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Contre le positivisme de Mach et Heisenberg jusqu’au positivisme logique de Wittgenstein, Carnap, Russell et le Cercle de Vienne

dimanche 18 novembre 2018, par Robert Paris

Contre le positivisme de Mach et Heisenberg jusqu’au positivisme logique de Wittgenstein, Carnap, Russell et le Cercle de Vienne

Ce courant s’est développé sous l’influence des idées du physicien Mach qui affirmait qu’il n’y a pas de nature objective mais seulement des « complexes de sensations ». C’est un nouveau positivisme. Il a d’autant plus de poids qu’il est rejoint par tout un courant des scientifiques.

Le Cercle de Vienne (d’abord appelé Société Ernst Mach) se réclamera du positivisme de Mach pour développer sa propre version, intitulée « positivisme logique ». Les penseurs les plus connus de ce courant sont Neurath, Carnap, Wittgenstein, associés à Russel. On associera également Popper à ce courant. Il s’agit d’un rationalisme fondé sur l’empirisme qui vise à discuter du langage en fonction des sciences beaucoup plus que des connaissances sur la nature elle-même. De quel type doit être une phrase scientifique, tel est le type de problèmes que posent ces scientifiques et ces philosophes. Leur objectif affirmé est d’ « éliminer la métaphysique en sciences » et de « réaliser l’unité des sciences ». Leur réponse aux deux questions va être de bâtir une pensée logique formelle, pensée qui connaîtra de multiples versions. Mais c’était entrer dans un cercle vicieux puisqu’il n’existe pas de logique formelle qui découle directement de l’expérience et que la thèse défendue était : aucun présupposé philosophique en dehors de l’expérience ! Mais, comme l’a déjà montré le philosophe Hegel, loin de se distinguer de la métaphysique, cette méthode lui emprunte ses catégories : « L’erreur fondamentale où tombe tout empirisme philosophique, c’est qu’il emploie les catégories métaphysiques de la matière, de la force, de l’unité, de la pluralité, de l’universel, de l’infini, etc. Il lie entre elles ces catégories, y suppose et y applique les formes du syllogisme, et tout cela sans savoir qu’il admet ainsi lui-même une connaissance métaphysique. »

Cette philosophie est exposée ainsi dans le Manifeste du cercle de Vienne intitulé « La Conception Scientifique du Monde » : « La conception scientifique du monde ne se caractérise pas tant par des thèses propres que par son attitude fondamentale, son point de vue, sa direction de recherche. Elle vise la science unitaire. La méthode de cette clarification est celle de l’analyse logique. (...) La conception scientifique du monde ne connaît que des énoncés d’expérience sur des objets de toutes sortes, et les énoncés analytiques de la logique et des mathématiques. » Ces auteurs, qui s’intitulent « positivistes logiques », affirment que l’essentiel pour les sciences, désormais, est justement l’approfondissement des notions de logique formelle du fait des contradictions et des paradoxes de la théorie des ensembles.

L’empirisme logique (parfois nommé positivisme logique, néo-positivisme, ou empirisme rationnel) est une école philosophique principalement illustrée par le Cercle de Vienne, fondé par un groupe réunissant des scientifiques et philosophes viennois dans les années 1920.

Le positivisme logique, ou néo-positivisme est issu du positivisme de Ernst Mach, d’Henri Poincaré et de la pensée du jeune Wittgenstein. Le positivisme est avant tout porté sur l’étude de la science. Il cherche à rompre avec les méthodes de la théologie et de la « métaphysique », qui chercheraient, selon eux, des dieux ou des causes mystérieuses pour expliquer les phénomènes. Le positivisme renonce à donner des causes aux phénomènes et ne cherche qu’à donner des lois permettant de les décrire et de les prédire. Sur ce point, le positivisme logique est parfaitement fidèle au premier positivisme, formulé au XIXe siècle par Auguste Comte (on pourrait même ajouter qu’il ne diffère pas, sur ce point, de la critique kantienne distinguant entre la connaissance des phénomènes et celle, impossible, des noumènes : le positivisme logique partageait ainsi, dans une certaine mesure, le point de vue du kantisme sur la distinction entre science et croyance). Il se distingue cependant du positivisme d’Auguste Comte par son empirisme.

La principale nouveauté du Cercle de Vienne consiste dans son usage de la logique développée par Frege et Russell pour l’étude des problèmes scientifiques. La conception de la philosophie est ainsi radicalement modifiée, pour se concentrer sur l’épistémologie et la philosophie des sciences : tout le reste ne serait que des faux problèmes pour lesquels on ne peut attendre aucune solution scientifique.

Il se forme autour du philosophe Moritz Schlick, et on y trouve notamment les mathématiciens Hans Hahn et Karl Menger, le physicien Philipp Frank, le sociologue Otto Neurath, les philosophes Rudolf Carnap et Victor Kraft, ainsi que des étudiants en philosophie comme Friedrich Waismann et Herbert Feigl. À la même époque, à Berlin, des sympathisants se regroupent autour de Hans Reichenbach et de la Gesellschaft für Empirische Philosophie (Société pour la philosophie empirique). Fondée en 1928, celle-ci accueillit Carl Gustav Hempel, Richard von Mises, David Hilbert et Kurt Grelling.

Le Cercle de Vienne est l’auteur d’un manifeste, publié en 1929 sous le titre La conception scientifique du monde, où il expose ses thèses principales. On peut aussi citer Alfred J. Ayer, qui a résumé les grandes thèses du positivisme logique, dans son œuvre Langage, Vérité et Logique (1936).

« Physique et Matérialisme, de Eftichios Bitzakis :

« L’ancêtre du positivisme du temps de Lénine était le mathématicien et philosophe Auguste Comte (1798-1857). Comte a vécu à une époque post-révolutionnaire et, par périodes, contre-révolutionnaire. Le cléricalisme et le spiritualisme prenaient en France leur revanche contre la philosophie des Lumières. Mais cette période était aussi celle du développement du capitalisme industriel, des sciences et de la technique, ainsi que du prolétariat moderne.

Le positivisme de Comte est le fruit des contradictions de son époque. La spécialisation dans les sciences alimentait une attitude « positive » contre les idées vagues, les spéculations théologiques, contre la métaphysique, etc.

Comte était contre le cléricalisme et le spiritualisme universitaire, et avait des tendances socialistes. Il destinait son livre « Discours sur l’esprit positif » à l’usage du prolétariat.

D’un certain point de vue, c’était un héritier de l’encyclopédisme, mais il était surtout représentant du scientisme et du socialisme petit-bourgeois, porteur des contradictions inhérentes à ce courant.

Le positivisme de Comte était une sorte de matérialisme déchu ou de « matérialisme honteux », selon une formule d’Engels…

L’empiriocriticisme, et plus généralement le positivisme du début du XXe siècle est lié en grande partie à la crise de la physique mécaniste. C’est lui qui constitua la cible de la critique de Lénine dans « Matérialisme et Empiriocricisme ».

Car si le positivisme de Comte était un « matérialisme honteux », le positivisme du XXe siècle était plutôt un « idéalisme honteux ».

Quelles sont donc les racines gnoséologiques de ce positivisme au début de notre siècle ?

Pendant les vingt ou trente dernières années du XIXe siècle, une tendance au « retour à Kant » se fit jour dans la pensée bourgeoise. Entre 1870 et 1880, le retour à Kant était à la mode dans les milieux universitaires allemands…

Laissons la parole à Lénine : « Le caractère essentiel de la philosophie de Kant, c’est qu’elle concilie le matérialisme et l’idéalisme, institue un compromis entre l’un et l’autre… Reconnaissant dans l’expérience, dans les sensations, la source unique de notre savoir, Kant oriente sa philosophie vers le sensualisme, et, à travers le sensualisme, sous certaines conditions, vers le matérialisme. Reconnaissant l’apriorité de l’espace, du temps, de la causalité, etc., Kant oriente sa philosophie vers l’idéalisme. Ce double jeu a valu à Kant d’être combattu sans merci tant par les matérialistes conséquents que par les idéalistes conséquents (y compris les « purs » agnostiques de la nuance Hume) » (Lénine, « Matérialisme et Empiriocriticisme »)

Lequel de ces deux sens ont suivi les positivistes de l’époque de Lénine ? Le « retour » a eu lieu, en général, à partir de positions idéalistes. Les épigones rejetaient le résidu réaliste de la doctrine kantienne : l’existence de la « chose en soi », de l’objet, indépendamment de la conscience. Ils arrivaient de cette manière à des conceptions analogues à celles de Hume (agnosticisme) et de Berkeley.

E. Mach, illustre physicien de l’école mécaniste, avoue effectivement que son point de départ a été Kant, mais qu’il est revenu rapidement à Hume et à Berkeley.

Dans son œuvre, « L’analyse des sensations », il écrit :

« Mes relations avec Kant ont été particulières. Son idéalisme critique fut, comme je le reconnais avec la plus grande gratitude, le point de départ de ma pensée critique. Il m’était pourtant impossible de rester disciple de Kant. J’ai très vite commencé à revenir aux conceptions de Berkeley, contenues sous une forme plus ou moins latente dans les textes de Kant. En étudiant la physiologie des sensations et en lisant Herbert, j’en suis ensuite arrivé à des conceptions proches de celles de Hume, dont l’œuvre cependant dont l’œuvre m’était alors peu familière. Même aujourd’hui, je ne peux que considérer Berkeley et Hume comme des penseurs beaucoup plus conséquents, du point de vue logique, que Kant. » (Mach, « Analysis of Sensations »)

La position de Mach est claire : il abandonne la philosophie ambigüe de Kant pour les idéalistes « conséquents » Hume et Berkeley.

Avenarius, autre personnalité marquante du courant positiviste, affirmait de son côté qu’il avait purifié le kantisme de la « chose en soi ». Avenarius épurait le kantisme de l’hypothèse de la substance qui n’est pas donnée, selon lui, par le substratum réel de l’expérience mais qui y est introduite par la pensée. Avenarius était pour l’ « expérience pure » contre la « chose en soi ». Il considérait que le « terme central » (la conscience) est lié d’une manière indissoluble au « contre terme » (le monde) qui n’est autre chose que notre « expérience pure »…

Pour retrouver les racines de cet idéalisme subjectif et agnostique, on peut remonter jusqu’à l’empirisme anglais du XVIIe siècle. Il est intéressant en effet de voir comment le matérialisme empiriste du XVIIe siècle, en valorisant l’expérience sensible, a pu donner des arguments à ses détracteurs, l’idéalisme subjectif et l’agnosticisme, dès que l’expérience, détachée de la matière, a été considérée comme seule réalité.

Pour l’évêque George Berkeley (1685-1753), la réalité est réduite aux données sensorielles. Dans son œuvre, les « Principes de la connaissance humaine », il écrit :

« Il y a en réalité une opinion qui prédomine étrangement parmi les hommes, à savoir que les maisons, les montagnes, les rivières, bref tous les objets sensibles, ont une existence naturelle ou réelle, indépendamment du fait qu’ils soient perçus ou conçus (…). En fait, que sont les objets cités, sinon des choses que nous percevons par nos sens ? Et que percevons-nous au-delà de nos propres idées et sensations ? Et n’est-il pas complètement inacceptable, pour n’importe quelle chose, d’exister sans être perçue ? » (G. Berkeley, « The Principles of Human Knowledge »)

La philosophie de Berkeley donne l’impression d’être un subjectivisme « conséquent ». Pourtant, l’évêque, dont l’ennemi principal était le matérialisme, passe par l’esprit subjectif pour fonder l’existence de l’esprit universel et défendre la foi qui était ébranlée par la montée des philosophes empiristes et matérialistes du XVIIIe siècle. Les positivistes du début du XXe siècle ont retenu surtout son subjectivisme…

La thèse fondamentale de Mach, selon laquelle « les corps ne produisent pas les sensations, mais les complexes des sensations constituent les corps », ainsi que la thèse d’Avenarius, selon laquelle « désormais l’être sera considéré comme une sensation, privée de tout substrat étranger à la sensation », représentent une formulation nouvelle de l’ancienne thèse de Berkeley, sur les relations de l’être et de la pensée…

Le positivisme contribua à son tour à la formation, parmi les physiciens, d’une école d’idéalisme physique, l’ « école de la physique moderne ». Les physiciens de cette école ne se rattachaient pas tous à une doctrine spéciale, le machisme par exemple…

La crise de la physique était générale. Ses principes cédaient l’un après l’autre devant les données nouvelles : l’existence de l’éther comme système absolu de référence et garantie de l’espace absolu n’était pas confirmée. Il s’avérait que l’atome, ultime constituant « simple » et « indestructible » de la matière, n’était qu’une abstraction simplificatrice. La loi de Rayleigh-Jeans ne pouvait prédire correctement le rayonnement du corps noir. Une idée « anorthodoxe » par excellence, l’idée de discontinuité, avait fait irruption dans le domaine de l’énergie. La radioactivité contestait le principe de la conservation de l’énergie, tout en dévoilant l’existence d’un nouveau microcosme à l’intérieur de l’atome. D’un autre côté, Lorentz et Poincaré devaient conclure que la masse d’un corps est fonction de son mouvement… L’édifice grandiose de la physique mécaniste, considéré comme éternel, ne put supporter le choc des nouvelles découvertes.

Les physiciens avaient conscience de la crise. Henri Poincaré, par exemple, écrivait que les symptômes de la crise ne concernaient pas seulement le radium, « ce grand révolutionnaire du temps présent ». La crise s’étendait à tous les principes de la physique :

« Ce n’est pas seulement la conservation de l’énergie qui est en cause ; tous les autres principes sont également en danger. » (Poincaré, « La valeur de la science »)

La crise devait conduire à la révolution. Et les deux grandes révolutions, la théorie quantique et la relativité, sont venues de la région où se trouvaient les deux « petits nuages » dont parlait Lord Kelvin : l’échec de la loi Rayleigh-Jeans et le résultat négatif de l’expérience de Michelson.

Devant cette situation, beaucoup de physiciens furent amenés à des conclusions agnostiques ou idéalistes. Pour prendre un exemple : les lois de la nature, selon Poincaré, n’ont pas de contrepartie dans la réalité physique, mais sont des produits de la conscience humaine… Pour un grand nombre de physiciens et de philosophes, la seule chose qui restait alors c’étaient les équations différentielles, décrivant un monde qui n’est pas réel, mais produit de l’esprit…

Quelles sont les caractéristiques essentielles du positivisme contemporain ? Quelles sont ses racines gnoséologiques et sociales ? Quel est son impact idéologique ?

Le positivisme contemporain, qui se présente sous les noms de positivisme logique, empirisme logique, atomisme logique, etc., est le continuateur du positivisme du début du siècle.

Ce courant réclame très souvent le qualificatif de « logique ». Ceci est, d’un certain point de vue, normal. Ce courant a été développé par des mathématiciens, des physiciens et des philosophes, dans la période de mathématisation et de formalisation extrêmement poussée de la physique (mécanique quantique, théorie quantique des champs, relativité générale, etc.), du développement des mathématiques « abstraites », de l’essor de la logique mathématique, de l’avènement de l’informatique.

Le milieu était extrêmement favorable à une mutation « logique » de l’empirisme (subjectif) et du positivisme…

En ce qui concerne la physique, l’école dite de Copenhague, liée plus spécifiquement à l’interprétation de la mécanique quantique, a largement contribué à amener nombre de physiciens, « loin du simple point de vue matérialiste qui a prédominé dans les sciences de la nature, pendant le XIXe siècle ». (citation de Heisenberg, physicien dirigeant l’école de Copenhague)

(…)

Les positivistes de notre époque veulent « épurer » la philosophie de la « métaphysique », c’est-à-dire de l’acceptation d’une réalité indépendante de l’homme :

« Le rejet de la métaphysique de la part du positivisme signifie le refus de la réalité transcendantale. » (citation de Schlick)

« Transcendantale », cela veut dire indépendante du sujet.

De cette manière, ils s’élèvent « au-dessus » du matérialisme et de l’idéalisme, en considérant le problème fondamental de la philosophie comme un « pseudo-problème » :

« Il est vrai que nous rejetons la thèse de la réalité du monde physique. Pourtant, nous ne rejetons pas cette thèse comme erronée, mais comme n’ayant pas de sens, de la même manière exactement que nous rejetons aussi son antithèse idéaliste. Nous ne défendons ni ne rejetons ces thèses. Nous rejetons le problème. » (citation de Carnap)

(…)

Pour Wittgenstein aussi, « le monde est la totalité des événements, non des choses » et « les événements dans l’espace logique c’est le monde ».

Pour lui aussi le monde est « la totalité des situations » et pas la totalité des choses. La cocneption empiriste est évidente.

Dans le même esprit, Schlick a pu écrire que « réel est seulement ce qui est donné ». Ce que je ne vois pas, ou je ne touche pas, ça n’existe pas.

Empirisme grossier, naïf – et ancien – malgré des analyses « logiques » interminables et en dépit de son « principe » de non existence des grandeurs non observables ou non observées.

Les positivistes contemporains caractérisent comme « métaphysique » la conception matérialiste du monde, et même le réalisme épistémologique :

« Le réalisme métaphysique va encore plus loin que le réalisme dogmatique, en disant que les choses existent réellement. »
(citation d’Heisenberg)

Le monde du néo-positivisme n’est pas le monde physique, le monde dans lequel nous vivons, nous travaillons, et dont la réalité est affirmée à chaque instant de notre activité pratique :

« J’appelle mon dogme atomisme logique, car les atomes où je veux aboutir comme le dernier résidu de l’analyse, sont des atomes logiques et non physiques. » (citation de Russel)

Ainsi, le logos, l’esprit, est la substance cachée derrière les phénomènes.

Ce monde, création de notre esprit, ou de nos instruments de recherche, dépend de notre subjectivité :

« Le monde, c’est mon monde », écrit Wittgenstein.

Et ailleurs : « Après la mort, le monde ne change pas. Il n’existe plus. »

Conclusion inévitable :

« Ce que le solipsisme signifie est complètement correct, seulement cela ne peut pas être exprimé (…). Le monde et la vie sont un. Le sujet n’appartient pas au monde. Il est plutôt une limite du monde ». (citation de Wittgenstein)

(…)

Le néo-positivisme rejette comme « pseudo-problème » le problème fondamental de la philosophie. Il considère comme métaphysique la dialectique de l’être : la recherche des lois générales du mouvement de ce qui existe indépendamment de nous.

Pour le positiviste de nos jours aussi, c’est une « superstition » d’accepter l’existence de relations causales (Wittgenstein)…

Wittgenstein va même jusqu’à dire que « c’est une hypothèse que le soleil va se lever demain et ceci signifie que nous ne pouvons pas savoir s’il va se lever »…

Pour une telle conception du monde, la seule branche de la philosophie valable est la théorie de la connaissance, mais pas dans le sens ordinaire du terme. Pour les positivistes, « la théorie de la connaissance est la philosophie de la psychologie ».

Plus généralement, « toute philosophie est une critique de la langue ». (citation de Wittgenstein)

La théorie de la connaissance s’identifie à la logique qui, à son tour, ne cherche pas la vérité objective de telle ou telle proposition, mais seulement si la proposition est vraie ou non, selon des critères formels.

Ainsi, la philosophie devient une étude de relations formelles, parmi des êtres qui n’ont pas d’existence réelle. Tout problème devient problème de « logique » et de « langage ».

L’idéalisme physique, partie constituante du positivisme moderne avec une coloration spiritualiste plus nette, utilise les spécificités de la physique moderne, pour « réfuter » encore une fois le matérialisme :

« L’ontologie du matérialisme reposait sur l’illusion que le genre d’existences, la « réalité » directe du monde qui nous entour, pouvait s’extrapoler jusqu’à l’ordre de grandeur de l’atome. Or, cette extrapolation est impossible. » (Heisenberg, « Physique et Philosophie »)

(…)

Max Born qui, pendant quarante ans, s’est battu avec le grand physicien-réaliste qu’était Einstein, écrit :

« En Occident, on tend vers un positivisme exagéré, qui va jusqu’à refuser la réalité du monde extérieur (…). Le positivisme occidental n’a pas causé grand dommage, étant donné qu’il est évidemment plutôt difficile pour un physicien, comme pour n’importe quelle personne, de vivre dans le monde à l’existence duquel il affirme qu’il ne croit pas. »

Mais un peu plus loin, Born admet que ce positivisme extrême est à la mode :

« Le vrai positivisme est obligé de nier la réalité de l’existence objective du monde extérieur, ou, au moins, la possibilité d’affirmer quoique ce soit à son sujet. On pourrait penser qu’il ne se trouvait aucun physicien pour défendre de telles opinions. Mais ils existent et même ils sont à la mode. » (citation de Born, « Physics and Politics »)

Marx Born lui-même explique sur le positivisme de notre époque : « Le positivisme extrême, qui considère réelles seulement les impressions de nos sens, et qui considère toute chose différente comme une construction artificielle inventée pour établir des relations logiques entre ces impressions, est manifestement le contraire d’une philosophie propre à une activité collective. Elle est, au contraire, très subjectiviste. Elle peut être appelée solipsiste. » (citation de Born, « Physics and Politics »)

(…)

Il convient de conclure ce chapitre en citant un jugement de Paul Langevin sur le positivisme, formulé à une réunion scientifique à Varsovie, il y a quarante ans :

« La preuve que cette doctrine, livrée à elle-même, se ferme volontiers l’avenir et est une doctrine statique, c’est que son premier auteur, Auguste Comte, n’avait pas craint de fixer des limites aux possibilités de la chaîne expérimentale ; il avait considéré que jamais nous ne pourrions connaître ce qui se passe dans les étoiles. Très peu de temps après, un démenti lui fut donné par la découverte de la spectroscopie et, ce matin-même, nous avons pu entendre Sir Arthur Eddington parler de la température, de l’état de désagrégation des atomes, et faire une chimie nucléaire de l’intérieur des étoiles. » (Langevin, « La pensée et l’action »)

(…)

Pour Mach, « l’espace et le temps sont des systèmes bien ordonnés de sensations ou encore, en ce qui concerne la physiologie, ils représentent des espèces spécifiques de sensations, mais, en ce qui concerne la physique, ils représentent des relations de dépendance entre les éléments qui sont caractérisés par les sensations. » (Mach, The Analysis of Sensations)

(…)

Pour donner un exemple, Schlick écrivait à propos de l’ancienne question de l’héliocentrisme :

« Dans beaucoup de cas, il n’y a pas de possibilité, mais pas non plus de besoin urgent, de distinguer un point de vue d’un autre, comme le seul qui soit vrai. Il ne sera jamais possible de démontrer que c’est seulement Copernic qui avait raison et que Ptolémée avait tort. Il n’y avait pas de base logique qui nous obligerait d’édifier la théorie de la Relativité comme la seule théorie juste, contrairement à la théorie absolue, ou à déclarer que la définition euclidienne de la mesure est simplement correcte ou erronée. Tout ce que nous pouvons faire, c’est montrer que l’un de ces différents points de vue est plus simple et conduit à une représentation plus arrondie, plus commode, du monde. » (Schlick, Space and Time)

Pourtant, ainsi que nous essayerons de le montrer, il y a des critères objectifs pour se décider en faveur de la théorie d’Einstein, et pour rejeter l’hypothèse de Ptolémée. C’est la pratique scientifique et non pas les spéculations philosophiques qui décident sur l’objectivité de telle ou telle théorie physique.

(…)

Le positivisme contemporain ne reconnaît pas non plus l’espace et le temps comme formes d’existence de la réalité objective. Russell affirme que « le monde immédiatement donné est dans l’espace », mais pour lui le monde n’est rien que ses « hard data ». Cette deuxième thèse enlève tout fondement matérialiste à la première. Russell considérait l’espace et le temps comme des conventions utiles, qu’il serait bon de ne pas accepter, sans pour autant les rejeter. Le problème de leur existence, indépendamment du sujet, reste, pour Russell, un problème ouvert.

D’une manière analogue, Wittgenstein écrit dans le « Tractatus logico-philosophicus » que « l’espace et le temps et la couleur sont des formes d’objets ». Mais pour lui aussi, « le monde est la totalité des événements et non pas des choses ».

L’objet donc, n’est pas l’objet matériel, indépendant de n’importe quelle expérience. L’espace et le temps, comme le monde, dépendent de la pensée humaine :

« Le monde est les événements dans l’espace logique » (Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus)

(…)

Louis de Broglie écrit dans « Intérêt et enseignement de l’histoire des sciences » :

« Poincaré avait une attitude un peu sceptique vis-à-vis des théories physiques, considérant qu’il existe en général une infinité de points de vue différents, d’images qui sont logiquement équivalents et entre lesquels le savant ne choisit que pour des raisons de commodité. Ce nominalisme semble lui avoir fait, parfois, méconnaître le fait que, parmi les théories logiquement possibles, il en est cependant qui sont plus près de la réalité physique, mieux adaptées en tout cas à l’intuition du physicien et plus aptes à seconder ses efforts. Si ce point de vue est exact, ce serait donc la tendance philosophique de son esprit vers un « comodisme nominaliste » qui aurait empêché Poincaré d’apercevoir dans toute son ampleur la portée de la relativité. »

Le déterminisme mécaniste, et plus généralement le déterminisme, ont été l’ennemi principal des différents courants néokantiens et positivistes.

Les concepts de cause et d’effet ont, selon ce point de vue, un caractère subjectif :

« Il n’y a pas de cause et d’effet dans la nature », écrivait Mach dans sa « Mécanique ».

« La nature n’a qu’une existence individuelle. La nature simplement est. »

Ainsi Mach se plaçait d’une manière tout à fait normale du côté agnostique :

« Nous nous rangeons du côté de Hume. »

« Il n’existe pas de nécessité physique, par exemple, autre que la nécessité logique. »

(…)

Quant à Pearson, il écrivait, dans la « Grammaire de la science », que « les lois de la nature sont bien plus les produits de l’esprit humain que des faits du monde extérieur. » et que « la nécessité appartient au monde des idées et non pas au monde des perceptions. »

Russell dira beaucoup plus tard lors de son débat avec le P. Copleston :

« Le mot « nécessaire » me paraît comme un mot inutile, exception faite quand il est appliqué aux propositions analytiques, et non pas aux choses. »

La terminologie est différente, mais la thèse est la même.

Cette conception était généralisée et portée au niveau ontologique par Poincaré…

« L’harmonie interne du monde est la seule réalité objective. »

(…)

Il y avait, bien sûr, des nuances, plutôt dans le sens agnostique comme le point de vue de Mach, formulé dans « Connaissance et Erreur » :

« Il est impossible de démontrer la justesse de la position du déterminisme ou de l’indéterminisme. Seule une science parfaite ou démontrée impossible serait capable de résoudre ce problème. Il s’agit ici des prémisses que l’on introduit… dans l’analyse des choses, suivant que l’on attribue aux succès ou aux insuccès antérieurs des recherches une valeur subjective (…) plus ou moins grande. Mais au cours de la recherche, tout penseur est nécessairement déterministe en théorie. »

(…)

Wittgenstein – pour prendre un exemple – affirmait que s’il y avait une loi de causalité, on pouvait la mettre sous la forme suivante :

« Nous ne pouvons pas prévoir les événements futurs à partir des événements présents. La croyance au nexus causal est une supersptition… La loi de causalité n’est pas une loi mais une forme de loi. » (Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus)

Ernst Cassirer de l’autre côté liait directement son point de vue à celui de Mach, quand il écrivait dans « Déterminisme et Indéterminisme dans la physique moderne » :

« Le principe de causalité n’est pas une loi physique dans le sens usuel du mot. »

et aussi :

« De ce point de vue Mach avait raison quand il affirmait qu’il n’y a ni cause ni effet dans la nature. »

Cassirer terminait son livre par l’aphorisme suivant :

« L’illusion originale du problème causal dans son ensemble se trouve dans le fait que l’on considère les lois physiques comme une espèce de réalité. »

(…)

Le positivisme conséquent n’accepte pas l’existence d’un monde objectif : indépendant du sujet.

Campbell, par exemple, rejette la défintion de la science comme une « étude du monde externe », et il propose la définition suivante :

« La science est l’étude des jugements par rapport auxquels un accord universel peut être obtenu. » (Campbell, What is Science ?)

Le positivisme, en général, n’accepte pas la définition de la science comme cette pratique sociale ainsi que l’acquis de celle-ci, laquelle concerne la recherche des réalités et des lois d’un domaine spécifique du monde.

(…)

Le positivisme n’a pas pu dépasser le conventionnalisme et la conception formelle de la vérité qui découlent de sa position anti-réaliste.

(…)

Le positivisme a une attitude antiphilosophique. Il se veut une épistémologie – une théorie des sciences – et non pas une philosophie. Il rejette même les propositions philosophiques comme dénuées de sens.

Or, le positivisme, malgré ses déclarations, est une philosophie. Il contient des présupposés ontologiques, et sa théorie de la connaissance. En plus, il se veut une philosophie normative pour les sciences : il veut établir des critères de scientificité, critères de démarcation entre les différents domaines du savoir.

« J’appellerai métaphysique, écrit Carnap, toutes les propositions qui ont la prétention de représenter une connaissance pour quelque chose, qui se trouve au-dessus ou au-delà de l’expérience. »

(…)

Dans les affirmations précédentes de Carnap, il y a déjà une thèse ontologique, donc « métaphysique »…

Selon la thèse de Schlick, le matérialisme en particulier n’a pas de sens. (Schlick, Form and Content)

Selon Wittgenstein, enfin, la philosophie tout entière est pleine de confusions, et la plupart de ses questions ne sont pas erronées, mais n’ont pas de sens…. Finalement, la philosophie tout entière se réduit « à une critique du langage ». Cette conception mutilée de la philosophie est liée à une « ontologie » subjectiviste ; le sujet n’appartient pas au monde, il est plutôt sa limite. Aussi, ce qui amène le « moi » dans la philosophie, c’est le fait que « le monde est mon monde ». (Wittgenstein, Tractatus logico philosophics »)

Le positivisme dit logique a posé, lui aussi, la question des relations entre les sciences et la philosophie. il l’a pourtant posé au niveau de l’abstraction formelle et a essayé de la résoudre à l’aide de critères formels.

Ainsi, il n’a pas pris en considération la dimension historique de la connaissance, l’unité originaire des rudiments des sciences et de la philosophie, leur séparation historique et leurs influences mutuelles tout au long de leur histoire.

(…)

Ce courant a surtout été nourri par les sciences formelles, et a contribué, à son tour, à leur développement.

Pourtant, en tant qu’épistémologie, il a joué – et joue encore – un rôle surtout négatif.

En tant que philosophie, forme dégénérée du rationalisme bourgeois, il est devenu la philosophie dominante, surtout dans les milieux scientifiques…

Cela ne signifie pas que tout positiviste n’ait été qu’un « réactionnaire » : Carnap était connu pour être « le professeur rouge » et Neurath était communiste… Fock aussi était une figure éminente de l’Ecole positiviste der Copenhague, et en même temps un marxiste déclaré. »

Lectures sur le positivisme logique moderne :}}

B. Russell, Our Knowledge of the External World

B. Russell, Logic and Knowledge

L. Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus

Carnap, L’Ancienne et la Nouvelle Logique

Carnap, Meaning and Necessity

P. Franck, Le Principe de la causalité et ses limites

P. Franck, Théorie de la connaissance de la physique moderne

P. Franck, La Fin de la physique mécaniste

E. Cassirer, Determinism and Indeterminism in modern physics

W. Heisenberg, Physics and Philosophy

Ouvrage collectif de Russell, Carnap, Schlick, Hempel, Halin, Ayer, Neurath, “Logical Positivism”

Qu’est-ce que le positivisme ?

Contre l’empirisme

Lénine contre Mach, les idéalistes, les agnostiques, les subjectivistes et les positivistes

Pourquoi avons-nous besoin de philosopher et ne pouvons-nous simplement nous contenter d’observer le monde et d’agir ?

Contre la philosophie de l’école de Copenhague

Planck contre le positivisme

La philosophie réaliste d’Einstein

Est-ce que la physique quantique favorise le courant agnosticiste (qui nie la possibilité pour la science d’atteindre ou d’approcher la vérité objective) ?

Le positivisme de Auguste Comte

Lénine avait-il raison, dans « Matérialisme et Empiriocriticisme » contre le positivisme de Mach, Ostwald et Avenarius ?

Faut-il une philosophie en sciences ?

Une science philosophique doublée d’une philosophie scientifique

Pourquoi la physique quantique nous pose autant de problèmes philosophiques ?

Quelle épistémologie de la physique contemporaine ?

La science peut-elle se passer de l’ontologie ?

Qu’est-ce que des lois objectives ?

Le monde matériel existe-t-il objectivement, en dehors de nos pensées ?

La philosophie des mathématiques est-elle la même que celle des sciences ?

La science n’est pas qu’expérience, mesure et calcul et qu’elle est d’abord philosophie

Implications philosophiques de la Physique quantique

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