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Lénine, Trotsky et d’autres dirigeants bolcheviks ont-ils vu les dangers de la bureaucratie et tenté de lutter contre elle ?

samedi 10 février 2018, par Robert Paris

Lénine, Trotsky et d’autres dirigeants bolcheviks ont-ils vu les dangers de la bureaucratie et tenté de lutter contre elle ?

Au 10ème Congrès du parti bolchevik, Lénine déclarait :

« La bureaucratie est une plaie qui existe réellement ; on la reconnaît et il est indispensable de la combattre véritablement… Il faut comprendre que la lutte contre la bureaucratie est absolument nécessaire et qu’elle est aussi compliquée que la lutte contre l’élément petit-bourgeois. Dans notre structure étatique, la bureaucratie est devenue un mal tel que le programme de notre parti en fait état, ceci parce que la bureaucratie est liée à l’élément petit-bourgeois et à son éparpillement. On ne peut vaincre cette maladie que par l’union des travailleurs… »

Au quatrième Congrès de l’Internationale communiste, Lénine déclarait :

« Nous avons hérité de l’ancien appareil d’Etat, et c’est là notre malheur. L’appareil d’Etat fonctionne bien souvent contre nous. Voici comment les choses se sont passées. En 1917, lorsque nous avons pris le pouvoir, l’appareil d’Etat nous a sabotés. Nous avons été très effrayés à ce moment-là et nous avons demandé : « Revenez, s’il vous plaît ». ils sont revenus et ce fut notre malheur. Nous avons maintenant d’énormes masses d’employés, mais nous n’avons pas d’éléments suffisamment instruits pour diriger efficacement ce personnel. En fait, il arrive très souvent qu’ici au sommet, où nous avons le pouvoir d’Etat, l’appareil fonctionne tant bien que mal, tandis que là-bas, à la base, ce sont eux qui commandent de leur propre chef, et ils le font de telle sorte que, bien souvent, ils agissent contre nos dispositions. Au sommet, nous avons, je ne sais combien au juste, quelques dizaines de milliers des nôtres. Or, à la base, il y a des centaines de milliers d’anciens fonctionnaires, légués par le tsar et la société bourgeoise, et qui travaillent en partie consciemment, en partie inconsciemment, contre nous. On ne saurait y remédier dans un court laps de temps, cela est certain. »

Pourquoi le prolétariat ne pouvait-il pas aisément se débarrasser d’une couche bureaucratique parasitaire ? Parce que, bien qu’au pouvoir, le prolétariat russe était épuisé…

Lénine exprimait son sentiment sur la fatigue du prolétariat russe au Congrès des ouvriers des Transports, le 27 mars 1921 :

« Quelle est aujourd’hui la situation du prolétariat russe ? Dans la République soviétique c’est la classe qui, il y a trois ans et demi, a pris le pouvoir et exercé depuis sa domination, sa dictature, c’est elle qui, au cours de trois ans et demi, a souffert mille morts, supporté des privations et des calamités, plus que toutes les autres classes. Ces trois ans et demi dont la majorité s’est écoulée dans une guerre civile à outrance soutenue par le pouvoir soviétique contre tout le monde capitaliste, ont apporté à la classe ouvrière, au prolétariat, des maux, des privations, des sacrifices, une aggravation de toutes les misères sans précédent… Cette classe se rendait compte qu’elle prenait seule le pouvoir, dans des conditions exceptionnellement difficiles… En même temps elle a subi en ces trois ans et demi de sa domination politique, des maux, des privations, une famine, une aggravation de sa situation économique que jamais nulle classe au monde n’a connue. On conçoit donc qu’après une tension aussi surhumaine, cette classe soit aujourd’hui fatiguée, épuisée excédée… En ce moment précis, pour la période de temps actuelle, l’ennemi n’est pas le même qu’hier. L’ennemi, ce ne sont plus les hordes de gardes blancs sous le commandement des hobereaux que soutiennent tous les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires. L’ennemi, c’est la grisaille quotidienne de l’économie dans un pays de petite agriculture où la grosse industrie est ruinée. L’ennemi, c’est l’élément petit-bourgeois qui nous entoure comme l’air et pénètre fortement dans les rangs du prolétariat. Or, celui-ci est déclassé, c’est-à-dire qu’il a été mis hors de son milieu social. Fabriques et usines chôment – le prolétariat est affaibli, dispersé, sans forces… Si des déformations bureaucratiques se manifestent dans l’administration, loin de dissimuler ce mal nous le dénonçons, nous le combattons… La création d’un appareil militaire et d’un Etat qui a su résister victorieusement aux épreuves des années 1917-1921 a été une grande chose qui a occupé, absorbé, épuisé les « forces » réelles de la classe ouvrière… C’est dans ces conditions d’un pays ruiné à fond et où les forces du prolétariat ont été épuisées en des efforts presque surhumains que nous entreprenons l’œuvre la plus difficile : jeter les fondements d’une économie vraiment socialiste, organiser des échanges rationnels de marchandises entre l’industrie et l’agriculture… »

Au XIe Congrès du parti bolchevik, le 27 mars 1922, Lénine déclarait :

« Malgré tout, nous n’avons pas encore cessé d’être des révolutionnaires (bien que beaucoup disent, et même pas tout à fait sans raison que nous sommes bureaucratisés) et nous ne pouvons comprendre cette simple vérité qu’en entreprenant une tâche extrêmement difficile, et nouvelle pour nous, il faut savoir recommencer dès le début à plusieurs reprises… L’Etat est entre nos mains… mais l’Etat n’a pas fonctionné comme nous l’entendions. Et comment a-t-il fonctionné ? La voiture n’obéit pas : un homme est bien assis au volant qui semble la diriger, mais la voiture ne roule pas dans la direction voulue ; elle va où la pousse une autre force illégale, force illicite, force venant d’on ne sait où – où poussent les spéculateurs, ou peut-être les capitalistes privés, ou peut-être les uns et les autres – mais la voiture ne roule pas tout à fait et, bien souvent, pas du tout, comme se l’imagine celui qui est au volant… Le pouvoir politique, nous en avons autant qu’il faut… La force économique est entre nos mains… Qu’est-ce donc qui manque ? C’est clair, ce qui manque, c’est la culture chez les communistes dirigeants. De fait, si nous considérons Moscou – 4700 communistes responsables – et si nous considérons la machine bureaucratique, cette masse énorme, qui donc mène et qui est mené ? Je doute fort qu’on puisse dire que les communistes mènent. C’est eux qui sont menés… Les communistes qui se mettent à la tête des institutions – parfois des saboteurs les y poussent habilement, à dessein, pour se faire une enseigne – se trouvent très souvent dupés. Aveu très désagréable. Ou, du moins, pas très agréable. Mais il faut le faire, me semble-t-il, car c’est, à présent, le nœud de la question. »

Toujours au XIe Congrès du parti bolchevik, Lénine insistait :

« Je dois toucher le côté pratique de la question concernant les organismes soviétiques, les grandes administrations et l’attitude du parti à leur égard. Il s’est établi des rapports défectueux entre le parti et les institutions soviétiques ; nous sommes tous absolument d’accord là-dessus. »

Et encore :

« Nous avons des bureaucrates non seulement dans nos administrations soviétiques, mais aussi dans les organisations du parti. »

Lénine avait parfaitement conscience des difficultés de la situation et de ses dangers :

« Il n’est pas douteux qu’à l’heure actuelle notre parti est insuffisamment prolétarien dans sa composition. Je pense que personne ne peut le nier, et un simple regard sur la statistique confirmera cette thèse. Depuis la guerre, les effectifs des ouvriers de fabrique et d’usine en Russie sont devenus moins prolétariens qu’auparavant, car durant la guerre ceux qui voulaient échapper au service militaire sont entrés en usine. C’est un fait connu de tous. D’autre part, il est également certain que notre parti est aujourd’hui moins éduqué politiquement, en général et en moyenne qu’il ne le faudrait pour une direction effectivement prolétarienne à un moment aussi difficile, surtout étant donné l’énorme prédominance de la paysannerie qui s’éveille rapidement à une politique de classe indépendante. Ensuite il faut prendre en considération le fait que la tentation d’entrer dans un parti gouvernemental est à présent extrêmement grande… Si l’on ne ferme pas les yeux devant la réalité, il faut reconnaître qu’actuellement la politique prolétarienne du parti est déterminée non par ses effectifs, mais par l’autorité immense et sans partage de cette couche très mince que l’on peut appeler la vieille garde du parti. Il suffit d’une faible lutte intestine au sein de cette couche pour que son autorité soit, sinon ruinée, du moins affaiblie au point que la décision ne dépendra plus d’elle… »

Voilà ce qu’écrivait Lénine le 26 mars 1922…

A la fin de 1922, son diagnostic était encore plus négatif sur la relation entre l’Etat et la bureaucratie :

« Nous appelons nôtre un appareil qui, de fait, nous est encore foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes, qu’il nous était absolument impossible de transformer en cinq ans faute d’avoir l’aide d’autres pays et alors que prédominaient les « préoccupations » militaires et la lutte contre la famine. »

Dans ses deux derniers articles, il attaque directement et nommément la bureaucratie et ses chefs :

« J’estime que le moment est justement venu où nous devons nous occuper comme il convient, avec tout le sérieux voulu, de notre appareil d’Etat… Parlons net. Le Commissariat du peuple de l’Inspection ouvrière et paysanne (celui que dirige directement Staline – notre M et R) ne jouit pas à l’heure actuelle d’une ombre de prestige. Tout le monde sait qu’il n’est point d’institution plus mal organisées que celles relevant de notre Inspection ouvrière et paysanne, et que dans les conditions actuelles on ne peut rien exiger de ce Commissariat… Mais je demande à n’importe lequel des dirigeants actuels de l’Inspection ouvrière et paysanne ou des personnes rattachées à ce commissariat : peut-il me dire franchement quelle est l’utilité pratique de ce commissariat du peuple qu’est l’Inspection ouvrière et paysanne ? »

Le dirigeant bolchevik Rakovsky devait, plus tard, dans « Les dangers professionnels du pouvoir » donner une analyse du phénomène social de la bureaucratisation, analyse qui confirme les points soulevés par Lénine :

« Notre cas est le premier où la classe ouvrière ait gardé le pouvoir pendant si longtemps… Cette position politique de classe dirigeante n’est pas sans danger ; au contraire les dangers sont très grands. Je n’entends pas ici les difficultés objectives dues à l’ensemble des conditions historiques, à l’encerclement capitaliste à l’extérieur et à la pression petite-bourgeoise à l’intérieur du pays. Non, il s’agit des difficultés inhérentes à toute nouvelle classe dirigeante, qui sont la conséquence de la prise et de l’exercice du pouvoir lui-même, de la capacité ou de l’incapacité de s’en servir… Quand une classe prend le pouvoir, une de ses parties devient l’agent de ce pouvoir. Ainsi surgit la bureaucratie. Dans un Etat socialiste, où l’accumulation capitaliste est interdite par les membres du parti dirigeant, cette différenciation commence par être fonctionnelle ; par la suite, elle devient sociale. Je pense ici à la position sociale d’un communiste ayant à sa disposition une auto, un bon appartement, des vacances régulières et recevant le salaire maximum autorisé par le parti, position qui diffère de celle du communiste travaillant dans les mines de charbon et recevant un salaire de 50 à 60 roubles par mois… Une autre conséquence est que certaines fonctions remplies autrefois par le parti tout entier, par la classe tout entière sont maintenant devenues des attributions du pouvoir, c’est-à-dire seulement d’un certain nombre de personnes dans ce parti et dans cette classe… La classe ouvrière et le parti – non plus physiquement mais moralement – ne sont plus ce qu’ils étaient il y a dix ans. Je n’exagère pas quand je dis que le militant de 1917 aurait peine à se reconnaître dans la personne du militant de 1928. Un changement profond a eu lieu dans l’anatomie et dans la physiologie de la classe ouvrière… La fonction a modifié l’organe lui-même, c’est-à-dire que la psychologie de ceux qui sont chargés des diverses tâches de direction dans l’administration et l’économie de l’Etat a changé à un tel point que non seulement objectivement mais aussi subjectivement, non seulement matériellement mais aussi moralement, ils ont cessé de faire partie de cette même classe ouvrière. Ainsi, par exemple, un directeur d’usine jouant au « satrape », malgré le fait qu’il est communiste, malgré son origine prolétarienne, malgré le fait qu’il travaillait encore en usine il y a quelques années, n’incarnera pas aux yeux des ouvriers les meilleures qualités du prolétariat… D’autre part très peu a été dit, et cela en termes très généraux, sur le rôle joué par notre bureaucratie des soviets et du parti dans la désagrégation du parti et de l’Etat soviétique. C’est un phénomène sociologique de la plus haute importance qui ne peut cependant être compris et saisi dans toute sa portée si l’on n’examine pas les conséquences qu’il a eues en changeant l’idéologie du parti et de la classe ouvrière. Vous demandez ce qu’il est advenu de l’esprit d’activité révolutionnaire du parti et de notre prolétariat ? Où a passé leur initiative révolutionnaire ? Où sont leurs intérêts idéologiques, leur valeur révolutionnaire, leur fierté prolétarienne ? Vous êtes surpris qu’il y ait tant d’apathie, de lâcheté, de pusillanimité, d’arrivisme et tant d’autres choses que je pourrais ajouter moi-même ? Comment se fait-il que les gens qui ont un passé révolutionnaire estimable, dont l’honnêteté personnelle ne fait aucun doute, qui ont donné des preuves de leur attachement à la révolution dans plus d’un cas se soient transformés en pitoyables bureaucrates ? »

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