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Révolutions animales

samedi 4 novembre 2017, par Max

Révolutions animales ou Comment les animaux sont devenus intelligents sous la direction de Karine Lou Matignon, préfacé par Jane Goodall

Jane Goodall :

« L’homme est une partie intégrante et non divisible du règne animal. Si ce fait est acquis, la déconstruction de nos certitudes sur le rapport homme-animal est encore gêné par de nombreuses forces conservatrices. Rompre avec son héritage culturel est sans doute une des plus grandes révolutions. Mais cela demande d’avoir du courage et le sens de la responsabilité. Je déplore aujourd’hui cette absence de courage au nom d’un progrès ambivalent, à la fois bienfaiteur et destructeur parce que trop souvent confondu avec le seul profit. »

Karine Lou Matignon :

« Il semblerait que nous ne puissions pas voir de différences sans aussitôt établir de hiérarchie. Voilà un agencement du monde bien commode, rabâché depuis des millénaires : d’abord l’homme au faîte du génie absolu suivi de très loin par les insignifiants sans histoire et les prétendus pauvres en monde que sont les animaux. Avec le temps, nous sommes ainsi devenus les esclaves d’un « prêt-à-penser ». Cette fâcheuse tendance, fruit des savants conditionnements culturels et religieux, a bien failli altérer notre bon sens à jamais. Puis le vent a tourné. Curieusement, ce changement salvateur est venu de la communauté scientifique, celle-là même qui pendant des siècles s’était d’abord attachée à « démontrer » que les animaux n’étaient que des machines, puis qui, à l’époque moderne, s’est censurée de peur de leur prêter des compétences similaires aux nôtres et a même inventé de nouvelles portes à l’exploitation animale avec la génomique et la biologie moléculaire, permettant toutes sortes de manipulations génétiques.

Oui, les animaux ont changé. Ces dernières années, la science a participé à faire évoluer la perception que nous avions d’eux en nous rendant accessibles leurs univers mentaux. Elle dresse aujourd’hui un portrait d’eux plus singulier et dynamique. La frontière entre eux et nous est devenue floue, si tant est qu’elle ait jamais existé. Après tout, nous sommes issus de ce monde animal, il n’y a pas de différence de nature, juste quelques variations de capacités selon les espèces. Ils ne sont plus ces mécaniques d’autrefois ni même seulement les vagues représentants d’une espèce, mais sont devenus des individus sensibles, inventifs, expressifs, et parfois même des peuples, dotés de cultures. On sait aujourd’hui que la conscience et la souffrance ne sont pas liées à la capacité d’intelligence des animaux ou à la taille de leur cerveau. On admet que la douleur et la peur sont répandues chez les mammifères, les oiseaux, les poissons, les céphalopodes, les mollusques et les crustacés. Ces constats mènent à de nouvelles considérations des animaux : l’ensemble constitue un tournant majeur dans notre société qui nous conduit à repenser la question de leurs droits et de nos obligations à leur égard… »

« De Gombe à l’éveil des consciences », Jane Goodall :

« (…) Les chimpanzés sont biologiquement semblables aux humains, nous avons en commun plus de 98% de notre patrimoine génétique. L’homme partage avec les singes actuels des ancêtres identiques qu’on ne connaît pas. L’ « Homo sapiens » serait en fait l’espèce actuelle la plus proche des chimpanzés, et réciproquement. Donc, parmi toutes les espèces vivantes actuelles, il n’y aurait aucun ancêtre, mais simplement des espèces qui sont plus ou moins apparentées entre elles. Aucune n’est « inférieure » à aucune autre. Seuls les degrés de parenté diffèrent, en allant des espèces les plus éloignées jusqu’aux espèces les plus proches de nous.

Les chimpanzés ont une personnalité et ressentent des émotions, ils disposent de nombreuses capacités intellectuelles. Les membres d’une même famille maintiennent des liens forts et durables durant toute leur vie au point que la mort est vécue parfois comme une tragédie. Ils ne peuvent pas parler comme l’homme car leur larynx n’est pas disposé de la même façon. Mais certains chimpanzés, auxquels le langage des signes a été enseigné, sont capables d’utiliser ce moyen de communication en captivité. Dans la forêt les chimpanzés peuvent communiquer entre eux à distance. Ils émettent des vocalisations qui leur permettent de se reconnaître et d’échanger des informations. Ils vivent en grandes communautés « multimâles-multifemelles » pouvant compter jusqu’à 80 individus sous la direction d’un mâle dominant. (…) Malheureusement, tous les grands singes sont menacés d’extinction à très court terme. Outre les épidémies, ils sont victimes du braconnage et de la déforestation… Certains hommes agissent comme s’ils étaient propriétaires de la nature et à ce titre pouvaient en disposer librement. Cet état de fait regrettable entraîne la dévastation de notre planète et de toutes ses espèces. (…) Il disparaît dans le monde chaque année depuis quinze ans 80.000 kilomètres-carrés de forêt (solde tenant compte de la reforestation). Avec une perte moyenne de 0,5% par an depuis quinze ans, les forêts du monde à ce rythme n’en auraient plus que pour deux cents ans ! (…) En ce qui concerne les chimpanzés, dont la population était estimée à un million dans les années 1960, il n’en reste aujourd’hui qu’entre 160.000 et 200.000 et si rien n’est entrepris, combien dans vingt ans ? (…) »

« Le sentiment d’injustice et d’équité chez les singes », Frans de Waal :

« Les animaux s’entraident pour en tirer un avantage mutuel, ce qui implique souvent des calculs semblables à ceux qui sous-tendent l’économie humaine… La tendance des animaux à aider leurs apparentés se vérifie dans les sociétés coopératives de fourmis et d’abeilles, mais se manifeste aussi chez les mammifères et les oiseaux. Coopérer avec des apparentés présente des avantages génétiques… Réclamer de la nourriture à un autre en recourant à la force ne se voit presque pas chez les chimpanzés – en vertu d’un phénomène dit de « respect de la possession ». Les demandeurs tendent la main, paume vers le haut, tout comme les mendiants dans nos rues. Ils gémissent, mais les confrontations agressives sont rares… Chez nos compères primates, on trouve des sociétés fondées à la fois sur les échanges de faveurs selon le principe donnant-donnant et sur la surveillance des résultats pour s’assurer qu’ils sont équitablement distribués. Cela veut dire que les bases d’une économie (et de la psychologie qui va de pair) sont déjà présentes. »

« Emotions, morale et justice animale », Marc Bekoff :

« De très nombreux animaux ressentent des émotions proches de celles que nous éprouvons. Elles sont vitales à leur quotidien comme au nôtre. Ces émotions partagées doivent inspirer nos discours et améliorer nos actions envers eux.

Je me plais à considérer nos émotions comme un cadeau que nous ont fait les autres animaux. Nous en éprouvons et eux aussi. Les émotions servent de liant social pour unir les animaux entre eux et catalyser et réguler un large éventail d’échanges sociaux entre amis, amants et rivaux. Elles leur permettent de se comporter de manière adaptable et flexible en usant de structures comportementales variées dans des situations elles-mêmes très diverses. (…) Au-delà des questions que posent les émotions animales et des stimulations qu’elles exercent sur les échanges interdisciplinaires, ce qui m’intéresse, ce sont aussi des problèmes comme de savoir si les animaux sont dotés d’une forme d’intelligence morale et s’il existe une justice à l’état sauvage (wild justice). Ma réponse est : bien sûr. (…) Le paléobiologiste Stephen Jay Gould n’a jamais cessé de rappeler que l’usage que faisait Darwin de l’expression « lutte pour l’existence » était métaphorique et que même lui comprenait que la compétition sanglante et violente n’est qu’un des mécanismes possibles grâce auxquels les individus peuvent réussir à se reproduire. Un contemporain de Darwin, l’anarchiste russe Kropotkine, en proposait une autre dans son livre prospectif publié en 1902, « L’entraide, un facteur de l’évolution ». Il suggérait que la coopération et l’entraide pouvaient aussi accroître la valeur adaptative et qu’elles s’accordaient mieux avec nos observations sur les animaux vivant dans la nature. (…) En résumé, les émotions et l’empathie jouent un rôle déterminant pour la survie. Sans elles, les animaux – humains comme non humains – périraient. C’est dire leur importance. Nier l’existence des émotions animales, c’est donc faire de la mauvaise biologie. (…) »

« Voyage dans le temps », Christelle Jozet-Alves :

« Les animaux sont capables de se souvenir et d’anticiper, d’envisager les conséquences de leurs actes. Autant d’aptitudes dont on prétendait il y a peu qu’elles étaient constitutives du propre de l’homme.

Les prodigieuses capacités de mémorisation des animaux ne font aujourd’hui plus aucun doute. Les animaux peuvent se rappeler ce qui leur a été enseigné dans leur plus jeune âge. Ainsi, les chimpanzés sont capables de reconnaître des lexigrammes, en l’occurrence une combinaison de symboles, qu’ils ont appris vingt ans plus tôt (Beran, 2000). Certaines espèces animales peuvent également se souvenir de congénères dont ils ont été séparés des années durant. Les dauphins identifient la signature vocale d’individus qu’ils ont côtoyés dans leur passé et dont ils ont été tenus éloignés pendant plus de vingt ans (Bruck, 2013). Les moutons, quant à eux, distinguent aisément la face d’une cinquantaine de congénères rencontrés près de deux ans auparavant (Kendrick, 2001). (…)

Tout a commencé en 1998 avec l’équipe de la psychologue Nicole Clayton. Ces chercheurs ont en effet publié une étude pionnière sur le geai buissonnier, espèce connue pour stocker sa nourriture dans de nombreuses cachettes à travers un vaste territoire. Cette recherche a révélé que les geais sont capables de mémoriser les différents endroits où ils ont enfoui de la nourriture, de quel type de nourriture il s’agit, et combien de temps s’est écoulé depuis que chaque aliment a été stocké. (…) D’autres, telles que les pies (Zin kiskai, 2009), les rats (Babb, 2006), et des primates non humains (Martin-Ordas, 2000) ont la capacité de se souvenir des événements de leur passé, en l’occurrence de se souvenir de ce qui s’est déroulé, où et depuis combien de temps. Récemment, cette compétence a été mise en évidence pour la première fois chez un invertébré : la seiche, mollusque céphalopode connu pour ses étonnantes capacités apprentissage (Jozet-Alves, 2013). (…) Etre à même de se projeter dans le futur permet de s’imaginer ce qu’il pourrait arriver, d’envisager différents scénarios et, selon les cas, prendre les décisions qui semblent les plus adaptées dans l’instant présent. Il est parfois difficile de distinguer des comportements résolument tournés vers le futur de comportements innés : le cas se pose par exemple pour les migrations. Chez les pouillots à tête noire qui sont des oiseaux passériformes, certaines populations vivent en Allemagne et migrent en direction de l’Afrique pour y passer l’hiver, alors que certaines migrent à l’ouest de la Grande-Bretagne. Lorsque des individus des deux populations sont élevés en captivité, leurs descendants suivront les mêmes voies de migration que leurs parents (Berthold, 1992). Ceci indique ainsi un comportement fortement ancré génétiquement. Toutefois, dans d’autres cas, des comportements migratoires présentent toutes les caractéristiques d’une planification. C’est le cas notamment pour les éléphants qui effectuent des migrations vers des sources lorsqu’ils anticipent l’arrivée d’une sécheresse (Moss, 1992). (…) »

« Paroles animales », Thierry Aubin :

« La communication animale est infiniment riche et variée. Signaux chimiques, olfactifs, visuels, sonores, comportementaux… Sur le plan vocal, certaines espèces montrent là encore des similitudes avec nous.

Le langage est-il le propre de l’homme ou existe-t-il un langage animal ? Si l’on s’en tient à la définition stricte donnée par la plupart des dictionnaires, le langage est une faculté humaine de communiquer au moyen de signes, qu’ils soient vocaux, gestuels ou graphiques. Dans ce cas, on ne peut utiliser le terme « langage » pour les animaux et on lui préférera le terme « communication animale ». Si cependant on examine seulement les communications vocales, les recherches entreprises ces dernières décennies en éthologie nous montrent que la différence homme-animal n’est pas si grande. (…) Tout comme l’homme, certains animaux peuvent utiliser un signal acoustique référentiel, c’est-à-dire ayant la capacité de désigner un objet ou un être vivant particulier. Ainsi, les singes vervets ne vont pas utiliser le même cri d’alarme pour désigner un prédateur aérien comme un aigle, un prédateur au sol comme un léopard ou un prédateur rampant comme un serpent. Il en est de même de certaines mésanges qui possèdent un signal d’alarme, le « chick-a-dee-dee-dee », constitué de plusieurs syllabes dont les dernières sont répétées à l’identique. Le nombre de répétition de ces dernières syllabes est fonction de la taille du prédateur. Plus la taille de dernier est grande, plus faible est le nombre de syllabes émises (Templeton, Greene et Davis, 2005). La signification d’une vocalisation animale peut changer en fonction du contexte, une fois de plus tout comme chez l’humain. Par exemple, chez le diamant mandarin, mâles et femelles d’un couple échangent fréquemment des cris maintenant un lien acoustique entre les partenaires. Ces cris ne vont pas voir la même signification s’ils sont émis au milieu d’un groupe constitué de mâles célibataires ou au milieu d’un groupe constitué de mâles appariés. C’est ce que l’on appelle l’effet d’audience (Vignal, Mathevon et Mottin, 2004). »

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