vendredi 15 juillet 2016, par
Edito
L’acte horrible de Nice (90 à 100 morts de civils) montre que l’antiterrorisme des Etats occidentaux est très loin d’arrêter le terrorisme et c’est même à l’effet inverse qu’on assiste : les guerres dites antiterroristes font monter tous les terrorismes. On ne doit pas accepter la réponse de Valls selon laquelle on ne doit pas chercher à comprendre ce qui se passe dans cette vague de violence, car comprendre ce serait, selon lui, justifier. C’est faux : on ne peut pas se laisser enfermer dans une logique dans laquelle les attentats terroristes servent à justifier d’autres violences contre d’autres civils, des violences dites antiterroristes, que ce soient celles de l’extrême droite ou des armées, violences qui en boucle en justifieront d’autres contre nous.
Expliquer, c’est d’abord comprendre que l’attentat de Nice est non seulement un acte terroriste : c’est un acte de guerre. Bien sûr, la population civile de France ne s’estime pas en guerre mais ses gouvernants, eux, ne cessent de proclamer qu’ils sont en guerre. La veille de l’attentat, Hollande venait encore de la proclamer fièrement, lors des cérémonies du 14 juillet, en se félicitant de l’engagement des jeunes Français dans cette guerre à l’échelle planétaire, qui affirme être une guerre contre Daesh même si les civils sont nombreux à en être victimes, comme en témoigne la migration de masse des Syriens, des Irakiens, des Afghans ou des Yéménites.
Expliquer le terrorisme et toutes les violences par l’islam, c’est omettre sciemment que les violences ont commencé de manière massive durant des années, non contre les occidentaux mais justement contre les musulmans eux-mêmes, que ce soit le fait des terroristes ou des armées occidentales. Les terroristes qui se drapent de la religion assassinent plus souvent (des centaines de fois plus) des musulmans que des non-musulmans !
Ce n’est pas la France qui est frappée par la montée des violences, c’est le monde. Et partout, elles frappent les populations civiles, que ce soit par les attentats attribués à Daesh ou comme « dégâts collatéraux » des guerres des puissances occidentales ou par des violences liées à la montée des extrêmes droites dans le monde. Le fait que Trump puisse espérer gouverner les Etats-Unis alors qu’il tient un discours de guerre mondiale, un discours de guerre des Blancs contre les Noirs, de guerre contre la Russie, de guerre contre l’Islam, cela nous montre quelle est la signification de la transformation actuelle du monde. Jamais aucun candidat américain à la présidence n’avait tenu un tel discours en ayant une chance de devenir président !
La violence monte partout, des Etats-Unis avec les violences raciales contre les noirs et la menace d’une guerre raciale, avec les violences terroristes et antiterroristes en Turquie, avec la violence en Egypte, avec les guerres des puissances occidentales en Ukraine, en Syrie, en Irak, en Afghanistan.
Bien sûr, il y a aussi ceux qui ont une explication raciste : celle selon laquelle le point commun du terrorisme serait une religion, l’islam évidemment. Mais le fait que le monde bascule dans la violence a plutôt une autre origine qui est la crise mondiale du capitalisme, celle de 2007-2008, dont le système est incapable de se tirer comme le démontre la crise sans fin de la Chine, l’effondrement des banques italiennes ou encore le Brexit. Les printemps arabes ont été un sous-produit de l’effondrement du système. Les classes dirigeantes ont senti la menace d’une vague mondiale des peuples contre le système et elles ont trouvé un pare-feu : la violence du terrorisme permettant de prendre en otage les peuples et de justifier la dérive sécuritaire et policière des Etats du monde !
L’islam n’explique en rien la montée des violences en Asie, en Afrique et en Amérique du sud. L’islam n’explique nullement le fait que les puissances occidentales aient soutenu et financé ces groupes terroristes pour faire tomber l’Afghanistan puis Saddam, Kadhaffi et Assad. L’islam n’explique pas que le monde tourne à nouveau à la guerre contre la Russie et la Chine. L’islam n’explique pas la guerre et le fascisme en Ukraine.
La première fois que les grandes puissances ont fait le choix de lancer la violence de masse, de transformer le monde en une vaste guerre prétendument antiterroriste, c’est dans les guerres d’Irak !
La commission d’enquête anglaise jugeant l’ancien premier ministre anglais Tony Blair, dirigeant travailliste, pour avoir décidé la guerre d’Irak pour renverser Saddam Hussein a reconnu que les motifs qui avaient été publiquement invoqués étaient faux, que les preuves présentées étaient des faux, que les prétentions de Blair et de Bush pour entrer en guerre étaient des faux, sciemment fabriqués, les deux chefs d’Etat n’ayant pas été trompés mais étant des trompeurs. Même si Blair a reconnu ces mensonges, il a continué à affirmer que la guerre contre Saddam Hussein était une bonne chose et prétend même que le monde actuel est plus sûr ! Donc les armes de destruction massive n’existaient pas, les liens entre Saddam et Al Qaïda n’existaient pas, ce qui existait c’était des liens de la CIA avec son agent Saddam comme avec son agent Ben Laden !!!
Même le désir affiché des USA de renverser Saddam Hussein et de voir le peuple irakien retrouver sa liberté étaient des mensonges puisque, lors de la première guerre contre Saddam, les USA et l’Angleterre avaient sauvé ce dernier parce que le peuple s’étant soulevé contre le dictateur irakien, les armées occidentales avaient fait le choix de sauver celui-ci, de lui redonner ses troupes les plus féroces, sa garde présidentielle, pour qu’il puisse écraser la révolution, en particulier les chiites et les kurdes !
Mais lors, si les USA et l’Angleterre ne voulaient pas libérer le peuple irakien, on peut se demander ce qu’ils voulaient exactement en déclenchant une guerre en Irak qui allait non seulement détruire toutes les infrastructures du pays, détruire toute confiance au sein de ce peuple, détruire aussi les organisations démocratiques, détruire toute sécurité pour la population, tout bien-être et toute démocratie, le nouveau gouvernement mis en place par les puissances occidentales achevant de les détruire. Que pouvait bien rechercher ces puissances en mettant en place un pouvoir qui écartait systématiquement l’une des trois composantes de la population, à savoir les sunnites, et en permettant aux deux autres composantes de gouverner seules ?
Le but affiché de mettre en place une démocratie, accordant des droits aux minorités, aux oppositions politiques, aux femmes, aux pauvres, aux ethnies et religions opprimées, ces buts officiels de guerre allaient se révéler lui aussi totalement mensonger. Le régime qui allait succéder aux deux guerres occidentales non seulement ne donnait rien de tout cela mais se révélait incapable de gouverner. Le pays se divisait en réalité en une partie kurde et une partie sunnite. Les régions agissaient comme des féodalités indépendantes. Et surtout la situation créée par les interventions militaires massives et violentes des armées occidentales entrainait une destruction de tout fonctionnement politique et social reconnu par l’ensemble de la population, fournissait aux organisations armées visant au renversement du nouvel ordre tout l’ancien encadrement militaire sunnite de Saddam et donnait une base sociale aux bandes armées qui allaient ainsi naître. Tel était la racine de ce qui allait devenir Daesh, cette bande armées ultraviolente se cachant derrière des buts religieux. Mais il convient de se rappeler que le régime de Saddam Hussein, celui de cet encadrement militaire mis au chômage, et qui allait commander les futures troupes terroristes, n’avait rien de religieux, le régime de Saddam étant même l’un des rares régimes laïcs de la région !
Si la dictature était honnie par les puissances occidentales, pourquoi ont-elles aidé toutes les dictatures des pays pauvres, pourquoi ont-elles aidé l’Arabie saoudite et les émirats à écraser les printemps arabes des pays pétroliers ? Pourquoi n’ont-elles pas renversé les royautés pétrolières, ultra dictatoriales et ultra religieuses plutôt que Kadhafi et Saddam ? Pourquoi n’ont –elles nullement soutenu les révolutions irakienne, égyptienne, syrienne et tunisienne ?
Alors, si la démocratie, si la lutte contre le terrorisme ne sont pas les vrais buts, pourquoi ces interventions militaires massives occidentales ?
Justement parce que le seul véritable ennemi de ces puissances impérialistes est justement la révolution sociale ! Parce qu’elles ne se détournent des dictatures que lorsque celles-ci ne sont pas capables de contenir la révolution et, au contraire, la font monter par leurs exactions.
Ce que les puissances occidentales ne voulaient surtout pas c’est non seulement que le peuple égyptien ou tunisien renverse son dictateur mais, plus encore, qu’ils s’organisent pour devenir eux-mêmes le vrai pouvoir. Ce qu’ils craignaient d’abord et avant tout, c’est que l’extension de la révolution amène les peuples à ce niveau de radicalisation sociale et politique de leur lutte. Ils ne se battaient ni contre l’islamisme ni contre le terrorisme ni contre les dictatures mais contre les peuples travailleurs.
Et ils se battaient aussi contre le peuple travailleur des métropoles capitalistes !
Car ce n’est pas qu’en Tunisie, en Egypte, en Syrie ou en Irak que les puissances capitalistes craignent les peuples travailleurs. C’est dans les métropoles impérialistes elles-mêmes !
Quand Bush a fait le choix de faire basculer Irak et Afghanistan dans la terreur, ce n’est pas parce que ces pays menaçaient les USA mais parce que la crise économique mondiale commençait déjà à dévoiler que le système capitaliste avait atteint ses limites.
Et la montée des violences ne concerne pas que l’Orient. Il est remarquable qu’en même temps les grandes puissances ne cessent d’attiser les ferments de guerre entre eux. L’Ukraine a été le théâtre d’un nouvel affrontement est/ouest comme il n’en avait plus été question depuis la « chute du mur de Berlin » qui avait marqué la fin des menaces de guerre mondiale est/ouest. Et ce n’est pas seulement l’Ukraine ou la Crimée qui sont en jeu. L’OTAN encercle la Russie de pays qui sont poussés à l’hostilité violente contre la Russie et qui appartenaient à l’ensemble de l’Est et même à l’URSS. Ces pays sont de plus en plus occupés militairement par l’OTAN et les canons sont ouvertement tournés contre la Russie. Et il en va de même pour la Chine dont les îles voisines sont de plus en plus contestées. Tous les pays voisins, à commencer par les plus importants, le Japon, l’Australie et l’Indonésie, sont dressés contre la Chine et mobilisés militairement dans ce but. Chine et Russie, eux aussi, sont mobilisés militairement par cet affrontement.
La concurrence planétaire entre les impérialismes ne concerne pas seulement les anciens territoires de l’URSS ou la mer de Chine mais le monde entier.
Et ce face à face n’est pas que militaire. Il est d’abord économique, politique et diplomatique. Il s’agit de conquérir des soutiens, des territoires à exploiter, des ressources énergétiques, des minerais, des terres, des marchés, des territoires où investir.
La Syrie a été aussi un affrontement est/ouest. Le peuple syrien en a été victime, même si ces armées impérialistes ne se sont pas directement affrontées. Et le territoire de cet affrontement s’est étendu à l’Irak et aux pays voisins.
Ce n’est pas que la concurrence exacerbée nécessite absolument la montée vers la guerre mondiale. Non ! Ce qui la nécessite aux yeux des classes dirigeantes, c’est la nécessité de se prémunir contre les risques révolutionnaires planétaires qui découlent de la fin du système capitaliste mondial.
C’est cela qui justifie et explique la montée de toutes les sortes d’affrontements. Aux USA même, les classes dirigeantes font sciemment monter les haines entre communautés pour exactement les mêmes raisons : détourner la colère sociale vers des bains de sang entre les peuples, y compris à l’intérieur même de chaque pays.
C’est pour cela que les classes dirigeantes américaines lancent l’idée d’une guerre entre les noirs et les anti-noirs comme les classes dirigeantes européennes ont lancé la haine et la peur des migrants, la haine et la peur des Roms, la haine et les peur des sans papiers, de même qu’ils ont commencé à semer la haine des Russes, ou sèment l’hostilité entre Anglais et Européens ou au sein de l’Europe entre le nord et le sud, etc. En Asie, c’est la haine des chinois qui monte. En Russie, c’est la haine des Caucasiens. Dans le monde entier, les classes dirigeantes sèment la haine des musulmans. Et on en passe…
Tout cela ne converge pas, au même moment et dans le même sens, par hasard : le point de rencontre, c’est le fait que le système capitaliste mondial a été frappé en 2007 dont il n’a pu se tirer qu’en supprimant les crises, qui étaient pourtant le mode de régulation et de respiration du système, le moyen d’expirer en supprimant son gaz carbonique, ses entreprises faillies, ses investissements pourris. Désormais, toute faillite de grande entreprise ou de grande banque est interdite et évitée à coups de capitaux publics. Dernier en date, l’Italie envisage de sauver à nouveau ses banques à coups de fonds publics. La Chine, toujours sous la menace d’un effondrement, continue de soutenir artificiellement son économie par l’intervention financière publique, avec le soutien du grand capital mondial.
Oui, le capitalisme est historiquement fini mais cela ne veut pas dire qu’il va céder la place et laisser le peuple travailleur diriger la société. Les classes dirigeantes sont dépassées mais elles vont s’accrocher au pouvoir et la violence va inévitablement monter. Plus les travailleurs, plus les révolutions sociales vont devenir une menace, plus une nouvelle crise financière va se présenter, plus les classes dirigeantes vont semer les haines entre le peuples parce que le bain de sang est le seul moyen pour le grand capital de maintenir sa domination alors que celle-ci n’offre plus aucune perspective de progrès, aucun développement économique, aucune paix sociale ou militaire, aucune perspective d’emploi et de sécurité.
Lutter pour la paix, lutter pour le bien-être social ne peut qu’être synonyme de lutter pour en finir avec le capitalisme mondial. Les idéologies réformistes sont plus que jamais sans perspective et mensongères. Les social-démocraties, les stalinismes, les bureaucraties syndicales, mais aussi les faux syndicalismes de gauche et les fausses extrême gauches, ne peuvent que présenter comme une perspective la défense d’une société passée qui n’a aucun avenir. La vieille société d’avant 2007 ne réapparaitra pas, même si tous les sorciers réformistes appellent et pleurent pour son retour.
Le capitalisme ne pourra que mener à de plus en plus de violence, sociale comme guerrière, et les deux sont inextricablement liées même si les réformistes font semblant de dissocier les deux. La démocratie bourgeoise a atteint les mêmes limites que le système capitaliste lui-même. Les classes dirigeantes se préparent de plus en plus à gouverner par la dictature politique directe, policière et militaire, en se passant des moyens réformistes de gouverner, avec les parlements, les élections, les syndicats et autres moyens de la collaboration de classes. La lutte des classes, ils la mènent même si, idéologiquement, ils prétendent dans leurs discours qu’elle serait dépassée.
L’intervention de la classe ouvrière ne doit pas rester sur le terrain purement revendicatif et défensif mais entrer directement sur le terrain politique, celui de la domination des classes dirigeantes, sans rester cantonné aux élections dans le cadre bourgeois ni aux jeux des bureaucraties syndicales qui se refusent à sortir de ce cadre.
Le terrorisme n’a pas été le produit accidentel des guerres des puissances occidentales, une simple retombée ou un « dégât collatéral, il en a été le but. Terroriser les peuples au moment où ils risquent de se révolter, telle a été la politique choisie et il s’agissait y compris de terroriser le peuple américain et les peuples européens. Le terrorisme n’agissait pas comme un ennemi d’un monde occidental démocratique et pacifique mais comme un sous-produit de ce monde, de la même manière que le fascisme en avait été un sous-produit.
La seule manière de ne pas tomber dans le piège de l’affrontement entre les peuples, entre les races, entre les religions, entre les régions, c’est de mener à l’échelle mondiale la lutte contre la classe dirigeante capitaliste, celle qui manipule toutes ces hostilités entre les peuples. Seule la classe ouvrière internationale en a la capacité. Il ne faut pas qu’elle vive dans la crainte de l’avenir mais qu’elle prépare un autre avenir que le capitalisme. Même si on nous dit que le communisme et le socialisme seraient morts, ils sont le seul avenir possible de l’humanité parce que la société fondée sur la propriété privée des capitaux n’est plus capable d’investir dans la production de richesses nouvelles ni de proposer aux peuples un autre avenir que l’effondrement économique et social ajouté au bain de sang généralisé.