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Vous vous dites matérialistes et pourtant vous êtes pour la dialectique de l’idéaliste Hegel

mardi 1er novembre 2016, par Robert Paris

Vous vous dites matérialistes et pourtant vous êtes pour la dialectique de l’idéaliste Hegel, quelle contradiction formelle (non dialectique) !!!

C’est vrai qu’Hegel est connu comme philosophe idéaliste, qu’il a toujours clamé que l’idée (et même l’idée absolue !) primait sur la matière et pourtant nous allons voir que sa pensée est bien trop contradictoire, au sens dialectique, pour qu’on puisse le qualifier seulement d’idéalisme… Nous verrons aussi que Marx et Engels, qui sont matérialistes, pensaient que l’on pouvait transformer sa philosophie par une négation dialectique !

Engels écrit : « La grande question fondamentale de toute philosophie, et spécialement de la philosophie moderne, est celle ... du rapport de la pensée à l’être, de l’esprit à la nature... la question de savoir quel est l’élément primordial, l’esprit ou la nature... Selon qu’ils répondaient de telle ou telle façon à cette question, les philosophes se divisaient en deux grands camps. Ceux qui affirmaient le caractère primordial de l’esprit par rapport à la nature, et qui admettaient, par conséquent, en dernière instance, une création du monde de quelque espèce que ce fût... formaient le camp de l’idéalisme. Les autres, qui considéraient la nature comme l’élément primordial, appartenaient aux différentes écoles du matérialisme. »

« Hegel était idéaliste, ce qui veut dire qu’au lieu de considérer les idées de son esprit comme les reflets [dans l’original : Abbilder, parfois Engels parle de "reproduction"] plus ou moins abstraits des choses et des processus réels, il considérait à l’inverse les objets et leur développement comme de simples copies réalisées de l’"Idée" existant on ne sait où dès avant le monde. »

« Pour Hegel, écrivait Marx, le mouvement de la pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée, est le démiurge (le créateur) de la réalité... Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est que le reflet du mouvement réel, transporté et transposé dans le cerveau de l’homme. » (Le Capital, livre 1, postface de la deuxième édition).

Mais Hegel déclarait ne pas vouloir mettre les sciences sous la dépendance d’un idéalisme :

« Non seulement la philosophie ne peut être qu’en accord avec l’expérience naturelle, mais la naissance et la formation de la science philosophique ont la physique empirique pour présupposition et condition. »

Friedrich Hegel dans « Philosophie de la Nature »

« Philosophie et science sont deux termes inséparables : car le propre de la pensée philosophique est de ne pas considérer les choses par leur côté extérieur et superficiel, mais dans leurs caractères essentiels et nécessaires. »

(G.W.F Hegel dans « Esthétique »)

Comme l’écrivait Léon Trotsky, « Grâce à l’impulsion puissante donnée par la révolution française, Hegel avait anticipé sur le mouvement général de la science. Mais, comme c’était seulement une anticipation, et bien qu’Hegel soit un génie, cela lui donnait un caractère idéaliste. »

On peut en effet croire y lire un simple a priori philosophique idéaliste, c’est-à-dire l’affirmation selon laquelle les idées humaines (le rationnel) priment sur la matière (le réel), et donc la thèse inverse de celle du matérialisme (pour lequel les idées humaines sont une partie de l’univers réel matériel. Effectivement, Hegel est un idéaliste mais pour lui, matière et esprit, c’est exactement le même monde.

D’ailleurs, la phrase exacte de Hegel ne dit pas seulement cela. Elle dit aussi son contraire dialectique :

« Tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est rationnel est réel. »

Donc si l’on interprétait la première partie de la phrase comme un a priori idéaliste, la deuxième, elle, serait une affirmation d’un matérialiste convaincu !

A propos du chapitre de la Logique sur l’Idée de Hegel, où triomphe pourtant l’idéalisme absolu de la Science de la Logique, Lénine notait avec finesse : « C’est dans ce chapitre sur l’Idée absolue qu’il y a en réalité le plus de matérialisme et, le moins d’idéalisme ! » ; et d’ajouter superbement que « Le matérialisme intelligent est plus proche de l’idéalisme intelligent que du matérialisme bête ».

Lénine dans « La portée du matérialisme militant » :

« Nous pouvons et devons élaborer cette dialectique dans tous ses aspects, publier des extraits des principales œuvres de Hegel, les interpréter dans un esprit matérialiste. (...) Les spécialistes modernes des sciences de la nature trouveront (s’ils cherchent et si nous apprenons à les aider) dans la dialectique de Hegel interprétée de manière matérialiste un bon nombre de réponses aux questions philosophiques que pose la révolution dans la science. »

Pour Hegel, « il faut saisir les choses dans leur devenir », nécessaire et interne, et cette nécessité interne des choses l’amène à s’approcher du matérialisme, beaucoup plus même qu’il ne l’aurait voulu…

Hegel affirme que « Toute chose est contradictoire en soi. »

Engels écrit dans « Ludwig Feuerbach » :

« Chez Hegel, tout ce qui existe n’est nullement réel d’emblée. L’attribut de la réalité ne s’applique chez lui qu’à ce qui est en même temps nécessaire ; « la réalité dans son déploiement s’avère être la nécessité »

C’est pourquoi dans la dialectique idéaliste de Hegel, il y a aussi une dialectique du concret…

« Ce qui se meut, c’est la contradiction. (...) C’est uniquement parce que le concret se suicide qu’il est ce qui se meut. »

G.W.F Hegel, dans sa préface à la « Phénoménologie de l’esprit »

Karl Marx soulignait ce caractère révolutionnaire de la philosophie d’Hegel :

« Sous sa forme rationnelle, la dialectique n’est, aux yeux de la bourgeoisie et de ses théoriciens, que scandale et horreur, parce que, outre la compréhension positive de ce qui existe, elle englobe également la compréhension de la négation, de la disparition inévitable de l’état des choses existant ; parce qu’elle considère toute forme sous l’aspect du mouvement, par conséquent aussi sous son aspect transitoire ; parce qu’elle ne s’incline devant rien et qu’elle est, par son essence, critique et révolutionnaire. »

Plekhanov explique ainsi dans "Pour le 60 ème anniversaire de la mort de Hegel" :

« Si Hegel répète, après Anaxagore, que la Raison gouverne le monde, cela ne veut pas du tout dire, dans sa bouche, que le monde est gouverné par la pensée de l’homme. De ce que la nature est un système rationnel, il ne s’ensuit pas qu’elle soit douée de conscience. Le mouvement du système solaire s’accomplit selon des lois immuables, et ces lois constituent la raison de ce système ; mais ni le soleil, ni les planètes qui tournent autour de lui, conformément à ces lois, n’en ont conscience (Philosophie de l’histoire , pp. 15-16). »

Pour Hegel, la nature est un système rationnel :

« Le phénomène est un processus d’avènement et de disparition, qui, lui-même, n’advient ni ne disparaît, mais est en soi et constitue l’actualité et le mouvement de la vérité vivante. »

Hegel est donc traité d’idéaliste et il est le premier à le faire mais il précise :

« (…) dans ma Logique, j’ai traité de la réalité… »

« Réalité peut être un mot à plusieurs sens, parce qu’il est utilisé par des déterminations très diverses, et même opposées. Lorsqu’on dit de pensées, de concepts, de théories, qu’ils n’ont aucune réalité, cela veut dire alors qu’il ne leur revient aucun être-là extérieur, aucune effectivité ; en soi ou dans le concept… »

Hegel raisonne sur un monde réel :
« La raison ne peut penser et agir dans le monde que parce que le monde n’est pas un pur chaos. »

L’identité, pour Hegel, du réel et du rationnel fait que l’on peut « renverser » l’idéalisme d’Hegel et transformer l’unité du monde idées-matières en unité matière-idées et son idéalisme en matérialisme.

En effet, l’attitude de Hegel relativement à la science est parallèle à celle du matérialisme :

« Non seulement la philosophie ne peut être qu’en accord avec l’expérience naturelle, mais la naissance et la formation de la science philosophique ont la physique empirique pour présupposition et condition. »

Hegel dans son « Encyclopédie des sciences philosophiques »

« Nous avons déjà dit combien il est important de se référer au contenu de l’actuel, du présent : car le rationnel doit avoir une vérité objective. »

Hegel dans son « Cours d’histoire de la philosophie »

Là où la dialectique de Hegel peut parfaitement convenir à un matérialiste, c’est qu’il y est affirmé que « Toutes les choses sont contradictoires en soi. »

La contradiction dialectique est interne aux choses, provient de leur propre dynamique et non de lois idéelles imposées de l’extérieur des choses…

Hegel pense qu’il faut étudier réellement la nature car « La nature se suffit. »

Hegel a trouvé le fond rationnel et, en même temps, l’a rendu de manière idéaliste, ce que Marx exprime ainsi :

« Si jamais j’ai un jour du temps, j’aurais grande envie de rendre en un ou deux grands placards d’imprimerie accessible aux hommes de sens commun le fond rationnel de la méthode que Hegel a découverte, et en même temps mystifié. »

Ce qu’Engels remarquait lui aussi :

« Ce qui distinguait le mode de pensée de Hegel de celui de tous les autres philosophes, c’était l’énorme sens historique qui en constituait la base. Si abstraite et si idéaliste qu’en fût la forme, le développement de sa pensée n’en était pas moins toujours parallèle au développement de l’histoire mondiale (...) Il fut le premier à essayer de montrer qu’il y a dans l’histoire un développement, une cohérence interne (...) Dans la Phénoménologie, l’Esthétique, l’Histoire de la philosophie, partout pénètre cette grandiose conception de l’histoire, et partout la matière est traitée historiquement, dans sa connexion déterminée, quoique abstraitement inversée, avec l’histoire. »

(article de Friedrich Engels intitulé « La contribution à la critique de l’économie politique de Karl Marx »)

Et également Lénine :

« Le mérite de la conception de Hegel est qu’elle exige une logique dont les formes soient des formes dynamiques, aient un contenu réel, vivant, des formes inséparablement unies au contenu. La logique est la théorie non des formes extérieures de la pensée, mais des lois du développement de toutes les choses, c’est-à-dire des lois de développement de tout le contenu concret du monde, le bilan de l’histoire de la connaissance. (...) On ne pas peut pas comprendre totalement "Le Capital" de Marx et en particulier son chapitre un sans avoir étudié et sans avoir compris toute la "Logique" de Hegel. »

(Lénine dans "Les cahiers philosophiques")

Et il rajoutait dans « La portée du matérialisme militant » :

« Les spécialistes modernes des sciences de la nature trouveront (s’ils cherchent et si nous apprenons à les aider) dans la dialectique de Hegel interprétée de manière matérialiste un bon nombre de réponses aux questions philosophiques que pose la révolution dans la science. Faute de cela, les grands savants seront aussi souvent que par le passé impuissants dans leurs conclusions et généralisations philosophiques. »

Et aussi Trotsky :

« Ce qui a permis à Karl Marx d’affirmer qu’il avait seulement eu besoin en philosophie de renverser le caractère idéaliste de la philosophie dialectique de Hegel, c’est que ce dernier, bien qu’idéaliste, considérait le monde comme un tout appréhendable par la science : « philosophie et science sont deux termes inséparables : car le propre de la pensée philosophique est de ne pas considérer les choses par leur côté extérieur et superficiel, mais dans leurs caractères essentiels et nécessaires. »

(Léon Trotsky dans « Le marxisme et notre époque » )

S’il est certain que l’on ne peut pas lire Hegel sans être conscient que, dans sa philosophie, l’idée, le concept, la pensée viennent en premier devant la réalité, devant la matière, devant la nature et que la matière est, selon lui, au départ et fondamentalement, un produit de l’idée, par négation, même si, ensuite, l’inverse se produit également, il est également certain que sa pensée a un caractère profondément dynamique, récusant le caractère prétendument figé des formes de la réalité, y opposant la confrontation et la transformation permanente de ces formes momentanées, et aussi profondément moniste ce qui signifie que la pensée est dialectiquement inséparable du monde, que l’idée est imbriquée dans la matière de même que l’inverse.

Hegel écrit ainsi dans « La Philosophie de la nature » (Encyclopédie des Sciences philosophiques) :

« Pratiquement, l’homme se rapporte à la nature comme à quelque chose d’immédiat et d’extérieur en étant lui-même comme un individu immédiatement extérieur et, par là sensible, mais qui se comporte aussi ainsi à bon droit comme but face aux objets naturels… Ce que l’on nomme la physique s’appelait autrefois la « philosophie de la nature », et constitue pareillement une considération théorique, et, en vérité, « pensante », de la nature, qui, d’un côté, ne part pas de déterminations extérieures à la nature comme celle des buts dont on vient de parler, et, de l’autre côté, est dirigée vers la connaissance de ce qu’il y a d’ « universel » dans cette nature, de telle sorte qu’un tel universel soit en même temps dans lui-même « déterminé », c’est-à-dire vers la connaissance des forces, des lois, des genres, ce contenue, en outre, ne devant pas non plus être un simple agrégat, mais disposé en ordres, en classes, se présenter comme une organisation… Du rapport de la philosophie à ce qui est empirique, il a été question dans l’Introduction. Non seulement la philosophie doit nécessairement être en accord avec l’expérience de la nature, mais la « naissance » et « formation » de la science philosophique a la physique empirique pour présupposition et condition. Mais une chose est le cours suivi par une science en son surgissement et en ses travaux préliminaires, autre chose est la science elle-même… Il faut, en sus, désigner le phénomène « empirique » qui correspond à sa « détermination conceptuelle », et montrer de lui qu’il correspond en fait à elle. Ce qui, pourtant, relativement à la nécessité du contenu, ne consiste aucunement à en appeler à l’expérience. Encore moins admissible est-il d’en appeler à ce qui a été nommé « intuition » et qui, habituellement, n’a été rien d’autre qu’une manière, propre à la représentation et à l’activité de l’imaginaire (aussi à l’imaginaire fantastique), de procéder selon des « analogies », qui peuvent être plus contingentes ou plus significatives, et qui impriment aux objets des déterminations et des schémas de façon seulement « extérieure »… Le passage de l’ « idéalité dans la réalité » se présente aussi, d’une manière expresse, dans les phénomènes mécaniques bien connus, à savoir que l’idéalité peut tenir la place de la réalité, et inversement ; et c’est seulement la faute de l’absence de pensée propre à la représentation et à l’entendement, si ceux-ci ne voient pas surgir, de cette échangeabilité des deux moments de leur identité… »

On comparera à l’affirmation de Schelling : « Nous ne savons pas seulement ceci ou cela, mais nous ne savons absolument rien du tout si ce n’est à travers l’expérience ».

Hegel affirme au contraire :

« La philosophie doit partir du concept, et, bien qu’elle établisse peu de choses, on doit s’en contenter. C’est une confusion dont souffre la philosophie de la nature que celle qui consiste, pour elle, à vouloir faire face à tous les phénomènes ; cela se produit ainsi dans les sciences finies, où tout veut être ramené aux pensées universelles (les hypothèses). L’être empirique est seul ici la confirmation de l’hypothèse, ainsi faut-il tout expliquer. Mais ce qui est connu moyennant le concept est lui-même clair et se tient ferme, et la philosophie n’a pas à s’inquiéter en quoi que ce soit, même si tous les phénomènes ne sont pas encore expliqués. » (dans Encyclopédie des Sciences philosophiques)

Il précise :

« La différence entre la manière systématique-philosophique et la manière empirique de considérer les choses consiste, pour la première, à présenter, non pas les degrés des existences concrètes de la nature en tant que totalités, mais les degrés des déterminations. »

Et aussi :

« Le mouvement est le processus, le passage du temps dans l’espace et inversement ; la matière, par contre, est la relation de l’espace et du temps comme identité en repos. La matière est la première réalité. »

Ou encore :

« Dans la nature, nous ne voyons… pas naître l’universel ; c’est-à-dire que ce qu’il y a d’universel dans la nature n’a pas d’histoire… Tout cela apparaît d’abord comme contingent, mais l’activité du concept consiste à saisir comme déterminé de façon nécessaire ce qui apparaît comme contingent à la conscience sensible. »

Et enfin :

« La raison doit nécessairement avoir confiance en elle-même, en pensant que, dans la nature, le concept parle au concept, et que la figure vraie du concept, qui gît cachée sous l’extériorité réciproque des figures infiniment nombreuses, se montrera à elle. »

Hegel écrit encore dans son « Cours d’histoire de la philosophie »

« Les expériences, essais, observations ne savent pas ce qu’ils accomplissent en vérité ; ils ignorent que leur seul intérêt est précisément la certitude interne et inconsciente de la raison de se trouver elle-même dans le réel ; le résultat des observations et des essais, quand ils sont justes, est précisément que seul le concept est objectif. Au cours des expériences le particulier sensible s’évapore, et devient un universel ; l’exemple le plus connu est l’électricité positive et négative, dans la mesure où elle est positive et négative, dans la mesure où elle est positive et négative.

L’autre erreur formelle commise par tous les empiriques consiste à croire qu’ils s’en tiennent à l’expérience seulement ; ils sont conscients du fait qu’en recevant leurs perceptions ils font de la métaphysique. L’homme ne s’arrête pas au particulier et il ne peut pas. Il cherche l’universel ; il s’agit de pensées, même si ce ne sont pas des concepts. La forme de pensée la plus remarquable est la force ; on a la force électrique, magnétique, de gravitation. La force est universelle, non perceptible ; les empiriques acceptent de telles déterminations tout à fait non critiquement et inconsciemment. Le sens de l’induction est d’établir des observations, de faire des expériences et d’en déduire la détermination générale. »

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