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Karl Marx expose simplement, mais dialectiquement, ce qu’est le capitalisme

mardi 27 septembre 2016, par Robert Paris

La forme la plus élémentaire de la richesse bourgeoise - la marchandise - constitue le point de départ de notre livre et la condition préalable à la formation du capital. Or, désormais, les marchandises apparaissent, en outre, comme le produit du capital. En bouclant de la sorte le circuit, notre analyse suit donc étroitement le développement historique du capital.

L’une des conditions de genèse du capital l’échange de marchandises, le commerce - se développe à partir de niveaux de production certes différents, mais ayant en commun le fait que la production capitaliste, ou bien n’y existe pas du tout, ou bien n’y surgit que d’une manière tout à fait sporadique. Par ailleurs, l’échange mercantile développé et la marchandise comme forme sociale, universelle et nécessaire du produit, ne peuvent être que le résultat du mode de production capitaliste.

Si nous considérons les sociétés de production capitaliste développée, nous voyons que la marchandise y surgit constamment comme condition d’existence et présupposition élémentaire du capital en même temps que comme résultat immédiat du mode de production capitaliste.

La marchandise et la monnaie sont donc, l’une et l’autre, des présuppositions élémentaires du capital, mais elles ne deviennent du capital que dans des conditions déterminées. En effet, le capital ne peut se former que sur la base de la circulation des marchandises (ce qui implique la circulation monétaire), donc à un niveau de développement assez important du commerce. A l’inverse, la production et la circulation de marchandises n’ont nullement pour condition d’existence le mode de production capitaliste ; en effet, « on les trouve aussi dans les formations sociales prébourgeoises », comme nous l’avons déjà expliqué . D’un côté elles sont la présupposition historique, du mode de production capitaliste ; de l’autre côté, - c’est seulement sur la base de la production capitaliste que la marchandise devient la forme universelle, tout produit devant désormais adopter la forme de marchandise. Dès lors, la vente et l’achat ne portent plus seulement sur l’excédent, mais encore sur la substance même de la production, les différentes conditions de production elles-mêmes devenant en général des marchandises, qui passent de la circulation dans le procès de production.

C’est pourquoi, nous pouvons dire, d’une part, que la marchandise est la condition préalable à la genèse du capital et, d’autre part, qu’elle est essentiellement le produit et le résultat du procès de production capitaliste, lorsqu’elle est devenue forme générale et élémentaire du produit. Aux stades antérieurs de la production, une partie des produits seulement revêt la forme de marchandise. En revanche, le produit du capital est nécessairement marchandise (cf. Sismondi) . C’est pourquoi, à mesure que se développe la production capitaliste, c’est-à-dire le capital, on constate aussi que se réalisent les lois générales que nous avons dégagées à propos de la marchandise, par exemple celles qui régissent la valeur dans la forme développée de la circulation monétaire.

On observe alors que les catégories économiques existant déjà aux époques précapitalistes de production acquièrent, sur la base du mode de production capitaliste, un caractère historique nouveau et spécifique.

L’argent - simple figure métamorphosée de la marchandise - ne devient capital qu’à partir du moment où la capacité de travail de l’ouvrier est transformée en marchandise. C’est ce qui implique que le commerce ait conquis une sphère où il n’apparaissait que sporadiquement, voire en était exclu. Autrement dit, la population laborieuse ne doit plus faire partie des conditions objectives du travail, ou se présenter sur le marché en producteur de marchandise : au lieu de vendre le produit de son travail, elle doit vendre son travail, ou mieux sa capacité de travail. C’est alors seulement que la production, dans toute son ampleur, en profondeur comme extension, devient production de marchandise. En conclusion, la marchandise ne devient forme élémentaire générale de la richesse que sur la base de la production capitaliste.

Par exemple, tant que le capital ne domine pas encore l’agriculture, on continue de produire une grande partie des denrées comme simples moyens de subsistance, et non comme marchandises. De même, une importante fraction de la population laborieuse reste non salariée et la plupart des conditions de travail ne sont pas encore du capital *.

Tout cela implique que la division du travail développée - telle qu’elle apparaît par hasard au sein de la société - et la division du travail capitaliste au sein de l’atelier s’engendrent et se conditionnent réciproquement. En effet, la marchandise - forme déterminée du produit - et donc l’aliénation du produit comme forme nécessaire de l’appropriation supposent une division du travail social pleinement développée. Or, c’est seulement sur la base de la production capitaliste -et donc aussi de la division du travail capitaliste au sein de l’atelier - que tout produit revêt nécessairement la forme mercantile, et que tous les producteurs sont nécessairement des producteurs de marchandises. C’est donc seulement sur la base de la production capitaliste, que la valeur d’usage est en général médiatisée par la valeur d’échange.

Les trois points suivants sont décisifs :

1º Ce n’est que la production capitaliste qui fait de la marchandise la forme générale de tous les produits.

2º La production de marchandises conduit nécessairement à la production capitaliste, dès lors que l’ouvrier cesse de faire partie des conditions de production objectives (esclavage, servage) ou que la communauté naturelle primitive (Inde) cesse d’être la base sociale ; bref, dès lors que la force de travail elle-même devient en général marchandise.

3º La production capitaliste détruit la base de la production marchande, la production individuelle autonome et l’échange entre possesseurs de marchandises, c’est-à-dire l’échange entre équivalents. L’échange purement formel entre capital et force de travail devient la règle générale.

A ce point, il est parfaitement indifférent de déterminer la forme sous laquelle les conditions de production entrent dans le procès de travail. Peu importe si elles ne transmettent que progressivement leur valeur au produit, telle une fraction du capital constant, entre autres les machines, ou bien si elles s’y dissolvent physiquement, comme la matière première ; ou enfin si une partie du produit est de nouveau utilisée directement par le producteur lui-même comme moyen de travail, telle la semence dans l’agriculture, ou bien s’il doit vendre pour en reconvertir l’argent en moyen de travail. Tous les moyens de travail produits - outre qu’ils servent de valeurs d’usage dans le procès de production - opèrent maintenant aussi comme élément du procès de valorisation. Si on ne les convertit pas en argent véritable, du moins les estime-t-on en monnaie de compte et les tient-on pour des valeurs d’échange ; bref, on calcule très exactement l’élément de valeur qu’ils ajoutent au produit, sous une forme ou sous une autre.

Par exemple, dans la mesure où la production capitaliste, se fixant à la campagne, transforme l’agriculture en branche d’industrie exploitée de manière capitaliste et produisant pour le marché des articles destinés à la vente, et non à la consommation directe, on calcule ses dépenses et on traite en marchandise - et donc en argent - chacun de ses articles (peu importe d’ailleurs qu’il soit acheté au producteur par un tiers ou par lui-même) ; bref, dans la mesure où la marchandise est traitée comme une valeur autonome, elle est argent.

Dès lors qu’ils sont vendus comme marchandises - et sans cette vente, ils ne seraient même plus des produits - le blé, le foin, le bétail, les diverses semences, etc. entrent dans la production comme marchandises, et donc aussi comme argent. Tout comme les produits, les conditions de production qui sont d’ailleurs produites elles aussi, deviennent des marchandises, et le procès de valorisation implique qu’elles soient calculées comme des grandeurs monétaires, sous la forme autonome de valeurs d’échange.

Constamment, le procès de production immédiat est dès lors union indissoluble entre procès de travail et procès de valorisation, tout comme le produit est unité de valeur d’échange et de valeur d’usage, autrement dit marchandise.

Mais, il y a plus que ce changement formel : à mesure que les fermiers achètent ce dont ils ont besoin - et que se développe donc le commerce des semences, des engrais, du bétail, etc. - ils vendent eux-mêmes plus de produits de leur travail. C’est ainsi que, pour chacun de ces fermiers, les conditions de production passent effectivement de la circulation dans le procès de production, et la circulation devient toujours davantage présupposition de sa production, les conditions de celle-ci apparaissant de plus en plus comme des marchandises, réellement achetées ou achetables. De toute façon, ces articles et moyens de travail sont pour eux des marchandises, et forment donc aussi des éléments de valeur de leur capital. Même lorsqu’ils les remettent en nature dans leur propre production, les fermiers les calculent comme s’ils les avaient vendus à eux-mêmes. Tout cela se développe au fur et à mesure que le mode de production capitaliste gagne l’agriculture, et que celle-ci est gérée comme une fabrique.

En tant que forme universelle et nécessaire du produit et détermination spécifique au mode de production capitaliste, la marchandise se manifeste de façon tangible dans la production à grande échelle qui s’instaure au cours du développement capitaliste : le produit devient toujours plus unilatéral et massif, ce qui lui imprime des traits sociaux étroitement dépendants de la nature des rapports sociaux existants, en même temps qu’un caractère contingent, inessentiel et indifférent vis-à-vis de sa valeur d’usage et de la satisfaction du besoin des producteurs.

La valeur d’échange de ce produit de masse doit être réalisée. Il lui faut donc parcourir le cycle des métamorphoses de toute marchandise, non seulement parce que le producteur doit, de toute nécessité, disposer de ses moyens de subsistance pour produire en tant que capitaliste, mais encore parce que le procès de production doit continuer et se renouveler : il tombe donc dans la sphère du commerce. Celui qui l’achète n’est pas le consommateur immédiat, mais le marchand dont la fonction spécifique est de réaliser la métamorphose des marchandises (Sismondi.) Enfin, le produit se mue en marchandise, et donc en valeur d’échange, à mesure qu’au sein de la production capitaliste, les branches productives se multiplient et se diversifient, en même temps que la sphère d’échangeabilité du produit .

La marchandise, à l’issue de la production capitaliste, diffère de celle qui en a été l’élément et la présupposition au départ. De fait, nous sommes partis de la marchandise particulière, article autonome matérialisant une certaine quantité de temps de travail, et donc une valeur d’échange de grandeur donnée. Or, à présent, la marchandise a d’autres caractéristiques :

1ª Abstraction faite de sa valeur d’usage, elle renferme une quantité déterminée de travail socialement nécessaire. Mais, alors qu’il importe peu - et en fait il est complètement indifférent - de connaître l’origine du travail objectivé dans la marchandise tout court, il faut que la marchandise, produit du capital renferme pour partie du travail payé, et pour partie du travail non payé. (Nous avons déjà vu que cette expression n’est pas tout à fait correcte, puisque le travail en tant que tel ne se vend ni ne s’achète directement.) Mais, une somme de travail s’est objectivée dans la marchandise. Abstraction faite du capital constant pour lequel est payé un équivalent, une partie de ce travail objectivé est échangée contre son équivalent en salaire, une autre est appropriée sans équivalent par le capitaliste. Toutes deux sont objectivées et constituent des fractions de valeur de la marchandise. C’est donc pour plus de brièveté seulement que nous parlons de travail payé et de travail non payé.

2º Chacune de ces marchandises n’est pas seulement une partie matérielle du produit total du capital, mais une partie aliquote du lot (fr.) produit. Il ne s’agit plus d’une marchandise particulière et simple, d’un produit existant à lui tout seul devant nous ; le procès n’a plus pour résultat de simples marchandises particulières, mais une masse de marchandises dans laquelle se sont reproduites la valeur du capital avancé + la plus-value (surtravail approprié), dont chacune contient et la valeur du capital et celle de la plus-value produite.

Le travail utilisé pour chacune des marchandises en particulier ne peut plus être déterminé, sinon par un calcul de moyenne ; bref, par une estimation idéelle. On évalue d’abord la fraction du capital constant qui n’entre dans la valeur du produit total que pour autant qu’il est usé, puis les conditions de production consommées collectivement, et enfin le travail directement social et moyen d’une foule d’ouvriers coopérant dans la production. Bref, c’est un travail dont on calcule la valeur par péréquation, car on ne peut plus calculer le travail dépensé pour chaque marchandise en particulier. On l’estime donc idéellement, comme partie aliquote de la valeur totale ; et, dans la détermination du prix de la marchandise, ce n’est plus qu’une partie idéale du produit total dans lequel se reproduit le capital.

3º En tant que produit du capital, la marchandise porte la valeur totale du capital + la plus-value, contrairement à la marchandise autonome, considérée à l’origine. Cette marchandise est une métamorphose du capital qui vient de se valoriser, et elle se révèle dans le volume et les dimensions de la vente, qui va s’effectuer en vue de réaliser la valeur originelle et la plus-value produite, ce qui ne s’obtient pas en vendant à leur valeur chacune des marchandises ou une partie d’entre elles.

Nous avons déjà vu que la marchandise doit avoir un double mode d’existence pour pouvoir passer dans la circulation. Il ne suffit pas qu’elle se présente à l’acheteur comme article ayant certaines propriétés utiles pour la consommation individuelle ou productive, c’est-à-dire comme valeur d’usage déterminée ; sa valeur d’échange doit recevoir une forme autonome qui se distingue de sa valeur d’usage, ne serait-ce qu’idéellement. Bref, elle doit représenter l’unité aussi bien que la dualité de la valeur d’usage et de la valeur d’échange. Comme pure existence du temps de travail social objectivé, sa valeur d’échange revêt une forme autonome, indépendamment de la valeur d’usage, dans le prix, qui est l’expression de la valeur d’échange en tant que telle, c’est-à-dire dans l’argent, ou plus précisément dans la monnaie de compte.

En fait, certaines marchandises ne cessent d’exister d’un point de vue particulier. Par exemple, les chemins de fer, les grands travaux immobiliers, qui ont une telle continuité et une telle ampleur que tout le produit du capital avancé se manifeste dans une seule marchandise. Faut-il pour autant leur appliquer la loi valable pour la marchandise particulière et autonome, à savoir que son prix n’est rien d’autre que sa valeur exprimée en argent, la valeur totale du capital + la plus-value s’exprimant directement dans la marchandise particulière en monnaie de compte ? Dans ces conditions, le prix de cette marchandise ne se déterminerait pas autrement que celui de la marchandise particulière d’antan, simplement parce que le produit total du capital se présente dans la réalité comme une seule marchandise. Il est inutile de s’attarder davantage sur cette question.

Cependant, la plupart des marchandises sont de nature discrète, discontinue (du reste, même les marchandises continues peuvent être traitées idéellement comme des quantités discrètes). En d’autres termes, si on les considère comme masse d’un article déterminé, elles sont divisibles selon les mesures qu’on applique communément à leur valeur d’usage : par exemple a boisseaux de blé, b quintaux de café, c aunes (ou mètres) de toile, x douzaines de couteaux, l’unité de mesure étant la marchandise elle-même.

Examinons tout d’abord le produit total du capital qui, quelles que soient sa dimension et sa nature discrète ou continue, peut toujours être considéré comme une seule marchandise, comme une seule valeur d’usage, dont la valeur d’échange apparaît elle aussi dans un prix exprimant la valeur totale du produit tout entier.

En analysant le procès de valorisation, nous. avons vu qu’une partie du capital constant avancé (installations, machines, etc.) ne transmet au produit que la portion déterminée de valeur qu’elle perd en opérant comme moyen de travail dans le procès de travail ; que cette partie n’entre jamais matériellement, sous sa forme propre de valeur d’usage, dans le produit ; qu’elle continue de servir dans le procès de travail, pour une longue période, à la production de marchandises, et que la portion de valeur cédée au produit pendant sa période de fabrication s’évalue d’après le rapport de cette période à toute la période d’utilisation du moyen de travail, c’est-à-dire à la période au cours de laquelle toute sa valeur est consommée et transmise au produit. Par exemple, lorsque le capital constant avancé sert pendant dix ans, il suffit d’un calcul de moyenne pour déterminer qu’en une année il a transmis ou ajouté un dixième de sa valeur au produit. Après qu’une masse donnée de produits ait été rejetée du procès de production, une portion du capital constant continue donc à servir de moyen de travail et à y représenter une valeur déterminable d’après un calcul de moyenne, puisqu’elle n’est pas entrée dans la valeur de la masse des produits fabriqués. Sa valeur totale n’est donc déterminante que pour la valeur de la masse de produits à la fabrication desquels elle a contribué : on déduit de la valeur totale la valeur transmise en un laps de temps donné, comme partie aliquote de cette dernière, c’est dire qu’on évalue le rapport entre la période d’utilisation donnée et la période totale où elle fonctionne et transmet au produit la totalité de sa valeur. Pour ce qui est de la partie dont la valeur n’est pas encore entrée dans la masse des marchandises déjà produites, on peut la négliger dans ces calculs, ou l’estimer comme nulle par rapport à la masse produite. Ou bien, et cela revient au même pour notre démonstration, on peut admettre, pour simplifier, que tout le capital - y compris sa partie constante,- qui passe intégralement dans le produit au bout d’une longue période - se résout entièrement dans le produit du capital total considéré. (...)

Tant que le capital apparaît seulement sous ses formes élémentaires - marchandise ou argent - le capitaliste fait figure, comme nous l’avons déjà vu, de possesseur de marchandises ou d’argent. Mais, il ne s’ensuit pas pour autant que les possesseurs de marchandises ou d’argent soient, comme tels, des capitalistes. Comme tels, les marchandises ou l’argent ne sont pas davantage du capital- ils ne se transforment en capital que dans des conditions données, celles-là même qui font du possesseur de marchandises ou d’argent un capitaliste.

Bref, à l’origine, le capital apparaît comme argent qui doit encore se transformer en capital, ou mieux : comme capital en puissance.

Les économistes se trompent lorsque, d’une part, ils identifient ces formes élémentaires en tant que telles - marchandises ou argent - avec le capital et que, d’autre part, ils proclament capital ce qui n’est que son mode d’existence comme valeur d’usage, les moyens de travail.

Dans sa forme première, pour ainsi dire provisoire, d’argent (point de départ de la genèse du capital), le capital n’est encore que de l’argent, c’est-à-dire une somme de valeurs d’échange sous sa forme autonome, son expression monétaire. Mais, voilà, cet argent doit se valoriser, la valeur d’échange devant servir à créer davantage de valeurs d’échange. La somme de valeurs doit croître, autrement dit. la valeur existante ne doit pas seulement se conserver, mais encore produire un incrément, valeur à ou plus-value. La valeur existante - somme d’argent donnée - apparaît donc comme fluens, et l’incrément comme fluxio.

Nous reviendrons sur l’expression monétaire autonome du capital, lorsque nous traiterons de son procès de circulation. * Ne devant pour l’heure nous occuper que de l’argent, point de départ du procès de production immédiat, il nous suffit de faire observer que le capital existe jusqu’ici seulement comme somme donnée de valeurs = A (argent), d’où toute trace de valeur d’usage a disparu, pour ne laisser subsister que sa forme monétaire. La grandeur de cette somme de valeurs trouve sa limite dans le montant ou la quantité de la somme d’argent devant se transformer en capital : cette somme de valeurs ne devient donc du capital que parce que sa grandeur augmente et peut varier, étant d’emblée un fluens engendrant une fluxio.

En soi - par définition - cette somme d’argent n’est capital que si on l’utilise ou la dépense en vue de l’augmenter. Ce qui, pour la somme existante de valeurs ou d’argent, est destination - tendance et impulsion intérieures - devient but et intention pour le capitaliste qui possède cette somme d’argent et assume cette fonction d’augmenter le capital.

A l’origine, le capital - ou ce qui doit devenir du capital - revêt la forme toute simple de la valeur - ou de l’argent - dans laquelle il est fait abstraction de toute relation avec la valeur, d’usage, puisque celle-ci y disparaît. De même, la définition que nous venons de donner du capital - création de valeur plus grande - fait abstraction de toutes les interférences perturbatrices et des rapports déroutants avec le procès de production réel (production de marchandises, etc.) si bien que nous y découvrons, sous une forme abstraite tout aussi simple, la spécificité du procès de production capitaliste.

Si le capital initial est une somme de valeurs égale à x, le but de cet x, en devenant du capital, est de se transformer en x + x, c’est-à-dire, en une somme d’argent ou de valeurs, qui non seulement correspond à la somme de valeurs initiale mais encore profite d’un excédent. Autrement dit, il se mue en une grandeur monétaire à laquelle s’ajoute une plus-value. La production de plus-value (qui implique la conservation de la valeur avancée au début) devient dès lors le but déterminant, l’intérêt moteur et le résultat final du procès de production capitaliste, ce par quoi la valeur initiale se transforme en capital.

Le mode ou procédé employé dans la pratique pour transformer x en x + x ne change rien au but et au résultat du processus. Si x peut être transforme en x + x même sans qu’il y ait procès de production capitaliste, il ne saurait l’être 1º ni dans les conditions d’une société dont les membres concurrents se font face uniquement comme possesseurs de marchandises et n’entrent qu’à ce titre en contact mutuel (ce qui exclut l’esclavagisme, etc.) ; 2º ni dans l’hypothèse où le produit social est créé comme marchandise (ce qui exclut toutes les formes où les producteurs immédiats ont pour but principal la valeur d’usage et convertissent, tout au plus, l’excédent du produit en marchandise).

Ce but du Procès - transformation de x en x + x - indique aussi quelle est la voie que doit suivre notre recherche. Il s’agit d’exprimer la fonction d’une grandeur variable, ou la mutation en une grandeur variable qui s’opère au cours du procès : au début, la somme d’argent donnée x est une grandeur constante, son Incrément étant égal à zéro, au cours du procès, elle doit se transformer en une grandeur nouvelle, renfermant un élément variable. Il nous fait donc découvrir cet élément et, en même temps, montrer comment nous obtenons une variable à Partir d’une grandeur initialement constante.

Comme nous le verrons lors de l’analyse du procès de production réel, étant donné qu’une partie de x se retransforme en une grandeur constante, à savoir en moyens de travail et qu’une partie seulement de la valeur de x doit avoir la forme de valeurs d’usage déterminées, et non de monnaie [ce qui ne modifie en rien la grandeur de valeur constante, ni en général cette partie pour autant qu’elle est valeur d’échange], x se présente dans ce procès, comme c (grandeur constante) + v (grandeur variable), soit : c + v. A présent la différence sera : [ (c + v)] = [c + (v + v)] et, comme c = o, nous obtenons [v + v]. Ce qui apparaît à l’origine comme x est donc en réalité v. Le rapport entre cet incrément de la grandeur initiale x et la partie de x, dont il est réellement l’incrément, devra être (puisque v = v, x étant égal à v) :

=

qui est la formule du taux de plus-value.

Comme le capital total C est égal à c + v (c étant constant et v variable), C peut être considéré comme fonction de v : si v augmente de v, C devient C’. Nous aurons donc :

1) C = c + v ;
2) C’ = c + (v + v).

En soustrayant la première équation de la seconde, on obtient la différence C’ - C, c’est-à-dire l’incrément de C, soit C. Il s’ensuit :

3) C’ - C = c + v + v - c - v.

Et comme C’ - C représente la grandeur dont C a varié ( C), c’est-à-dire l’incrément de C, soit à C, nous aurons :

4) C= v.

En d’autres termes, l’incrément du capital total correspond à l’incrément de la partie variable du capital, de sorte que C (ou la variation de la partie constante du capital) est égal à zéro, et il n’y a donc pas lieu d’en tenir compte.

La proportion dans laquelle v a augmenté est (taux de plus-value). La proportion dans laquelle C a augmenté est = (taux de profit).

La fonction véritable spécifique du capital en tant que tel est donc de produire une plus-value, or – comme il apparaîtra ultérieurement - ce n’est rien d’autre que produire du surtravail et s’approprier du travail non payé au sein du procès de production réel, le surtravail se présentant et se matérialisant en la plus-value.

Il en résulte, par ailleurs, que, pour transformer x en capital, c’est-à-dire en x + x, il faut que la valeur ou somme d’argent x se convertisse en facteurs du procès de production et - avant tout - en facteurs du procès de travail réel. Dans certaines branches d’industrie, il arrive qu’une partie des moyens de production - objet du travail - n’ait pas de valeur, n’étant pas une marchandise bien qu’ayant une valeur d’usage. Dans ce cas, une partie seulement de x se convertit en moyens de production. Si l’on considère la conversion de x, c’est-à-dire l’achat par x de marchandises destinées au procès de production, la valeur de l’objet de travail - qui n’est rien d’autre que les moyens de production achetés - est alors égale à zéro. Nous considérons, bien sûr, la question sous sa forme achevée, l’objet du travail étant marchandise. Lorsque ce n’est pas le cas, ce facteur -pour ce qui est de la valeur - se pose par définition comme égal à zéro, ceci pour rectifier le calcul.

Tout comme la marchandise est unité immédiate de valeur d’usage et de valeur d’échange, le procès de production des marchandises est unité immédiate du procès de travail et du procès de valorisation. De même, si les marchandises, unités immédiates de valeur d’usage et d’échange, sortent du procès de travail comme résultat (produit), elles y entrent, comme éléments constitutifs. Bref, il ne peut rien sortir d’un procès de production qui n’y soit entré sous forme de conditions de production. (...)

La soumission réelle du travail au capital s’accompagne d’une révolution complète (qui se poursuit et se renouvelle constamment. cf. le Manifeste communiste 3) du mode de production, de la productivité du travail et des rapports entre capitalistes et ouvriers. **

La soumission réelle du travail au capital va de pair avec les transformations du procès de production que nous venons de mentionner : développement des forces de la production sociale du travail et grâce au travail à une grande échelle, application de la science et du machinisme à la production immédiate. D’une part, le mode de production capitaliste - qui à présent apparaît véritablement comme un mode de production sui generis - donne à la production matérielle une forme différente ; d’autre part, cette modification de la forme matérielle constitue la base pour le développement des rapports capitalistes, qui exigent donc un niveau déterminé d’évolution des forces productives pour trouver leur forme adéquate.

Nous avons déjà vu qu’un minimum déterminé et toujours croissant de capital dans les mains de tout capitaliste est la prémisse aussi bien que le résultat constant du mode de production spécifiquement capitaliste. Le capitaliste doit être propriétaire ou détenteur des moyens de production à une échelle sociale : leur valeur n’a désormais plus aucune proportion avec ce que peut produire un individu ou sa famille. Ce minimum de capital est d’autant plus élevé dans une branche de production que celle-ci est exploitée d’une manière plus capitaliste et que la productivité sociale du travail y est développée. A mesure que le capital voit augmenter sa valeur et qu’il prend des dimensions sociales, il perd tous ses caractères individuels.

La productivité du travail, la masse de production, de population et de surpopulation que détermine ce mode de production, créent sans cesse - grâce au capital et au travail devenus disponibles - de nouvelles branches d’industrie, où le capital peut se remettre à travailler sur une échelle plus modeste et à reparcourir les divers stades de développement jusqu’à ce qu’elles fonctionnent, elles aussi, à une échelle sociale : ce procès est constant.

C’est ainsi que la production capitaliste tend à conquérir toutes les branches d’industrie où elle ne domine pas encore et où ne règne qu’une soumission formelle. Dès qu’elle s’est emparée de l’agriculture, de l’industrie extractive, des principales branches textiles, etc., elle gagne les secteurs où sa soumission est purement formelle, voire où subsistent encore des travailleurs indépendants *.

En traitant du machinisme, nous avons déjà observé que l’introduction de machines dans un secteur entraîne leur utilisation dans les autres compartiments de ce secteur ainsi que dans les secteurs plus éloignés. Par exemple, les machines à filer ouvrent la voie aux machines à tisser, comme la filature mécanique dans l’industrie cotonnière conduit à la filature mécanique dans les industries de la laine, du lin, de la soie, etc. L’emploi croissant de machines dans les mines de charbon, les manufactures cotonnières, etc., finit par développer la production en grand dans l’industrie de construction des machines.

Abstraction faite de l’accroissement des moyens de communication qu’exige ce mode de production à une grande échelle, ce n’est qu’avec l’introduction du machinisme dans l’industrie de la construction des machines - c’est-à-dire des prime motors cycliques - qu’il fut possible de développer non seulement les chemins de fer, mais encore les bateaux à vapeur, ce qui à son tour bouleversa toute la construction navale.

Dans les secteurs qu’elle n’a pas encore conquis, la grande industrie crée une surpopulation relative ou y jette des masses humaines suffisantes pour transformer en grande industrie l’artisanat ou les Petits ateliers formellement capitalistes. A ce propos, la jérémiade d’un tory :

« Dans le bon vieux temps, quand vivre et laisser vivre était la devise universelle, chacun se contentait d’une seule occupation. Dans l’activité cotonnière, il y avait les tisserands, les fileurs, les blanchisseurs, les teinturiers et plusieurs autres métiers indépendants, qui vivaient tous des profits de leur industrie respective, tous étant satisfaits et heureux, comme il est normal. Cependant, au fur et à mesure que le commerce s’est étendu, le capitaliste s’est emparé d’abord de l’une, puis de l’autre branche, jusqu’au jour où tout le monde fut évincé et jeté sur le marché du travail, pour y trouver tant bien que mal un gagne-pain. Ainsi, bien qu’aucune loi n’assure aux capitalistes le droit d’être fileurs, manufacturiers ou teinturiers, l’évolution les a investis d’un monopole universel... Ils sont devenus hommes à tout faire et, comme le pays vit de l’industrie, il est à craindre qu’ils ne soient maîtres en rien. » 4

Le résultat matériel de la production - outre le développement des forces de production sociale du travail - est l’augmentation de la masse des produits, la multiplication et la diversification des branches et rameaux de la production, par quoi seulement la valeur d’échange se développe en même temps que les sphères d’activité dans lesquelles les produits se réalisent comme valeurs d’échange.

Il y a production pour la production, production comme fin en soi, dès que le travail est soumis formellement au capital, que le but immédiat de la production est de produire le plus possible de plus-value et que la valeur d’échange du produit devient le but décisif. Mais, cette tendance inhérente au rapport capitaliste ne se réalise d’une manière adéquate et ne devient technologiquement aussi une condition nécessaire qu’à partir du moment où est développé le mode de production spécifiquement capitaliste, autrement dit, la soumission réelle du travail au capital.

Ayant déjà traité largement cette question, nous pouvons être bref ici. Cette production n’est pas entravée par des limitations fixées au préalable et déterminées par les besoins. C’est en quoi elle se distingue des modes de production antérieurs, si l’on veut, son côté positif. Son caractère antagonique impose cependant à la production des limites qu’elle cherche constamment à surmonter : d’où les crises, la surproduction, etc. Ce qui fait son caractère négatif ou antagonique, c’est qu’elle s’effectue en contraste avec les producteurs et sans égard pour eux, ceux-ci n’étant que de simples moyens de produire, tandis que, devenue une fin en soi, la richesse matérielle se développe en opposition à l’homme et à ses dépens. La productivité du travail signifie le maximum de produits avec le minimum de travail, autrement dit, des marchandises le meilleur marché possible. Dans le mode de production capitaliste, cela devient une loi, indépendamment de la volonté du capitaliste. En pratique, cette loi en implique une autre : les besoins ne déterminent pas le niveau de la production, mais, au contraire, la masse des produits est fixée par le niveau toujours croissant, prescrit par le mode de production. Or, le but de celui-ci, c’est que chaque produit contienne le plus de travail non payé possible, ce qui ne peut se réaliser qu’en produisant pour la production. Cette loi se traduit en outre par le fait que, d’une part, le capitaliste produisant à une échelle trop réduite incorpore aux produits une quantité de travail excédant la moyenne sociale (c’est ici que s’applique de manière adéquate la loi de la valeur, qui ne se développe complètement que sur la base du mode de production capitaliste) ; d’autre part, le capitaliste individuel tend à briser cette loi ou à la tourner à son avantage, en s’efforçant d’abaisser la valeur de chaque marchandise au-dessous de la valeur déterminée socialement.

Toutes ces formes de production (de plus-value relative), outre qu’elles abaissent sans cesse le minimum de capital nécessaire à la production, ont en commun que les conditions collectives du travail de nombreux ouvriers directement associés permettent de réaliser des économies par rapport aux conditions de la production effectuée à une échelle plus modeste et avec des producteurs parcellaires dispersés, car l’efficacité des conditions de production collectives est plus que proportionnelle à l’accroissement de leur masse et de leur valeur : leur utilisation collective et simultanée fait diminuer d’autant plus leur valeur relative (en ce qui concerne le produit) que leur masse augmente en valeur absolue.

Avant de continuer l’analyse de la forme nouvelle que revêt le capital résultant du mode de production capitaliste, faisons brièvement quelques remarques sur cette question.

Comme le but immédiat et le produit spécifique de la production capitaliste sont la plus-value, seul est productif le travail ou le prestataire de force de travail, qui produit directement de la plus-value. Le seul travail qui soit productif, c’est donc celui qui est consommé directement dans le procès de production en vue de valoriser le capital.

Du simple point de vue du procès de travail en général, est productif le travail qui se réalise en un produit ou, mieux, une marchandise. Du point de vue de la production capitaliste, il faut ajouter : est productif le travail qui valorise directement le capital ou produit de la plus-value, c’est-à-dire le travail qui se réalise, sans aucun équivalent pour l’ouvrier qui l’exécute, en une plus-value représentée par un surproduit, donc en un incrément additionnel de marchandises pour celui qui monopolise les moyens de travail, le capitaliste. En somme, seul est productif le travail qui pose le capital variable - et partant le capital total - comme C + C = C + v, autrement dit, le travail utilisé directement par le capital comme agent de son auto-valorisation, comme moyen pour produire de la plus-value.

Le procès de travail capitaliste ne supprime pas les caractéristiques générales du procès de travail : il crée un produit et une marchandise. En ce sens, est productif le travail qui s’objective en marchandises, (unités de la valeur d’usage et de la valeur d’échange). Cependant, le procès de travail n’est que simple moyen de valoriser du capital. En conséquence, est productif le travail qui se manifeste dans la marchandise : si nous considérons une marchandise particulière, le travail qui s’exprime dans l’une de ses quotités représentant du travail non payé, ou, si nous considérons le produit total, le travail qui s’exprime dans l’une des quotités de la masse totale de marchandises représentant du travail non payé ; bref, en un produit qui ne coûte rien au capitaliste.

Est productif l’ouvrier qui effectue un travail productif, le travail productif étant celui qui engendre directement de la plus-value, c’est-à-dire qui-valorise le capital. -

Il faut toute l’étroitesse d’esprit du bourgeois, qui tient la forme capitaliste pour la forme absolue de la production, et donc pour sa forme naturelle, pour confondre ce qui est travail productif et ouvrier productif du point de vue du capital avec ce qui est travail productif en général, de sorte qu’il se satisfait de cette tautologie : est productif tout travail qui produit en général, c’est-à-dire qui aboutit à un produit ou valeur d’usage quelconque, voire à un résultat quel qu’il soit.

Seul est productif l’ouvrier dont le procès de travail correspond au procès productif de consommation de la force de travail - du porteur de ce travail - par le capital ou le capitaliste.

Il en résulte directement deux choses :

1º Avec le développement de la soumission réelle du travail au capital ou mode de production spécifiquement capitaliste, le véritable agent du procès de travail total n’est plus le travailleur individuel, mais une force de travail se combinant toujours plus socialement. Dans ces conditions, les nombreuses forces de travail, qui coopèrent et forment la machine productive totale, participent de la manière la plus diverse au procès immédiat de création des marchandises ou, mieux, des produits- les uns travaillant intellectuellement, les autres manuellement, les uns comme directeur, ingénieur, technicien ou comme surveillant, les autres, enfin, comme ouvrier manuel, voire simple auxiliaire. Un nombre croissant de fonctions de la force de travail prennent le caractère immédiat de travail productif, ceux qui les exécutent étant des ouvriers productifs directement exploités par le capital et soumis à son procès de production et de valorisation.

Si l’on considère le travailleur collectif qui forme l’atelier, son activité combinée s’exprime matériellement et directement dans un produit global, c’est-à-dire une masse totale de marchandises. Dès lors, il est parfaitement indifférent de déterminer si la fonction du travailleur individuel - simple maillon du travailleur collectif – consiste plus ou moins en travail manuel simple. L’activité de cette force de travail globale est directement consommée de manière. productive par le capital dans le procès d’autovalorisation du capital : elle produit donc immédiatement de la plus-value ou mieux, comme nous le verrons par la suite, elle se transforme directement elle-même en capital.

2º Les éléments consécutifs de la définition du travail productif se déduisent directement du procès de production capitaliste. En premier lieu, vis-à-vis du capital ou du capitaliste, le possesseur de la capacité de travail apparaît comme vendeur de celle-ci et - ainsi que nous l’avons déjà dit en utilisant une expression irrationnelle * - comme vendeur direct de travail vivant, et non de marchandise objective : ouvrier salarié. Telle est la première condition Préalable. En second lieu, sitôt qu’elle est introduite par ce procès préliminaire qui fait partie de la circulation, sa force de travail est directement incorporée comme facteur vivant au procès de production du capital et en devient même l’une de ses parties constitutives, la partie variable, qui non seulement conserve et reproduit les valeurs du capital avancé, mais encore les augmente et, en créant la plus-value, les transforme en valeur qui se valorise, en capital. Au cours du procès de production, cette force de travail, grandeur fluide de valeur, se matérialise directement dans des objets. (...)

A l’instar de ce qui se passe dans l’argent où le caractère général du travail créateur de valeur apparaît comme la propriété d’une chose, toutes les forces de production sociales du travail se présentent comme forces productives et propriétés immanentes du capital, du fait qu’au sein du procès de production le travail vivant est déjà incorporé au capital. C’est ce qui apparaît d’autant plus que :

1º Si c’est à l’ouvrier particulier qu’appartient le travail qui est manifestation et effort de sa force de travail (car ne paie-t-il pas avec cela ce qu’il reçoit du capitaliste), c’est au capitaliste qu’appartient le travail qu’il objective dans un produit, sans parler de ce qu’en outre toute la combinaison sociale, au sein de laquelle les forces de travail particulières opèrent comme tel ou tel organe de l’ensemble de la force de travail constituant l’atelier, n’appartient pas aux ouvriers, mais leur fait face et s’impose à eux comme arrangement capitaliste ;

2º ces forces de production sociales du travail ou forces productives du travail social ne se développent historiquement qu’avec le mode de production spécifiquement capitaliste, ce qui les fait apparaître comme immanentes au système capitaliste et inséparables de lui ;

3º avec le développement du mode de production capitaliste, les conditions objectives du travail changent de forme par suite de leur dimension croissante et des économies effectuées dans leur emploi (sans parler de ce que les instruments de travail changent complètement de forme avec le machinisme, etc.). Elles se développent avec la concentration des moyens de production, qui représentent la richesse sociale, en un mot avec l’ampleur et l’efficacité croissantes des conditions de production du travail socialement combiné. Non seulement la combinaison du travail, mais encore le caractère social des conditions de travail - parmi lesquelles il faut compter entre autres, la forme qu’elles acquièrent dans la machinerie et le capital fixe quel qu’il soit - semblent être absolument autonomes et distincts des ouvriers, un mode d’existence du capital ; ainsi, il semble qu’il soit arrangé par le capitaliste, indépendamment des ouvriers. Mais plus encore que le caractère social de leur propre travail, le caractère des conditions de production, devenues collectives, apparaissent comme capitalistes, indépendamment des ouvriers.

Au point 3, il faut ajouter les observations suivantes, qui anticipent en partie sur ce qui va suivre :

Le profit - à la différence de la plus-value * - peut croître si l’on économise des conditions collectives de travail, soit que l’on utilise mieux les bâtiments, le chauffage, l’éclairage, etc., soit que la valeur du prime motor (source d’énergie) ne croisse pas dans la même mesure que sa puissance, sans parler des économies que l’on peut réaliser, en pesant sur le prix des matières premières, en réutilisant les déchets, en aménageant les dépenses de gestion, en stockant rationnellement les marchandises produites en masse, etc. Le meilleur marché relatif du capital constant, malgré l’augmentation absolue de sa valeur, est dû au fait que les moyens de production - moyens et matière du travail - sont utilisés collectivement, ce qui a pour prémisse absolue la coopération d’ouvriers tenus ensemble. Tout cela n’est que l’expression objective du caractère social du travail, et de la force productive sociale qui en résulte. Ainsi, la forme particulière de ces conditions - la machinerie, par exemple - ne pourrait s’appliquer, si le travail ne se faisait pas en association. Néanmoins, pour l’ouvrier qui s’affaire au milieu d’elles, ces conditions paraissent être données, indépendantes de lui, en tant que formes du capital.

De même, les économies réalisées sur les conditions de travail (et l’augmentation consécutive du profit ainsi que la baisse de prix des marchandises) apparaissent comme distinctes du surtravail de l’ouvrier, comme l’œuvre et le fait du capitaliste, qui opère comme personnification du caractère social du travail et de l’atelier collectif.

La science, produit intellectuel général du développement de la société paraît, elle aussi, directement incorporée au capital, et son application au procès de production matériel indépendante du savoir et de la capacité de l’ouvrier individuel- le développement général de la société, étant exploité par le capital grâce au travail et agissant sur le travail comme force productive du capital, apparaît comme le développement même du capital, et ce d’autant plus que, pour le plus grand nombre, la capacité de travail est vidée parallèlement de sa substance.

Le capitaliste ne détient, de pouvoir que pour autant qu’il personnifie le capital : dans la comptabilité italienne, il apparaît toujours comme double figure ; il est ainsi le débiteur de son propre capital.

Dans la soumission formelle, la productivité du travail est assurée, tout d’abord, purement et simplement par ce que l’ouvrier est contraint d’effectuer du surtravail. Cette contrainte est commune aux modes de production qui se sont succédé jusqu’ici, à cela près qu’avec le capitalisme elle s’exerce en un sens plus favorable à la production.

Même dans le rapport purement formel - valable en général pour toute la production capitaliste, puisque celle-ci conserve, même dans son plein développement, les caractéristiques de son mode peu évolué - les moyens de production, conditions matérielles du travail, ne sont pas soumis au travailleur, mais c’est lui qui leur est soumis : c’est le capital qui emploie le travail. Dans cette simplicité, ce rapport met en relief la personnification des objets et la réification des personnes.

Mais le rapport devient plus complexe et apparemment plus mystérieux, lorsque, avec le développement du mode de production spécifiquement capitaliste, ce ne sont plus seulement les objets - ces produits du travail, en tant que valeurs d’usage et valeurs d’échange - qui, face à l’ouvrier, se dressent sur leurs pieds comme « capital », mais encore les formes sociales du travail qui se présentent comme formes de développement du capital, si bien que les forces productives, ainsi développées, du travail social apparaissent comme forces productives du capital : en tant que telles, elles sont « capitalisées », en face du travail. En fait, l’unité collective se trouve dans la coopération, l’association, la division du travail, l’utilisation des forces naturelles, des sciences et des produits du travail sous forme des machines. Tout cela s’oppose à l’ouvrier individuel comme quelque chose qui lui est étranger et existe au préalable sous forme matérielle-, qui plus est, il lui semble qu’il n’y ait contribué en rien, ou même que tout cela existe en dépit de ce qu’il fait.

Bref, toutes les choses deviennent indépendantes de lui, simples modes d’existence des moyens de travail, qui le dominent en tant qu’objets. L’intelligence et la volonté de l’atelier collectif semblent incarnées dans ses représentants - le capitaliste ou ses sous-fifres - dans la mesure où les ouvriers sont associés dans l’atelier et où les fonctions du capital incarnées dans le capitaliste s’opposent à eux.

Les formes sociales du travail des ouvriers individuels - aussi bien subjectivement qu’objectivement - ou, en d’autres termes, la forme de leur propre travail social, sont des rapports établis d’après un mode tout à fait indépendants d’eux : en étant soumis au capital, les ouvriers deviennent des éléments de ces formations sociales, qui se dressent en face d’eux comme formes du capital lui-même, comme si elles lui appartenaient - à la différence de la capacité de travail des ouvriers - et comme si elles découlaient du capital et s’y incorporaient aussitôt.

Tout cela prend des formes d’autant plus réelles que, d’une part, la capacité du travail elle-même est modifiée par ces formes au point qu’elle devient impuissante lorsqu’elle en est séparée, autrement dit que sa force productive autonome est brisée lorsqu’elle ne se trouve plus dans le rapport capitaliste ; et que d’autre part, la machinerie se développe, si bien que les conditions de travail en arrivent, même du point de vue technologique, à dominer le travail en même temps qu’elles le remplacent, l’oppriment et le rendent superflu dans les formes où il est autonome.

Dans ce procès, les caractères sociaux du travail apparaissent aux ouvriers comme s’ils étaient capitalisés en face d’eux : dans la machinerie, par exemple, les produits visibles du travail apparaissent comme dominant le travail. Il en va naturellement de même pour les forces de la nature et la science (ce produit du développement historique général dans sa quintessence abstraite), qui font face à l’ouvrier comme puissances du capital, en se détachant effectivement de l’art et du savoir de l’ouvrier individuel. Bien qu’elles soient, à leur source, le produit du travail, elles apparaissent comme étant incorporées au capital, à peine l’ouvrier entre-t-il dans le procès de travail. Le capitaliste qui emploie une machine, n’a pas besoin de la comprendre (cf. Ure) * ; pourtant la science réalisée dans la machine, apparaît comme capital face aux ouvriers. De fait, toutes ces applications - fondées sur le travail associé - de la science, des forces de la nature et des produits du travail en grande série apparaissent uniquement comme moyens d’exploitation du travail et d’appropriation du surtravail, et donc comme forces appartenant en soi au capital. Naturellement, le capital utilise tous ces moyens dans le seul but d’exploiter le travail, mais, pour ce faire, il doit les appliquer à la production. C’est ainsi que le développement des forces productives sociales du travail et les conditions de ce développement apparaissent comme l’œuvre du capital, et l’ouvrier se trouve, face à tout cela, en un rapport non seulement passif, mais antagonique.

Le capital, puisqu’il se compose de marchandises, est lui aussi double :

1º Valeur d’échange (argent), mais également valeur, qui se valorise pour créer de la valeur et, augmenter la valeur, et qui s’incorpore un incrément de valeur. Tout cela se ramène à l’échange d’une, somme donnée de travail objectivé contre une somme plus grande de travail vivant.

2º Valeur d’usage, et ici le capital se conforme à la nature du procès de travail. Mais c’est justement ici qu’il n’est pas seulement matière et moyen de travail auxquels le travail appartient et s’incorpore, mais encore combinaisons sociales du travail et développement correspondant du moyen de travail. Seule la production capitaliste développe sur une grande échelle les conditions, aussi bien objectives que subjectives, du procès de travail, en les arrachant aux travailleurs autonomes, mais elle les développe comme puissances étrangères à l’ouvrier qui travaille sous leur domination.

Le capital devient ainsi un être tout à fait mystérieux.

Les conditions de travail s’amoncellent comme forces sociales face à l’ouvrier, et c’est sous cette forme qu’elles sont capitalisées.

Le capital apparaît donc comme productif :

1º parce qu’il contraint l’ouvrier à effectuer du surtravail. Or si le travail est productif, c’est précisément du fait qu’il effectue du surtravail, du fait de la différence qui se réalise entre la valeur de la capacité de travail et celle de sa valorisation ;

2º parce qu’il personnifie et représente, sous forme objectivée, les « forces de la production sociale du travail » ou forces productives du travail social.

Nous avons déjà vu que la loi de la production capitaliste - la création de plus-value, etc. - s’impose comme contrainte que les capitalistes exercent les uns sur les autres ainsi que sur les ouvriers, bref c’est une loi du capital qui opère contre tous les deux.

La force, de nature sociale, du travail ne se développe pas dans le procès de valorisation en tant que tel, mais dans le procès de travail réel. C’est pourquoi, elle apparaît comme une propriété inhérente au capital en tant que chose, comme sa valeur d’usage. Le travail productif (de valeur) continue de faire face au capital comme travail des ouvriers individuels, quelles que soient les combinaisons sociales dans lesquelles ces ouvriers entrent dans le procès de production. Tandis que le capital s’oppose, comme force sociale du travail, aux ouvriers, le travail productif, lui, se manifeste toujours face au capital comme travail des ouvriers individuels.

En analysant le procès d’accumulation, nous avons vu que c’est comme force immanente du capital qu’apparaît l’élément grâce auquel le travail passé - sous forme de forces productives et de conditions de production déjà produites - accroît la reproduction, sous l’angle aussi bien de la valeur d’usage que de la valeur d’échange, dont la masse de valeur est conservée par une quantité déterminée de travail vivant, tout comme la masse de valeurs d’usage est de nouveau produite. En effet, le travail objectivé opère toujours en se capitalisant face à l’ouvrier.

« Le capital c’est la puissance démocratique, philanthropique et égalitaire par excellence. » Cf. Fr. Bastiat, Gratuité du crédit etc., Paris, 1850.

« Le capital accumulé cultive la terre et emploie aussi le travail. » CL A. Smith, I.c., vol. V, chap. 2, édit. Buchanan, 1814, vol. III, p. 309.

« Le capital est... une force collective. » Cf. John Wade, History of the Middle and Working Classes etc., 3e édit., Londres, 1835, p. 162. « Le capital n’est qu’un autre nom pour la civilisation. » Ibid., p. 104.

« La classe des capitalistes, considérée en bloc ; se trouve dans une position normale, en ce que son bien-être suit la marche du progrès social. » CL Cherbuliez, Riche ou Pauvre, p. 75. « Le capitaliste est l’homme social par excellence, il représente la civilisation. » Ibid., p. 76.

Affirmation sans voiles : « La force productive du capital n’est rien d’autre que la quantité de forces productives réelles que le capitaliste peut commander grâce à son capital. » J. St. Mill, Essays on Some Unsettled Questions of Political Economy, Londres, 1844, p. 91.

« L’accumulation du capital, ou les moyens d’employer du travail... doivent, dans tous les cas, dépendre des forces productives du travail. » Cf. Ricardo, Principles, etc., 3e édit, 1821, p. 92. Son commentateur observe à ce propos : « Cela revient à dire que les forces productives du travail obtiennent la petite fraction du produit qui va à ceux qui l’ont créé avec le travail de leurs mains. » Cf. Observations on Certain Verbal Disputes in Political Economy, Londres, 1821, p. 71.

Destutt de Tracy exprime de manière naïve que le travail se transforme constamment en capital : « Ceux qui vivent des profits [les capitalistes industrieux] alimentent tous les autres, et eux seuls augmentent la fortune publique et créent tous nos moyens de jouissance. Cela doit être, puisque le travail est la source de toute richesse, et puisque eux seuls donnent une direction utile au travail actuel, en faisant un usage utile du travail accumulé. » Cf. Traité d’économie politique, p. 242. Comme le travail est la source de toute richesse... le capital accroît toute richesse : « Nos facultés sont notre seule richesse originaire, notre travail produit toutes les autres, et tout travail bien dirigé est productif. » Ibid., p. 243.

Nos facultés sont la seule source de notre richesse, c’est pourquoi... la force de travail n’est pas une richesse. Le travail produit toutes les autres richesses, - cela revient à dire qu’il produit les richesses pour tous, sauf pour lui-même ; le travail n’est pas lui-même richesse, mais seulement son produit. Tout travail bien dirigé est productif, autrement dit : tout travail est productif, tout travail est bien dirigé, s’il donne un profit au capitaliste.

Les esprits se sont faits à ce point à cette constante transposition des forces de la production sociale du travail en propriété matérielle du capital qu’ils s’imaginent que les avantages du machinisme, de l’application de la science, des inventions, etc. ont nécessairement une forme aliénée ; bref, tout est conçu comme devenant propriété du capital.

Au fond de tout cela, on trouve : 1º la forme spécifique que revêtent les choses sur la base de la production capitaliste, et donc aussi dans la conscience des individus impliqués dans ce mode de production ; 2º le fait historique que, pour la première fois et à la différence de ce qui se passe dans les modes de production antérieurs, ce développement s’effectue en vertu de la production capitaliste, si bien que le caractère antagonique de ce développement apparaît comme lui étant immanent.

Karl Marx, Le Capital, Le procès de production du capital, sixième chapitre

Messages

  • Le capital se transforme en argent puis à nouveau en capital. Ces formes successives sont contradictoires mais indispensables les unes aux autres.

    Les objets d’usage se transforment en marchandises puis en argent en vue d’achats d’objets d’usage. Encore des formes contradictoires mais indispensables les unes aux autres.

    Ce sont des cycles dialectiques par destruction de l’ancienne forme et passage à une forme qualitativement nouvelle.

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