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Règlements intérieurs de l’usine- bagne ouvrier

vendredi 29 mai 2020, par Robert Paris

Un règlement d’usine en 1860

by lucien

USINE MICHELIN – 1860

Règlement intérieur

1. Piété, propreté et ponctualité font la force d’une bonne affaire.

2. Notre firme ayant considérablement réduit les horaires de travail, les employés de bureau n’auront plus à être présents que de sept heures du matin à six heures du soir, et ce, les jours de semaine seulement.

3. Des prières seront dites chaque matin dans le grand bureau. Les employés de bureau seront obligatoirement présents.

4. L’habillement doit être du type le plus sobre. Les employés de bureau ne se laisseront pas aller aux fantaisies des vêtements de couleurs vives, ils ne porteront pas de bas non plus, à moins que ceux-ci ne soient convenablement raccommodés.

5. Dans les bureaux on ne portera ni manteaux ni pardessus, toutefois, lorsque le temps sera particulièrement rigoureux, les écharpes, cache-nez et calottes seront autorisés.

6. Notre firme met un poêle à la disposition des employés de bureau. Le charbon et le bois devront être enfermés dans le coffre destiné à cet effet. Afin qu’ils puissent se chauffer, il est recommandé à chaque membre du personnel d’apporter chaque jour quatre livres de charbon durant la saison froide.

7. Aucun employé de bureau ne sera autorisé à quitter la pièce sans la permission de M. le Directeur. Les appels de la nature sont cependant permis et y céder, les membres du personnel pourront utiliser le jardin au-dessous de la seconde grille. Bien entendu cet espace devra être tenu dans un ordre parfait.

8. Il est strictement interdit de parler durant les heures de bureau.

9. La soif de tabac, de vin ou d’alcool est une faiblesse humaine et, comme telle, est interdite à tous les membres du personnel.

10. Maintenant que les heures de bureau ont été énergiquement réduites, la prise de nourriture est encore autorisée entre 11h30 et midi, mais en aucun cas le travail ne devra cesser durant ce temps.

11. Les employés de bureau fourniront leurs propres plumes. UN nouveau taille-plume est disponible sur demande chez M. le Directeur.

12. Un sénior désigné par M. le Directeur sera responsable du nettoyage et de la propreté de la grande salle ainsi que du bureau directorial. Les juniors et les jeunes se présenteront à m. le Directeur quarante minutes avant les prières et resteront après l’heure de la fermeture pour procéder au nettoyage. Brosse, balais, serpillières et savons seront fournis par la Direction.

13. Augmentés dernièrement, les nouveaux salaires hebdomadaires sont désormais les suivants :

Cadets (jusqu’à 11 ans) 0,50 F

Juniors (jusqu’à 14 ans) 1,45 F

Jeunes 3,25 F

Employés 7,50 F

Séniors (après 15 ans de maison) 14,50 F

Les propriétaires reconnaissent et acceptent la générosité des nouvelles lois du travail, mais attendent du personnel un accroissement considérable du rendement en compensation de ces conditions presque utopiques.

Les bagnes industriels de l’Automobile

Les bagnes des débuts de l’industrie

Marx - Le Capital - Livre premier - Quatrième section

Législation de fabrique

La législation de fabrique, cette première réaction consciente et méthodique de la société contre son propre organisme tel que l’a fait le mouvement spontané de la production capitaliste, est, comme nous l’avons vu, un fruit aussi naturel de la grande industrie que les chemins de fer, les machines automates et la télégraphie électrique. Avant d’examiner comment elle va se généraliser en Angleterre, il convient de jeter un coup d’œil sur celles de ses clauses qui n’ont pas trait à la durée du travail.

La réglementation sanitaire, rédigée d’ailleurs de telle sorte que le capitaliste peut aisément l’éluder, se borne en fait à des prescriptions pour le blanchiment des murs, et à quelques autres mesures de propreté, de ventilation et de précaution contre les machines dangereuses.

Nous reviendrons dans le troisième livre sur la résistance fanatique des fabricants contre les articles qui leur imposent quelques déboursés pour la protection des membres de leurs ouvriers. Nouvelle preuve incontestable du dogme libre-échangiste d’après lequel dans une société fondée sur l’antagonisme des intérêts de classes, chacun travaille fatalement pour l’intérêt général en ne cherchant que son intérêt personnel !

Pour le moment, un exemple nous suffira. Dans la première période des trente dernières années l’industrie linière et avec elle les scutching mills (fabriques où le lin est battu et brisé) ont pris un grand essor en Irlande. Il y en avait déjà en 1864 plus de dix-huit cents. Chaque printemps et chaque hiver on attire de la campagne des femmes et des adolescents, fils, filles et femmes des petits fermiers du voisinage, gens d’une ignorance grossière en tout ce qui regarde le machinisme, pour les employer à fournir le lin aux laminoirs des scutching mills. Dans l’histoire des fabriques il n’y a pas d’exemple d’accidents si nombreux et si affreux. Un seul scutching mill à Kildinan (près de Cork) enregistra pour son compte de 1852 à 1856 six cas de mort et soixante mutilations graves qu’on aurait pu facilement éviter au moyen de quelques appareils très peu coûteux. Le docteur M. White, chirurgien des fabriques de Downpatrick, déclare dans un rapport officiel du 15 décembre 1865 :

« Les accidents dans les sculching mills sont du genre le plus terrible. Dans beaucoup de cas c’est un quart du corps entier qui est séparé du tronc. Les blessures ont pour conséquence ordinaire soit la mort, soit un avenir d’infirmité et de misère. L’accroissement du nombre des fabriques dans ce pays ne fera naturellement qu’étendre davantage d’aussi affreux résultats. Je suis convaincu qu’avec une surveillance convenable de la part de l’État ces sacrifices humains seraient en grande partie évités [1]. »

Qu’est-ce qui pourrait mieux caractériser le mode de production capitaliste que cette nécessité de lui imposer par des lois coercitives et au nom de l’Etat les mesures sanitaires les plus simples ?

« La loi de fabrique de 1864 a déjà fait blanchir et assainir plus de deux cents poteries où pendant vingt ans on s’était consciencieusement abstenu de toute opération de ce genre ! (Voilà l’abstinence du capital.) Ces établissements entassaient vingt-sept mille huit cents ouvriers, exténués de travail la nuit et le jour, et condamnés à respirer une atmosphère méphitique imprégnant de germes de maladie et de mort une besogne d’ailleurs relativement inoffensive. Cette loi a multiplié également les moyens de ventilation [2]. »

Cependant, elle a aussi prouvé qu’au-delà d’un certain point le système capitaliste est incompatible avec toute amélioration rationnelle. Par exemple, les médecins anglais déclarent d’un commun accord que, dans le cas d’un travail continu, il faut au moins cinq cents pieds cubes d’air pour chaque personne, et que même cela suffit à peine. Eh bien, si par toutes ses mesures coercitives, la législation pousse d’une manière indirecte au remplacement des petits ateliers par des fabriques, empiétant par là sur le droit de propriété des petits capitalistes et constituant aux grands un monopole assuré, il suffirait d’imposer à tout atelier l’obligation légale de laisser à chaque travailleur une quantité d’air suffisante, pour exproprier d’une manière directe et d’un seul coup des milliers de petits capitalistes ! Cela serait attaquer la racine même de la production capitaliste, c’est-à-dire la mise en valeur du capital, grand ou petit, au moyen du libre achat et de la libre consommation de la force de travail. Aussi ces cinq cents pieds d’air suffoquent la législation de fabrique. La police de l’hygiène publique, les commissions d’enquêtes industrielles et les inspecteurs de fabrique en reviennent toujours à la nécessité de ces cinq cents pieds cubes et à l’impossibilité de les imposer au capital. Ils déclarent ainsi en fait que la phtisie et les autres affections pulmonaires du travailleur sont des conditions de vie pour le capitaliste [3].

Si minces que paraissent dans leur ensemble les articles de la loi de fabrique sur l’éducation, ils proclament néanmoins l’instruction primaire comme condition obligatoire du travail des enfants [4]. Leur succès était la première démonstration pratique de la possibilité d’unir l’enseignement et la gymnastique avec le travail manuel et vice versa le travail manuel avec l’enseignement et la gymnastique [5]. En consultant les maîtres d’école, les inspecteurs de fabrique reconnurent bientôt que les enfants de fabrique qui fréquentent l’école seulement pendant une moitié du jour, apprennent tout autant que les élèves réguliers et souvent même davantage.

« Et la raison en est simple. Ceux qui ne sont retenus qu’une demi-journée à l’école sont toujours frais, dispos et ont plus d’aptitude et meilleure volonté pour profiter des leçons. Dans le système mi-travail et mi-école, chacune des deux occupations repose et délasse de l’autre, et l’enfant se trouve mieux que s’il était cloué constamment à l’une d’elles. Un garçon qui est assis sur les bancs depuis le matin de bonne heure, et surtout par un temps chaud, est incapable de rivaliser avec celui qui arrive tout dispos et allègre de son travail [6]. »

On trouve de plus amples renseignements sur ce sujet dans le discours de Senior au Congrès sociologique d’Edimbourg en 1853. Il y démontre combien la journée d’école longue, monotone et stérile des enfants des classes supérieures augmente inutilement le travail des maîtres

« tout en faisant perdre aux enfants leur temps, leur santé et leur énergie, non seulement sans fruit mais à leur absolu préjudice [7] ».

Il suffit de consulter les livres de Robert Owen, pour être convaincu que le système de fabrique a le premier fait germer l’éducation de l’avenir, éducation qui unira pour tous les enfants au-dessus d’un certain âge le travail productif avec l’instruction et la gymnastique, et cela non seulement comme méthode d’accroître la production sociale, mais comme la seule et unique méthode de produire des hommes complets.

On a vu que tout en supprimant au point de vue technique la division manufacturière du travail où un homme tout entier est sa vie durant enchaîné à une opération de détail, la grande industrie, dans sa forme capitaliste, reproduit néanmoins cette division plus monstrueusement encore, et transforme l’ouvrier de fabrique en accessoire conscient d’une machine partielle. En dehors de la fabrique, elle amène le même résultat en introduisant dans presque tous les ateliers l’emploi sporadique de machines et de travailleurs à la machine, et en donnant partout pour base nouvelle à la division du travail l’exploitation des femmes, des enfants et des ouvriers à bon marché [8].

La contradiction entre la division manufacturière du travail et la nature de la grande industrie se manifeste par des phénomènes subversifs, entre autres par le fait qu’une grande partie des enfants employés dans les fabriques et les manufactures modernes reste attachée indissolublement, dès l’âge le plus tendre et pendant des années entières, aux manipulations les plus simples, sans apprendre le moindre travail qui permette de les employer plus tard n’importe où, fût-ce dans ces mêmes fabriques et manufactures. Dans les imprimeries anglaises, par exemple, les apprentis s’élevaient peu à peu, conformément au système de l’ancienne manufacture et du métier, des travaux les plus simples aux travaux les plus complexes. Ils parcouraient plusieurs stages avant d’être des typographes achevés. On exigeait de tous qu’ils sussent lire et écrire. La machine à imprimer a bouleversé tout cela. Elle emploie deux sortes d’ouvriers : un adulte qui la surveille et deux jeunes garçons âgés, pour la plupart, de onze à dix-sept ans, dont la besogne se borne à étendre sous la machine une feuille de papier et à l’enlever dès qu’elle est imprimée. Ils s’acquittent de cette opération fastidieuse, à Londres notamment, quatorze, quinze et seize heures de suite, pendant quelques jours de la semaine, et souvent trente-six heures consécutives avec deux heures seulement de répit pour le repas et le sommeil [9]. La plupart ne savent pas lire. Ce sont, en général, des créatures informes et tout à fait abruties.

« Il n’est besoin d’aucune espèce de culture intellectuelle pour les rendre aptes à leur ouvrage ; ils ont peu d’occasion d’exercer leur habileté et encore moins leur jugement ; leur salaire, quoique assez élevé pour des garçons de leur âge, ne croît pas proportionnellement à mesure qu’ils grandissent, et peu d’entre eux ont la perspective d’obtenir le poste mieux rétribué et plus digne de surveillant, parce que la machine ne réclame pour quatre aides qu’un surveillant [10]. »

Dès qu’ils sont trop âgés pour leur besogne enfantine, c’est-à-dire vers leur dix-septième année, on les congédie et ils deviennent autant de recrues du crime. Leur ignorance, leur grossièreté et leur détérioration physique et intellectuelle ont fait échouer les quelques essais tentés pour les occuper ailleurs.

Ce qui est vrai de la division manufacturière du travail à l’intérieur de l’atelier l’est également de la division du travail au sein de la société. Tant que le métier et la manufacture forment la base générale de la production sociale, la subordination du travailleur à une profession exclusive, et la destruction de la variété originelle de ses aptitudes et de ses occupations [11] peuvent être considérées comme des nécessités du développement historique. Sur cette base chaque industrie s’établit empiriquement, se perfectionne lentement et devient vite stationnaire, après avoir atteint un certain degré de maturité. Ce qui de temps en temps provoque des changements, c’est l’importation de marchandises étrangères par le commerce et la transformation successive de l’instrument de travail. Celui-ci aussi, dès qu’il a acquis une forme plus ou moins convenable, se cristallise et se transmet souvent pendant des siècles d’une génération à l’autre.

Un fait des plus caractéristiques, c’est que jusqu’au XVIII° siècle les métiers portèrent le nom de mystères. Dans le célèbre Livre des métiers d’Étienne Boileau, on trouve entre autres prescriptions celle-ci :

« Tout compagnon lorsqu’il est reçu dans l’ordre des maîtres, doit prêter serment d’aimer fraternellement ses frères, de les soutenir, chacun dans l’ordre de son métier, c’est-à-dire de ne point divulguer volontairement les secrets du métier [12]. »

En fait, les différentes branches d’industrie, issues spontanément de la division du travail social, formaient les unes vis-à-vis des autres autant d’enclos qu’il était défendu au profane de franchir. Elles gardaient avec une jalousie inquiète les secrets de leur routine professionnelle dont la théorie restait une énigme même pour les initiés.

Ce voile, qui dérobait aux regards des hommes le fondement matériel de leur vie, la production sociale, commença à être soulevé durant l’époque manufacturière et fut entièrement déchiré à l’avènement de la grande industrie. Son principe qui est de considérer chaque procédé en lui-même et de l’analyser dans ses mouvements constituants, indépendamment de leur exécution par la force musculaire ou l’aptitude manuelle de l’homme, créa la science toute moderne de la technologie. Elle réduisit les configurations de la vie industrielle, bigarrées, stéréotypées et sans lien apparent, à des applications variées de la science naturelle, classifiées d’après leurs différents buts d’utilité.

La technologie découvrit aussi le petit nombre de formes fondamentales dans lesquelles, malgré la diversité des instruments employés, tout mouvement productif du corps humain doit s’accomplir, de même que le machinisme le plus compliqué ne cache que le jeu des puissances mécaniques simples.

L’industrie moderne ne considère et ne traite jamais comme définitif le mode actuel d’un procédé. Sa base est donc révolutionnaire, tandis que celle de tous les modes de production antérieurs était essentiellement conservatrice [13]. Au moyen de machines, de procédés chimiques et d’autres méthodes, elle bouleverse avec la base technique de la production les fonctions des travailleurs et les combinaisons sociales du travail, dont elle ne cesse de révolutionner la division établie en lançant sans interruption des masses de capitaux et d’ouvriers d’une branche de production dans une autre.

Si la nature même de la grande industrie nécessite le changement dans le travail, la fluidité des fonctions, la mobilité universelle du travailleur, elle reproduit d’autre part, sous sa forme capitaliste, l’ancienne division du travail avec ses particularités ossifiées. Nous avons vu que cette contradiction absolue entre les nécessités techniques de la grande industrie et les caractères sociaux qu’elle revêt sous le régime capitaliste, finit par détruire toutes les garanties de vie du travailleur, toujours menacé de se voir retirer avec le moyen de travail les moyens d’existence [14] et d’être rendu lui-même superflu par la suppression de sa fonction parcellaire ; nous savons aussi que cet antagonisme fait naître la monstruosité d’une armée industrielle de réserve, tenue dans la misère afin d’être toujours disponible pour la demande capitaliste ; qu’il aboutit aux hécatombes périodiques de la classe ouvrière, à la dilapidation la plus effrénée des forces de travail et aux ravages de l’anarchie sociale, qui fait de chaque progrès économique une calamité publique. C’est là le côté négatif.

Mais si la variation dans le travail ne s’impose encore qu’à la façon d’une loi physique, dont l’action, en se heurtant partout à des obstacles [15], les brise aveuglément, les catastrophes mêmes que fait naître la grande industrie imposent la nécessité de reconnaître le travail varié et, par conséquent, le plus grand développement possible des diverses aptitudes du travailleur, comme une loi de la production moderne, et il faut à tout prix que les circonstances s’adaptent au fonctionnement normal de cette loi. C’est une question de vie ou de mort. Oui, la grande industrie oblige la société sous peine de mort à remplacer l’individu morcelé, porte-douleur d’une fonction productive de détail, par l’individu intégral qui sache tenir tête aux exigences les plus diversifiées du travail et ne donne, dans des fonctions alternées, qu’un libre essor à la diversité de ses capacités naturelles ou acquises.

La bourgeoisie, qui en créant pour ses fils les écoles polytechniques, agronomiques, etc., ne faisait pourtant qu’obéir aux tendances intimes de la production moderne, n’a donné aux prolétaires que l’ombre de l’Enseignement professionnel. Mais si la législation de fabrique, première concession arrachée de haute lutte au capital, s’est vue contrainte de combiner l’instruction élémentaire, si misérable qu’elle soit, avec le travail industriel, la conquête inévitable du pouvoir politique par la classe ouvrière va introduire l’enseignement de la technologie, pratique et théorique, dans les écoles du peuple [16]. Il est hors de doute que de tels ferments de transformation, dont le terme final est la suppression de l’ancienne division du travail, se trouvent en contradiction flagrante avec le mode capitaliste de l’industrie et le milieu économique où il place l’ouvrier. Mais la seule voie réelle, par laquelle un mode de production et l’organisation sociale qui lui correspond, marchent à leur dissolution et à leur métamorphose, est le développement historique de leurs antagonismes immanents. C’est là le secret du mouvement historique que les doctrinaires, optimistes ou socialistes, ne veulent pas comprendre.

Ne sutor ultra crepidam ! Savetier, reste à la savate ! Ce nec plus ultra de la sagesse du métier et de la manufacture, devient démence et malédiction le jour où l’horloger Watt découvre la machine à vapeur, le barbier Arkwright le métier continu, et l’orfèvre Fulton le bateau à vapeur.

Par les règlements qu’elle impose aux fabriques, aux manufactures, etc., la législation ne semble s’ingérer que dans les droits seigneuriaux du capital, mais dès qu’elle touche au travail à domicile, il y a empiètement direct, avoué, sur la patria potestas, en phrase moderne, sur l’autorité des parents, et les pères conscrits du Parlement anglais ont longtemps affecté de reculer avec horreur devant cet attentat contre la sainte institution de la famille. Néanmoins, on ne se débarrasse pas des faits par des déclamations. Il fallait enfin reconnaître qu’en sapant les fondements économiques de la famille ouvrière, la grande industrie en a bouleversé toutes les autres relations. Le droit des enfants dut être proclamé.

« C’est un malheur », est-il dit à ce sujet dans le rapport final de la Child. Empl. Commission, publié en 1866, « c’est un malheur, mais il résulte de l’ensemble des dispositions des témoins, que les enfants des deux sexes n’ont contre personne autant besoin de protection que contre leurs parents. » Le système de l’exploitation du travail des enfants en général et du travail à domicile en particulier, se perpétue, par l’autorité arbitraire et funeste, sans frein et sans contrôle, que les parents exercent sur leurs jeunes et tendres rejetons... Il ne doit pas être permis aux parents de pouvoir, d’une manière absolue, faire de leurs enfants de pures machines, à seule fin d’en tirer par semaine tant et tant de salaire... Les enfants et les adolescents ont le droit d’être protégés par la législation contre l’abus de l’autorité paternelle qui ruine prématurément leur force physique et les fait descendre bien bas sur l’échelle des êtres moraux et intellectuels [17]. »

Ce n’est pas cependant l’abus de l’autorité paternelle qui a créé l’exploitation de l’enfance, c’est tout au contraire l’exploitation capitaliste qui a fait dégénérer cette autorité en abus. Du reste, la législation de fabrique, n’est-elle pas l’aveu officiel que la grande industrie a fait de l’exploitation des femmes et des enfants par le capital, de ce dissolvant radical de la famille ouvrière d’autrefois, une nécessité économique, l’aveu qu’elle a converti l’autorité paternelle en un appareil du mécanisme social, destiné à fournir, directement ou indirectement, au capitaliste les enfants du prolétaire lequel, sous peine de mort, doit jouer son rôle d’entremetteur et de marchand d’esclaves ? Aussi tous les efforts de cette législation ne prétendent-ils qu’à réprimer les excès de ce système d’esclavage.

Si terrible et si dégoûtante que paraisse dans le milieu actuel la dissolution des anciens liens de famille [18], la grande industrie, grâce au rôle décisif qu’elle assigne aux femmes et aux enfants, en dehors du cercle domestique, dans des procès de production socialement organisés, n’en crée pas moins la nouvelle base économique sur laquelle s’élèvera une forme supérieure de la famille et des relations entre les sexes. Il est aussi absurde de considérer comme absolu et définitif le mode germano-chrétien de la famille que ses modes oriental, grec et romain, lesquels forment d’ailleurs entre eux une série progressive. Même la composition du travailleur collectif par individus de deux sexes et de tout âge, cette source de corruption et d’esclavage sous le règne capitaliste, porte en soi les germes d’une nouvelle évolution sociales [19]. Dans l’histoire, comme dans la nature, la pourriture est le laboratoire de la vie.

La nécessité de généraliser la loi de fabrique, de la transformer d’une loi d’exception pour les filatures et les tissanderies mécaniques, en loi de la production sociale, s’imposait à l’Angleterre, comme on l’a vu, par la réaction que la grande industrie exerçait sur la manufacture, le métier et le travail à domicile contemporains.

Les barrières mêmes que l’exploitation des femmes et des enfants rencontra dans les industries réglementées, poussèrent a l’exagérer d’autant plus dans les industries soi-disant libres [20].

Enfin, les « réglementés » réclament . hautement l’égalité légale dans la concurrence, c’est-à-dire dans le droit d’exploiter le travail [21].

Ecoutons à ce sujet deux cris partis du cœur. MM. W. Cooksley, fabricants de clous, de chaînes, etc., à Bristol, avaient adopté volontairement les prescriptions de la loi de fabrique. « Mais comme l’ancien système irrégulier se maintient dans les établissements voisins, ils sont exposés au désagrément de voir les jeunes garçons qu’ils emploient attirés (enticed) ailleurs à une nouvelle besogne après 6 heures du soir. C’est là, s’écrient-ils naturellement, une injustice à notre égard et de plus une perte pour nous, car cela épuise une partie des forces de notre jeunesse dont le profit entier nous appartient [22]. » M. J. Simpson (fabricant de boîtes et de sacs de papier, à Londres) déclare aux commissaires de la Child. Empl. Comm.

« qu’il veut bien signer toute pétition pour l’introduction des lois de fabrique. Dans l’état actuel, après la fermeture de son atelier, il sent du malaise et son sommeil est troublé par la pensée que d’autres font tra­vailler plus longtemps et lui enlèvent les commandes à sa barbe [23]. »

« Ce serait une injustice à l’égard des grands entre­ preneurs », dit, en se résumant, la Commission d’enquête « que de soumettre leurs fabriques au règlement, tandis que dans leur propre partie la petite industrie n’aurait à subir aucune limitation légale du temps de travail. Les grands fabricants n’auraient pas seulement à souffrir de cette inégalité dans les conditions de la concurrence au sujet des heures de travail, leur personnel de femmes et d’enfants serait en outre détourné à leur préjudice vers les ateliers épargnés par la loi. Enfin cela pousserait à la multiplication des petits ateliers qui, presque sans exception, sont les moins favorables à la santé, au confort, à l’éducation et à l’amélioration générale du peuple [24]. »

La Commission propose, dans son rapport final de 1866, de soumettre à la loi de fabrique plus de un million quatre cent mille enfants, adolescents et femmes dont la moitié environ est exploitée par la petite industrie et le travail à domicile.

« Si le Parlement, dit-elle, acceptait notre proposition dans toute son étendue, il est hors de doute qu’une telle législation exercerait l’influence la plus salutaire, non seulement sur les jeunes et les faibles dont elle s’occupe en premier lieu, mais encore sur la masse bien plus considérable des ouvriers adultes qui tombent directement (les femmes) et indirectement (les hommes) dans son cercle d’action. Elle leur imposerait des heures de travail régulières et modérées, les amenant ainsi à économiser et accumuler cette réserve de force physique dont dépend leur prospérité aussi bien que celle du pays ; elle préserverait la génération nouvelle des efforts excessifs dans un âge encore tendre, qui minent leur constitution et entraînent une décadence prématurée ; elle offrirait enfin aux enfants, du moins jusqu’à leur treizième année, une instruction élémentaire qui mettrait fin à cette ignorance incroyable dont les rapports de la Commission présentent une si fidèle peinture et qu’on ne peut envisager sans une véritable douleur et un profond sentiment d’humiliation nationale [25]. »

Vingt-quatre années auparavant une autre Commission d’enquête sur le travail des enfants avait déjà, comme le remarque Senior,

« déroulé dans son rapport de 1842, le tableau le plus affreux de la cupidité, de l’égoïsme et de la cruauté des parents et des capitalistes, de la misère, de la dégradation et de la destruction des enfants et des adolescents... On croirait que le rapport décrit les horreurs d’une époque reculée... Ces horreurs durent toujours, plus intenses que jamais... Les abus dénoncés en 1842 sont aujourd’hui (octobre 1863) en pleine floraison... Le rapport de 1842 fut empilé avec d’autres documents, sans qu’on en prît autrement note, et il resta là vingt années entières pendant lesquelles ces enfants écrasés physiquement, intellectuellement et moralement purent devenir les pères de la génération actuelle [26] ».

Les conditions sociales ayant changé, on n’osait plus débouter par une simple fin de non-recevoir les demandes de la Commission d’enquête de 1862 comme on l’avait fait avec celles de la Commission de 1840. Dès 1864, alors que la nouvelle Commission n’avait encore publié que ses premiers rapports, les manufactures d’articles de terre (y inclus les poteries), de tentures, d’allumettes chimiques, de cartouches, de capsules et la coupure de la futaine (fustian cutting) furent soumis à la législation en vigueur pour les fabriques textiles. Dans le discours de la couronne du 5 février 1867, le ministère Tory d’alors annonça des bills puisés dans les propositions ultérieures de la Commission qui avait fini ses travaux en 1866.

Le 15 août 1867, fut promulgué le Factorv Acts extension Act, loi pour l’extension des lois de fabrique, et le 21 août, le Workshop Regulation Act, loi pour la régularisation des ateliers, l’une ayant trait à la grande industrie, l’autre à la petite.

La première réglemente les hauts fourneaux, les usines à fer et à cuivre, les ateliers de construction de machines à l’aide de machines, les fabriques de métal, de gutta-percha et de papier, les verreries, les manufactures de tabac, les imprimeries (y inclus celles des journaux), les ateliers de relieurs, et enfin tous les établissements industriels sans exception, où cinquante individus ou davantage sont simultanément occupés, au moins pour une période de cent jours dans le cours de l’année.

Pour donner une idée de l’étendue de la sphère que la « Loi sur la régularisation des ateliers » embrassait dans son action, nous en citerons les articles suivants :

Art. 4. « Par métier on entend : Tout travail manuel exercé comme profession ou dans un but de gain et qui concourt à faire un article quelconque ou une partie d’un article, à le modifier, le réparer, l’orner, lui donner le fini (finish), ou à l’adapter de toute autre manière pour la vente. »

« Par atelier (workshop), on entend toute espèce de place, soit couverte, soit en plein air, où un métier quelconque est exercé par un enfant, un adolescent ou une femme, et où la personne par laquelle l’enfant, l’adolescent ou la femme est employé, a le droit d’accès et de direction (the right of access and control). »

« Par être employé, on entend être occupé dans un métier quelconque, moyennant salaire ou non, sous un patron ou sous un parent. »

« Par parent, on entend tout parent, tuteur ou autre personne ayant sous sa garde ou sous sa direction un enfant ou adolescent. »

L’art. 7, contenant les clauses pénales pour contravention à cette loi, soumet à des amendes non seulement le patron, parent ou non, mais encore « le parent ou la personne qui tire un bénéfice direct du travail de l’enfant, de l’adolescent ou de la femme, ou qui l’a sous son contrôle ».

La loi affectant les grands établissements, le Factory Acts extension Act, déroge à la loi de fabrique par une foule d’exceptions vicieuses et de lâches compromis avec les entrepreneurs.

La « loi pour la régularisation des ateliers », misérable dans tous ses détails, resta lettre morte entre les mains des autorités municipales et locales, chargées de son exécution. Quand, en 1871, le Parlement leur retira ce pouvoir pour le conférer aux inspecteurs de fabrique, au ressort desquels il joignit ainsi d’un seul coup plus de cent mille ateliers et trois cents briqueteries, on prit en même temps soin de n’ajouter que huit subalternes à leur corps administratif déjà beaucoup trop faible [27].

Ce qui nous frappe donc dans la législation anglaise de 1867, c’est d’un côté la nécessité imposée au Parlement des classes dirigeantes d’adopter en principe des mesures si extraordinaires et sur une si large échelle contre les excès de l’exploitation capitaliste, et de l’autre côté l’hésitation, la répugnance et la mauvaise foi avec lesquelles il s’y prêta dans la pratique.

La Commission d’enquête de 1862 proposa aussi une nouvelle réglementation de l’industrie minière, laquelle se distingue des autres industries par ce caractère exceptionnel que les intérêts du propriétaire foncier (landlord) et de l’entrepreneur­capitaliste s’y donnent la main. L’antagonisme de ces deux intérêts avait été favorable à la législation de fabrique et, par contre, son absence suffit pour expliquer les lenteurs et les faux-fuyants de la législation sur les mines.

La Commission d’enquête de 1840 avait fait des révélations si terribles, si shocking, et provoquant un tel scandale en Europe que, par acquit de conscience, le Parlement passa le Mining Act (loi sur les mines) de 1842, où il se borna à interdire le travail sous terre, à l’intérieur des mines, aux femmes et aux enfants au-dessous de dix ans.

Une nouvelle loi, « The Mines lnspecting Act » (loi sur l’inspection des mines) de 1860, prescrit que les mines seront inspectées par des fonctionnaires publics, spécialement nommés à cet effet, et que de dix à douze ans, les jeunes garçons ne pourront être employés qu’à la condition d’être munis d’un certificat d’instruction ou de fréquenter l’école pendant un certain nombre d’heures. Cette loi resta sans effet à cause de l’insuffisance dérisoire du personnel des inspecteurs, des limites étroites de leurs pouvoirs et d’autres circonstances qu’on verra dans la suite.

Un des derniers livres bleus sur les mines : « Report from the select committee on Mines, etc., together with evidence », 13 juillet 1866, est l’œuvre d’un comité parlementaire choisi dans ’le sein de la Chambre des communes et autorisé à citer et à interroger des témoins. C’est un fort in-folio où le rapport du comité ne remplit que cinq lignes, rien que cinq lignes à cet effet qu’on n’a rien à dire et qu’il faut de plus amples renseignements ! Le reste consiste en interrogatoires des témoins.

La manière d’interroger rappelle les cross examinations (interrogatoires contradictoires) des témoins devant les tribunaux anglais où l’avocat, par des questions impudentes, imprévues, équivoques, embrouillées, faites à tort et à travers, cherche à intimider, à surprendre, à confondre le témoin et à donner une entorse aux mots qu’il lui a arrachés. Dans l’espèce les avocats, ce sont messieurs du Parlement, chargés de l’enquête, et comptant parmi eux des propriétaires et des exploiteurs de mines ; les témoins, ce sont les ouvriers des houillères. La farce est trop caractéristique pour que nous ne donnions pas quelques extraits de ce rapport. Pour abréger, nous les avons rangés par catégorie. Bien entendu, la question et la réponse correspondante sont numérotées dans les livres bleus anglais.

I. Occupation des garçons à partir de dix ans dans les mines. - Dans les mines, le travail, y compris l’aller et le retour, dure ordinairement de quatorze à quinze heures, quelquefois même de 3, 4, 5 heures du matin jusqu’à 4 et 5 heures du soir (nos 6, 452, 83). Les adultes travaillent en deux tournées, chacune de huit heures, mais il n’y a pas d’alternance pour les enfants, affaire d’économie (nos 80, 203, 204). Les plus jeunes sont principalement occupés à ouvrir et fermer les portes dans les divers compartiments de la mine ; les plus âgés sont chargés d’une besogne plus rude, du transport du charbon, etc. (nos 122, 739, 1747). Les longues heures de travail sous terre durent jusqu’à la dix-huitième ou vingt-deuxième année ; alors commence le travail des mines proprement dit (n° 161). Les enfants et les adolescents sont aujourd’hui plus rudement traités et plus exploités qu’à aucune autre période antérieure (nos 1663-67). Les ouvriers des mines sont presque tous d’accord pour demander du Parlement une loi qui interdise leur genre de travail jusqu’à l’âge de quatorze ans. Et voici Vivian Hussey (un exploiteur de mines) qui interroge :

« Ce désir n’est-il pas subordonné à la plus ou moins grande pauvreté des parents ? Ne serait-ce pas une cruauté, là où le père est mort, estropié, etc., d’enlever cette ressource à la famille ? Il doit pourtant y avoir une règle générale. Voulez-vous interdire le travail des enfants sous terre jusqu’à quatorze ans dans tous les cas ? »

Réponse : « Dans tous les cas » (nos 107-110).

Hussey : « Si le travail avant quatorze ans était interdit dans les mines, les parents n’enverraient-ils pas leurs enfants dans les fabriques ? - Dans la règle, non » (n° 174).

Un ouvrier : « L’ouverture et la fermeture des portes semble chose facile. C’est en réalité une besogne des plus fatigantes. Sans parler du courant d’air continuel, les garçons sont réellement comme des prisonniers qui seraient condamnés à une prison cellulaire sans jour. »

Bourgeois Hussey : « Le garçon ne peut-il pas lire en gardant la porte, s’il a une lumière ? » -

« D’abord il lui faudrait acheter des bougies et on ne le lui permettrait pas. Il est là pour veiller à sa besogne, il a un devoir à remplir ; je n’en ai jamais vu lire un seul dans la mine » (nos 141-160).

II. Éducation. - Les ouvriers des mines désirent des lois pour l’instruction obligatoire des enfants, comme dans les fabriques. Ils déclarent que les clauses de la loi de 1860, qui exigent un certificat d’instruction pour l’emploi de garçons de dix à douze ans, sont parfaitement illusoires. Mais voilà où l’interrogatoire des juges d’instruction capitalistes devient réellement drôle.

« Contre qui la loi est-elle le plus nécessaire ? contre les entrepreneurs ou contre les parents ? - Contre les deux »(n° 116).

« Plus contre ceux-ci que contre ceux-là ? - Comment répondre à cela ? » (n° 137).

« Les entrepreneurs montrent-ils le désir d’organiser les heures de travail de manière à favoriser la fréquentation de l’école ? - Jamais » (n° 211).

« Les ouvriers des mines améliorent-ils après coup leur instruction ? - Ils se dégradent généralement et prennent de mauvaises habitudes ; ils s’adonnent au jeu et à la boisson et se perdent complètement » (n° 109).

« Pourquoi ne pas envoyer les enfants aux écoles du soir ? - Dans la plupart des districts houillers il n’en existe aucune ; mais le principal, c’est qu’ils sont tellement épuisés du long excès de travail, que leurs yeux se ferment de lassitude... Donc, conclut le bourgeois, vous êtes contre l’éducation ? - Pas le moins du monde, etc. » (n° 443).

« Les exploiteurs des mines, etc., ne sont-ils pas forcés par la loi de 1860 de demander des certificats d’école, pour les enfants entre dix et douze ans ? La loi l’ordonne, c’est vrai ; niais ils ne le font pas » (n° 444).

« D’après vous, cette clause de la loi n’est donc pas généralement exécutée ? - Elle ne l’est pas du tout » (n° 717).

« Les ouvriers des mines s’intéressent-ils beaucoup à cette question de l’éducation ? - La plus grande partie » (n° 718).

« Désirent-ils ardemment l’application forcée de la loi ? - Presque tous » (n° 720).

« Pourquoi donc n’emportent-ils pas de haute lutte cette application ? - Plus d’un ouvrier désirerait refuser un garçon sans certificat d’école ; niais alors c’est un homme signalé (a marked mari) » (n° 721).

« Signalé par qui ?- par son patron » (n° 722).

« Vous croyez donc que les patrons persécuteraient quelqu’un parce qu’il aurait obéi à la loi ? - Je crois qu’ils le feraient » (n° 723).

« Pourquoi les ouvriers ne se refusent-ils pas à employer les garçons qui sont dans ce cas ? - Cela n’est pas laissé à leur choix » (n° 1634). « Vous désirez l’intervention du Parlement ? - On ne fera jamais quelque chose d’efficace pour l’éducation des enfants des mineurs, qu’en vertu d’un acte du Parlement et par voie coercitive » (n° 1636).

« Ceci se rapporte-t-il aux enfants de tous les travailleurs de la Grande-Bretagne ou seulement à ceux des ouvriers des mines ? - Je suis ici seulement pour parier au nom de ces derniers » (n° 1638).

« Pourquoi distinguer les enfants des mineurs des autres ? - Parce qu’ils forment une exception à la règle » (no 1639).

« Sous quel rapport ? - Sous le rapport physique » (n` 1640).

« Pourquoi l’instruction aurait­-elle plus de valeur pour eux que pour les enfants d’autres classes ? - Je ne prétends pas cela ; mais à cause de leur excès de travail dans les mines, ils ont moins de chances de pouvoir fréquenter les écoles de la semaine et du dimanche » (n° 1644).

« N’est-ce pas, il est impossible de traiter ces questions d’une manière absolue ? » (n° 1646).

« Y a-t-il assez d’écoles dans les districts ? – Non » II (n° 1647).

« Si l’Etat exigeait que chaque enfant fût envoyé à l’école, où pourrait-on trouver assez d’écoles pour tous les enfants ? - Je crois que, dès que les circonstances l’exigeront, les écoles naîtront d’elles-mêmes. La plus grande partie non seulement des enfants mais encore des ouvriers adultes dans les mines ne sait ni lire ni écrire » (nos 705, 726).

III. Travail des femmes. - Depuis 1842, les ouvrières ne sont plus employées sous terre, mais bien au-dessus, à charger et trier le charbon, à traîner les cuves vers les canaux et les wagons de chemins de fer, etc. Leur nombre s’est considérablement accru dans les trois ou quatre dernières années (n°1727). Ce sont en général des femmes, des filles et des veuves de mineurs, depuis douze jusqu’à cinquante et soixante ans (nos 645, 1779 ; n° 648).

« Que pensent les ouvriers mineurs du travail des femmes dans les mines ? - Ils le condamnent généralement » (n° 649).

« Pourquoi ? - Ils le trouvent humiliant et dégradant pour le sexe. Les femmes portent des vêtements d’hommes. Il y en a qui fument. Dans beaucoup de cas, toute pudeur est mise de côté. Le travail est aussi sale que dans les mines. Dans le nombre se trouvent beaucoup de femmes mariées oui ne peuvent remplir leurs devoirs domestiques. » (nos 651 et nos 709)

« Les veuves pourraient-elles trouver ailleurs une occupation aussi bien rétribuée (8 ou 10 shillings par semaine) ? - Je ne puis rien dire là-dessus. » (n° 710)

« Et pourtant vous seriez décidé à leur couper ce moyen de vivre ? (cœur de pierre !) - Assurément. » (n° 1715)

« D’où vous vient cette disposition ? - Nous, mineurs, nous avons trop de respect pour le sexe pour le voir ainsi condamné à la fosse à charbon... Ce travail est généralement très pénible. Beaucoup de ces jeunes filles soulèvent dix tonnes par jour. » (n° 1732)

« Croyez-vous que les ouvrières occupées dans les mines sont plus immorales que celles employées dans les fabriques ? - Le nombre des mauvaises est plus grand chez nous qu’ailleurs. » (n° 1733)

« Mais n’êtes-vous pas non plus satisfait de l’état de la moralité dans les fabriques ? - Non. » (n° 1734)

« Voulez-vous donc interdire aussi dans les fabriques le travail des femmes ? - Non, je ne le veux pas. » (no 1735) « Pourquoi pas ? - Le travail y est plus honorable et plus convenable pour le sexe féminin. » (n° 1736)

« Il est cependant funeste à leur moralité, pensez-vous ? - Mais pas autant, il s’en faut de beaucoup, que le travail dans les mines. Je ne parle pas d’ailleurs seulement au point de vue moral, mais encore au point de vue physique et social. La dégradation sociale des jeunes filles est extrême et lamentable. Quand ces jeunes filles deviennent les femmes des ouvriers mineurs, les hommes souffrent profondément de leur dégradation, et cela les entraîne à quitter leur foyer et à s’adonner à la boisson. » (n° 1737)

« Mais n’en est-il pas de même des femmes employées dans les usines ? - Je ne Puis rien dire des autres branches d’industrie. » (n° 1740)

« Mais quelle différence y a-t-il entre les femmes occupées dans les mines et celles occupées dans les usines ? - Je ne me suis pas occupé de cette question. » (n° 1741)

« Pouvez-vous découvrir une différence entre l’une et l’autre classe ? - Je ne me suis assuré de rien à ce sujet, mais je connais par des visites de maison en maison l’état ignominieux des choses dans notre district. » (n° 1750)

« N’auriez-vous pas grande envie d’abolir le travail des femmes partout où il est dégradant ? - Bien sûr... Les meilleurs sentiments des enfants doivent avoir leur source dans l’éducation maternelle. » (n° 1751)

« Mais ceci s’applique également aux travaux agricoles des femmes ? - Ils ne durent que deux saisons ; chez nous, les femmes travaillent pendant les quatre saisons, quelquefois jour et nuit, mouillées jusqu’à la peau ; leur constitution s’affaiblit et leur santé se ruine. » (n 1753)

« Cette question (de l’occupation des femmes), vous ne l’avez pas étudiée d’une manière générale ? - J’ai jeté les yeux autour de moi, et tout ce que je puis dire, c’est que nulle part je n’ai rien trouvé qui puisse entrer en parallèle avec le travail des femmes dans les mines de charbon... C’est un travail d’homme et d’homme fort... La meilleure classe des mineurs qui cherche à s’élever et às’humaniser, bien loin de trouver un appui dans leurs femmes, se voit au contraire par elles toujours entraînée plus bas. » Après une foule d’autres questions, à tort et à travers, de messieurs les bourgeois, le secret de leur compassion pour les veuves, les familles pauvres, etc., se révèle enfin : « Le patron charge certains gentlemen de la surveillance, et ceux-ci, afin de gagner sa bonne grâce, suivent la politique de tout mettre sur le pied le plus économique possible ; les jeunes filles occupées n’obtiennent que un shilling à un shilling six pence par jour, tandis qu’il faudrait donner à un homme deux shillings six pence. » (no 1816)

IV. Jury pour les morts occasionnées par les accidents clans les mines.- « Pour ce qui est des enquêtes du coroner dans vos districts, les ouvriers sont-ils satisfaits de la manière dont la justice procède quand des accidents surviennent ? - Non, ils ne le sont point du tout. » (no 361) « Pourquoi pas ? - Principalement parce qu’on fait entrer dans le jury des gens qui n’ont pas la moindre notion des mines. On n’appelle jamais les ouvriers, si ce n’est comme témoins. Nous demandons qu’une partie du jury soit composée de mineurs. A présent, le verdict est presque toujours en contradiction avec les dépositions des témoins. " (no 378) « Les jurys ne doivent-ils pas être impartiaux ? - Mais pardon, ils devraient l’être. » (no 379) « Les travailleurs le seraient-ils ? - Je ne vois pas de motifs pour qu’ils ne le fussent pas. Ils jugeraient en connaissance de cause. » (no 380) « Mais n’auraient-ils pas une tendance à rendre des jugements injustes et trop sévères en faveur des ouvriers et dans leur intérêt ? - Non, je ne le crois pas. »

V. Faux poids et fausse mesure, etc. - Les ouvriers demandent à être payés toutes les semaines et non tous les quinze jours ; ils veulent que l’on mesure les cuves au poids ; ils réclament contre l’usage de faux poids, etc., (n° 1071).

« Quand la mesure des cuves est grossie frauduleusement, l’ouvrier n’a-t-il pas le droit d’abandonner la mine, après en avoir donné avis quinze jours d’avance ? - Oui, mais s’il va à un autre endroit, il retrouve la même chose. » (n° 1072)

« Mais il peut bien quitter la place là où l’injustice est commise ? - Cette injustice règne partout. » (n° 1073)

« Mais l’homme peut toujours quitter chaque fois la place après un avertissement de quinze jours ? - Oui. »

Après cela il faut tirer l’échelle !

VI. Inspection des mines. - Les ouvriers n’ont pas seulement à souffrir des accidents causés par l’explosion des gaz (nos 234 et suiv.).

« Nous avons égaiement à nous plaindre de la mauvaise ventilation des houillères ; on peut à peine y respirer et on devient incapable de faire n’importe quoi. Maintenant, par exemple, dans la partie de la mine où je travaille, l’air pestilentiel qui y règne a rendu malades beaucoup de personnes qui garderont le lit plusieurs semaines. Les conduits principaux sont assez aérés, mais non pas précisément les endroits où nous travaillons. Si un homme se plaint de la ventilation à un inspecteur, il est congédié et, de plus, « signalé » ce qui lui ôte tout espoir de trouver ailleurs de l’occupation. Le « Mining Inspecting Act » de 1860 est un simple morceau de papier. L’inspecteur, et le nombre de ces messieurs est beaucoup trop petit, fait peut-être en sept ans une seule visite pour la forme. Notre inspecteur, septuagénaire invalide, surveille plus de cent trente mines de charbon. Outre les inspecteurs, il nous faudrait encore des sous-inspecteurs. » (n° 280)

« Le gouvernement doit-il donc entretenir une armée d’inspecteurs suffisante à faire tout sans le secours, sans les informations des ouvriers eux-mêmes ? - Cela est impossible, mais ils devraient venir prendre leurs informations dans les mines mêmes. » (n° 285)

« Ne croyez-vous pas que le résultat de tout cela serait de détourner la responsabilité des propriétaires et exploiteurs de mines Sur les fonctionnaires du gouvernement ? - Pas du tout ; leur affaire est d’exiger l ’exécution des lois déjà existantes. »(n° 294)

« Quand vous parlez de sous-inspecteurs, avez-vous en vue des gens moins bien rétribués que les inspecteurs actuels et d’un caractère inférieur ? - Je ne les désire pas le moins du monde inférieurs, si vous pouvez trouver mieux. » (n° 295)

« Voulez-vous plus d’inspecteurs ou une classe inférieure de gens comme inspecteurs ? - Il nous faut des gens qui circulent dans les mines, des gens qui ne tremblent pas pour leur peau. » (n° 296)

« Si l’on vous donnait, d’après votre désir, des inspecteurs d’espèce différente, leur manque d’habileté n’engendrerait-il pas quelques dangers ? etc. - Non, c’est l’affaire du gouvernement de mettre en place des sujets capables. »

Ce genre d’examen finit par paraître insensé au président même du comité d’enquête.

« Vous voulez, dit-il en interrompant son compère, des gens pratiques qui visitent les mines eux-mêmes et fassent ensuite un rapport à l’inspecteur, afin que celui-ci puisse alors appliquer sa science supérieure ? » (n° 531)

« La ventilation de toutes ces vieilles galeries n’occasionnera-t-elle pas beaucoup de frais ? - Les frais pourraient augmenter, mais bien des vies d’hommes seraient sauvegardées. » (n° 581)

Un mineur proteste contre la dix-septième section de l’acte de 1860 :

« A présent, quand l’inspecteur trouve une partie quelconque de la mine dans un état tel qu’on ne peut travailler, il doit en avertir le propriétaire et le ministre de l’Intérieur ; après quoi le propriétaire a vingt jours de réflexion ; passé ce sursis de vingt jours, il peut se refuser à toute espèce de changement. Mais s’il fait cela, il doit en écrire au ministre de l’Intérieur et lui proposer cinq ingénieurs des mines parmi lesquels le ministre a à choisir les arbitres. Nous soutenons que, dans ce cas, le propriétaire nomme lui-même son juge. » (n° 586)

L’examinateur bourgeois, propriétaire de machines lui-même :

« Ceci est une objection purement spéculative. » (no 588)

« Vous avez donc une bien faible idée de la loyauté des ingénieurs des mines ? - Je dis que cela est peu équitable et même injuste. » (n° 589)

« Les ingénieurs ne possèdent-­ils pas une ,sorte de caractère public qui élève leurs décisions au-dessus de la partialité que vous craignez de leur part ? - Je refuse de répondre à toute question sur le caractère personnel de ces gens-là. Je suis convaincu qu’ils agissent partialement dans beaucoup de cas, et qu’on devrait leur ôter cette puissance, là où la vie humaine est enjeu. »

Le même bourgeois a l’impudence de dire :

« Croyez-vous donc que les propriétaires de mines n’éprouvent aucune perte dans les explosions ? - Enfin, ne pouvez-vous pas, vous, ouvriers, prendre en main vos propres intérêts, sans faire appel au secours du gouvernement ? - Non. » (n° 1042)

Il y avait, en 1865, dans la Grande-Bretagne, trois mille deux cent dix-sept mines de charbon et douze inspecteurs. Un propriétaire de mines du Yorkshire (Times, 26 janvier 1867), calcule lui-même qu’en laissant de côté les travaux de bureau qui absorbent tout leur temps, ces inspecteurs ne pourraient visiter chaque mine qu’une fois tous les dix ans. Rien d’étonnant que dans ces dernières années les catastrophes aient augmenté progressivement sous le rapport du nombre et de la gravité, parfois de deux à trois cents victimes !

La loi très défectueuse passée par le Parlement en 1872 règle la première le temps de travail des enfants occupés dans les mines et rend les exploiteurs et propriétaires dans une certaine mesure responsables pour les prétendus accidents.

Une Commission royale, chargée en 1867 de l’enquête sur l’emploi des enfants, des adolescents et des femmes dans l’agriculture, a publié des rapports très importants. Plusieurs tentatives faites dans le but d’appliquer aussi à l’agriculture, quoique sous une forme modifiée, les lois de fabrique, n’ont jusqu’ici abouti à aucun résultat. Tout ce que nous avons à signaler ici, c’est la tendance irrésistible qui doit en amener l’application générale.

Cette généralisation, devenue indispensable pour protéger la classe ouvrière physiquement et moralement, hâte en même temps, comme nous l’avons déjà indiqué, la métamorphose du travail isolé, disséminé et exécuté sur une petite échelle, en travail socialement organisé et combiné en grand, et, par conséquent, aussi la concentration des capitaux et le régime exclusif de fabrique. Elle détruit tous les modes traditionnels et de transition, derrière lesquels se dissimule encore en partie le pouvoir du capital, pour les remplacer par son autocratie immédiate. Elle généralise en même temps la lutte directe engagée contre cette domination. Tout en imposant à chaque établissement industriel, pris à part, l’uniformité, la régularité, l’ordre et l’économie, elle multiplie, par l’énorme impulsion que la limitation et la régularisation de la journée de travail donnent au développement technique, l’anarchie et les crises de la production sociale, exagère l’intensité du travail et augmente la concurrence entre l’ouvrier et la machine. En écrasant la petite industrie et le travail à domicile, elle supprime le dernier refuge d’une masse de travailleurs, rendus chaque jour surnuméraires, et par cela même la soupape de sûreté de tout le mécanisme social. Avec les conditions matérielles et les combinaisons sociales de la production, elle développe en même temps les contradictions et les antagonismes de sa forme capitaliste, avec les éléments de formation d’une société nouvelle, les forces destructives de l’ancienne [28].

Notes

[1] L. c., p. XV, n.74 et suiv.

[2] Rep. of Insp. of Fact., 31 oct. 1865, p.96.

[3] On a trouvé par expérience qu’un individu moyen et bien portant consomme environ vingt-cinq pouces cubes d’air à chaque respiration d’intensité moyenne et respire à peu près vingt fois par minute. La masse d’air consommée en vingt-quatre heures par un individu serait, d’après cela, d’environ sept cent vingt mille pouces cubes ou de quatre cent seize pieds cubes. Or, on sait que l’air une fois expiré ne peut plus servir au même procès avant d’avoir été purifié dans le grand atelier de la nature. D’après les expériences de Valentin et de Branner, un homme bien portant parait expirer environ treize cents pouces cubes d’acide carbonique par heure. Il s’ensuivrait que les poumons rejettent en vingt-quatre heures environ huit onces de carbone solide. - Chaque homme, dit Huxley, devrait avoir au moins huit cents pieds cubes d’air.

[4] D’après la loi de fabrique, les parents ne peuvent envoyer leurs enfants au-dessous de quatorze ans dans les fabriques « contrôlées » sans leur faire donner en même temps l’instruction élémentaire. Le fabricant est responsable de l’exécution de la loi. « L’éducation de fabrique est obligatoire, elle est une condition du travail. » (Rep. of Insp. of Fact., 31 oct. 1865, p.11.)

[5] Pour ce qui est des résultats avantageux de ]’union de la gymnastique (et des exercices militaires pour les garçons) avec l’instruction obligatoire des enfants de fabrique et dans les écoles des pauvres, voir le discours de N. W. Senior au septième congrès annuel de la « National Association for the Promotion of social science », dans les « Reports of Proceedings », etc., (London, 1863, p.63, 64), de même le rapport des inspecteurs de fabrique pour le 31 oct. 1865, p.118, 119, 120, 126 et suiv.

[6] « Rep. of Insp. of Fact. (L.c. p.118.) Un fabricant de soie déclare naïvement aux commissaires d’enquête de la Child. Empl. Comm. : « Je suis convaincu que le vrai secret de la production d’ouvriers habiles consiste à faire marcher ensemble dès l’enfance le travail et l’instruction. Naturellement le travail ne doit ni exiger trop d’efforts, ni être répugnant ou malsain. Je désirerais que mes propres enfants pussent partager leur temps entre l’école d’un côté et le travail de l’autre. » (Child. Empl. Comm. V Rep., p.82, n.36.)

[7] Pour juger combien la grande industrie, arrivée à un certain développement, est susceptible, par le bouleversement qu’elle produit dans le matériel de la production et dans les rapports sociaux qui en découlent, de bouleverser également les têtes, il suffit de comparer le discours de N. W. Senior en 1863 avec sa philippique contre l’acte de fabrique de 1833, ou de mettre en face des opinions du congrès que nous venons de citer ce fait que, dans certaines parties de l’Angleterre, il est encore défendu à des parents pauvres de faire instruire leurs enfants sous peine d’être exposés à mourir de faim. Il est d’usage, par exemple, dans le Somersetshire, ainsi que le rapporte M. Snell, que toute personne qui réclame des secours de la paroisse doive retirer ses enfants de l’école. M. Wollaston, pasteur à Feltham, cite des cas où tout secours a été refuse à certaines familles parce qu’elles faisaient instruire leurs enfants !

[8] Là où des machines construites pour des artisans et mues par la force de l’homme sont en concurrence directe ou indirecte avec des machines plus développées et supposant par cela même une force motrice mécanique, un grand changement a lieu par rapport au travailleur qui meut la machine. A l’origine, la machine à vapeur remplaçait l’ouvrier ; mais dans les cas mentionnés, c’est lui qui remplace la machine. La tension et la dépense de sa force deviennent conséquemment monstrueuses, et combien doivent-elles l’être pour les adolescents condamnés à cette torture ! Le commissaire Longe a trouvé à Coventry et dans les environs des garçons de dix à quinze ans employés à tourner des métiers à rubans, sans parler d’enfants plus jeunes qui avaient à tourner des métiers de moindre dimension. « C’est un travail extraordinairement pénible ; le garçon est un simple remplaçant de la force de la vapeur. » (Child. Empl. Comm. V. Rep., 1855 , p.114, n.6.) Sur les conséquences meurtrières « de ce système d’esclavage », ainsi que le nomme le rapport officiel, v.1. c., pages suiv.

[9] L.c., p.3, n.24.

[10] L.c., p.7, n.59, 60.

[11] D’après le Statistical Account, on vit jadis, dans quelques parties de la haute Écosse, arriver avec femmes et enfants un grand nombre de bergers et de petits paysans chaussés de souliers qu’ils avaient faits eux-mêmes après en avoir tanné le cuir, vêtus d’habits qu’aucune autre main que la leur n’avait touches, dont la matière était empruntée à la laine tondue par eux sur les moutons ou au lin qu’ils avaient eux-mêmes cultivé. Dans la confection des vêtements, il était à peine entré un article acheté, à l’exception des alertes, des aiguilles, des dés et de quelques parties de l’outillage en fer employé pour le tissage. Les femmes avaient extrait elles-mêmes les couleurs d’arbustes et de plantes indigènes, etc. (Dugald Stewart, l. c., p.327.)

[12] Il doit aussi jurer qu’il ne fera point connaître à l’acheteur, pour faire valoir ses marchandises, les défauts de celles mal confectionnées, dans l’intérêt commun de la corporation.

[13] La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de travail et par cela même les rapports de la production et tout l’ensemble des rapports sociaux. Le maintien de leur mode traditionnel de production était au contraire la première condition d’existence de toutes les classes industrielles antérieures. Ce qui distingue donc l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est la transformation incessante de la production, l’ébranlement continuel des situations sociales, l’agitation et l’incertitude éternelles. Toutes les institutions fixes, rouillées, pour ainsi dire, se dissolvent avec leur cortège d’idées et de traditions que leur antiquité rendait respectables, toutes les nouvelles s’usent avant d’avoir pu se consolider. Tout ce qui paraissait solide et fixe s’évapore, tout ce qui passait pour saint est profané, et les hommes sont enfin forcés d’envisager d’un oeil froid leurs diverses positions dans la vie et leurs rapports réciproques. » (F. Engels und Karl Marx : Manifest der Kommunistischen Partei. London, 1848, p.5.)

[14] « Tu prends ma vie si tu me ravis les moyens par lesquels je vis. » (Shakespeare.)

[15] Un ouvrier français écrit à son retour de San Francisco : « Je n’aurais jamais cru que je serais capable d’exercer tous les métiers que j’ai pratiqués en Californie. J’étais convaincu qu’en dehors de la typographie je n’étais bon à rien... Une fois au milieu de ce monde d’aventuriers qui changent de métier plus facilement que de chemise, je fis, ma foi, comme les autres. Comme le travail dans les mines ne rapportait pas assez, je le plantai là et me rendis à la ville où je fus tour à tour typographe, couvreur, fondeur en plomb, etc. Après avoir ainsi fait l’expérience que je suis propre à toute espèce de travail, je me sens moins mollusque et plus homme. »

[16] Vers la fin du XVII° siècle, John Bellers, l’économiste le plus éminent de son temps, disait de l’éducation qui ne renferme pas le travail productif : « La science oisive ne vaut guère mieux que la science (le l’oisiveté... Le travail du corps est une institution divine, primitive... Le travail est aussi nécessaire au corps pour le maintenir en santé que le manger pour le maintenir en vie ; la peine qu’un homme s’épargne en prenant ses aises, il la retrouvera en malaises... Le travail remet de l’huile dans la lampe de la vie ; la pensée y met la flamme. Une besogne enfantine et niaise laisse à l’esprit des enfants sa niaiserie. » (John Bellers : Proposals for raising a College of Industry of all useful Trades and Husbandry. London, 1696, p.12, 14, 18.)

[17] « Child. Empl. Comm. V Rep. », p. XXXV, n.162, et Il Rep., p. XXXVIII, n.285, 289, p. XXXV, n.191.

[18] V. F. Engels, l.c., p. 152, 178-83.

[19] « Le travail de fabrique peut être pur et bienfaisant comme l’était jadis le travail domestique, et même à un plus haut degré. » (Reports of Insp. of Fact. 31 st. oct. 1865, p.127.)

[20] L.c., p.27, 32.

[21] On trouve là-dessus de nombreux documents dans les « Reports of Insp. of Fact. ».

[22] « Child. Empl. Comm. V Rep. », p.IX, n.35.

[23] L.c., n.28.

[24] L.c., n.165-167. - Voy. Sur les avantages de la grande industrie comparée à la petite, « Child. Empl. Comm. III Rep. », p.13, n. 144 ; p.25, n.121 ; p.26, n.125 ; p. 27, n.140, etc.

[25] Child. Empl. Comm. V Rep., 1866, p. XXV, n.169.

[26] Senior, l.c., p.320.

[27] Ce personnel se composait de deux inspecteurs, deux inspecteurs adjoints et quarante et un sous-inspecteurs. Huit sous-inspecteurs additionnels furent nommés en 1871. Tout le budget de cette administration qui embrasse l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande, ne s’élevait en 1871-72 qu’à vingt-cinq mille trois cent quarante-sept livres sterling, y inclus les frais légaux causes par des poursuites judiciaires des patrons en contravention.

[28] Robert Owen, le père des fabriques et des boutiques coopératives, qui cependant, comme nous l’avons déjà remarqué, était loin de partager les illusions de ses imitateurs sur la portée de ces éléments de transformation isolés, ne prit pas seulement le système de fabrique pour point de départ de ses essais ; il déclara en outre que c’était là théoriquement le point de départ de ta révolution sociale. M. Vissering, professeur d’économie politique à l’Université de Leyde, semble en avoir quelque pressentiment ; car on le voit dans son ouvrage « Handboek van Praktische Staatshuiskunde » (1860-1862), lequel reproduit sous une forme ad hoc les platitudes de l’économie vulgaire, prendre fait et cause pour le métier contre la grande industrie.

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