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Connaissance scientifique et Engagement

samedi 18 mai 2019, par Robert Paris

Connaissance scientifique et Engagement

Diablement difficile de définir philosophiquement ce que signifie l’engagement comme démarche humaine générale…

« La logique de l’engagement suppose qu’on ne fasse aucune entorse à la vérité. » écrit Henry Roth, dans « Un rocher sur l’Hudson ».

La connaissance scientifique, on croit, par contre, savoir ce que c’est. Mais la plupart des gens pensent que la connaissance scientifique, c’est la vérité contre le mensonge. Ceux qui propagent ce point de vue affirment que les anciennes idées scientifiques sont à jeter aux oubliettes puisqu’elles ont été dépassées. Mais c’est faux : la science est contrainte d’en passer par ses étapes historiques parce que c’est une construction dont les étapes restent marquées comme dans un monument historique, comme une église ou un château, comme une ville. Jamais les traces anciennes ne seront complètement effacées. La construction de la pensée scientifique, elle, est marquée par les anciens concepts, les anciens raisonnements, même les anciens termes qui permettaient de décrire les phénomènes, de développer des recherches, des observations même. Et on n’a jamais fait complètement table rase de ce passé conceptuel, on ne le balayera jamais. Par exemple, la science a eu une période mécaniciste et une époque énergétiste. Les deux sont dépassées mais elles restent marquées dans l’expression actuelle des concepts scientifiques et il est impossible de les en extraire. La physique classique est dépassée par la physique quantique, la physique relativiste, la physique du chaos déterministe, la physique du vide quantique et l’astrophysique moderne, et pourtant la physique classique a besoin d’être étudiée par tous ceux qui veulent comprendre les nouvelles physiques, parce qu’elle reste la base de la pensée physique du fait de son rôle historique.

La notion d’énergétisme est dépassée mais la science n’a pas abandonné le concept d’énergie. La notion de pure particule individuelle et indépendante, se déplaçant dans un espace et indépendante de celui-ci, a été abandonnée mais est on est contraints de continuer de l’employer. Dans un atome, par exemple, les électrons ne se comportent pas comme des entités individuelles et pourtant on continue à parler d’eux en termes d’entités individuelles et on peut difficilement faire autrement. Et ce ne sont là que des exemples pour illustrer la curieuse manière de la science d’avancer, sans faire table rase du passé.

Du coup, la connaissance est marquée par les grandes idées, celles du passé, du présent et de l’avenir et la lutte des idées est déterminante pour la connaissance scientifique et ce n’est pas la dualité vérité/mensonge qui a cours.

La pensée dualiste affirme que la science, étant du domaine des faits purs, n’aurait rien à voir avec la philosophie : dans ce dernier domaine de pensée, on peut continuer à trouver intérêt à étudier à la fois Socrate, Platon et Aristote, mais en Sciences, on renonce aux vieilles idées et elles sont balayées. Eh bien, c’est faux. Einstein n’a pas balayé Newton et Galilée, ni Képler, etc. La physique quantique n’a pas balayé la physique classique. Darwin n’a même pas balayé les autres pensées sur le Vivant. Freud n’a pas balayé les autres conceptions psychologiques.

Nous cherchons ce qui caractérise la démarche de la connaissance par rapport à celle de la simple observation de la réalité ? Notre réponse est simple : c’est l’engagement. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien qu’une grande partie des chercheurs, penseurs, scientifiques ou philosophiques font un travail réel, expérimentent, écrivent, cherchent, mais… ne sont pas engagés et que cela entache grandement leurs travaux. Faire progresser la connaissance nécessite de s’engager.

Mais, d’abord, qu’entend-on d’habitude par « engagement » en sciences et qu’entend-on nous par engagement dans ce texte.

Pour bien des gens, l’engagement est politique ou social, mais pas scientifique. Eh bien, nous affirmons que ce qui caractérise des grands scientifiques, c’est un engagement scientifique, un engagement de pensée, un engagement philosophique. Il suffit de citer quelques grands noms comme Galilée, Darwin, Marx, Malinovski, Lévi-Strauss, Prigogine ou Einstein pour voir de quoi on parle.

Etre engagé en sciences, c’est avoir lancé un combat dans le domaine de la pensée, sciemment contre un point de vue qui nous semble à combattre, combat qui s’attaque à des points de vue fondamentaux admis par toute la société et qui nous semblent faux. Cela signifie que ces auteurs, avant même d’avoir commencé leur lutte pour des idées nouvelles, savaient parfaitement que c’était un combat d’ampleur qu’ils lançaient, que cela allait leur valoir de grosses difficultés, personnelles et scientifiques. Cela signifie aussi que ce n’étaient pas seulement les observations scientifiques qui les amenait à avoir de telles idées, mais plutôt ces idées qui les amenaient à effectuer le type de recherche et d’observations qu’ils lançaient.

D’autre part, cela signifie qu’ils n’étaient pas seulement engagés dans une recherche pointue sur un point précis de sciences mais dans une remise en cause générale d’un ancien point de vue global et erroné en sciences.

Or, pour remettre en question des idées reçues et reconnues, il faut être sacrément engagé, vu qu’on se heurte généralement à tout l’estblishment des académies, des universités, des organisations bureaucratiques de la science, des gouvernants et des classes possédantes, ce qui n’est déjà pas rien, et sans pouvoir s’appuyer sur une opinion publique, soit trompée soit qui se moque de telles questions.

Il n’est nullement facile de défendre une idée générale nouvelle en science, pas plus d’ailleurs que dans d’autres domaines. Car cela remet en cause des individus et leur carrière, des clans, des groupes, des petites mafias de la science et de l’entreprise, mais aussi la susceptibilité des penseurs, ce qui n’est pas peu…

Or, le monde des sciences est plein d’idées fausses, de préjugés, d’anciennes erreurs auxquels on est d’autant plus accrochés qu’elles sont plus proches du sens commun.

On connaît ce genre d’idées fausses du genre (en vrac) :

 la matière et l’esprit sont deux domaines différents.

 la matière est inerte.

 le domaine des lois s’oppose diamétralement au domaine du hasard.

 la matière se réduit à des molécules et des atomes (réductionnisme).

 le cerveau fonctionne comme un gros ordinateur.

 au sein du Vivant, tout est génétique.

 l’évolution, c’est la force du progrès, les espèces supérieures l’emportant sur les espèces inférieures.

 les qualités humaines et les défauts humains sont héréditaires.

 toutes les maladies peuvent être combattues en vaccinant toute la population.

 les sociétés se suivent par ordre de l’inférieur au supérieur, en termes idéologiques, moral, social, humain, la société actuelle étant le summum.

 la technologie est le grand but de la science.

 la physique quantique n’est appréhendable que par des équations et ne connaitra jamais de description de « ce qui se passe quand ».

 l’activité humaine provoque un réchauffement planétaire irréversible.

Nous ne citons là que quelques balivernes très largement répandues mais que le grand public comme de grands auteurs scientifiques soutiennent malheureusement aussi. Ceux des scientifiques, qu’ils soient ou pas du domaine, qui ne seraient pas d’accord avec ces idées fausses, se gardent de les combattre publiquement : ils ne sont pas assez engagés pour cela. Cela briserait leur carrière ou, au moins, les ferait mal voir. Cela n’a jamais arrêté le type de penseurs scientifiques engagés que nous avons cités précédemment.

Et on peut effectivement parler d’engagement scientifique, comme on parlerait d’engagement philosophique (comme pour Socrate, Diderot, Hegel, Darwin, Marx, Freud, Einstein), d’engagement politique ou social, ce qui est beaucoup plus connu, même si on fait parfois de profondes erreurs en la matière, par exemple en s’imaginant Sartre comme un penseur engagé. Même en art, l’engagement est indispensable, voir Beethoven ou Van Gogh…

Eh bien, en sciences, cela me semble tout à fait déterminant pour permettre à un chercheur, à un auteur, expérimentateur comme théoricien, pour faire avancer la pensée humaine en la… matière !

Un penseur engagé ne craindra pas d’aller contre une idée reçu, un préjugé commun, une pensée reconnue. Il se moquera du « consensus des scientifiques » et cherchera seulement quels raisonnements, quels modèles, quelles manières de raisonner lui semble plus pertinentes, en ne craignant pas d’explorer ses idées jusqu’au bout, de pousser ses raisonnements, au risque de se heurter aux pensées dominantes.

Ceux qui croient que toute la science se résume à des expériences indiscutables, à des mathématiques encore plus indiscutables (comme un et un font deux !), à des modélisations incontestables elles aussi, à des théories parfaitement reconnues de toute la communauté scientifique, il convient de rappeler que, dans toute notre connaissance du monde, nous ne sommes pas certains de grand-chose et la plupart de nos affirmations reposent sur des hypothèses ni vérifiées, ni vérifiables pour le moment. Nous progressons parfois, mais il nous arrive de nous retrouver dans des impasses de la science, comme dans le cas des cordes et des supercordes et cela se produit plus favorablement dans certaines mathématisations des sciences sans modèle réel de « ce qui se passe quand ».

Tous ces propos ne sont pas là pour discréditer l’ « esprit scientifique » mais, au contraire, pour en chercher les fondements réels.

Nous avons largement souligné que, parmi ces fondements, il y a la philosophie, reconnue et assumée, comme outil principal de la pensée, scientifique ou pas. Pas n’importe quelle philosophie, bien sûr.

Mais ce n’est pas seulement la philosophie qui manque aux auteurs non engagés, ceux qui prétendent que la science se moque de l’opinion car elle serait le domaine de l’objectivité.

Ce qui manque, c’est aussi la discussion, le débat, la reconnaissance de la valeur des idées.

Dans un monde qui est en train de privilégier la science directement profitable, à savoir la technofinance, le domaine des idées, par exemple l’épistémologie, l’histoire des idées scientifiques, les notions de concepts en sciences et autres domaines de la pensée scientifique, on se doute que le type d’opinion de cet article n’a pas cours, ni aux ministères dont dépendent les études scientifiques et leur enseignement, ni dans les académies et universités, ni chez les éditeurs de sciences, ni chez les carriéristes, grands et petits, de la science sous toutes ses formes, ni chez les auteurs et chercheurs installés, qui appartiennent à des clans, à des groupes, à des mafias, et qui ne voient nullement pourquoi ils risqueraient de perdre leur place pour de simples opinions, pour de vaseuses réflexions, pour une pureté de pensée ou une conception morale de la vérité, de la connaissance, de la culture…

L’évolution idéologique actuelle amène les scientifiques à se détourner même des recherches qui ne mènent qu’à comprendre le monde et à ne s’occuper que de ce qui aura des retombées matérielles et rentables. La recherche est donc moins libre que jamais. Ceux qui ne plient pas aux critères précédents sont balayés, ne reçoivent aucun moyen pour développer leur recherche et sont combattus violemment. Les nouvelles générations ignorent le plus souvent que la science a bien changé, qu’elle n’est plus ce qu’elle était, et ne sont même pas au courant du débat qui est posé dans cet article. Ils sont tombés directement dans la nouvelle marmite qui produit une science, comme outil au service du profit immédiat et pas comme outil de connaissance. Cette nouvelle génération ne voit pas à quoi peut servir de se torturer la cervelle pour raisonner si les produits de ces raisonnements peuvent être mis à l’écran d’un simple clic sur une application. Ce n’est l’être humain qui se détourne de l’engagement de la connaissance, c’est la classe possédante, parvenue à son dernier stade, celui où elle cesse de faire progresser les capacités de l’homme, qu’il s’agisse des capacités intellectuelles ou productives.

Une fois de plus, la pensée humaine suit les évolutions du monde réel et social. Il n’empêche que l’on n’a jamais entravé durablement la curiosité humaine et que ceux qui s’y emploient, tout en ayant pris le pouvoir sur la science officielle, ne sont que la partie idéologique d’un effondrement social et politique, celui du capitalisme ayant atteint ses limites.

Mais le capitalisme n’est pas l’horizon indépassable de l’organisation sociale produite par l’homme et la pensée scientifique d’un monde finissant n’est pas non plus le nec plus ultra des sciences construites par les hommes. Il est permis de se libérer des pensées scientifiques non engagées.

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Qu’est-ce que la science ?

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