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Histoire des Roms de Roumanie : Sept siècles d’oppression

vendredi 22 juillet 2016, par Robert Paris

Histoire des Roms de Roumanie : Sept siècles d’oppression

auteur : Pascal - source : le site Initiative communiste ouvrière

Les fichages de Roms en France comme en Italie rappellent des périodes les plus sombres de l’histoire en particulier de ce peuple, victime, en Roumanie comme dans de nombreux autres pays d’Europe (comme les stérilisations forcées), d’oppression, de discriminations et même de génocide. Ce texte, écrit fin 2002, permet de revenir sur l’histoire des Roms en Roumanie.

L’esclavage en Valachie et Moldavie [1]

Partis d’Inde entre l’an 800 et 950, on estime que les Roms [2] arrivent dans le sud-est de l’Europe dans le dernier quart du 13ème siècle. Arrivés comme des hommes libres dans la principauté de Valachie, ils apportent avec eux des savoirs-faire artisanaux (en particulier dans le travail du fer) d’Inde et de l’Europe byzantine. Cette venue de travailleurs qualifiés est alors une bénédiction pour les seigneurs valaches et moldaves qui ont besoin d’une force de travail. Les seigneurs féodaux, tout d’abord en dehors de toute base légale, commencent à réduire en esclavage ce peuple. Des mesures de plus en plus sévères sont alors prises par les propriétaires terriens, les seigneurs et les monastères pour obliger cette force de travail à rester sur place. Il est à noter que face à l’esclavage, des Roms ont tenté de fuir vers l’Allemagne ou la Pologne, mais, à cause de leur teint mat, on les considérait comme des « musulmans » et, face aux cruautés qu’on leur infligeait, ils sont repartis se cacher vers les montagnes des Carpates, où ils sont retombés entre les mains des esclavagistes. Les premières traces écrites de cet esclavage date du règne de Rudolf IV en 1331-1355, où les Roms sont décrits comme étant la propriété de monastères et de propriétaires terriens. Mais ce n’est que sous le règne de Basile le Loup de Moldavie (1634-1654) qu’est instituée une loi en quarante points concernant les esclaves Roms. A partir de 1500 d’ailleurs, le terme roumain tsigan devient synonyme d’esclave.

Les esclaves sont alors divisés en tsigani de ogor, esclaves des champs, et tsigani de casali, esclaves de maison, ces derniers se subdivisant en sclavi domnesti, les esclaves des nobles, sclavi curte, esclaves de la cour, sclavi monastivesti, esclaves de l’Eglise, etc… Les esclaves sont alors soumis à différents travaux, comme laboureurs, chercheurs d’or, forgerons, serviteurs, cuisiniers, montreurs d’ours ou musiciens. Il est à noter que, si certains Roms étaient utilisés comme musiciens, il était interdit à ceux qui avaient un autre travail de posséder des instruments de musique. Le passage de la Moldavie et de la Valachie sous administration turque au 16ème siècle (tout en conservant une autonomie relative), puis sous domination ottomane directe au 18ème siècle, ne change pas grand chose pour les esclaves romani.

Au 19ème, le code de Basile le Loup est oublié, si bien que de nouvelles réglementations apparaissent. Ainsi, en 1818, le code pénal de Valachie inclut les articles suivants :

 » Section 2 : les tsiganes naissent esclaves.
Section 3 : tout enfant né d’une mère esclave est esclave
Section 5 : tout propriétaire a le droit de vendre ou de donner ses esclaves
Section 6 : tout tsigane sans propriétaire est la propriété du Prince. « 

Quant au code pénal moldave de 1833, il précise :

 » Section II.154 : des mariages légaux ne peuvent avoir lieu entre des personnes libres et des esclaves.
Section II.162 : Les mariages entre esclaves ne peuvent avoir lieu sans le consentement de leurs propriétaires.
Section II.174 : Le prix d’un esclave doit être fixé par le tribunal, selon son age, sa condition et sa profession. « 

Les roms sont vendus et achetés à des foires aux esclaves, le prix, au 19ème étant généralement d’une pièce d’or par kilo, sans égard pour les liens familiaux qui unissent des Roms entre eux (malgré une loi de 1757 qui interdit de vendre les enfants séparément de leurs parents), le plus souvent » par lot « .

A ce propos, Kogalniceanu, tsiganologue roumain du 19ème siècle, écrit : « Quand j’étais jeune, je voyais dans les rues de Iassy des êtres humains aux mains et pieds enchaînés, certains même portant des anneaux de fer autour du cou et de la tête. Des peines cruelles de fouet, de privation de nourriture, d’enfumage, de maintien nus dans la neige ou dans la rivière gelée, tels étaient les traitements infligés aux Gitans. La sainteté de leurs mariages et de leurs liens familiaux n’étaient pas respectés. On arrachait la femme à son mari, la fille était séparée de force de sa mère, on arrachait les enfants des bras de leurs parents, on les séparait et on les vendait aux quatre coins de la Roumanie. Ni les hommes, ni les lois n’avaient pitié de ces malheureux êtres humains« 

Les » mariages » entre roms sont le plus souvent arrangés entre les propriétaires pour de simples questions de reproduction, un prêtre officialisant l’union avant qu’on les force à se reproduire. Si le code de Basile le Loup prévoit que « un tsigane qui viole une blanche doit être brûlé vif « , les propriétaires ne se gênent pas pour violer des esclaves, si bien qu’au 19ème siècle, le journaliste français Félix Colson note que de nombreux esclaves roms sont blonds. Pour avoir une idée des conditions de vie des esclaves de maison, on peut citer Félix Colson qui, en visite chez un baron roumain, indique dans ses mémoires que » la misère se lit tellement sur leurs corps qu’à les regarder, on risque de perdre l’appétit « . Il est à noter que si la loi n’autorisait pas un baron à tuer son esclave, cette pratique était néanmoins courante (la loi n’interdisant pas de toute façon les châtiments corporels qui pouvaient se terminer par la mort de l’esclave).

Vers la Desrrobireja (émancipation) ?

Bien souvent, l’histoire d’un peuple opprimé n’est écrite que comme la succession des oppressions qu’il subit, sans qu’il soit question de résistance. Cette façon d’écrire l’histoire, même si cela est fait dans un but progressiste, peut toutefois faire passer l’idée que les opprimés seraient » naturellement » soumis. Il est donc important de souligner que tous les Roms ne subissaient pas l’esclavage passivement. C’est ainsi que dans les Carpates, des Roms affranchis ou évadés, parfois liés aussi à des gadjé [3], ont formé des communautés semi-nomades, les Netoci. Considérés par l’idéologie dominante comme » les plus dépravés » des Roms, accusés de cannibalisme [4], ils sont vus comme des héros par le peuple romani soumis à l’esclavage. D’ailleurs, lorsque au début du 19ème, les barons tentent de les réduire à nouveau en esclavage, les Netoci se lancent dans une guerre de guérilla qui ne cessera qu’avec l’abolition de l’esclavage. De nombreux soulèvements d’esclaves contre leurs propriétaires ont également eu lieu [5].

Dans la société roumaine aussi, les idées progressistes se développent et des voix commencent à se faire entendre pour dénoncer l’esclavagisme. C’est ainsi que Kogalniceanu écrit en 1837 : « Les Européens organisent des sociétés philanthropiques pour l’abolition de l’esclavage en Amérique, alors que sur leur propre continent 400.000 Tsiganes sont maintenus en esclavage « . De plus, le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste rend l’esclavage de plus en plus dépassé. Des propriétaires terriens et l’Eglise commencent à affranchir leurs esclaves, préférant une force de travail salarié. C’est ainsi qu’en 1844, l’Eglise Moldave libère ses esclaves, imités en 1847 par l’Eglise de Valachie. La révolution démocratique-bourgeoise de 1848 est menée par les » bonjouristes « , des patriotes radicaux, contre l’empire ottoman. Les leaders révolutionnaires proclament que » Le peuple roumain rejette la pratique inhumaine et barbare de la possession d’esclaves, et annonce la libération immédiate de tous les tsiganes appartenant à des propriétaires privés « . Mais, dès 1849, les forces turques au sud et russes au nord réoccupent les deux principautés, et réintroduisent les anciennes lois, dont l’esclavage. Les barons arrivent sans trop de peine à récupérer leurs anciens esclaves. Cependant, malgré la réaction, la lutte pour l’abolition de l’esclavage continue, et l’esclavage devient illégal le 23 décembre 1855 en Moldavie et le 8 février 1856 en Valachie.

En 1856, le traité de Paris reconnaît l’autonomie des deux provinces roumaines dans le cadre de l’empire ottoman. Le nouveau dirigeant des provinces, qui s’appellent Roumanie à partir de 1861, le Prince Ioan Alexandru Couza, instaure à nouveau l’esclavage pour les Roms et le servage pour les paysans. Ce n’est qu’en 1864, suite au coup d’Etat mené par Koglniceanu, que l’esclavage et le servage sont définitivement abolis en Roumanie. Représentant de l’aile la plus radicale de la bourgeoisie, Koglniceanu prévoit même une réforme agraire qui, en théorie, devrait profiter aux serfs et esclaves libérés. Or, les fractions les plus réactionnaires de la bourgeoisie et les barons complotent pour donner en février 1866 le pouvoir au roi Charles 1er de Hohenzollern. De plus, malgré l’autonomie, la Roumanie reste très dépendante de l’empire ottoman et de ses structures féodales.

Ainsi, même libérés de l’esclavage, les Roms continuent de vivre dans des conditions dramatiques. Nombreux d’ailleurs sont les Roms qui fuient le pays, craignant un retour à l’esclavage, d’abord dans les pays voisins, puis jusqu’en Scandinavie ou en Europe de l’Ouest, voire en Amérique. Les Roms qui ne quittent pas la Roumanie restent le plus souvent dans les villages où ils vivaient quand ils étaient esclaves, près des monastères. Tous les reportages de l’époque parlent de la misère dans laquelle vivent les Roms : habillés de guenilles, soumis à la faim, la » liberté » offre aux Roms un statut guère plus enviable que celui qu’ils connaissaient esclaves. En plus de la pauvreté, les Roms doivent subir le racisme à leur encontre. C’est ainsi par exemple que deux voyageurs américains, au début du 20ème siècle, racontent comment, alors qu’ils offraient du chocolat à deux petits mendiants roms, les deux enfants se sauvent en criant » Moarte ! Moarte ! » (Mort ! Mort !). En effet, à de nombreuses reprises après leur » émancipation « , les Roms se sont vus offrir de la nourriture empoisonnée, un moyen utilisé pour se débarrasser d’eux, si bien qu’une des premières leçons qu’apprennent les enfants roms à cette époque est de ne jamais accepter de nourriture d’un étranger.

A partir de la fin du 19ème, des Roms, essentiellement ceux qui ont réussit à faire des études, commencent à s’organiser pour exiger l’égalité avec les gadjé.

La dictature d’Antonescu et la déportation en Transnistrie

C’est dans cette atmosphère de misère et de racisme que les Roms traversent l’histoire de la Roumanie, son indépendance (reconnue par le congrès de Berlin en 1878), la participation de la Roumanie à la première guerre mondiale de 1916 à 1918 aux côtés des alliés, puis le rattachement à la Roumanie de la Bucovine et de la Transylvanie (prises à la Hongrie) ainsi que de la Bessarabie (prise à la Russie).

Face à la crise mondiale de 1929 et aux grèves ouvrières qui ripostent à la misère (notamment les grèves des chemins de fer et des ouvriers de l’industrie pétrolière), le parti de la » Garde de Fer « , groupe fasciste créé dans les années 20 par Horia Sima (et où on trouve notamment Ionesco, Mircea Eliane ou Cioran) est soutenu par une fraction croissante de la bourgeoisie. Une atmosphère raciste devient de plus en plus pesante dans le pays, avec des pogroms fréquents en Moldavie et en Bessarabie à l’encontre des juifs et des roms. Par le biais de l’influence du nazisme et en particulier des thèses de Ritter, le racisme anti-rom se construit un corpus idéologique » scientifique « . Il ne s’agit plus seulement de décrire les Roms comme des » voleurs » et leurs femmes comme des » débauchées « , mais aussi, comme Ion Facaoaru, le principal théoricien roumain du racisme anti-roms, de lutter contre « le péril tsigane d’appauvrissement génétique du peuple roumain « . Dès 1938, un Commissariat Général aux Minorités est créé, chargé particulièrement, de la « question tsigane ». Les universités, et en particulier celle de Cluj, se tournent vers l’étude de l’anthropologie eugéniste. L’idéologie du « sang pur » de la » race roumaine » menacée par » l’impureté tsigane » se développe.

En 1940, le roi Carol II abdique en faveur de son fils Michel I, qui appelle au pouvoir le fasciste Antonescu, soutenu par la Garde de Fer, et qui se proclame Conductator de la Roumanie, tandis que l’URSS, dans le cadre du pacte germano-soviétique occupe la Bessarabie et la Bucovine, et que la Hongrie du fasciste Horty annexe le nord de la Transylvanie. La Roumanie devient un Etat « National-Légionnaire » et s’allie avec l’Allemagne nazie.

En 1940, le ministère de l’intérieur interdit aux Roms « nomades » de « rôder pendant l’hivers« .

En 1941, Hitler offre la Transnistrie à la Roumanie, en compensation de la Transylvanie. C’est cette même année que la stérilisation des femmes roms est instituée. En mai 1942, Antonescu ordonne un recensement général de la population rom, 208.700 Roms sont recensés dans le pays. Le 1er juin, commence la déportation des Roms « nomades et semi-nomades » en Transnistrie. Le 11 août, l’Inspecteur Général du Recensement déclare que 84% des Roms « nomades et semi-nomades » ont traversé le Dniestr. Les ordres précisent de n’informer en rien les déportés sur leur destination. Une fois en Bessarabie, ils doivent changer leur argent en Reichsmarks et sont ensuite assignés à une localité. Un maire de village publie en 1945 ses souvenirs sur cette période : « Fin août 1942 commencèrent à arriver à Trihai, sur le fleuve Bug, des Roms. Ils furent répartis dans les fermes environnantes ; en une semaine, ils furent quinze milles Roms à arriver. Ils étaient dans un état incroyable de misère. Il y avait beaucoup de vieillards, certains étaient nus« . A partir du 12 septembre 1942, commence la déportation des Roms sédentaires. Ils sont déportés en train, y compris les enfants non accompagnés. Ils ne sont autorisés à prendre qu’un seul bagage à main, tout le reste (terrains, maisons, animaux, etc.) est confisqué. La rafle des roms sédentaire dure huit jours. Les seuls Roms qui évitent la déportation sont ceux des familles de soldats, une mesure prise à la suite de mutineries de soldats roms sur le front lorsqu’ils apprenaient la déportation de leur famille.

En Transnistrie, les conditions de vie sont dramatiques : famine, froid, et typhus, sans compter ceux qui sont abattus parce qu’ils tentent de s’évader. Certains, y compris l’hivers, étaient nus. La famine est telle que certains Roms mangent des chevaux, alors que pour la majorité d’entre eux la viande de cheval est taboue. Entre 1941 et 1943, trois cent mille juifs furent également déportés en Transnistrie. Dès fin 1943, Antonescu comprend que l’Allemagne ne gagnera pas la guerre, les déportations cessent, le roi Michel dissout le gouvernement Antonescu le 23 août 1944, puis déclare la guerre à l’Allemagne. De 1941 à 1943, on estime à 36.000 le nombre de Roms morts en déportation en Transnistrie [6].

Le stalinisme

L’armistice est signé le 13 septembre 1944, et le ministre de l’intérieur exhorte alors les Roms à reprendre leurs activités traditionnelles en Roumanie. En 1948, la Roumanie devient une démocratie populaire, sous le joug de l’URSS stalinienne. De nombreux assassinats, tortures, arrestations arbitraires, etc. sont organisés pour permettre à un PC qui ne regroupait que quelques centaines d’adhérents en 1945 de prendre le pouvoir. Il ne semble pas que sous le pouvoir de Gheorghiu Dej, alors secrétaire du PCR, une différence existe entre le sort réservé aux Roms et ceux des autres citoyens de Roumanie, les discriminations racistes s’exerçant plus particulièrement à l’encontre de Hongrois, de Serbes ou de Croates. Les Roms restent néanmoins essentiellement utilisé comme main d’œuvre non-qualifiée de l’industrie et de l’agriculture.

En 1965, Nicolae Ceausescu prend la tête du PC. La Roumanie connaît la plus forte croissance économique de tous les pays d’Europe, et prend ses distances avec l’URSS. Seul pays du pacte de Varsovie qui n’envoie pas ses chars à Prague en 1968, la Roumanie de Ceausescu devient le plus convenable des pays de l’Est pour l’Occident. De Gaule, en voyage officiel en Roumanie en 1968, proclame « La Roumanie aux Roumains« .

Plutôt indépendante par rapport à l’URSS, la Roumanie développe une idéologie ultra-nationaliste. Ceausescu déclare à plusieurs reprises la supériorité de la race « Dace » [7]. En dehors de la campagne nationale de 1977 qui confisqua tout l’or (bijoux en particulier) appartenant aux Roms, il existe peu de documents sur la situation particulière des Roms durant la dictature de Ceausescu, mais un fait est avéré : sur les 80.000 enfants trouvés dans les orphelinats roumains en 1990 (en fait de véritables mouroirs), 80 % étaient des enfants Roms (alors que les roms ne représentent que 10% à 20% de la population roumaine). Et on connaît les conditions de » vie » dans ces orphelinats : un minimum d’attention, de soin, et de confort, des épidémies de sida, d’hépatites, et de choléra provoquées par du matériel de transfusion non stérile, etc. Si bien qu’on évalue entre 50 et 60% le taux de mortalité annuelle dans ces orphelinats. Selon l’article de Ian Hancok, « La race des seigneurs de Ceausescu et la force de travail robotisé des tsiganes« , ce nombre incroyablement élevé d’enfants roms dans ces orphelinats serait le résultat d’une politique raciste cohérente du régime totalitaire. Au nom de la supériorité raciale des Daces, il aurait fallu transformer les Roms en un peuple de travailleurs serviles, avec un statut proche de celui de l’esclavage, et ces orphelinats auraient eu pour but d’exterminer le surplus de main d’œuvre rom.

De la » révolution » à nos jours

La « révolution » roumaine de décembre 1989 n’a finalement été qu’un coup d’Etat, une clique proche du pouvoir se débarrassant du couple Ceausescu. La chute du régime Ceausescu est marqué par une atmosphère de racisme dont les Roms sont les premières victimes. Des rumeurs circulent comme quoi les Roms auraient tous étaient des agents de la Securitate ou même que Ceausescu lui-même aurait été un Rom. La presse, elle, ne cesse de publier des articles sur des foules de Roms, sans tickets mais armés de couteaux, qui sèmeraient la terreur dans le train Sofia-Bucarest, ou que l’Orient express devra être placé sous surveillance policière pour éviter les raids romani. Dans cette atmosphère de haine raciste, de nombreux roumains se rendent en plus compte que la fin du régime Ceausescu se matérialise essentiellement par des conditions de vie plus précaires encore. Dès lors, une véritable campagne de pogroms anti-roms se développe dans toute la Roumanie. Le 24 décembre 1989, dans le village de Virghie, des villageois assassinent deux Roms et brûlent leur maison. A Turulung, 36 maisons appartenant à des Roms sont incendiées le 11 janvier 1990. Le 29 janvier, ce sont cinq maisons qui sont incendiées à Reghin, quatre Roms sont assassinés et six maisons incendiées à Lunga le 5 février, etc.

Du 13 au 15 juin, des mineurs ont été amenés en train à Bucarest par le gouvernement pour réprimer des manifestations anti-Illescu (alors chef du gouvernement). Encadrés par des officiers de police, ces mineurs se sont aussi dirigés vers les campements roms de la banlieue de Bucarest : des campements ont été détruits, des hommes battus jusqu’à ce qu’ils perdent connaissance et des femmes violées. De nombreux Roms ont alors été emprisonnés et relâchés seulement quelques semaines plus tard, sans qu’aucune charge ne puisse être retenue contre eux. A Cuza Voda, 34 maisons appartenant à des roms sont incendiées et 29 à Catinul Nou le 12 août, etc. De telles violences, quasiment quotidiennes, ont lieu, parfois accompagnés de lynchages. Il arrive que la cause officielle de ces flambées de violences racistes soit une simple rixe à une sortie de bal entre gadjé et roms. Dans ce cas la police intervient, après les pogroms, pour arrêter les roms qui avaient participés à la rixe. Après un tel pogrom dans la nuit du 12 au 13 octobre 1993, une commission gouvernementale publie un rapport où l’on peut lire que « les évènements n’ont pas motivations ethniques« , puis expliquent que la communauté romani a sa part de responsabilité puisque :

 » – Elle est un danger pour la stabilité ethnique du village puisqu’ils ont entre cinq et dix enfants par famille ;

 Ils ne sont pas natifs du village et ne s’y sont installé qu’après 1977.

 Ils ne possèdent pas de terre, et donc » certains vivent du vol « .

 Le niveau culturel est très bas et nombreux sont ceux qui sont illettrés « .

 Ils appartiennent à la religion orthodoxe mais n’observent pas les rites et cérémonies traditionnels de cette religion .

 Contrairement aux Roumains et aux Hongrois, ils n’ont pas formé de société agraire.

 Ils perturbent l’ordre par des violences verbales, des discussions obscènes, un langage trivial, volent le bien d’autrui et commettent parfois des coups et blessures. »

Ce rapport, véritable synthèse des préjugés racistes dont sont victimes les Roms, est significatif de la façon dont la police et la justice roumaines traitent alors ces pogroms meurtriers.

Ce genre de violences de grandes envergures à l’encontre des Roms a perduré pendant toutes les années 90. Depuis, si on en croit le rapport de la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance (rendu public le 23 avril 2002), « les affrontements violents, comme ceux qui se sont produits durant les années 90 entre les groupes majoritaires et minoritaires de la population, notamment avec la communauté rom/tsigane, se sont apaisés« . Pourtant, les discriminations subsistent à tous les niveaux : violences policières régulières, politiques municipales dont le but est de chasser les Roms de la ville, ségrégation dans les écoles, discriminations à l’embauche (même dans les ANPE, il arrive que des annonces d’offres d’emplois précisent clairement qu’elles ne s’adressent pas aux roms), discriminations quant à l’accès aux soins ou à certaines aides sociales, articles de presse et reportages télévisés présentant régulièrement les roms comme un peuple de délinquants, etc. A cela s’ajoute les partis d’extrême droite raciste, essentiellement le Parti Romania Mare (Parti de la Grande Roumanie) et leur propagande anti-roms (et aussi antisémite et anti-magyars). La Nouvelle Droite colle régulièrement des affiches avec pour slogans « Mort aux tsiganes ! » ou « Les roms hors de Roumanie !« .

Dans cette situation, comment s’étonner que les Roms de Roumanie restent toujours victimes de violences racistes. C’est ainsi que le 13 mars, une quinzaine d’hommes armés de battes de base-ball ont attaqué un quartier romani dans le village de Sabolciu, le 8 mai 2002, environ 200 supporters de foot ont attaqué un quartier rom à Bucarest. Tout en criant « les tsiganes hors de Roumanie« , les agresseurs tabassaient des Roms, cassaient les carreaux des maisons et détruisaient les portes pour entrer dans les habitations.

La Desrrobireja des roms de Roumanie reste toujours à conquérir.

Quelques sources :
Ian Hancock, « Roma Slavery » & « The Pariah Syndrome » in « Patrin« 
Claire Auziaz « Samudaripen, le génocide des tsiganes« , Editions L’esprit Frappeur, Paris 1999

Article de HOBOCTb n° 10 – décembre 2002

[1] Le terme officiel de Roumanie n’apparaît qu’en 1861, après l’unification des principautés de Valachie et de Moldavie. La Valachie est la région de Bucarest, tandis que la Moldavie celle de Iasi. Le pays qui aujourd’hui s’appelle Moldavie est par contre né de l’unité de la Bessarabie et de la Transnistrie.

[2] » Rom » signifie » homme » en langage romani, et c’est par ce terme qu’ils se désignent eux-mêmes. Comme en roumain le terme » tsigan » est devenu synonyme d’esclave, nous n’employons le mot français » tsigane » que pour traduire des textes d’esclavagistes et/ou de racistes.

[3] Gadjé : pluriel de » gadjo « , terme désignant pour les Roms tous ceux qui ne sont pas originaires des « peuples du voyage ».

[4] Cette accusation se retrouve encore dans un article de 1929 sur les descendants des Netoci !

[5] Un roman de Matéo Maximoff » Le prix de la liberté » traite justement d’une révolte romani au 19ème siècle en Roumanie (édition Wallâda).

[6] On estime à 500.000 le nombre de tsiganes d’Europe victimes du génocide sous le nazisme, un chiffre qui, en proportion, est équivalent à celui du génocide juif. Dans la majorité des pays, le sort réservé au Roms fut semblable à celui des juifs : massacre par des unités de la SS en URSS, extermination dans les camps de la mort pour les Roms et Sintis d’Allemagne, d’Autriche et de Pologne, etc.

[7] Les Daces étaient le peuple qui habitait l’actuelle Roumanie avant la conquête romaine l’an 101.

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