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Le conte de l’Etat au service des citoyens

lundi 24 juillet 2017, par Robert Paris

Edito

Les peuples voudraient compter sur un Etat pour défendre leurs intérêts et ils trouvent, au contraire, leur pire adversaire

On entend souvent dire l’Etat devrait développer l’économie, devrait permettre la paix internationale et la paix publique, devrait aider la création d’emplois, devrait aider les retraités, les chômeurs, les salariés, les services publics, la paix, la sécurité, la santé et on en passe… Cela semble un discours parfaitement crédible. L’Etat n’est-il pas censé être « au service des citoyens » ? N’a-t-il pas été mis en place en vue de favoriser l’intérêt général ?

Eh bien non ! Toute l’expérience des peuples, quelle que soit la nation, quelle que soit la région du monde, quelle que soient les traditions locales, quelle que soit l’histoire du pays, nous enseigne que l’Etat moderne, dans le monde capitaliste, qu’il soit ou pas plus ou moins démocratique, est toujours au service essentiel de l’infime minorité de possesseurs de capitaux privés.

Si l’Etat est le gestionnaire d’un argent dit public parce que collecté dans le public, s’il est le patron des services publics, s’il est détenteur d’une puissance publique, s’il se dit garant de la paix et de l’ordre publics, cet Etat est néanmoins au service d’un tout petit nombre de profiteurs privés, dont les intérêts sont différents et mêmes contradictoires avec ceux de l’immense majorité de la population. Les peuples ont beau voter, on beau démettre successivement tous les gouvernements et les présidents, l’Etat continue à défendre les intérêts de ce tout petit nombre d’individus, au point que les peuples pensent que la corruption est l’explication du monde politique… Ils condamnent ainsi les corrompus, ce qui ne change rien car ils ne touchent pas aux corrupteurs : aux patrons, aux capitalistes, aux banquiers, aux spéculateurs, aux financiers, aux profiteurs de toutes sortes.

Ce sont ces derniers qui bénéficient de l’essentiel des lois, des aides financières publiques, des interventions des forces de l’ordre, des politiques des gouvernants, au plan national comme international.

Le 14 juillet, tout le monde croit fêter la grande Révolution française bâtisseuse d’une des premières démocraties du monde. Et ils oublient que cette révolution a eu pour résultat une constitution qui se proclame défenseur des propriétaires et pas de la population, à une époque où les propriétaires étaient une minorité, qui donne le droit de vote aux seuls propriétaires, qui affirme que les lois doivent être à leur service, une force armée qui est intervenue, le 14 juillet 1790, de manière violente, pour écraser les masses populaires à Paris, et qui, trois ans plus tard a écrasé les organisations populaires, les compagnies de piques, les comités de bras nus, les sans culottes, la Commune et tous les groupes révolutionnaires. Un tel Etat ne peut pas être considéré comme mis en place pour défendre les intérêts populaires !

Par la suite, l’Etat français a complètement démontré son rôle anti-populaire comme anti-ouvrier ! Il a écrasé dans le sang les ouvriers parisiens en juin 1848 ! Il a écrasé les ouvriers et les masses populaires de la Commune de Paris en 1871, réalisant un véritable bain de sang et, même après la défaite du Paris prolétarien, il a poursuivi le travail, pratiquant une élimination des travailleurs, des jeunes, des femmes et des étrangers de la capitale… L’assassin du peuple parisien, Adolphe Tiers, n’est pourtant nullement critiqué dans l’opinion et son nom continue d’orner les rues et les places, les gares et les avenues, sans que cela ne gène personne semble-t-il, dans cette fameuse démocratie !

Et la « démocratie française », présentée dans le monde comme l’exemple du régime démocratique, ne s’en est pas tenue là : guerres coloniales, pillages coloniaux et néo-coloniaux, guerres impérialistes dont les guerres mondiales, fascisme sous Pétain, participation au génocide des Juifs, participation et direction du génocide des Rwandais, direction de la Françafrique qui soutient toutes les dictatures et le vol du continent africain, caution aux génocidaires serbes en Yougoslavie, participation aux guerres dites « anti-terroristes » et à celles dites « anti-dictatures », de la Libye au Mali et de la Côte d’Ivoire à l’Afghanistan, de l’Irak à la Syrie. Pour finir par la mise en place d’une dictature au sein de la démocratie avec l’Etat d’urgence, avec le régime policier, avec la suppression de nombreux droits démocratiques, au nom de la « guerre intérieure et extérieure » contre le terrorisme, pendant que le même Etat s’est appuyé sur les terroristes, soi-disant pour contester militairement des dictateurs comme en Libye, en Syrie, en Irak, en Côte d’Ivoire, au Centrafique et on en passe…

Certes, la population française reste attachée à son droit de vote, à sa possibilité de démettre les présidents… de temps en temps, mais justement les classes possédantes, elles, n’y sont pas complètement attachées. Ce n’est pour elles qu’un moyen d’introduire un facteur de stabilité, de détourner l’action politique des masses vers un exutoire sans danger, aucun dirigeant politique réellement anticapitaliste ne risquant d’être élu et l’élection restant bien encadrée dans le cadre d’un système qui prévoit la défense des intérêts du grand capital comme objectif numéro un.

Les capitalistes n’ont pas besoin de gagner les élections pour assurer la réussite de leurs intérêts. Ces derniers sont d’avance défendus, quel que soient les aléas électoraux. Tous les partis qui peuvent gagner les élections se fondent et défendent toutes les institutions de la grande bourgeoisie, même si leurs discours peuvent varier entre la gauche, la droite, le centre et autres extrêmes. Et s’il advenait qu’un parti révolutionnaire gagnait l’élection ou que la révolution sociale, hors élections, menaçait le régime, ce n’est pas sur le système démocratique que les classes possédantes se fonderaient pour assurer leur domination mais sur les forces armées et policières.

Car l’appareil de répression, lui, n’est nullement l’objet d’un quelconque contrôle démocratique, pas plus que l’appareil administratif, pénitentiaire, médiatique, religieux, des entreprises publiques ou mixtes publique-privée, pas plus que les institutions d’Etat (du conseil d’Etat aux divers instituts du chômage ou des retraites, etc.).

Il arrive couramment que cet appareil d’Etat démette le pouvoir élu. C’est arrivé avec la contre-révolution de Napoléon. C’est arrivé avec la contre-révolution de Thiers en 1871. C’est arrivé avec la contre-révolution de Pétain en 1939. C’est arrivé avec le coup d’Etat des généraux d’Algérie puis de De Gaulle menant à la cinquième république, celle où nous vivons aujourd’hui. A chaque fois, la classe dirigeante ne s’est pas contentée de se soumettre au suffrage public : elle a utilisé son appareil répressif pour mettre en place qui l’arrangeait, pour écraser les droits démocratiques, pour casser les parlements, pour défendre violemment les intérêts de la même infime minorité de possesseurs de capitaux dont la fortune ne dépend, bien entendu, d’aucun vote, ni démocratique ni rien…

Aucun patron de trust, aucun patron de banque, aucun patron d’organisme public, aucun patron d’institution financière, aucun patron de service public, aucun patron de l’armée, de la police, du contre-espionnage, aucun patron des prisons, aucun patron des administrations, aucun patron des sociétés mixtes, aucun patron des banques centrales, aucun patron des religions, aucun patron des média, aucun patron des syndicats, etc., aucun patron du tout n’est soumis à une élection démocratique et on appelle ce système au service des patrons une démocratie dirigée par les citoyens et l’opinion publique, quelle mascarade grossière !!!

Fondamentalement, la démocratie ne peut qu’être un mensonge puisque le capitalisme ne cesse de polariser les richesses à un pôle et la misère à l’autre, puisque le fondement même du système, l’accumulation du capital, est l’exploitation d’une majorité par une minorité. Socialement, le capitalisme est bien incapable d’être démocratique ! Il ne peut l’être politiquement que lorsque la prospérité générale laisse espérer des améliorations pour les milieux populaires et lorsque la masse de la petite-bourgeoisie continue de profiter des miettes tombées de la table du repas des grands bourgeois.

Avec la crise historique de la domination capitaliste, il est de moins en moins possible de camoufler ce mensonge généralisé de la démocratie bourgeoise. Les interventions financières massives pour sauver le capitalisme des « risques systémiques » de la crise de 2007-2008, les milliers de milliards de dollars d’argent public, dépensées par tous les Etats et banques centrales di monde capitaliste, au moment même où la société laissait crever les licenciés, les expulsés de leur logement, les endettés des milieux populaires et prolétariens, ont montré que la démocratie, qui dominait la plupart des grands pays concernés, n’était qu’un masque mensonger.

Du coup, partout dans le monde, les classes dirigeantes s’écartent progressivement de la démocratie bourgeoise et préparent des transitions contre-révolutionnaires.

Mais la dictature n’est pas un mal inhérent à l’organisation politique, qui ne gagne que les Etats ou leurs gouvernements : au contraire, il est inhérent à l’organisation sociale capitaliste. Au sein de l’entreprise, c’est toujours la dictature ! Les droits des syndicats ne sont là que pour camoufler, exactement au même titre que la prétendue démocratie électorale politicienne, le fait que les travailleurs n’ont que le droit de se taire sur leur lieu de travail, que le droit de ne pas se réunir, de ne pas rédiger et diffuser des tracts, que le droit de ne pas contester les exactions petites et grandes qu’ils subissent, que le droit de ne pas faire de politique, que le droit même de ne pas faire de syndicalisme et de laisser des institutions syndicales qu’il ne peut contrôler exercer des droits en son nom.

C’est cette absence totale de démocratie qui caractérise le régime politique en entreprise. Aucun vote ouvrier ne peut modifier de décision patronale. Aucun vote ouvrier ne peut faire obstacle à des exactions évidentes et prouvées. Aucun vote ouvrier ne peut empêcher les licenciements, la fermeture d’une entreprise. Aucun vote ouvrier ne peut bloquer durablement des conditions de travail menant y compris à un risque mortel. Aucun vote ouvrier ne permet de contester un licenciement reconnu comme injustifié et même illégal. Un salarié qui s’est permis d’organiser une réunion, de diffuser un tract, de prendre la parole publiquement au sein d’une entreprise a commis un acte démocratique… que la loi considère comme un motif de faute caractérisée, menant directement au licenciement du concerné !

On le voit, la dictature est permanente au sein du système social. Et cela parce que les possesseurs du grand capital ne sont qu’une infime minorité dont les intérêts fondamentaux sont diamétralement opposés à ceux de la grande majorité. La stabilité d’un tel système nécessite d’interdire les libertés de décision des milieux populaires et tout particulièrement du prolétariat, tout en faisant en sorte de s’appuyer sur la masse de la petite bourgeoisie pour faire croire que le régime est celui de la majorité de la population…

L’essentiel pour la classe dirigeante, c’est d’éviter, quand la petite-bourgeoisie est frappée à mort par la crise économique, que celle-ci puisse être attirée, fût-ce en partie, par la force d’attraction du prolétariat. C’est cela qui caractérise une situation révolutionnaire et c’est en cela que réside la véritable menace pour la classe possédante, qui serait ainsi isolée. C’est ce qui s’est produit dans toutes les révolutions prolétariennes. Le prolétariat ne peut réussir à battre durablement la grande bourgeoisie que s’il parvient à gagner ou à neutraliser une bonne partie de la petite bourgeoisie. C’est la principale tâche politique que le prolétariat ne peut jamais réussir quand il suit ses faux dirigeants réformistes. Ces derniers préfèrent, au contraire, s’entendre avec la grande bourgeoisie et avec l’Etat capitaliste contre la petite bourgeoisie !

Le prolétariat n’a pas à se moquer des sacrifices que la grande bourgeoisie va imposer à la petite. Il a tout intérêt à s’unir autant que possible avec tous ceux qui sont sacrifiés par le capitalisme, car sinon il souffrira de tous les maux liés à la poussée à l’extrême droite des petits bourgeois… En s’y refusant, les dirigeants réformistes désarment politiquement et socialement les travailleurs.

C’est la social-démocratie qui a décidé, en France, qu’au prochain krach financier, les banques et institutions financières pourront mettre la main sur la totalité des épargnes et des comptes personnels. Les centrales syndicales se sont bien gardées de dénoncer cette décision (loi Sapin II). Voilà un exemple du choix des réformistes aux côtés du grand capital, y compris contre la petite bourgeoisie. On a vu aussi les syndicats prennent le parti du gouvernement contre la mobilisation des « bonnets rouges ». Par contre, ils n’ont jamais pris parti en faveur des petits paysans, des petits pêcheurs, des petits transporteurs, ou dans d’autres mobilisations de la petite bourgeoisie. Plus les réformistes se refusent à toute politique contre le grand capital, plus ils font de démagogie contre la petite bourgeoisie.

Quand la domination des classes possédante est en crise, la bourgeoisie renonce à la démocratie et se tourne vers les solutions violentes : fascisme, dictature, guerre, terreurs de toutes sortes… Dans ce cas, le rôle du réformisme est de sauver le système et pour cela de lier pieds et poings la classe ouvrière, au plan politique et social, et de l’empêcher ainsi de prendre la tête de toutes les couches opprimées, non seulement la petite bourgeoisie, mais la jeunesse, les chômeurs, les femmes, les nationalités ou religions opprimées…

Pour nous libérer de l’exploitation capitaliste, il est indispensable de nous libérer de nos dirigeants réformistes, politiques et syndicaux et de développer notre propre programme de classe, s’adressant à toute la population et lui offrant une alternative à un capitalisme en bout de course.

Le point essentiel est le suivant : en finir avec le mensonge réformiste selon lequel l’Etat serait au-dessus des classes, selon lequel l’Etat capitaliste serait au service des citoyens alors que c’est essentiellement un appareil de répression contre les travailleurs et les peuples.

Le second point essentiel : l’Etat ne sera au service des peuples travailleurs que lorsque ceux-ci détruiront l’Etat capitaliste et prendront le pouvoir à l’aide de leurs comités, conseils, soviets et assemblées diverses de travailleurs, de jeunes, de femmes des quartiers populaires. Etat ouvrier ou Etat bourgeois, tel est le seul choix, la démocratie n’est qu’un leurre.

Messages

  • "Tant que le prolétariat a encore besoin de l’État, ce n’est point pour la liberté, mais pour réprimer ses adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’État cesse d’exister comme tel."

    Engels, Lettre à August Bebel, 1875.

  • Victor Hugo dans « Choses vues » :

    1850.

    « Lois d’état de siège, lois de censure, lois de clôture, lois de compression, lois d’étouffement, lois pour l’ignorance publique, lois de déportation et de transportation, lois contre le suffrage universel, lois contre la presse. Ils disent : faisons de l’ordre. Pour eux la camisole de force s’appelle le calme. »

  • « L’Etat est un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l’aveu que cette société s’empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s’étant scindée en oppositions inconciliables qu’elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s’impose d’un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l’« ordre » ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d’elle et lui devient de plus en plus étranger, c’est l’État. »

    Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat

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