Accueil > 02 - Livre Deux : SCIENCES > Développement et génétique > Des gènes activés et inhibés

Des gènes activés et inhibés

dimanche 16 avril 2017, par Robert Paris

Activation et inhibition dans le ballet dialectique du vivant : des séquences génétiques « allument » ou « éteignent » les gènes.

Les chromosomes, faits d’ADN (acide désoxyribonucléique), sont le support de notre patrimoine génétique, de nos gènes, qui commandent le fonctionnement de nos organes, par le biais des protéines. Mais les chromosomes contiennent aussi, au-delà des gènes eux-mêmes, d’autres éléments de l’ADN, dits « ADN poubelle », parce que l’on pensait qu’ils ne servaient à rien. Une équipe internationale de 400 chercheurs vient de découvrir qu’ils jouent en réalité un rôle essentiel dans la régulation de l’activité des gènes et dans certaines maladies. La grande majorité de cet « ADN poubelle » « serait en fait une vaste table de contrôle avec des millions d’interrupteurs régulant l’activité de nos gènes. Sans ces interrupteurs, les gènes ne fonctionneraient pas et des mutations dans ces régions pourraient induire des maladies », souligne un résumé de ces travaux publiés mercredi dans plusieurs revues scientifiques dont Nature et Science.

Interrogé par l’AFP, Pierre Tambourin, le directeur général du Génopole à Évry, a qualifié cette découverte de très importante car elle montre que l’ADN non codant est essentiel à la vie. « C’est presque aussi important que la publication de la séquence du génome de l’homme », estime-t-il. L’ADN humain est composé de 3,3 milliards de paires de bases. Mais seulement 2 à 3 % de ce matériel sont codants. Le reste du génome, soit 3,25 milliards de paires de base, avait été qualifié au départ « d’ADN poubelle » parce qu’on l’avait jugé inutile.

Dans le vaste projet Encode lancé en 2003 pour réaliser une gigantesque encyclopédie de l’ADN, l’équipe de chercheurs vient d’identifier 4 millions d’« interrupteurs » génétiques. « Notre génome est en vie grâce à ces millions d’interrupteurs qui déterminent si un gène doit être “allumé” ou “éteint” », explique Ewan Birney du Laboratoire européen de biologie moléculaire et de bio-informatique (LEBM-IEB), coordonnateur en chef de l’analyse. « Dans la plupart des cas nous savons quels gènes jouent un rôle dans une maladie, mais pas quels interrupteurs sont impliqués », indique pour sa part Iam Durham, un chercheur au LEBM-IEB, qui souligne qu’Encode fournit des « pistes prometteuses pour la découverte de mécanismes clés dans les maladies ».

La biochimie des macromolécules est bien à la base du vivant, mais la composition chimique de l’ADN, des gènes ou des protéines n’en est pas le point essentiel. Ce qui compte, c’est le mode de fonctionnement, ce sont les relations entre gènes qui sont nécessaires pour que ces gènes s’expriment. Un gène peut en effet très bien être présent, mais silencieux. Il est inactif parce que d’autres cycles voisins ne sont pas encore entrés en activité et qu’ils sont nécessaires, pour lui donner le signal de démarrage. Je ne prends qu’un seul exemple : une maladie génétique qu’un individu a contracté à la naissance peut ne s’exprimer qu’à un certain âge. C’est dû au fait que l’expression du gène ne se réalise que lorsque d’autres cycles sont également activés, des cycles liés à l’horloge du vieillissement.
La compréhension du rôle des gènes a donc été complètement révisée à la suite de recherches récentes. Il n’y a pas longtemps, on croyait que les gènes déterminent directement l’être vivant, chaque gène fixant à lui seul un caractère, un organe, et la composition chimique de l’ADN déterminant le type d’une cellule. Maintenant on sait que la diversification cellulaire n’est pas fondée sur un changement de l’ADN. Les nombreux types de cellules différentes que contient un être vivant ont le même ADN et ce qui les différencie c’est seulement l’ordre d’activation de l’ensemble des gènes. Il s’agit d’un véritable organigramme de réactions qui s’enchaînent.

On croyait qu’il fallait des gènes différents pour produire des animaux de différentes espèces, qu’un singe était un singe parce qu’il avait des gènes de singe et un ours des gènes d’ours. Sur ce plan, le clonage a changé complètement notre point de vue. On s’est aperçu qu’un gène d’ours peut très bien fonctionner sur une fourmi et inversement. Si on inocule un gène qui commande la fabrication d’un oeil de mouche à une mouche drosophile, il lui pousse un oeil supplémentaire. Mais que se passe-t-il si on inocule un gène d’oeil de souris à cette mouche drosophile ? Le premier motif d’étonnement c’est que le gène de souris fonctionne très bien sur une mouche. Mais que va-t-il produire ? Est-ce un oeil de souris, un oeil de mouche ou une bizarrerie ? On pourrait se dire que cela devrait être un oeil de souris puisque le gène vient d’une souris ... En effet, on sait que la souris n’a pas du tout la même structure de l’oeil que la mouche. Eh bien non, c’est un oeil tout à fait normal de mouche qui va apparaître sur la drosophile ! Et l’inverse est vrai également : si on inocule à une grenouille un gène de fourmi, il poussera un oeil de plus et ce sera un oeil de grenouille. On a montré que la commande de fabrication d’un oeil en général est utilisable sur n’importe quel animal capable de faire fonctionner un oeil. On démontre ainsi que ce gène donne seulement l’ordre « fait pousser un oeil » et que cet ordre est commun aux diverses espèces vivantes, ou du moins interchangeable. Des gènes homéotiques, comme celui de l’oeil, sont ceux qui pilotent non seulement la formation d’un organe, mais tout le développement embryonnaire. Nous allons voir au cours de l’exposé que c’est justement sur les gènes homéotiques qu’ont été faites les découvertes récentes les plus révolutionnaires.

L’ADN est bien le moteur du fonctionnement génétique de la cellule mais c’est un moteur éteint qui a besoin d’un démarreur. Cette fonction de démarrage n’est pas interne à la molécule d’ADN. Les gènes contenus dans celle-ci sont primitivement bloqués par des interrupteurs. C’est en les inhibant que l’action des gènes est activée. Cela permet de décider quelles protéines produire et quand les produire mais aussi quelle cellule vivante construire. Ce qui distingue une cellule d’un type d’une cellule d’un autre type, dans le même être vivant, ce n’est pas le contenu de l’ADN mais les gènes activés ou inhibés de la bibliothèque des gènes. Dans l’étude de l’interrupteur-inhibiteur, du constructeur-destructeur, on a remarqué que son action est bien plus rapide que le phénomène sur lequel il agit. La protéine qui intervient dans un processus doit elle-même être préalablement libérée, ce qui fait appel à un autre mécanisme libérateur, fondé lui aussi sur la destruction d’une liaison précédente.

Il est courant de concevoir ce qui inhibe comme un simple blocage du processus actif. C’est ce que l’on pensait autrefois dans bien des domaines, de la mécanique à la psychologie et à la biologie. Les sciences de la nature ont montré que l’inhibition, la négation, la contradiction, ne devaient pas être conçues seulement négativement mais positivement, pas seulement comme freinage ou blocage d’une action mais comme moteur de celle-ci, pas seulement destructivement mais constructivement. En effet, inhiber des mécanismes cérébraux de l’enfance, c’est construire des mécanisme cérébraux de l’adulte. Par exemple, inhiber des gènes de l’ADN, c’est mettre en action d’autres gènes que les précédents bloquaient. Etc.... L’inhibition est constructive non seulement sur le plan biologique, génétique, neuronal, cérébral, mais aussi sur le plan culturel et social .

La suite

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.