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Biologie du vivant : le figé crée la variété

jeudi 26 juin 2008, par Robert Paris

« Avec chaque niveau d’organisation, apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logiques. (…) Une dialectique fait s’interpénétrer les contraires et s’engendrer la qualité et la quantité. »

François Jacob dans « La logique du vivant »

Qu’est-ce que le vivant, Michel Morange, le film

La manière dont on conçoit les modifications génétiques a considérablement changé. On croyait l’ADN fixé d’avance ce qui signifiait que l’individu était prédéterminé au sein d’une espèce, indépendamment du fonctionnement individuel de son développement embryonnaire. On sait maintenant que ce qui compte n’est pas seulement le contenu biochimique d’une portion de l’ADN, mais surtout le processus qui enclenche l’expression des gènes. L’ADN a un fonctionnement très souple, capable de nombreuses modifications. Ces souplesses proviennent à la fois de ces gènes qui peuvent être activés ou inhibés et aussi de bouts de l’ADN qui ne sont pas des gènes, mais sont introduits au sein du code génétique de manière répétitive et sont capables, en se déplaçant au sein du message, d’entraîner des variations possibles des ordres et des protéines produites, ce qui modifie la régularité et la fonctionnalité des gènes. Avec le même ADN, on peut avoir des changements radicaux si des segments du message ne sont activées que par moment ou sont inhibées. Cela change la vision des changements possibles car on ne croyait possibles et viables que de toutes petites mutations du capital génétique.

Rappelons l’apport important du généticien François Jacob avec les premières découvertes sur le mode d’organisation des gènes entre eux par des rétroactions, avec la notion de gène régulateur (répresseur ou activateur). Il avance l’idée d’une cybernétique spontanée du matériel génétique et celle du bricolage de l’évolution opposée à celle, conventionnelle, du progrès évolutif par adaptation. C’est une véritable révolution conceptuelle qu’il a pressentie. Ces idées sont reprises aujourd’hui. Cette fois elles ne se fondent pas seulement sur des études en paléontologie, mais sur des découvertes très importantes en génétique, en particulier sur les cellules embryonnaires et sur le mode de fonctionnement des gènes du développement. C’est grâce aux travaux d’Edward Lewis, puis plus récemment de Walter Ghering que l’on a pu étudier le fonctionnement des gènes homéotiques, ces gènes qui pilotent le développement, c’est-à-dire la formation d’un organisme, de la première cellule à l’embryon, puis du foetus à l’être formé. Les changements d’espèces correspondants à des modifications du rythme des phases de croissance, ou hétérochromies, sont dus à des mutations sur ces gènes homéotiques. Une des découvertes fondamentales de ces chercheurs est celle des gènes de régulation, qui pilotent des milliers de gènes et contrôlent du coup tout le fonctionnement de l’être vivant. C’est un point fondamental pour la question de l’évolution, car ces gènes ne pilotent pas simplement un caractère ou un organe mais une quantité de caractères. Ils pilotent de manière organisée un grand nombre de gènes de structure. Un changement sur un gène de régulation peut entraîner une modification d’ensemble de l’être vivant. On peut parler là de révolution génétique, par opposition à la thèse de l’évolution génétique graduelle, selon laquelle les sauts à grande échelle seraient une somme de changements à petite échelle. Cela apporte de l’eau au moulin de la thèse de Gould selon laquelle, je le cite : « la spéciation se ferait en quelques centaines ou milliers d’années soit une microseconde en temps géologiques » (thèse qu’il expose notamment dans son ouvrage « Darwin ou les grandes énigmes de la vie »). Gould a ainsi dissocié l’évolution au sein de l’espèce fondée sur des micromutations et l’évolution passant d’une espèce à une autre qui est une macromutation appelée spéciation et qui est une discontinuité. La spéciation serait en effet fondée sur un saut du fonctionnement génétique concernant à la fois des centaines ou des milliers de gènes dont le fonctionnement serait perturbé par un ou deux remaniements des gènes de régulation.
Il faut également citer un travail très récent, celui de Suzanne Rutherford et Susan Lindquist, qui a permis de comprendre comment le milieu pouvait entraîner des explosions de biodiversité. En effet, le même matériel génétique a de nombreuses potentialités, mais une seule est exprimée du fait que des protéines de protection empêchent cette diversité de s’exprimer. En cas de choc thermique, le stress agit sur ces protéines dites chaperon et la barrière est levée. Le milieu agit donc directement sur l’évolution, pour la favoriser, mais cette action ne va pas dans le sens d’une modification visant à répondre au changement du milieu ni d’une adaptation. Ce qui se réalise n’est pas une modification qui permet de mieux vivre dans le nouvel environnement mais une variation qui était déjà incluse dans les potentialités du matériel génétique. Le changement brutal n’a fait que les libérer. Ces deux chercheuses ont montré que, contrairement aux apparences, l’espèce est une forme régulière mais instable et susceptible d’importantes modifications brutales et pas seulement de toutes petites modifications insensibles.
En somme, on en vient à l’idée que la diversité est en nous, même si elle est contrôlée. Elle ne s’exprime que dans des circonstances de crise provoquées par le stress et causées par une action brutale de l’environnement. Cela signifie que le même capital génétique permettrait de nombreuses variations qui ne se réalisent pas en temps normal et que seul un stress intense permet d’exprimer. C’est quand même assez rassurant de savoir que la grenouille ou la souris ou toute autre bête qui dort en nous ne devrait pas apparaître !
En ce qui concerne l’évolution, ce processus est très différent d’une variation régulière et continue. Les contraintes causeraient une certaine durabilité, sur des centaines de millions d’années et dans des circonstances particulières, la diversité exploserait en quelques centaines de milliers d’années, ce qui est relativement court.

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