dimanche 26 juillet 2015, par
La révolte des paysans (éleveurs, producteurs de fruits et légumes ou de lait notamment) qui les a amenés à se mobiliser pour bloquer les routes, a souligné un fait qui n’était pas connu du grand public : ils travaillent à perte. Cela signifie qu’il ne leur suffit pas de vendre leur production pour s’en sortir puisqu’on leur achète celle-ci en dessous des coûts de fabrication !!! D’où la nécessité vitale des aides étatiques et européennes pour s’en sortir, avec sans cesse la menace de la faillite comme épée de Damoclès suspendue sur leurs têtes. Du coup, même s’ils ont une exploitation conséquente, qui fonctionne bien, avec de nombreux acheteurs, c’est sans cesse la crainte de la ruine qui pèse sur eux.
Ce qui frappe dans ce conflit paysan, c’est la distance entre ce qu’expliquent les paysans interviewés et le discours des gouvernants, des hommes politiques et des média. En effet, les paysans, eux, ne sollicitent pas des aides et les gouvernants ne leur parlent que d’aides. Inversement, les paysans incriminent les industriels de l’agro-alimentaire, les grandes surfaces et les capitalistes de la distribution qui ramassent l’essentiel des profits réalisés dans ces filières en vendant à des prix qui n’ont rien à voir avec les prix payés aux paysans.
Ce sont les capitalistes qui pompent les profits réalisés et ce sont eux qui sont toujours réellement protégés par l’Etat, ce qui explique que les gouvernants et commentateurs politiques se refusent à mettre en avant le caractère réel du conflit : une lutte contre les capitalistes de l’agriculture, de la transformation et de la distribution de produits agricoles.
Bien sûr, tous les Hollande comme tous les Valls ou tous les Sarkozy ou encore Le Pen ont toujours prétendu que l’agriculture était victime des producteurs agricoles étrangers, européens notamment, et non des capitalistes français. C’est tellement plus facile de semer la xénophobie et de faire croire que l’ennemi serait extérieur, qu’il faudrait cultiver le slogan « achetons français » ou « consommons français », comme vient encore de le faire Hollande, exactement sur la même longueur d’onde sur ce thème que Sarkozy ou Le Pen.
Cependant, cela ne correspond à aucune réalité. Les grandes surfaces proposent largement des « produits français » et la population en consomme aussi massivement dans le domaine des produits agricoles. Ce n’est nullement là que réside le problème des paysans. D’autant moins que ce problème n’est pas un manque d’acheteurs ni une baisse des ventes mais le fait que les paysans vendent à perte. Ils n’ont cessé de le répéter devant des gouvernants volontairement sourds : ils ont un problème de prix et pas un problème d’acheteurs et de quantités vendues. Et ce problème de prix n’a rien d’innocent : c’est un problème avec les capitalistes qui détournent l’essentiel des plus-values réalisées sur le dos des clients.
Ce n’est certainement pas sur l’Etat bourgeois qu’il faut compter pour combattre les intérêts de la bourgeoisie, que ce soit celle de l’agriculture ou celle de l’industrie. Qu’il s’agisse des paysans ou des salariés, il faudrait cesser de croire que, normalement, l’Etat serait au service de l’ensemble de la population, ce qui est exactement le contraire de la vérité, quels que soient les gouvernants, gauche, droite ou extrême droite aux affaires ce qui n’y change rien.
Les Hollande comme les Sarkozy ou les Le Pen ont toujours prétendu que les agriculteurs devaient s’entendre avec les capitalistes, comme ils ont toujours soutenu le syndicat FNSEA dirigé par les gros paysans et certains paysans capitalistes. Or ce conflit démontre justement le contraire : c’est l’agro-industrie qui tue l’agriculteur. Ce n’est pas l’activité qui décline. Ce n’est pas les acheteurs qui baissent. Ce ne sont pas les prix de consommation qui baissent (même si on nous rebat les oreilles sur la soi-disant désinflation). Ce qui baisse, c’est le prix d’achat aux paysans des grandes surfaces et des industriels.
Les gouvernants capitalistes, de toutes couleurs politiques, font comme si c’était naturellement que l’activité agricole n’était plus rentable et qu’il fallait aider les paysans avec des soutiens financiers, qu’ils soient nationaux ou européens. Faire passer les paysans pour des assistés est leur objectif et ils en profitent pour aider directement les capitalistes de la terre, les plus gros paysans en distribuant des aides proportionnées à l’activité, se gardant bien de déterminer et d’imposer un revenu minimum paysan et des prix minima des produits agricoles qui seraient imposés aux industriels de l’agriculture.
Tout cela pour cacher que le pouvoir aide ainsi la bourgeoisie capitaliste et non les paysans. Car l’activité agricole profite à toute la bourgeoisie et pas aux paysans moyens ou petits et les aides, si elles permettent à une fraction des paysans de continuer à travailler aux limites de la misère, permettent surtout aux industriels d’imposer des prix marges scandaleuses réalisées entre la production et la distribution/vente. Quant aux dettes des paysans, elles profitent d’abord aux banquiers et autres capitalistes de la finance.
Oui, la question des paysans pose une question de classe ! Celle de la classe capitaliste qui ponctionne l’immense majorité de la population.
Cela pose la question d’une alliance entre travailleurs des villes et des champs. La faucille et le marteau, l’union de salariés et des paysans, est toujours autant d’actualité pour lutter contre le grand capital !
Car, si on laisse les petits paysans s’unir plutôt aux gros paysans, comme le souhaite la FNSEA et le gouvernement, si on laisse les petits artisans s’unir plutôt aux gros patrons, si on laisse les petits pêcheurs, les petits commerçants et autres petits bourgeois s’unir au grand capital, si nous salariés, restons neutres et même opposés aux mouvements de la petite bourgeoisie au lieu de mettre à notre programme la défense de tous ceux qui vivent de leur travail, nous serons bel et bien battus car, si la crise s’aggrave, la petite bourgeoisie sera aisément une masse de manœuvre du fascisme.
Mais, pour nous battre sur un programme concernant l’immense majorité de la population, petite bourgeoisie, jeunesse, femmes, chômeurs, sur un programme de transformation fondamentale de la société, il faut cesser de suivre les méthodes revendicatives purement catégorielles auxquelles nous engagent les centrales syndicales. Il faut nous organiser nous-mêmes en comités interprofessionnels de travailleurs et débattre ensemble d’un tel programme social pour toute la société, pour toutes les couches travailleuses, les paysans notamment.
C’est seulement ainsi que les paysans peuvent battre le grand capital car ils ne peuvent pas y arriver seuls, pas plus que nous, travailleurs, pouvons battre le capital seuls, comme nous le constatons tous les jours dans les impasses des luttes auxquelles nous convient les centrales syndicales.
Puisque le problème des paysans, c’est celui des intermédiaires, c’est-à-dire des capitalistes, puisque le problème des salariés, c’est aussi celui des capitalistes, puisque celui des salariés du public, c’est encore le fait que l’Etat est au service des capitalistes, supprimons les intermédiaires entre le producteur et le consommateur, c’est-à-dire le rôle des propriétaires de capitaux. C’est exactement cela le socialisme !
Que le capital ponctionne le travail n’est pas une nouveauté. Qu’il empêche même la production de marchandises, par contre, est un sous-produit du nouvel état du système d’exploitation capitaliste, état dans lequel la production de la plus-value elle-même est remise en cause par les capitalistes, leur tendance aveugle à n’investir que dans les domaines permettant le profit maximum devenant contradictoire avec la production de la plus-value elle-même et avec toute production. C’est la première fois de l’Histoire que le fonctionnement même du capitalisme empêche toute régulation par les crises, impose même au secteur public de se mettre en faillite, et détruise aussi bien l’agriculture, l’industrie, le commerce et toute activité économique. Ce n’est pas une crise du capitalisme qui est ainsi produite mais un bout de course du système. L’avenir n’est plus à la lutte pour des améliorations au sein du système mais à celle pour fabriquer une nouvelle société fondée sur les besoins des être humains et plus sur ceux du grand capital. Mais cet avenir ne va pas se bâtir tout seul. Il nécessite notre action consciente et elle reste entravée par les limites des organisations de la classe ouvrière qui, elles, restent attachées à l’ancien système d’exploitation. L’avenir dépend donc de notre capacité à nous organiser de manière autonome !