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Les peuples arabes peuvent-ils compter sur une puissance impérialiste dans leurs luttes de libération nationale ? Le point de vue d’un "escroc à succès", dit Lawrence d’Arabie dans son livre "Les Sept Pilliers de la Sagesse".

jeudi 16 janvier 2020, par Robert Paris

C’est Lawrence d’Arabie lui-même qui se surnomme « escroc à succès » dans son livre "Les sept piliers de la sagesse", voir la citation à la fin de cet article.

Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, fut envoyé en 1914 par l’armée anglaise dans les provinces arabes alors sous domination ottomane. Sa mission était de soulever les populations arabes contre l’Empire ottoman allié à l’Allemagne dans la première guerre mondiale.

On peut connaitre ses aventures par le beau film de David Lean « Lawrence d’Arabie » (1962), célèbre à juste titre, entre autre pour la musique et les paysages, avec Peter O’Toole ; mais aussi par ses propres mémoires "Les sept pilliers de la sagesse".

On sait que pendant qu’il promettait l’indépendance et une grande nation arabe aux chefs de tribus arabes sur les ruines de l’empire ottoman, les accords secrets Sykes-Picot (Angleterre-France) partageaient la région en zones d’influences pour les puissances impérialistes qui gagneraient la guerre.

Il suffit de lire Lawrence lui-même pour comprendre ce que cache dans un bel emballage romantique ces tactiques de l’impérialisme : utiliser une lutte nationale contre un impérialisme rival, celui de l’Allemagne dans ce cas.

Que cela permette d’enlever des illusions à ceux qui en auraient à ce sujet : des interventions d’un impérialisme (britannique ici) cherchant à utiliser des révoltes, au nom de la liberté, comme actuellement en Libye, en Syrie.

Lawrence commence par la jeunesse sincère et romantique, trahie par les anciens cyniques :

Nous étions liés d’affection à cause de l’immensité des libres espaces, de la saveur des vents sans limites, de l’éclat du soleil et des espoirs pour lesquels nous œuvrions. La fraîcheur matinale du monde à venir nous enivrait. Nous nous emballions pour des idées aussi inexplicables que vaporeuses, mais pour lesquelles il fallut combattre. Nous vécûmes maintes vies au cours de ces tourbillonnantes campagnes, sans jamais nous épargner ; pourtant, lorsque nous accomplîmes notre dessein et que vint l’aube du monde neuf, les anciens réapparurent et s’emparèrent de notre victoire pour la refaçonner à l’image du monde antérieur qu’ils connaissaient. La jeunesse pouvait gagner : elle n’avait pas appris à garder, et elle était pitoyablement faible face à l’âge ! Nous balbutiâmes que nous avions œuvré pour un nouveau ciel et une nouvelle terre... Ils nous remercièrent gentiment et firent leur paix ! (...)

En quoi consistaient ces espoirs déçus pour lesquels Lawrence œuvrait aux côtés des arabes ?

J’entendais créer une nouvelle nation, restaurer une influence perdue, donner à vingt millions de Sémites les fondations sur quoi construire un palais inspiré, le palais de rêve de leurs idées nationales. Un but si élevé en appelait à la noblesse innée de leur esprit et leur faisait la part belle dans les événements : mais lorsque nous l’emportâmes, on m’accusa d’avoir compromis les redevances du pétrole britannique en Mésopotamie et ruiné la politique coloniale française au Levant.

Puis Lawrence reconnait que derrière ce beau décor la réalité est plus prosaïque, les arabes servant de chair à canon ...

Et nous les jetions par milliers dans le feu de la pire des morts, non pour gagner la guerre, mais afin de nous approprier le blé, le riz et le pétrole de la Mésopotamie ! L’unique nécessité était de défaire nos ennemis (dont les Turcs), ce qui fut enfin réalisé par la sagesse d’Allenby avec moins de quatre cents tués, en tournant à notre service les mains de ceux qu’opprimait la Turquie. Ma plus grande fierté, ce sont mes trente combats où pas une goutte du sang des nôtres ne fut versée. Toutes nos provinces sujettes ne valaient pas, pour moi, la mort d’un seul Anglais.

... et que lui-même savait très bien que ses promesses étaient des mensonges :

Le Cabinet poussa les Arabes à se battre pour nous en leur promettant sans ambiguïté qu’ils seraient ensuite autonomes. Les Arabes ont foi dans les personnes, non dans les institutions. Ils virent en moi un libre agent du gouvernement britannique, et exigèrent de moi que j’endosse ses promesses écrites. Et voilà comment je dus me joindre à la conspiration et, de toute la valeur de ma parole, assurer les hommes de leur récompense. Au cours de nos deux années d’association au feu, ils prirent l’habitude de me croire et de penser que mon gouvernement, comme moi-même, était sincère. Dans cet espoir, ils réalisèrent de belles prouesses, mais, bien entendu, au lieu d’être fier de ce que nous faisions ensemble, j’étais, moi, continuellement et amèrement honteux. Il était évident depuis le début que si nous gagnions la guerre, ces promesses seraient lettre morte, et si j’avais été un conseiller honnête des Arabes, je leur aurais conseillé de rentrer chez eux et de ne pas risquer leurs vies en se battant pour pareille camelote : mais je me berçais de l’espoir qu’en menant follement ces Arabes à la victoire finale, je les placerais, les armes à la main, dans une position si forte, sinon dominante, que les convenances inciteraient les grandes puissances à un règlement équitable de leurs revendications. En d’autres termes, je supposais (ne voyant nul autre chef ayant cette volonté et ce pouvoir) que je survivrais à ces campagnes et serais capable de vaincre non seulement les Turcs sur le champ de bataille, mais mon propre pays et ses alliés dans la salle du conseil. C’était une supposition présomptueuse : il n’est pas encore évident que j’aie réussi ; mais il est évident que je n’avais pas l’ombre d’une autorisation d’engager les Arabes, à leur insu, dans pareille aventure. Je risquais la fraude, convaincu que l’aide arabe était nécessaire à notre victoire peu coûteuse et rapide en Orient, et que mieux valait pour nous gagner et manquer à notre parole, que perdre.

Le renvoi de Sir Henry McMahon me confirma dans ma croyance en notre essentielle insincérité : mais je ne pus pas pour autant m’expliquer avec le général Wingate tant que la guerre dura, car j’étais nominalement sous ses ordres, et il n’avait pas l’air de se rendre compte à quel point sa propre position était fausse. La seule chose qui me restait à faire était de refuser toute récompense pour avoir été un escroc à succès

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