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Quand le Parti communiste de France se battait contre la guerre coloniale française du Rif

jeudi 16 septembre 2021, par Robert Paris

Quand le Parti communiste de France se battait contre la guerre coloniale française du Rif

En 1921, Abdelkrim al Khattabi et ses troupes rifaines écrasent l’armée coloniale espagnole à la bataille d’Anoual, au nord du Maroc. 14 000 soldats espagnols meurent, 1 000 sont fait prisonniers, des milliers d’armes passent entre les mains de la résistance anticoloniale.

Cette victoire d’un chef militaire et politique marocain face à une armée européenne coloniale supérieure techniquement obtient un retentissement international. En Europe, cela est vécu comme un affront opéré par les « Indigènes » souhaitant mettre à mal la civilisation occidentale. Tandis que le Parti communiste français célèbre cette victoire contre l’impérialisme, Abdelkrim fait la une du Times au Royaume-Uni. Lire ici

Abdelkrim Khattabi a planté une république au cœur d’une monarchie dominée par deux puissances coloniales : la France et l’Espagne. C’était en 1922. Cet événement extraordinaire, ainsi que sur la guerre qui a embrasé tout le Rif entre 1921 et 1926, a mis en émoi tout l’Occident et inspirant bien des révolutions à venir…

Entre 1921 et 1926, le Maroc est le théâtre d’une véritable guerre : "la Guerre du Rif". De sa montagne au relief tourmenté, un jeune chef berbère, Abdelkrim, défie les deux puissances européennes qui occupent son pays, la France et l’Espagne. Rien ne semble pouvoir arrêter les troupes du rebelle qui écrasent l’armée d’Alphonse XIII, massacrent des milliers de ses soldats et provoquent la chute de la fragile monarchie parlementaire espagnole. Après l’Espagne, c’est au tour de la France de prendre de plein fouet l’explosion rifaine. Le choc est d’une brutalité inouïe. "La Guerre du Rif" voit se croiser ou s’affronter des hommes aux destins exceptionnels. Dans la canicule des djebels, Lyautey, Juin, de Lattre de Tassigny, Catroux, Giraud connaissent la peur de voir l’armée française battue par des paysans berbères, alors qu’à Paris, Doriot, Cachin et Thorez associés aux surréalistes pourfendent l’impérialisme d’un Painlevé ou d’un Briand. Pétain est appelé en sauveur du sultan du Maroc et en tombeur de Lyautey. Sous le gouvernement du dictateur Primo de Rivera, un jeune officier du Tercio, Franco, se forge une réputation de militaire impitoyable. Lutte sans merci pour la liberté, conflit oublié de l’histoire coloniale, "la Guerre du Rif" éclaire encore aujourd’hui par bien des aspects les liens très spéciaux de la France et du Maroc, tout comme la sensibilité des rapports du royaume chérifien avec l’Espagne.

La France déploie cent bataillons sur le front, soit environ 50 000 hommes. Pétain, le numéro 1 de l’armée française, n’a pas l’intention de se satisfaire d’une demi-victoire contre “le rebelle” Abdelkrim dont le sultan lui a demandé de “le débarrasser”. Il a maintenant une stratégie à proposer au gouvernement pour en finir avec cette guerre. Le plan est simple : il passe par une action combinée avec les Espagnols. Ces derniers vont débarquer à Al Hoceïma ; les Français pourraient de leur côté attaquer à l’est et menacer les centres vitaux du Rif. Pétain l’éradicateur veut aller au cœur du Rif car l’Espagne, vis-à-vis de laquelle “il faut tenir fidèlement les engagements” pris en juillet 1925, n’est pas “en mesure de s’acquitter à elle seule de la lourde charge de réduire le foyer de la rébellion”. Et de conclure à la nécessaire et urgente “soudure” des fronts français et espagnol pour “abattre définitivement la puissance de Abdelkrim” et “raffermir de façon éclatante vis-à-vis des populations musulmanes le prestige de la France”. À cette date (février 1926), la marge de manœuvre de l’émir du Rif n’existe plus. En dépit de sa propagande, les tribus de la zone française n’ont pas bougé et la totalité de celles qui ont fait leur soumission à l’hiver sont maintenant sous la protection du bouclier militaire français. La lassitude de cinq années de guerre, le typhus, les bombardements aériens, les gaz toxiques, la cohabitation hivernale avec l’impressionnante armada française sur les 300 kilomètres du front sud, la prise d’Ajdir par les Espagnols au nord, la perspective inéluctable d’une offensive de printemps ont miné le moral des plus enthousiastes partisans de la République du Rif. Les défections se multiplient. Par l’effet du blocus, le prix des denrées de base a grimpé en flèche dans la montagne. Le sel a pratiquement disparu des marchés. La cohésion des blocs rifain et Jbala se fissure et contraint l’émir à multiplier les envois de délégués pour mettre en garde les Jbala contre toute velléité de rapprochement avec les Français. “Mes populations étaient fatiguées et je ne me faisais plus d’illusions sur ce que je pouvais attendre de leur fidélité, racontera Abdelkrim dans ses mémoires, je savais que, de jour en jour, mes guerriers se battraient avec moins d’entrain”. Les prises d’otages et les exécutions de “traîtres” à la solde des Français se multiplient dans les tribus pour s’assurer de leur fidélité chancelante. L’appel à la guerre sainte tente de soutenir des ardeurs désormais défaillantes, quand ce ne sont pas les rumeurs les plus invraisemblables comme l’entrée en guerre prochaine de l’Allemagne contre la France. Tous les garçons de plus de 15 ans seraient mobilisés. Et même, parfois, les femmes. Les renseignements rapportent que, dans le Rif, on ne croise plus personne aux champs.

Dès le 7 mai, les troupes françaises sont enfin lâchées au crépuscule. Dans la matinée, l’offensive franco-espagnole est déclenchée sur le double front avec pour objectif Targuist, puis l’occupation du massif du Djebel Hamman, base de la puissance de Abdelkrim. Après un bombardement opéré par 150 avions espagnols et français, 25 000 soldats espagnols s’élancent d’Ajdir pour foncer plein sud. Les premiers combats sont très durs et les pertes nombreuses. À tel point que, n’arrivant pas à percer les lignes rifaines, Primo de Rivera propose au général Sanjurjo de suspendre l’offensive. Le chef militaire espagnol refuse et parvient le 10 mai à enfoncer les défenses à Beni Ouriaghel. À l’est, les Espagnols franchissent le Kert et parviennent en quelques jours à faire la soudure avec les troupes parties d’Ajdir. Le 20 mai, cinq ans après l’écriture de la page la plus tragique de leur histoire coloniale africaine, c’est en vainqueurs qu’ils foulent la plaine d’Anoual. Côté français, les résultats de l’offensive sont qualifiés de “foudroyants”. Six divisions réparties en deux groupements, des forces du Makhzen, des supplétifs, l’ensemble appuyé par des bombardements aériens massifs font voler en éclats la mosaïque des tranchées rifaines. “L’ennemi, surpris par la rapidité de l’attaque et par l’allant des troupes régulières et des partisans, pourchassé sans répit par les tirs d’artillerie et les bombardements d’aviation abandonne ses positions”, se réjouit le commandant supérieur des troupes du Maroc. L’armée française affronte les réguliers rifains, troupes de choc de Abdelkrim. Cependant, les défections massives des tribus font imploser le château de cartes du bloc rifain, patiemment construit par Abdelkrim sur le ciment d’un schéma offensif. Les appels réitérés dans les villages à la guerre sainte ne trouvent plus guère d’échos.

Depuis quatre ans, dans un territoire montagneux qui longe l’Atlantique, un rebelle marocain du nom d’Abd el-Krim tient tête aux puissances coloniales. Son nom est en train de devenir une légende dans le monde arabo-musulman, car il a infligé aux Espagnols une défaite cuisante. Le 9 août 1921, ce sont 12 000 soldats espagnols qui ont trouvé la mort dans une embuscade, avec à leur tête le général Sylvestre qui n’a trouvé d’autre issue que le suicide. Les rebelles vont saisir 30 000 fusils et revolvers, 400 mitrailleuses, plus de 200 canons, des millions de cartouches ! L’Espagne est humiliée et la France qui a imposé son protectorat au Maroc depuis 1912, stupéfaite. Le réveil est dur pour ceux qui croient à l’éternité de la domination européenne. Certes, la révolte sera matée par le général Primo de Rivera, chef du gouvernement espagnol. En usant de moyens massifs, ils vont finir par vaincre Abd el-Krim qui sera envoyé en captivité… à la Réunion ! Mais c’est une victoire à la Pyrrhus et les Marocains ont désormais leur héros. Parmi les Français, un homme est plus lucide que d’autres : Hubert Lyautey, maréchal de France, résident général du protectorat français au Maroc. Lui qui dirige ce pays dont il se targue de préserver l’identité musulmane sait que le colonialisme n’est pas fait pour durer. « Il est à prévoir que dans un temps plus ou moins lointain, l’Afrique du Nord (…) se détachera de la métropole, déclare-t-il à Rabat. Il faut qu’à ce moment-là - et ce doit être le suprême but de notre politique -, cette séparation se fasse sans douleur et que les regards des indigènes continuent de se tourner avec affection vers la France. » Il ajoutait : « Je n’ai pas cessé d’espérer créer entre ce peuple marocain et nous un état d’âme, une amitié, qui font qu’il restera avec nous le plus longtemps possible…

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