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Evolution ou révolution des espèces ?

vendredi 8 janvier 2010, par Robert Paris

Progressisme ou catastrophes ?

« Le gradualisme, l’idée que tout changement doit être progressif, lent et régulier, n’est jamais né d’une interprétation des roches. Il représente une opinion préconçue, largement répandue, s’expliquant en partie comme une réaction du libéralisme du XIXème siècle face à un monde en révolution. »

Stephen Jay Gould dans « Le pouce du panda »

« Sur des sujets aussi fondamentaux que la philosophie générale du changement, la science et la société travaillent habituellement la main dans la main. (…) Les hommes de savoir transposèrent dans la nature le programme libéral de changement lent et ordonné qu’ils préconisaient pour la transformation de la société humaine. (…) Dans son argumentation en faveur du gradualisme comme rythme presque universel, Darwin dut employer la méthode caractéristique de Lyell : le rejet de la simple apparence et du bon sens au profit d’une réalité sous-jacente. Contrairement à ce qu’accréditent les mythes en vogue, Darwin et Lyell n’étaient pas les héros de la vraie science, défendant l’objectivité contre les élucubrations théologiques des « catastrophistes » comme Cuvier et Buckland. Les catastrophistes étaient des hommes aussi soucieux de vérité scientifique que les gradualistes. »

Stephen Jay Gould dans « Le pouce du panda »

« L’évolution des espèces est un domaine où se sont opposées durant deux siècles les notions de continu et de discontinu. Qu’en est-il réellement aujourd’hui entre continuité versus discontinuité dans l’évolution biologique ? La distribution des apparitions et disparitions d’espèces chez les rongeurs campagnols suit des lois de puissance qui suggère l’existence de modèles non-linéaires et de structures fractales dans le vivant. Le champ de l’évolution du vivant est élargi, au travers des phénomènes physiques critiques, à l’analyse des phénomènes biologiques déterministes linéaires versus non déterministes non linéaires. Ces observations sont cohérentes avec la nouvelle théorie de la relativité d’échelle de Nottale qui prévoit plusieurs domaines de résolution dans la nature, séparant des domaines de dépendance ou d’indépendance d’échelle. La dépendance d’échelle explicite qui caractérise les échelles du vivant dans le cadre de la théorie de la relativité d’échelle rend ainsi tout à fait envisageable, qu’elles puissent être décrites par des lois fondamentales nouvelles, qui manifesteraient leurs caractères fractal et irréversible. À proximité du temps critique, propre à chaque système, le système devient instable et fractal et présente des événements précurseurs selon un rythme accéléré. Après le temps critique, le système montre des répliques selon un mode décéléré. Les apparences discontinues de clades chez les quelques groupes testés suivent une loi log-périodique de rapport d’échelle d’environ 1,73. Cette loi appliquée tout d’abord aux tremblements de terre comme aux krachs boursiers, à la démographie et aux turbulences, appliquée aussi avec succès à la macroévolution, semble avoir une certaine universalité. »

J. Chaline, C. R. Palevol (2003)

La transformation du vivant ne peut être comprise que comme une modification se produisant aux diverses échelles hiérarchiques interactives du fonctionnement : niveau moléculaire de la génétique, niveau des familles de cellules, niveau des individus, niveau des espèces et groupes d’espèces (y compris la coévolution). A tous ces niveaux, on trouve des sauts qualitatifs dûs à la divergence de ces phénomènes (variation) ou à l’élimination de certains d’entre eux (sélection). Le changements plus lents peuvent sembler continus mais ce n’est qu’une apparence. les changements brutaux sont clairement discontinus. L’existence de sauts d’échelle produit une discontinuité fondamentale de l’évolution qui amène à) parler de révolution. Ainsi, même quand il y a une très petite divergence moléculaire entre des oeufs fécondés de deux espèces proches, cela entraîne une très grande divergence entre les adultes formés. L’évolution n’est pas un phénomène qui se produit par une succession d’adultes formés mais par une succession d’oeufs fécondés. Le résultat final est donc plus divergent du fait du changement d’échelle. Il n’y a pas de linéarité dans les processus du vivant du fait de la multiplication des produits génétiques, des individus et des espèces, mais aussi du fait que l’interaction entre niveaux hiérarchique a lieu à double sens (feedback).

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Validité du néo-darwinisme ?

On a longtemps débattu pour savoir si l’évolution des espèces était un phénomène déterministe ou aléatoire, fondé sur des lois ou sur le hasard, en somme ordonné ou désordonné. Les deux à la fois répond la thèse que j’expose aujourd’hui : l’évolution obéirait à des lois et serait pourtant liée à une histoire événementielle imprédictible. L’impossibilité de prédire n’est pas la difficulté ni une limite des capacités de l’observateur ou de ses outils. Elle provient du fait que le système possède de multiples solutions et que la dynamique qui va mener à l’une ou à l’autre est fondée sur l’instabilité. Comme une boule sur une pointe, même obéissant à la loi de la gravitation, nul ne peut dire de quel côté elle va tomber.
En termes de génétique cela donne deux visions opposées. Le premier point de vue est celui d’un code génétique, ordre stable préétabli qui prédétermine l’individu et programme l’espèce, comme en informatique. Dans la deuxième conception, l’ordre de l’espèce émerge du désordre, c’est-à-dire du hasard et de l’agitation moléculaire existant dans la génétique elle-même. C’est déjà le cas au niveau cellulaire. La multiplication cellulaire n’est pas limitée et dépasse le nombre de cellules qui seraient nécessaires. La régulation ne provient que du fait que les cellules ont en elles la capacité de s’autodétruire. La vie est donc fondée sur trois processus cellulaires : multiplication, suicide et diversification, qui sont aléatoires tout en fondant un ordre collectif puisqu’il en sort une structure et une morphologie précise. Si la génétique n’est pas pré-programmée, c’est qu’elle est la source de sa propre organisation. Elle doit donc être fondée sur des variables aléatoires qui obéissent à une loi. Donnons une métaphore d’une situation où il y a expansion d’un facteur apparu par hasard. A l’époque coloniale, la France éduquait quelques individus de ses colonies africaines. Venus en France, certains d’entre eux étaient étonnés de voir éclater de rire les personnes qui les entendaient parler dans un français pourtant châtié. En effet, le premier formateur envoyé dans ce pays, le Tchad je crois, était originaire de Tarascon. Les formateurs avaient eux-mêmes formé des professeurs au français impeccable mais emprunt de l’inimitable accent ! Voilà comment un caractère accessoire peut se propager dans un isolat et s’étendre ensuite de façon multiplicative. Mais, bien sûr, ce n’est qu’une boutade : la transmission de la culture, pour laquelle il y a transmission des caractères acquis de type lamarckienne, ne doit pas être comparée à l’évolution des espèces pour laquelle elle n’existe pas !
L’évolution des espèces obéit à une loi. Arrêtons nous un peu sur cette affirmation qui est nouvelle, très osée et très différente de la thèse classique de l’évolution. Pour souligner cette opposition, citons le pape du darwinisme dit synthétique, le biologiste Ernst Mayr, qui déclarait « il n’y a pas de loi en biologie de la vie ». Cela signifie que pour lui, il ne pouvait y avoir de loi pilotant une génétique du hasard dans laquelle les mutations se produisent de manière aléatoire, des millions de mutations indépendantes et contingentes étant nécessaires pour produire une nouvelle espèce et ces mutations étant mélangées au sein des populations par la sexualité. Seule la sélection par le milieu, c’est-à-dire une action extérieure à la biologie de la vie, ordonnerait ce hasard en supprimant les espèces inadaptées. Dans l’ancienne conception le hasard serait biologique et la nécessité serait l’adaptation au milieu. La thèse du chaos introduit du hasard dans l’action du milieu et de la nécessité dans la biologie. Le hasard à une échelle n’est rien d’autre que la nécessité à une autre échelle.
L’ancienne conception est dite synthétique parce qu’elle a introduit dans le point de vue de Darwin, une synthèse des connaissances sur le vivant qu’on avait en 1940 et, en particulier, la génétique des populations et les mutations génétiques. En 1910, Morgan avait découvert, en étudiant les drosophiles, que l’on trouvait systématiquement chez elles une variation sur un gène pour 50 000 individus en moyenne. Ces mouches du vinaigre sont faciles à étudier car se multipliant très vite et ayant des glandes qui ont des chromosomes de grande taille et faciles à observer. Ces mutations étaient minimes et n’entraînaient pas la formation d’une nouvelle espèce. Mais ce n’est pas rien cependant puisque pour l’espèce humaine qui a en moyenne 100 000 gènes, cela fait deux gènes mutants en moyenne par individu ! On pensait que ce mécanisme était à l’origine de l’apparition de nouvelles espèces, faute de connaître tout autre mécanisme de modification. Il a fallu supposer que ces mutations imperceptibles finissaient par se cumuler sur des temps très longs. Cela a contribué à entretenir l’idée du gradualisme selon laquelle il n’y a jamais apparition brutale d’un nouvel organe.
Le néo-darwinisme, encore appelé théorie synthétique de l’évolution, affirme qu’un changement d’espèce n’est brutal qu’en apparence, puisqu’il est le produit lent, progressif et régulier des micro-mutations du capital génétique, c’est-à-dire des toutes petites modifications aléatoires de gènes par erreur de copie, le milieu et lui seul donnant un sens à ces variations désordonnées, en donnant un avantage aux plus aptes dans la lutte pour la vie. Le mot clef de la thèse synthétique était donc l’adaptation. Cette thèse a considéré que la pente naturelle du vivant était le perfectionnement et le progrès. Une espèce ne pouvait que s’améliorer sans cesse. Ce point de vue parle donc de succès d’une espèce qui correspondrait à une optimisation de sa valeur adaptative. Une fois l’adaptation maximum atteinte, une espèce ne pourrait que se stabiliser s’il n’y a pas de modification du milieu. Cette thèse s’oppose à tout changement brutal.
Le généticien R.A Fisher, l’un des principaux théoriciens du néo-darwinisme, résume ainsi son point de vue dans « La théorie génétique de la sélection naturelle » : « Chez n’importe quel organisme extrêmement bien adapté, la probabilité pour qu’une modification évolutive considérable (saltation) soit avantageuse devient rapidement infinitésimale à mesure qu’elle gagne en dimension. »
C’est cette thèse, hostile à tout changement radical, brutal et discontinu, non-adaptatif, qui va être contredite sur plusieurs points dans l’exposé dont je présente le plan.
Débutons cette contestation de l’ancien néo-darwinisme par un point très important : le gradualisme. C’est un a priori fermement et constamment maintenu dans cette conception. Le courant principal des évolutionnistes a exclu l’idée de sauts dans l’évolution, car on ne connaissait aucun mécanisme qui explique de telles discontinuités. Toute idée d’apparition brutale d’une espèce, d’un organe, d’une fonction était assimilée à celle du miracle de la création. La conception conventionnelle s’est cependant heurté à un problème insoluble pour elle : on ne peut concevoir de passer d’un invertébré à un vertébré par des étapes graduelles. On ne peut pas, non plus, concevoir qu’un tel changement soit seulement guidé sur des centaines de millions d’années par la seule sélection. Des changements comme l’apparition de nouveaux organes ou de nouveaux plans d’organisation restent inexpliqués par la thèse de l’adaptation au milieu. Autant on comprend aisément que le milieu puisse brutalement sélectionner en faisant disparaître des animaux, y compris par la disparition massive d’un grand nombre d’espèces par exemple lors d’un brutal changement climatique, autant on ne comprend pas dans cette conception comment des espèces très nouvelles peuvent apparaître. Et pourquoi elles apparaissent simultanément lors des brusques bouffées de biodiversité, comme par exemple au Cambrien ?
La quatrième partie répond à la question : pour quelle raison la théorie du chaos a semblé être un outil mathématique et conceptuel concernant le domaine de la vie et particulièrement de son évolution. La vie obéit à diverses propriétés comme la sensibilité aux conditions initiales, la non-linéarité, l’imprédictibilité, l’ordre global fondé sur un désordre local, les sauts d’un ordre à un nouvel ordre, les interactions d’échelle, les effets de pointe, quelques bifurcations menant à des explosions de diversité, toutes ces propriétés caractérisant le chaos déterministe.
La cinquième partie porte sur la rythmologie de la vie, rythme circadien, rythme hormonal, rythme respiratoire, rythme de la division cellulaire, rythme du développement de l’embryon, puis rythme de croissance de l’être développé, rythme de la procréation et de la mort. L’une des propriétés fondamentales de la vie est donc de mesurer le temps. Ainsi, on a montré que les animaux clonés recevaient à la naissance l’âge des chromosomes de l’animal d’origine, ce qui signifiait que les chromosomes étaient bien porteurs d’une horloge interne. Mais qu’est-ce qui constitue ces rythmes endogènes, comment font ils pour se synchroniser et pour évoluer ? Nous verrons que, loin d’être fondés sur une période fixe préenregistrée, ces rythmes sont produits par des réactions biochimiques. Ce sont des systèmes auto-oscillants qui produisent des rythmes chaotiques. Organisés en boucles de rétroactions qui interagissent entre elles et avec le monde extérieur, ces rythmes ne sont pas des tic-tac périodiques même s’ils peuvent donner dans certaines circonstances, des synchronisations d’apparence cyclique.
La sixième partie nous permettra de donner la parole à d’autres scientifiques qui examinent cette question sous un jour différent, et surtout à Ilya Prigogine et Stuart Kauffman. Contrairement à la thèse classique qui considérait la vie comme opposée aux lois thermodynamiques de la matière, Prigogine a montré qu’au contraire, la vie n’est qu’un cas particulier de systèmes physiques appelés systèmes dynamiques dissipatifs. Dissipatif signifie qu’il y a perte d’énergie. Ces systèmes restent dynamiques si cette perte est compensée par un apport extérieur continuel d’énergie, donc de désordre, qui empêche le système d’aller à la stabilité. On s’attendrait à ce que ces systèmes instables soient de plus en plus désordonnés. En fait, ils peuvent construire un ordre fondé sur le désordre. Ils possèdent des propriétés très particulières : ils sont évolutifs, susceptibles de changements radicaux et brutaux, menant à un nouvel ordre. Stuart Kauffman, pour sa part, a étudié des modélisations de ce type de système sur ordinateur, et montré qu’ils présentent une étonnante capacité à produire de la nouveauté, c’est-à-dire à créer des situations avec de nouvelles règles de fonctionnement qui n’étaient nullement inscrites dans les règles de base. Du coup, il est facile de comprendre pourquoi ces modèles informatiques, appelés la « vie artificielle », nous intéressent considérablement pour comprendre la capacité de la vie à produire de nouvelles règles de vie.
La septième partie expose quelle thèse alternative au néo-darwinisme est développée par le paléontologue et vulgarisateur américain bien connu Stephen Jay Gould et le paléontologue français Jean Chaline du CNRS de Grenoble qui considèrent que les êtres vivants se modifient par des sauts, sans passer par des transitions ni des étapes multiples, la transformation se faisant brutalement, rapidement et sans préparation. Cette thèse est appelée évolution ponctuée. Les nouvelles espèces apparaissent non pas graduellement mais brutalement. La plupart du temps on a des phases de stabilité, les stases, et elles sont ponctuées de courtes phases de déstabilisation avec explosion de la diversité pour de nombreuses espèces en même temps. Jean Chaline va même plus loin que de contester la forme de l’ancienne arborescence de l’évolution, continue, linéaire, à vitesse constante. Dans un travail publié l’an dernier, Chaline a produit une loi mathématique non-linéaire qui vise à décrire le rythme de l’évolution. L’évolution aurait le même type d’arborescence que la vie elle-même qui est fondée sur une succession de niveaux hiérarchiques interactifs. Cette hypothèse audacieuse sera exposée bien que non encore suffisamment étayée et très contestée. Il ne s’agira pas de présenter cette formule comme une théorie achevée mais plutôt de montrer dans quel sens travaillent certains chercheurs pour trouver une loi de l’évolution.
A la huitième partie, nous entrerons dans le domaine de la biologie moléculaire. La manière dont on conçoit les modifications génétiques a considérablement changé. On croyait l’ADN fixé d’avance ce qui signifiait que l’individu était prédéterminé au sein d’une espèce, indépendamment du fonctionnement individuel de son développement embryonnaire. On sait maintenant que ce qui compte n’est pas seulement le contenu biochimique d’une portion de l’ADN, mais surtout le processus qui enclenche l’expression des gènes. L’ADN a un fonctionnement très souple, capable de nombreuses modifications. Ces souplesses proviennent à la fois de ces gènes qui peuvent être activés ou inhibés et aussi de bouts de l’ADN qui ne sont pas des gènes, mais sont introduits au sein du code génétique de manière répétitive et sont capables, en se déplaçant au sein du message, d’entraîner des variations possibles des ordres et des protéines produites, ce qui modifie la régularité et la fonctionnalité des gènes. Avec le même ADN, on peut avoir des changements radicaux si des segments du message ne sont activées que par moment ou sont inhibées. Cela change la vision des changements possibles car on ne croyait possibles et viables que de toutes petites mutations du capital génétique.
Les sauts de l’évolution que décrit la thèse des équilibres ponctués pourraient s’interpréter par une des fonctions de l’ADN : la régulation du développement par les gènes homéotiques, les enzymes et les protéines qui y sont associées. C’est ce que nous verrons dans la neuvième partie. Ces gènes homéotiques ou architectes qui, lors du développement de l’embryon, donnent des ordres du type : « lance la fabrication d’un bras » ou « lance la fabrication d’une colonne vertébrale », agissent de manière successive, cadencée, commandée de manière hiérarchique, contrôlée les uns par les autres, au point qu’on a pu les appeler les « horloges du développement ». Leur action se produit en cascade avec rétroaction et c’est un ordre collectif émergent qui les fait fonctionner. Certains de ces gènes et des protéines associées contrôlent, en même temps, la croissance des cellules et la formation du système nerveux central. Au lieu de petites mutations en nombre immense agissant très lentement, la thèse que j’expose suppose, au contraire, qu’il peut suffire, pour entraîner un saut évolutif de deux ou trois mutations sur des gènes qui pilotent un grand nombre de structures en même temps. Et c’est au même niveau des gènes de régulation que l’on a constaté une possibilité du milieu de favoriser une augmentation brutale de la biodiversité. Des recherches récentes ont montré que, chez la mouche drosophile, la régulation de ces gènes peut être perturbée par de fortes agressions d’ordre environnemental (température, sécheresse, rayonnement, etc.) entraînant des malformations importantes transmissibles à la descendance. L’existence de gènes thermosensibles provoquant des modifications héréditaires a permis de visualiser la relation entre milieu et génétique. C’est une nouveauté, puisque l’on pensait jusque là, que le milieu pouvait seulement sélectionner les plus adaptés et non pas causer des variations brutales.
Pour la dixième partie, nous appliquerons ces conceptions nouvelles à une évolution qui nous intéresse directement, le passage du singe à l’homme, expression rapide pour parler de l’évolution des ancêtres communs aux singes et à l’homme. Il s’agira encore une fois des thèses de Stephen Jay Gould et Jean Chaline. Nous rapporterons la thèse, selon laquelle c’est une modification de rythme qui a mené à l’homme. Notre espèce viendrait d’un ancêtre du singe qui n’aurait pas entendu son réveil à temps, ou, plus sérieusement, d’un singe dont l’horloge du développement serait retardée. Même à l’âge adulte, nous sommes des chimpanzés juvéniles ce qui explique aussi bien notre absence de poils que notre gros cerveau avec une grande surface frontale. C’est la néoténie, cette altération de la régulation de l’horloge des gènes du développement, qui serait le point de départ de la bifurcation évolutive menant à homo habilis. On a en effet constaté depuis longtemps que la différence de morphologie entre homme et singe correspondait à un ralentissement des phases du développement pré et postnatal. C’est une contestation de l’ancienne conception évolutive appelée « thèse de la Rift Valley » selon laquelle c’est un changement de climat entraînant un changement de végétation dans une zone de l’Afrique de l’Est qui a produit le singe bipède, puis l’homme. Selon la thèse exposée, ce serait plutôt un changement de rythme interne qu’une adaptation à un changement extérieur, et cela d’autant que l’adaptation aurait eu bien trop peu de temps pour s’accomplir. D’autre part, cette thèse souligne que le changement qui est une rupture radicale par rapport aux singes n’est pas le gros cerveau mais la morphologie qui correspond à la station debout. Or c’est cette bipédie qui a permis de libérer la main et de faire du cerveau un atout, en donnant à ce cerveau de nombreux éléments de réflexion par l’activité manuelle.
Nous finirons par les objections des contradicteurs qui sont fondées sur plusieurs points, les uns tenants de l’ancienne version gradualiste, les autres opposés à l’idée de déterminisme dans l’évolution et les troisièmes opposés à l’idée de hasard et s’en tenant à la fixité génétique au sein de l’espèce.
La dernière partie visera à donner une idée de la nouvelle conception synthétique qui semble en découler et des recherches qui sont actuellement réalisées pour confirmer ces hypothèses.

Pour conclure ce paragraphe sur la validité du néo-darwinisme, je rapporte un exemple cité par Gould dans « la structure de la théorie de l’évolution », par lequel le néo-darwinisme révèle comment fonctionne l’a priori de la continuité de la sélection naturelle dans l’explication des sauts de l’évolution. Il s’agit de la tentative de l’un des plus importants néo-darwiniens, Mayr, d’interpréter l’apparition des poumons chez les poissons : « Ernst Mayr exposa réellement l’hypothèse suivante sur l’apparition des poumons dans l’évolution. Cette hypothèse était erronée sur de nombreux points, mais Mayr l’a présentée sous la forme d’un scénario adaptationniste, en étant, grâce à cela, persuadé d’être dans le vrai. Les poissons dévoniens possédaient déjà des poumons (…). Remarquez comment Mayr, confiant dans la valeur de son explication hypothétique pourtant erronée, estime facile l’édification d’une telle structure nouvelle, à partir de rien, graduellement, et en continuité adaptative pure, sans changement de fonction :
« Je pense que l’apparition des poumons est maintenant assez bien comprise. Certains poissons au cours de la période dévonienne vivaient dans des marécages d’eau douce et stagnante où l’oxygène était si peu abondant que la respiration par la peau et par les branchies ne procuraient plus assez de ce gaz nécessaire. Il semble donc qu’ils montèrent alors à la surface et avalèrent de l’air par la bouche, ce qui conduisit les membranes du tube digestif à en prélever l’oxygène. A partir de ce stade, une formidable pression sélective s’est instaurée pour que se développent des diverticules au niveau du tube digestif et que s’élargisse cette surface respiratoire. Dès qu’est apparue la combinaison de gènes nécessaires à la production de tels diverticules, la pression de sélection put pousser cette tendance toujours plus loin, et cela conduisit tout naturellement au développement des poumons. »
(Citation de « L’émergence de nouveautés évolutives » de Mayr)



Les questions de l’évolution restées en suspens

Les études récentes n’ont cessé de confirmer l’idée fondamentale de Darwin selon laquelle l’évolution s’explique par deux phénomènes différents : les variations internes et la sélection naturelle opérée par le milieu. C’était même son idée principale. Cependant, le fait, maintenant établi, que la nature sélectionne parmi les nouvelles espèces des animaux viables, n’explique pas comment la vie a pu construire ces nouveaux types d’animaux à partir des anciens. Le plus énigmatique n’est pas la disparition de nombreuses espèces comme les dinosaures il y a 65 millions d’années, même si on ignore encore la cause de la disparition collective d’un très grand nombre d’espèces à cette époque, mais c’est plutôt leur apparition. Darwin reconnaissait ignorer les causes des variations, parlant ainsi de « notre ignorance absolue sur les causes de chaque variation particulière. » dans « L’origine des espèces ».
Du simple point de vue de la filiation, l’évolution des espèces est une contradiction, puisque la notion même d’espèce suppose la conservation d’une génération à la suivante et que celle d’évolution des espèces suppose le contraire. Ce qui est perturbant c’est qu’un adulte invertébré donne un enfant vertébré, qu’un adulte dinosaure donne un enfant oiseau, ou qu’un adulte singe donne un enfant homme. Même avec des milliers de petits marchepieds de l’un à l’autre, on ne parvient pas à résoudre le problème : il y a bien un saut qui ne peut se ramener à une série de toutes petites marches.
Peut-on admettre, comme l’affirme la thèse synthétique, que d’innombrables et extrêmement petites mutations du capital génétique, se faisant de manière indépendante, en tous sens, produisent finalement au bout de temps très longs un nouveau type d’individu viable, une nouvelle espèce et surtout de nouveaux organes (comme une aile ou une nageoire), des techniques et des matériaux nouveaux (une carapace, un œuf ou un œil) ou de nouveaux plans d’organisation (comme celui des vertébrés) ?
Récapitulons les points restés obscurs dans la thèse officielle, dite synthétique :
Premier point : pourquoi ne trouve-t-on jamais les chaînons manquants de l’évolution, nécessaires à la conception gradualiste ? Le manque de fossiles est-il une explication suffisante ? Dans certains cas, on dispose même de toute la série de fossiles et les sauts de l’évolution apparaissent cependant.
Deuxième point : pourquoi affirmer que le moteur de l’évolution est l’adaptation au milieu, alors qu’on constate que loin de laisser se développer seulement une espèce très adaptée, la vie maintient souvent une certaine diversité ? On remarque souvent que bien des espèces vivantes sont loin d’être bien adaptées. Comme le dit Konrad Lorenz dans « L’homme dans le fleuve du vivant », « le biologiste tombe à chaque pas sur des erreurs (si on peut dire) de l’évolution, des fautes de construction d’une telle énormité que jamais un constructeur humain ne les aurait commises. (...) C’est une erreur très répandue que de confondre le degré d’adaptation d’un organisme donné avec son degré d’évolution. L’amibe est un organisme tout aussi adapté que le cheval. » Par exemple, tous les batraciens et les reptiles, qui existent toujours, sont extrêmement fatigables parce que leur système respiratoire est issu de la vie aquatique et mélange sang riche et sang pauvre en oxygène. Et les exemples d’animaux très mal adaptés à leur environnement sont légion. Comme sont fréquents les exemples d’organes qui ne sont là que par héritage d’un ancêtre et non du fait de l’utilité de cet organe tombé en désuétude, comme les ailes des manchots. Un organe n’a pas été produit en vue de ce qui sera ensuite son utilisation par l’être vivant qui va en hériter. Ainsi, il y a eu des dinosaures qui ont eu des ailes bien avant de voler et qui n’avaient nullement le but de permettre de voler. Les kiwis possèdent des ailes qui sont toutes petites et qui n’ont aucune utilité, ni pour le vol ni pour un autre suage. Ainsi, la trompe de l’éléphant qui sert à bien des usages pour cet animal comme de s’arroser, arracher des branches ou caresser ses congénères n’a pas été produite pour ces usages. L’éléphant descend d’une famille de proboscidiens dont la face s’est progressivement allongée donnant un allongement du museau. Puis, il y a 7 millions d’années, ce mouvement d’allongement de la face s’est inversé entraînant une indépendance de la trompe. Les usages de cette trompe ne sont venus qu’ensuite. Encore une fois on constate dans tous les domaines, que la nature ne conçoit pas en vue d’un usage, mais que des enchaînements se produisent de manière non consciente et sans finalité, le résultat étant le produit à la fois du hasard, des bricolages successifs et de l’hérédité.
Troisième point : la notion de sélection par l’avantage aux plus adaptés au milieu suppose que plus le temps passe plus on trouve dans une niche écologique l’espèce qui lui est le plus adaptée. Cela supposerait que l’évolution soit un progrès menant à une réussite et, à la fin, au triomphe d’une seule espèce et à la disparition de la « lutte pour la vie » pour peu qu’il n’y ait pas de changement du milieu. Mais il y a un hic. C’est que tel n’est pas le monde que l’on observe. La diversité ne disparaît pas et le progrès n’a rien d’évident.
Quatrième point : l’explication du type « avantage sélectif » a pour elle la tendance que nous avons de croire que la nature a agi pour obtenir tel ou tel résultat comme s’il s’agissait d’un mécanisme en vue d’un but, mais ce que l’on constate est plutôt un bricolage de la nature à partir de l’héritage. Ainsi, si nous avons cinq doigts comme de nombreux animaux, est-ce parce que ce chiffre de cinq est un avantage pour la vie ? Ne serait-ce pas plutôt le fait que nous avons un ancêtre commun qui en avait cinq, c’est-à-dire du fait d’un événement de l’histoire qui n’avait pas une probabilité plus grande qu’une autre de se produire et qui n’a rien d’adaptatif ? Si nous avons une colonne vertébrale en petits morceaux, est-ce vraiment un avantage pour nous ou est-ce simplement l’héritage là aussi de notre ancêtre poisson dont nous avons bricolé un peu le squelette ? Si la baleine a gardé une omoplate et des doigts du membre supérieur, une mâchoire d’un seule pièce, une respiration pulmonaire et une ceinture pelvienne alors qu’elle n’a pas de membres inférieurs, ce n’est pas parce que c’est un avantage pour un animal qui a un mode de vie du type poisson mais à cause de son ancêtre mammifère du type vache. Il y a une évolution bien plus ancienne en sens inverse : la sortie de l’eau par les poissons. Les êtres humains ont également bien des restes des époques précédentes, y compris des résidus inutiles comme l’appendice ou encore quelques vertèbres, restes d’un ancêtre à queue. Selon Gould, c’est plutôt ces bizarreries qui nous renseignent sur l’évolution, bien plus que les caractères qui semblent adaptés.
Le cinquième point obscur est celui dit de l’horloge moléculaire. En effet, la thèse gradualiste s’appuie sur une remarque : les mutations par erreur semblent avoir une vitesse moyenne en gros constante pour une même molécule. Par exemple, pour les mutations de la molécule d’hémoglobine il y a une substitution sur une base tous les 5 ou 6 millions d’années. C’est cela qu’on appelle l’horloge moléculaire. Cette mesure a servi pour dater les évolutions. Elle permet de comparer le temps écoulé depuis la séparation entre deux espèces, par exemple pour dire que nous avons divergé des poissons il y a 400 millions d’années, et du singe il y a seulement 5 millions d’années. Mais cela ne signifie pas que ces erreurs de réplication de l’ADN soient la cause de la divergence des espèces. Une des contradictions de cette thèse d’une horloge fixe est justement que les vitesses d’évolution des espèces sont différentes d’une espèce à une autre, malgré la fixité apparente du rythme de cette horloge moléculaire.
Citons plusieurs points contradictoires dans la thèse synthétique :
Pourquoi, si la sélection du plus adapté est le moteur de l’évolution, ne remarque-t-on pas réellement une sélection d’une seule variété ou espèce et pourquoi y a-t-il, au contraire, maintien d’une certaine hétérogénéité ?
Pourquoi n’observe-t-on pas la linéarité dans le lien entre gène et caractère, ni la continuité dans la croissance d’un individu et dans l’évolution ?
Comment expliquer qu’il y ait des phases où l’on constate très peu d’évolution et, par contre, des périodes d’explosion de la diversité ?
Comment la vie a-t-elle fait pour produire de la nouveauté ? Il y a eu des innovations brutales qui n’ont eu aucun précédent ni aucune étape préparatrice et notamment quelques apparitions d’animaux totalement nouveaux et en grand nombre : des explosions de biodiversité dont les époques sont appelées Ediacara et Burgess (du nom des sites où l’on a trouvé les fossiles). Ces nouveaux modes de fonctionnement de la vie peuvent-ils être le produit d’une multitude de micro-mutations c’est-à-dire de toutes petites erreurs de transcription qui arrivent au cours de la vie d’un individu, accumulées sur un grand nombre de générations et sur des temps géologiques extrêmement longs ? Ces mutations au hasard et en tous sens, orientées seulement par la sélection du milieu peuvent-elles produire de nouveaux embranchements ou inventer un nouveau mode de vie, sans obéir à des lois les régulant, comme le prévoit l’ancienne conception ?
Les micro-mutations insensibles ne suffisent pas à expliquent le saut qualitatif vers la nouvelle espèce. Cette interprétation ne dit pas partir de quel seuil, des mutations pourraient produire une nouvelle espèce, radicalement différente de la précédente.
Comment un matériel biochimique aussi semblable des différentes espèces, y compris entre des insectes et des mammifères, permet-il des divergences aussi grandes de la morphologie, du fonctionnement interne et du mode de vie ?
Comment expliquer non seulement l’apparition d’une espèce nouvelle proche de la précédente, mais aussi d’une espèce qui représente un changement très radical, un nouvel embranchement avec un nouveau plan d’organisation, avec les vertébrés et les mollusques. Comment expliquer ces transitions considérables entre espèces pour lesquelles il n’y a pas de graduation imaginable.
En somme, nous voilà revenus à la vieille devinette bien connue des potaches : « lequel de la poule ou de l’oeuf a été créé le premier ? », une plaisanterie mais aussi une question scientifique sérieuse. Comment fabriquer un animal qui se conçoit dans une coquille sans avoir inventé la coquille de l’oeuf, et inversement, comment inventer la coquille d’oeuf avant de produire l’animal qui ne peut être conçu en dehors de celle-ci ?


Le phénomène de la vie est-il chaotique ?

Rappelons que la thèse que j’expose ne rompt pas avec la conception darwinienne et donne même raison à Darwin sur tous ses détracteurs de l’époque, y compris les plus proches, comme Wallace et Lamarck, ou sur ses détracteurs actuels comme les créationnistes. Elle reconnaît notamment l’évolution par modification successive de la descendance se fondant sur deux phénomènes fondamentaux, la variation de l’hérédité et la sélection naturelle. Par contre, elle combat sur plusieurs points ce que l’on a appelé le néo-darwinisme ou « théorie synthétique de l’évolution », thèse qui l’a emporté parmi les scientifiques à partir de 1940 et dont les plus importants auteurs sont Mayr, Simpson et Dobzhansky, et qui reste la thèse conventionnelle.
En résumé, l’idée principale de cette nouvelle conception évolutionniste, celle par exemple Gould, s’opposant au néo-darwinisme affirme que l’évolution n’est pas le produit du pur hasard des micro-mutations, qu’elle est déterministe, qu’elle obéit à des lois, et que le nouvel ordre, la nouvelle espèce, n’est pas le produit de la seule sélection naturelle aveugle qui conserve « les plus aptes », les espèces les plus adaptées à l’environnement. La sélection strictement darwinienne ne peut que faire le tri, éventuellement supprimer une ou plusieurs espèces mais pas fabriquer de nouvelles espèces et encore moins de nouveaux plans d’organisation. Elle peut favoriser l’accroissement de la biodiversité, mais sans donner elle-même le sens du changement. Contrairement à l’idée des variations sans loi, ce sera l’idée que le processus vivant lui-même, et non le milieu, régule et oriente par ses propres lois chaotiques celles de l’évolution.
A l’opposé de l’idée que ce sont des millions d’infimes mutations continuelles insensibles du matériel génétique qui sont la source d’un changement évolutif, cette thèse montre qu’un ou deux changements brutaux produisent une bifurcation, entraînant des modifications à grande échelle. A l’opposé de l’idée linéaire selon laquelle les petits changements ne causent que des micro-évolutions qui s’additionnent sur des temps très longs, elle défend que des petits remaniements sur des molécules, ayant un rôle clef, peuvent entraîner de grandes évolutions très rapides. A l’opposé de l’idée que la modification est adaptative c’est-à-dire rend la vie plus efficiente dans son environnement, elle affirme que les changements qui se produisent ne visent pas à améliorer l’espèce. A l’opposé de l’idée d’un changement du matériel biochimique causant un changement d’espèce, elle souligne que c’est la rythmologie qui est modifiée, c’est-à-dire l’enchaînement des cascades de réactions biochimiques interactives. Et en particulier elle souligne que la formation de l’individu, de la cellule initiale à l’embryon et au foetus, est fondée sur l’ordre et le rythme de constitution des divers segments, plans d’organisation et organes du corps. On en trouve un exemple : l’inversion de l’ordre de formation de l’axe nerveux et du système circulatoire, changement qui est à l’origine de la divergence évolutive entre les insectes et les vertébrés, il y a plus de 500 millions d’années.
Les étapes du développement de l’individu, déterminées par l’organisation de l’action des gènes du développement, peuvent mener aux divergences d’espèces et même aux divergences de plan d’organisation, c’est-à-dire aux bifurcations produisant des genres ou des embranchements nouveaux dans l’arborescence de l’évolution. C’est un des points importants de cette théorie.
Récapitulons les notions fondamentales de cette conception :
la notion de déséquilibres ponctués, c’est-à-dire intervenant comme une ponctuation dans une phrase, avec des sauts dans l’évolution et des explosions ponctuelles de la biodiversité liées au mécanisme interne de la vie,
un mécanisme vital se fondant sur des processus, à la limite de l’ordre et du désordre, et utilisant cette situation pour être en permanence évolutifs, dynamiques et interactifs,
la notion d’organisation hiérarchique de la vie avec une construction arborescente avec branches et sous-branches du développement individuel donnant une forme du même type au développement des espèces,
une rythmologie chaotique du développement et de l’évolution, rompant avec la notion d’évolution continue, graduelle et à vitesse constante,
et enfin, la vie conçue comme un système dynamique dissipatif donc auto-organisé et non-linéaire, capable de constituer des structures émergentes ayant la propriété d’être créatives et adaptatives.
Donnons maintenant quelques arguments en faveur du chaos déterministe comme conception et modélisation de l’évolution et, plus généralement, du fonctionnement du vivant. Citons un certain nombre de propriétés caractéristiques du chaos que l’on trouve au sein du vivant :
¤ l’imbrication de l’ordre et du désordre, de l’ordre local et global,
¤ la mémoire
¤ le caractère événementiel de l’histoire,
¤ l’imprédictibilité,
¤ la non-linéarité,
¤ la sensibilité aux conditions initiales,
¤ le type d’attracteurs,
¤ les bifurcations, etc...

Pour vous montrer le chaos de la vie , je ne vais pas présenter des phénomènes marginaux mais des processus fondamentaux :
= la rétroaction de la vie et de la mort cellulaires,
= le fonctionnement collectif de multiplication et de diversification des cellules,
= le mécanisme de transmission inter-cellulaire,
= le mode auto-régulé d’interaction des gènes et des protéines,
= le développement embryonnaire par auto-régulation des gènes homéotiques.

Et, dans tous les phénomènes précédemment cités, on trouve des processus fondés sur le chaos du fait des mécanismes suivants :
¤ des régulations utilisant des rétroactions négatives,
¤ des co-évolutions utilisant des rétroactions positives,
¤ des cascades de réactions interactives avec des propriétés émergentes,
¤ des phénomènes de réaction/diffusion auto-oscillants,
¤ des bifurcations successives avec rupture de symétrie,
¤ des phénomènes d’auto-organisation,
¤ et enfin, des diagrammes de Feigenbaum (phases avec un tout petit nombre de solutions attractives suivies brutalement de phases avec un grand nombre de solutions puis, de nouveau, de phases avec seulement quelques solutions).

Premier argument en faveur du chaos : dans un environnement fluctuant, l’ordre le plus durable est le chaos déterministe parce qu’il est fondé sur les fluctuations. C’est un argument de Ary Goldberger, physiologiste à Boston, qui disait que la chaos c’est la santé et la régularité c’est la mort. Il fait en effet remarquer qu’un ordre fondé sur une régularité ou une périodicité stricte n’aurait pas pu se maintenir dans un environnement changeant. Un battement cardiaque strictement périodique mènerait à une crise mortelle au moindre choc. Comme je l’ai dit dans un exposé précédent, une trop grande périodicité du rythme cardiaque entraîne une maladie qui peut être mortelle : la fibrillation ventriculaire. Goldberger cite d’autres exemples comme celui des globules blancs dont la numération journalière est chaotique et ne devient périodique que dans le cas de certaines leucémies. On se souvient aussi de la trop grande périodicité du rythme du message neuronal, dans le cerveau, en cas d’épilepsie ou de maladie de Creutzfeld-Jacob. Une baisse de l’agitation désordonnée diminue la capacité d’adaptation et peut casser l’ordre. C’est une particularité des ordres de type chaotique.

Le deuxième argument en faveur du chaos de la vie est qu’on y trouve une imbrication caractéristique ordre/désordre.
L’ordre et le désordre ne sont pas diamétralement opposés mais indispensables l’un à l’autre. L’ordre produit le désordre et vice-versa. En effet, au sein de l’espèce il n’y a pas identité mais seulement similarité. C’est le même cas au sein des ordres supérieurs comme embranchement ou genre. On est bien à la limite ordre/désordre. Une espèce est constituée d’individus tous différents et pourtant tous semblables. Si l’espèce peut être considérée comme un attracteur, ce n’est pas un attracteur simple comme un point fixe ni un cycle, mais toute une courbe avec une infinité de solutions. L’espèce n’est pas un ordre stable qui a tendance à aller vers l’immobilité mais un ordre instable et dynamique.
Au niveau cellulaire, génétique et moléculaire, comme au niveau de l’individu ou de celui des populations, on retrouve cette imbrication ordre/désordre. L’ordre de la génétique est fondé sur des liaisons moléculaires qui se font et se défont en tous sens. L’ordre des relations entre les espèces, qui détermine les niches écologiques, est fondé sur l’histoire contingente des relations entre ces espèces.

Le troisième argument c’est la sensibilité aux conditions initiales
Au sein du vivant, une petite cause peut entraîner un grand effet. Par exemple, pour couper la tête, il n’est pas besoin de prendre un grand couteau : il suffit d’enlever un petit segment de l’ADN c’est-à-dire un gène. En 1995, des chercheurs de l’Université du Texas ont montré que l’absence d’un seul gène appelé Lim-1 sur l’embryon de souris suffit à fabriquer une souris sans tête. L’explication est que le gène Lim-1 est un gène qui est au sommet de toute une hiérarchie de gènes. C’est un gène qui commande un grand nombre de gènes de structure. J’ai mentionné précédemment un autre gène du même type, le gène de l’oeil.

Autre exemple édifiant sur la sensibilité aux conditions initiales : une seule mutation sur un acide aminé peut entraîner l’altération de l’efficacité de l’enzyme qui y est associée et causer des maladies concernant le corps tout entier, comme l’albinisme. La transformation d’une simple molécule peut complètement changer le destin d’un organisme. Puis, en chaîne, toute la suite des événements peut en être transformée, modifiant l’évolution. Par exemple, une seule mutation sur un gène entraîne des maladies dites génétiques.
L’absence d’un tout petit élément chimique, un oligo-élément, qui sert d’enzyme à une réaction peut entraîner des maladies graves et donc avoir des conséquences à l’échelle de l’être vivant.

Mettons en évidence la propriété de « petite cause, grand effet ».
Une variation du capital génétique, même toute petite au départ, peut acquérir une extension fantastique, ce qui caractérise l’effet papillon. C’est de là que résulte l’imprédictibilité de l’évolution du vivant. De toutes petites causes peuvent entraîner des modifications spectaculaires de l’histoire de la vie.
Toute la biochimie de la vie est fondée sur le fait que les protéines dites allostériques ont un effet enzymatique, c’est-à-dire qu’en très petites quantités elles peuvent modifier la vitesse de certaines réactions biochimiques et ainsi modifier complètement la suite du processus. Avec les activations enzymatiques, on est tout à fait dans un phénomène où un petit facteur entraîne une bifurcation.
La vie est fondée sur des croissances exponentielles avec rétroaction
Plus il y a de cellules, plus il y en a qui vont naître, par division. La multiplication du nombre par deux à chaque génération est le type même d’une croissance exponentielle. On pourrait se dire que les cellules devraient économiser leur énergie et limiter la multiplication cellulaire mais la régulation fonctionne autrement : il y a dans le processus de procréation à la fois un mécanisme de croissance multiplicative. Et il y a un processus inverse : celui d’autodestruction et de mort des cellules. L’ensemble est loin d’être un fonctionnement économique tendant à la stabilité et à l’équilibre puisque l’on produit toujours plus de cellules que nécessaire et que la mort cellulaire est massive : des millions de cellules meurent par seconde. Ce mécanisme de mort cellulaire est interne à la cellule. Il est appelé l’apoptose et est aussi spontané et multiplicatif que la croissance. Il est aussi indispensable à l’organisme que la croissance. C’est une forme de suicide qui appartient au fonctionnement interne cellulaire pour des cellules en bonne santé et qui est la rétroaction négative de la croissance cellulaire. Mais, à elles deux, la croissance et la mort des cellules ne sont pas seulement deux phénomènes opposés. On en a parlé récemment dans l’actualité scientifique puisque ce sont ces mécanismes que Robert Weinberg a démontré être à l’origine du cancer lié à l’action de trois gènes, un gène qui inhibe les protections contre les tumeurs, un gène chargé de stopper la prolifération cellulaire, et un gène chargé de la fabrication de l’enzyme télomérase qui répare les extrémités des chromosomes après la réplication qui précède la division cellulaire.

Montrons une autre propriété caractéristique du chaos : l’imbrication de l’ordre global et local
Elle est liée à la propriété précédente selon laquelle une petite cause peut entraîner un grand effet. Un mécanisme extrêmement petit comme la mort cellulaire appelée l’apoptose permet de construire la forme du corps qui est un phénomène à une tout autre échelle. On sait en effet que la mort est un processus qui est actif à tout moment au sein d’une cellule. Si une cellule est isolée, elle meurt. Pour survivre elle doit recevoir des signaux de vie des autres cellules. La vie est donc une propriété collective et pas seulement individuelle. Ce système, étudié sur un type particulier de ver, est fondé sur une protéine de mort, sur une protéine activatrice de la première et une molécule inhibitrice de la seconde. C’est cette dernière molécule que la cellule doit produire en permanence pour survivre. Pour la produire, elle doit recevoir un message de la part des cellules voisines. Si ce n’est pas le cas, elle s’auto-détruit. Inversement une autre molécule, le Fas ligand, si elle se fixe sur l’un des récepteurs de la cellule, provoque une cascade de réactions qui enclenche l’apoptose. Les cellules peuvent donc se tuer entre elles.
La vie et la mort sont liées à un autre processus, celui de la multiplication cellulaire. En effet, juste après la division de la cellule, celle-ci a particulièrement besoin d’un message inhibant le message d’autodestruction. Déjà à ce niveau, l’ordre est global car les cellules vivent en fondant des collectivités.
Il y a un lien entre ce phénomène à petite échelle et le corps qui est une collectivité organisée de cellules. Comment le corps vivant fait-il pour fabriquer lors du développement sa forme caractéristique ? C’est justement la rétroaction de la vie et de la mort et de la multiplication cellulaire qui donne leur forme aux diverses parties du corps lors du développement embryonnaire. C’est la mort cellulaire qui permet par exemple de découper la chair entre les doigts. Elle façonne l’ensemble du corps. Mais la mort cellulaire ne pilote pas seulement la sculpture de notre morphologie. Elle est aussi à l’origine de l’organisation des cellules comme dans le système neuronal où les cellules sont tuées ou connectées, par ce processus.

La notion d’imbrication du global et du local s’entend du point de vue spatial comme du point de vue temporel. Cela signifie que l’on doit prendre en compte tout le passé, où des événements lointains peuvent être plus importants que les événements récents. Des événements très courts peuvent avoir une influence à une grande échelle du temps. On peut indiquer, sur plan du squelette de l’être humain, les différentes dates où des éléments de sa structure ont été produits pour la première fois. Par exemple, notre acquisition la plus ancienne indiquée sur le schéma date d’il y a 3,5 millions d’années : c’est notre formule dentaire. La plus récente datant de 100 000 ans : c’est la forme sphérique de la partie avant de nôtre crâne. Chaque élément du corps est apparu d’une époque différente. Bien des parties d’un être vivant ne sont pas nécessaires à son fonctionnement et sont seulement des résidus des étapes de l’évolution. Nous sommes, comme tous les êtres vivants, des produits d’une histoire et nous sommes un patchwork d’éléments représentant la mémoire de diverses époques.

Caractère événementiel de l’histoire de l’évolution et son imprédictibilité
L’histoire des espèces est irréversible. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Par exemple, quand les mammifères reviennent à une vie aquatique, avec la baleine ou le dauphin, ils ne reproduisent aucun animal marin précédent. Comme l’écrit Konrad Lorenz « la moindre modification ou innovation modifie à tout jamais et de façon irréversible le cours ultérieur de la phylogenèse. »
Loin d’aller vers des espèces très adaptées et perfectionnées, l’évolution utilise le passé, le bricole et ça peut marcher, même quand c’est très étonnant. Le finalisme est constamment ébranlé par des exemples d’innovations, produites sans le moindre rapport avec l’utilisation qui allait en être faite ensuite. Ces innovations proviennent d’ancêtres qui ont connu ces évolutions alors qu’elles n’avaient aucune utilité pour eux et n’ont été utilisées, par leurs descendants, que beaucoup plus tard.
D’autre part François Jacob écrit « l’évolution ne tire pas ses nouveautés du néant. Elle travaille sur ce qui existe déjà, soit qu’elle transforme un système ancien pour lui donner une fonction nouvelle, soit qu’elle combine plusieurs systèmes pour en échafauder un autre plus complexe. » Chaque progrès, le terme progrès étant mis entre guillemets, n’a pas été réalisé en vue d’un but conçu par avance et est encore moins le produit d’un projet ou d’une pensée. C’est le résultat d’un développement sans finalité où l’aléatoire obéit à des contraintes. L’exemple connu est celui du panda dont un tendon a été bricolé. Il en a fait un sixième doigt opposable et peut ainsi manier les bambous. Cela pourrait sembler la meilleure preuve en faveur de l’adaptation et de la tendance au perfectionnement, mais cela ne l’est pas car le panda ne digère que très mal les bambous et doit en ingurgiter une très grande quantité pour survivre, ceux-ci étant très peu nourrissants.

La non-linéarité de la croissance
Je vais vous montrer que nous avons une tendance a priori à nous représenter les phénomènes de manière linéaire. Pour cela, je vais prendre un exemple simple et apparemment bien connu : il s’agit de la croissance de taille d’un individu. En effet, chacun sait que nous avons une phase de croissance au cours de laquelle nous croyons grandir régulièrement.
De quel type est cette croissance ? Linéaire ou non-linéaire ? Pour le savoir on va mesurer, au cours des années, la taille d’un individu et en déduire une courbe en joignant les points obtenus. En procédant ainsi, le phénomène semble obéir à une courbe de croissance. C’est en joignant entre eux les points trouvés de façon linéaire et en supposant la continuité qu’on a cru avoir mis en évidence la courbe réelle de la croissance, mais cette modélisation est une illusion. Pour le constater il a fallu mesurer la croissance à une échelle de temps beaucoup plus petite que les années ou les mois. Prenons des mesures tous les jours et on constate cette fois qu’il y a non pas une ligne mais des paliers suivis de croissances brutales.
L’apparente continuité de l’évolution de la taille n’est qu’un a priori que nous avons introduit nous-mêmes. La croissance d’un individu est non-linéaire, discontinue et apériodique. On le constate sur la courbe de croissance. Les longueurs des segments qui représentent des épisodes de stabilité de la croissance ne sont pas égaux, de même que les périodes et les longueurs des différents épisodes de croissance brutale. Ils sont en désordre et semblent être distribués au hasard. D’autre part, on constate l’autosimilarité des observations à diverses échelles du temps. S’il y a un ordre dans la croissance, ce ne peut être qu’un ordre non-linéaire entraînant des résultats non-prédictibles. L’horloge de la croissance est fondée sur des cycles de rétroaction biochimiques et nous aurons bientôt l’occasion d’expliquer comment ces boucles produisent des horloges chaotiques.
Comme on vient de le voir dans le cas de la croissance de la taille, on peut trouver le chaos, c’est-à-dire la non-linéarité, du hasard obéissant à des lois et de la discontinuité là où des calculs de moyenne laissaient croire à de la linéarité, à la régularité et à la continuité. C’est le cas également pour deux autres phénomènes : celui de l’apprentissage intellectuel et celui de l’évolution des espèces. Le travail cité sur le développement de l’intelligence humaine, a été réalisé par L. Johnson en 1993 et en 1998. Il indique les sauts dans la progression de l’acquisition des connaissances.
On peut comparer avec une modélisation de l’évolution dans la conception des équilibres ponctués de Stephen Jay Gould. On constate la ressemblance de rythme entre ces trois évolutions qui portent pourtant sur des domaines très différents : la croissance de la taille, la progression de l’apprentissage intellectuel et l’évolution des espèces. C’est la non-linéarité qui donne à des phénomènes aussi divers le même type de dynamique. Les trois cas présentent les caractéristiques communes suivantes : de la discontinuité, des sauts à toutes les échelles avec autosimilarité. On trouve des valeurs apparemment aléatoires aussi bien en durée des changements, des phases de stabilité et également en taille de ces évolutions.

Voyons si la vie obéit bien à la propriété de non-linéarité
La linéarité est la propriété des phénomènes qui sont additifs. La vie, elle, est fondée sur la multiplication et non sur l’addition : multiplication des cellules comme multiplication des individus par la procréation. Plus une espèce est nombreuse, plus elle peut se multiplier. Il y a une tendance à l’expansion d’une espèce, une tendance à occuper tout l’étage écologique. Mais la vie ne se développe pas seulement en nombre, elle produit aussi de la diversité. C’est le cas au niveau de l’individu, de ses organes au cours du développement : de l’œuf à l’adulte en passant par le bébé, on est loin d’une simple croissance numérique du nombre de cellules. Il a dispartition de cellules en très grand nombre pour « sculpter » le corps. Il y a apparition d’organes, de systèmes, det toute une organisation collective de ces cellules. La non-linéarité apparaît aussi au niveau cellulaire : la production de nombreux types de cellules à partir d’une cellule originelle montre que la diversification est une propriété interne du vivant. Après la fécondation, les cellules ne se contentent pas de se multiplier : elles constituent tous les différents types de cellules de l’être vivant.
Au cours du développement à partir de cellules complètement identiques au départ, il y a formation de lignées cellulaires. Il s’agit là d’une évolution aussi étonnante mais à une autre échelle que celle des espèces. Et on constate que cette évolution est un produit du mécanisme du vivant lui-même. On peut désormais observer ce phénomène au microscope. La différenciation cellulaire des lignées résulte de toutes petites asymétries dans la cascade de signaux, émis et reçus par les cellules initialement identiques, la différenciation étant accentuée par le dialogue entre les cellules et les suicides cellulaires. Ce sont des bifurcations dans les voies de différenciation. C’est de l’aléatoire avec des contraintes : du chaos. Il y a plusieurs types de cellules possibles et la sélection garde ceux qui sont viables. La différenciation, contrairement à ce que l’on croyait auparavant, n’est plus considérée comme fixe. C’est ce que l’on appelle la propriété de totipotence des cellules embryonnaires et c’est là un processus non-linéaire et lié à un ordre global.
En effet, la propriété de totipotence, ou la capacité d’une cellule à produire différents types de cellules, doit être activée par les messages des cellules voisines. On a pu isoler la protéine LIF, ou Leukemia Inhibitory Factor, protéine qui maintient les cellules totipotentes et les rend donc capables de se diversifier. Et c’est ce mécanisme qui fait que certaines zones correspondront à des cellules totipotentes et d’autres zones donneront des types de cellules fixes et spécialisées qui ne pourront plus se diversifier. Ce sont des signaux inter-cellulaires qui vont déterminer ces zones. C’est ce qu’on appelle l’induction : un groupe de cellules entraîne un autre groupe de cellules dans une voie de différenciation. Les signaux, émis à partir du premier groupe et permettant au deuxième groupe de se différencier, sont appelés des facteurs diffusibles. C’est une nouvelle démonstration du fait que les cellules se comportent de manière collective et établissent un ordre global fondé sur la coopération et la co-évolution. Les facteurs diffusibles sont des protéines fondamentales des cellules embryonnaires qui ont la capacité, en se fixant sur la membrane cellulaire, de déclencher une chaîne de réactions à l’intérieur de la cellule allant jusqu’à activer ou réprimer tel ou tel gène du développement. Tout le développement de l’embryon est fondé sur ce mécanisme. Différentes cellules contiennent le même ADN mais les gènes sont actionnés par des mécanismes divers impliquant des facteurs diffusibles, ce qui permet de produire diverses cellules ayant des fonctions différentes.
En ce qui concerne l’évolution de la vie, la thèse que nous développerons est que la modification des espèces trouve son origine dans le développement de l’embryon. Comme l’expliquait François Jacob dans son ouvrage « Le jeu des possibles », l’évolution était comme linéaire parce qu’on l’examinait en termes de phylogenèse, c’est-à-dire de différence entre adultes, au lieu de l’étudier par l’ontogenèse, c’est-à-dire au stade de l’embryon où les divers animaux se ressemblent beaucoup plus. François Jacob écrivait ainsi : « l’embryon se développe dans un monde qui n’est pas simplement linéaire. La structure à une dimension des gènes détermine la production des couches cellulaires à deux dimensions ; celles-ci se replient de manière précise pour former, en trois dimensions, les tissus et les organes.(...) On peut considérer le développement et la différenciation cellulaire comme les effets d’une série de décisions binaires.(...) Un tel processus implique une régulation sélective de l’activité des gènes. » A l’époque, en 1981, Jacob écrivait à l’époque « nous ignorons les outils que le développement de l’embryon fournit au bricolage de l’évolution ». Nous verrons plus avant qu’avec les gènes architectes on a probablement trouvé ces outils.

Entre la biochimie et l’individu il y a une relation non-linéaire. Ainsi, il n’y a pas de lien simple et direct entre le gène et le caractère contrairement à ce que l’on croyait autrefois. Et d’abord l’idée qu’un gène correspond à un caractère est fausse. Un gène est lié à plusieurs caractères et un caractère est lié à plusieurs gènes. Aucun gène n’agit seul sur un caractère. Le comportement des gènes est collectif et coopératif. Les gènes peuvent s’activer ou s’inhiber entre eux. Enfin, l’intervention des gènes est hiérarchisée et, du coup, une modification de l’un d’entre eux peut entraîner une modification à grande échelle. Cette question de saut d’échelle entraîne donc une non-linéarité.

L’évolution obéit-elle aussi à cette propriété de non-linéarité ?
La linéarité de l’évolution est un phénomène qui semble bien connu dans certains cas, comme l’évolution du sabot et des pattes des chevaux et de leurs ancêtres. L’évolution des espèces de chevaux est habituellement considérée comme le type même du changement lent et progressif, à vitesse constante. C’est une illusion puisque les diverses sortes de chevaux ne sont pas apparues lentement et successivement. Il y a eu des successions brutales de types de chevaux non suivies d’évolutions. Les espèces qui se sont maintenues sont rares. La plupart ont disparu. Là encore c’est le phénomène de non-linéarité qui l’emporte malgré l’apparence continue et graduelle.
Entre les deux modèles, linéaire et non linéaire, la différence ne tient pas simplement à l’aspect ligne droite du premier, mais au fait que dans le deuxième type de graphique on peut sauter d’un partie basse à une partie haute de la courbe.

Des propriétés émergentes dans l’auto-organisation de la biochimie de la vie
Je vais exposer un système métabolique élémentaire présentant des propriétés émergentes et provenant d’une auto-organisation. Ce sont les cascades de signalisations cellulaires qui le produisent. Des signaux venant de l’extérieur de la cellule interagissent avec les récepteurs de la membrane cellulaire. Cela est relayé a l’intérieur de la cellule par des cascades, c’est-à-dire des successions de réactions enzymatiques. Chaque molécule dit à la molécule suivante : « tu te comportes comme ceci » qui dit à la suivante « tu te comportes comme cela », et ainsi de suite jusqu’au noyau de la cellule et là le message régule l’expression de certains gènes, c’est-à-dire les active ou les inhibe. Rappelons qu’un gène peut rester silencieux s’il est inactivé.
Les mécanismes de ces cascades sont essentiels à la vie. On croyait bien les connaître et pourtant une équipe de chercheurs vient de démontrer que l’ensemble de ces cascades procède de propriétés nouvelles, dites émergentes, qui ne découlent pas des propriétés précédentes. Ce sont des propriétés de fonctionnement collectif. C’est un travail réalisé par Upinder Bhaila et Ravi Iengar de New York (cité par la revue « Pour la science » d’avril 1999). La cause de ces organisations collectives est la formation de boucles de rétroaction. Elles proviennent du fait que les diverses cascades de réactions utilisent les réactifs les uns des autres et donc interagissent en permanence. Un cycle métabolique stable s’établit et résiste aux petites fluctuations de concentration des produits impliqués par la réaction. On constate cet ordre émergent car la boucle de rétroaction continue de fonctionner même lorsqu’il n’y a plus de signal extérieur. Donc, même à un niveau très élémentaire du fonctionnement de la vie, on trouve ces comportements collectifs, ces rétroactions successives entraînant des propriétés émergentes.

La régulation par rétroaction des protéines
Jacques Monod dans « Le hasard et la nécessité » a étudié la manière dont les protéines procèdent pour réguler les réactions biochimiques : « Des protéines spécialisées jouent le rôle de détecteurs et intégrateurs d’information chimique. Les protéines allostériques sont des enzymes particuliers capables, en s’associant à un substrat particulier, d’activer sa transformation en produits. Ils peuvent accroître ou inhiber l’activité. » Et Monod montre divers modes de régulation et poursuit : « Ces systèmes sont comparables à ceux que l’on emploie dans des circuits électroniques (...) Comme un relais électronique peut être asservi simultanément à plusieurs potentiels électriques, l’enzyme allostérique l’est à plusieurs potentiels chimiques. Mais l’analogie va plus loin encore. Comme on le sait, il y a généralement intérêt à ce que la réponse d’un relais électronique soit non-linéaire par rapport aux variations du potentiel qui le gouverne. On obtient ainsi des effets de seuil assurant une régulation plus précise.(...) Les propriétés des enzymes allostériques permettent de comprendre comment l’état homéostatique du métabolisme cellulaire est conservé au maximum d’efficacité et de cohérence ». Je rappelle qu’allostérique signifie l’inhibition d’une enzyme protéique par une molécule beaucoup plus petite qui se fixe sur elle et modifie sa forme. Ce processus est une rétroaction dans laquelle un tout petit facteur entraîne un changement important puisque toute une chaîne de réactions est freinée par l’absence d’enzyme. La molécule enzyme est elle-même empêchée de jouer son rôle par une infime modification due à la fixation d’une petite molécule.

La vie est-elle loin de la stabilité ?
On croyait que la tendance vers la stabilité était la tendance naturelle de la vie. En fait c’est presque le contraire. La vie est fondée sur l’instabilité et non la stabilité. Un peu d’agitation, de désordre, est indispensable à sa durabilité. Il faut un peu de biodiversité pour assurer la survie. Une recherche de 1993 a montré que pour une espèce présente à une faible densité, l’existence d’oscillations chaotiques en son sein réduit le risque de disparition. Le chaos, loin de nuire à la stabilité structurelle, la facilite mais il donne un ordre dynamique qui caractérise le vivant.

Un exemple simple de rétroaction : la co-évolution des populations.
L’évolution n’est plus seulement considérée comme la modification d’une lignée mais comme une co-évolution de plusieurs espèces liées, que ce soit du fait de la relation prédateur/proie, du co-développement comme les relations insecte/fleurs ou animal/parasite.
Je ne donnerai qu’un seul exemple du caractère rétroactif de la co-évolution : c’est celui d’un insecte et d’une fleur, le papillon et l’orchidée. On sait que le papillon se nourrit de nectar mais en allant butiner d’une fleur à l’autre, il transporte sur sa trompe le pollen et le met en contact avec d’autres fleurs, permettant à celles-ci de se féconder. Le nectaire de la fleur, espèce de vase qui contient le nectar, et la trompe du papillon, qui permet de le pomper, entretiennent une rétroaction positive. Cela signifie que l’augmentation de taille de l’un accroît l’augmentation de taille de l’autre et ainsi de suite. Il n’y a pas tendance à la stabilisation ni à l’équilibre. Chaque augmentation de la taille de l’un favorise chez l’autre les individus qui ont une taille augmentée. Ainsi seuls des papillons qui ont une grande trompe peuvent butiner des orchidées qui ont un nectaire profond. Et, inversement, des papillons ayant une longue trompe vont butiner des orchidées ayant un long nectaire qui, du coup, seront plus souvent fécondés. Progressivement disparaissent les papillons et les orchidées qui ne vont pas dans le sens de cet accroissement. Ces deux êtres vivants vont rester à même niveau l’un vis à vis de l’autre. Par contre, les deux auront tendance à évoluer sans atteindre la stabilité : un tout petit déséquilibre de départ dans le sens d’une augmentation ou d’une diminution de taille va s’amplifier.
Le co-développement est un facteur de rétroaction c’est-à-dire produisant des instabilités organisées et non un facteur de formation d’un équilibre stable. Tous les êtres vivants sont en co-développement car aucun ne peut vivre seul. Tous se nourrissent d’autres êtres vivants ou d’éléments issus de la vie. Les arbres sont en co-évolution avec les oiseaux, les champignons, les vers, les acariens et les bactéries, pour ne citer que ceux-là.
Le co-développement n’existe pas seulement au niveau des relations entre êtres vivants ou entre espèces. Nous avons vu précédemment qu’il régit également les relations entre molécules-signaux de la cellule et aussi celles entre les macromolécules, les protéines et les gènes. On parlera de populations de gènes et on étudiera leur type d’équilibre écologique de la même manière que celui de bactéries ou d’animaux.

Toute évolution a une tendance naturelle à se poursuivre (par exemple une tendance à la croissance de taille d’une espèce), si elle n’est pas contrecarrée par la tendance inverse. C’est très différent d’une tendance à la stabilité. De même, la tendance à l’expansion de toute forme viable de la vie n’est freinée que par l’expansion des autres êtres vivants. Ainsi l’équilibre écologique entre prédateur et proie n’est pas un équilibre stable mais au contraire le produit de plusieurs facteurs exponentiels opposés. Le biologiste Robert May a pu montrer qu’il en résulte des fonctions chaotiques d’équilibre global fondé sur l’instabilité, en somme une imprédictibilité due au chaos déterministe et non au pur hasard. En écologie, que ce soit dans le comportement reproductif des planctons, dans la relation entre proie et prédateur, ou en épidémiologie, avant le travail de May, on ne trouvait aucune logique dans l’évolution numérique des populations qui apparaissait seulement désordonnée. On a montré que ces évolutions pouvaient s’interpréter comme des comportements fondés sur des lois dynamiques chaotiques.
On sait que le premier à avoir étudié l’évolution des populations est Thomas Malthus à la fin du XVIIIe siècle. Son modèle était exponentiel puisque pour lui la population doublait tous les 25 ans. Cette loi, lorsqu’elle est itérée, donne une croissance de plus en plus rapide. Seulement son modèle ne tenait pas compte du fait qu’un mécanisme de régulation a nécessairement lieu en sens inverse, mécanisme qui lui aussi est croissant de façon multiplicative en fonction de la taille déjà atteinte de la population, que ce soit dû à des maladies ou la baisse de la fécondité ou à des guerres. C’est Pierre-François Verhulst, un mathématicien belge, qui introduisit le facteur correctif en 1845 pour finir par trouver ce que l’on appelle la fonction logistique, dans le cas de la croissance des bactéries. Cette dernière fonction, qui semble toute simple, a cependant une propriété que Robert May a souligné en 1973 : pour certaines valeurs du taux de fécondité, il y a un certain nombre de points fixes qui ne sont pas des points attracteurs simples. La population ne se stabilise pas à ces valeurs mais passe successivement par chacune d’entre elles. D’autres points sont encore plus particuliers. Ce sont des points critiques. La dynamique, lorsqu’elle les atteint, peut devenir très inattendue, complètement désordonnée en apparence. C’est cette multiplicité des points attracteurs qui explique, tout en obéissant toujours à la même loi et donc toujours aussi déterministe, le phénomène peut avoir un aspect tout à fait erratique. C’est le cas pour l’évolution d’une population de mouches à viande. Robert May a ainsi souligné en 1976 qu’une fonction apparemment très simple pouvait entraîner un développement dynamique extraordinairement complexe et structuré dans lequel le désordre n’est que la manifestation d’une loi chaotique.
Dans l’étude qu’avait fait Robert May, i y a un, puis deux, puis un très grand nombre de points d’équilibre instable. C’est un graphique qui a été appelé depuis « diagramme de Feigenbaum » et qu’on retrouve dans un très grand nombre de phénomènes. Dans ce diagramme, on fait figurer les points d’équilibre instables. On trouve d’abord une seule ligne, qui se dédouble puis se dédouble à nouveau puis brutalement la courbe disparaît pour laisser la place à une multitude points d’équilibre. C’est à ce moment que la dynamique semble totalement désordonnée, mais si on va un peu plus loin vers la droite on retrouve un petit nombre de points fixes. Cela montre qu’il ne s’agissait pas de simple désordre mais de chaos déterministe. Ce type de schéma est fondamental pour comprendre l’évolution d’une population. Il explique que la même loi dynamique qui donne un petit nombre de points fixes peut brutalement entraîner une biodiversité massive. Or c’est exactement le constat que l’on fait dans l’histoire du vivant.
Le théorème de Sharkowski a démontré que, pour la fonction logistique comme pour toute fonction comprenant un cycle d’ordre trois, il y a chaos déterministe. Il y a un mécanisme de doublement de la période qui s’achève sur le chaos avec une multiplicité de points fixes et la formation d’arbres de Feigenbaum.
Ce n’est pas seulement une propriété qui concerne la démographie des individus d’une population mais également une population de cellules ou de gènes. Par exemple des chercheurs ont mis en évidence le même mécanisme pour la lutte entre des cellules ayant une tumeur et les tueurs de ces cellules malades. Toute compétition entre plusieurs phénomènes connaissant des croissances de type exponentiel, comme on en connaît dans les mécanismes du vivant, peut donner le même type de domaine fractal. Par exemple, c’est le cas entre des cellules qui se diversifient. En effet, il y a alors compétition entre les divers types de cellules qui tentent toutes de se multiplier et la structure qui en résulte provient de la rétroaction et non d’une forme préétablie. Des spécialistes de l’étude mathématique des populations comme Le Bras et Vicsek ont démontré, en 1994, dans la revue « World Scientific » que les phénomènes de croissance d’une population construisent des domaines dont les frontières sont de type fractal.

Donnons un autre exemple d’ordre chaotique fondé sur cette compétition tiré des interactions de populations cellulaires et d’une dynamique permettant des régularités et des sauts. Grégoire Nicolis et Ilya Prigogine ont montré que la lutte entre cellules malignes, et cellules tueuses de ces mêmes cellules malignes, est un ordre avec deux équilibres possibles concurrents : soit le rejet de la malignité, soit sa domination. Ces deux équilibres possibles vont entraîner tout un mouvement apparemment désordonné, mais en fait fondé sur un ordre instable. C’est un phénomène de transition d’état, avec saut, qui est modélisé par le chaos déterministe.
Dans ces situations de bifurcations, il y a dédoublement avec deux solutions possibles. On passe d’une situation où il n’y a qu’une seule solution à une autre où on en trouve deux. Ces sauts possibles dans la dynamique sont un élément fondamental de la compréhension de phénomènes, aussi bien dans le domaine de la physique que dans celui du vivant. C’est ce que l’on appelle une bifurcation. Ce type de bifurcation est modélisé par le parcours d’une boule qui se retrouve avec deux chemins possibles. L’image des bifurcations permet une interprétation des schémas qu’avait trouvé Robert May. On a donc bien une vision d’ensemble qui permet de comprendre à la fois les situations durables apparemment stables, les instabilités et le type des évolutions.

Ce schéma est celui qui fonctionne également le mieux dans nombre de situations, comme les épidémies. Dans ce cas, il y a en effet facteur exponentiel dû à la contagion et rétroaction négative, due à la mort des malades, qui cause la diminution de la population. Ce type de phénomène s’est révélé être un exemple simple de chaos déterministe avec, notamment, la sensibilité aux conditions initiales entraînant l’imprédictibilité. Schaffer et Kot, étudiant la rougeole, ont montré qu’il s’agissait d’un phénomène chaotique et ont même visualisé son attracteur étrange. Et le phénomène prédateur/proie du lynx et du lièvre de la baie d’Hudson a été étudié de la même manière par Schaffer et possède les mêmes propriétés.
Mais ce phénomène prédateur/proie ne se limite pas à des considérations d’écologie du type « lutte pour la vie », entre des espèces concurrentes : il concerne aussi le vivant au niveau biologique. Un grand nombre de mécanismes de régulation, d’immunologie, comme d’homéostasie, sont également du type prédateur/proie. Il s’agit donc de phénomènes chaotiques avec des régularités à certains moments ressemblant à des cycles mais ne menant pas à la stabilité d’un cycle et encore moins à la périodicité.

Pourquoi le chaos serait-il indispensable à la vie ? Eh bien, parce que la vie est fondée sur le désordre permanent et, en même temps, a besoin de certaines régularités, par exemple un rythme de multiplication cellulaire, une température interne, ou une pression sanguine, ou encore un battement cardiaque. On peut même parler d’horloges de la vie puisque certains chiffres se retrouvent régulièrement au sein d’un groupe, d’une espèce ou d’un embranchement. Un mammifère a grossièrement une certaine durée de vie, un certain type de battement cardiaque, ou encore une certaine température moyenne. Comment ces mécanismes de régulation de l’homéostasie sont-ils fondés ? Est-ce par la stabilisation autour de valeurs fixes, préenregistrés pour l’espèce ? Ou est-ce au contraire par une régulation qui résulte de réactions biochimiques rétroactives, les régularités étant le résultat de la formation d’attracteurs du chaos, fondés sur une auto-organisation en biochimie loin de l’équilibre ?
Le chaos déterministe peut donner une interprétation de ce type de dynamique car il permet de hiérarchiser, de synchroniser et de stabiliser certains mécanismes d’horloge. Le chaos a la capacité de fabriquer des rythmes communs globalement stables, capables de se réguler mutuellement, par activation ou inhibition. La vie elle-même n’est rien d’autre que la structure qui permet que certains cycles biologiques interagissent de manière stable au sens chaotique, c’est-à-dire en permettant de nombreux rythmes adaptatifs et évolutifs. Ces rythmes déterminent notamment la fabrication des protéines ou encore la division cellulaire.


L’auto-organisation de la vie et l’évolution

L’auto-organisation de la vie sous-entend que la structure n’est pas toute faite, par avance, mais que l’ordre se constitue spontanément sur la base du désordre, au fur et à mesure, par la dynamique d’ensemble du système. Le fondement de cette conception est la remarque d’Ilya Prigogine et de Stuart Kauffman selon laquelle de nombreux systèmes physiques ou chimiques, qu’ils soient inertes ou vivants, sont capables de gagner en structuration. La structure qui s’établit finalement n’est pas imposée de l’extérieur (pression adaptative due au milieu, par exemple), mais est le produit de la dynamique du vivant lui-même. Cette conception est contradictoire avec les lois de la physico-chimie telles qu’on les concevait.
La thermodynamique, qui étudie les transferts énergétiques, a longtemps théorisé la tendance spontanée des systèmes à perdre des niveaux de structure. Par exemple, deux systèmes mis en contact ont tendance à échanger de l’énergie jusqu’à se fondre en un seul système, perdant ainsi un niveau de structuration. La thermodynamique avec la notion d’entropie, c’est-à-dire de tendance inévitable à la baisse du degré de structuration, laissait penser que le désordre ne pouvait que croître. La vie semblait donc une bizarrerie au regard de la physique et avait, dans cette conception, une probabilité nulle d’apparaître dans un univers inanimé. Une nouvelle espèce n’avait également aucune chance de succéder à une autre espèce, toujours au nom de la notion entropique.
Prigogine a résolu cette contradiction en montrant que la thermodynamique de l’époque étudiait seulement des systèmes isolés, alors que la vie est inconcevable dans l’isolement, sans un apport extérieur permanent d’énergie et de nourriture. La vie est un système dynamique dissipatif. Le terme dissipatif souligne la perte permanente d’énergie, et donc la nécessité d’un apport continuel de l’extérieur. Le terme dynamique signifie une tendance spontanée au changement. Cette transformation continuelle provient du fait que l’apport d’énergie est aussi un apport permanent de désordre. L’apport considérable au plan conceptuel de Prigogine dans l’étude de ces systèmes a été de montrer qu’en fournissant en permanence du désordre, on peut produire autre chose que du désordre : un type très particulier d’ordre émergent. Les systèmes dynamiques dissipatifs loin de l’équilibre n’ont pas tendance à tomber dans la stabilité, mais à construire de la structuration, un autre type d’ordre, fondé sur les fluctuations. La remarque de Prigogine est d’une importance considérable pour la vie puisqu’elle contredit l’image erronée que donnait la thermodynamique, à savoir la tendance inévitable vers la perte d’ordre, appelée augmentation de l’entropie.
Prigogine a souligné d’abord que la loi d’accroissement du désordre ne s’appliquait qu’aux systèmes fermés qui ne sont que des cas particuliers et des approximations des systèmes réels. D’autre part, il a montré que les systèmes ouverts, qui perdent de l’énergie et qui en reçoivent de l’extérieur, ont tendance à s’organiser d’eux-mêmes. Ils peuvent donc construire des structures et des sous-structures, ils peuvent s’enrichir en information, ce qui est complètement inattendu par rapport à la vision que l’on en avait auparavant. Ces systèmes peuvent être fondés sur le désordre et produire spontanément de l’ordre. D’autre part, ils peuvent pendant un temps très long exhiber une allure relativement régulière puis brusquement passer à une apparence désordonnée pour revenir brutalement à une allure ordonnée. Ce type d’ordre est directement lié à la propriété des systèmes obéissant à des lois non-linéaires et ayant trois paramètres ou plus : c’est du chaos déterministe.
Au sein cet ordre, il y a toujours des fluctuations aléatoires. Le système ne va pas vers la stabilité ni vers un comportement cyclique. Dans les systèmes dissipatifs loin de l’équilibre, il y a irréversibilité du phénomène et non un retour périodique de développements identiques. Ce sont donc des processus qui ont une histoire. Chaque événement compte, car la suite est déterminée par le chemin choisi à chaque bifurcation. Il peut y avoir des attracteurs, c’est-à-dire des situations vers lesquelles le système a tendance à revenir, mais ce ne sont pas des attracteurs stables ni périodiques, ce sont des attracteurs étranges. Des situations d’apparente stabilité durent parfois très longtemps et, brutalement, sans signe précurseur, il y a rupture, ouvrant la voie à de nombreuses histoires possibles. Près de ces bifurcations, le système peut avoir plusieurs degrés de liberté mais être attiré spontanément vers un comportement dépendant d’un plus petit nombre de degrés de liberté, c’est-à-dire une structure nouvelle. Ilya Prigogine a remarqué qu’il suffit d’avoir un système dissipatif loin de l’équilibre pour obtenir des systèmes qui produisent des structures émergentes.

Des travaux ont également été effectués par des systèmes informatiques afin de modéliser les évolutions à long terme. Calculer à la main l’évolution de tout un système est très difficile sinon impossible, mais est réalisable sur ordinateur. On a alors constaté qu’un système obéissant à des règles données peut, pour certaines valeurs, sauter directement à un autre système obéissant à des règles totalement nouvelles qui n’étaient pas prévues au départ. C’est de l’ « auto-organisation », une capacité spontanée du système à produire des nouveaux niveaux d’organisation. On modélise ces règles simples dans des systèmes logiques sur informatique, dits algèbre de Boole, mathématique qui permet de concevoir un ordre fondé sur des fluctuations appelé réseau aléatoire booléen. On étudie l’évolution du système à diverses échelles, et on assiste, malgré l’agitation aléatoire, à la formation de structures. Pour les gènes, cette capacité spontanée à former des structures gelées est appelée par Kauffman l’antichaos.
Quel rapport y a-t-il entre ce genre d’étude sur ordinateur et les gènes ? Stuart Kauffman a modélisé la relation entre la génétique et la diversité cellulaire. Il a modélisé le gène, activé ou inhibé, par la logique de l’ampoule allumée ou éteinte. Chaque être est composé de milliards de cellules. Chaque cellule a un noyau. Dans chaque noyau, il y a un ADN et dans chaque ADN, il y a mettons 100 000 gènes pour l’homme. Quand chaque gène est influencé par deux autres, on se retrouve à la limite de l’ordre et du chaos : il y a sensibilité aux conditions initiales. Stuart Kauffman considère que chaque type de cellule est un attracteur du système. Il a cherché le nombre d’attracteurs et a trouvé un nombre limité d’états stables.
Son idée principale a été de montrer qu’à la frontière de l’ordre et du désordre il y avait deux processus inverses : chaos et antichaos. Un système ordonné peut se désordonner, et inversement, un système désordonné peut « geler » et donner une structure. En 1975, il a ainsi modélisé mathématiquement la différenciation de l’oeuf originel en cellules de types variés. Ce modèle simple a permis de calculer le nombre de types de cellules possibles. Avec les 100 000 gènes d’un homme, son système prédit 370 cellules, ce qui est tout près de la réalité puisqu’on en connaît en fait 254. On se serait attendu à trouver, avec un tel nombre de gènes et de combinaisons possibles, des milliards d’états. Le fait qu’il n’y en ait que 254 prouve qu’il y a bien un ordre caché. Le système de Kauffman est la première interprétation de cet ordre que l’on ait trouvé. A partir d’un fonctionnement très simple, donc très économique et qui est répété, on peut produire de la diversité.
Quel rapport y a-t-il entre les gènes et l’informatique ? On peut partir sur une modélisation ultra-simple du type oui/non qui décrit les deux états possibles de l’élément de base, en l’occurrence le gène. Pour comprendre comment peut fonctionner un système à la fois fondé sur le hasard et sur une loi, on a établi des modèles très simples de chaos sur ordinateur avec des cases noires et blanches : une case noire représentant une cellule vivante et une case blanche pas de cellule. Ce que l’on a appelé « le jeu de la vie » a été inventé par un informaticien dans les années 70. Ce n’est pas un jeu. Cela n’a pas comme but d’imiter réellement la vie mais des « jeux » comme celui-ci ont été multipliés car ils permettent de modéliser le type de dynamique dont on cherche à comprendre le fonctionnement. On regarde l’évolution génération par génération. Si une case est blanche et qu’elle a trois voisines noires, il devient noire à la génération suivante, ce qui signifie qu’il y naît quelque chose. Ce sont là des règles simples, cependant une certaine non-linéarité apparaît. Chaque cellule influence ses voisines mais est influencée en retour par celles-ci. Il s’agit de rétroactions qui sont des séries de réactions qui reviennent en boucle au point de départ et déclenchent ou bloquent la reprise du processus.
Dans ce « jeu de la vie », il y a à la fois rétroaction positive et négative : plus le nombre de cellules est grand au départ, plus il y en a qui vont naître. Mais le contraire est vrai aussi : plus il y a de cellules qui vont mourir par étouffement à la génération suivante. Des structures apparaissent parfois. Une nouvelle structure stable apparaît, appelée le glisseur (glider en anglais). L’ordre qui s’est établi est un attracteur mais ce n’est pas un attracteur simple de type cycle périodique. En effet, de petites perturbations permettent parfois de passer d’un attracteur à un autre. A partir d’un seuil, les glisseurs sont remplacés par une autre structure, appelé planeur, et ces derniers obéissent à des règles totalement nouvelles et imprédictibles. Une situation critique peut entraîner un mouvement à grande échelle ou avalanche. C’est un système du type critique auto-organisé qui entraîne à certains moments des changements collectifs brutaux. Rappelons que la notion critique dans le chaos provient d’un phénomène qui est auto-similaire à plusieurs échelles, le point critique étant celui où toutes les échelles interagissent.
Ce jeu est irréversible : l’évolution ne revient pas en arrière. On a donc réussi à modéliser à partir de l’itération de règles simples un phénomène irréversible de structuration croissante avec des sauts évolutifs. C’est un ordre global fondé sur un désordre local. Sans cesse des cellules se multiplient et d’autres meurent et il n’y a stabilité globale de l’ensemble organisé que grâce aux instabilités locales. L’ordre n’est globalement stable que s’il est fondé sur une coopération collective : dès qu’une cellule s’isole elle meurt. L’étude ne permet pas le réductionnisme : on ne peut pas étudier l’évolution individuelle d’une case à la énième génération sans étudier toute la dynamique globale.

Ponctuation, arborescence fractale
et fonction chaotique de l’évolution

Nous avons montré que la notion d’auto-organisation est liée à celle de croissance fractale avec autosimilarité à plusieurs échelles. En effet, la structuration a tendance à se faire, non en augmentant le nombre de structures à un même niveau, mais en construisant des sous-niveaux à plusieurs échelons. C’est le cas de la formation des cellules lors du développement embryonnaire dans lequel les cellules forment, en se multipliant, les diverses parties du corps d’un ver. Une arborescence indique la manière dont une cellule originelle se diversifie, donnant les divers types de cellules du corps, des cellules de l’épiderme aux cellules de la moelle épinière. Il ne s’agit pas d’un processus linéaire mais d’un arbre fractal, succession d’embranchements et de sous embranchements. La diversification cellulaire, comme le développement embryonnaire, sont donc des processus de type fractal.
On retrouve le même type de structure pour la propagation d’un cancer de la prostate, un carcinome comparé à une hyperplasie. Les chercheurs ont montré que la simple étude du type de développement fractal permet de distinguer les deux maladies et de pouvoir établir un diagnostic. D’autres exemples de fractales : deux sortes de neurones du thalamus et leur arborescence dendritique fractale.
Le même type de formes arborescentes et fractales apparaît dans la croissance des populations de bactéries.
Il n’est nullement étonnant de voir apparaître des fractales dans des structures aussi diverses que les poumons, le système circulatoire ou le système neuronal, et également dans des processus variés comme la croissance d’une maladie ou le développement d’un être vivant. Les fractales ne sont pas seulement de jolies formes arborescentes ou aux anfractuosités multiples. C’est le moyen le plus simple d’augmenter l’extension ou la rapidité de transmission d’énergie ou d’information.
On a longtemps cru que les formes les plus naturelles étaient celles qui avaient des formes lisses comme la boule ou la surface de l’eau. Mais c’est l’illusion transmise par l’oeil qui donne cette impression, et invente une forme lisse à un nuage. La forme la plus naturelle pour séparer un milieu d’un autre est, au contraire, une frontière pleine de plis, quels que soient les niveaux d’agrandissement où on la regarde. Pour l’information, comme pour la diffusion de l’énergie, la transmission uniforme dans toutes les directions n’est pas le mode le plus simple. Il est beaucoup plus efficace d’utiliser le pouvoir des pointes pour explorer l’espace. Or, explorer le plus de chemins possibles, dans un volume donné est caractéristique d’une fractale. On retrouve ce même processus dans la croissance d’une population de bactéries, le développement d’une maladie, la transmission d’un message neuronal ou encore la transmission de messages cellulaires comme les messages de totipotence ou ceux de la vie et de la mort cellulaires.
Le caractère fractal d’un phénomène de croissance provient de l’interaction d’échelle. En effet, l’autosimilarité signifie que si on change d’échelle, on retrouve le même type de situation. Ce mécanisme permet à l’évolution de se poursuivre, même si c’est à plus petite échelle, par exemple si le système dispose de moins d’énergie. C’est là le principe de la croissance fractale des arborescences. L’économie d’énergie est réalisée en diminuant l’échelle. Prenons un exemple. L’énergie dépensée par une unité vivante est proportionnelle à son volume. L’énergie qu’elle reçoit de l’extérieur est liée à sa surface. Le rapport quantitatif entre le volume et la surface sera donc de l’ordre de une dimension. La forme la plus appropriée sera donc celle qui augmente la surface dans un volume limité. C’est à cette logique qu’obéit la construction de la surface plissée de notre cerveau, la forme de notre système circulatoire, le système de connexion neuronal ou encore la membrane cellulaire. Et la plus grande efficience d’un cerveau sera donnée non seulement par sa taille mais, plus encore, par la complexité des plissements de sa surface. A tous ceux qui cherchent à voir évoluer l’humanité vers un accroissement de l’intelligence, le mieux serait de plisser le front d’avantage ! Plaisanterie à part, il convient de se rappeler que ce n’est pas la taille du crâne qui fait l’intelligence ni le poids de matière grise mais le gain en information dû à la structuration fractale des connexions neuronales.
Malgré son dessin compliqué, une fractale n’est pas plus difficile à construire qu’une surface lisse ; au contraire, elle est le produit de la répétition d’un processus simple. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la physiologie trouve des fractales, dans ses formes comme dans sa rythmologie, ainsi qu’on l’a montré pour le coeur et le cerveau.

Mais, direz-vous, pourquoi faire appel aux fractales en théorie de l’évolution ?
Nous allons donner plusieurs éléments de réponse. Le premier est le type du mode de l’évolution. On y trouve des sauts, un caractère hiérarchique, des phases où les changements évolutifs sont de plus en plus rapprochés avant que n’advienne un changement qualitatif. Les fractales offrent une interprétation d’ensemble à ces propriétés par une loi en puissance, donc non-linéaire. Et l’avantage de cette conception est de ne pas opposer les phases d’immobilité à celles de changement mais de les lier dans une même histoire.
Le deuxième argument est lié à la structure fractale du développement de l’être vivant lui-même dont nous avons montré précédemment la forme arborescente de la diversification et des destinées cellulaires. L’effet plus ou moins grand d’une mutation dépendra du niveau où elle a lieu, plus ou moins élevé dans le développement de l’être vivant. Plus tôt elle aura lieu dans le développement embryonnaire, plus le changement sera important et touchera un grand nombre de domaines, en modifiera profondément la morphologie et le fonctionnement.
Attribuer une arborescence à l’évolution des espèces et se demander si celle-ci n’obéirait pas à une loi fractale, comme les arborescences, supposait une rupture avec la notion de développement évolutif graduel et continu. Les thèses en faveur des sauts de l’évolution sont aussi anciennes que celles de Darwin. Elles ont été avancées surtout par des paléontologues car le gradualisme ne correspondait pas aux observations paléontologiques, les ossements montrant plutôt de longues phases sans évolution suivies de changements brutaux. Il s’agit notamment de Geoffroy Saint-Hilaire, Hugh Falconer, Robert Chambers et Julian Huxley. C’est la thèse gradualiste de Darwin et de ses successeurs qui l’a emporté. Cependant, sa version continue, graduelle, progressive, a été parfois remise en question. C’est le cas avec De Vries. Ce dernier écrit ainsi dans « Espèces et variations » : « La façon actuelle de se représenter l’apparition des espèces stipule que ces dernières sont issues d’un lent processus de conversion d’un type à un autre. Il est postulé que cette conversion affecte tous les individus dans la même direction et avec le même degré. Le groupe entier change son rpofil, acquérant de nouveaux attributs. (…) La naissance d’une espèce nouvelle semble nécessairement impliquer la mort de l’ancienne. » Stephen Jay Gould qui rappelait ces recherches dans « La structure de la théorie de l’évolution » y écrit : « De Vries décrit ainsi l’essence de sa théorie (…) : l’apparition de nouvelles espèces est soudaine, instantanée, complète, non adaptative, observable et expérimentalement réfutable. (…) Par-dessus tout, la théorie des mutations fait appel à la plus franche des notions de saltation qui n’ait jamais été sérieusement envisagée en tant que mécanisme évolutif. » Richard Goldschmidt, généticien de l’Université de Californie, a repris le flambeau de la théorie saltationniste de l’évolution mais sa thèse fut elle aussi décriée, toujours à cause de cet a priori du gradualisme qui était le dogme dominant. Ce n’est que relativement récemment que ces thèses ont été exhumées, surtout par Stephen Jay Gould. C’est un changement radical au sein du darwinisme. Il écrit dans « La structure de la théorie de l’évolution » : « Si les extinctions de masse sont, comme le soutiennent maintenant de nombreux paléontologistes, plus fréquents, plus profonds, plus rapides et plus particulières par leurs conséquences que nous ne l’avions initialement pensé, alors le jeu de la sélection naturelle, sur le mode cumulatif de Darwin – la compétition biotique étant le principe majeur orientant la marche du processus évolutif – risque de voir sa fréquence sérieusement abaissée relativement aux autres facteurs responsables du modelage des figures d’ensemble de la macroévolution. »
En 1930, Goldschmidt avait lancé l’idée de ce qu’il avait appelé « les monstres prometteurs », et qu’Ernst Mayr, défenseur de la thèse conventionnelle, avait ridiculisé sous le nom de « monstres sans espoir ». Il s’agit d’animaux qui apparaissent brutalement et sont radicalement différents de l’espèce précédente tout en étant prometteurs, c’est-à-dire capables d’être viables. Goldschmidt présente en effet une théorie contraire à l’idée d’évolution graduelle, sans saut, défendue par les principaux fondateurs du néo-darwinisme, Dobzhansky, Mayr et Simpson. Dans son ouvrage de 1940 « Les bases matérielles de l’évolution », il distingue l’évolution graduelle au sein de l’espèce qui produit, par sélection naturelle, la diversité raciale et la spéciation qui se produit par sauts d’une espèce à une autre. Cette spéciation serait le produit, non de la sélection naturelle, mais de mutations systémiques. Dans « Quelques aspects de l’évolution », Goldschmidt écrit : « Imaginons un changement mutationnel dans la vitesse de différenciation du bourgeon embryonnaire d’un membre de vertébré. (…) Il en résulterait une rudimentation de l’organe en question, résultat qui ne devrait probablement pas empêcher le déroulement ordonné du développement de l’organisme. Dès lors, se trouverait ouverte, au moyen d’une seule étape fondamentale, une voie permettant la réalisation d’un changement évolutif considérable (...). » Pour les néo-darwiniens, la thèse du « monstre prometteur » était une hérésie. Gould le rapporte ainsi dans « La structure de la théorie de l’évolution » : « A ses yeux (ceux de Dobzhansky), l’alternative catastrophiste, selon laquelle des phénomènes paroxystiques affectant le globe entier engendrent des changements considérables, tandis que l’accumulation quotidienne d’altérations observables mais minuscules ne peut conduire à rien d’important, représente le retour aux tristes temps anciens des spéculations oiseuses et des influences religieuses sur la science. » Le principal argument des néo-darwiniens contre Goldschmidt est donné par Dobzhansky dans son article intitulé « Catastrophisme et évolution », compte-rendu de l’ouvrage de Goldschmidt « Les bases matérielles de l’évolution », en 1940 pour la revue « Science » : « Ce livre offre la seule théorie fondamentalement nouvelle en matière de transformation organique qui ait été proposée durant le présent siècle. (…) Nous seulement Goldschmidt relègue la sélection naturelle à une place relativement peu importante, mais il rejette en fait l’idée que puisse exister une évolution au-delà des petits phénomènes qui avaient même été admis par Linné et par de nombreux créationnistes. Sa théorie relève du domaine du catastrophisme, non de celui de l’évolutionnisme. »

Exposons en quoi consiste la thèse des équilibres ponctués, développée par Gould et Eldredge, contient deux idées fondamentales. La première est celle de la discontinuité, des sauts et des explosions de diversité qui succèdent à des périodes de calme ou de petites fluctuations. C’est l’idée que l’évolution ne procède pas à vitesse constante, mais par à-coups. D’autre part, il y a l’idée que les petites fluctuations, que représentent les mutations par accident des gènes, sont indépendantes des grandes évolutions, celles des espèces ; ces dernières reposent sur des phénomènes différents, du type bifurcation, avec, en deux ou trois bifurcations génétiques, des changements brutaux et perceptibles. Les grandes mutations ne sont donc pas une somme de petites mutations. La spéciation n’est pas le produit des évolutions au sein de l’espèce. L’évolution des espèces est non-linéaire. Cette idée est d’autant plus importante que le deuxième axe fondamental soutenu par Gould est celui des niveaux hiérarchiques du vivant. Il s’oppose au réductionnisme de la thèse néo-darwinienne qui suppose que tout se passe à un seul niveau (celui des organismes individuels). Gould y rajoute le niveau des gènes et celui des espèces, et également la coévolution des espèces.
Pour comprendre les rythmes de l’évolution, Niels Eldredge et Stephen Jay Gould se sont penchés sur l’une des plus belles et des plus complètes collections de fossiles connue. Il s’agit d’une série de mollusques des ères secondaire et tertiaire du lac Turkana, formant une suite sans interruption sur des millions d’années. Ils ont fait une constatation stupéfiante : les espèces apparaissent par bouffées évolutionnistes, puis persistent inchangées pendant 3 à 10 millions d’années, enfin disparaissent aussi brusquement qu’elles étaient nées, sans transition apparente. En 1972, ils ont jeté un pavé dans la mare avec leur article intitulé « l’équilibre ponctué ». Leur idée de ponctuation revient à dire que les changements évolutifs arrivent brutalement, par une rupture, telle une ponctuation dans une phrase. Ils redécouvraient une idée ancienne mais y rajoutaient quelques éléments nouveaux d’explication.
A la base, il y a un premier constat : une espèce, loin d’évoluer graduellement, reste inchangée la plupart du temps : ce sont les stases. C’est la première remarque de Gould et Eldredge, confirmée par de nombreux chercheurs. C’est ce que remarque par exemple Jacques Monod dans « Le hasard et la nécessité » : « Certaines espèces n’ont même pas sensiblement évolué depuis des centaines de millions d’années. La lingule, par exemple, depuis 450 millions d’années ; quant à l’huître d’il y a 150 millions d’années, elle avait la même apparence.(...) Enfin on peut estimer que la cellule « moderne » caractérisée par son plan d’organisation chimique invariant existe depuis deux ou trois milliards d’années, sans aucun doute déjà pourvue de puissants réseaux cybernétiques moléculaires assurant sa cohérence fonctionnelle.  »
Jacques Monod est loin d’être le seul à constater comme il le dit « l’extraordinaire stabilité de certaines espèces ». Konrad Lorenz souligne, par ailleurs, que «  les phyllopodes, les limules et les brachiopodes ne sont pratiquement pas modifiés depuis 400 millions d’années. » Bien des animaux sont dans ce cas, comme les tortues qui n’ont pas évolué, depuis leur apparition il y a 215 millions d’années. On peut encore citer le poisson cœlacanthe ou une plante tropicale, le Psilotum (identique à ce qu’il était il y a 350 millions d’années), ou encore un arbre, le Ginkgo (d’il y a 200 millions d’années). C’est aussi ce qu’observe, par exemple, Robert Bakker, spécialiste de la paléontologie des dinosaures, qui constate qu’une espèce stagne, puis disparaît, ou encore Wake qui constate que les salamandres n’ont presque pas changé durant plus de 50 millions d’années. Le travail de Bakker montra notamment que le brontosaure n’a pas subi de changement adaptatif pendant un million d’années, puis subit un immense saut évolutif. Les très nombreux restes fossiles que l’on retrouve montrent que l’on ne peut attribuer cela à une lacune concernant la conservation des fossiles. Les rythmes peuvent être très différents si on étudie divers cas, mais ce qui est général, c’est que les changements importants sont relativement brutaux et leurs durées sont bien plus courtes que celles des périodes de conservation.
Gould écrit ainsi dans « Le pouce du panda » : « l’histoire de la vie, telle que je la conçois, est une série d’états stables, marqués à de rares intervalles par des événements importants qui se produisent à grande vitesse et contribuent à mettre en place la prochaine ère de stabilité. Les organisme procaryotes (bactéries ou algues bleues) ont régné sur terre pendant 3 milliards d’années jusqu’à l’explosion cambrienne où la plupart des principales formes de vie pluricellulaires apparurent en l’espace de dix millions d’années. L’histoire de la terre peut être schématiquement perçue comme une série de pulsations occasionnelles forçant les systèmes récalcitrants à passer d’un état stable au suivant. »
Le paléontologue Jean Chaline a, dans le même sens, montré le lien entre la vitesse de l’évolution et la taille des modifications du matériel génétique. Plus les changements au sein d’une lignée se poursuivent, plus ils sont petits et plus les intervalles sont courts, jusqu’au point où la lignée n’est plus évolutive. C’est un point critique et le point de départ d’une nouvelle lignée. Ce lien entre écoulement temporel et taille des évolutions est modélisé par Chaline à l’aide des mathématiques du chaos du type de l’arborescence. En effet, un arbre a un développement qui peut être décrit par une croissance, suivie d’une autre plus rapide, de sous-branches d’une taille plus petite et ainsi de suite. L’arborescence exhibe donc une structure d’autosimilarité à plusieurs échelles successives. Comme exemple une cellule de Purkinje qui est un neurone du cervelet. Les arbres correspondent à des lois en puissance qui sont des fractales, comme l’a démontré notamment Mandelbrot.
Publiée dans les comptes rendus de l’Académie des Sciences en 1999, la thèse de l’arbre fractal de l’évolution est l’oeuvre du paléontologue Jean Chaline associé à deux autres adeptes de la théorie du chaos, l’astrophysicien Laurent Nottale (auteur de la thèse de la relativité d’échelle en physique) et l’économiste Pierre Grou. Ils présentent ainsi l’arborescence des sauropodes. C’est Laurent Nottale qui a eu l’idée principale consistant à mathématiser les dates des principaux changements évolutifs de quelques arbres de l’évolution bien connus, comme celui des primates, celui des sauropodes, des campagnols ou encore des mollusques. Cet arbre évolutif est modélisable par une fonction mathématique fractale qui est déjà celle qui modélise la forme auto-similaire des arbres réels. C’est une loi mathématique non-linéaire car en puissance.
Selon cette thèse, la même loi entraîne apparitions et disparitions d’espèces, décrivant ainsi un travail de David Raup. La disparition massive d’espèces modifie profondément l’équilibre entre elles. La disparition de certaines entraîne d’autres extinctions en chaîne. Inversement elle permet d’autres possibilités de se développer avec une nouvelle série d’apparitions d’espèces. Extinctions et apparitions sont donc liées par rétroaction. La thèse du chaos déterministe va à l’encontre de l’idée de la catastrophe extérieure expliquant les disparitions massives, idée qui provenait de la conception d’espèces stables. Selon cette ancienne conception, il faudrait un changement considérable du climat, dû par exemple à des impacts de météorites, pour expliquer de grandes disparitions d’espèces ou de grandes bouffées de biodiversité, alors qu’un petit choc climatique suffit, lorsqu’il advient à un seuil critique de l’évolution des espèces.

évolution et révolution des espèces

"Quand Darwin publia "L’origine des espèces", en 1859, il introduisit le terme "sélection naturelle". Mais il n’a nulle part utilisé le mot "évolution", bien que le public suppose que Darwin seul est responsable de ce concept. (...) De nombreux penseurs évolutionnistes, Darwin y compris, n’ont pas échappé à la confusion entre l’idée d’évolution et celle de progrès. Mais la force de Darwin venait de ce que l’idée simple, selon laquelle la survie du plus adapté devait produire des changements évolutionnistes, s’appuyait sur une avalanche de faits (...) Darwin envisagea aussi les conséquences de la sélection naturelle dans des domaines auxquels aucun de ses contemporains n’avait songé : la sélection pour la réussite de l’accouplement et même la sélection pour l’expression des émotions. Darwin comprit brillamment les conséquences de la sélection naturelle. mais il ignorait - et il ne savait pas qu’il ignorait - ce qui était sélectionné. Il ne connaissait pas les gènes. (...) Les idées de Darwin ne furent étendues et transformées en une théorie vraiment satisfaisante que lorsqu’elles furent combinées aux intuitions d’un certain moine morave du nom de Gregor Mendel. Cela se produisit après longtemps après la mort de Darwin. (...) L’accumulation des modifications dans le pool génétique, introduite par la mutation et triée grâce à la sélection naturelle, la recombinaison et le hasard, constitue l’essence du processus évolutionniste. (...) Georges Cuvier avait avait une vision osée et révolutionnaire de l’histoire de la planète : celle-ci aurait résulté d’une série de catastrophes et d’extinctions. Cette vision était fondée sur l’existence d’un squelette (un paresseux géant d’Argentine, créature disparue) et d’autres découvertes géologiques et fossiles. (...) Le corpus des fossiles indique qu’il est bien rare qu’une espèce évolue sans heurts et de manière continue en une autre. La plupart du temps, de nouvelles espèces apparaissent pendant des périodes de changement environnemental local ou général, quand l’ancienne espèce a été grandement réduite en nombre ou fragmentée en petits groupes. En conséquence, le processus de spéciation se produit habituellement si vite que lorsque nous observons le corpus des fossiles, c’est comme si la nouvelle espèce était apparue instantanément. C’est le schéma habitual observé, même si le corpus de fossiles peut être retracé dans ses plus grands détails. Peter G. Williamson, un candidat au doctorat en géologie à l’Université de Bristol à la fin des années soixante-dix, fut intrigué par ces discontinuités apparentes dans le corpus des fossiles. La vielle explication qui remonte à Darwin, est que ces lacunes dans le corpus de fossiles sont dues à l’incomplétude du corpus lui-même. (...) Puisque le corpus de fossiles tend à comprimer l’histoire de toutes manières, des périodes d’évolution rapide apparaitraient comme des sauts soudains même si le corpus de fossiles était assez bon. Cela pourrait être vrai ? Pour le vérifier, Williamson examina l’une des meilleures lignée de fossiles jamais découverte, celle des mollusques d’eau douce du bassin du lac Turkana en Afrique de l’Est. (...) Le premier fait étonnant que son travail révéla était que ces mollusques avaient remarquablement peu évolué au cours des derniers quatre millions et demi d’années. (...) Bien qu’elles disparussent parfois brièvement du corpus des fossiles, elles réapparaissaient toujours apparemment inchangées. Mais la période au cours desquelles ces espèces de "base" disparaissaient temporairement furent remarquables pour deux raisons. Premièrement, le niveau des lacs de la région changeait rapidement, montant ou descendant, ce qui reflète une modification importante du climat. Deuxièmement, des espèces de mollusques totalement nouvelles sont apparues. Elles se distinguaient morphologiquement des espèces originelles de base, mais elles en étaient suffisamment proches en apparence pour que leur lien soit évident. Ces nouvelles espèces persistaient pendant la période de perturbation de l’environnement, puis sans exception elles disparaissaient quand le climat se stabilisait à nouveau. Elles étaient remplacées encore une fois par les espèces anciennes qui, tel le phénix, réapparaissaient. Cela signifie que les espèces persistantes n’avaient pas complètement disparu. Elles étaient toujours présentes, mais leur nombre s’était terriblement réduit et elles étaient peut-être chassées d’un grand nombre de leurs anciens refuges au moment des perturbations environnementales. (...) On pourrait argumenter que ces espèces "temporaires" étaient en fait aussi vivaces que les espèces de base mais qu’elles vivaient ailleurs et qu’elles n’étaient capables d’envahir la région que lorsque l’environnement se perturbait. Mais on n’en trouve aucune trace aujourd’hui. Et chaque fois que l’environnement se perturbait, une nouvelle série d’espèces temporaires et distinctes sur le plan morphologique apparaissait. Toutes les données que nous possédons font penser que des transformations de l’environnement déclenchaient une réponse évolutionniste à court terme sous la forme d’une poussée de spéciation. Ces nouvelles espèces réussissaient à court terme mais échouaient à long terme. Ce travail de Williamson et celui de beaucoup d’autres suggèrent que la vitesse de l’évolution est tout sauf constante. Elle peut varier de plusieurs ordres de grandeur.

Williamson estima que la structure du corpus de fossiles de mollusques est suffisamment détaillée pour permettre de distinguer des événements séparés de cinquante mille ans. C’est une précision excellente pour un corpus de fossiles. Mais bien sûr une évolution considérable peut se produire en cinquante mille ans. (…) C’est un temps suffisamment long pour permettre aux mécanismes évolutionnistes fondamentaux de provoquer de grands changements dans les pools génétiques de ces hélices. Et, du fait de la compression du corpus de fossiles, ces modifications pourraient paraître instantanées.

Le schéma que Williamson a découvert est inhabituel, non pas à cause des poussées évolutionnistes, mais parce que la même série d’espèces réapparaissait constamment quand les conditions premières étaient rétablies. Notre propre corpus de fossiles présente aussi des discontinuités, mais celles-ci sont encore plus difficiles à interpréter parce que notre corpus est tellement plus fragmentaire que celui des mollusques. Notre corpus diffère de celui des mollusques dans la mesure où il n’existe pas de série d’espèces fondamentales qui réémerge constamment. Dans notre propre histoire, une espèce ou un groupe d’espèces était remplacé par un autre, et l’événement était irréversible. (…)

Bien que nous ayons beaucoup de preuves en faveur de l’existence de discontinuités, nous continuons à envisager l’évolution humaine sous la forme d’une transition en douceur d’un type d’ancêtre humain à un autre. (…) En fait, il n’en a probablement pas été ainsi. (…)

Considérez l’Afrique de l’Est d’il y a deux millions d’années. La diversité des types et des civilisations d’hominidés devait être encore plus frappante. A cette époque, au moins trois et peut-être quatre hominidés primitifs se tenant complètement debout coexistaient, occupant peut-être les mêmes habitats. Il s’agissait d’Homo habilis, d’Australopithecus africanus, d’A. bosei, et peut-être d’A. robustus.

Parmi eux, on considère généralement que l’Homo habilis est le plus proche de nos propres ancêtres. Mais on s’aperçoit maintenant qu’il s’agissait d’une créature minuscule, haute peut-être d’un mètre à peine, avec de longs bras comme ceux d’un singe. S’agissait-il simplement d’une ramification évolutionniste, ou bien a-t-il conduit à l’Homo erectus et ensuite à nous ?

L’Homo erectus, bien plus grand, avec un plus grand cerveau et des bras essentiellement humains, a vu le jour en Afrique il y a plus d’un million d’années. Ce sont sans doute des populations africaines d’Homo erectus qui ont donné naissance à leur tour à l’Homo sapiens il y a un ou deux cent mille ans. Nous avons l’habitude de penser que l’Homo habilis était l’ancêtre de l’Homo erectus et, par conséquent, le grand parent de l’humanité, mais maintenant nous n’en sommes plus si sûrs. (…) Nous connaissons notre ascendance mieux que celle de la plupart des autres organismes. Mais malgré tous les efforts dépensés pour les combler, des lacunes énormes persistent dans les corpus. (…) Des discontinuités dans les corpus de fossiles semblent très courantes. (…)

Il est intéressant de noter que tous les cas d’évolution graduelle que nous connaissons dans le corpus que tous les cas d’évolution graduelle que nous connaissons dans le corpus de fossiles semblent impliquer des transformations en douceur sans l’apparition de structures ni de fonctions nouvelles. Il se peut, comme un grand nombre de chercheurs l’ont suggéré, que des changements vraiment importants ne peuvent survenir qu’au cours de modifications violentes dans le pool génétique survenant dans de petites populations éphémères.

Pour décrire correctement la spéciation, il est nécessaire d’envisager à la fois le corpus de fossiles et les mécanismes génétiques impliqués dans la formation d’espèces. Les deux présentent habituellement des discontinuités. Les discontinuités dans le corpus de fossiles sont physiques. Les discontinuités dans le processus génétique de la formation des espèces résultent d’une forte sélection agissant sur un petit échantillon du pool génétique originel d’une espèce. On ne peut envisager l’un sans l’autre, et, pris ensemble, ils démontrent qu’il existe de nombreuses voies possibles pour la spéciation. (…)

Il est extrêmement rare de trouver une série magnifiquement graduée de fossiles montrant exactement comment une espèce évolue en une autre. Ce serait probablement encore le cas même si le corpus de fossiles était bien meilleur qu’il ne l’est. Malgré cette défaillance, le corpus de fossiles délabré arrive néanmoins à nous en dire beaucoup sur l’évolution. Comme on l’a vu, me^me le fait qu’il est discontinu nous apprend quelque chose sur la manière dont les espèces évoluent. (…)

Selon la génétique « beanbag », les changements macroévolutionnistes ne seraient que la somme d’un grand nombre de modifications microévolutionnistes. La plupart des évolutionnistes pensent que cela est vrai. Mais nous savons que les substitutions d’acides aminés (au sein de l’ADN) ne sont pas la seule sorte possible de changement microévolutionniste. Si des changements macroévolutionnistes importants doivent se produire, il doit y avoir autre chose dans la microévolution que de simples substitutions d’acides aminés. (…)

Cette hypothèse des grandes mutations, comme la plupart des hypothèses concernant l’évolution, a un long passé. Celui-ci remonte à la fin du siècle passé. Né en Hollande dans les années 1860, Hugo de Vries (…) avait tiré de l’étude des plantes des observations fort intéressantes. (…) Lorsqu’il planta les graines de volubilis, il se produisit des phénomènes inattendus. Certaines croissaient identiques à leur parent mais de nombreuses autres produisirent un mélange de types allant de la variété commune de volubilis à d’autres qui ne ressemblaient ni à leur parent, ni au type commun. C’était comme si ces plantes, selon des lois qu’il ne comprenait pas, avaient soudainement complètement modifié leurs gènes pour produire des types entièrement différents. Il désigna ces modifications par mutations. (…) Et ces mutations se produisaient à une vitesse remarquable : une vitesse de plusieurs ordres de grandeur supérieure à la vitesse à laquelle des variétés anormales apparaissaient parmi les animaux domestiques ou les plantes de culture. Parfois (àù DE LA progéniture des deux parents différents était constituée d’un ou plusieurs types incroyablement différents. De Vries eut conscience qu’il avait découvert quelque chose de très inhabituel. Il utilisa les résultats de ces expériences de croisements pour élaborer une nouvelle théorie de l’évolution. Il suggéra que les changement microévolutionnistes étaient dus effectivement au processus darwinien de sélection naturelle. Mais les changements plus importants devaient leur apparition à des mutations massives, qui survenaient dans un paroxysme d’événements violents. »

Christopher Wills dans "La sagesse des gènes, nouvelles perspectives sur l’évolution"

Portfolio

Messages

  • La sixième partie nous permettra de donner la parole à d’autres scientifiques qui examinent cette question sous un jour différent, et surtout à Ilya Prigogine et Stuart Kauffman. Contrairement à la thèse classique qui considérait la vie comme opposée aux lois thermodynamiques de la matière, Prigogine a montré qu’au contraire, la vie n’est qu’un cas particulier de systèmes physiques appelés systèmes dynamiques dissipatifs. Dissipatif signifie qu’il y a perte d’énergie. Ces systèmes restent dynamiques si cette perte est compensée par un apport extérieur continuel d’énergie, donc de désordre, qui empêche le système d’aller à la stabilité. On s’attendrait à ce que ces systèmes instables soient de plus en plus désordonnés. En fait, ils peuvent construire un ordre fondé sur le désordre. Ils possèdent des propriétés très particulières : ils sont évolutifs, susceptibles de changements radicaux et brutaux, menant à un nouvel ordre.

    • L’auto-organisation de la vie et l’évolution

      L’auto-organisation de la vie sous-entend que la structure n’est pas toute faite, par avance, mais que l’ordre se constitue spontanément sur la base du désordre, au fur et à mesure, par la dynamique d’ensemble du système. Le fondement de cette conception est la remarque d’Ilya Prigogine et de Stuart Kauffman selon laquelle de nombreux systèmes physiques ou chimiques, qu’ils soient inertes ou vivants, sont capables de gagner en structuration. La structure qui s’établit finalement n’est pas imposée de l’extérieur (pression adaptative due au milieu, par exemple), mais est le produit de la dynamique du vivant lui-même. Cette conception est contradictoire avec les lois de la physico-chimie telles qu’on les concevait.
      La thermodynamique, qui étudie les transferts énergétiques, a longtemps théorisé la tendance spontanée des systèmes à perdre des niveaux de structure. Par exemple, deux systèmes mis en contact ont tendance à échanger de l’énergie jusqu’à se fondre en un seul système, perdant ainsi un niveau de structuration. La thermodynamique avec la notion d’entropie, c’est-à-dire de tendance inévitable à la baisse du degré de structuration, laissait penser que le désordre ne pouvait que croître. La vie semblait donc une bizarrerie au regard de la physique et avait, dans cette conception, une probabilité nulle d’apparaître dans un univers inanimé. Une nouvelle espèce n’avait également aucune chance de succéder à une autre espèce, toujours au nom de la notion entropique.
      Prigogine a résolu cette contradiction en montrant que la thermodynamique de l’époque étudiait seulement des systèmes isolés, alors que la vie est inconcevable dans l’isolement, sans un apport extérieur permanent d’énergie et de nourriture. La vie est un système dynamique dissipatif. Le terme dissipatif souligne la perte permanente d’énergie, et donc la nécessité d’un apport continuel de l’extérieur. Le terme dynamique signifie une tendance spontanée au changement. Cette transformation continuelle provient du fait que l’apport d’énergie est aussi un apport permanent de désordre. L’apport considérable au plan conceptuel de Prigogine dans l’étude de ces systèmes a été de montrer qu’en fournissant en permanence du désordre, on peut produire autre chose que du désordre : un type très particulier d’ordre émergent. Les systèmes dynamiques dissipatifs loin de l’équilibre n’ont pas tendance à tomber dans la stabilité, mais à construire de la structuration, un autre type d’ordre, fondé sur les fluctuations. La remarque de Prigogine est d’une importance considérable pour la vie puisqu’elle contredit l’image erronée que donnait la thermodynamique, à savoir la tendance inévitable vers la perte d’ordre, appelée augmentation de l’entropie.
      Prigogine a souligné d’abord que la loi d’accroissement du désordre ne s’appliquait qu’aux systèmes fermés qui ne sont que des cas particuliers et des approximations des systèmes réels. D’autre part, il a montré que les systèmes ouverts, qui perdent de l’énergie et qui en reçoivent de l’extérieur, ont tendance à s’organiser d’eux-mêmes. Ils peuvent donc construire des structures et des sous-structures, ils peuvent s’enrichir en information, ce qui est complètement inattendu par rapport à la vision que l’on en avait auparavant. Ces systèmes peuvent être fondés sur le désordre et produire spontanément de l’ordre. D’autre part, ils peuvent pendant un temps très long exhiber une allure relativement régulière puis brusquement passer à une apparence désordonnée pour revenir brutalement à une allure ordonnée. Ce type d’ordre est directement lié à la propriété des systèmes obéissant à des lois non-linéaires et ayant trois paramètres ou plus : c’est du chaos déterministe.
      Au sein cet ordre, il y a toujours des fluctuations aléatoires. Le système ne va pas vers la stabilité ni vers un comportement cyclique. Dans les systèmes dissipatifs loin de l’équilibre, il y a irréversibilité du phénomène et non un retour périodique de développements identiques. Ce sont donc des processus qui ont une histoire. Chaque événement compte, car la suite est déterminée par le chemin choisi à chaque bifurcation. Il peut y avoir des attracteurs, c’est-à-dire des situations vers lesquelles le système a tendance à revenir, mais ce ne sont pas des attracteurs stables ni périodiques, ce sont des attracteurs étranges. Des situations d’apparente stabilité durent parfois très longtemps et, brutalement, sans signe précurseur, il y a rupture, ouvrant la voie à de nombreuses histoires possibles. Près de ces bifurcations, le système peut avoir plusieurs degrés de liberté mais être attiré spontanément vers un comportement dépendant d’un plus petit nombre de degrés de liberté, c’est-à-dire une structure nouvelle. Ilya Prigogine a remarqué qu’il suffit d’avoir un système dissipatif loin de l’équilibre pour obtenir des systèmes qui produisent des structures émergentes.

  • "Toutes les théories du changement discontinu ne sont pas antidarwiniennes comme l’avait souligné Huxley il y a près de cent vingt ans." écrit Stephen Jay Gould dans "Le pouce du panda".

    • Stephen Jay Gould poursuivait : "le problème de la réconciliation entre l’évidente discontinuité de la macro-évolution et le darwinisme est en grande partie résolu si l’on observe que les changements de faible ampleur survenant tôt dan sle développement de l’embryon s’accumulent pendant la croissance pour produire de profondes différences chez l’adulte."

  • Comme le rappelle le géologue et évolutionniste Stephen Jay Gould dans « Le pouce du panda », « De nouvelles espèces apparaissent presque toujours soudainement sans que les fossiles découverts présentent des maillons intermédiaires (..) La théorie moderne de l’évolution n’a pas besoin d’un changement progressif. (..) C’est le gradualisme qu’il nous faut rejeter, et non le darwinisme. » Le physicien Murray Gell-Mann fait remarquer dans « Le quark et le jaguar » : « L’évolution ne procède d’ordinaire pas selon un mode plus ou moins graduel, comme l’imaginaient certains spécialistes. Au lieu de cela, elle manifeste souvent le phénomène d’ ’’équilibre ponctué’’, dans lequel une espèce (et des regroupements de rang plus élevé) demeure relativement inchangée, du moins au niveau phénotypique, durant de longues périodes de temps, pour ensuite passer par un changement relativement rapide sur une courte période (thèse de Gould). (..) Des événements biologiques spectaculaires sont parfois responsables d’exemples d ‘équilibre ponctué en l’absence de changement radical dans le milieu physico-chimique. Harold Morowitz insiste sur la grande importance de percées ou événements-seuils ouvrant la voie à des domaines de possibilité entièrement nouveaux, qui impliquent parfois des niveaux d’organisation ou des types de fonctionnement plus élevé. » Toute l’histoire du vivant est ponctuée de changements brutaux dus à des chocs ayant diverses causes (changement climatique, biologique, génétique ou écologique, rayonnement cosmique, tectonique des plaques, volcanisme, chutes d’astéroïdes, mouvement des pôles géomagnétiques, modifications du rayonnement solaire). La cause externe varie mais l’effet qu’elle produit est liée fondamentalement au type de fonctionnement interne. Le choc est le révélateur de la capacité qu’a en permanence la vie pour produire de nombreuses variétés. Le choc ne crée pas la diversité ; il inhibe le mécanisme « chaperon » chargé de supprimer les variétés non désirées qui sont toujours produites, même en période de calme. Pas d’évolution des êtres unicellulaires pendant un milliard d’années et brusquement apparition des êtres pluricellulaires. Puis encore rien pendant 530 millions d’années et d’un seul coup en un temps très court une véritable explosion de la diversité. On a eu ainsi cinq grandes extinctions qui ont permis les grandes explosions de la biodiversité. Roger Lewin et Richard Leakey observent dans « La sixième extinction » : « L’histoire de la vie sur Terre est ponctuée par de soudaines poussées d’extinction, certaines sont modérées, d’autres sont catastrophiques. (..) Dans le temps, on ne considérait ces extinctions de masse que comme de simples arrêts du flot de la vie. (..) Il est clair aujourd’hui que, durant ces périodes, des règles différentes se sont appliquées, qui mettent de côté, temporairement, la compétition au sens darwinien. Ces épisodes mettent en jeu des forces auxquelles les espèces ne sont pas préparées, et, de fait, on ne voit pas comment elles le seraient. (..) Les extinctions créent la structure du vivant. Jablonski l’a dit en ces termes : « L’alternance de phases normales et de grandes extinctions conditionne la structure évolutive à grande échelle de l’histoire de la vie. » (..) Ainsi, les extinctions de masse restructurent la biosphère. » Lorsqu’un choc climatique ou environnemental détruit un grand nombre d’êtres vivants, il provoque la formation de nouvelles espèces. Ainsi l’explosion de biodiversité, dite de Burgess, qui a produit tous les embranchements du vivant, qui s’est déroulée à l’époque appelée le Cambrien, a suivi la disparition des animaux de l’époque appelée Ediacara. C’est le point le plus étonnant. La destruction est un élément fondateur des lois de la nature et de la société. Cela va de la destruction du message neuronal indispensable à la compréhension du fonctionnement cérébral à la destruction de la particule indispensable à sa conservation en passant par la destruction de la cellule indispensable à son dédoublement ainsi qu’à la construction du corps de l’embryon.

  • Bravo pour toutes ces informations concernant la biologie ! Il s’agit en effet d’une révolution, et, ici, au Québec, on en parle peu ou prou. Toute critique du néodarwinisme est associée au créationnisme ou aux partisans du dessein intelligent. Tabou ! Hérésie !
    Je crois que ce retournement de situation passera à l’histoire des sciences et aura des conséquences aussi grandes que la publication de "L’Origine des espèces". Dès le début du siècle, les embryologistes ont sévèrement critiqué le darwinisme. Mais on considérait l’embryologie comme une science dépassée. La génétique mènerait désormais le bal en biologie. M. Richard Goldschmitt proposait sa théorie des monstres prometteurs en 1940. Il deviendra pour longtemps l’exemple à ne pas suivre en biologie pour des générations d’étudiants. Dans les années 70 Stephen Jay Gould propose une théorie saltationniste de l’évolution, mais on l’oblige à reculer et il accepte finalement de parler d’équilibres ponctués. Quel euphémisme ! Je suis étonné que vous ne mentionniez pas M. Richard Dawkins dans votre exposé. De toute évidence, cet homme (avec plusieurs autres orthodoxes) aura été un frein énorme à l’évolution de la théorie de l’évolution et donc, de la science. Ils ont fait la démonstration que le dogmatisme et je dirais même l’intégrisme ne sont pas pas réservés aux domaine religieux, et ce, pour la postérité et je les en remercie. Il faut dire que les créationnistes leurs ont en quelque sorte tendu la perche dans cette entreprise. Il me semble aussi évident que M. Henri Bergson et son élan vital méritent une certaine réhabilitation, pour ne pas dire une réhabilitation certaine. Il avait vu plus juste que la plupart des biologistes et philosophes des sciences. Et on l’a maltraité depuis un siècle, environ. Je crois que cela suffit. Avez-vous lu "L’Évolution créatrice" ? Cela mérite d’être lu. Merci aussi pour ce lien vers l’article "Mutation" qui rend d’ailleurs hommage à Bergson, et qui démontre clairement et savamment les sophismes qui ont guidé la biologie contemporaine. Fameux !, bien que difficile.
    Pendant ma jeunesse, ici, au Québec, nous traversions une époque bénie, qui fut baptisée par la suite, la "Révolution tranquille" ; sans doute en avez-vous entendu parler ? J’étais alors entouré d’amis et de proches convertis au marxisme, plusieurs d’entre eux donnant la moitié de leur salaire au mouvement "En Lutte". Pour me convaincre, ils me refilaient du Sartre, des biographies de Mao, et Niesztche au complet et "Le Capital" et j’en passe et j’ai tout lu. Pour Niesztche, j’ai tout relu, plus tard. Mais moi, je lisais aussi les Mounier, Gabriel Marcel, Bergson, Dostoïevski et autres ringards qu’eux ne lisaient pas et ne liront jamais. J’ai adoré Plotin entre autres et je ne suis jamais devenu marxiste bien que je partage certains points de vue avec eux et vous. Comme l’internationalisme, une soif de justice sociale, et que j’ai bien hâte que les hommes puissent se passer du mobile du profit. Et bien, j’en suis venu à la conclusion, et cela n’est pas une insulte (j’espère que vous en conviendrez) que l’homme est un animal religieux. Et que la religion inconsciente peut être plus dangereuse encore que la religion tout court. Quant à Vicor Hugo, il détestait les curés et leurs costumes, mais pour moi c’était un prophète, et c’est comme cela qu’il se voyait lui-même. Quant à Benoît XVI, que je n’aime pas vraiment, je pense qu’avoir été à 14 ans membre des jeunesses hitlériennes à Berlin en 1937 n’a rien de déshonorant.
    Que pensez-vous de ce qui se passe actuellement en Chine ? cela ressemble à la révolution tranquille du Québec en 1960. Un peuple de paysans qui s’ouvre au monde et qui devient, malgré lui peut-être, capitaliste. Ça me paraît quand-même mieux que la "Révolution culturelle".
    Pour ce qui est de Laurent Nottale, de l’auto-organisation, des théories de l’émergence, du chaos et autres fractales, tout cela est extrêmement intéressant et représente effectivement l’avenir de la science et du matérialisme philosophique. je vous rappelle toutefois que l’attracteur étrange rappelle étonnamment la notion d’archétype et que toutes ces approches peuvent être interprétées comme un retour du vitalisme, retour qui a effectivement eu lieu en physique au XXeme siècle, pendant que la biologie le combattait de toutes ses forces. (le vitalisme). Toutes les théories physiques modernes font appel à des niveaux de réalité ou dimensions cachées qu’un platonicien comme moi ne peut manquer de souligner. Je suis tout de même étonné que vous affirmiez que l’énergie du vide, la théorie quantique et la relativité d’échelle nous dispensent de tout mystère. Qu’est-ce qu’une singularité, comme un trou noir ou l’atome primitif du BigBang ? Ils me semble que l’essentiel demeure nébuleux. Moi j’appellerai cela l’Absolu inconditionné, en me rappelant Jacob Boehme, le cordonnier philosophe.
    La science s’occupe des faits, la philosophie s’occupe des significations, la religion s’occupe des valeurs.
    La valeur suprême est l’amour qui est comme une table, ses trois assises sont la vérité, la bonté, et la beauté. Toutes les autres valeurs découlent de ces trois premières.
    Si on demande à un physicien : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, il me semble qu’il doit avouer que c’est une question philosophique ou même religieuse. La science n’est pas en mesure de répondre. Vous semblez dire que nous sommes là parce que le vide s’agite. Cela ne me suffit pas.
    Et si votre enfant vous demandait pourquoi il existe ? Lui diriez-vous vraiment qu’il est un fils du vide et qu’il y retourne ?
    Cordialement

    • Difficile de répondre en une fois à un texte aussi varié.

      Un premier point d’accord : la religion cachée n’est pas moins dangereuse que la religion.

      D’ailleurs, la science est aujourd’hui présentée comme une religion et non comme une science et on refuse de faire étudier la philosophie de la science (ce qui est autre chose que la prétendue "philsoophie des sciences")

      Tout à fait d’accord à propos de Gould qui a subi toutes les sortes d’attaques.

      Je n’approuve pas les attaques concernant des chercheurs sous le prétexte qu’ils sont philosophiquement religieux acr il faudrait supprimer l’essentiel des scientifiques et d eleurs thèses, mais j’estime que la philosophie qui émane des recherches scientifiques n’a rien de religieux.

    • Il me semble que Platon propose lui aussi une religion cachée.

      A moins que cette vision ne soit une lecture plaquée de Platon, à la faveur d’une vision chrétienne (qui serait donc anachronique et ultérieure) utilisant le platonisme pour étayer philosophiquement ses dogmes ?

      Mais si le christianisme s’accommode si bien du platonisme, n’est-ce pas qu’il se propose comme religion, ou au moins pré-religion, ou « religion cachée » ?

    • Je ne crois pas que Platon proposait une religion cachée. Je déplore le manque de vocabulaire de la langue française et même de toutes les langues humaines. Il faut continuer à les enrichir. Par exemple, on confond souvent église et religion. Mon propos n’est pas de défendre l’église catholique et ses dogmes. D’ailleurs je n’ai pas parlé de religion cachée, mais bien de religion inconsciente.
      Platon parlait fréquemment du Démiurge qu’il concevait comme la déité suprême et qu’il identifiait au Bien et parfois au Beau. Il a aussi parlé de dieux subalternes à qui le Démiurge déléguait généreusement les tâches en ce bas-monde.
      Mais il a surtout parlé de l’âme du monde, allant de l’âme de l’Un jusqu’aux âmes de tout ce qui vit en passant par l’homme. C’était un mystique et, effectivement, le christianisme s’en est bien accommodé jusqu’à Saint Augustin, ou serait-ce Thomas D’Aquin, alors qu’il se tourna plutôt vers Aristote. Le platonisme était peut-être un pré-christianisme.

  • Je n’approuve pas les attaques concernant des chercheurs sous le prétexte qu’ils sont philosophiquement religieux

  • Si l’évolution des espèces était une révolution, comment se fait-il que les spécialistes ne l’auraient pas su ?

  • Le paléoanthropologue Pascal Picq dans « La marche : sauver le nomade qui est en nous »

    « La plus grande des révolutions est celle de l’évolution. »

  • L’aube du Cambrien, il y a environ 542 millions d’années, a été le théâtre de ce qu’on a appelé « l’explosion cambrienne » : à cette période sont brusquement apparus la plupart des grands embranchements du monde animal. Les fossiles découverts montrent une extrême diversification d’espèces et de formes. Ce qui laissait penser que ces animaux ont évolué très rapidement, en seulement quelques dizaines de millions d’années. Et cela a d’ailleurs posé problème à Charles Darwin ! Sa théorie de la sélection naturelle ne pouvait l’expliquer...

    Il y a bien eu une discontinuité de l’évolution : non pas une création mais une révolution !

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