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La complexité du vivant construite par la destruction

jeudi 26 juin 2008, par Robert Paris

Exposons le lien que Jean Claude Ameisen établit entre le suicide cellulaire et la construction progressive de la complexité du vivant.
Pour cela rappelons d’abord que loin d’être un exemple de stabilité, la vie est fondée sur l’instabilité. La vie est un phénomène sans cesse en mouvement depuis le jour de la fécondation de l’oeuf. Nous ne sommes jamais exactement le même, ne serait-ce que parce que nos cellules changent sans cesse. Chaque jour, plus de cent milliards de nos cellules se dédoublent, soit en moyenne plusieurs millions par seconde. L’équilibre est rétabli pour nous éviter de doubler notre volume à chaque fois par une apoptose massive et continuelle. En même temps plus de cent milliards de nos cellules s’autodétruisent. Cette apoptose massive est insensible parce que les cellules mortes ne provoquent aucune lésion, la cellule les détruisant elle-même pour l’essentiel et les cellules voisines absorbant le reste des matériaux. Destruction et construction sont des processus couplés en permanence. Le corps vivant n’est pas fait une fois pour toutes, il se détruit et se construit sans cesse selon un automatisme d’une agitation qui nous étonne. Lorsque nous bâtissons une maison nous ne passons pas notre temps à en démolir jusqu’aux briques élémentaires à chaque instant. C’est pourtant ce que fait la vie.
Nous allons voir que c’est ce qui permet au vivant d’être aussi durable mais aussi d’être aussi complexe. On peut dire que ce processus va emmêler tous les fils de fabrication au point qu’il est difficile de les démêler ensuite.
Et d’abord ce processus permet la diversification puisqu’il offre de produire toutes les liaisons biochimiques que les éléments donnés permettent. Le résultat va être une majorité de molécules inadéquates que des protéines dites chaperons vont immédiatement éliminer. Elles aussi sont des modes de reconnaissance du non-soi comme le sont les lymphocytes T. Théoriquement ces protéines chaperon devraient empêcher toute évolution. C’est oublier que tout mécanisme a au sein du vivant un ou plusieurs mécanismes d’inhibition et c’est ici encore le cas. En cas d’agression chimique ou de changement brutal de température, les protéines chaperon sont inhibées et les évolutions permises par le matériel génétique peuvent se développer et survivre si elles sont viables. Le changement est permanent à toutes les échelles puisque chaque individu a des molécules qui n’ont jamais existé auparavant. Encore une fois, il n’y a aucun plan préalable de chaque molécule. C’est par tâtonnement qu’elle est fabriquée en fonction des conditions et même des circonstances locales avec une part de hasard.
De là découle la diversification des cellules comme celle des espèces. Chaque évolution donne un individu qui semble stable et figé parce que chaque évolution est conservée momentanément par son propre système de protection du soi et son système de reproduction de ses éléments et de son fonctionnement. Mais c’est la stabilité dans l’instabilité puisque c’est toujours la production de quantité de matériaux qui vont s’avérer inutiles qui est la base du processus du vivant.
A force de détruire et de reconstruire, les matériaux vont s’emmêler au point que l’on est bien incapables de dire au départ lors de quel processus ils avaient été conçus. Et je me garde bien de dire pour quelle fonction puisque aucun d’entre eux ne correspond à un projet préétabli mais seulement à la production de toutes les liaisons biochimiques possibles.
Comment tous ces processus sont-ils aptes à interagir ? La raison en est la propriété des cascades de rétroaction d’être des phénomènes chaotiques c’est-à-dire sensibles aux conditions initiales. Rappelons tout d’abord que la vie est fondée sur des réactions en chaînes et en cycles que l’on appelle des rétroactions parce que le produit de la réaction est un élément qui décide si telle ou telle réaction va suivre. Par exemple la protéine produite en trop grande quantité va déclencher un processus inverse qui la consomme et bloque le processus par lequel le gène la produit. Il s’agit encore une fois de la fameuse inhibition de l’inhibition. Ces chaînes de réaction sont sans cesse en train de se coupler à l’infini puisqu’elles possèdent en commun un ou plusieurs produits de leur réaction. Les molécules produites ont la capacité de se lier à d’autres, modifiant ainsi le résultat de la réaction, activant ou désactivant celle-ci. Ces couplages multiples entre réactions sont la base même du vivant comme le langage avec des zéros et des uns est la base des ordinateurs. Mais le langage du vivant a une particularité par rapport à l’informatique : il écrit et lit tout seul et il créé sans cesse de la nouveauté de façon automatique.
Ce sont les liaisons entre molécules qui permettent ce ballet permanent et cet échange d’informations à grande vitesse. Les molécules de la biochimie ont la capacité de créer entre elles des liaisons souples et peu coûteuses en énergie, liaisons capables de se défaire aussi rapidement. Les liaisons sont fondées sur la position dans l’espace à trois dimensions de la molécule et par la forme chimique de ses terminaisons ce qui permet non seulement une infinité de liaisons à une même molécule mais aussi lui permet de changer de liaisons en changeant de forme dans l’espace. Le pliage et le dépliage de ces macromolécules se fait de façon automatique en fonction de l’environnement et s’adapte donc parfaitement aux besoins. Ainsi, la modification de l’espace disponible ou de la température va modifier la forme de la protéine. C’est par exemple ce qui se produit pour la protéine chaperon en cas d’agression.

Cette voie spontanée de l’interaction au sein du vivant s’appelle la complexification. Elle concerne aussi bien les unicellulaires que les pluricellulaires. Tous sont des êtres complexes.
On a longtemps eu le tort de considérer les unicellulaires comme simples en les examinant comme des individus isolés. Mais comme une cellule, l’unicellulaire ne peut survivre à son propre suicide que s’il reçoit des messages adéquats de ses congénères. D’où la nécessité pour ceux-ci de vivre en colonie. D’où aussi la forme des ces colonies très organisée et dont la structure est encore une fois pilotée par l’apoptose. Les cellules mal situées pour donner le maximum de nourriture à la colonie ne recevant plus les messages de survie vont se suicider. Il y a donc au sein des colonies d’unicellulaires un processus d’auto-organisation aussi complexe qu’au sein d’un être vivant pluricellulaire avec des messages, des échanges et une structuration.
Et ce processus d’apoptose a aussi la particularité de sélectionner au sein des multiples possibilités du matériel génétique.
Je prends un exemple donné par Ameisen, celui du parasite Trypanosome qui est cause de la maladie de Chagas qui paralyse nerfs, cœur et muscles.
Ce parasite reçoit du matériel génétique la possibilité de se transformer en trois familles différentes de cellules. Il produit sans cesse cette diversité et détruit les formes inadéquates en fonction du milieu où il réside. Pour subsister il lui faut régulièrement changer de famille et donc de milieu. Il passe du corps d’un homme à celui d’un insecte, de la température de 37° à celle de 25°. C’est par le sang et la piqûre de moustique que le parasite circule sans cesse entre ses diverses formes. La température est un signal de survie qui détermine quels types de cellules doivent survivre.
D’autre part cette capacité de vivre en parasite est l’une des formes de la complexification du vivant. C’est sans doute cette forme qui a donné la cellule de l’être pluricellulaire, la cellule à noyau et à centre d’énergie. Ces deux organes de la cellules sont sans doute le résultat d’un parasitisme d’un unicellulaire par d’autres unicellulaires. En tout cas l’association et le copilotage est une constante des cascades de rétroactions qui fondent toute la biologie.

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