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Edito – Les jeunes doivent-ils se battre seuls contre le patronat et le gouvernement ?

mercredi 16 mars 2016, par Robert Paris

Edito – Les jeunes doivent-ils se battre seuls contre le patronat et le gouvernement ?

« Péril jeune », « révolte des jeunes », « les jeunes vont-ils bloquer la loi El Khomri », « les jeunes étaient les premiers dans la rue », tels sont les commentaires médiatiques et politiques et cela laisse entendre que les jeunes seraient les seuls ou même les principaux concernés par cette loi et que c’est leur seule réaction que craindrait le patronat et le gouvernement. Tout est fait pour qu’on croie que les jeunes sont tout particulièrement concernés par cette loi. Et aussi pour qu’on s’imagine que c’est à eux, et surtout eux, de lutter contre elle et de faire reculer le gouvernement et le patronat.

Tout cela est évidemment faux : la loi frappe ou menace les salariés et pas seulement les jeunes. Elle a été réprouvée par la grande majorité des salariés et si on a remarqué que les jeunes étaient davantage dans la rue que les salariés lors de la journée du 9 mars, les média et les hommes politiques se sont bien gardés de remarquer que les centrales syndicales avaient fait seulement semblant de s’associer à la journée. En effet, si les syndicats avaient déposé des préavis de grève pour permettre aux salariés qui le souhaitaient de participer aux cortèges syndicaux, ils n’appelaient pas dans leurs tracts à faire grève le 9 mars et n’appelaient qu’au 31 mars. Pourquoi cette fine tactique ? Pourquoi, alors qu’une large majorité de la population approuvaient publiquement la journée d’action syndicale du 9 mars, et bien il n’y avait justement pas de vraie journée d’action ce jour-là et les centrales laissaient seuls les jeunes (avec un seul syndicat accompagnant les étudiants dans la grève : le syndicat de l’enseignement supérieur). Ni CGT, ni FO, ni SUD, ni FEN, ni SNES n’appelaient à une journée de grève le 9 mars.

Pas étonnant dans ces conditions que les jeunes aient été l’essentiel des grévistes ce jour-là et que la journée ait pu être présentée comme un échec relatif du côté des salariés ! Les centrales syndicales se sont bien gardées de rectifier l’information. Bien entendu puisque leur objectif était seulement de faire mine de s’opposer sans prendre le risque d’une convergence donnant un caractère trop explosif à cette journée. Un risque d’autant plus grand que, par hasard, cette journée avait été également choisie comme journée de grève à la SNCF et, encore séparément, à la RATP. Les syndicats se plaignaient déjà en interne de ces convergences non désirées et contre-productives pour séparer les luttes et particulariser les revendications, ce qui est leur objectif avoué. On se heurte à une offensive d’ensemble du gouvernement qui attaque tous azimuts, du public au privé, et pas seulement par la loi El Khomri mais les syndicats ne veulent surtout pas globaliser la riposte !

Pas étonnant que la journée du 9 mars n’ait pas donné un coup d’arrêt à la série de lois scélérates alors qu’un raz de marée profitant de la révolte générale aurait pu contraindre le gouvernement à reculer. Effectivement, Manuel Valls s’est contenté de satisfaire la CFDT par des petits changements à la marge qui, s’ils énervent le MEDEF, ne changent pas le fond ni le but de cette loi antisociale.

Certes, on peut se dire : les syndicats se réservent des forces pour leur journée le 31 mars mais, justement pourquoi « leur journée » n’était surtout pas la journée du 9 mars, celle des jeunes, celle à chaud, quand la population était choquée, révoltée, contre la loi El Khomri venant couronner une série de lois libérales et pro-patronales, celle où les transports étaient en grève ? Justement parce que depuis des années leur seule stratégie consiste à laisser retomber la colère, à calmer les travailleurs et c’est ainsi qu’ils entendent leur nouveau rôle de tampon social, et pas seulement pour la CFDT et la CGC mais même pour les syndicats CGT, FO, FEN ou SUD.

Loin de faire de cette convergence une force consciente, fondée sur l’affirmation que nous sommes tous en lutte contre la même politique, du privé au public, des jeunes aux plus anciens, des salariés en CDI aux précaires, etc, les dirigeants syndicaux préfèrent diviser et mener des luttes séparées.

Bien sûr, nombre de travailleurs ont cru que les syndicats avaient appelé le 9 mars et que la réponse avait été modeste mais ils se trompent. Aucun tract syndical n’appelait en fait à faire grève le 9 mars. Ils laissaient seulement l’impression de l’avoir fait pour faire croire qu’ils s’associaient et se contentaient d’envoyer leurs militants dans la rue aux manifestations. Le préavis des syndicats le 9 mars n’était pas seulement fait pour couvrir les manifestants mais pour se couvrir eux-mêmes.

Ce faisant, ils ont empêché une convergence qui aurait pu avoir un grand avenir : celle des travailleurs, des lycéens, des étudiants et des jeunes salariés ou chômeurs, précaires ou pas. Ce n’est pas la première fois qu’ils se gardent de converger avec d’autres couches sociales. Même en 1968, rappelons que les centrales syndicales luttaient d’abord et avant tout contre une chose : la convergence entre la jeunesse et les travailleurs !

En effet, bien des média rappellent les occasions où ils prétendent que la jeunesse, seule, aurait fait reculer le pouvoir comme en 1968 ou encore en 2006 avec le CPE qui avait été abandonné. Mais à chaque fois, le pouvoir, le gouvernement et les classes dirigeantes avaient craint la jonction de la jeunesse avec la classe ouvrière. Et, curieusement, les dirigeants syndicaux l’avaient craint tout autant !

Mais il n’y a pas que la jeunesse qui soit déstabilisée par l’effondrement du capitalisme initié en 2007. Toutes les couches sociales intermédiaires craignent pour leur avenir. Il est vital que la classe ouvrière devienne une perspective pour les petits paysans, les artisans, les professions libérales, les pêcheurs, qu’elle les entraîne contre la classe capitaliste, contre les banquiers, contre les financiers. Il est vital pour l’avenir que la classe ouvrière leur apparaisse comme une alliée. Or, jusqu’à présent, à chaque fois que ces couches se sont mobilisées, les syndicats ont tout fait pour éviter une jonction dans la lutte quand ils ne se sont pas mobilisés contre elles comme en Bretagne face au mouvement des bonnets rouges !

Tous les mouvements de salariés sont présentés par les centrales syndicales comme corporatistes, défendant un avantage acquis d’une catégorie de salariés, c’est-à-dire présentés comme nullement généralisables – voire récemment le mouvement SNCF ou le mouvement RATP qui sont isolés l’un de l’autre – et jamais les syndicats ne veulent permettre aux travailleurs d’exprimer à chaud leur colère et de s’unir.

Ce n’est pas seulement la colère face à l’annonce de la loi El Khomri et l’union avec la jeunesse que les centrales syndicales ont refusé d’exprimer à chaud. C’est aussi la colère face aux peines de prison des Goodyear ou à l’arrestation des Air France. Tout comme, dans le passé, les syndicats avaient refusé d’unir les salariés face aux attaques à PSA et dans l’Automobile, ou d’unir les travailleurs de Radio France, ceux de l’Hôpital public, ceux de l’AFP, ceux de la SNCF et ceux de France Television qui subissent exactement la même offensive gouvernementale et se battent séparément.

Il est vital que la jeunesse comme la classe ouvrière n’attendent rien de la société capitaliste, mais il est vital aussi qu’on ne parvienne pas à opposer « jeunes » et « vieux », en faisant croire que ce seraient les « privilèges » défendus par les plus âgés qui casseraient l’avenir des jeunes alors qu’il est clair que ce sont les privilèges bien réels des financiers, des banquiers et des capitalistes qui sont les vrais responsables.

L’avenir de la société dépend de manière cruciale de la capacité des travailleurs de déborder ce carcan des dirigeants syndicaux et de se diriger eux-mêmes, à la fois en dépassant le cadre corporatiste et en apparaissant pour toutes les couches menacées par la crise capitaliste comme une perspective sociale d’avenir.

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