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Pourquoi Bohr et Heisenberg rejettent la dialectique des contradictions ?

vendredi 3 avril 2020, par Robert Paris

Pourquoi Bohr et Heisenberg rejettent la dialectique des contradictions ?

Pourquoi Bohr et Heisenberg, fondateurs de la physique quantique, ont choisi le dualisme, l’indéterminisme, le renoncement à la connaissance du monde, tout plutôt que le matérialisme dialectique ?

Pourquoi la quantique, pourtant véritable démonstration de la réalité des contradictions non diamétrales et du fait que le tout n’est pas la somme des parties, a rejeté la contradiction dialectique ? Alors que les quanta apportaient une preuve patente du caractère dialectique de la nature, Bohr et Heisenberg (ainsi que l’ensemble de leurs adeptes qui allait s’appeler l’école de Copenhague et longtemps diriger la physique mondiale) en avaient décidé autrement et choisirent d’effacer les traces de toute contradiction dialectique en parlant de « complémentarité », de « dualité », d’« incertitude », d’ « indéterminisme », de « réduction du paquet d’ondes » et d’« observables expérimentaux » … Nous verrons que ce choix n’est pas précisément dû à des idées scientifiques mais d’abord sociales et politiques puis idéologiques et philosophiques, parce que la dialectique signifiait le marxisme et le communisme et qu’Heisenberg comme Bohr étaient des adversaires résolus de la révolution sociale… Ce qui se discute là n’est pas la validité des découvertes de la physique quantique mais leur interprétation philosophique, qui est elle est plus que discutable. Nous pensons même qu’on peut dire qu’elle a été complètement invalidée par le progrès de… la physique quantique elle-même.

Accusation gratuite, celle d’avoir voulu dissimuler les contradictions ? Donnons la parole à Heisenberg lui-même dans « Physique et Philosophie » :

« Quelles étaient ces question ? Pratiquement toutes concernaient les étranges contradictions qui semblaient surgir entre les résultats d’expériences diverses. Comment se faisait-il que le même rayonnement qui produisait des franges d’interférences – et devait être constitué d’ondes – produisait aussi l’effet photoélectrique etd evait donc consister en corpuscules en mouvement ? (…) Chaque fois, on constatait que la tentative pour décrire à l’aide de la physique classique ce qui se passe dans l’atome menait à des contradictions. Peu à peu, au cours des années qui ont suivi 1920, les physiciens s’habituèrent à ces difficultés, acquirent une certaine connaissance des points où ils s’y heurtaient et apprirent à éviter les contradictions… Cela ne suffisait pas pour formuler une image générale cohérente de ce qui se passait dans ce processus quantique, mais cela changea à tel point la mentalité des physiciens qu’ils se mirent en quelque sorte dans l’esprit de la théorie quantique… Le plus étrange de ces années-là fut que les paradoxes de la théorie des quanta ne disparurent pas pendant ce processus de clarification ; au contraire, ils devinrent encore plus marqués et passionnants… L’on s’est trouvés donc finalement devant un formalisme mathématique cohérent que l’on pouvait définir de deux manières équivalentes en partant soit des relations entre matrices, soit des fonctions d’ondes. Ce formalisme donnait les valeurs énergétiques correctes… Mais comment le nouveau formalisme décrivait-il l’atome ? Les paradoxes du dualisme entre image ondulatoire et image corpsuculaire n’étaient pas résolus : on les avait en quelque sorte dissimulés dans l’édifice mathématique. »

Nous essaierons de renverser un autre point sur lequel court une idée fausse, celle selon laquelle Bohr et Heisenberg seraient les révolutionnaires de la pensée et Planck, Einstein, Schrödinger ou de Broglie seraient les tenants du conservatisme philosophique. C’est le contraire qui est vrai !

A quoi Planck, Einstein ou Schrödinger restaient attachés à l’opposé de Bohr et Heisenberg ? Ecoutons les…

Schrödinger, qui avait développé son idée du « chat de Schrödinger » pour contrer la thése de Copenhague, écrit :

« Le but d’une description scientifique est non pas d’établir une simple chronique des faits, mais de valider des énoncés du type ’’à chaque fois qu’il arrive ceci, il arrive ensuite cela’. »

Louis de Broglie, dans « Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l’œuvre d’Albert Einstein » :

« Bientôt M. Bohr allait la résumer en introduisant la curieuse, mais un peu trouble, notion de « complémentarité » suivant laquelle le corpuscule et l’onde sont des « aspects complémentaires de la réalité » qui se complètent en s’excluant, chacun de ces deux aspects ne se manifestant dans l’expérience qu’au détriment de l’autre. En s’orientant vers de telles conceptions, on s’éloignait évidemment complètement de la représentation synthétique des corpuscules et des champs dans le cadre de l’espace et du temps qu’avait rêvée Einstein… »

Loin de s’avouer battu, Einstein écrivait en 1949 :

« Les physiciens contemporains sont convaincus qu’il est impossible de rendre compte des traits essentiels des phénomènes quantiques (changements apparemment discontinus et non déterminés dans le temps de l’état d’un système, propriétés à la fois corpusculaires et ondulatoires des entités énergétiques élémentaires) à l’aide d’une théorie qui décrit l’état réel des choses au moyen de fonctions continues soumises à des équations différentielles. [...] Surtout, ils croient que le caractère discontinu apparent des processus élémentaires ne peut être représenté qu’au moyen d’une théorie d’essence statistique, où les modifications discontinues des systèmes seraient prises en compte par des modifications continues des probabilités relatives aux divers états possibles. »

Lorentz, Planck, Einstein, Schrödinger, de Broglie, et cette liste donne à réfléchir, tous affirmaient s’opposer non aux résultats scientifiques développés mais à la philosophie de l’école de Copennhague…

Les derniers progrès de la physique confirment tout à fait la validité de la physique quantique mais nullement celle de l’interprétation de Copenhague qui est une thèse philosophique indéterministe, dualiste, interdisant toute description des phénomènes quantiques et imposant le renoncement à toute connaissance du monde matériel dans ses fondements. C’est ce que nous allons montrer ici et d’abord il s’agit de faire connaître les thèses philosophiques de Bohr et Heisenberg qui aujourd’hui sont peu connues ou même totalement inconnues, y compris des physiciens et des scientifiques, et parfois même des philosophes…

Tout d’abord rappelons que l’idée essentielle de Bohr, qu’il voulait étendre bien au-delà de la physique des particules, au fonctionnement de l’univers entier est celle de « complémentarité » : l’onde et le corpuscule seraient complémentaires comme seraient complémentaires le monde quantique (celui des particules) et le monde dit classique (celui à notre échelle), le monde du vivant et le monde de l’inerte, le monde de l’homme et le monde sans conscience humaine. La complémentarité est, pour Bohr, un principe général de la connaissance humaine, l’homme créant la réalité qu’il croit seulement observer.

La complémentarité interdit l’unité du monde. Il y a des descriptions complémentaires quand diverses descriptions sont tout aussi indispensables sans avoir rien en commun. La dualité signifie donc des mondes séparés auxquels la complémentarité permet de coexister, de coopérer et même de se correspondre.

Univers complémentaires, variables complémentaires, domaines complémentaires : pour Bohr et Heisenberg, cela signifie des domaines complètement séparés et qui sont également indispensables au fonctionnement de l’ensemble. Pour lui, il est impossible de fonder une description d’un des mondes sur le fonctionnement de l’autre. Il est tout sauf réductionniste. Il ne plaide nullement pour l’idée que tout l’univers serait fondé sur les quanta. Pas plus qu’il ne défend l’idée que la vie serait fondée sur les lois de la matière, ni que la conscience humaine serait un produi des lois du vivant. Il a donc une pensée diamétralement opposée à celles de Hegel ou de Marx. Et ce n’est nullement un hasard si des réactionnaires patentés de grandes familles dominantes d’Allemagne, du Danemark ou d’ailleurs comme Carl Friedrich Freiherr von Weizsäcker ont appuyé de toutes leurs forces cette tendance philosophiquement réactionnaire de l’école de Copenhague à une époque où les luttes de classe prolétariennes et révolutionnaires étaient déterminantes en Europe, dans les années qui suivaient la première guerre mondiale.

Cette idée de complémentarité, loin d’être le produit des études de l’atome et de la physique des particules du physicien Niels Bohr, était un a priori philosophique et idéologique général, posé par la biologiste Christian Bohr, père de Niels, un ponte de la biologie danoise, haut personnage de l’université, appartenant à une famille de la plus haute bourgeoisie du Danemark (propriétaire du château en face de Christiansborg, le Parlement danois) qui avait notamment découvert le rôle de l’hémoglobine dans la fixation de l’oxygène par le sang et qui occupait des places importantes dans la hiérarchie universitaire de Copenhague, bien avant que son fils en fasse autant et se serve des grands moyens d’Etat pour mettre la main sur la physique mondiale. Le premier point de la philosophie de Christian Bohr était la haine envers la prétention scientifique de comprendre le monde, de la part des systèmes de pensée du type de l’hégélianisme et du marxisme. Selon le père de Niels, on ne peut pas prétendre englober le monde dans une pensée scientifique car il n’y a pas un seul monde : le monde vivant n’est pas le monde inerte ; la conscience humaine place l’homme dans un autre monde que les animaux, etc…

Ce n’est donc pas seulement une question de quanta puisque Bohr applique la « complémentarité » à la sociologie, à la biologie, à la psychologie, autant qu’à la physique.

Loin de penser que les quanta expliqueraient le vivant ou l’être humain comme social, Bohr, rappelons-le, considère que ce sont des univers séparés, déconnectés, qui sont complémentaires au sens où ils s’additionnent pour former le monde mais ne se pénètrent pas.

Dans « Vie, psychologie et culture », Bohr aborde la façon dont les avancées en physique, et notamment le concept de complémentarité, pourraient être utilisés pour éclairer la façon dont nos connaissances progressent dans d’autres domaines. Dans « Lumière et vie » et dans « Biologie et physique atomique », le parallèle s’établit avec le phénomène de la vie, et avec des incursions dans le domaine des phénomènes psychologiques. Tandis que dans « Philosophie naturelle et cultures humaines », ce sont les champs sociologiques et anthropologiques qui sont abordés à l’éclairage épistémologique de la complémentarité.

Dans un article de Nature de 1933, intitulé « Lumière et vie » et reprenant le texte d’une conférence donnée en 1932 au congrès international de photothérapie à Copenhague (donc à des non-physiciens), Bohr se propose d’examiner « les résultats obtenus dans le domaine restreint de la physique sur la manière dont nous concevons la position des organismes vivants dans le cadre général des sciences de la nature ».

Le point de départ est bien entendu la lumière, et le cheminement autour de ce qui a pu sembler être sa double nature, corpusculaire et ondulatoire, avec le quantum d’action, et comment on a pu établir que la mise en évidence de limites à nos concepts usuels nous permet en fait d’élargir et approfondir notre compréhension des choses, et notamment de relier entre eux des phénomènes qui peuvent sembler contradictoires.

Il aborde alors la question de la vie, en écartant les approches vitalistes et mécaniques (« l’impossibilité d’une analyse de la stabilité des atomes en termes mécaniques présente une analogie étroite avec l’impossibilité d’une explication physique ou chimique des fonctions vitales caractéristiques »), et suggère que l’existence même de la vie doit être considérée comme un fait élémentaire, qui ne peut être fondé sur aucun autre, par analogie avec le quantum d’action, l’élément « irrationnel » de la physique quantique, non réductible à la mécanique.

L’analogie est ensuite étendue à la psychologie, où la complémentarité se manifeste par l’impossibilité d’examiner consciemment des contenus de conscience sans les altérer.

Avec en particulier cette proposition, qui peut paraître surprenante dans une démarche scientifique, mais qui en fait révèle une profondeur et une grande finesse d’analyse, de quelqu’un qui cherche à tirer tous les enseignements des récents progrès en physique :

« Toute analyse du concept même d’explication devrait commencer et se terminer en renonçant à expliquer notre propre activité consciente. »

Dans « Biologie et physique atomique », texte d’une conférence donnée au Congrès Galvani, à Bologne en 1937, Bohr a pour objetif de mettre en évidence les difficultés conceptuelles qu’ont rencontrées et résolues les physiciens depuis Galilée jusqu’à la théorie quantique en passant par l’électromagnétisme, Planck et Einstein, et d’examiner comment cet acquis pourrait aider à surmonter des difficultés conceptuelles dans d’autres domaines de recherches humaines.

D’une brève, mais pénétrante considération sur les questions des conditions d’observations en physique et en biologie, Bohr suggère qu’on « devrait considérer l’existence de la vie elle-même, en ce qui concerne sa définition aussi bien que son observation, comme un postulat fondamental de la biologie, que nous ne pouvons analyser davantage, de même que l’existence du quantum d’action, et l’atomicité ultime de la matière, forment le fondement élémentaire de la physique atomique. »

La fin de l’article évoque alors la psychologie, où la question de l’observation a été posée et examinée bien avant que celle-ci ne se pose en physique. La complémentarité est évoquée dans son application à des concepts comme « pensées » et « sentiments », manifestations mutuellement exclusives de phénomènes psychiques.

Dans « Philosophie naturelle et cultures humaines », conférence donnée au congrès international des sciences anthropologiques et ethnologique, Copenhague 1938, texte paru dans Nature en 1939, Bohr écrit :

« Il peut être intéressant d’attirer en peu de mots votre attention sur l’aspect épistémologique des derniers développements de la philosophie naturelle et sur leurs conséquences pour les problèmes humains généraux. »

Ici à nouveau, retraçant l’histoire mouvementée de la physique des dernières décennies, Bohr montre comment la renonciation à une description causale des phénomènes atomiques n’est pas un recul, mais bien au contraire un pas en avant dans la connaissance.

L’analogie avec la psychologie est un peu plus détaillée que dans les deux textes précédents.

Puis, serrant de plus près sont sujet, il aborde la comparaison entre cultures humaines différentes.

Il y a le caractère de complémentarité entre "instinct" et "raison". Puis les considérations sur les aspects héréditaires et sur l’acquis culturel, et comment peut se définir l’humain dans cette complexité dialectique. Une leçon importante de la physique, est que « c’est souvent en un choix correct des définitions que se trouve le germe d’un développement fécond. » (p 191).

Bohr propose ensuite le terme (et, ipso facto, le concept) de complémentarité pour caractériser les cultures humaines les unes par rapport aux autres. Afin de les mieux saisir dans leur originalité propre, en dominant le problème qui résulte du fait que toute observation d’une culture se fait à partir d’une autre culture.

On se souviendra ainsi que c’est justement pour combattre cette idée de séparation complète entre le monde quantique et le monde macroscopique que Schrödinger, adversaire résolu des interprétations philosophiques de Bohr a développé son image dite du « chat de Schrödinger », montrant que la thèse d’un monde quantique séparé du monde classique n’était pas défendable car les effets quantiques auront aussi des résultats au niveau macroscopique : sur un chat par exemple. Si la désintégration d’un atome radioactif est indéterministe, démontre Schrödinger dans son expérience de pensée (il n’a pas enfermé un chat avec un dispositif radioactif prêt à le tuer !), alors la vie du chat est tout aussi indéterministe : il est impossible, tant qu’on ne voit pas le chat, de dire s’il est mort ou vivant, ce qui n’est pas grave, mais, pire, le chat n’est objectivement ni mort ni vivant tant qu’on ne l’a pas observé. C’était la thèse de Bohr pour l’électron ou le photon, puisque, pour lui, il n’y a aucune existence objective pouvant être démontrée tant qu’on ne l’a pas observée… Schrödinger lui démontre donc que, si cela était vrai au niveau quantique, il en serait de même au niveau classique. Donc c’est l’univers entier qui n’existe que si l’homme l’observe et pourquoi spécifier l’homme, on ne sait pas, puisque l’univers entier est sans cesse « observé » par la matière macroscopique et pas seulement par les appareils macroscopiques des labos !!!

Ce concept de complémentarité, Bohr l’a rendu le plus flou et le plus changeant possible, pour l’adapter aux problèmes posés par la physique quantique au point que sa signification pouvait se modifier complètement au sein d’un même texte ou d’une même conférence, donnant le tournis à ses lecteurs et à ses auditeurs. C’est ce qui amenait Einstein à dire qu’en dépit des efforts de toute une vie, il n’avait jamais pu comprendre ce que Bohr voulait dire par « principe de complémentarité » !! Et Einstein n’était ni bête ni bêtement cramponné au passé….

Bohr, lui-même, à chaque changement de ses thèses et il y en a eu plusieurs, affirmait : « au terme de complémentarité, il faut donner un sens entièrement nouveau ».

Ecoutons donc Bohr et Heisenberg pour comprendre ce fameux concept de la complémentarité…

« L’objectif principal de cet article est de montrer que cette notion de complémentarité est essentielle pour une interprétation cohérente des méthodes quantiques théoriques... Les deux représentations de la nature de la lumière doivent plutôt être considérées comme des tentatives différentes d’interprétation de faits expérimentaux dans lesquels les limites des concepts classiques sont exprimées d’une façon complémentaire… Ici encore (cette fois dans la matière), nous n’avons pas affaire à des images contradictoires, mais complémentaires des phénomènes qui, ensemble seulement, permettent une généralisation naturelle du mode de perception classique... Cette situation met en évidence de façon frappante le caractère complémentaire de la description des phénomènes atomiques, qui apparait comme une conséquence inévitable du contraste entre le postulat quantique, et la distinction entre objet et dispositif de mesure inhérente à l’idée même d’observation... Pour résumer, on pourrait dire que les concepts d’état stationnaire et de processus individuel de transition, dans leur propre domaine d’application, possèdent à peu près autant ou aussi peu de "réalité" que l’idée même de particules individuelles. Dans les deux cas nous avons affaire à une exigence de causalité complémentaire à la description spatio-temporelle, dont l’application adéquate est seulement limitée par les possibilités restreintes de définition et d’observation. »

Niels Bohr dans son article suite à la conférence de Côme de septembre 1927, publié dans Nature le 14 avril 1928

« Les deux vues sur la nature de la lumière doivent plutôt être considérées comme des tentatives différentes d’interpréter la preuve expérimentale en termes de l’expression, suivant des voies complémentaires, de la limitation des concepts classiques. »

« Quantum Theory and measurement », Bohr, Wheeler et Zurek

« Des informations obtenues sur le comportement d’un seul et même objet atomique dans des conditions d’expérience chaque fois bien définies, mais s’excluant mutuellement, peuvent, néanmoins, suivant une terminologie courante en physique atomique, être dites complémentaires : bien qu’il soit impossible de les rassembler en une image unique décrite à l’aide des concepts de la vie journalière, elles représentent chacune des aspects également essentiels de tout ce que l’on peut apprendre en ce domaine sur l’objet en question. C’est justement en reconnaissant ce caractère complémentaire des analogies mécaniques par lesquelles on essaye de rendre intuitives les diverses actions du rayonnement, que l’on a obtenu une solution entièrement satisfaisante des énigmes dont nous avons parlé plus haut au sujet des propriétés de la lumière. De même, c’est seulement en tenant compte des relations de complémentarité existant entre les différents renseignements obtenus sur le comportement des particules atomiques que nous sommes arrivés à comprendre le contraste frappant entre les propriétés des modèles mécaniques ordinaires et les lois toutes particulières de stabilité qui régissent les structures atomiques et qui forment la base de toute explication précise des propriétés physiques et chimiques de la matière. » Niels Bohr dans « Physique atomique et connaissance humaine »

« Personnellement, commente Bohr, je pense qu’il n’y a qu’une solution : admettre que dans ce domaine de l’expérience, nous avons affaire à des phénomènes individuels et que notre usage des instruments de mesure nous laisse seulement la possibilité de faire un choix entre les différents types de phénomènes complémentaires que nous voulons étudier. »

Heisenberg dans « Physique et Philosophie »

L’idée générale et fondamentale de Bohr ne change pas sur le fond : on ne peut aps décrire ce qui se passe au niveau quantique comme on a pu décrire ce qui se passe au niveau macroscopique parce que nous transformons ce monde quantique par nos observations faites avec des instruments macroscopiques et par l’homme qui est également un élément du monde macroscopique. Bohr et Heisenberg sont favorables à l’idée de Kant selon laquelle la nature même de l’objet (« l’objet en soi » de Kant) est inaccessible par la pensée du sujet. L’idée de Kant en question s’appelle « l’impossibilité de connaître la chose en soi », c’est-à-dire la possibilité seulement de décrire des phénomènes qui proviennent d’interactions avec l’extérieur.

Werner Heisenberg explique que c’est la séparation radicale entre l’« objet » et l’observateur à travers ses appareils de mesure qui est illusoire et empêche toute description d’un monde objectif :

« En physique classique, la science partait de la croyance - ou devrait-on dire de l’illusion ? - que nous pouvons décrire le monde sans nous faire en rien intervenir nous-mêmes. [...] La théorique quantique ne comporte pas de caractéristiques vraiment subjectives, car elle n’introduit pas l’esprit du physicien comme faisant partie du phénomène atomique ; mais elle part de la division du monde entre « objet » et reste du monde, ainsi que du fait que nous utilisons pour notre description les concepts classiques. Cette division est arbitraire. »

« Bohr explique qu’il est impossible d’obtenir une séparation bien nette entre le comportement des objets atomiques et leur interaction avec les appareils de mesure qui définissent leurs conditions d’existence. Cela signifie que la vitesse d’une particule, par exemple, n’est pas une propriété de la particule, mais une propriété partagée entre la particule et l’instrument de mesure. De cela, Bohr déduit que l’on doit bien se garder de tout raisonnement sur la réalité objective non observée. » écrit Etienne Klein dans « Regards sur la matière ».

Dans « Physique et Philosophie », chapitre V, Heisenberg écrivait ainsi :

« Nous ne pouvons complètement objectiver le résultat d’une observation, nous ne pouvons décrire ce qui ‘‘se produit’’ entre cette observation et la suivante… En conséquence, la transition entre le ’’possible’’ et le ’’réalisé’’ se produit pendant l’acte d’observation… Nous devons nous souvenir que ce que nous observons n’est pas la nature en elle-même mais la nature soumise à notre méthode de questionnement. »

Niels Bohr écrit également, dans « Albert Einstein : Philosopher-Scientist » :

« However far the [quantum physical] phenomena transcend the scope of classical physical explanation, the account of all evidence must be expressed in classical terms. The argument is simply that by the word "experiment" we refer to a situation where we can tell others what we have done and what we have learned and that, therefore, the account of the experimental arrangements and of the results of the observations must be expressed in unambiguous language with suitable application of the terminology of classical physics. This crucial point...implies the impossibility of any sharp separation between the behaviour of atomic objects [i.e., objects governed by quantum mechanics] and the interaction with the measuring instruments which serve to define the conditions under which the phenomena appear.... »

« D’aussi loin que les phénomènes puissent transcender le domaine des explications de la physique classique, la description de tous les résultats de l’expérience doit être exprimée en termes classiques. La raison en est simple : par le mot d’« expérience », nous nous référons à une situation où nous pouvons dire à d’autres hommes ce que nous avons fait et ce que nous avons appris ; il en résulte que la description du dispositif expérimental et des résultats des observations doit être exprimée en un langage dénué d’ambiguïté, se servant convenablement de la terminologie de la physique classique » écrit Bohr.

« C’est dans la nature même des observations en physique, que toute expérience puisse à la fin être exprimée en termes de concepts classiques, en négligeant le quantum d’action. »

La contradiction est ici pleine et entière : on ne peut pas décrire le monde quantique mais on le décrit en termes classiques, et pourtant on affirme qu’on ne trouvera jamsi de passerelle entre ces deux mondes !!!

La dualité onde/corpuscule ou la dualité monde quantique / monde quantique proviendraient de la dualité de l’univers vu par Kant qui est la dualité matière/conscience et sujet/objet.

Kant relativise en effet toute expérience et induit l’idée d’une limite de la connaissance possible sur le monde lui-même, appelée la question de « la chose en soi ». Mais c’est un monde complètement abstraitisé que Kant estime inconnaissable. Certains physiciens quantiques ont cru trouver en Kant le philosophe compatible avec les résultats de leur science. C’est l’origine de la phénoménologie critique, appelée positiviste, qui estime que la nature ne répond pas sur son essence et ne donne accès qu’à l’expérience, conçue comme une interaction de l’homme et de la nature, de la conscience et de la matière. La science ne peut, dès lors, répondre à aucune question philosophique sur la nature qui est, par essence, inconnaissable puisque la connaissance suppose une conscience qui interagit et perturbe la nature. Cette conception ignore que la conscience appartient à un être humain concret et qu’elle fait partie elle-même du fonctionnement naturel. Elle oppose, diamétralement et non dialectiquement, conscience et nature et ne peut mener qu’à un dualisme.

La chose en soi (Ding an sich) est un concept kantien désignant la réalité indépendamment de toute expérience possible. C’est un concept anti-dialectique au sens où la chose en soi est séparée et opposée à la chose pour les autres (celle de l’observation et des interactions avec l’extérieur, celle qui est considérée comme cause du changement et du mouvement). C’est un concept anti-dynamique car la chose en soi est considérée comme ne devant pas changer quant la chose qui interagit change, elle. Kant a produit une « chose en soi » parfaitement abstraite, complètement vide de tout contenu puisqu’elle ne change pas d’état, n’a pas des déterminations concrètes et cette abstraction vide, il affirme qu’on ne peut pas la connaître. Certes car elle n’existe tout simplement pas !

Selon Emmanuel Kant, la « chose en soi » est un « concept problématique », c’est-à-dire que la chose en soi est un concept pensable même si son contenu est inconnaissable ; ce concept est même indispensable pour assigner une valeur à notre connaissance et pour déterminer l’objet de la connaissance sensible, mais par l’usage de ce concept rien de son essence n’est vraiment connu. La chose en soi est une limitation de la connaissance et c’est ainsi qu’elle agit sur nos représentations, de manière négative. La chose en soi est ce que l’intuition sensible ne peut atteindre. Tout objet ne peut être déterminé pour un être fini que par l’opération conjointe de l’entendement et de l’intuition sensible, la chose en soi se présente donc comme ce qui est inconnaissable, l’au-delà de toute connaissance sensible :

« Quand même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n’en ferions point un pas de plus vers la connaissance de la nature même des objets. Car en tous cas nous ne connaîtrions parfaitement que notre mode d’intuition, c’est-à-dire notre sensibilité, toujours soumise aux conditions d’espace et de temps originairement inhérentes au sujet ; quant à savoir ce que sont les objets en soi, c’est ce qui nous est impossible même avec la connaissance la plus claire de leurs phénomènes, seule chose qui nous soit donnée. » écrit Emmanuel Kant, dans sa « Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale »

Défendant à fond cette philosophie de Bohr et Heisenberg, Dirac plaide allègrement pour le renoncement à la compréhension du monde :

« Le seul objet de la physique théorique est de calculer des résultats qui peuvent être comparés avec l’expérience, et il est tout à fait inutile de donner une description globale de l’ensemble du phénomène. »

Le renoncement est donc colossal : il n’y a plus de description de ce qui se passe dans la nature car établir un lien causal devient impossible :

« La mécanique quantique est en contradiction logique avec la causalité (...) Il n’y a pas pour le moment d’occasion de parler de causalité dans la nature, parce qu’il n’y a pas d’expérience qui indique sa présence. »

Niels Bohr dans « Théorie atomique et description de la nature »

Max Born rajoutait :

« Il est clair que le dualisme onde-corpuscule et l’incertitude essentielle qu’il implique nous obligent à abandonner tout espoir de conserver une théorie déterministe. La loi de causalité… n’est plus valable, du moins au sens de la physique classique. Quant à la question de savoir s’il existe encore une loi de causalité dans la nouvelle théorie, deux points de vue sont possibles. Soit, on persiste à envisager les phénomènes à l’aide des images d’onde et corpuscule, alors la loi de causalité n’est plus valable… La loi de causalité est donc sans contenu physique ; la nature des choses impose que la physique soit indéterministe. »

Et John von Neumann également :

« En physique macroscopique, aucun expérience ne peut prouver la causalité, car l’ordre causal apparent n’y a pas d’autre origine que la loi des grands nombres, et cela tout à fait indépendamment du fait que les processus élémentaires, qui sont les véritables processus physiques, suivent ou non des lois causales… C’est seulement à l’échelle atomique, dans les processus élémentaires eux-mêmes, que la question de la causalité peut réellement être mise à l’épreuve : mais, à cette échelle, dans l’état actuel de nos connaissances, tout parle contre elle, car la seule théorie formelle s’accordant à peu près avec l’expérience et la résumant est la mécanique quantique qui est en conflit avec la causalité… Il ne subsiste aujourd’hui aucune raison permettant d’affirmer l’existence de la causalité dans la nature. »

Et il faudrait donc gober cette affirmation selon laquelle il y aurait deux domaines complètement séparés : quantique et classique, mais le domaine quantique ne pouvant être décrit que par des termes classiques et il n’y aurait aucun moyen de décrire le niveau quantique en termes causaux.

Van Kampen exprimait cela de manière encore plus drôle :

« Toute personne qui attribuera au vecteur d’état plus de signification que ce qui est nécessaire pour calculer des phénomènes observables sera tenue responsable des conséquences ! »

Donc ne demandez pas de quoi est fait la matière, de quoi est faite la lumière ni comment se produisent leurs interactions, la réponse est qu’il n’y aura jamais de réponse ! Mais c’est une affirmation sans preuve !

On en vient, avec la thèse de Bohr qui deviendra celle de l’école de Copenhague, à des absurdités philosophiques mais cela n’aura pas de conséquence puisque cette école de physiciens, qui va dominer la pensée sur la physique mondiale pendant des années, affirme qu’il n’est pas nécessaire de raisonner dessus puisque l’expérience, étant macroscopique, ne nous dit rien sur ce qui se passe au niveau microscopique !

C’est un peu comme si on affirmait que nous ne sommes pas à la même échelle que les planètes et les étoiles et donc nous ne pouvons pas savoir si elles existent mais seulement mesurer leurs effets… Einstein répondait, regardant la lune une nuit : « Je pense qu’elle existe même quand je ne l’observe pas » !!! Ce faisant, il était traité par le courant dominant de la physique de passéiste, de vieux chnoque, de dépassé, d’incapable !!!

Ce qui est contestable ce n’est pas les résultats scientifiques de la physique quantique mais l’affirmation péremptoire de Bohr que sa première interprétation, celle de Copenhague, serait définitive.

Nous allons montrer que ce qui a légitimé cette prise de position radicale (l’homme est dans un univers séparé du monde et le monde n’existe que quand l’homme l’observe) est un désir de combattre tout risque que les découvertes des contradictions du monde matériel et lumineux ne ramènent à la dialectique de Hegel et de Marx. De nombreux auteurs ont rappelé que Bohr était maintes fois amené à des constatations selon lesquelles la physique parvenait à des contradictions non diamétrales et refusait pourtant absolument d’employer le mot de « dialectique »…

Bohr a combattu les physiciens qui voulaient parler de contradiction dialectique.

Le physicien Maurice Jacob dans « Au cœur de la matière » : « L’approche philosophique et culturelle des problèmes de la mécanique quantique devait tout naturellement privilégier les discussions sur le déterminisme… Alors qu’au fil des années 1930, Bohr tend à minimiser de plus en plus le côté contradictoire, paradoxal, de la complémentarité des aspects ondulatoire et corpusculaire, Louis de Broglie, au contraire, le souligne de plus en plus. Il parle de contradiction, d’exclusion, de conflit, mais rarement de complémentarité. »

« L’impossibilité de faire entrer le quantum d’action dans le cadre des lois déterministes de la physique classique (...) correspond à la négation dialectique de Engels. » remarque Léon Rosenfeld (pourtant collaborateur de Bohr) dans « Louis de Broglie, physicien et penseur »

La capacité de se combiner d’éléments et de propriétés apparemment diamétralement opposées (ordre/désordre, contingent/déterministe, lent/rapide, local/ global, étendu/localisé), voilà bien la dialectique. Et effectivement, les contraires sont inséparables, interpénétrés et interdépendants en physique. Ils ne sont jamais des contraires absolus à l’inverse des contraires abstraits, des contraires formels.

E. Bitsakis écrit dans « Physique et matérialisme » :

« Une des marques de l’unité des contraires est la transformation mutuelle des entités du microcosme (bosons et fermions). C’est ainsi qu’un boson (un photon par exemple) se transforme dans des conditions appropriées, en un fermion et un antifermion (électron et positron). Mais la transformation inverse est aussi courante. C’est ce que l’on appelle la « dématérialisation » d’un électron et d’un positron. (…) Ce qui est « matière » devient « champ » et inversement : la frontière entre champ et matière n’est pas aussi absolue qu’on le croyait au début. Le champ et la matière ne sont que des concepts historiquement déterminés qui ont exprimé des formes différentes de la matière, dont l’unité n’était pas connue à une certaine époque de la physique. (…) Le caractère contradictoire de la matière, l’unité et la lutte des contraires sont encore plus nets dans les relations matière-antimatière. (…) Les particules et antiparticules ont même masse et sont de vie moyenne égale, de spin égal, mais de charge opposée, de moment magnétique égal mais de direction opposée, de nombre baryonique (ou leptonique) et d’étrangeté opposés. (…) L’antimatière est une matière constituée par des antiparticules. (…) Des couples particule/antiparticule sont créés à partir de certaines particules « matérielles » et vice-versa. Les photons se « matérialisent » (c’est-à-dire se transforment en couples lepton/antilepton) et vice-versa. (…) On a donc une fusion des contraires dans des formes de matière différentes. La dualité particule-antiparticule se présente comme une propriété inhérente et universelle de la matière. Ainsi, la contradiction apparaît dans le niveau d’organisation fondamental que l’on connait aujourd’hui. (…) Il existe aujourd’hui une « chimie » véritable des transformations des particules. Ces transformations sont quelquefois extrêmement « fécondes » en nombre de particules naissantes, comme par exemple la transformation d’un proton et d’un antiproton en sept pions. (…) Les transformations des particules élémentaires ne suivent pas en général une voie unique. Dans le cas d’un proton et d’un antiproton, par exemple, on peut avoir un pion positif, un négatif et un neutre, ou trois mésons positifs et trois négatifs, ou encore deux mésons positifs, deux négatifs et deux neutres, ou trois positifs, trois négatifs et un neutre, ou enfin, six mésons neutres. Dans les transformations des particules élémentaires, on observe en général plusieurs « canaux », et l’on peut souvent calculer la probabilité pour chaque voie. (…) D’une manière analogue, on a la désintégration d’un méson éta en trois pions, ou deux pions et un photon, et on peut mesurer l’analogie entre les deux voies de désintégration. Ici aussi on peut obtenir de la même particule des produits différents. Ces produits ne sont pas contenus dans la particule initiale. La particule ne se désintègre pas en ses constituants ; elle se transforme en des êtres différents, selon des mécanismes plus ou moins inconnus. Il est évident que, dans ces cas, la conception linéaire, univalente de la causalité n’est pas suffisante. Il nous faut ici un cadre plus large. A la place de la relation causale au sens classique, avec son résultat unique, il convient d’utiliser le concept de potentialité, c’est-à-dire d’obtenir des résultats différents dans les « mêmes » conditions initiales. (…) Heisenberg écrivait ainsi dans « Physique et philosophie » : « Les atomes, ou les particules élémentaires elles-mêmes, ne sont pas réels ; ils constituent un monde de potentialités ou de possibilités plutôt qu’un monde de choses ou de faits. » Heisenberg découvre ici un germe de dialectique mais, en même temps et surtout, il s’efforce de justifier une négation de la dialectique objective, quand il parle de la possibilité d’une réalité et, encore plus, quand il rejette toute idée d’une réalité objective. (…) La dichotomie introduite par Heisenberg est conforme à la contradiction formelle entre le potentiel et le réel. (…) Heisenberg a développé systématiquement des conceptions idéalistes et platoniciennes, et ses idées ont eu une grande influence sur ses contemporains. Parlant des conséquences extrêmes de ces idées, A. Landé a dit : « Il n’est pas étonnant que Sir James Jeans, après avoir étudié Bohr et Heisenberg, soit arrivé à la conclusion triomphale que la matière consiste ondes de connaissance, ou en absence de connaissance dans notre esprit. » (…) La pensée mécaniste sépare l’objet des conditions de son existence. La pensée positiviste (mécaniste d’un point de vue diamétralement opposé) prend la position inverse, quand elle affirme que « l’objet n’existe pas avant l’interaction avec l’instrument » et que « la réalité est création de nos moyens d’observation ». Mais la pensée positiviste contient dans ce cas un germe de vérité. En réalité, l’objet n’a pas d’existence en dehors de conditions concrètes, en dehors de son milieu et de ses relations concrètes avec ce milieu. De ce point de vue, l’instrument d’observation « crée » la particule. Mais il ne la crée pas du néant, il la transforme, et d’un être initial donné, dans des conditions concrètes, il crée divers êtres, selon la nature de la particule initiale et les conditions de l’expérience. Les interactions de la particule avec le milieu, ou avec l’appareil de la mesure, transforment certains de ses éléments de réalité en des éléments différents. Ainsi la particule passe d’un état à un autre, ou se transforme en autre chose. Ce dynamisme interne de la matière a été considéré comme une preuve de non existence ! (…) Devant les faits qui montrent que les particules du niveau quantique ne sont pas « élémentaires » au sens classique, beaucoup de physiciens n’accordent aucune valeur au critère d’élémentarité. Werner Heisenberg, par exemple, écrivait, en 1957, qu’il n’y a pas de critère objectif d’élémentarité, et qu’il dépend de notre libre arbitre de déterminer quelle particule peut être considérée comme élémentaire, et quand. Louis de Broglie aussi écrivait dès 1961 : « Il semble bien, en effet, qu’on ne peut donner aucune définition univoque du corpuscule élémentaire et que, par suite, il vaut sans doute mieux ne pas introduire cette expression en physique quantique. (…) Le critère d’élémentarité est relatif, au sens dialectique et non pas au sens agnostique du terme. On peut considérer élémentaire un être au niveau quantique, s’il a des propriétés et des interactions définies, dans des conditions définies. (…) Les concepts du complexe et du simple au sens de la logique formelle ne sont pas applicables aux êtres de la physique quantique. Mais ils sont applicables au sens dialectique, comme des contraires qui s’excluent et se transforment mutuellement. (…) Les états stationnaires de la physique sont en réalité des états d’équilibre dynamique : d’unité des contraires. Mais une perturbation peut détruire la symétrie existante et la dissymétrie momentanée conduit à un ou plusieurs nouveaux états. Ainsi un atome émet du rayonnement chaque fois qu’il est excité par le quantum de rayonnement électromagnétique. Un neutron peut détruire l’équilibre d’un noyau : le résultat est la désintégration du noyau initial, et la formation de nouveaux noyaux à partir de l’ancien. Et cela, car le noyau est une totalité contradictoire et sa cohérence est assurée par le jeu d’échanges des différents champs physiques, surtout du champ fort et du champ électromagnétique. Ainsi, une perturbation extérieure peut provoquer la rupture de cet équilibre dynamique et conduire à une désintégration ou transmutation. Deux particules forment pendant une collision une totalité momentanée et contradictoire, qui donne naissance à d’autres particules. Ainsi, les anciennes formes, à travers un processus de fusion et de séparation, donnent naissance à d’autres formes. L’état intermédiaire est la négation de l’état initial. La négation de la négation est l’émergence de nouvelles formes. (…) Au niveau de la microphysique on peut imaginer le mouvement simple dans l’espace comme disparition de la particule en un point et réapparition en un autre point voisin. (…) Le mouvement est ainsi analysé en une série de recréations et de destructions dont le résultat total est le changement continu de la particule dans l’espace. (…) »

Etienne Klein remarque ainsi dans « Dictionnaire de l’ignorance » :

« Cette description des particules, entremêlant les propriétés des ondes et celles des corpuscules, est révolutionnaire. Elle met en relation des images que notre esprit isole dans des catégories distinctes, voire opposées. L’étrangeté de la chose vient de ce que toutes les particules, qu’elles soient de lumière ou de matière, nous appariassent soit comme des ondes (elles peuvent interférer – l’interférence est une addition qui est inhibitrice) soit comme des corpuscules (elles semblent ponctuelles quand on détecte leur position), mais elles ne sont ni des ondes ni des corpuscules. (…) Puisque les concepts d’onde et de corpuscule apparaissent mutuellement exclusifs en même temps qu’indissociables, il n’existe aucune possibilité de définir leur sens au moye, d’une seule expérience. On ne peut pas les combiner en une seule image. Néanmoins, ils sont nécessaires l’un à l’autre pour épuiser tous les types d’information que nous pouvons obtenir sur un objet quantique à l’aide des divers appareils de mesure. (…) Dans la bouche de Niels Bohr, le mot complémentarité n’est pas à prendre dans son sens usuel. La complémentarité ne signifie nullement pour lui quelque chose comme « collaboration » ou « association ». La dualité n’est pas un duo, l’association de l’onde et du corpuscule n’est pas une synthèse. Elle incluse toujours au contraire l’exclusion mutuelle et la disjonction des éléments qu’elle met en vis-à-vis. Il faut la voir comme une sorte de paradoxe irréductible qui lie un concept à sa négation. (…) Comme nous dit John Bell, dans la bouche de Niels Bohr, (…) la complémentarité est proche du concept de contradiction (…) Contradiction est le mot fétiche de Bohr, comme l’ont fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979. »

La complémentarité de Bohr n’a pas rejoint la dialectique de Hegel mais c’est seulement parce que son auteur n’aurait pas politiquement et philosophiquement souhaité une telle référence trop marquée comme révolutionnaire par le marxisme. Bohr a préféré comme image des contraires emboités, celle des philosophies asiatiques plutôt que l’idéologie révolutionnaire. Lorsqu’il fut fait chevalier en 1947, Niels Bohr choisit pour son blason le symbole taoïste du Yin et du Yang…

Pourtant, on se trouve bel et bien en physique quantique face à une « dialectique de propriétés localisées et de propriétés délocalisées » écrivait Lochak en 1989.

A ceux qui refusaient l’idée que l’onde puisse être une bonne image et que l’image contraire, le corpuscule, puisse aussi être une bonne image, Bohr rétorquait : « Le contraire d’une affirmation juste c’est une affirmation fausse. Mais le contraire d’une vérité profonde peut de nouveau être une vérité profonde. » Profession de foi de partisan de Hegel pourrait-on dire mais Bohr se garde bien d’aller au-delà de Kant !!! Hegel a une odeur de souffre pour la bourgeoisie car il mène à Marx et au communisme…

Et Bohr (père et fils) comme Heisenberg ou Pauli, les fondateurs de l’école de Copenhague sont tout sauf favorables au communisme.

Rappelons qu’en 1927, quand leur thèse de la complémentarité triomphe, la contre-révolution vient seulement de triompher de la vague révolutionnaire débutée en 1917 en Russie, en Finlande, en Allemagne, en Hongrie, en Autriche, en Italie, etc.

Et ces physiciens ne sont nullement neutres par rapport à la révolution russe et européenne. Si Einstein la soutient (sans pour autant être un militant politique, il déclare que l’homme politique qu’il estime le plus au monde est… Lénine ! Au même moment, en 1917, Bohr a été élu à l’Académie royale danoise des sciences et il a commencé à planifier un Institut de physique théorique de Copenhague. Cela a été créé pour lui et de son ouverture en 1921, il est devenu son directeur, un poste qu’il a occupé pendant le reste de sa vie), Bohr et Heisenberg sont radicalement dans le camp de la contre-révolution. Heisenberg, jeune à l’époque, y a même directement et activement participé en faisant partie, en Allemagne, des régiments restés fidèles aux classes dirigeantes malgré la vague révolutionnaire parmi les soldats comme aprmi les ouvriers, vague qui a arrêté la guerre et renversé le kaiser. Il ne s’en cache nullement puisqu’il rapporte dans ses ouvrages ses journées de participation à la contre-révolution sanglante…

Quant à Bohr, c’est dans le cercle philosophique de son père Christian Bohr qu’il apprend la politique comme la philosophie, et les deux sont tout sauf favorables à la révolution communiste qui se développe en Europe et commence par y menacer sérieusement l’odre bourgeois avant d’être trompée, battue et écrasée dans le sang.

L’accord profond, qui durera, entre Bohr et Heisenberg, est avant tout politique et idéologique avant même d’être scientifique. Il ne sera interrompu que par la guerre où ils se retrouvent dans des camps opposés, cherchant chacun de son côté à donner la bombe atomique aux deux impérialismes adverses qu’ils soutiennent. Ils ont même eu parfois des divergences profondes au plan scientifique mais jamais de rupture idéologique… Ils savent surtout contre quoi ils sont et la philosophie de Hegel, pour eux, ne doit même pas être citée ni discutée, même s’ils sont amenés à discuter toutes les philosophies de l’histoire de la pensée en discutant des contradictions de la nature à propos des quanta…

Bohr n’ignorait nullement qu’il s’agissait de dialectique et parfois le mot même lui vient irrémédiablement sous la plume. Par exemple, étendant la complémentarité à la biologie, la sociologie et la psychologie, il écrit :

« Un exemple est donné par la biologie où les arguements mécaniques et vitalistes sont utilisés d’une façon typique de la complémentarité. En sociologie également, une telle dialectique peut se révéler souvent utile… »

Notons que la conception du vivant fondée sur la complémentarité prétendait que la vie ne serait pas fondée sur des structures du type de celles de la physique. Schrödinger, prenant le contre-pied de cette assertion de Bohr, a écrit « Qu’est-ce que la vie ? » et a réussi ainsi à donner un élan à la recherche qui allait mener à l’ADN. Aujourd’hui, les découvertes de phénomènes quantiques au sein du vivant, loin d’être un point d’appui du point de vue de Bohr, en montre toute l’absence de fondement. Il n’y a pas plusieurs mondes comme le prétendait Bohr mais un seul…

La thèse de Bohr et compagnie n’est pas que les particules ou les ondes ne seraient pas classiques mais qu’on est contraint de parler d’elles sans leur donner la moindre réalité…

Bohr traduisait : il n’y a plus de forme intuitive de description et il n’y en aura plus.

Il concluait que le monde quantique n’est pas accessible à la pensée humaine. Pas plus que nous ne pourrions penser la vie à aprtir de la connaissance des lois de la matière, selon lui.

Lorsque la première publication de Bohr sur le thème de la complémentarité parut en 1928 dans Nature, on plaça devant l’article — ce qui est inhabituel dans cette revue — une déclaration rédactionnelle qui culminait en une phrase : « Il est sérieusement à espérer que ce n’est pas votre dernier mot dans cette affaire et que vous pourrez éventuellement réussir à exprimer le postulat quantique sous une forme intuitive ».

Bohr, lui, avait absolument renoncé à cette forme intuitive :

« La résignation en ce qui concerne la visualisation et la causalité, à laquelle nous sommes ainsi contraints dans notre description des phénomènes atomiques, pourrait aussi bien être considérée comme une frustration des espoirs qui formaient le point de départ des conceptions atomiques. Toutefois, au stade actuel de la théorie atomique, nous devons considérer cette renonciation même comme un progrès essentiel dans notre compréhension. »

Bohr, La théorie atomique et les principes fondamentaux à la base de la description de la nature, 1929

Il est souvent prétendu que la physique quantique en est restée à la thèse de Bohr et Heisenberg selon laquelle il n’existerait pas un monde agité sous-jacent au monde des particules. C’est complètement faux : il existe le monde agité des particules et antiparticules dites virtuelles (parce qu’elles sont éphémères) et de leur couplage qui donne les photons. Et la description de ces éléments virtuels permet d’interpréter les phénomènes quantiques les plus étonnants et contradictoires comme l’expérience des fentes de Young (celle qui permet de détecter des comportements type onde et des comportements type corpuscule suivant la manière d’observer). Et le résultat de cette nouvelle interprétation n’est nullement celle de Bohr et d’Heisenberg selon lesquels ce serait l’observation humaine qui fabriquerait le résultat : onde ou corpuscule. Ce n’est pas non plus l’idée de ces auteurs selon laquelle le corpuscule et l’onde existent seulement dans des expériences qui ne peuvent pas coexister qui triomphe. Ce n’est pas la conception de mondes (quantique et classique) complètement séparés qui ressort de la théorie de la décohérence, celle qui analyse le passage d’un univers à l’autre. C’est un véritable processus matériel dans tous ces exemples qui a cours et peut être décrit, contrairement aux affirmations péremptoires de renoncement à toute description de Bohr et Heisenberg.

D’ailleurs remarquons que, là aussi contrairement aux propos de Bohr et Heisenberg, l’expérience de Young, avant même d’être interprétée en termes d’éléments virtuels (le nuage virtuel habillant la particule et la guidant et qui passe par les deux fentes même si le corpuscule passe par une seule) avait manifesté des caractère à la fois onde et corpscule et pas du tout séparément entièrement onde ou entièrement corpuscule. Par exemple, lorsque les impacts des arrivées sur l’écran forment des interférences (typiques d’un phénomène ondulatoire), il n’empêche que le phénomène n’est pas tout à fait ondulatoire puisque les impacts ont lieu un par un et sont très localisés même s’ils forment finalement une image d’interférence. Ce ne peut pas être l’interaction des ondes qui arriveraient qui formeraient ces interférences puisque les arrivées peuvent être séparés complètement dans le temps. C’est point par point que se forment les images d’interférence ce qui montre bien que le caractère corpusculaire se manifeste en même temps que le caractère ondulatoire et la matière est un composé des deux à la fois et pas tantôt l’un tantôt l’autre comme l’affirmait la complémentarité bohrienne…

Il s’agissait pour Bohr de « mettre en évidence de caractère de contradictions apparentes par une modification des structures internes de pensée, modification qui est la condition d’une compréhension de la théorie quantique ».

Dans l’introduction de Catherine Chevalley pour l’édition française de « Physique atomique et connaissance humaine » de Niels Bohr, on peut lire :

« L’œuvre de Bohr, on l’a souvent remarqué, est à la fois celle d’un physicien et celle d’un philosophe. Entre ces deux aspects, il n’y a pas de juxtaposition, mais imbrication et renvoi permanent de l’un à l’autre… Très rapidement la complémentarité (proposée par Bohr comme interprétation des principes de la description des phénomènes atomiques qui rompt avec les fondements de la philosophie naturelle classique) est devenue le pôle de toutes les discussions sur la signification de la mécanique quantique et elle a divisé l’ensemble de ses fondateurs : Planck, Schrödinger, Einstein, L. de Broglie s’y opposaient, tandis que Heisenberg, Pauli, Kramers, Born, Dirac et Jordan l’acceptent et s’efforcent inlassablement d’en faire comprendre la complexité… L’échec des représentations permettra à Bohr d’affirmer son point de vue : « une révolution radicale dans les concepts sur lesquels la description de la Nature a été fondée jusqu’à présent. » (…) Bohr possédait par avance ce point de vue philosophique. Heisenberg rapporte que, lors de sa première conversation avec Bohr, « J’avais l’impression de me trouver devant un vrai philosophe, qui essayait simplement de se donner les concepts pour avoir les choses en main, vous savez. » (…) En 1925-1927, Bohr propose la notion de complémentarité, qui désigne la relation qui existe entre certains concepts classiques dont l’usage simultané produirait contradiction si l’on n’imposait pas une modification essentielle à l’emploi du langage. A partir de 1929, est fixée la coupure entre ce qui est dit « sujet » et ce qui est dit « objet » et conduit à concevoir d’une manière nouvelle le rôle du langage ordinaire… Mais en même temps, puisqu’il faut conserver encore les concepts et les images classiques, il importe de tracer les limites de leurs domaines d’applicabilité… Par conséquent, la question se pose de savoir s’il est possible de présenter les principes de la théorie quantique d’une telle manière que leur application apparaisse ’’libre de contradiction’’… Le principe de correspondance (qui s’appellera ensuite de complémentarité) permet donc essentiellement d’ « anticiper une non-contradiction formelle de la théorie classique »… La dualité du rayonnement fait figure en 1924 de contradiction. Mais Bohr ne prétend pas résoudre cette contradiction au profit exclusif d’une image continue. Il recherche seulement une analogie formelle permettant de comprendre à la fois l’aspect discontinu des transitions et l’aspect continu de l’électrodynamique classique… L’apparition, en 1927, de la notion de complémentarité dans les textes de Bohr n’en modifie pas la vision essentielle… De ce point de vue, la complémentarité est bien une façon de répondre à la difficulté que les postulats quantiques faisaient peser sur la cohérence du discours physique en général. Mais cette réponse se transformera aussitôt en question : que signifie le fait de devoir attribuer à un même objet des prédicats contradictoires ? (…) Heisenberg a essayé d’exprimer cet état de choses : « Ce qui est né à Copenhague en 1927, ce n’est pas seulement un ensemble de prescriptions non ambigües pour l’interprétation des expériences, c’est aussi un langage dans lequel on parle de la nature au niveau atomique, et dans cette mesure c’est une partie de la philosophie. La manière dont Bohr réfléchissait aux phénomènes atomiques depuis 1912 a toujours été quelque chose d’intermédiaire entre la physique et la philosophie. » (…) Bohr s’oppose à Schrödinger selon lequel il doit exister « un passage continu de la mécanique macroscopique intuitive à la micromécanique de l’atome »… La conférence de Côme est la première expression publique des idées de Bohr sur la complémentarité. Elle se donne pour objet de fournir une interprétation physique cohérente à la nouvelle « mécanique quantique », synthèse des deux formalismes ondulatoire et matriciel unifiés par l’interprétation statistique de Born et par la théorie des transformations de Dirac et Jordan. « Je vais essayer, dit Bohr, de vous décrire une sorte de point de vue général que j’estime susceptible de donner une impression d’ensemble sur tout le développement de la théorie depuis son début et qui, je l’espère, contribuera à harmoniser les vues apparemment conflictuelles adoptées de divers côtés. » (…) « La question n’est pas celle d’un choix entre deux concepts rivaux mais plutôt celle de la description de deux aspects complémentaires du phénomène. » (…) L’oeucuménisme souriant du terme de complémentarité tend à dissimuler complètement la nature du problème que Bohr a en vue.’’Complémentarité’’, en effet, ne signifie nullement quelque chose comme « collaboration ». La complémentarité inclut toujours au contraire l’ « exclusion mutuelle » des éléments dits complémentaires. Citons la description cannoncique qu’en donne l’article de Bohr de 1928… « Des traits complémentaires sont exclusifs l’un de l’autre… »

Exclusif signifie qu’un des termes de la contradiction n’aura pas le droit d’être discuté en même temps que l’autre ce qui permet à la théorie d’effacer formellement les contradictions puisqu’on refuse de les intégrer…

Tuer la contradiction en ne mettant pas en relation les contraires, en les disposant des univers non connectés, voilà le but de la philosophie de Bohr. Ne mettez pas en présence la bourgeoisie et le prolétariat et vous tuez la lutte des classes, aurait-il pu affirmer !

Revenons d’abord sur qui a amené à la physique quantique ? Voilà comment Bohr l’expose dans « Physique atomique et connaissance humaine » :

« Le point de départ fut ici ce qu’on appelle le postulat quantique, selon lequel tout changement dans l’énergie d’un atome est le résultat d’une transition complète entre deux états stationnaires. En admettant en outre que toute réaction radiative atomique fait intervenir l’émission ou l’absorption d’un seul quantum de lumière, les valeurs de l’énergie des états stationnaires purent être déterminés à partir du spectre. »

Mais Bohr n’en est pas resté à ce postulat, il a cherché à comprendre pourquoi l’atome pouvait être stable alors que des électrons de cet atome émettaient de la lumière en se déplaçant à proximité ou autour du noyau de l’atome. Normalement, en perdant ainsi de l’énergie, les électrons auraient dû chuter sur le noyau et ils ne le font pas… Conclusion : ils ont perdu de l’énergie et ils sautent à un niveau inférieur mais, comme ils ne cèdent que des nombres entiers de quanta, ils descendent un nombre entier de niveaux de couches électroniques de l’atome. Il n’y a pas de sous-niveaux et on ne peut que sauter un, deux, trois niveaux et pas un et demi.

Mais, avec cette réponse, tout n’est pas réglé pour autant. Comme chacun sait, la physique des particules a été contrainte d’admettre que le monde réel (matière, lumière et vide) était à la fois fait de corpuscules et d’ondes. C’est ce que l’on appelle la dualité. Ce n’aurait pas été en soi dramatique si ce n’était que, pour le même électron par exemple ou le même photon lumineux, une expérience donne une réponse et une autre expérience donne l’autre réponse. Donc le même phénomène devrait être à un moment traité d’onde et à un autre moment traité de corpuscule. Et on ne peut pas décider lequel est réel de ces deux images pourtant très dissemblables. On ne peut même pas décider que c’est à certains moments un corpuscule et à d’autres une onde. On ne peut même pas imaginer qu’un jour on puisse trancher en faveur de l’un ou de l’autre…

Or ces deux types d’images sont relatifs à des phénomènes présentant des propriétés diamétralement opposées. En effet, le corpuscule est localisé dans un espace restreint ou même ponctuel. C’est un phénomène discontinu et même discret qui n’est pas étendu dans l’espace. Quant à l’onde, elle est continue, étendue dans l’espace. Le corpuscule se heurte aux obstacles alors que l’onde les contourne. Les corpuscules se heurtent, provoquant des chocs et des mouvements de retour par réaction, alors que les ondes se traversent mutuellement. Les corpuscules ont une position et une vitesse et les ondes ont une fréquence et une phase. Et ainsi de suite… Tout oppose l’image des ondes de celle des corpuscules.

Et c’est loin d’être la seule contradiction logique que pose la physique quantique c’est-à-dire à l’étude des phénomènes de matière et de lumière au niveau microscopique. Ni même la principale !

En effet, le problème principal est la découverte du fait qu’au niveau quantique, lorsqu’on étudie la physique des particules, on constate que les lois physiques habituelles ne fonctionnent absolument pas : on n’est pas simplement à un niveau avec des objets de taille inférieure mais il n’y a plus véritablement d’objet que l’on puisse suivre sur des trajectoires, plus de continuité du mouvement, plus de continuité des interactions, plus de continuité logique. Il est impossible de suivre des trajectoires ou des destinées individuelles d’objets. Impossible de dire même qu’un électron qu’on détecte et qu’on détecte ensuite un peu plus loin est ou n’est pas le même. Impossible de dire à propos de deux électrons qui s’approchent lequel est lequel…

Et ce n’est pas fini. Les inégalités d’Heisenberg expriment que certains paramètres physiques n’existent pas de manière indépendante. Plus on voudrait préciser certains d’entre eux, d’autres seraient de moins en moins précis. Cela n’était pas vrai en physique classique. Ces inégalités signifient qu’on ne peut pas descendre en dessous d’un quanta en termes d’un paramètre appelé l’action et qui est le produit d’une énergie et d’un temps ou encore d’une longueur par une impulsion.

Incertitude, inséparabilité, intrication, perception seulement par interaction, complémentarité, superposition d’état, impossibilité de distinguer deux particules du même type qui ont interagi, problème de la mesure, apparitions-disparitions de matière, dualité onde/corpuscule, absence de trajectoire continue dans l’espace-temps, saut quantique et saut lors de la mesure (réduction du paquet d’ondes) sont quelques uns des thèmes de la physique quantique qui n’ont pas leur équivalent en physique classique, celle qui étudie les phénomènes à notre échelle.

Donc le niveau quantique n’obéit pas aux mêmes lois et on va trouver des lois quantiques propres à ce niveau du monde matière/lumière et vide.

Mais la contradiction logique principale provient du fait qu’au sein des lois quantiques la terminologie dite classique (celle à notre échelle macroscopique) reste obligatoire. On ne peut pas avoir une expression des lois quantiques n’utilisant que le niveau quantique. C’est donc une situation proprement renversante : le niveau quantique ne peut pas être décrit par des expressions ne faisant qu’appel à lui.

Curieusement, la réponse qui va l’emporter, appelée par Bohr « la complémentarité », est celle consistant à affirmer que le niveau classique et le niveau quantique sont des univers séparés et indépendants et aussi que l’image corpuscule et l’image onde sont séparées et indépendantes. La réalité serait la totalité des deux ensembles indépendants et déconnectés, au point qu’on ne pourrait jamais être dans les deux à la fois et qu’on ne peut jamais se passer aussi des deux.

La complémentarité de Bohr nous dit que, quand on observe et mesure le corpuscule, on n’observe pas et on ne mesure pas l’onde, et inversement. Elle nous dit également que, si on est dans le domaine des lois quantiques, on n’est pas dans le domaine des lois classiques. Elles se contredisent mais ce n’est pas gênant car elles ne s’appliquent pas aux mêmes domaines et il n’y aurait pas de zone commune ni de no mans land entre elles. Ou on est dans un phénomène qui concerne le niveau classique ou on est dans un domaine qui concerne le niveau quantique.

La thèse de Bohr ne nous dit pas que l’onde existe puis que la particule existe ensuite. Elle ne nous dit pas que les deux existent en même temps et se manifestent seulement à tour de rôle. Elle nous dit que nous ne pouvons pas atteindre la réalité et que nous ne saurons jamais rien sur des objets réels parce que la nature, telle qu’elle est observée par des expériences réalisées par des êtres humains et des appareillages à leur échelle, ne nous dira jamais de quoi sont faits la matière et la lumière. Il n’y a pas de passerelle entre le monde quantique et le monde classique et on ne peut pas observer véritablement le monde quantique depuis le monde classique.

Certains se sont dit que ce n’est pas particulièrement nouveau ni extraordinaire ni inquiétant si en physique on n’observe que des probabilités. C’est déjà le cas par exemple en thermodynamique. Mais la physique de Bohr a rappelé que cela n’a rien à voir avec sa thèse. Bohr affirme même, au contraire, que la physique quantique n’est pas du type de la thermodynamique dans laquelle les lois probabilistes proviennent d’une agitation sous-jacente d’un grand nombre d’éléments de niveau inférieur, en l’occurrence les molécules.

La loi probabiliste qu’a retenue la physique quantique est une loi purement mathématique qui n’est pas fondée sur une agitation sous-jacente ni sur aucune réalité physique de niveau inférieur et d’autant moins que cette loi mathématique n’est ni celle d’un déplacement d’objet, ni celle d’un fonctionnement d’objets mais une probabilité de présence sans qu’on puisse dire la présence de quoi.

Que ce soit la fonction d’onde ou le vecteur d’état, que proposent la physique quantique, ils ne décrivent selon Bohr aucun phénomène pouvant être décrit par des phrases au sens classique.

Pire encore, la physique quantique de Bohr renonce, dans l’étude du microscopique, à toute description de « ce qui se passe quand… » et déclare que toute étude du niveau quantique par nous, observateur, est trop perturbée par cette étude pour qu’on puisse prétendre décrire le niveau quantique lui-même. En somme, l’observateur modifie trop l’observation pour qu’on puisse dire : « il se passe ceci » au niveau quantique mais « il se passe ceci dans le prisme déformant de l’observation au niveau macroscopique ». Ce qui se passe vraiment au niveau quantique, Bohr affirme qu’on n’en sait rien, qu’on n’en saura jamais rien et qu’on n’a aucune question à se poser dessus car nos observations ne nous donneront jamais aucune réponse et il est donc inutile d’essayer d’imaginer et de théoriser là-dessus !!! Contentons-nous de nos lois mathématiques qui nous donnent la seule chose atteignable pour l’homme : des probabilités d’un événement quantique.

Sa version ne se contente pas d’affirmer que tout s’explique par des « sauts quantiques », elle rajoute que le saut n’est pas le saut de quelque chose mais un saut d’un état à un autre, sans qu’il s’agisse vraiment de l’état d’un objet, d’un micro-système ou de quoi que ce soit de descriptible.

On ne peut pas répondre par oui ou par non aux questions : « Est-ce une particule ? », « Est-ce une onde ? » Finalement aucun objet ne remplacera les termes « onde » ou « particule ». Ce n’est pas une question d’inconnaissabilité, ni d’indéterminisme. Comme tout phénomène dynamique, la matière n’a aucune description par un objet fixe. On ne peut concevoir aucune structure indépendamment du milieu, ni se contenter de la déterminer par ses constantes, ses propriétés, ses fonctions. Car, si l’on procède ainsi, l’ « objet » perd ses caractéristiques dès qu’il interagit.

Werner Heisenberg répond :

« L’on voit facilement que ce qu’exige cette critique, c’est encore une fois la vieille ontologie matérialiste. Mais quelle peut être la réponse du point de vue de l’interprétation de Copenhague ? [...] Demander que l’on « décrive ce qui se passe » dans le processus quantique entre deux observations successives est une contradiction in adjecto, puisque le mot « décrire » se réfère à l’emploi des concepts classiques, alors que ces concepts ne peuvent être appliqués dans l’intervalle séparant deux observations [...] L’ontologie du matérialisme reposait sur l’illusion que le genre d’existence, la « réaliste » directe du Monde qui nous entoure, pouvait s’extrapoler jusqu’à l’ordre de grandeur de l’atome. Or, cette extrapolation est impossible. »

Einstein critique ainsi cette attitude courante à l’époque chez les physiciens quantiques :

« A la source de ma conception, il y a une thèse que rejettent la plupart des physiciens actuels (école de Copenhague) et qui s’énonce ainsi : il y a quelque chose comme l’état "réel" du système, quelque chose qui existe objectivement, indépendamment de toute observation ou mesure, et que l’on peut décrire, en principe, avec des procédés d’expression de la physique. » dans "Remarques préliminaires sur les concepts fondamentaux".

Le physicien Niels Bohr, fondateur, organisateur et véritable chef de l’école de Copenhague, lui répondait :

« Le point décisif est ici d’avoir reconnu que toute tentative est vouée à l’échec, qui aurait pour but d’analyser à l’aide des méthodes et des concepts de la physique classique « l’individualité » des processus atomiques qui résulte de l’existence du quantum d’action, et cela parce qu’il est impossible de séparer nettement un comportement non perturbé des objets atomiques de leur interaction avec les instruments de mesure indispensables pour cette analyse. » (dans « Physique atomique et connaissance humaine »)

Et Heisenberg l’appuyait à fond :

« L’interprétation de Copenhague de la théorie quantique prend naissance dans un paradoxe. Toute expérience physique, qu’il s’agisse de phénomènes de la vie quotidienne ou de phénomènes atomiques, se décrit forcément en termes de physique classique. Les concepts de physique classique forment le langage grâce auquel nous décrivons les conditions dans lesquelles se déroulent nos expériences et communiquons leurs résultats. Il nous est impossible de remplacer ces concepts par d’autres et nous ne devrions pas le tenter. Or, l’application de ces concepts est limitée par les relations d’incertitude et, quand nous utilisons ces concepts classiques, nous ne devons jamais perdre de vue leur portée limitée, sans pour cela pouvoir ou devoir essayer de les améliorer. » (dans « Physique et Philosophie »)

Dans un chapitre intitulé « Discussion sur la relation entre biologie, physique et chimie » de son ouvrage « La partie et le tout, le monde de la physique atomique », Heisenberg rapporte le point de vue du mathématicien Von Neuman débattant avec un biologiste partisan du darwinisme :

« Le mathématicien amena le biologiste à la fenêtre de son bureau et dit : « Voyez-vous là-bas sur la colline, la jolie petite maison de campagne ? Elle est née par hasard. Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques, les arbres on poussé, ont vieilli, se sont décomposés. (...) Une fois, au bout d’un temps très long, ils ont produit cette maison de campagne. »

Cette facétie est plus profonde qu’il n’y paraît. C’est une véritable objection contre l’idée que les grandes innovations brutales du vivant auraient été produites par des accumulations très lentes de toutes petites modifications au hasard sélectionnées par la nature. Des petites transformation au hasard auraient produit un œil, un cerveau ? Heisenberg préférait l’idée que ces transformations s’étaient produites de manière déterministe et brutale. Il prenait partie même si la biologie, bien sûr, n’était pas son domaine de recherche. Qu’en est-il du lien entre ces inégalités et l’indéterminisme ?

Max Planck expliquait, dans « Initiation à la physique », pourquoi il ne comptait pas céder à la pression de l’opinion courante selon laquelle la découverte du quanta entraînait un renoncement à la notion de causalité mais seulement à son changement de signification : « A l’heure actuelle, il y a des physiciens qui seraient très portés à retirer au principe de causalité strict son rôle dans le système physique de l’univers. (...) Mais, autant que je puis m’en rendre compte, il n’y a, pour le montent, aucune nécessité de se résigner à l’indéterminisme. (...) Il est toutefois certain que cette façon d’envisager le déterminisme diffère quelque peu de celle qui était habituelle en physique classique. »

Bohr renonçait en effet non seulement à la description individuelle des quanta mais à toute description du monde quantique et même à toute causalité en son sein.

Niels Bohr explique ainsi dans « Théorie atomique et description de la nature » :

« La mécanique quantique est en contradiction logique avec la causalité (...) Il n’y a pas pour le moment d’occasion de parler de causalité dans la nature, parce qu’il n’y a pas d’expérience qui indique sa présence. »

Il faut connaître la portée plus large que la notion de complémentarité acquiert dans la pensée de Bohr, notamment grâce à l’influence de son pėre Christian Bohr, qui était physiologiste, et de Harald Høffding, son mentor philosophique. Très tôt l’idée de complémentarité trouve aussi son application dans les domaines de la biologie, de la psychologie et de l’épistémologie. Katsumori fait ressortir cette unité thématique en prenant comme fil conducteur la relation complémentaire entre le spectateur et l’acteur en visant à « rendre l’analogie entre la théorie quantique et autres domaines plus explicites que Bohr lui-même ne l’a fait », à travers une clarification de la structure complémentaire qui réunit ces divers domaines.

Décrivons la conception de Bohr, selon laquelle la physique, au lieu de prétendre décrire le réel, devait se contenter de prédire les phénomènes…

La devise de Bohr était "Contraria sunt complementa" (les contraires sont complémentaires) qu’illustre le symbole du yin et du yang. C’est le principe de complémentarité qu’aura ainsi explicité Bohr :

« Peu importe à quel point les phénomènes quantiques transcendent les explications de la physique classique, il n’en demeure pas moins que les descriptions que l’on en fera devront être données en termes classiques. L’argument est simplement que par "expérience", nous entendons une situation dans laquelle nous pouvons décrire aux autres ce que nous avons fait et appris ; par conséquent, la description des dispositifs expérimentaux et les résultats des observations doivent être exprimés dans un langage sans ambiguïté, applicable dans la terminologie de la physique classique. Ce point crucial entraîne l’impossibilité de toute séparation tranchée entre le comportement des objets atomiques et l’interaction avec les instruments de mesure qui servent à définir les conditions dans lesquelles ces phénomènes apparaissent. » (in Niels Bohr, Albert Einstein, Philsopher-Scientist, Open Court, 1949, "Discussion with Einstein on Epistemological Problems in Atomic Physics").

Lochak analyse cette tendance de la philosophie de Bohr :

« L’approche philosophique et culturelle des problèmes de la mécanique quantique devait tout naturellement privilégier les discussions sur le déterminisme… Alors qu’au fil des années 1930, Bohr tend à minimiser de plus en plus le côté contradictoire, paradoxale, de la complémentarité des aspects ondulatoire et corpusculaire, Louis de Broglie, au contraire, le souligne de plus en plus. Il parle de contradiction, d’exclusion, de conflit, mais rarement de complémentarité. Le conflit se généralise peu à peu pour devenir le conflit de la cinématique et de la dynamique. De Broglie l’illustre en réactualisant le paradoxe de Zénon : « Dans le macroscopique, Zénon paraît avoir tort, poussant trop loin les exigences d’une critique trop aiguë, mais dans le microscopique, à l’échelle des atomes, sa perspicacité triomphe et la flèche, si elle est animée d’un mouvement bien défini, ne peut être en aucun point de sa trajectoire. Or, c’est le microscopique qui est la réalité profonde, car il sous-tend le macroscopique. »

Mais pourquoi devrait-on parler de dialectique hégélienne ou marxiste quand on étudie la physique quantique ?

Tout d’abord, il faut remarquer ce qu’est une négation dialectique au regard de la matière. La matière peut-elle être niée ? Par exemple, lorsqu’on transforme de la matière en lumière ou de la lumière en matière, nous avons là une négation de la matière. Pour prouver que cette négation est dialectique, il faut démontrer que les contraires coexistent. Or, la matière absorbe la lumière donc il y a toujours de la matière au sein de la lumière. Et la lumière qui nous entoure est toujours émise par de la matière. Donc l’inséparabilité de la matière et de la lumière est prouvée : les contraires fondent une unité. Au point que deux matières ne peuvent communiquer et interagir que par de la lumière. La matière n’existe pour une autre matière que via la lumière. D’autre part, la lumière peut, à proximité de matière, se transformer en matière (et en antimatière) virtuelle. La différence entre matière virtuelle et matière dite réelle (attention, les deux sont tout aussi réels !) est la réception d’un boson de Higgs (un boson, c’est de la lumière). Il y a donc de la matière dans la lumière et de la lumière dans la matière.

La physique classique voyait une opposition diamétrale et non dialectique au couple matière/lumière et cela parce qu’on pensait que la lumière était faite d’ondes (continuité, occupation de tout l’espace, interférences constructrice et destructrices, contournement des obstacles, etc…) et que la matière était fait de corpuscules (position ponctuelle, pas d’occupation de l’espace, pas continuité, pas d’interférences, pas de contournement des obstacles, etc…).

La physique quantique a détruit cette croyance en démontrant que la lumière et la la matière sont tous deux des dualités ondes/corpuscules et qu’elles ont une autre unité : être des modes d’expression du quanta d’action et enfin une dernière d’être des formes d’organisation plus ou moins durables du vide quantique. Du coup, matière et lumière, loin d’exister dans deux domaines sans partie commune sont deux manifestations du même monde de matière-lumière… C’est un changement de point de vue considérable qui fait entrer la matière-lumière dans le domaine des unités des contraires dialectiques ! Il n’y a pas d’un côté l’onde et de l’autre le corpuscule mais ces deux contraires sont imbriqués à l’infini : des ondes dans les corpuscules et des corpuscules dans les ondes !!!

Et ce n’est pas fini ! Lorsque la matière-corpuscule se couple à de la matière-onde, ou lorsque de la lumière-onde se couple à de la lumière-corpuscule, nous avons là un couplage des contraires au sein d’une même unité. En effet, il est impossible de séparer le caractère onde du caractère corpuscule que ce soit pour la matière ou pour la lumière. C’est un des points dialectiques qui ont rendu dingue les physiciens quantiques…

Ces derniers étaient éduqués au monde de la logique formelle, de la continuité, des catégories opposées de manière disjointes et donc métaphysiques : ou la matière ou la lumière exclusivement, ou l’onde ou le corpuscule exclusivement, ou la matière ou le vide exclusivement, ou la localisation ou l’occupation de l’espace exclusivement, etc, etc… Mais il a été mille fois prouvé qu’il n’est plus possible depuis la physique quantique de séparer les contraires, de les isoler, de les opposer diamétralement, formellement, et donc métaphysiquement (c’est-à-dire pas dialectiquement).

On ne peut séparer, ni opposer diamétralement, ni isoler matière et lumière. N’oublions pas que nous appelons ici lumière, au sens large, tous les bosons sans masse et le reste est appelé matière.

Mais tout couplage de deux particules de matière est de la lumière. C’est le cas notamment de deux électrons qui se couplent dans le phénomène de supraconductivité BCS. La transformation en son contraire dialectique existe bel et bien. Elle est même le fondement de toutes les transformations du monde de la matière-lumière-vide.

Car à la base de tout, il y a l’univers du vide quantique dont tout le monde a entendu parler mais que peu de gens ont étudié, même les scientifiques.

Là aussi, la relation matière-vide et lumière-vide sont des relations dialectiques. La lumière est un phénomène qui se propage en s’appuyant sans cesse sur des couples différents de particules et d’antiparticules du vide quantique, ces couples étant provisoires. La matière est un phénomène qui se propage en s’appuyant sans cesse sur des particules différentes du vide quantique. Les deux phénomènes s’appuient sur le vide quantique et sont fondés sur lui. C’est ce qui leur permet d’interagir en échangeant des particules du vide. La lumière est donc une unité entre une particule et une antiparticule. La matière est entourée par un nuage de couples particule/antiparticule du vide. Ce couplage qui fonde une unité provisoire est donc à la base de tout. C’est bel et bien une unité des contraires puisque l’antiparticule est bien le contraire de la particule… Leur opposition est certaine puisqu’on ne peut pas les unir complètement ce qui entraînerait une explosion et que tout est fondé sur leur union provisoire… C’est cet ensemble de contradictions qui fonde la dynamique du monde matériel dont la base est l’extraordinaire agitation du vide quantique. Il est un autre point contradictoire qu’il faut évoquer pour bien comprendre le fonctionnement de la matière : c’est la hiérarchisation des structures. Tout d’abord qu’entend-on par structure de la matière ? Eh bien, la matière apparaît comme des unités : une particule, un atome, une molécule, une étoile, une galaxie, etc… Or ces unités n’existent qu’à une certaine échelle et ces échelles sont emboîtées et interactives. Toutes les interactions matière-matière sont des sauts d’un niveau à un autre d’échelle de structure. Un niveau agit sur le niveau supérieur et le niveau inférieur. Et quand je dis matière, j’entend par là y compris la matière virtuelle du vide qui est un niveau et la matière dite virtuelle de virtuel qui est un niveau inférieur, etc… C’est ainsi que la relation particule-particule passe par une action particule-vide puis une autre action vide-particule, aucune particule de matière ne pouvant ni entrer directement en contact ni interagir avec une autre sans agir via les particules et antiparticules du vide. Les interactions proviennent donc de sauts de niveaux de structure de la matière et sont par conséquent fondamentalement discontinues. Le quanta pointait déjà une discontinuité : celle dite des sauts quantiques. Ces sauts qualitatifs d’échelle sont une caractéristique supplémentaire de la dialectique de la matière. Les physiciens quantiques se sont assez arraché les cheveux de voir que les trajectoires sautaient, que les déplacements n’étaient suivables en continu, que de la matière et de l’énergie apparaissaient et disparaissaient, contredisant les affirmations de toute l’ancienne physique…. Ce qui leur manquait pour intégrer de tels sauts était justement la philosophie dialectique. Ce caractère contradictoire dialectiquement explique que la matière change sans cesse et soit dynamique, ce que Hegel appelle l’ « automouvement » : la matière se fait bouger et changer elle-même, sans action extérieure. Sans arrêt, la propriété de masse saute d’une particule virtuelle à une autre. Sans arrêt, une particule change d’état en émettant ou recevant de la lumière. Sans arrêt des atomes ou des molécules changent d’état en émettant ou en recevant de la lumière.

Il est inévitable à ce stade de rappeler le fameux chat de Schrödinger… Désolé pour ceux qui n’aiment pas les chats mais toute la physique a été contrainte d’en passer par cette image théorique inventée par le physicien quantique Schrödinger et qui avait pour but de démontrer l’impossibilité de dresser une frontière infranchissable entre niveau quantique et niveau classique. Rappelons brièvement que le chat enfermé dans boite contenant un dispositif radioactif va perdre la vie si l’atome radioactif se décompose. Si on considère que l’atome radioactif (objet quantique comme tous les atomes) est dans une superposition d’états (décomposé et non décomposé), alors le chat doit être dans une superposition d’états (mort et vivant). Il est à la fois mort et vivant alors qu’il n’est pas un objet quantique, étant constitué d’un nombre immense de particules. Le chat démontre donc que, malgré les apparences, il n’y a qu’un seul monde. L’objet classique, qui n’est pas observé, devrait donc conserver toutes ses potentialités alors que tout objet (même quantique) lorsqu’il est mesuré ne présente plus qu’un seul état, celui qui va être mesuré. Le chat, lui aussi, lorsqu’on ouvre la boite, ne présente plus qu’un seul état : mort ou vivant alors que, lorsqu’il est dans la boite, on est contraint de dire qu’il est une superposition des deux états avec une certaine probabilité pour chacun. Comment interpréter cette superposition pour un objet qui n’est pas à un niveau quantique et ce passage de la superposition à la suppression de celle-ci ? Tous les partisans de la logique formelle perdent ici leur latin car cette logique formelle interdit la coexistence du oui et du non, de la vie et de la mort, la superposition des états et autres phénomènes qui se multiplient en physique quantique comme la dualité onde/corpuscule. Les partisans de la dialectique de Hegel ne sont nullement surpris : il n’y a pas besoin que les objets soient quantiques pour qu’ils soient pris dans la dialectique des contraires. Hegel a toujours expliqué que le vivant est une superposition des contraires, de la vie et de la mort, ce que la génétique a finalement confirmé en rapportant les combats des gènes et protéines de la vie et de la mort, incessants au sein de la cellule vivante. La matière dite inerte est tout aussi dynamique que le vivant. Elle nait et disparait sans cesse au sein du vide. Elle est en permanence créée et supprimée par ses interactions avec les couples particule/antiparticule virtuels et les photons virtuels du vide quantique. La notion de matière ne disparaît pas dans cette conception de la physique. C’est seulement une certaine image de la matière qui disparaît, celle qui considérait les objets matériels comme ayant une existence indépendante de leur environnement et qui considérait la physique de manière mécaniste, comme le produit des seuls déplacements de particules sans changement de celles-ci. La physique actuelle considère que les particules sont produites par le vide quantique et également détruites par lui. C’est dans le vide que se trouvent les particules virtuelles entre lesquelles sautent les bosons de Higgs porteurs de la propriété de masse. Ainsi, successivement des particules virtuelles portent puis perdent la propriété de masse. L’électron (ou le proton ou toute autre particule) voit ses propriétés sauter d’une particule virtuelle du vide à une autre toute proche. C’est là que se situent les sauts qui caractérisent le niveau quantique. Quant au niveau classique, il émerge des interactions entre les particules de matière au travers des photons émis et absorbés par la matière. S’il y a une philosophie qui est suggérée par la physique quantique, c’est bien plus celle de Hegel, la pensée dialectique que celle de Kant, la pensée critique.

Quelques exemples des multiples situations dans lesquelles on peut voir se manifester la dialectique des contraires et non leur opposition métaphysique ? La matière est globalement souvent électriquement neutre mais c’est parce que les électricités positives et négatives se combattent et se compensent et elles le font dialectiquement. A proximité du noyau de l’atome qui est positif électriquement, se trouvent des électrons qui sont négatifs. Contradicion dialectique ! Chacun sait, d’autre part, que la matière est composée de particules électriquement contraires : de charges positives et négatives, des particules et des antiparticules. Cependant, la physique quantique révèle qu’à proximité d’une charge électriquement négative on trouve les particules virtuelles positives du vide quantique et inversement. Cela signifie qu’à proximité d’une particule d’une certaine électricité, l’électricité s’inverse. Cela signifie qu’une zone d’espace exclusivement dominée par une certaine charge électrique ne peut exister. Quant aux vide, les charges positives et négatives des particules virtuelles y sont sans cesse couplées mais aussi sans cesse découplées. Contradicion dialectique !

Le principe d’incertitude d’Heisenberg qui règle les limites de la mesure dans tous les domaines matériels est fondé sur la remarque suivante : plus on essaie de cantonner une particule de matière dans un espace étroit, plus il reçoit d’énergie pour en sortir… Contradicion dialectique !

Examinons l’émergence de la matière durable, dite réelle par opposition à la matière virtuelle qui est plus éphémère, au sein du vide. Elle est pleine de contradictions. Le vide contient autant de matière que d’antimatière et le temps y est symétrique (pas de flèche du temps). Par contre, le temps n’existe que sur de très courtes plages inversement proportionnelles aux émissions d’énergie. Le monde du vide engendre un monde de la matière qui lui est complètement contradictoire. Le monde dit matériel est formé de bosons et de fermions qui sont interdépendants mais complètement contradictoires. Ils obéissent à des logiques opposées. Par exemple, les bosons peuvent et apparaître et disparaître sans laisser de trace et sont grégaires. Les fermions sont anti-grégaires (principe de Pauli) et ne peuvent disparaître sans laisser de trace. Cependant ni les uns ni les autres ne peuvent exister sans leur contraire. Contradiction dialectique !

Le physicien-chimiste Ilya Prigogine écrit dans "La fin des certitudes" :

« Toute sa vie, Einstein poursuivit le rêve d’une théorie unifiée qui inclurait toutes les interactions. Nous arrivons à une conclusion inattendue (…) L’unification implique une conception « dialectique » de la nature. »

Comme l’écrivent Edgard Gunzig et Isabelle Stengers à propos de la physique quantique des interactions fondées sur l’habillage des particules par des particules « virtuelles » :

« Une telle situation ferait peut-être les délices d’un philosophe dialecticien… »

Le couple particule/antiparticule est la négation du photon et le photon est lui-même la négation du couple particule/antiparticule. Il ne s’agit pas d’une négation logique puisque sans cesse le photon se décompose et se recompose en couple particule/antiparticule éphémère. L’apparente stabilité du photon n’est rien d’autre que le cycle matérialisation/dématérialisation du photon (dont le rythme fixe sa fréquence). Le corpuscule le plus « simple », celui de lumière n’est donc rien d’autre que la fameuse « négation de la négation ».

Le réel est une négation du virtuel et inversement. La matière est la négation du vide et inversement. La charge négative est la négation de la charge positive mais ensemble elles donnent une nouvelle entité, le photon capable de se décomposer à nouveau en contraires, particule et antiparticule. C’est ce processus qui permet à la particule de matière d’avoir une existence apparemment sans rupture à condition de ne pas chercher à la positionner avec précision. Comme on l’exposera plus tard, la particule apparaît être durable parce qu’elle migre de particules virtuelles en particules virtuelles au sein de son nuage de polarisation.

La conservation de la matière est donc une négation de la négation comme le remarque Michel Cazenave dans « Le vide », ouvrage collectif dirigé par Edgard Gunzig et Isabelle Stengers :

« Nous avons fait ressortir (...) ce caractère du vide en tant que conjonction des opposés. (...) Conjonction des opposés qui ne trouve son vrai sens que dans la mesure, néanmoins, où elle correspond au plus près à une dialectique des modes d’être. (...). C’est la négation du principe d’identité. (...) Proclus : ’’Je définis au sujet du mode des négations qu’elles ne sont pas privatives de ce sur quoi elles portent, mais productives de ce qui est’’ (...) et tout au terme de la course, c’est la négation de la négation elle-même. (...) Si l’on accepte de suivre cette pensée dialectique dans sa rigueur tout interne, on s’aperçoit en même temps comment tombent les objections qu’on oppose à ce modèle. (...) Ce que nous voulions montrer, c’est qu’il existe une logique de la pensée du vide »

Les contradictions du vide diélectrique produisent les contradictions des particules de matière et de lumière qui produisent elles-mêmes les contradictions de la matière à notre échelle (macroscopique) entre l’ordre et le désordre et qui ont produit le vivant et l’homme. C’est un cheminement fantastique qui se déroule sans cesse à la frontière fractale de l’ordre et du désordre et qui concerne non les individus mais les grands groupes d’interactions entre ces individus.

L’action est négation de la négation de la stabilité de structure. La négation de la particule virtuelle est l’antiparticule virtuelle (elles s’annulent mutuellement pour donner du rayonnement virtuel). La négation du couple particule/antiparticule virtuels est le photon lumineux (réel). La négation du couple photon et nuage engendré par le couple particule/antiparticule est la particule « réelle » qui l’absorbe. La négation de la particule réelle est l’antiparticule réelle… etc La négation n’est pas un opposé logique. C’est un processus dynamique par lequel le photon ou la particule sont détruits puis reconstruits, niés puis reconstitués par « négation de la négation » que sont l’apparition et la disparition du photon transformé en couple particule/antiparticule ou encore les cycles matérialisation/dématérialisation des particules par interaction avec ces couples virtuels du vide. Ces rétroactions permanentes et en cascade ont lieu et s’organisent spontanément en constituant des structures. Chaque niveau produit un niveau supérieur d’organisation.

Bohr a préféré le point de vue de Kierkegaard selon lequel il n’y a, dans la réalité, que des pôles irréductibles qui ne peuvent pas se réconcilier dans une synthèse. Pour Bohr, les points de vue complémentaires sont mutuellement exclusifs. Heisenberg rapporte que Bohr ne se contentait pas de la complémentarité des images « onde » et « corpuscule » de la connaissance humaine sur le monde. Il y ajoutait bien d’autres « complémentarités » comme classique et quantique, comme biologique et matériel ou encore comme la justice et la charité, le point de vue mécaniciste et le point de vue organiciste. Lorsqu’on a décrit successivement l’onde et le corpuscule, l’affirmation de Bohr et Heisenberg, c’est qu’on ne peut pas regrouper les deux images en une seule conception du fonctionnement du monde... La dualité de Bohr et Heisenberg est donc un dualisme et non une contradiction dialectique.

Etienne Klein écrit dans « Dictionnaire de l’ignorance » : « Comme nous dit John Bell, dans la bouche de Niels Bohr, (…) la complémentarité est proche du concept de contradiction (…) Contradiction est le mot fétiche de Bohr, comme l’ont fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979. » Mais la contradiction de Bohr est diamétrale et pas dialectique.

Jean-Marc Lévy-Leblond dans « La quantique à grande échelle », article de l’ouvrage collectif « Le monde quantique » :

« L’approche philosophique et culturelle des problèmes de la mécanique quantique devait tout naturellement privilégier les discussions sur le déterminisme… Alors qu’au fil des années 1930, Bohr tend à minimiser de plus en plus le côté contradictoire, paradoxale, de la complémentarité des aspects ondulatoire et corpusculaire, Louis de Broglie, au contraire, le souligne de plus en plus. Il parle de contradiction, d’exclusion, de conflit, mais rarement de complémentarité. »

Pourquoi affirmer que Heisenberg et Bohr avaient un a priori qu’ils auraient imposé contre le sens philosophique de ce qu’ils voyaient eux-mêmes ?

Heisenberg reconnaît ne pas connaître la réponse sur la signification des sauts quantiques et de « ce qui se passe » : « Lorsque l’électron (d’un atome) saute – dans le cas d’émission de rayonnement – d’une orbite à l’autre, nous préférons ne rien dire au sujet de ce saut : est-ce un saut est-ce un saut en longueur, un saut en hauteur ou quoi d’autre ? »

Mais il décide qu’on n’a pas à se poser la question !

La dialectique, il la voit tout à fait dans la physique contemporaine mais choisit, comme il l’a écrit, d’effacer les contradictions dialectiques :

« Nous pouvons remarquer que la physique moderne est à un certain point de vue très proche des doctrines d’Héraclite. » écrit Werner Heisenberg, dans « Physique et philosophie »…

« Pour conclure maintenant tout ce que nous avons dit de la science actuelle, nous pouvons peut-être déclarer que la physique moderne n’est qu’une partie - mais aussi une partie très caractéristique - d’un processus historique général qui tend à une unification. » écrit Werner Heisenberg dans "Physique et philosophie" et pourtant la thèse de Copenhague qu’il soutient est dualiste ce qui est tout le contraire d’une unification : les complémentaires de Bohr et Heisenberg sont séparés, ne surviennent pas dans les mêmes circonstances et ne sont pas interactifs…

Werner Heisenberg n’était pas du tout un adepte politique des révolutions. Au début de son ouvrage, « La partie et le tout, le monde de la physique atomique », il raconte la genèse de ses idées et tient à rappeler qu’il a commencé à réfléchir aux atomes alors que lycéen, il faisait partie des jeunes volontaires enrôlés comme troupe fasciste contre la révolution des soviets ouvriers de Bavière, à Munich. Et pourtant, il avertit : « Si nous voulons parler de révolutions dans la science, il est important de regarder ces révolutions de très près. » Et pourtant, celui qui écrit ainsi est tout le contraire d’un révolutionnaire.

La réalité qui lui apparaît en physique, elle, est bel et bien révolutionnaire, même si cela ne lui plait pas nécessairement :

« Certes, j’ignore si l’on peut faire un parallèle entre les révolutions de la science et celles de la société humaine. (...) Du point de vue de l’évolution historique – et ceci est vrai, me semble-t-il, au même titre pour les arts et les sciences – de longues périodes d’arrêt ou en tout cas d’évolution très lente. (...) Cependant, à un moment donné ce lent processus – au cours duquel, peu à peu, le contenu de la discipline considérée subit une mutation – en arrive tout d’un coup, et parfois de façon tout à fait inattendue, à produire des possibilités et des valeurs nouvelles. »

« Heisenberg écrivait ainsi dans « Physique et philosophie » : « Les atomes, ou les particules élémentaires elles-mêmes, ne sont pas réels ; ils constituent un monde de potentialités ou de possibilités plutôt qu’un monde de choses ou de faits. » Heisenberg découvre ici un germe de dialectique mais, en même temps et surtout, il s’efforce de justifier une négation de la dialectique objective, quand il parle de la possibilité d’une réalité et, encore plus, quand il rejette toute idée d’une réalité objective. (…) La dichotomie introduite par Heisenberg est conforme à la contradiction formelle entre le potentiel et le réel. (…) Heisenberg a développé systématiquement des conceptions idéalistes et platoniciennes, et ses idées ont eu une grande influence sur ses contemporains. Parlant des conséquences extrêmes de ces idées, A. Landé a dit : « Il n’est pas étonnant que Sir James Jeans, après avoir étudié Bohr et Heisenberg, soit arrivé à la conclusion triomphale que la matière consiste ondes de connaissance, ou en absence de connaissance dans notre esprit. » (…) La pensée mécaniste sépare l’objet des conditions de son existence. La pensée positiviste (mécaniste d’un point de vue diamétralement opposé) prend la position inverse, quand elle affirme que « l’objet n’existe pas avant l’interaction avec l’instrument » et que « la réalité est création de nos moyens d’observation ». Mais la pensée positiviste contient dans ce cas un germe de vérité. En réalité, l’objet n’a pas d’existence en dehors de conditions concrètes, en dehors de son milieu et de ses relations concrètes avec ce milieu. De ce point de vue, l’instrument d’observation « crée » la particule. Mais il ne la crée pas du néant, il la transforme, et d’un être initial donné, dans des conditions concrètes, il crée divers êtres, selon la nature de la particule initiale et les conditions de l’expérience. Les interactions de la particule avec le milieu, ou avec l’appareil de la mesure, transforment certains de ses éléments de réalité en des éléments différents. Ainsi la particule passe d’un état à un autre, ou se transforme en autre chose. Ce dynamisme interne de la matière a été considéré comme une preuve de non existence !

Au niveau quantique, les transformations des particules sont plutôt une donnée qu’un processus explicable d’une manière satisfaisante. Il y a bien sûr les symétries, les lois de conservation et les règles de sélection qui en découlent et, sur cette base, on peut prévoir la possibilité pour une transformation et exclure une autre. On peut aussi, dans plusieurs cas, calculer les rapports des probabilités des différentes possibilités, mais l’explication de ces phénomènes n’est pas « complète ». Il y a des physiciens qui affirment qu’à un niveau plus profond d’organisation de la matière les processus aléatoires du niveau quantique peuvent être expliqués dans un contexte de liaisons inconnues aujourd’hui. Mais, pour le moment, il ne s’agit que d’hypothèses. (…)

C’est dans la région des hautes énergies que la mobilité de la matière se manifeste le plus clairement, avec des multiples transformations. (…) Cette mobilité et cette fécondité indiquent que les particules dites élémentaires sont en réalité des êtres complexes, qu’on ne peut envisager la structure en dehors des interactions de la particule avec le milieu. De plus, cela indique que la notion de structure est liée à la notion de « virtuel ». Donc le concept de structure doit être un concept dynamique. (…) Les états stationnaires de la physique sont en réalité des états d’équilibre dynamique : d’unité des contraires. Mais une perturbation peut détruire la symétrie existante et la dissymétrie momentanée conduit à un ou plusieurs nouveaux états. Ainsi un atome émet du rayonnement chaque fois qu’il est excité par le quantum de rayonnement électromagnétique. Un neutron peut détruire l’équilibre d’un noyau : le résultat est la désintégration du noyau initial, et la formation de nouveaux noyaux à partir de l’ancien. Et cela, car le noyau est une totalité contradictoire et sa cohérence est assurée par le jeu d’échanges des différents champs physiques, surtout du champ fort et du champ électromagnétique. Ainsi, une perturbation extérieure peut provoquer la rupture de cet équilibre dynamique et conduire à une désintégration ou transmutation.

Deux particules forment pendant une collision une totalité momentanée et contradictoire, qui donne naissance à d’autres particules. Ainsi, les anciennes formes, à travers un processus de fusion et de séparation, donnent naissance à d’autres formes. L’état intermédiaire est la négation de l’état initial. La négation de la négation est l’émergence de nouvelles formes. (…)

Au niveau de la microphysique on peut imaginer le mouvement simple dans l’espace comme disparition de la particule en un point et réapparition en un autre point voisin. (…) Le mouvement est ainsi analysé en une série de recréations et de destructions dont le résultat total est le changement continu de la particule dans l’espace. (…) »

Physique et matérialisme de E. Bitsakis

Messages

  • Qu’est-ce qui n’est pas dialectique dans la conception de la contradiction de Bohr ?

  • Ce qui n’est pas dialectique, c’est que les deux termes s’excluent mutuellement, ne coexistent pas, ne fondent pas une réalité supérieure, ne donnent aucune synthèse et restent là, de manière tout à fait séparée.

    Louis de Broglie, explique ainsi la thèse de Bohr dans « Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l’œuvre d’Albert Einstein » :

    « Bientôt M. Bohr allait la résumer en introduisant la curieuse, mais un peu trouble, notion de « complémentarité » suivant laquelle le corpuscule et l’onde sont des « aspects complémentaires de la réalité » qui se complètent en s’excluant, chacun de ces deux aspects ne se manifestant dans l’expérience qu’au détriment de l’autre. En s’orientant vers de telles conceptions, on s’éloignait évidemment complètement de la représentation synthétique des corpuscules et des champs dans le cadre de l’espace et du temps qu’avait rêvée Einstein… »

    « Contradiction, voilà le mot fétiche de Bohr. Comme l’avait fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979, Bohr n’avait considéré que deux cas extrêmes et contradictoires, celui où on détermine avec certitude par quelle fente chaque électron a passé (d’où disparition de la figure d’interférence) et celui où on ne détermine pas du tout le trajet de chaque électron (ce qui laisse intacte la figure d’interférence). En fait, il y a entre ces deux cas limites toute une gamme de cas intermédiaires, où on détermine avec une incertitude variable le trajet des électrons. Plus cette détermination est certaine, plus la figure d’interférence tend à se brouiller ; plus elle est incertaine, meilleur est le contraste des franges d’interférence. La contradiction qu’évoque la complémentarité autorise donc une certaine forme de mélange. » expose Etienne Klein dans « La complémentarité quantique », article de l’ouvrage collectif « Dictionnaire de l’ignorance » sous la direction de Michel Cazenave.

    Une des démonstrations du caractère dialectique de la physique quantique est son histoire elle-même. En effet, en 1925-1926, cette physique se divise en deux branches opposées, l’une fondée par Heisenberg et l’autre par Schrödinger, l’une la mécanique matricielle et l’autre la mécanique ondulatoire, l’une corpusculaire et l’autre ondulatoire, l’une fondée sur la discontinuité et l’autre sur la continuité et c’est la convergence dialectique des contraires qui va donner la physique quantique actuelle, qui a rassemblé les deux. Les corpuscules d’Heisenberg sont conservés et l’onde de Schrödinger aussi. L’onde devient la fonction continue dynamique qui indique la probabilité de présence du… corpuscule discontinu…

    Par contre, Schrödinger, dans « Science et Humanisme », s’il reconnait les corpuscules, précise : « Il vaut mieux ne pas regarder une particule comme une entité permanente, mais plutôt comme un évènement instantané. Parfois, ces évènements forment des chaînes qui donnent l’illusion d’être des objets permanents. »

    Mais ce n’est qu’une illusion. Les particules ne sont pas des objets fixes. Ce ne sont pas des objets toujours les mêmes. La particule est un ensemble de propriétés qui se conserve et qui est porté par une série changeante de particules virtuelles toujours différentes avec des sauts d’une particule virtuelle à une autre.

  • .
    La physique quantique a retrouvé que position et mouvement sont contradictoires dialectiquement, ce qu’Hegel avait déjà compris.

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