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La sculpture du corps dans l’embryon

jeudi 26 juin 2008, par Robert Paris

Ameisen dans "La sculpture du vivant" rappelle qu’un embryon est autant dû à une destruction massive de cellules qu’à leur prolifération...

"L’environnement extérieur peut exercer une influence directe sur la manière même dont les cellules et les corps utilisent leurs potentialités génétiques et donc sur les modalités de construction des embryons.

L’environnement ne change pas la nature des informations génétiques. Mais il modifie la nature des informations que les cellules de l’embryon en train de se construire vont pouvoir consulter et donc des protéines qu’elles vont pouvoir fabriquer."

J’en viens à la sculpture du corps qui se produit lors du développement de l’embryon.

Bien entendu, le développement d’un individu nécessite une multiplication de cellules qui permet d’augmenter la taille et de passer de l’œuf fécondé à une être vivant complet. Mais cet être vivant n’est pas seulement constitué d’un amas indifférencié de cellules. Il faut doter cet individu de liaisons, de fonctionnements et d’organes. Ceux-ci doivent être produits progressivement de manière à être connectés dès leur formation au reste du corps. Cela nécessite des étapes de formation dont certaines bâtissent des zones qu’il faudra ensuite détruire pour permettre aux étapes suivantes de se réaliser. Nous avons un grand nombre de ces structures intermédiaires comme les palmes des doigts ou encore les cellules qui occupent ce qui deviendra la cage thoracique. A un moment précis dans l’horloge du développement, il faut que ces cellules disparaissent. Ce sont des époques d’apoptose massive. Il en va de même pour la formation des membres. Ceux-ci sont au départ des germes insérés dans les chairs et, au moment où les membres vont devoir se développer, la chair qui les enserrait va connaître le suicide d’un nombre considérable de cellules.

Comme le disait Atlan, on assiste à des phases successives de désorganisation avec multiplication des structures nouvelles et de réorganisation avec destruction sélective. La structure est produite non par un schéma de construction préétabli de la structure finale mais par un processus au hasard de multiplication et de diversification par la destruction qui creuse les formes et démolit les constructions intermédiaires.

Un des exemples connus est celui des organes génitaux mâle et femelle. Au début, l’être vivant reçoit des embryons des deux types d’organes : canal de Müller et canal de Wolff. Le chromosome Y déterminant le sexe masculin va entraîner le développement des cellules du canal de Wolff et en même temps entraîner la mort par apoptose des cellules du canal de Müller qui est l’ébauche des organes génitaux féminins. Et inversement pour le chromosome X. Il s’agit à nouveau d’une rupture de symétrie ou un choix entraîne la disparition par apoptose ou l’inhibition des gènes et la destruction des protéines correspondants à l’autre choix. Tout le fonctionnement de l’individu est modifié. Par exemple, à partir de la rupture de symétrie correspondant au développement des organes sexuels, les neurones qui correspondent au pilotage de l’autre sexe vont être atrophiés puis disparaître par suicide cellulaire.

Nous allons examiner maintenant comment le suicide cellulaire est à la base de la structuration extraordinairement complexe des réseaux neuronaux du cerveau qui est l’une des sculptures du corps les plus étonnantes se produisant au sein de l’embryon.

Nos nerfs sont répartis dans l’ensemble de notre corps et aboutissent aux centres nerveux et au cerveau. Chaque neurone est une cellule et en tant que telle possède la capacité de déclencher son suicide. Si le neurone est privé des signaux venus des autres neurones, signaux électriques et chimiques, il met très peu de temps à mourir. Il suffit qu’une zone d’activité nerveuse du corps ne fonctionne plus pour que les neurones correspondants au réseau qui pilote cette zone se suppriment ainsi que ceux qui les commandent dans le cerveau. Par contre ces neurones peuvent éventuellement être activés en vue de piloter une autre zone.

Mais le plus impressionnant dans le rôle de l’apoptose est la fabrication du cerveau lui-même. C’est en effet par suicide cellulaire que va se construire l’édifice extraordinairement complexe des ramifications du cerveau. Lors de sa fabrication, pendant le développement de l’embryon, les cellules du cerveau se multiplient, se déplacent, se ramifient et se diversifient de façon spontanée et désordonnée. Pour survivre, elles ont besoin de recevoir des messages des cellules voisines, des impulsions le long de leurs bras, et des neurotransmetteurs. Celles qui ne reçoivent pas suffisamment de signaux de survie vont se suicider. Le réseau qui va résulter de cette multiplication des connections suivie de destructions massives sera adapté au fonctionnement du corps mais sans avoir eu un plan de fabrication préétabli. Le réseau a été constitué par expérience et par tâtonnement, suivi d’une destruction constructrice. La plupart des neurones et de leurs connections vont en effet disparaître. Le processus peut paraître extrêmement coûteux mais le résultat est d’une souplesse et d’une efficacité si extraordinaires que personne n’est capable de fabriquer artificiellement l’équivalent d’un cerveau.

Cette plasticité est accrue par le fait que les échangeurs, les relais et les intermédiaires sont eux-mêmes changeants, dynamiques, et s’autodétruisent en cas d’inutilité. Ainsi les synapses qui connectent les neurones peuvent se multiplier ou au contraire se supprimer.

Dans l’embryon en train de se construire, à un certain moment de notre développement, les neurones ont en effet cessé de se dédoubler et ont alors émis des prolongements, les axones, qui se sont projetés en aveugle, guidés par des signaux chimiques qui les attirent vers certaines zones et d’autres signaux qui leur interdisent l’accès à certains territoires et vont se connecter à des cellules musculaires, des cellules de la peau, etc . Puis ces mêmes neurones envoient d’autres prolongements plus fins, les dendrites, vers des cellules voisines, constituant de proche en proche des réseaux de communications par lesquels circulent des signaux électriques et des signaux chimiques. Les neurones se diversifient en plusieurs dizaines de sous-familles spécialisées qui se multiplient dans des zones spécifiques du cerveau. Pour chaque neurone appartenant à une sous-famille donnée, seul le contact avec certains types de neurones est possible. Là encore, c’est l’apoptose qui, en l’absence de signaux de survie, va faire disparaître les neurones inadéquats.

Je cite ici Ameisen : « Ainsi la sculpture de la complexité de notre système nerveux résulte d’une forme d’apprentissage du soi fondée sur un dialogue obligatoire entre les cellules et sanctionnée par la mort. »

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