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Fonctionnement hiérarchisé et non-linéaire des gènes

jeudi 26 juin 2008, par Robert Paris

Cherchons maintenant où sont les fractales du fonctionnement génétique. On a montré précédemment que les fractales permettent une régulation de la transmission d’énergie ou d’information. On les trouve donc dans les mécanismes d’homéostasie. L’homéostasie est le processus qui permet au corps d’être maintenu à un niveau à peu près stable, ou presque cyclique, en termes de température, de pression ou de concentration de produits chimiques. Elle se réalise par des régulations internes fondées sur une cybernétique des rétroactions et des synchronisations de rythmes, c’est-à-dire par des mécanismes chaotiques qui sont des boucles de rétroaction. Eh bien, pour les processus génétiques et moléculaires, il y a également une homéostasie c’est-à-dire un mécanisme de régulation qui contrôle les variations d’expression des gènes. Pour un gène, s’exprimer signifie synthétiser des protéines. Les gènes n’agissent pas tout le temps mais à un moment qui leur est indiqué par d’autres gènes qui les pilotent, des gènes qui les excitent ou les inhibent et aussi des gènes qui augmentent ou diminuent leur activité. Ce sont des horloges internes moléculaires. Par exemple, la sécrétion des hormones est pulsatile et rythmique. C’est une autorégulation de ces gènes par leur produit qui induit ses variations. L’interaction des protéines constitue un pacemaker, c’est-à-dire un batteur de rythme, avec alternance de chaos et d’un double rythme et avec la présence d’un attracteur étrange.
L’image de la génétique qui en résulte est très différente de celle qui a dominé dans les débuts de la génétique moléculaire où le réductionnisme triomphait. Comme l’explique Stephen Jay Gould dans « Un hérisson dans la tempête » : « La découverte par Watson et Crick de la double hélice de l’ADN a été une incontestable révolution mais la conception linéaire qui en résulte selon laquelle l’ADN produit l’ARN qui produit les protéines dans une relation à sens unique a été détrônée par une nouvelle révolution de la génétique dans laquelle le génome n’est pas un ensemble inerte de perles enfilées à la suite les unes des autres. Le génome est au contraire fluide et mobile. Il ne cesse de se modifier qualitativement et quantitativement et comprend un grand nombre de systèmes hiérarchisés de régulation et de contrôle. Les gènes se composent d’éléments détachables et une nouvelle donne de leurs segments peut produire des combinaisons nouvelles. Certains gènes peuvent s’exciser eux-mêmes d’un chromosome et se porter à d’autres endroits du génome. Ce déplacement est appelé une transposition. Quand ces éléments transposables sont des gènes qui jouent un rôle régulateur qui active ou désactive un certain nombre de gènes voisins, leur déplacement vers d’autres zones peut avoir un effet déterminant sur le contrôle du développement et sur sa programmation dans le temps. » Nous en parlerons à propos des hétérochronies ou modification des régulations des horloges du développement. On conçoit aujourd’hui de multiples moyens pour modifier le message génétique que l’on croyait stable, les voies pour constituer une hybridation de l’ADN : le messager peut devenir le deuxième brin d’un ADN.
C’est en 1950 que la généticienne Barbara Mac Clintock, a découvert les premiers éléments transposables du génome en étudiant les grains de maïs, mais sa découverte a été longtemps rejetée. Elle est aussi la première à avoir suggéré qu’il pouvait y avoir interaction entre le code génétique et le produit du code, c’est-à-dire les protéines, ce qui était complètement en contradiction avec le dogme dominant.
Les gènes que les cellules utilisent pour ordonner la synthése des protéines constituent moins de 20% de l’ADN. 98 % du génome est formé de séquences régulatrices et non codantes, c’est-à-dire qui ne sont pas des gènes et ne produisent pas de protéines. D’un point de vue néo-darwinien classique cette quantité de matériel génétique inutile ou inactif ne devrait pas exister. En fait, une partie des séquences restantes sert à activer ou inhiber ces gènes ; ce sont des gènes dits commutateurs qui permettent à d’autres gènes d’exprimer leur fonction. Contrairement à ce que l’on croyait, le reste du filament n’est pas constitué de séquences inutiles mais d’éléments qui donnent au code sa variabilité et sa fonctionnalité. Cela casse le dogme de l’immuabilité du génome. D’autre part, il y a une grande mobilité de l’ADN due à des séquences capables de changer de place : les transposons.
La redondance dans l’ADN, avec de nombreuses séquences non codantes qui se répètent appelées des satellites, fournit la flexibilité nécessaire aux grands changements. Ces séquences peuvent facilement changer de position, elles sont transposables et représentent plus de 10% du génome. Leur rôle n’est pas tant dans leur message mais dans leur position. Le rapport entre ces éléments transposables, les introns, et le codage des protéines est le suivant : en changeant de place dans le code génétique elles modifient le message transposé sous forme de codons c’est-à-dire par groupe de trois bases. Les déplacements de parties transposables du message peuvent modifier la régulation des gènes ou entraîner des remaniements chromosomiques.
Quel est le rapport entre cette souplesse due aux déplacements d’introns et la dynamique fractale ? Une étude réalisée en 1994 par Golberger et Hausdorff, montre le rôle des petits éléments transposables qui introduisent des fluctuations du type chaos fractal. Le graphique indique le déplacement d’un nucléotide au sein de l’ADN, déplacement dû au mouvement des introns. Comme on le constate, la macromolécule de la vie est bien une fractale avec auto-similarité à plusieurs échelles.
De plus, contrairement là aussi à ce que l’on croyait, on a découvert l’existence de protéines qui interagissent avec les gènes homéotiques, c’est-à-dire directement sur l’ADN. Enfin une protéine peut avoir diverses fonctions suivant la manière dont le filament d’ADN est replié. Cela signifie que peu de protéines régulatrices, donc peu de gènes du développement, suffisent à réguler de nombreuses fonctions.
Les mécanismes de régulation des gènes homéotiques interviennent dans les trois dimensions de l’espace. Expliquons l’importance de la forme des protéines, également en trois dimensions. En effet, les molécules auxquelles elles peuvent se lier pour jouer le rôle d’enzyme des réactions sont celles qui ont une forme volumique où la protéine s’emboîte exactement. Or, on constate que les protéines ont une surface fractale, propriété démontrée par Michelle Lewis et exposée dans un numéro du magazine américain « Science » datant de 1985.
Ce phénomène est épigénétique c’est-à-dire en surface du génétique. Cela signifie que ce qui compte n’est pas seulement le contenu chimique des gènes mais la forme des macromolécules. On se trouve en présence d’une cascade d’interactions entre différenciation et forme : une différenciation entraîne une modification de la forme qui produit une nouvelle différenciation, etc... C’est un contrôle épigénétique du développement. Cette interaction avec influence de la forme est une régulation topo-biologique, comme le dit Edelman. On est très loin de l’idée de programmation du type ordinateur qui avait été utilisée pour représenter l’ADN. Un programme informatique est quelque chose de figé et qui n’évolue pas. Le processus est programmé parce qu’il agit sous la dépendance de gènes. Pourtant il est fondé sur un processus aléatoire à un niveau différent, celui des interactions cellulaires et moléculaires. Avec la diversification, le même ADN, le même programme génétique peut produire des cellules diverses suivant les messages reçus des autres cellules. Donc l’histoire suivie par les cellules n’est pas strictement déterminée par les gènes. Il s’agit d’un déterminisme fondé sur le hasard.
La meilleure preuve que le processus n’est pas figé est la diversification cellulaire à partir du même bagage génétique. Différentes combinaisons des mêmes gènes fabriquent différentes sortes de cellules. Comment les cellules savent-elles de quel type elles doivent être suivant leur place dans le corps ? Comment le développement parvient-il à donner une boussole au processus de diversification cellulaire, à lui dire comment distinguer l’avant de l’arrière, la gauche de la droite, ou le haut du bas ?
La mise en place des grands axes du corps (polarité avant/arrière, ventrale/dorsale, symétrie et asymétrie droite/gauche) est sous la dépendance de produits dont le mode d’intervention dans le développement se ferait selon les lois de diffusion oscillante, du même type que la réaction chimique de rétroaction appelée BZ. Cette diffusion possède des effets de seuil qui sont discrets, c’est-à-dire que c’est une succession de points sans continuité entre eux. On arrive là au modèle de Turing. Ce dernier, dans un article fondamental, démontrait en 1952 les bases chimiques de la morphogenèse. Quelques produits activateurs et inhibiteurs peuvent produire des différences de concentration dans l’espace. C’est un système de concentration/diffusion. Cette thèse fait intervenir des événements du type bifurcation au sein d’un système auto-organisé. Une diversification va se produire et s’organiser collectivement par zones. Ces structures spatiales sont appelées des structures de Turing. Ce modèle mathématique explique notamment les différentes sortes de motifs des pelages d’animaux.
Les mécanismes dont nous venons de donner des exemples permettent de concevoir de quelle manière des réactions chimiques servent de régulateur à l’orientation des formes. La conception figée d’un programme génétique qui ne pouvait qu’être lu est abandonnée pour une conception dynamique de la relation entre le texte de l’ADN et les molécules qui en sont les lecteurs. Loin d’être figé, l’ADN a la capacité de se transformer et même de s’enrichir. Par exemple deux molécules d’ADN peuvent se conjuguer. La conjugaison est une fonction qui existe en permanence au sein du matériel génétique et peut être activée ou inhibée.
Le rôle de l’ADN, en tant que programme, se trouve très relativisé au profit de l’épigénétique, impliquant des interactions moléculaires et tissulaires. Cela change l’histoire des tissus, entraîne l’apparition d’une forme, d’une morphogenèse en trois dimensions conçue comme brisure spontanée de symétrie. On appelle brisure de symétrie l’apparition d’une nouvelle dimension dans un phénomène. C’est par exemple le cas dans la segmentation du corps embryonnaire. C’est encore le cas lors de l’apparition des bras puis des doigts qui sont des brisures de symétrie. C’est ce qui explique comment dans la multiplication cellulaire apparemment identique dans toutes les directions, une orientation particulière est donnée à la forme.

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