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Le journal l’Humanité était trotskiste ?

jeudi 12 novembre 2020, par Robert Paris

Quand Trotsky rédigeait l’éditorial de l’Humanité

L’avènement du bolchévisme

Lorsque notre parti s’empara du pouvoir nous connaissions d’avance toutes les difficultés que nous allions rencontrer. Au point de vue économique, le pays par suite de la guerre, était épuisé jusqu’au dernier degré. La révolution avait détruit le vieil appareil administratif, sans avoir le temps d’en créer un nouveau pour le remplacer. Des millions de travailleurs avaient été, dans cette guerre de trois ans, projetés hors des cellules économiques du pays, déclassés et moralement déracinés. L’énorme industrie de guerre, reposant sur une base économique insuffisamment préparée, dévorait les force vive du peuple.

La démobilisation de cette industrie soulevait les plus grandes difficultés. Des phénomènes d’anarchie économique et politique s’étendaient sur tout le territoire du pays. Les paysans russes avaient été, pendant des siècles, maintenus agglomérés, d’une façon élémentaire, par la discipline barbare du pays et comprimés de haut en bas par la discipline de fer du tsarisme. Or, le développement économique avait ruiné la première et la Révolution avait détruit la seconde de ces disciplines.

Au point de vue psychologique, la Révolution signifiait pour les masses paysannes le réveil de la personnalité humaine. Les formes anarchiques de ce réveil étaient les conséquences inévitables de l’oppression jusqu’alors subie. On ne peut arriver à établir un nouvel ordre de choses, reposant sur le contrôle de la production par les travailleurs eux-mêmes, qu’en éliminant continuellement et radicalement les manifestations anarchiques de la révolution.

Mais d’autre part, les classes possédantes, même quand elles ont été chassées du pouvoir, ne veulent pas abandonner leurs positions sans combattre. La révolution a posé, de la façon la plus radicale, la question de la propriété privée du sol et des moyens de production –question de vie ou de mort pour les classes capitalistes. Au point de vue politique, cela signifie une guerre civile tantôt dissimulée et tantôt à découvert, mais toujours acharnée et continuelle.

Mais la guerre civile, quant à elle, entretient inévitablement toutes les tendances anarchiques existant dans le mouvement des masses ouvrières. C’est ainsi, que lorsque l’industrie, les finances, les moyens de communication et le ravitaillement sont en décadence, une guerre civile permanente engendre des difficultés inouïes dans l’œuvre de production et d’organisation.

Néanmoins, le Gouvernement des Soviets a le droit d’envisager l’avenir avec une pleine confiance. Seul un calcul exact de toutes les ressources du pays, seule une organisation rationnelle de la production, c’est-à-dire une organisation établie sur un plan d’ensemble, et seule une répartition économe et raisonnable de tous les produits peuvent sauver le pays. Or, c’est cela qui est le socialisme. Ou bien déchéance définitive au rang d’une simple colonie, ou bien renaissance socialiste-voilà l’alternative devant laquelle est placé notre pays.

La guerre a miné le sol de l’univers capitaliste tout entier . C’est là ce qui fait notre invincible force. Le cercle de fer de l’impérialisme dont nous sommes oppressés sera brisé par la révolution prolétarienne. Nous n’en doutons pas un seul instant, pas plus que, durant les longues années de notre lutte souterraine contre le tsarisme, nous n’avons douté de son inévitable effondrement.

Combattre, serrer les rangs, instaurer la discipline ouvrière et l’ordre socialiste, accroitre la productivité du travail, et n’avoir peur d’aucun obstacle, voilà notre devise. L’Histoire travaille pour nous. Tôt ou tard, la Révolution prolétarienne éclatera en Europe et en Amérique, et apportera la délivrance non seulement à la Pologne, à la Lituanie, à la Courlande et à la Finlande, mais aussi à toute l’humanité souffrante.

Léon Trotsky. (article de l’Humanité du 7/11/1922)
Un article historique de l’"Humanité"

Un article historique du journal "L’Humanité" du 24 août 1921

De zéro à cinq millions d’hommes

Le roman héroïque de l’Armée Rouge raconté par son créateur : Trotzky

24 août 1921

J’ai pour Trotzky — autant le dire avant qu’on ne s’en aperçoive — une vive admiration.

Trotzky n’a rien du doctrinaire, mais tout de l’homme d’action et d’organisation. En un pays où l’énormité des distances et la lenteur des communications suppriment chez tous — chez presque tous — la notion du temps, où les méthodes de précision et d’exactitude sans lesquelles nous ne concevons pas de travail pratique sont en général inconnues, il règle, lui, ses occupations, sur une observation scrupuleuse de l’heure. Il besogne à la façon d’un occidental, en « homme d’affaires ». Sans doute parce qu’il est juif. Cela n’importe point.

L’essentiel, c’est que son activité aboutit à des résultats féconds. Chaque fois qu’il faut créer ou remettre sur pied un service, on s’adresse à lui. Depuis un an, on lui a confié les chemins de fer, qui ne marchaient plus guère ; ils fonctionnent. Lénine a songé, dit-on, à remettre entre ses mains, l’industrie. Mais ce qui restera toujours, quoi qu’il entreprenne, son œuvre maîtresse, c’est la formation de cette armée rouge qui, depuis trois ans, a permis à la Révolution de lutter victorieusement et de vivre.

L’armée rouge ? Nous savons tous, parbleu, quelle était redoutable, puisque nous connaissons ses exploits. N’empêche que quand Trotzky, dans une de nos premières conversations, a laissé tomber comme une chose naturelle le chiffre des effectifs auxquels elle a fini par monter, nous nous sommes, à quelques-uns, regardés stupéfaits.

« L’année dernière, disait-il, au moment de la guerre avec la Pologne, nous avions sous les armes cinq millions trois cent mille soldats... »

Cinq millions, peste ! C’est un chiffre que personne en Europe, je crois, n’a soupçonné.

« Ne me raconterez-vous pas pour l’Humanité comment vous êtes arrivés là ? » lui ai-je demandé ? « Mais tant que vous voudrez ! » m’a-t-il répondu en souriant. Et, pendant plusieurs après-midi, dans son cabinet du Commissariat de la guerre, il s’est prêté à mes questions avec une bonne grâce inépuisable, et m’a fourni tous les éléments d’une histoire de l’armée rouge qu’il me faut malheureusement trop résumer ici.

Des débuts peu commodes

« L’armée a été instituée, en principe, par un décret du 15 janvier 1918, signé de Lénine et des commissaires à la guerre et à la marine, Dybenko et Podvoisky. Je négociais alors la paix de Brest-Litovsk avec l’Allemagne comme commissaire aux Affaires extérieures, et c’est en mars que j’ai pris mes nouvelles fonctions.

« Il n’y avait plus rien. L’ancienne armée s’était dissoute au hasard ; les hommes étaient partis chez eux, le matériel gisait un peu partout, abandonné au hasard de l’arrêt des trains. Les soviets locaux, tout jeunes alors, très primitifs encore, me télégraphiaient : « J’ai dix canons..., j’ai un parc d’aviation... Dix soldats..., cinq marins... ». Vous voyez cette pagaïe !

« Mon bureau, à Smolny ? Une foire ! Des gens y venaient, de tous les coins du pays : « Donnez-nous des souliers ! vous n’auriez pas un colonel ? » Reportez-vous à la description que fait Lissagaray du ministère de la Guerre sous la Commune. C’était cela.

« Mettre de l’ordre là-dedans, ce n’était pas facile. Je n’avais aucune compétence et j’ai songé d’abord à me faire aider par les missions étrangères, qui caressaient l’espoir que nous reprendrions la guerre. Mais quand j’ai vu le chef de la mission française, le général Niessel, jouer avec moi au général allemand et mettre ses bottes sur ma table, quand j’ai constaté surtout le scepticisme de tous ces professionnels, je les ai mis à la porte. Ils ont regagné leurs pays peu après.

« Un camarade du Parti, Bontch-Brouevitch, m’a amené son frère, général tsariste. Je l’ai pris et je l’ai invité à constituer un état-major en le flanquant de deux communistes pour le surveiller. Il a d’ailleurs parfaitement rempli son office. Il professe maintenant la géodosie à l’Université.

« Avec lui, nous avons commencé à débrouiller la situation. Mais vous voyez cela ? Un général tsariste ? On a commencé par crier à la trahison, par refuser de m’obéir. Le Comité central, heureusement, me comprenait et m’aidait. Pour rétablir la discipline, nous avons sévi impitoyablement. Il le fallait.

« Dans ce qui s’offrait à moi, il y avait de tout : des brigands, des demi-brigands. Un homme, qui venait avec une petite troupe, avait les poches pleines d’or et de montres ; on l’a fusillé. Il y avait des mouchards, des espions. Il a fallu pratiquer de sérieuses opérations d’hygiène révolutionnaire.

« Partout, des initiatives intéressantes se faisaient jour, mais de quelle façon ! Quand un noyau se constituait, l’esprit fédéraliste s’en mêlait nous avions une armée de Tver, ou de Vladimir. Le dégoût général du militarisme empêchait toute cohésion. C’était fou !

La reprise de Kazan

« Enfin en mai, l’appareil fut sur pied : sept régions étaient constituées avec leurs subdivisions de gouvernements, de cantons, de volosts.

« Je n’avais pas osé commencer par rétablir l’obligation militaire : le volontariat seul fonctionnait. Il nous avait alors donné environ 200.000 hommes : anciens soldats et membres des Jeunesses communistes surtout. L’affaire tchéco-slovaque survint et l’élan nécessaire se produisit.

« Vous vous souvenez de cette aventure : les divisions tchéco-slovaques de l’armée autrichienne étaient passées dans nos rangs en entier pendant la guerre.

Nous les avions cantonnées sur la Volga. Travaillées par Savinkov et les socialistes — révolutionnaires, elles se soulevèrent et occupèrent Kazan, Simbirsk et Samara.

« Toukhatchevsky, ancien officier tsariste, converti au bolchevisme pendant sa captivité en Allemagne, qui commandait en chef l’an dernier contre la Pologne, dirigeait Simbirsk notre première armée ; Vatsetis, un Letton, qui a été notre premier généralissime, menait la cinquième devant Kazan. Pauvres armées, de 6 à 8,000 baïonnettes chacune. Je m’établis près de lui, à Swijashsk.

« Nous mobilisâmes d’abord les communistes, en tête, puis six classes dans les gouvernements de la Volga. L’ordre était : « La victoire ou la mort ! » Les paysans venaient en foule contre les blancs, mais il leur manquait la confiance dans leurs propres forces. Voici ce qui la leur donna :

« J’habitais un train, dont a beaucoup parlé, fait de wagons blindés avec des sacs à terre, défendu par un canon, des mitrailleuses, et que suivait un autre train. Ce dernier était monté par 300 cavaliers, avec aéroplane, wagon-garage pour cinq autos, télégraphie sans fil, imprimerie tribunal ; une petite ville militaire en un mot.

« Pour ses débuts, elle faillit se faire prendre. Savinkov, Kappel et Fortunatov étaient si sûrs de leur succès qu’ils l’avaient annoncé. Ils nous entourèrent avec un millier d’hommes. Nous creusâmes des tranchées et subîmes un siège ; finalement ils furent repoussés.

« Afin de profiter de notre avantage, le soir même de notre délivrance, je risquai un grand coup avec Raskolnikov, un jeune officier de marine bolchevik qui nous représente aujourd’hui en Afghanistan.

« Raskolnikov avait fait venir de Cronsdadt, par les canaux, quatre vieux torpilleurs. Nous projetions tous deux d’anéantir avec eux la flotille adverse, composée de barques plates armées de canons et embossée devant Kazan. Un coude du fleuve, dans lequel se dresse une colline escarpée, nous séparait. A une heure du matin, nous franchîmes le goulet avec le premier torpilleur et, du premier coup, nous fûmes assez heureux pour mettre le feu aux réservoirs à pétrole de l’une des barques. Tout brûla.

« Nos autres torpilleurs ne purent nous rejoindre et je me demande encore comment nous avons échappé. L’incendie sans doute empêchait l’ennemi affolé de nous voir. Nous finîmes par rentrer sans encombre avec notre gouvernail brisé.

« L’impression fut énorme. Dès l’aube, après une courte lutte, les blancs évacuèrent Kazan. Le lendemain, Toukhatchevsky prit Simbirsk. Notre armée possédait enfin la confiance. Elle n’a plu, depuis lors, connu que des succès.

Les commissaires aux armées

« Alors commença le véritable travail d’organisation.

« Nos mobilisations partielles, sommaires avaient peu rendu. Nous avons mobilisé régulièrement, par classe. Le nombre des insoumis a diminué. Affiches, meetings, représentations de comédies satiriques dans les campagnes, tribunaux, tous les moyens ont été employés.

« Nous avons rappelés les anciens officiers. La Révolution française, sur 15.000 officiers du roi, n’en a pas retrouvé la moitié. Sur un million, nous en avons trouvé des centaines de mille. Certains ont trahi, c’est vrai. Notre 11e Division par exemple, la division de Nigni-Novgorod, notre orgueil, a été massacrée au printemps de 1919, pendant la rébellion des cosaques de Krasnov, par la faute concertée de ses chefs. Nous avons arrêté les familles des officiers suspects et les avons prises comme otages.

« Nous avons créé les Commissaires aux armées. Mais la Convention n’en plaçait qu’auprès des généraux en chef. Nous en avons mis dans toutes les divisions, dans toutes les brigades, dans tous les régiments, en leur adjoignant dans chaque compagnie des « guides politiques » pour les seconder, dans leur action. Près de chaque armée, deux commissaires composaient avec le commandant un Conseil de guerre. Inviolables, mais responsables de toute trahison, ils possédaient droit de vie et de mort sur tous sans pouvoir s’immiscer dans la direction des opérations.

« Voilà comment a grandi et fonctionné cet organisme militaire qui nous a procuré toutes nos victoires et dont l’importance numérique vous a tant surpris. »

Toute cette histoire héroïque de l’armée rouge, dont je rapporte à peine les grandes lignes, Trotzky me l’a conté pendant des heures, devant les cartes qui tapissent son immense bureau.

Il me l’a contée avec cette simplicité charmante que l’exercice du pouvoir n’a altérée chez aucun des hommes de Moscou, en s’interrompant pour me dire : « Comme vous avez bien fait de me demander tout cela ! Comme cela m’amuse de me rappeler ces choses ! « Jusqu’au moment où il terminait un chapitre en déclarant avec un sourire qui creusait dans ses joues deux fossettes : « Mon garçon joue au ballon sur la place du Kremlin. Nous allons aller le chercher ».

Les rapports officiels de l’état-major sur les opérations contre Koltchak, Dénikine, Youdenitch et Wrangel m’ont été remis, pour que j’en puisse tirer « le plan 17 de l’armée rouge ». Le généralissime Kamenev, le chef d’état-major Lebedev, ont été priés de fournir des renseignements complémentaires.

Je parlerai ces jours-ci de ce qu’ils m’ont appris.

André MORIZET

Paru dans L’Humanité du 17 avril 1922.

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