la cause du prolétariat et de son émancipation voyait briller devant elle une étoile pour la guider : une doctrine scientifique rigoureuse. A la place des sectes, des écoles, des utopies, des expériences que chacun faisait pour soi dans son propre pays, on avait un fondement théorique international, base commune qui faisait converger les différents pays en un faisceau unique. La théorie marxiste mit entre les mains de la classe ouvrière du monde entier une boussole qui lui permettait de trouver sa route dans le tourbillon des événements de chaque jour et d’orienter sa tactique de combat à chaque heure en direction du but final, immuable.

C’est le parti social-démocrate allemand qui se fit le représentant, le champion et le gardien de cette nouvelle méthode. La guerre de 1870 et la défaite de la Commune de Paris avaient déplacé vers l’Allemagne le centre de gravité du mouvement ouvrier européen. De même que la France avait été le lieu par excellence de la lutte de classe prolétarienne pendant cette première phase, de même que Paris avait été le coeur palpitant et saignant de la classe ouvrière européenne à cette époque, de même la classe ouvrière allemande devint l’avant-garde au cours de la deuxième phase.

Au prix de sacrifices innombrables, par un travail minutieux et infatigable, elle a édifié une organisation exemplaire, la plus forte de toutes ; elle a créé la presse la plus nombreuse, donné naissance aux moyens de formation et d’éducation les plus efficaces, rassemblé autour d’elle les masses d’électeurs les plus considérables et obtenu le plus grand nombre de sièges de députés. La social-démocratie allemande passait pour l’incarnation la plus pure du socialisme marxiste. Le parti social-démocrate occupait et revendiquait une place d’exception en tant que maître et guide de la II° Internationale. En 1895, Friedrich Engels écrivit dans sa préface célèbre à l’ouvrage de Marx les luttes de classes en France : « Mais, quoi qu’il arrive dans d’autres pays, la social-démocratie allemande a une position particulière et, de ce fait, du moins dans l’immédiat, aussi une tâche particulière. Les deux millions d’électeurs qu’elle envoie aux urnes, y compris les jeunes gens et les femmes qui sont derrière eux en qualité de non-électeurs, constituent la masse la plus nombreuse et la plus compacte, le " groupe de choc " décisif de l’armée prolétarienne internationale. »

La social-démocratie allemande était, comme l’écrivit la Wiener Arbeiterzeitung le 5 août 1914 « le joyau de l’organisation du prolétariat conscient. » La social-démocratie française, italienne et belge, les mouvements ouvriers de Hollande, de Scandinavie, de Suisse et des États-Unis marchaient sur ses traces avec un zèle toujours croissant. Quant aux Slaves, les Russes et les sociaux-démocrates des Balkans, ils la regardaient avec une admiration sans bornes, pour ainsi dire inconditionnelle. Dans la II° Internationale, le « groupe de choc » allemand avait un rôle prépondérant. Pendant les congrès, au cours des sessions du bureau de l’Internationale socialiste, tout était suspendu à l’opinion des Allemands. En particulier lors des débats sur les problèmes posés par la lutte contre le militarisme et sur la question de la guerre, la position de la social-démocratie allemande était toujours déterminante. « Pour nous autres Allemands, ceci est inacceptable » suffisait régulièrement à décider de l’orientation de l’Internationale. Avec une confiance aveugle, celle-ci s’en remettait à la direction de la puissante social-démocratie allemande tant admirée : elle était l’orgueil de chaque socialiste et la terreur des classes dirigeantes dans tous les pays. Et à quoi avons-nous assisté en Allemagne au moment de la grande épreuve historique ? A la chute la plus catastrophique, à l’effondrement le plus formidable. Nulle part l’organisation du prolétariat n’a été mise aussi totalement au service de l’impérialisme, nulle part l’état de siège n’est supporté avec aussi peu de résistance, nulle part la presse n’est autant bâillonnée, l’opinion publique autant étranglée, la lutte de classe économique et politique de la classe ouvrière aussi totalement abandonnée qu’en Allemagne.

Or, la social-démocratie allemande n’était pas seulement l’avant-garde la plus forte de l’Internationale, elle était aussi son cerveau. Aussi faut-il commencer par elle, par l’analyse de sa chute ; c’est par l’étude de son cas que doit commencer le procès d’autoréflexion. C’est pour elle une tâche d’honneur que de devancer tout le monde pour le salut du socialisme international, c’est-à-dire de procéder la première à une autocritique impitoyable. Aucun autre parti, aucune autre classe de la société bourgeoise ne peut étaler ses propres fautes à la face du monde, ne peut montrer ses propres faiblesses dans le miroir clair de la critique, car ce miroir lui ferait voir en même temps les limites historiques qui se dressent devant elle et, derrière elle, son destin. La classe ouvrière, elle, ose hardiment regarder la vérité en face, même si cette vérité constitue pour elle l’accusation la plus dure, car sa faiblesse n’est qu’un errement et la loi impérieuse de l’histoire lui redonne la force, lui garantit sa victoire finale.

L’autocritique impitoyable n’est pas seulement pour la classe ouvrière un droit vital, c’est aussi pour elle le devoir suprême. Sur notre navire, nous transportions les trésors les plus précieux de l’humanité confiés à la garde du prolétariat, et tandis que la société bourgeoise, flétrie et déshonorée par l’orgie sanglante de la guerre, continue de se précipiter vers sa perte, il faut que le prolétariat international se reprenne, et il le fera, pour ramasser les trésors que, dans un moment de confusion et de faiblesse au milieu du tourbillon déchaîné de la guerre mondiale, il a laissé couler dans l’abîme.

Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. C’est une folie insensée de s’imaginer que nous n’avons qu’à laisser passer la guerre, comme le lièvre attend la fin de l’orage sous un buisson pour reprendre ensuite gaiement son petit train. La guerre mondiale a changé les conditions de notre lutte et nous a changés nous-mêmes radicalement. Non que les lois fondamentales de l’évolution capitaliste, le combat de vie et de mort entre le capital et le travail, doivent connaître une déviation ou un adoucissement. Maintenant déjà, au milieu de la guerre, les masques tombent et les vieux traits que nous connaissons si bien nous regardent en ricanant. Mais à la suite de l’éruption du volcan impérialiste, le rythme de l’évolution a reçu une impulsion si violente qu’à côté des conflits qui vont surgir au sein de la société et à côté de l’immensité des tâches qui attendent le prolétariat socialiste dans l’immédiat toute l’histoire du mouvement ouvrier semble n’avoir été jusqu’ici qu’une époque paradisiaque. Historiquement, cette guerre était appelée à favoriser puissamment la cause du prolétariat. Chez Marx qui, avec un regard prophétique, a découvert au sein du futur tant d’événements historiques, on peut trouver dans les luttes de classes en France ce remarquable passage : « En France, le petit bourgeois fait ce que, normalement, devrait faire le bourgeois industriel ; l’ouvrier fait ce qui, normalement, serait la tâche du petit-bourgeois ; et la tâche de l’ouvrier, qui l’accomplit ? Personne. On ne la résout pas en France, en France on la proclame. Elle n’est nulle part résolue dans les limites de la nation ; la guerre de classes au sein de la société française s’élargit en une guerre mondiale où les nations se trouvent face à face. La solution ne commence qu’au moment où, par la guerre mondiale, le prolétariat est mis à la tête du peuple qui domine le marché mondial, à la tête de l’Angleterre. La révolution, trouvant là non son terme, mais son commencement d’organisation, n’est pas une révolution au souffle court. La génération actuelle ressemble aux Juifs que Moïse conduit à travers le désert. Elle n’a pas seulement un nouveau monde à conquérir, il faut qu’elle périsse pour faire place aux hommes qui seront à la hauteur du nouveau monde. »
Ceci fut écrit en 1850, à une époque où l’Angleterre était le seul pays capitaliste développé, où le prolétariat anglais était le mieux organisé et semblait appelé à prendre la tête de la classe ouvrière internationale grâce à l’essor économique de son pays. Remplacez l’Angleterre par l’Allemagne et les paroles de Marx apparaissent comme une préfiguration géniale de la guerre mondiale actuelle. Cette guerre était appelée à mettre le prolétariat allemand à la tête du peuple et ainsi à produire un « début d’organisation » en vue du grand conflit général international entre le Capital et le Travail pour le pouvoir politique. Et quant à nous, avons-nous présenté d’une façon différente le rôle de la classe ouvrière dans la guerre mondiale ? Rappelons-nous comment naguère encore nous décrivions l’avenir : Alors arrivera la catastrophe. Alors sonnera en Europe l’heure de la marche générale, qui conduira sur le champ de bataille de 16 à 18 millions d’hommes, la fleur des différentes nations, équipés des meilleurs instruments de mort et dressés les uns contre les autres. Mais, à mon avis, derrière la grande marche générale, il y a le grand chambardement. Ce n’est pas de notre faute : c’est de leur faute. Ils poussent les choses à leur comble. Ils vont provoquer une catastrophe. Ils récolteront ce qu’ils ont semé. Le crépuscule des dieux du monde bourgeois approche. Soyez-en sûrs, il approche ! »
Voilà ce que déclarait l’orateur de notre fraction, Bebel, au cours du débat sur le Maroc au Reichstag.

Ce tract officiel du parti, Impérialisme ou Socialisme, qui a été diffusé il y a quelques années à des centaines de milliers d’exemplaires, s’achevait sur ces mots : « Ainsi la lutte contre le capitalisme se transforme de plus en plus en un combat décisif entre le Capital et le Travail. Danger de guerre, disette et capitalisme - ou paix, prospérité pour tous, socialisme ; voilà les termes de l’alternative. L’histoire va au-devant de grandes décisions. Le prolétariat doit inlassablement oeuvrer à sa tâche historique, renforcer la puissance de son organisation, la clarté de sa connaissance. Dès lors, quoi qu’il puisse arriver, soit que, par la force qu’il représente, il réussisse à épargner à l’humanité le cauchemar abominable d’une guerre mondiale, soit que le monde capitaliste ne puisse périr et s’abîmer dans le gouffre de l’histoire que comme il en est né, c’est-à-dire dans le sang et la violence, à l’heure historique la classe ouvrière sera prête et le tout est d’être prêt. »

Dans le Manuel pour les électeurs sociaux-démocrates de l’année 1911, destiné aux dernières élections parlementaires, on peut lire à la page 42, à propos de la guerre redoutée : « Est-ce que nos dirigeants et nos classes dirigeantes croient pouvoir exiger de la part des peuples une pareille monstruosité ? Est-ce qu’un cri d’effroi, de colère et d’indignation ne va pas s’emparer d’eux et les amener à mettre fin à cet assassinat ? »

« Ne vont-ils pas se demander : pour qui et pourquoi tout cela ? Sommes-nous donc des malades mentaux, pour être ainsi traités ou pour nous laisser traiter de la sorte ? »

« Celui qui examine à tête reposée la possibilité d’une grande guerre européenne ne peut aboutir qu’à la conclusion que voici : La prochaine guerre européenne sera un jeu de va-tout sans précédent dans l’histoire du monde, ce sera selon toute probabilité la dernière guerre. »

C’est dans ce langage et en ces termes que nos actuels députés au Reichstag firent campagne pour leurs 110 mandats. Lorsqu’en été 1911 le saut de panthère de l’impérialisme allemand sur Agadir et ses cris de sorcière eurent rendu imminent le péril d’une guerre européenne, une assemblée internationale réunie à Londres adopta le 4 août la résolution suivante :

« Les délégués allemands, espagnols, anglais, hollandais et français des organisations ouvrières se déclarent prêts à s’opposer avec tous les moyens dont ils disposent à toute déclaration de guerre. Chaque nation représentée prend l’engagement d’agir contre toutes les menées criminelles des classes dirigeantes, conformément aux décisions de son Congrès national et du Congrès international. » Cependant, lorsqu’en novembre 1912 le Congrès international se réunit à Bâle, alors que le long cortège des délégués ouvriers arrivait à la cathédrale, tous ceux qui étaient présents furent saisis d’un frisson devant la solennité de l’heure fatale qui approchait et ils furent pénétrés d’un sentiment d’héroïque détermination.

Le froid et sceptique Victor Adler s’écriait : « Camarades, il est capital que, nous retrouvant ici à la source commune de notre pouvoir, nous y puisions la force de faire ce que nous pouvons dans nos pays respectifs, selon les formes et les moyens dont nous disposons et avec tout le pouvoir que nous possédons, pour nous opposer au crime de la guerre. Et si cela devait s’accomplir, si cela devait réellement s’accomplir, alors nous devons tâcher que ce soit une pierre, une pierre de la fin. » « Voilà le sentiment qui anime toute l’Internationale. » « Et si le meurtre et le feu et la pestilence se répandent à travers l’Europe civilisée - nous ne pouvons y penser qu’en frémissant et la révolte et l’indignation nous déchirent le coeur. Et nous nous demandons : les hommes, les prolétaires, sont-ils vraiment encore des moutons, pour qu’ils puissent se laisser mener à l’abattoir sans broncher ?... »

Troelstra prit la parole au nom des « petites nations » ainsi qu’au nom de la Belgique : « Le prolétariat des petits pays se tient corps et âme à la disposition de l’Internationale pour tout ce qu’elle décidera en vue d’écarter la menace de guerre. Nous exprimons à nouveau l’espoir que, si un jour les classes dirigeantes des grands États appellent aux armes les fils de leur prolétariat pour assouvir la cupidité et le despotisme de leurs gouvernements dans le sang des petits peuples et sur leur sol - alors, grâce à l’influence puissante de leurs parents prolétaires et de la presse prolétarienne, les fils du prolétariat y regarderont à deux fois avant de nous faire du mal à nous, leurs amis et leurs frères, pour servir cette entreprise contraire à la civilisation. » Et après avoir lu le manifeste contre la guerre au nom du bureau de l’Internationale, Jaurès conclut ainsi son discours : « L’Internationale représente toutes les forces morales du monde ! Et si sonnait un jour l’heure tragique qui exige de nous que nous nous livrions tout entiers, cette idée nous soutiendrait et nous fortifierait. Ce n’est pas à la légère, mais bien du plus profond de notre être que nous déclarons : nous sommes prêts à tous les sacrifices ! »

C’était comme un serment de Rutli. Le monde entier avait les yeux fixés sur la cathédrale de Bâle, où les cloches sonnaient d’un air grave et solennel pour annoncer la grande bataille à venir entre l’armée du Travail et la puissance du Capital.

Le 3 décembre 1912, David, l’orateur du groupe social-démocrate, déclarait au Reichstag : « Ce fut une des plus belles heures de ma vie, je l’avoue. Lorsque les cloches de la cathédrale accompagnèrent le cortège des sociaux-démocrates internationaux, lorsque les drapeaux rouges se disposaient dans le choeur de l’église autour de l’autel, et que le son de l’orgue saluait les délégués des peuples qui venaient proclamer la paix - j’en ai gardé une impression absolument inoubliable. ... Les masses cessent d’être des troupeaux dociles et abrutis. C’est un élément nouveau dans l’histoire. Auparavant les peuples se laissaient aveuglément exciter les uns contre les autres par ceux qui avaient intérêt à la guerre, et se laissaient conduire au meurtre massif. Cette époque est révolue. Les masses se refusent désormais à être les instruments passifs et les satellites d’un intérêt de guerre, quel qu’il soit. »

Une semaine encore avant que la guerre n’éclate, le 26 juillet 1914, les journaux du parti allemand écrivaient : « Nous ne sommes pas des marionnettes, nous combattons avec toute notre énergie un système qui fait des hommes des instruments passifs de circonstances qui agissent aveuglément, de ce capitalisme qui se prépare à transformer une Europe qui aspire à la paix en une boucherie fumante. Si ce processus de dégradation suit son cours, si la volonté de paix résolue du prolétariat allemand et international qui apparaîtra au cours des prochains jours dans de puissantes manifestations ne devait pas être en mesure de détourner la guerre mondiale, alors, qu’elle soit à moins la dernière guerre, qu’elle devienne le crépuscule des dieux du capitalisme. » (Frankfurter Volksstimme.)

Le 30 juillet 1914, l’organe central de la social-démocratie allemande s’écriait :

« Le prolétariat socialiste allemand décline toute responsabilité pour les événements qu’une classe dirigeante aveuglée jusqu’à la démence est en train de provoquer. Il sait que pour lui une nouvelle vie s’élèvera des ruines. Les responsables, ce sont ceux qui aujourd’hui détiennent le pouvoir ! »

« Pour eux, il s’agit d’une question de vie ou de mort ! »

« L’histoire du monde est le tribunal du monde. »

Et c’est alors que survint cet événement inouï, sans précédent : le 4 août 1914. Cela devait-il arriver ainsi ? Un événement d’une telle portée n’est certes pas le fait du hasard. Il doit résulter de causes objectives profondes et étendues. Cependant ces causes peuvent résider aussi dans les erreurs de la social-démocratie qui était le guide du prolétariat, dans la faiblesse de notre volonté de lutte, de notre courage, de notre conviction. Le socialisme scientifique nous a appris à comprendre les lois objectives du développement historique. Les hommes ne font pas leur histoire de toutes pièces. Mais ils la font eux-mêmes. Le prolétariat dépend dans son action du degré de développement social de l’époque, mais l’évolution sociale ne se fait pas non plus en dehors du prolétariat, celui-ci est son impulsion et sa cause, tout autant que son produit et sa conséquence. Son action fait partie de l’histoire tout en contribuant à la déterminer. Et si nous pouvons aussi peu nous détacher de l’évolution historique que l’homme de son ombre, nous pouvons cependant bien l’accélérer ou la retarder.

Dans l’histoire, le socialisme est le premier mouvement populaire qui se fixe comme but, et qui soit chargé par l’histoire, de donner à l’action sociale des hommes un sens conscient, d’introduire dans l’histoire une pensée méthodique et, par là, une volonté libre. Voilà pourquoi Friedrich Engels dit que la victoire définitive du prolétariat socialiste constitue un bond qui fait passer l’humanité du règne animal au règne de la liberté. Mais ce « bond » lui-même n’est pas étranger aux lois d’airain de l’histoire, il est lié aux milliers d’échelons précédents de l’évolution, une évolution douloureuse et bien trop lente. Et ce bond ne saurait être accompli si, de l’ensemble des prémisses matérielles accumulées par l’évolution, ne jaillit pas l’étincelle de la volonté consciente de la grande masse populaire. La victoire du socialisme ne tombera pas du ciel comme fatum, cette victoire ne peut être remportée que grâce à une longue série d’affrontements entre les forces anciennes et les forces nouvelles, affrontements au cours desquels le prolétariat international fait son apprentissage sous la direction de la social-démocratie et tente de prendre en main son propre destin, de s’emparer du gouvernail de la vie sociale. Lui qui était le jouet passif de son histoire, il tente d’en devenir le pilote lucide.
Friedrich Engels a dit un jour : « La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie. » Mais que signifie donc une « rechute dans la barbarie » au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd’hui ? Jusqu’ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un coup d’oeil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie. Le triomphe de l’impérialisme aboutit à l’anéantissement de la civilisation - sporadiquement pendant la durée d’une guerre moderne et définitivement si la période des guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. C’est exactement ce que Friedrich Engels avait prédit, une génération avant nous, voici quarante ans.
Nous sommes placés aujourd’hui devant ce choix : ou bien triomphe de l’impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquences, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c’est-à-dire de la lutte consciente du prolétariat international contre l’impérialisme et contre sa méthode d’action : la guerre. C’est là un dilemme de l’histoire du monde, un ou bien - ou bien encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive de son combat révolutionnaire : l’avenir de la civilisation et de l’humanité en dépendent. Au cours de cette guerre, l’impérialisme a remporté la victoire. En faisant peser de tout son poids le glaive sanglant de l’assassinat des peuples, il a fait pencher la balance du côté de l’abîme, de la désolation et de la honte. Tout ce fardeau de honte et de désolation ne sera contrebalancé que si, au milieu de la guerre, nous savons retirer de la guerre la leçon qu’elle contient, si le prolétariat parvient à se ressaisir et s’il cesse de jouer le rôle d’un esclave manipulé par les classes dirigeantes pour devenir le maître de son propre destin.

La classe ouvrière paie cher toute nouvelle prise de conscience de sa vocation historique. Le Golgotha de sa libération est pavé de terribles sacrifices. Les combattants des journées de Juin, les victimes de la Commune, les martyrs de la Révolution russe - quelle ronde sans fin de spectres sanglants ! Mais ces hommes-là sont tombés au champ d’honneur, ils sont, comme Marx l’écrivit à propos des héros de la Commune, « ensevelis à jamais dans le grand coeur de la classe ouvrière ». Maintenant, au contraire, des millions de prolétaires de tous les pays tombent au champ de la honte, du fratricide, de l’automutilation, avec aux lèvres leurs chants d’esclaves. Il a fallu que cela aussi ne nous soit pas épargné. Vraiment nous sommes pareils à ces Juifs que Moïse a conduits à travers le désert. Mais nous ne sommes pas perdus et nous vaincrons pourvu que nous n’ayons pas désappris d’apprendre. Et si jamais le guide actuel du prolétariat, la social-démocratie, ne savait plus apprendre, alors elle périrait « pour faire place aux hommes qui soient à la hauteur d’un monde nouveau ».
« Ainsi, le parti de Lénine fut-il le seul en Russie à comprendre les intérêts véritables de la révolution dans cette première période, il en fut l’élément moteur en tant que seul parti qui pratiquât une politique réellement socialiste.

On comprend aussi pourquoi les bolcheviks, minorité bannie, calomniée et traquée de toutes parts au début de la révolution, parvinrent en très peu de temps à la tête du mouvement et purent rassembler sous leur drapeau toutes les masses réellement populaires : le prolétariat des villes, l’armée, la paysannerie, ainsi que les éléments révolutionnaires de la démocratie, l’aile gauche des socialistes révolutionnaires.

A l’issue de quelques mois, la situation réelle de la révolution se résumait dans l’alternative suivante : Victoire de la contre-révolution ou dictature du prolétariat, Kalédine ou Lénine. Toute révolution en arrive objectivement là une fois dissipée la première ivresse ; en Russie, c’était le résultat de deux questions brûlantes et concrètes, celle de la paix et celle de la terre qui ne pouvaient être résolues dans le cadre de la révolution bourgeoise.

En cela, la révolution russe n’a fait que confirmer l’enseignement fondamental de toute grande révolution, dont la loi vitale se formule ainsi : il lui faut avancer très rapidement et résolument, renverser d’une main de fer tous les obstacles, placer ses objectifs toujours plus loin, si elle ne veut pas être très bientôt ramenée à son fragile point de départ ni être écrasée par la contre-révolution. Une révolution ne peut pas stagner, piétiner sur place, se contenter du premier objectif atteint. En transposant les vérités terre à terre des guerres parlementaires à la petite semaine sur la tactique révolutionnaire, on fait tout juste preuve d’un manque de psychologie de la révolution, d’une méconnaissance profonde de ses lois vitales, toute expérience historique est alors un livre sept fois scellé.

Dans le déroulement de la révolution anglaise à partir du moment où elle a éclaté en 1642, comment, par la logique des choses, les tergiversations débiles des presbytériens, la guerre hésitante contre l’armée royaliste, au cours de laquelle les chefs presbytériens évitèrent délibérément une bataille décisive et une victoire contre Charles 1er, furent ce qui contraignit inéluctablement les Indépendants à les chasser du Parlement et à prendre le pouvoir. Et par la suite, il en fut de même au sein de l’armée des Indépendants : la masse subalterne et petite-bourgeoise des soldats, les « niveleurs » de Lilburn constituait les troupes de choc de tout le mouvement indépendant, et enfin les éléments prolétariens de la masse des soldats, ceux qui allaient le plus loin dans leurs perspectives de bouleversement social et s’exprimaient dans le mouvement des « diggers » représentaient pour leur part le levain du parti démocratique des « niveleurs ».

Si les éléments révolutionnaires prolétariens n’avaient pas agi sur l’esprit de la masse des soldats, si la masse démocratique des soldats n’avait exercé aucune pression sur la couche bourgeoise dirigeante du parti des Indépendants, le Long Parlement n’aurait pas été « nettoyé » des presbytériens, la guerre contre l’armée des Cavaliers et contre les Écossais n’aurait pas connu une issue victorieuse, Charles 1" n’aurait été ni jugé ni exécuté, la Chambre des Lords n’aurait pas été supprimée et la république n’aurait pas été proclamée.

Et la grande révolution française ? Après quatre ans de combat, la prise de pouvoir par les Jacobins s’avéra être le seul moyen susceptible de sauver les conquêtes de la révolution, de faire prendre corps à la république, de réduire le féodalisme en poussière, d’organiser la défense révolutionnaire à l’intérieur comme à l’extérieur, d’étouffer la conspiration de la contre-révolution, de propager la vague révolutionnaire française dans toute l’Europe.

Aucune révolution ne peut garder le « juste milieu », sa loi naturelle exige des décisions rapides : ou bien la locomotive grimpe la côte historique à toute vapeur jusqu’au bout, ou bien, entraînée par son propre poids, elle redescend la pente jusqu’au creux d’où elle était partie et elle précipite avec elle dans l’abîme, sans espoir de salut tous ceux qui, de leurs faibles forces, voulaient la retenir à mi-chemin. (...) Les bolcheviks ont aussitôt défini comme objectif à cette prise du pouvoir le programme révolutionnaire le plus avancé dans son intégralité ; il ne s’agissait pas d’assurer la démocratie bourgeoise mais d’instaurer la dictature du prolétariat pour réaliser le socialisme. Ils ont ainsi acquis devant l’histoire le mérite impérissable d’avoir proclame pour la première fois les objectifs ultimes du socialisme comme programme immédiat de politique pratique.

Tout le courage, l’énergie, la perspicacité révolutionnaire, la logique dont un parti révolutionnaire peut faire preuve en un moment historique a été le fait de Lénine, de Trotski et de leurs amis. Tout l’honneur et toute la faculté d’action révolutionnaires qui ont fait défaut à la social-démocratie occidentale, se sont retrouvés chez les bolcheviks. L’insurrection d’octobre n’aura pas seulement servi à sauver effectivement la révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international. (...) A cet égard, Lénine, Trotski et leurs amis ont les premiers, par leur exemple, ouvert la voie au prolétariat mondial, ils sont jusqu’à présent encore les seuls qui puissent s’écrier comme Hutten :« J’ai osé » !

Voilà ce que la politique des bolcheviks comporte d’essentiel et de durable. En ce sens, ils conservent le mérite impérissable d’avoir ouvert la voie au prolétariat international en prenant le pouvoir politique et en posant le problème pratique de la réalisation du socialisme, d’avoir fait progresser considérablement le conflit entre capital et travail dans le monde entier. En Russie, le problème ne pouvait être que posé. Il ne pouvait être résolu en Russie. Et en ce sens, l’avenir appartient partout au ’’Bolchevisme’’. »

11 novembre 1918 : la révolution prolétarienne débutée en Russie menaçait l’ordre impérialiste au point d’imposer aux puissances en guerre d’arrêter le massacre

L’adaptation cinématographique du roman de Heinrich Mann Der Untertan par Wolfgang Staudte

Manifeste de Zimmerwald

Manifeste de Kienthal contre la guerre

« Ce qui me dégoûte dans la guerre, c’est son imbécillité. J’aime la vie. Je n’aime même que la vie. C’est beaucoup, mais je comprends qu’on la sacrifie à une cause juste et belle. J’ai soigné des maladies contagieuses et mortelles sans jamais ménager mon don total. À la guerre j’ai peur, j’ai toujours peur, je tremble, je fais dans ma culotte. Parce que c’est bête, parce que c’est inutile. Inutile pour moi. Inutile pour le camarade qui est avec moi sur la ligne de tirailleurs. Inutile pour le camarade en face. Inutile pour le camarade qui est à côté du camarade en face dans la ligne de tirailleurs qui s’avance vers moi. »

Jean Giono – Ecrits pacifistes

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