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Courriers sur la vague de grèves en Egypte

dimanche 20 avril 2008, par Robert Paris

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Luttes ouvrières en Egypte

Au cours de ces trois dernières années, l’Egypte a connu une puissante vague de grèves, visant principalement à lutter contre la privatisation, par le gouvernement Moubarak, de plusieurs compagnies d’Etat. Toutes ces grèves sont « illégales ». Fin 2004, elles ont d’abord affecté le secteur textile, puis se sont étendues à d’autres industries, les salariés ayant été encouragés par le fait que la plupart de ces grèves se soldent par des victoires. Elles sont souvent accompagnées d’occupations. Depuis la fin de l’année 2006, cette vague de grèves a atteint un niveau particulièrement élevé. Comme à son habitude, le gouvernement tente de trouver un bouc-émissaire. Dans un certain nombre de villes, il a pris des mesures contre le Centre de Services pour les Syndicats et les Ouvriers (CTUWS). Le CTUWS est une structure indépendante du gouvernement, qui défend les travailleurs et les informe de leurs droits. Un article publié dans Al-Ahram, un hebdomadaire anglophone publié en Egypte, prétend qu’un « complot communiste » est derrière ce mouvement. Les bureaucrates du gouvernement, la police et les tortionnaires des services secrets souscrivent tous à cette théorie du complot. Ils accusent également les Islamistes. Pour eux, il n’est pas imaginable que des ouvriers puissent avoir d’authentiques revendications, et que la dégradation de leurs conditions de vie les pousse à se mobiliser. Il doit forcément y avoir un conspirateur secret, un agitateur communiste ou islamiste derrière tout cela ! Cependant, pour quiconque regarde les choses en face, les racines du mouvement actuel sont évidentes. La majeure partie de l’industrie égyptienne avait été nationalisée par Nasser, dans les années 60. Mais au cours des années 90, le gouvernement Moubarak, suivant les « conseils » du FMI, a mis en œuvre un programme de privatisation massive de l’industrie égyptienne. Depuis 1999, plus de 100 entreprises publiques ont été vendues. L’un des secteurs les plus touchés fut l’industrie textile : le secteur privé contrôle 58 % du filage du coton, contre 8 % avant les privatisations. Récemment, le gouvernement a lancé une deuxième vague de privatisations, qui fut la cause directe de l’actuel mouvement de grèves. Les ouvriers craignent de perdre leur statut de travailleurs du secteur public, avec les avantages et la sécurité d’emploi qui y sont associés. Le site internet du Middle East Report Online (MERIP) a publié un compte-rendu très intéressant d’une grève qui a éclaté, en décembre 2006, dans une importante entreprise textile, à Mahallah Al-Kubra, dans le delta du Nil. La grève a commencé lorsque les 24 000 ouvriers ont appris qu’une prime, qui leur avait été promise par le gouvernement, ne leur serait finalement pas payée. La grève a duré quatre jours et fut accompagnée d’une occupation de l’usine. Quand la police est intervenue, le deuxième jour du mouvement, les ouvriers en appelèrent à la solidarité des autres ouvriers et de la population de la localité. En réponse, 20 000 personnes encerclèrent l’entreprise pour défendre les grévistes. La police a du battre en retraite, et les grévistes l’emportèrent. Il est intéressant de noter le rôle crucial qu’ont joué les femmes, dans cette grève. De fait, elles ont été encore plus militantes que les hommes. La grève a commencé lorsque 3000 ouvrières ont quitté leur poste et parcouru l’usine en chantant : « Où sont les hommes ? Voici les femmes ! » Un témoin relate : « les femmes étaient encore plus déterminées que les hommes. Elles ont été l’objet d’intimidations et de menaces, mais elles ont tenu bon. » Lorsqu’un mouvement mobilise les couches les plus opprimées – et habituellement les plus passives –, c’est un indice clair de sa profondeur et de son caractère potentiellement révolutionnaire. La victoire des grévistes de Mahallah a encouragé d’autres ouvriers à passer à l’action. Dans les mois qui ont suivi, des dizaines de milliers d’ouvriers du textile se sont mobilisés, dans le delta du Nil et à Alexandrie. Cette magnifique grève eut également des répercussions dans d’autres secteurs industriels que le textile, malgré l’absence d’une véritable coordination. En décembre, les travailleurs de cimenteries, à Helwan et Tura, se mirent en grève, de même que les salariés de l’industrie automobile, à Mahallah. En janvier, ce fut le tour des cheminots, qui bloquèrent le train de première classe reliant le Caire à Alexandrie, et furent spontanément soutenus par les conducteurs du métro du Caire. Les grévistes expliquèrent qu’ils avaient été encouragés par la victoire des travailleurs de Mahallah. Des « grèves sauvages » ont également éclaté chez les éboueurs, les conducteurs de minibus et de camions, ainsi que dans d’autres secteurs de la fonction publique. Les grévistes ont protesté contre l’accusation du gouvernement selon laquelle les islamistes étaient derrière leur mouvement. Les ouvriers d’une usine, à Kafr EL-Dawwar, « ont énergiquement nié toute implication des Frères Musulmans », selon le compte-rendu du MERIP. Mais l’une des caractéristiques les plus intéressantes de ces mouvements réside dans le fait que les ouvriers se rendent compte qu’ils ne luttent pas seulement pour des revendications immédiates, mais aussi, plus généralement, contre la politique du gouvernement. C’est probablement pour cette raison que, dans plusieurs endroits – y compris à Mahallah –, les travailleurs s’efforcent de construire leurs propres organisations indépendantes, défiant les « syndicats » affiliés à l’Etat. Le MERIP rapporte : « Il y a des signes clairs indiquant que les militants ouvriers du textile travaillent à l’élaboration d’un système de coordination nationale de leurs luttes. Un mois après la victoire de la grève à Kafr Al-Dawwar, un texte signé par les Ouvriers de Kafr Al-Dawwar pour un Changement a été distribué, dans l’usine, et en appelait à " l’extension de la collaboration entre les ouvriers des entreprises qui ont fait grève, de façon à créer des liens de solidarité et de partager notre expérience " ». Voilà ce qui inquiète le plus le gouvernement. C’est pour cela que, tout en faisant des concessions aux revendications des grévistes, il s’attaque à toute organisation susceptible de faciliter la coordination de l’action des travailleurs. Les bureaux du CTUWS, à Najaa Hamadi et Mahalah, ont été fermés, et la police a arrêté des militants ouvriers dans tout le pays. L’image générale qui émerge de ces conflits est celle d’une classe ouvrière en plein essor, qui gagne en confiance et commence à tirer de sérieuses conclusions politiques. Selon Saber Barakat, du Comité de Coordination des Ouvriers, « l’Egypte est au seuil d’une situation révolutionnaire. Le régime est affaibli. Moubarak est occupé à organiser sa succession au profit de son fils, Gamal, mais pour la première fois depuis longtemps, nous pouvons dire avec confiance qu’une révolution ouvrière pointe à l’horizon. » Y. Malek

Une vague de grèves a touché de nombreux secteurs en Egypte au début de l’année : dans les usines de ciment, les élevages de volaille, les mines, les secteurs des bus et des chemins de fer, dans le secteur sanitaire, et surtout dans l’industrie textile, les ouvriers ont déclenché une série de grèves illégales contre la forte baisse des salaires réels et les réductions de primes. Le caractère combatif et spontané de ces luttes peut être saisi dans cette description de comment, en décembre de l’année dernière, la lutte surgit au grand complexe de tissage et de filage du nord du Caire Mahalla al-Kubra’s Misr, qui a été l’épicentre du mouvement. Cet extrait est issu du texte de Joel Beinin et Hossam el-Hamalawy, "Les ouvriers du textile égyptien s’affrontent au nouvel ordre économique", publié sur les sites "Middle East Report Online" et libcom.org, et basé sur des interviews de deux ouvriers de l’usine, Muhammed’Attar et Sayyid Habib. "Les 24 000 ouvriers du complexe de tissage et de filage Mahalla al-Kubra’s Misr étaient en attente des nouvelles des promesses faites le 3 mars 2006 selon lesquelles le Premier ministre, Ahmad Nazif, aurait décrété une augmentation de la prime annuelle donnée à tous les ouvriers du secteur public industrialisé des 100 livres égyptiennes (17 $) habituelles à une prime de deux mois de salaires. Les dernières augmentations des primes annuelles dataient de 1984 - de 75 à 100 livres. "Nous avons lu le décret et commencé à en parler dans l’usine" dit Attar. "Même les officiels du syndicat pro-gouvernemental publiait aussi la nouvelle comme une de ses réalisations". Il continue ensuite : "Décembre arriva (période où les primes annuelles sont payées) et chacun était anxieux. Nous nous aperçûmes alors que nous avions été roulés. On ne nous offrait que les même vieilles 100 livres. En réalité 89 livres, pour être plus précis, du fait des déductions (pour les taxes)." Un esprit de lutte était dans l’air. Les deux jours suivants, des groupes d’ouvriers refusaient d’accepter leurs salaires en signe de protestation. Puis, le 7 décembre, des milliers d’ouvriers de l’équipe du matin commencèrent à s’assembler dans Mahalla’s Tal‘at Harb Square, devant l’entrée de l’usine. Le rythme du travail à l’usine avait déjà ralenti mais la production tomba à l’arrêt lorsque 3000 ouvrières du vêtement quittèrent leur poste de travail, et se dirigèrent vers les sections du textile et du filage où leurs collègues masculins n’avaient pas encore arrêté les machines. Les ouvrières crièrent en chantant : "Où sont les hommes ? Voici les femmes !" Honteux, les hommes se joignirent à la grève. Environ 10 000 ouvriers se rassemblèrent sur la place, criant "Deux mois ! Deux mois !" pour affirmer leur revendication sur les primes promises. La police anti-émeute était rapidement déployée autour de l’usine et dans la ville mais n’engagea pas d’action pour réprimer la manifestation. "Ils étaient impressionnés par notre nombre" dit Attar. " Ils espéraient que cela retomberait avec la nuit ou le lendemain." Avec l’encouragement de la sécurité d’Etat, la direction offrit une prime de salaire de 21 jours. Mais, comme le rappelle en riant Attar, "les ouvrières écharpaient presque tous les représentants de la direction venant négocier". "Comme la nuit tombait, dit Sayyid Habib, les ouvriers eurent toutes les peines à convaincre les femmes de rentrer chez elles. Elles voulaient rester et dormir sur place. Cela nous prit des heures pour les convaincre de rentrer dans leurs familles et de revenir le lendemain." Souriant large-ment, Attar ajoute : "Les femmes étaient plus combatives que les hommes. Elles étaient sous le coup de l’intimidation de la police anti-émeute sécurité et de leurs menaces, mais elles tenaient bon." Avant les prières du soir, la police anti-émeute se précipita sur les portes de l’usine. Soixante-dix ouvriers, avec Attar et Habib, y dormaient, où ils s’étaient enfermés. "Les officiers de la sécurité d’Etat nous dirent que nous étions peu nombreux et qu’il valait mieux sortir." dit Attar. « Mais ils ne savaient pas combien d’entre nous étaient restés à l’intérieur. Nous mentîmes en leur disant que nous étions des milliers ». Attar et Habib réveillèrent rapidement leurs camarades et, tous ensemble, les ouvriers commencèrent à frapper bruyamment sur les barreaux d’acier. "Nous réveillâmes tout le monde dans le complexe et dans la ville. Nos téléphones mobiles sortirent des forfaits car nous appelions nos familles et nos amis à l’extérieur, leur demandant d’ouvrir les fenêtres et de faire savoir à la sécurité qu’ils regardaient. Nous appelâmes tous les ouvriers que nous connaissions pour leur dire de se précipiter vers l’usine." A ce moment, la police avait coupé l’eau et l’électricité de l’usine. Les agents de l’Etat fonçaient vers les gares pour dire aux ouvriers venant de l’extérieur de la ville que l’usine avait été fermée à cause d’un dysfonctionnement électrique. La ruse manqua son objectif. "Plus de 20 000 ouvriers arrivèrent", raconte Attar. "Nous avons organisé une manifestation massive et fait de fausses funérailles à nos patrons. Les femmes nous apportèrent de la nourriture et des cigarettes et rejoignirent la marche. Les services de sécurité étaient paralysés. Les enfants des écoles élémentaires et les étudiants des écoles supérieures proches prirent les rues en soutien aux grévistes. Le quatrième jour de l’occupation de l’usine, les officiels du gouvernement, paniqués, offrirent une prime de 45 jours de salaire et donnèrent l’assurance que la compagnie ne serait pas privatisée. La grève fut suspendue, avec l’humiliation d’une fédération syndicale contrôlée par le gouvernement grâce au succès de l’action non-autorisée des ouvriers du filage et du textile de Misr." La victoire de Mahalla encourageait un certain nombre d’autres secteurs à entrer en lutte, et le mouvement était loin d’être terminé. En avril, le conflit entre les ouvriers de Mahalla et l’Etat est revenu à la surface. Les ouvriers décidaient d’envoyer une importante délégation au Caire pour négocier ( !) avec la Fédération générale des syndicats des revendications d’augmentation des salaires et procéder à l’accusation du comité syndicale d’usine de Mahalla pour avoir soutenu les patrons pendant la grève de décembre. La réponse des forces de sécurité du gouvernement fut de mettre l’usine en état de siège. Les ouvriers se mirent alors en grève et deux autres grandes usines de textile déclarèrent leur solidarité avec Mahalla, Ghazl Shebeen et Kafr el-Dawwar. La prise de position de cette dernière était particulièrement lucide : "Nous, ouvriers du textile de Kafr el-Dawwar déclarons notre pleine solidarité avec vous, pour réaliser vos justes revendications, qui sont les même que les nôtres. Nous dénonçons fortement l’assaut des services de sécurité qui empêchent la délégation d’ouvriers (de Mahalla) d’aller au quartier général de la Fédération générale des syndicats au Caire. Nous condamnons aussi la prise de position de Said el-Gohary (1 ) à Al-Masry Al-Youm dimanche dernier, dans laquelle il décrit votre mouvement comme un ‘non-sens’. Nous suivons avec attention ce qui vous arrive, et déclarons notre solidarité avec la grève des ouvriers de la confection d’avant-hier, et avec la grève partielle dans l’usine de soie. Nous voulons vous faire savoir que nous les ouvriers de Kafr el-Dawwar et vous ceux de Mahalla marchons dans la même voie, et que nous avons un ennemi. Nous soutenons votre mouvement, parce que nous avons les mêmes revendications. Depuis la fin de notre grève la première semaine de février, notre Comité syndical d’usine n’a rien fait pour réaliser les revendications à l’origine de notre grève. Notre Comité syndical d’usine a blessé nos intérêts... Nous exprimons notre soutien à votre revendication de réformer les salaires. Nous, comme vous, attendons la fin d’avril pour voir si le ministre du travail accédera à nos revendications ou non. Nous ne mettons pas beaucoup d’espoir dans le ministre même si nous n’avons pas vu de mouvement de sa part ou de celle du Comité syndical d’usine. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour réaliser nos revendications. Aussi, nous insistons sur le fait que : 1. Nous sommes dans le même bateau que vous, et embarquerons ensemble pour le même voyage. 2. Nous déclarons notre pleine solidarité avec vos revendications et affirmons que nous sommes prêts pour une action de solidarité, si vous décidez d’une action dans l’industrie. 3. Nous allons informer les ouvriers de la soie artificielle, El-Beida Dyes et Misr Chemicals, de votre lutte, et créer des ponts pour élargir le front de solidarité. Tous les ouvriers sont frères aux temps de la lutte. 4. Nous devons créer un large front pour asseoir notre combat contre les syndicats du gouvernement. Nous devons renverser ces syndicats maintenant, pas demain" (Traduit du site internet Arabawy). Ceci est une prise de position exemplaire parce qu’elle montre la base fondamentale de toute l’authentique solidarité de classe à travers les divisions créées par les syndicats et les entreprises - la conscience d’appartenir à la même classe et de combattre un même ennemi. Elle est aussi extrêmement claire sur le besoin de lutter contre les syndicats. Des luttes ont aussi surgi ailleurs pendant cette période : les éboueurs de Giza saccageaient les bureaux de la compagnie pour protester contre le non-paiement de leurs salaires ; 2700 ouvriers du textile à Monofiya occupaient une usine de textile ; 4000 ouvriers du textile à Alexandrie se mettaient en grève pour une deuxième fois après que la direction ait tenté de déduire la paie de la dernière grève. Il s’agissait aussi de grèves illégales, non-officielles. Il y eut également d’autres tentatives de briser le mouvement par la force. La police fermait ou menaçait de fermer le "Centre de services pour les syndicats et les ouvriers" de Nagas Hammadi, Helwan and Mahalla. Ces centres étaient accusés de fomenter "une culture des grèves". L’existence de ces centres indique qu’il existe clairement des tentatives de construire des syndicats nouveaux. Inévi-tablement, dans un pays comme l’Egypte, où les ouvriers n’ont fait que l’expérience de syndicats qui agissent ouvertement en tant que police de boîte, les ouvriers les plus combatifs sont sensibles à l’idée que la réponse à leur problème tient dans la création de syndicats vraiment "indépendants", de la même façon que les ouvriers polonais en 1980-81. Mais ce qui ressort très clairement de la façon dont la grève a été organisée à Mahalla (à travers les mani-festations spontanées, les délégations massives et les assemblées générales aux portes de l’usine), c’est le fait que les ouvriers sont plus forts lorsqu’ils prennent directement les choses dans leurs propres mains au lieu de remettre leur pouvoir à un nouvel appareil syndical. En Egypte, les germes de la grève de masse peut déjà se voir - pas seulement dans la capacité des ouvriers à l’action de masse spontanée, mais aussi dans le haut niveau de conscience exprimée dans la prise de position de Kafr el-Dawwar. Il n’y a pas de lien conscient entre ces évènements et d’autres luttes dans différentes parties du Moyen-Orient subissant les divisions impérialistes : en Israël chez les dockers, les employés du service public et, plus récemment, chez les maîtres d’école en grève pour des augmentations de salaire, et chez les étudiants qui se sont affrontés à la police contre des augmentations des prix de l’enseignement ; en Iran où le Premier Mai des milliers d’ouvriers ont mis en désordre la manifestation gouvernementale officielle en criant des slogans anti-gouvernementaux ou ont pris part à des manifestations non-autorisées et se sont affrontés à une sévère répression policière. Mais la simultanéité de ces mouvements jaillit de la même source : la voie prise par le capital pour réduire la classe ouvrière à la pauvreté partout dans le monde. En ce sens, ils contiennent les germes de la future unité internationale du prolétariat au-delà du nationalisme, de la religion et de la guerre impérialiste. Amos / 1.5.2007 1) Leader du syndicat des filatures et du textile, Said El-Gohary, accusait entre autres les ouvriers "d’être des terroristes voulant saboter la compagnie".

L’Égypte à l’heure de l’agitation sociale De TANGI SALAÜN.

Confronté à des mouvements sociaux sans précédent, le gouvernement de Hosni Moubarak accuse les islamistes.

« SI LA POLICE touche à l’usine, c’est toute une ville qu’ils vont devoir mettre au pas ! » Déterminés, sûrs de leur force et de la légitimité de leur combat, les 27 000 ouvriers de l’entreprise de textile publique de Ghazl el-Mahala, la plus grande et la plus ancienne d’Égypte, vivent depuis une semaine au rythme de la grève générale. Ils protestent contre le non-versement de primes qui leur avaient été promises au terme d’une première grève, en décembre 2006.

Dans ce porte-étendard de la production d’État égyptienne, fierté de la ville de Mahala el-Kubra, à 120 km au nord du Caire, la base salariale moyenne ne dépasse pas 200 livres égyptiennes (environ 25 euros). Ce coup de pouce attendu depuis des mois était donc plus qu’indispensable à l’arrivée des deux périodes les plus douloureuses pour le budget des ménages : la rentrée scolaire et le mois de ramadan. « Je n’arrive même plus à nourrir ma famille, il vaut encore mieux mourir que vivre comme cela », se lamente un ouvrier, bruyamment approuvé par ses camarades.

Pour tenter de casser le mouvement, qui coûterait 10 millions de livres par jour, la direction a décrété une semaine de congés, ce qui rend illégale l’occupation de l’usine et laisse planer, à tout instant, la menace d’une intervention policière. Pas suffisant pour décourager les grévistes, qui ont aménagé des tentes de fortune dans l’enceinte de l’immense complexe pour y passer la nuit. « On nous a promis 150 jours de primes, nous voulons seulement faire respecter nos droits », explique Mohamed el-Attar, qui a été arrêté pendant quelques heures par la police mardi dernier. « Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout », affirme-t-il. Pour que le message soir clair, les grévistes ont pendu à la grille d’entrée un mannequin représentant le PDG de la société, dont la démission a été ajoutée aux revendications, et affiché sur un mur une affiche proclamant : « Vous entrez en territoire libre ! »

L’embarras du pouvoir

Libre, mais pas rebelle, rétorquent les grévistes au gouvernement, qui les accuse d’être manipulés par des « courants religieux extrémistes ». Comprendre le mouvement interdit, mais toléré, des Frères musulmans, que les autorités soupçonnent d’être derrière la vague de grèves sans précédent qui secoue le pays depuis un an, ce dont doutent les spécialistes. « Il n’y a pas de lien évident entre la confrérie et les grévistes », assure le politologue Amr Choubaki, qui précise qu’en certaines circonstances, les islamistes ont même plutôt joué un rôle d’apaisement.

« Les Frères musulmans n’ont rien à voir avec notre grève. Nous ne laisserons pas politiser nos revendications », s’énerve Hassan Seddiq, qui touche 600 livres par mois en tant que chef de secteur, avec trente-huit ans d’ancienneté. Une grande banderole appelle à l’aide le président Hosni Moubarak, ajoutant à l’embarras du pouvoir face à ce mouvement qui fait écho aux préoccupations salariales d’une grande majorité d’Égyptiens.

D’ordinaire peu enclin à laisser bafouer son autorité - opposants, juges ou journalistes frondeurs en ont fait l’amère expérience ces derniers mois, - le gouvernement hésite, alternant carotte - versement de 120 jours de primes et sanctions contre la direction - et bâton - menaces d’intervention policière. D’autant que le mouvement pourrait rapidement faire tache d’huile, d’autres usines de textile du delta du Nil ayant envisagé de se mettre à leur tour en grève par solidarité. La menace est prise au sérieux par le pouvoir, qui n’a pas oublié que la seule explosion de colère populaire de l’Égypte contemporaine - les émeutes de 1977 - avait été provoquée par l’augmentation du prix du pain, aliment essentiel pour les Égyptiens les plus pauvres. Un scénario que le régime craint de voir se renouveler. Les grévistes de Mahala entendent bien en profiter.

En Egypte, les ouvriers du coton défient l’Etat Social. La grève de 27 000 employés de la plus grande usine textile du pays inquiète le gouvernement. Par Claude Guibal Des balles de coton éventrées attendent près des machines à l’arrêt. Les portes de fer des ateliers ont été fermées. A l’extérieur, des bâtons tapés contre des bidons rythment, lancinants, l’attente des 27 000 ouvriers de l’usine textile Ghazl el-Mahala. Assis sous les arbres de l’esplanade centrale de l’usine, ils font circuler les journaux, presque incrédules de voir leur combat à la une de toute la presse nationale. L’hiver dernier, furieux de ne pas avoir touché les primes promises par l’Etat en raison des bénéfices dégagés par l’entreprise, les employés de cette gigantesque usine du delta du Nil avaient une première fois déposé les outils. Une grève massive qui a ouvert la voie à une vague sans précédent de contestation à travers le pays. A leur tour, d’autres usines ont emboîté le pas, suivies par les cheminots, les postiers… Ici des plaintes contre les salaires misérables ou les conditions de travail précaires, là des inquiétudes devant d’éventuelles privatisations prévues dans le cadre de la réforme libérale menée par le Premier ministre Ahmed Nazif. Un mouvement de colère inédit dans un pays où la contestation politique se limite d’ordinaire à une petite élite urbaine, alors que la majorité de la population reste silencieuse et résignée. Mobilisant des dizaines de milliers de travailleurs, l’ampleur de la grogne sociale a pris de court le gouvernement, qui marche sur des œufs, cherchant à éviter un violent conflit frontal avec les ouvriers tout en faisant taire leur rébellion. Car l’Etat n’a aucun doute : derrière la colère ouvrière, il voit la main des Frères musulmans, première force d’opposition. « Ni les Frères ni les socialistes ne sont derrière nous. Nous ne voulons pas politiser notre grève », tranche Mohamed el-Attar, un des porte-parole des ouvriers de Ghazl el-Mahala, qui rappelle qu’un accord avait été négocié cet hiver, mais qu’il n’a pas été respecté, d’où la reprise de la grève. Les ouvriers le savent : un dérapage politique signerait la fin de leur combat, les exposant à une répression cinglante dans un contexte marqué par la mise au pas de toute l’opposition. Dirigeants des Frères musulmans jugés devant un tribunal militaire, arrestations, peines de prison prononcées contre des journalistes : l’Egypte assiste ces jours-ci à une sévère reprise en main du pays. Moral. « Tout ce que nous voulons, mon Dieu, c’est manger , intervient, en larmes, un homme à la barbe fournie, nous sommes au milieu de Ramadan, et je ne peux déjà plus acheter à manger. Je travaillerais vingt-cinq heures sur vingt-quatre si ça me garantissait du pain, mais même ça, c’est impossible ! » Au terme des négociations, l’Etat avait accepté de verser 150 jours de salaire supplémentaires aux ouvriers à la fin du mois d’août. Mais, suspectant un détournement de fonds à la tête de l’usine, la Cour des comptes refuse de ratifier le budget qui autoriserait le versement des primes. De quoi briser le moral des ouvriers, pour qui ces primes étaient devenues essentielles en ce début de Ramadan cumulé à la rentrée scolaire. « Nous n’avons pas à payer pour les voleurs de l’administration », hurle un autre homme. « Comment vivre ? Je ne gagne que 88 piastres [0,11 euro, ndlr] de l’heure ! » A ce tarif, il faut travailler quatre heures pour s’acheter un kilo de tomates, cinq jours pour un kilo de viande. Yasser Mohamed n’en peut plus. Cela fait dix-sept ans qu’il travaille ici. Aux trois-huit, il gagne 45 euros par mois. Il ne lâchera pas prise tant que les revendications ne seront pas satisfaites. Outre leurs primes, les ouvriers demandent le limogeage de leur patron, nommé par l’Etat, et - plus sensible encore - la mise en place de syndicats indépendants. Le représentant du syndical officiel, contrôlé par l’Etat, venu demander à ses collègues de stopper la grève, est à l’hôpital, après avoir été passé à tabac par les ouvriers en colère. « Le syndicat est aux ordres, nous voulons élire nos vrais représentants », expliquent-ils. Les ouvriers s’attendent à ce que la confrontation dure, d’autant que, par solidarité, d’autres usines ont débrayé. Tous les jours, ils craignent l’intervention de la police : depuis le début de la grève, la direction a décrété des jours de congés, ce qui rend illégale leur présence à l’intérieur de l’usine. Leurs familles sont venues les rejoindre. Car quand l’usine tousse, c’est tout Mahala el-Kubra qui a la grippe. Les ateliers textiles sont la fierté de la ville. Fondée en 1926 par Talaat Harb, le père de l’industrie égyptienne, l’usine Ghazl el-Mahala est un symbole, la plus importante du pays, la plus ancienne au Proche-Orient. Produisant vêtements et linge de maison, elle exporte sa production vers l’Europe et les Etats-Unis. C’est une des rares entreprises d’Etat en bonne santé. Chaque jour de grève lui coûterait près de 1,3 million d’euros, affirme l’Etat. « Si on dégage autant de bénéfices, alors où va l’argent ? », interrogent les salariés. Battant en brèche les accusations de malversations, le PDG réfute les chiffres avancés par les employés. Les ministres de l’Investissement et de la Main-d’œuvre, au cœur du problème, se renvoient la « patate chaude » ouvrière. Parti. Au sommet de l’Etat, on surveille avec une inquiétude grandissante. « Nous, on veut juste toucher nos primes. On n’a rien contre Hosni Moubarak, au contraire. Ici, nous sommes plus de 90 % à être membres du parti », assurent les ouvriers en sortant leurs cartes du Parti national démocrate, au pouvoir. Et de montrer le petit panneau commémorant la dernière visite du raïs, il y a une dizaine d’années : « Il faut qu’il nous entende. » Au risque de voir sinon tout le reste du pays se mettre à crier.

jeudi 27 mars 2008

Des dizaines de blessés et quelques morts…

Tel fut le bilan d’une semaine de bataille devant les boulangeries. La pénurie est de plus en plus grave et les gens sont prêts à se sacrifier pour une galette de pain

Perrine, habitante du quartier d’Abdeen au Caire depuis 4 mois, se réveille contrainte et forcée tous les jours vers six heures, quand le réveil sonne. Son "réveil" n’est autre que les clients qui font la queue devant le four à pain "baladi" (pain subventionné par l’Etat) en bas de chez elle dès le lever du soleil. Des files d’attente composées de dizaines d’hommes et de femmes qui se bousculent et râlent pour que personne ne prenne leur tour. Cette boulangerie, et les autres fours à pain soutenus par l’Etat, étaient beaucoup moins fréquentés il y a quelques mois. Vu la qualité très basse du pain de la plupart de ces fours, leur clientèle était composée de restaurants, de consommateurs très pauvres et de femmes qui achètent ce pain pour nourrir les poules qu’elles élèvent sur leurs toits. La classe moyenne consommant plutôt du pain non subventionné, de bonne qualité, qui coûtait 15 à 25 piastres, soit 3 à 5 fois plus cher. La galette subventionnée pèse 130g et coûte 5 piastres.

Mais tout a changé ces derniers mois. Le prix de la farine a doublé, sinon triplé en quelques semaines, à cause de l’augmentation mondiale. Son prix, entraînant une hausse identique sur le prix du pain non subventionné, représente un fardeau sur les budgets déjà serrés des foyers. La famille d’Ayman (étudiant à la faculté d’ingénierie), qui comprend 4 fils et leurs parents, consacre aujourd’hui 15 LE (1 Euro = 8,5 LE) par jour pour le pain, soit par mois 15% du revenu mensuel de sa famille. Un luxe dont tout le monde ne dispose pas, la plupart des foyers en Egypte vivant avec moins de 600 LE par mois. A Mounira, un quartier de classe moyenne au centre ville, les files devant les boulangeries sont aussi longues. Les gens font la queue pendant des heures pour avoir 20 galettes car les fours refusent de leur en donner plus. Sur un trottoir pas loin du four se met un vendeur de pain non subventionné, devant ses petites galettes en attendant les acheteurs. Une attente dont le résultat n’est pas sûr. "Avant quand le pain était meilleur en qualité et plus grand en taille, j’en vendais beaucoup plus. Mais les clients sont de moins en moins nombreux aujourd’hui parce que la galette est devenue moins bonne et moins grande du fait de la hausse du prix de la farine", déplore-t-il. La vendeuse de journaux qui se met à coté de lui n’a pas les moyens d’acheter son pain et envoie ses fils faire la queue devant les fours baladi.

Les économistes et les analystes mettent le gouvernement en garde contre un scénario "d’émeutes du pain", semblables à celles de janvier 1977. Pour mémoire, le gouvernement voulait réduire la subvention sur la farine, provoquant d’immenses manifestations. Face à cette révolte populaire que Sadate a appelée "l’Intifada des voleurs", le gouvernement, après avoir échoué à la réprimer, faisant au moins 70 morts, retira sa décision et rétablit la subvention, devenue désormais un problème empoisonnant les gouvernements successifs.

Moaaz ZOGAIMY (www.lepetitjournal.com – Le Caire) jeudi 27 mars 2008

7 avril 2008
Depuis tôt ce matin, le centre-ville du Caire comme les principales places de la ville sont investies par des forces spéciales de sécurité, des unités anti-émeutes et des agents en civil. Dans d’autres villes comme Alexandrie et Algharbia, les habitants sont témoins d’un important déploiement de forces de sécurité dans les artères principales et les grandes places.
La ville de Mahalla el Koubra a connu les plus grandes manifestations d’aujourd’hui.
Près de deux cents militants ont déjà été arrêtés à un moment ou un autre dans une province ou un autre. Des ouvriers font grève en solidarité avec les revendications des grévistes de l’entreprise de filature et de tissage Ghazl El-Mahalla. Leur revendication centrale est l’indexation des salaires sur le taux d’inflation. Elle ne concerne pas que les ouvriers de Ghazl El-Mahalla mais toute la classe ouvrière égyptienne.
La grève des ouvriers de Ghazl El-Mahalla s’est transformée en une immense manifestation dans toute la ville de Mahalla el Koubra. Les pauvres, les paysans et les ouvriers s’y sont joints. Près de 30.000 citoyens ont scandé des slogans contre la hausse des prix, les monopoles, le néo-libéralisme et les forces du marché.
Les forces centrales de sécurité égyptiennes ont attaqué à coups de grenades lacrymogènes, de balles en caoutchouc faisant des centaines de blessés dans les rangs des manifestants. Elles ont arrêté et détiennent toujours des manifestants blessés ou non.
Les nouvelles de Mahalla el Koubra font état d’au moins deux morts, une petite fille de neuf an et un homme de vingt ans.
Les « forces noires », une branche des forces de sécurité, ont incendié des magasins, des bâtiments publics, des trains et voitures pour fabriquer des charges contre les manifestants et les ouvriers arrêtés. Ils veulent resserrer le contrôle de la police et de l’Etat sur la classe ouvrière et contenir la montée de la protestation sociale en Egypte, très importante dans les cinq dernières années.

Le journal Al Ahram :

Avril 2008
Ville sous haute surveillance
Sur l’autoroute tout près de Mahalla, la file de véhicules ralentit brusquement. Des barrages de sécurité sont installés ici et là à l’entrée de la ville. A hauteur des barrages, des policiers surgissent, arrêtent les véhicules et les fouillent systématiquement du regard. De la main, ils font signe à certains véhicules de se ranger sur le bord de la route pour un contrôle plus strict. En ce dimanche 13 avril, Mahalla a tout l’air d’une caserne fortifiée. Dès qu’on traverse les barrages pour s’engouffrer à l’intérieur de cette cité industrielle de 2 millions d’habitants, le dispositif de sécurité retient immédiatement l’attention. Les policiers sont déployés dans les grandes artères et autour des grandes places. Après les événements qui ont secoué la ville les 6 et 7 avril où des affrontements ont eu lieu entre manifestants et forces de l’ordre, le calme est revenu à Mahalla. Et la vie a repris son cours normal. Mais l’amertume est toujours de mise. Les visages sont las et fatigués. « Nous, les Mahallaouis, ne sommes pas violents. Personne ne sait ce qui s’est passé la semaine dernière. Nous avons même été surpris par le cours des événements », lance Hag Mohamad, propriétaire d’un magasin situé face à l’une des écoles incendiées lors des affrontements. Hag Mohamad revient sur les événements. « Il y a eu un appel à la grève. Déjà, un mois avant les faits, nous avions reçu des tracts nous incitant à la grève. Nous pensions que cette grève serait déclenchée à partir de l’usine de textile. Le 6 avril, tout était calme jusqu’à 15h. Soudain, il y a eu un rassemblement de citoyens. Ils n’étaient pas les ouvriers. Certains d’entre eux étaient des jeunes chômeurs de notre quartier, les autres nous ne les connaissons pas. Lorsqu’ils sont arrivés à la place Al-Chone, la sécurité les a interceptés. Les choses ont dégénéré et les manifestants ont mis le feu aux voitures et aux écoles ».
Les affrontements ont fait un mort et plusieurs centaines de blessés. Les services de sécurité ont arrêté 631 personnes. Une partie d’entre elles a été déférée devant le parquet, accusée d’incitation aux troubles, une autre partie a été placée en détention provisoire. Certains de ces suspects ont été blessés durant les affrontements et ont été transférés à l’hôpital de Tanta où ils sont sous haute surveillance.
Dès leur arrivée dans la ville, les appareils de sécurité ont pris des mesures draconiennes. 25 universitaires qui voulaient se rendre dans la ville pour manifester leur solidarité aux personnes blessées dans les récents heurts ont été arrêtés. Et un match de l’équipe locale de Ghazl Al-Mahalla contre l’équipe de Haras Al-Hodoud en championnat de première division qui devait se jouer sur le terrain de la première a été transféré à Tanta sans que le public ne soit averti.
Ancien centre de rayonnement à l’époque des pharaons, Mahalla était jusqu’à la conquête arabe un centre pour la fabrication des vêtements et des tissus. Aujourd’hui encore, la ville est considérée comme le bastion de l’industrie du textile. C’est pour cette raison qu’on y trouve des activités liées au prêt-à-porter. On y trouve aussi des usines pour la fabrication des huiles et du savon. Au cours des dernières années, cette industrie du textile a gravement été affectée en raison de la politique d’ouverture économique et la vente du secteur public ainsi que le recul du coton égyptien qui a perdu sa place de choix sur les marchés mondiaux. En l’absence de tout investissement étranger, la ville connaît un taux de chômage largement supérieur à la moyenne nationale et un taux de criminalité particulièrement élevé. Craignant la grogne ouvrière, l’Etat a systématiquement œuvré en vue d’écarter les influents leaders ouvriers des usines de textile et de resserrer l’étau autour des mouvements syndicaux. C’est dans ce contexte que se situent les récents événements : avec une industrie en perte de vitesse, un chômage élevé et des conditions de vie de plus en plus difficiles, l’inévitable devait se produire.
Mahalla renferme 8 grandes usines de textile toutes dépendant de la compagnie de tissage et de filature de Mahalla Al-Kobra.
Pour accéder à l’une de ses usines, appelée Mahalla 2, il faut passer par un fort dispositif de sécurité. Des agents de sécurité en civil sillonnent les lieux. A l’intérieur, le travail se déroule normalement. Les ouvriers qui n’ont pas participé à la grève du 6 avril racontent ce qui s’est passé. « Ce jour-là, le 6 avril, dès 8h, nous avons reçu la visite d’une poignée de directeurs. Ils se sont relayés à nous faire des discours pour nous dire qu’il ne fallait pas participer à la grève », note Ayoub Abdel-Ghani, jeune ouvrier de l’usine. Après les événements des 6 et 7 avril, le premier ministre Ahmad Nazif s’est rendu à Mahalla pour rencontrer les ouvriers. Le chef du gouvernement les a félicités de ne pas avoir pris part à la grève et a décidé de leur accorder un mois de salaire aux ouvriers de filature et 15 jours de prime aux ouvriers du tissage. Nazif a d’autre part promis d’injecter 450 millions de L.E. de nouveaux investissements dans la Compagnie de tissage et filature. Mais les ouvriers qui se plaignent de la détérioration de leurs conditions de vie et qui avaient déjà conduit une grève de quatre jours en septembre dernier en guise de protestation ne semblent pas convaincus. « Après le départ du premier ministre, la direction nous a dit que certaines denrées alimentaires seraient fournies aux ouvriers à des prix réduits au sein de l’usine. Mais ce ne sont là que des calmants administrés par le gouvernement. Nous voulons une véritable amélioration de notre niveau de vie », assure Ibrahim Métoualli, technicien âgé de 42 ans.
Le salaire moyen d’un ouvrier en début de carrière est de 230 L.E. tandis que pour un ouvrier en fin de carrière, ce salaire ne dépasse pas les 1 000 L.E. De plus, les services dont bénéficient les ouvriers sont médiocres, notamment en matière de logement, de santé et de transport. Les propos d’Ahmad Nazif ont été perçus par certains comme un message clair aux ouvriers que s’ils restent calmes, ils pourront obtenir des gains et que seul le gouvernement peut résoudre leurs problèmes. Mais même s’ils n’ont pas répondu à l’appel à la grève du 6 avril, les ouvriers envisagent une nouvelle action si leurs conditions ne s’améliorent pas. « Nous avons entendu dire qu’il y aura une nouvelle hausse des prix au mois d’octobre », lance Saïd Al-Charqawi, qui travaille à l’usine depuis 45 ans. Et de conclure : « Si nos conditions ne s’améliorent pas, nous ferons un nouveau sit-in ». Il fait allusion au dernier sit-in en date organisé par les ouvriers de Mahalla en décembre 2007 et qui a duré sept jours.

ÉGYPTE:La révolte ouvrière
11. mars 2008 - 14:54 — éditeur e-joussour
en-tête :

par Marwa Hussein

Les 27’000 ouvriers de l’entreprise de filature et tissage Ghazl
Al-Mahalla sont entrés en grève afin d’obtenir la part qui leur est due
dans les profits annuels de l’entreprise, la plus grande du secteur du
textile. Cette grève fait suite à des mouvements qui ont éclaté fin
2006 et début 2007 (occupation de l’usine textile de Kafr El-Dawwar :

11’700 travailleurs, en janvier 2007) et qui voient une nouvelle génération de travailleurs mettre en cause aussi bien les appareils syndicaux intégrés à l’appareil d’Etat que, de fait, le régime de Moubarak. Ces grèves ont obtenu un certain succès, ce qui a renforcé la confiance des salarié·e·s. Les grèves actuelles s’inscrivent dans cette lignée.

L’inflation, le baisse des salaires et la mise question d’un « état social » fantomatique suscite une brutale accentuation de la paupérisation. Selon le gouvernement, il y a dans cette politique économique les conditions pour accroître les investissements étrangers. (Réd.)

Il est midi. Le lundi 24 septembre, les 27’000 ouvriers de Ghazl Al-Mahalla [usine textile située à Mahal el-Kubra dont les ouvriers avaient déjà mené une grève victorieuse contre la privatisation en décembre 2006] sont à leur deuxième jour de grève. Regroupés sur la place Talaat Harb au sein de l’entreprise, des dizaines s’approchent de nous à notre entrée. Ils s’expliquent. Ce ne sont pas uniquement les revendications salariales, mais aussi le sort de leurs camarades arrêtés. « La libération des 5 collègues détenus par la police est devenue notre demande prioritaire », lance un ouvrier. « Aucun de nous ne va regagner sa maison avant la libération de nos collègues », lance un autre. [voir encadré ci-desous : Les 8 revendications des ouvriers]

Le Parquet venait de décider la détention provisoire de 5 de leurs collègues pour 4 jours. Il les a accusés d’inciter à la grève, causant ainsi à l’entreprise des pertes estimées à 10 millions de L.E. (livre egyptienne : 100 livres équivaut à 21 CHF, officiellement] , comme le signale la direction de l’entreprise qui a saisi le Parquet de la plainte. Une décision qui a enflammé la situation déjà tendue.

Cette grève, qui intervient 9 mois après une précédente aussi importante, a été déclenchée à cause du retard de la paie et de leur participation aux bénéfices de l’entreprise publique. Mais cette fois-ci, les revendications des ouvriers ont augmenté d’un cran et ne se limitent plus à récupérer des droits salariaux. Ils ont revendiqué également la démission du comité syndical et du PDG de l’entreprise.

Aïcha Abdel-Hadi, la ministre de la Main-d’œuvre, et Mahmoud Mohieddine, le ministre de l’Investissement, avaient promis aux ouvriers de leur payer en bénéfices annuels l’équivalent de 150 jours de salaire, une somme sur laquelle la direction s’est livrée à beaucoup de manœuvres, selon les ouvriers, et a refusé de confirmer. Et jusqu’à présent, ils n’ont reçu que l’équivalent de 20 jours. La veille de la grève, pour les calmer, l’administration leur avait proposé de leur payer davantage : l’équivalent de 40 jours, pour que les ouvriers acceptent de remettre sine die le paiement du reste de la « prime » promise. Une proposition qui a été aussitôt réfusée.

Mohsen Al-Gilani, président de la société holding dont dépend l’entreprise se défend : « L’assemblée générale ne s’est pas encore réunie pour approuver la part des ouvriers dans les profits. Elle attend le rapport de l’Organisme central des comptes concernant le bilan de l’entreprise », a-t-il expliqué Al-Ahram.

Mais ces déclarations ne convainquent pas les ouvriers. Ces derniers veulent toucher leur argent tout de suite. « Quand l’administration nous inflige des coupes de salaire pour un jour d’absence, même s’il s’agit d’un vendredi, week-end payé selon la loi, elle n’attend pas le rapport de l’Organisme des comptes », ironise un ouvrier.

A deux semaines du petit Baïram [fête à la fin du mois du Ramadan] et quelques jours après la rentrée scolaire, les ouvriers – qui touchent chaque mois des salaires variant entre 250 et 500 L.E. – passent par les moments les plus difficiles. Plusieurs enfants accompagnent leurs mères en grève, car ils ont été renvoyés des écoles, n’ayant pas pu payer les frais scolaires. D’autres écoles ont refusé de délivrer aux élèves les manuels scolaires.

« L’administration calcule nos salaires au millième près », s’insurge une des ouvrières en nous montrant sa fiche de paie. Après 23 années de travail, son salaire mensuel est à peine de 225 L.E. Et ce, au moment où les loyers des appartements à Mahalla ont atteint en moyenne 300 L.E. par mois.

La hausse des loyers a incité les ouvriers à demander une allocation de logement. « Les hauts fonctionnaires bénéficient d’un logement de fonction au loyer de 5 L.E., alors que nous devons payer des centaines des livres », s’exclame un ouvrier.

Jusqu’à la fin de la journée, le bras de fer est resté engagé entre les ouvriers d’une part et l’administration de l’autre. Le gouvernement ? Il fait, lui, la sourde oreille pour l’instant. C’est en fait la deuxième grève en moins d’un an. La grève de décembre 2006 avait entraîné une vague de protestations ouvrières, considérée comme la plus importante en douze ans. La raison du déclenchement de la grève était la même, recevoir une part des bénéfices annuels et s’opposer à la privatisation. A l’époque, ils avaient réussi à obtenir l’équivalent de 45 jours de salaire pour 6 mois de travail ainsi qu’une prime équivalente à 20 jours de salaire que le gouvernement leur avait octroyée pour les calmer. Mais cette fois-ci, la réaction du gouvernement semble être différente. Les deux ministres en charge du dossier, celle de la Main-d’œuvre et celui de l’Investissement, n’ont pas encore réagi. Le PDG de l’entreprise, lui aussi, ne s’est pas manifesté.

Le PDG du holding Mohsen Al-Gilani non plus. Mais il s’est montré très agressif au bout du fil. « Les revendications sont refusées. Elles sont toutes illégales et illogiques. Et je ne vais pas visiter l’entreprise. Tout ce que je peux affirmer, c’est que leur part des profits ne sera pas inférieure à celle de l’année dernière, soit l’équivalent de 120 jours de salaires », nous a-t-il déclaré.

D’autre part, les ouvriers de Kafr Al-Dawar ont organisé une grève en solidarité avec ceux de Mahalla. Au Caire, un nombre important d’ouvriers des minoteries du sud du Caire ont entamé un court sit-in. Ils ont de même lancé un communiqué soutenant les revendications de leurs collègues qu’ils ont qualifiées de légitimes, surtout la fixation par le gouvernement d’un salaire minimum qui soit en harmonie avec les prix actuels. Une demande qui, dernièrement, se répète souvent. Les salaires des ouvriers des minoteries du Caire sont aussi faibles que ceux de leurs homologues à Mahalla.

Les 8 revendications des ouvriers

1.- Recevoir l’équivalent de 150 L.E. du salaire de base en profits annuels.

2.- Retirer confiance du comité syndical ainsi que du PDG de l’entreprise.

3.- Inclure les primes dans le salaire de base comme pourcentage fixe non lié à la production.

4.- Augmenter les primes pour la nourriture.

5.- Allouer une prime pour le logement.

6.- Fixation d’un salaire minimum conformément aux prix actuels.

7.- Fournir un moyen de transport pour les ouvriers qui habitent loin de l’entreprise.

8.- Améliorer les services médicaux

* Marwa Hussein travaille pour l’Hebdomadaire Al-Ahram

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