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Qu’était l’Internationale communiste (ou IIIe Internationale) de Lénine et Trotsky ?

mercredi 28 avril 2021, par Robert Paris

Qu’était l’Internationale communiste (ou IIIe Internationale) de Lénine et Trotsky ?

Lénine - La IIIe Internationale et sa place dans l’histoire

Les impérialistes des pays de l’« Entente » bloquent la Russie, cherchant à isoler du monde capitaliste ce foyer de contagion qu’est pour eux la République soviétique. Ceux qui se vantent du « démocratisme » de leurs institutions sont à ce point aveuglés par leur haine de la République des Soviets, qu’ils ne remarquent pas qu’ils se rendent eux-mêmes ridicules. Songez un peu : les pays les plus avancés, les plus civilisés et les plus « démocratiques », armés jusqu’aux dents, et dont la domination militaire s’exerce sans partage sur tout l’univers, craignent comme le feu la contagion des idées venant d’un pays ruiné, affamé, arriéré, et même comme ils l’assurent, à demi-sauvage !

Cette contradiction à elle seule ouvre les yeux aux masses laborieuses de tous les pays et nous aide à démasquer l’hypocrisie des impérialistes Clemenceau, Lloyd George, Wilson et de leurs gouvernements.

Or, ce qui nous aide, ce n’est pas uniquement l’aveuglement des capitalistes dû à leur haine pour les Soviets, mais aussi leur rivalité véhémente entre eux, qui les pousse à se donner des crocs-en-jambe. Ils ont formé entre eux une véritable conjuration du silence pour empêcher, ce qu’ils craignent plus que tout, la diffusion d’informations exactes sur la République des Soviets en général et de ses documents officiels en particulier. Le Temps, organe central de la bourgeoisie française, annonce cependan.t la fondation à Moscou, de la IIIe Internationale, de l’Internationale communiste.

Nous apportons à l’organe central de la bourgeoisie française, à ce champion du chauvinisme et de l’impérialisme français, l’expression respectueuse de notre reconnaissance. Nous sommes prêts à envoyer au Temps une adresse solennelle pour lui dire combien nous lui savons gré du concours si heureux et si intelligent qu’il nous prête.

La façon dont le Temps a rédigé son information d’après notre radio, montre de toute évidence les motifs qui ont inspiré cet organe du sac d’écus. Le Temps a voulu donner un coup d’épingle à Wilson, le mortifier : Voilà donc ceux avec qui vous croyez possible d’engager des pourparlers ! Les pontifes qui écrivent sur commande du sac d’écus ne s’aperçoivent pas qu’en voulant effrayer Wilson par l’épouvantail du bolchévisme ils font auprès des masses laborieuses de la réclame pour les bolchéviks. Encore une fois nous exprimons très respectueusement notre reconnaissance à l’organe des millionnaires français.

La fondation de la IIIe Internationale s’est faite dans une situation mondiale telle que nulle prohibition, nulle manœuvre mesquine et chétive des impérialistes de l’« Entente » ou des laquais du capitalisme, comme les Scheidemann en Allemagne, les Renner en Autriche, ne sauraient empêcher de se répandre dans la classe ouvrière du monde entier, la nouvelle relative à cette Internationale et les sympathies qu’elle provoque. Cet état de choses est dû à la révolution prolétarienne qui partout grandit manifestement, non pas de jour en jour, mais d’heure en heure. Cet état de choses est dû au mouvement des masses laborieuses en faveur des Soviets, mouvement dont la vigueur est telle qu’il devient vraiment international.

La Ie Internationale (1864-1872) avait jeté les fondements de l’organisation universelle des travailleurs pour la préparation de leur assaut révolutionnaire contre le capital. La IIe Internationale (1889-1914) a été l’organisation internationale du mouvement prolétarien dont le progrès s’est fait en largeur, ce qui n’a pas été sans entraîner un abaissement momentané du niveau révolutionnaire, un renforcement passager de l’opportunisme qui devait finalement aboutir à la faillite honteuse de cette Internationale.

La IIIe Internationale est née de fait en 1918, au moment où les longues années de lutte contre l’opportunisme et le social-chauvinisme, pendant la guerre surtout, avaient abouti dans plusieurs pays à la formation de partis communistes. Officiellement, la IIIe Internationale a été fondée à son premier congrès, en mars 1919, à Moscou. Et le trait caractéristique de cette Internationale, sa mission, c’est d’appliquer, de traduire dans la vie les préceptes du marxisme et de réaliser l’idéal séculaire du socialisme et du mouvement ouvrier. Ce trait caractéristique de la IIIe Internationale s’est révélé dès l’abord en ceci que la nouvelle, la troisième « Association internationale des travailleurs » coïncide dès maintenant dans une certaine mesure, avec l’Union des Républiques socialistes soviétiques.

La Ie Internationale a jeté les fondements de la lutte prolétarienne, internationale, pour le socialisme. La IIe Internationale a marqué la période de préparation du terrain pour une large, pour une massive diffusion du mouvement dans un ensemble de pays.

La IIIe Internationale a recueilli les fruits du labeur de la IIe Internationale, elle en a retranché la souillure bourgeoise et petite-bourgeoise, opportuniste et social-chauvine, et a commencé à réaliser la dictature du prolétariat.

L’alliance internationale des partis dirigeant le mouvement le plus révolutionnaire du monde, le mouvement du prolétariat pour secouer le joug du capital, dispose maintenant d’une base d’une solidité sans précédent : plusieurs Républiques soviétiques incarnant à l’échelle internationale la dictature du prolétariat et sa victoire sur le capitalisme.

La portée historique universelle de la IIIe Internationale, Internationale communiste, est qu’elle a commencé à mettre en pratique le plus grand mot d’ordre de Marx, mot d’ordre qui résume le progrès séculaire du socialisme et du mouvement ouvrier, mot d’ordre défini par la notion : dictature du prolétariat.

Cette anticipation de génie, cette théorie géniale devient réalité.

Cette expression latine est traduite aujourd’hui dans toutes les langues populaires de l’Europe moderne, mieux encore : dans toutes les langues du monde.

Une ère nouvelle s’est ouverte dans l’histoire mondiale.

L’humanité se dépouille de la dernière forme de l’esclavage : esclavage capitaliste ou salarié.

En se libérant de cet esclavage, l’humanité naît enfin à la liberté véritable.

Comment a-t-il pu se faire que le premier pays qui ait réalisé la dictature du prolétariat et fondé la République soviétique, ait été un des pays les plus arriérés de l’Europe ? Nous ne risquons guère de nous tromper, en disant que justement cette contradiction entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle, pardessus la démocratie bourgeoise, vers la forme supérieure du démocratisme, vers la démocratie soviétique ou prolétarienne, justement cette contradiction a été (en plus des pratiques opportunistes et des préjugés philistins qui pesaient sur la plupart des chefs socialistes) une des raisons qui ont rendu particulièrement difficile ou retardé en Occident la compréhension du rôle des Soviets.

Les masses ouvrières de tous les pays ont saisi d’instinct l’importance des Soviets comme arme de lutte du prolétariat et ferme de l’Etat prolétarien. Mais les « chefs » corrompus par l’opportunisme ont continué, et continuent de vouer un culte à la démocratie bourgeoise en l’appelant « démocratie » en général.

Faut-il s’étonner que la réalisation de la dictature prolétarienne ait révélé avant tout cette « contradiction » entre le retard de la Russie et le « bond » effectué par elle par-dessus la démocratie bourgeoise ? Il eût été étonnant si l’histoire nous gratifiait d’une nouvelle forme de démocratie sans entraîner une série de contradictions.

Tout marxiste, voire toute personne initiée à la science moderne, en général, si on lui posait cette question : « Le passage égal ou harmonieux et proportionnel des divers pays capitalistes à la dictature du prolétariat est-il possible ? » — répondra sans doute par la négative. Ni égalité de développement, ni harmonie, ni proportionnalité n’ont jamais existé et ne pouvaient exister dans le monde capitaliste. Chaque pays a fait ressortir avec un singulier relief tel ou tel autre côté, tel trait ou ensemble de particularités du capitalisme et du mouvement ouvrier. Le processus de développement était inégal.

Au moment où la France accomplissait sa grande Révolution bourgeoise et éveillait tout le continent européen à une vie nouvelle au point de vue historique, l’Angleterre, tout en étant beaucoup plus développée que la France au point de vue capitaliste, se trouva à la tête d’une coalition contre-révolutionnaire. Mais le mouvement ouvrier anglais de cette époque fait pressentir, de façon géniale, bien des points du futur marxisme. Lorsque l’Angleterre donna au monde le premier grand mouvement révolutionnaire prolétarien, réellement massif, politiquement cristallisé, le chartisme, il n’y avait, la plupart du temps, sur le continent européen que de faibles révolutions bourgeoises ; en France, éclatait la première grande guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie. La bourgeoisie battit les divers détachements nationaux du prolétariat, isolément et d’une façon différente selon les pays.

L’Angleterre était selon l’expression d’Engels le pays-type d’une bourgeoisie qui a créé, à côté d’une aristocratie embourgeoisée, la couche supérieure la plus embourgeoisée du prolétariat. Le pays capitaliste avancé fut ainsi en retard de plusieurs dizaines d’années dans le sens de la lutte révolutionnaire prolétarienne. La France semble avoir épuisé les forces de son prolétariat en deux insurrections héroïques — qui ont donné énormément au point de vue de l’histoire mondiale — de la classe ouvrière contre la bourgeoisie en 1848 et 1871. L’hégémonie dans l’Internationale du mouvement ouvrier passa ensuite à l’Allemagne, vers 1870, au moment où ce pays était économiquement en retard sur l’Angleterre et la France. Et lorsque l’Allemagne eut dépassé économiquement ces deux pays, c’est-à-dire vers la deuxième décade du XXe siècle, le parti ouvrier marxiste d’Allemagne, parti modèle pour le monde entier, se trouva sous la direction d’une poignée de gredins fieffés, de la canaille la plus immonde vendue aux capitalistes, depuis Scheidemann et Noske jusqu’à David et Legien, les plus répugnants bourreaux issus des milieux ouvriers et passés au service de la monarchie et de la bourgeoisie contrerévolutionnaire.

L’histoire universelle s’achemine irrésistiblement vers la dictature du prolétariat, mais elle n’y va pas par des chemins unis, simples et droits, tant s’en faut.

Du temps que Karl Kautsky était encore marxiste, et non pas ce renégat du marxisme qu’il est devenu comme combattant pour l’unité avec les Scheidemann et la démocratie bourgeoise contre la démocratie soviétique ou prolétarienne, il écrivait — dès le début du XXe siècle— un article : « Les Slaves et la révolution ». Il y exposait les conditions historiques qui faisaient prévoir la transmission aux Slaves de l’hégémonie dans le mouvement révolutionnaire international.

Il en fut ainsi. Pour un temps — très court, cela va de soi — l’hégémonie dans l’Internationale prolétarienne révolutionnaire est passée aux Russes, comme à diverses époques du XIXe siècle elle appartint aux Anglais, puis aux Français, puis aux Allemands.

J’ai eu l’occasion de le répéter souvent : en comparaison des pays avancés, il était plus facile aux Russes de commencer la grande Révolution prolétarienne, mais il leur sera plus difficile de la continuer et de la mener jusqu’à la victoire définitive, dans le sens de l’organisation intégrale de la société socialiste.

Il nous a été plus facile de commencer, d’abord parce que le retard politique peu ordinaire — pour l’Europe du XXe siècle — de la monarchie tsariste provoqua un assaut révolutionnaire des masses, d’une vigueur inaccoutumée. En second lieu, le retard de la Russie unissait d’une façon originale la Révolution prolétarienne contre la bourgeoisie, à la révolution paysanne contre les grands propriétaires fonciers. C’est par là que nous avons commencé en octobre 1917, et nous n’aurions pas triomphé si facilement si nous avions agi différemment. Dès 1856 Marx indiqua, en parlant de la Prusse, la possibilité d’une combinaison originale de la révolution prolétarienne avec la guerre paysanne. Les bolchéviks, depuis le début de 1905, défendirent l’idée d’une dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie. En troisième lieu, la Révolution de 1905 a fait énormément pour l’éducation politique de la masse des ouvriers et des paysans, tant pour initier leur avant-garde au « dernier mot » du socialisme d’Occident, que dans le sens de l’action révolutionnaire des masses. Sans cette « répétition générale » de 1905, les révolutions de 1917, bourgeoise en février, prolétarienne en octobre, n’eussent pas été possibles. En quatrième lieu, la situation géographique de la Russie lui a permis plus longtemps qu’aux autres pays de tenir, en dépit de la supériorité extérieure des pays capitalistes avancés. En cinquième lieu, l’attitude particulière du prolétariat à l’égard de la paysannerie a facilité le passage de la révolution bourgeoise à la révolution socialiste, facilité l’influence des prolétaires de la ville sur les semi-prolétaires, sur les couches de travailleurs pauvres des campagnes. En sixième lieu, la longue école des grèves et l’expérience du mouvement ouvrier de masse en Europe ont facilité, dans une situation révolutionnaire tendue et vite aggravée, l’apparition d’une forme d’organisation révolutionnaire prolétarienne aussi originale que les Soviets.

Cette énumération n’est évidemment pas complète. Mais on peut pour l’instant s’en tenir là.

La démocratie soviétique ou prolétarienne est née en Russie. Par rapport à la Commune de Paris, ce fut un second pas d’une importance historique universelle. La République prolétarienne et paysanne des Soviets est apparue comme la première et solide république socialiste du monde. Désormais elle ne peut mourir en tant que nouveau type d’État. Elle n’est plus seule aujourd’hui.

Pour continuer l’œuvre de construction socialiste et la mener à bien, il y a encore beaucoup à faire. Les Républiques soviétiques des pays plus cultivés, où le prolétariat a plus de poids et plus d’influence, ont toutes les chances de dépasser la Russie, dès qu’elles s’engageront dans la voie de la dictature du prolétariat.

Aujourd’hui la IIe Internationale en faillite meurt et pourrit sur pied. En réalité elle est passée au service de la bourgeoisie internationale. C’est une véritable Internationale jaune. Ses plus grands chefs idéologiques, tels que Kautsky, exaltent la démocratie bourgeoise qui est pour eux la « démocratie » en général ou — ce qui est encore plus absurde et encore plus fruste — la « démocratie pure ». La démocratie bourgeoise a fait son temps tout comme la IIe Internationale. Elle a accompli une tâche historique nécessaire et utile, à une époque où il s’agissait de préparer les masses ouvrières dans le cadre de cette démocratie bourgeoise.

La république bourgeoise la plus démocratique ne fut jamais et ne pouvait être rien qu’une machine servant au capital à écraser les travailleurs, un instrument du pouvoir politique du capital, une dictature de la bourgeoisie. La république démocratique bourgeoise a promis et proclamé le pouvoir de la majorité, mais elle n’a jamais pu le réaliser tant qu’existait la propriété privée du sol et des autres moyens de production.

La « liberté » dans la république démocratique bourgeoise n’était en fait que la liberté pour les riches. Les prolétaires et les travailleurs des campagnes pouvaient et devaient s’en servir afin de préparer leurs forces pour renverser le capital, pour venir à bout de la démocratie bourgeoise ; mais en règle générale les masses laborieuses n’ont jamais pu bénéficier réellement de la démocratie en régime capitaliste.

Pour la première fois dans le monde, la démocratie soviétique ou prolétarienne a créé la démocratie pour les masses, pour les travailleurs, pour les ouvriers et les petits paysans. On n’avait encore jamais vu dans le monde un pouvoir d’Etat exercé par la majorité de la population, pouvoir réel de cette majorité, comme le pouvoir des Soviets.

Celui-ci réprime la « liberté » des exploiteurs et de leurs agents ; il leur enlève la « liberté » d’exploiter, la « liberté » de s’enrichir de la faim des autres, la « liberté » de combattre pour le rétablissement du pouvoir du capital, la « liberté » de s’allier à la bourgeoisie étrangère contre les ouvriers et paysans nationaux. Laissons aux Kautsky le soin de défendre cette liberté. Il faut être pour cela un renégat du marxisme, un renégat du socialisme.

La faillite des chefs idéologiques de la IIe Internationale, comme Hilferding et Kautsky, n’est jamais apparue plus clairement que dans leur incapacité absolue à comprendre la signification de la démocratie soviétique ou prolétarienne, son lien avec la Commune de Paris, sa place dans l’histoire, sa nécessité comme forme de la dictature du prolétariat.

Le numéro 74 de la Freiheit, organe de la social-démocratie allemande « indépendante » (lisez : philistine, vulgaire, petite-bourgeoise) a publié le 11 février 1919 un appel : « Au prolétariat révolutionnaire d’Allemagne ». Appel signé par la direction du parti et toute sa fraction à l’« Assemblée nationale », la « Constituante » allemande. Cet appel accuse les Scheidemann de vouloir supprimer les Soviets et propose — ne riez pas ! — de combiner les Soviets avec la Constituante, de leur donner certains droits dans le gouvernement de l’État, certaine place dans la Constitution.

Concilier, unir la dictature de la bourgeoisie avec la dictature du prolétariat ! Rien de plus simple ! Voilà bien une géniale idée de philistin !

Il est regrettable seulement qu’elle ait déjà été expérimentée en Russie sous Kérenski par les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires coalisés, ces démocrates petits-bourgeois qui se prétendent socialistes.

N’avoir pas compris, en lisant Marx, que dans la société capitaliste, en chaque circonstance grave, à chaque conflit social sérieux, il ne peut s’agir que de dictature de la bourgeoisie ou de dictature du prolétariat, c’est n’avoir rien compris à la doctrine politique et économique de Marx.

Mais la géniale idée philistine de Hilferding, Kautsky et Cie sur l’union pacifique de la dictature bourgeoise et de la dictature du prolétariat exige un examen à part, si l’on veut pénétrer toutes les absurdités économiques et politiques entassées dans ce message, éminemment remarquable et comique, du 11 février. Mais il nous faut remettre cela à un prochain article.

N. Lénine. Moscou, 15 avril 1919.

Léon Trotsky

Manifeste de l’Internationale Communiste aux prolétaires du monde entier !

6 mars 1919

Il y a soixante-douze ans, le parti communiste présenta au monde son programme sous forme d’un manifeste écrit par les plus grands prophètes de la Révolution prolétarienne, Karl Marx et Friedrich Engels. A cette époque déjà, le communisme, à peine entré dans sa lutte, était accablé sous les poursuites, les mensonges, la haine et les persécutions des classes possédantes qui devinaient justement en lui leur ennemi mortel. Pendant ces trois quarts de siècle, le développement du communisme a suivi des voies complexes, connaissant tour à tour les tempêtes de l’enthousiasme et les périodes de découragement, les succès et les durs échecs. Mais au fond le mouvement suivit la route tracée par le Manifeste du Parti communiste. L’heure de la lutte finale et décisive est arrivée plus tard que ne l’escomptaient et ne l’espéraient les apôtres de la Révolution sociale. Mais elle est arrivée. Nous, communistes, représentants du prolétariat révolutionnaire des différents pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie, rassemblés à Moscou, capitale de la Russie soviétiste, nous nous sentons les héritiers et les continuateurs de l’œuvre dont le programme a été annoncé il y a soixante-douze ans.

Notre tâche est de généraliser l’expérience révolutionnaire de la classe ouvrière, de débarrasser le mouvement des mélanges impurs de l’opportunisme et du social-patriotisme, d’unir les forces de tous les partis vraiment révolutionnaires du prolétariat mondial et par là même de faciliter et de hâter la victoire de la Révolution communiste dans le monde entier.

Aujourd’hui que l’Europe est couverte de débris et de ruines fumantes, les plus coupables des incendiaires s’occupent à rechercher les responsables de la guerre. Ils sont suivis de leurs laquais, professeurs, parlementaires, journalistes, social-patriotes et autres soutiens politiques et bourgeoisie.

Au cours d’une longue série d’années, le socialisme a prédit l’inéluctabilité de la guerre impérialiste ; il en a vu les causes dans le désir insatiable du lucre et de la propriété des classes possédantes des deux concurrents principaux et en général de tous les pays capitalistes. Deux ans avant l’explosion, au congrès de Bâle, les chefs socialistes responsables de tous les pays dénonçaient l’impérialisme comme le fauteur de la guerre future. Ils menaçaient la bourgeoisie de déchaîner sur sa tête la Révolution sociale, vengeance du prolétariat contre les crimes du capitalisme.

Maintenant, après une expérience de cinq ans, alors que l’histoire, ayant mis au jour les appétits rapaces de l’Allemagne, dévoile les agissements non moins criminels des Alliés, les socialistes officiels des pays de l’Entente, à la suite de leurs gouvernements, ne cessent de dénoncer dans le kaiser allemand déchu le grand coupable de la guerre. Bien plus, dans leur abjecte servilité, les social-patriotes allemands, qui, en août 1914, faisaient du livre blanc diplomatique du Hohenzollern l’évangile sacré des nations, accusent maintenant à leur tour cette monarchie allemande abattue, dont ils furent les fidèles serviteurs, d’être la cause principale de la guerre. Ils espèrent ainsi à la fois oublier le rôle qu’ils ont joué et gagner l’indulgence des vainqueurs. Mais à côté du rôle joué par les dynasties déchues des Romanov, des Hohenzollern, des Habsbourg et des cliques capitalistes de leurs pays, le rôle des classes dirigeantes de France, d’Angleterre, d’Italie et des Etats-Unis apparaît dans toute son ampleur criminelle à la lumière des événements accomplis et des révélations diplomatiques.

Jusqu’à l’explosion même de la guerre, la diplomatie anglaise ne leva point son masque mystérieux. Le gouvernement de la City craignait que s’il déclarait catégoriquement son dessein de participer à la guerre aux côtés de l’Entente, le gouvernement de Berlin ne reculât et qu’il n’y eût pas de guerre. C’est pourquoi l’on se conduisit de façon à faire espérer d’une part, à Berlin et à Vienne, la neutralité de l’Angleterre et à permettre, d’autre part, à Paris et à Pétrograd de compter fermement sur l’intervention.

Préparée par la marche de l’histoire pendant plusieurs dizaines d’années, la guerre fut déchaînée par une provocation directe et consciente de la Grande-Bretagne. Le gouvernement de ce pays avait fait le calcul de soutenir la Russie et la France exclusivement dans la mesure nécessaire pour les épuiser en épuisant l’Allemagne, son ennemie mortelle. Mais la puissance du système militaire allemand apparut trop dangereuse et imposa une intervention non plus apparente mais réelle de l’Angleterre.

Le rôle de spectateur souriant, auquel la Grande-Bretagne prétendait par tradition, revint aux Etats-Unis. Le gouvernement de Wilson accepta d’autant plus facilement le blocus anglais, qui diminuait les possibilités de spéculations de la Bourse américaine sur le sang européen, que les puissances de l’Entente dédommagèrent, par de gros bénéfices, la bourgeoisie américaine de cette violation du « droit international ». Cependant l’énorme supériorité militaire de l’Allemagne obligea à son tour le gouvernement de Washington à sortir de l’état de neutralité fictive à l’égard de l’Europe. Les Etats-Unis se chargèrent de la mission que l’Angleterre avait remplie dans les guerres passées et qu’elle avait essayé de remplir dans la dernière guerre, par rapport au continent : affaiblir un des camps en se servant de l’autre, et ne se mêler des opérations militaires que dans la mesure indispensable pour s’assurer tous les avantages de la situation. L’enjeu exposé de la loterie américaine n’était pas grand, mais il fut le dernier et par là lui assurait le gain.

Les contradictions du régime capitaliste se révélèrent à l’humanité à la suite de la guerre, sous forme de souffrances physiques : la faim, le froid, les maladies épidémiques et recrudescence de barbaries. Ainsi est jugée sans appel la vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et du passage progressif du capitalisme au socialisme. Les statisticiens et les pontifes de la théorie de l’arrondissement des angles avaient, pendant des dizaines d’années, recherché dans tous les coins du monde des faits réels ou imaginaires capables de démontrer le progrès du bien-être de certains groupes ou catégories de la classe ouvrière. La théorie de la paupérisation des masses était regardée comme enterrée sous les coups de sifflets méprisants des eunuques occupant les tribunes universitaires de la bourgeoisie et des mandarins de l’opportunisme socialiste. Maintenant ce n’est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse.

La catastrophe de la guerre impérialiste a balayé de fond en comble toutes les conquêtes des batailles syndicales et parlementaires. Et pourtant cette guerre est née des tendances internes du capitalisme dans la même mesure que les marchandages économiques ou les compromis parlementaires qu’elle a enterrés dans le sang et dans la boue.

Le capital financier, après avoir précipité l’humanité dans l’abîme de la guerre a subi lui-même durant cette guerre une modification catastrophique. L’état de dépendance dans lequel était placé le papier-monnaie vis-à-vis du fondement matériel de la production a été définitivement rompu. Perdant de plus en plus sa valeur de moyen et de régulateur de l’échange des produits dans le régime capitaliste, le papier-monnaie s’est transformé en instrument de réquisition de conquête et en général d’oppression militaire et économique.

La dépréciation totale des billets de banque marque la crise mortelle générale qui affecte la circulation des produits dans le régime capitaliste. Si la libre concurrence, comme régulateur de la production et de la répartition, fut remplacée dans les champs principaux de l’économie par le système des trusts et des monopoles, plusieurs dizaines d’années avant la guerre, le cours même de la guerre a arraché le rôle régulateur et directeur aux groupements économiques pour le transmettre directement au pouvoir militaire et gouvernemental. La répartition des matières premières, l’exploitation du naphte de Bakou ou de Roumanie, de la houille du Donetz, du froment d’Ukraine, l’utilisation des locomotives, des wagons et des automobiles d’Allemagne, l’approvisionnement en pain et en viande de l’Europe affamée, toutes ces questions fondamentales de la vie économique du monde ne sont plus réglées par la libre concurrence, ni même par des combinaisons de trusts ou de consortiums nationaux et internationaux. Elles sont tombées sous le joug de la tyrannie militaire pour lui servir de sauvegarde désormais. Si l’absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l’humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier non seulement de militariser jusqu’au bout l’Etat, mais de se militariser lui-même, de sorte qu’il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et par le sang.

Les opportunistes qui, avant la guerre, invitaient les ouvriers à modérer leurs revendications sous prétexte de passer lentement au socialisme, qui, pendant la guerre, l’ont obligé à renoncer à la lutte de classes au nom de l’union sacrée et de la défense nationale, exigent du prolétariat un nouveau sacrifice, cette fois afin de triompher des conséquences effroyables de la guerre. Si de tels prêches pouvaient influencer les masses ouvrières, le développement du capital se poursuivrait en sacrifiant de nombreuses générations, avec des formes nouvelles, encore plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective fatale d’une nouvelle guerre mondiale. Par bonheur pour l’humanité, cela n’est pas possible.

L’étatisation de la vie économique, contre laquelle protestait tant le libéralisme capitaliste, est un fait accompli. Revenir, non point à la libre concurrence, mais seulement à la domination des trusts, syndicats et autres pieuvres capitalistes, est désormais impossible. La question est uniquement de savoir quel sera désormais celui qui prendra la production étatisée : l’Etat impérialiste ou l’Etat du prolétariat victorieux.

En d’autres termes, l’humanité travailleuse tout entière deviendra-t-elle l’esclave tributaire d’une clique mondiale triomphante qui, sous l’enseigne de la Ligue des Nations, au moyen d’une armée « internationale » et d’une flotte « internationale »pillera et étranglera les uns, entretiendra les autres, mais, toujours et partout, enchaînera le prolétariat, dans le but unique de maintenir sa propre domination ? Ou bien la classe ouvrière d’Europe et des pays les plus avancés des autres parties du monde s’emparera-t-elle de la vie économique, même désorganisée et détruite, afin d’assurer sa reconstruction sur des bases socialistes ?

Abréger l’époque de crise que nous traversons ne se peut que par les méthodes de la dictature du prolétariat, qui ne regarde pas le passé, qui ne compte ni avec les privilèges héréditaires, ni avec le droit de propriété, qui, ne considérant que la nécessité de sauver les masses affamées, mobilise pour cela tous les moyens et toutes les forces, décrète pour tout le monde l’obligation du travail, institue le régime de la discipline ouvrière, afin de ne pas seulement guérir, en quelques années, les plaies béantes faites par la guerre, mais encore d’élever l’humanité à une hauteur nouvelle et insoupçonnable.

L’état national, après avoir donné une impulsion vigoureuse au développement capitaliste, est devenu trop étroit pour l’expansion des forces productives. Ce phénomène a rendu plus difficile la situation des petits Etats encastrés au milieu des grandes puissances de l’Europe et du Monde. Ces petits Etats, nés à différentes époques comme des fragments des grands, comme la menue monnaie destinée à payer divers tributs, comme des tampons stratégiques, possèdent leurs dynasties, leurs castes dirigeantes, leurs prétention impérialistes, leurs filouteries diplomatiques. Leur indépendance illusoire a été basée, jusqu’à la guerre, exactement comme était basé l’équilibre européen sur l’antagonisme des deux camps impérialistes. La guerre a détruit cet équilibre. En donnant d’abord un immense avantage à l’Allemagne, la guerre a obligé les petits Etats à chercher leur salut dans la magnanimité du militarisme allemand. L’Allemagne ayant été vaincue, la bourgeoisie des petits Etats, de concert avec leurs « socialistes » patriotes, s’est retournée pour saluer l’impérialisme triomphant des Alliés, et dans des articles hypocrites de Wilson elle s’est employée à rechercher les garanties du maintien de son existence indépendante. En même temps, le nombre des petits Etats s’est accru : de la monarchie austro-hongroise, de l’empire des tsars se sont détachés de nouveaux Etats qui, aussitôt nés, se saisissent déjà les uns les autres à la gorge pour des questions de frontière. Les impérialistes Alliés, pendant ce temps, préparent des combinaisons de petites puissances, anciennes et nouvelles, afin de les enchaîner les unes les autres par une haine mutuelle et une faiblesse générale.

Ecrasant et violentant les peuples petits et faibles, les condamnant à la famine et à l’abaissement, de même que, peu de temps auparavant, les impérialistes des empires centraux, les impérialistes alliés ne cessent de parler du droit des nationalités, droits qu’ils foulent aux pieds en Europe et dans le monde entier.

Seule, la Révolution prolétarienne peut garantir aux petits peuples une existence libre, car elle libérera les forces productives de tous les pays des tenailles serrées par les Etats nationaux, en unissant les peuples dans une étroite collaboration économique, conformément à un plan économique commun. Seule, elle donnera aux peuples les plus faibles et les moins nombreux la possibilité d’administrer, avec une liberté et une indépendance absolue, leur culture nationale sans porter le moindre dommage à la vie économique unifiée et centralisée de l’Europe et du monde.

La dernière guerre, qui a été dans une large mesure une guerre pour la conquête des colonies, fut en même temps une guerre faite avec l’aide des colonies. Dans des proportions jusqu’alors inconnues les peuples coloniaux ont été entraînés dans la guerre européenne. Les Hindous, les Nègres, les Arabes, les Malgaches se sont battus sur la terre d’Europe, au nom de quoi ? Au nom de leurs droits de demeurer plus longtemps esclaves de l’Angleterre et de la France. Jamais encore le spectacle de la malhonnêteté de l’Etat capitaliste dans les colonies n’avait été aussi édifiant ; jamais le problème de l’esclavage colonial n’avait été posé avec une pareille acuité.

De là une série de révoltes ou de mouvements révolutionnaires dans toutes les colonies. En Europe même, l’Irlande a rappelé par des sanglants combats de rues qu’elle était encore et qu’elle avait conscience d’être un pays asservi. A Madagascar, en Annam, en d’autres lieux, les troupes de la république bourgeoise ont eu plus d’une fois, au cours de la guerre, à mater des insurrections d’esclaves coloniaux. Dans l’Inde, le mouvement révolutionnaire n’a pas cessé un seul jour. Il a abouti en ces derniers temps à des grèves ouvrières grandioses, auxquelles le gouvernement britannique a répondu en faisant intervenir à Bombay les automobiles blindées.

Ainsi la question coloniale est posée dans toute son ampleur non seulement sur le tapis vert du congrès des diplomates à Paris, mais dans les colonies mêmes.

Le programme de Wilson a pour but, dans l’interprétation la plus favorable, de changer l’étiquette de l’esclavage colonial. L’affranchissement des colonies n’est concevable que s’il s’accomplit en même temps que celui de la classe ouvrière des métropoles. Les ouvriers et les paysans non seulement de l’Annam, d’Algérie ou du Bengale, mais encore de perse et d’Arménie, ne pourront jouir d’une existence indépendante que le jour où les ouvriers d’Angleterre et de France, après avoir renversé Lloyd George et Clémenceau, prendront entre leurs mains le pouvoir gouvernemental. Dès a présent, dans les colonies les plus développées, la lutte n’est plus engagée seulement sous le seul étendard de l’affranchissement national, elle prend de suite un caractère social plus ou moins nettement accusé. Si l’Europe capitaliste a entraîné malgré elles les parties les plus arriérées du monde dans le tourbillon des relations capitalistes, l’Europe socialiste à son tour viendra secourir les colonies libérées avec sa technique, son organisation, son influence morale, afin de hâter leur passage à la vie économique régulièrement organisée par le socialisme.

Esclaves coloniaux d’Afrique et d’Asie ; l’heure de la dictature prolétarienne en Europe sonnera pour vous comme l’heure de votre délivrance.

Le monde bourgeois tout entier accuse les communistes d’anéantir la liberté et la démocratie politique. Cela est faux. En prenant le pouvoir, le prolétariat ne fait que manifester la complète impossibilité d’appliquer les méthodes de la démocratie bourgeoise et créer les conditions et les formes d’une démocratie ouvrière nouvelle, et plus élevée. Tout le cours du développement capitaliste, en particulier dans la dernière époque impérialiste, a sapé les bases de la démocratie politique, non seulement en divisant les nations en deux classes ennemies irréconciliables, mais encore en condamnant au dépérissement économique et à l’impuissance politique de multiples couches de la petite-bourgeoisie et du prolétariat au même titre que les éléments les plus déshérités de ce même prolétariat.

La classe ouvrière des pays où le développement historique l’a permis a utilisé le régime de la démocratie politique pour son organisation contre le capital. Il en sera de même à l’avenir dans le pays où ne sont pas encore réalisées les conditions préliminaires d’une révolution ouvrière. Mais les masses de la population intermédiaire, non seulement dans les villages, mais encore dans les villes, sont maintenues par le capitalisme loin en arrière, en retard de plusieurs époques sur le développement historique.

Le paysan de Bavière ou de Bade, encore étroitement attaché au clocher de son village, le petit vigneron français ruiné par la falsification des vins des gros capitalistes, le petit fermier américain obéré et trompé par les banquiers et les députés, toutes ces couches sociales, rejetées par le capitalisme loin de la grande route du développement historique, sont conviées sur le papier par le régime de la démocratie politique à participer au gouvernement de l’Etat. En réalité, dans les questions fondamentales dont dépend la destinée des nations, c’est une oligarchie financière qui gouverne dans les coulisses de la démocratie parlementaire. Il en fut ainsi naguère dans la question de la guerre. Il en est ainsi maintenant dans la question de la paix.

Dans la mesure où l’oligarchie financière se donne encore la peine de faire sanctionner ses actes de tyrannie par des votes parlementaires, l’Etat bourgeois se sert, pour atteindre les résultats désirés, de toutes les armes du mensonge, de la démagogie, de la persécution, de la calomnie, de la corruption, de la terreur, que les siècles passés d’esclavage ont mises à sa disposition et qu’ont multipliées les prodiges de la technique capitaliste.

Exiger du prolétariat que dans sa dernière lutte à mort contre le capital il observe pieusement les principes de la démocratie politique, cela équivaudrait à exiger d’un homme qui défend son existence et sa vie contre des brigands qu’il observe les règles artificielles et conventionnelles de la boxe française, instituées par son ennemi et que son ennemi n’observe pas.

Dans le domaine de la dévastation, où non seulement les moyens de production et de transport, mais encore les institutions de la démocratie politique ne sont plus qu’un amas de débris ensanglantés, le prolétariat est obligé de créer un appareil à lui, qui serve avant tout à conserver la cohésion interne de la classe ouvrière elle-même et qui lui donne la faculté d’intervenir révolutionnairement dans le développement ultérieur de l’humanité. Cet appareil, ce sont les Soviets.

Les anciens partis, les anciennes organisations syndicales se sont manifestés en la personne de leurs chefs, incapables non seulement de décider, mais même de comprendre les problèmes posés par l’époque nouvelle. Le prolétariat a créé un nouveau type d’organisation large, englobant les masses ouvrières indépendamment de la profession et du degré de développement politique, un appareil souple, capable d’un perpétuel renouvellement, d’un perpétuel élargissement pouvant toujours entraîner dans son orbe des catégories nouvelles et embrasser les couches des travailleurs voisines du prolétariat de la ville et de la campagne. Cette organisation irremplaçable de la classe ouvrière se gouvernant elle-même, luttant et conquérant finalement le pouvoir politique, a été mise dans différents pays à l’épreuve de l’expérience ; elle constitue la conquête et l’arme la plus puissante du prolétariat de notre époque.

Dans tous les pays où les masses travailleuses vivent d’une vie consciente se forment aujourd’hui et se formeront des Soviets de députés ouvriers, soldats et paysans. Fortifier les Soviets, élever leur autorité, les opposer à l’appareil gouvernemental de la bourgeoisie, voilà quel est maintenant le but essentiel des ouvriers conscients et loyaux de tous les pays. Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière peut échapper aux éléments de dissolution qui portent dans son sein les souffrances infernales de la guerre, de la famine, de la tyrannie des riches avec la trahison de ses anciens chefs. Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, de la manière la plus sûre et la plus facile, peut parvenir au pouvoir dans tous les pays où les Soviets réuniront autour d’eux la majorité des travailleurs. Par le moyen des Soviets, la classe ouvrière, maîtresse du pouvoir, gouvernera tous les domaines de la vie économique et morale du pays, comme cela se passe déjà en Russie.

La déblâcle de l’Etat impérialiste, depuis ses formes tsaristes jusqu’aux plus démocratiques, va de pair avec la déblâcle du système militaire impérialiste. Les armées de plusieurs millions d’hommes mobilisés par l’impérialisme n’ont pu tenir qu’aussi longtemps que le prolétariat acceptait le joug de la bourgeoisie. La destruction de l’unité nationale signifie la destruction inévitable des armées. C’est ce qui arriva d’abord en Russie, puis en Allemagne et en Autriche. C’est encore ce qu’il faut attendre dans les autres pays impérialistes. La révolte du paysan contre le propriétaire, de l’ouvrier contre le capitaliste, de tous les deux contre la bureaucratie monarchiste ou « démocratique » entraîne inévitablement la révolte des soldats contre les officiers, et ensuite une scission caractérisée entre les éléments prolétaires et bourgeois de l’armée elle-même. La guerre impérialiste opposant les nations aux nations s’est changée et se change de plus en plus en guerre civile opposant les classes aux classes.

Les lamentations du monde bourgeois sur la guerre civile et la terreur rouge constituent la plus monstrueuse hypocrisie qu’ait jamais enregistrée l’histoire des luttes politiques. Il n’y aurait pas de guerre civile si les coteries d’exploiteurs qui ont conduit l’humanité au bord de l’abîme ne s’opposaient pas à toute progression des travailleurs, n’organisaient pas des complots et des meurtres et ne sollicitaient pas le secours armé de l’étranger pour conserver ou restaurer leurs privilèges usurpés.

La guerre civile est imposée à la classe ouvrière par ses ennemis mortels. Si elle ne veut pas se suicider et renoncer à son avenir qui est l’avenir de toute l’humanité, la classe ouvrière ne peut pas éviter de répondre par des coups aux coups de ses agresseurs. Les partis communistes ne suscitent jamais artificiellement la guerre civile, s’efforcent d’en diminuer autant que possible la durée toutes les fois qu’elle surgit comme une nécessité inéluctable, de réduire au minimum le nombre des victimes, mais par-dessus tout d’assurer le triomphe du prolétariat. De là découle la nécessité de désarmer à temps la bourgeoisie, d’armer les ouvriers, de créer une armée communiste pour défendre le pouvoir du prolétariat et l’inviolabilité de sa construction socialiste. Telle est l’armée rouge de la Russie soviétiste qui a surgi et qui s’élève comme le rempart des conquêtes de la classe ouvrière contre toutes les attaques du dedans et du dehors. Une armée soviétiste est inséparable d’un Etat soviétiste.

Conscient du caractère universel de leur cause, les ouvriers les plus avancés ont tendu, dès les premiers pas du mouvement socialiste organisé, vers une union internationale de ce mouvement. Les bases en furent posées en 1864 à Londres, par la première Internationale. La guerre franco-allemande, dont est née l’Allemagne des Hohenzollern, faucha la première internationale et en même temps donna la première Internationale des partis ouvriers nationaux. Dès 1889, ces partis se réunissaient en Congrès à Paris et créaient l’organisation de la IIe Internationale. Mais le centre de gravité du mouvement était placé entièrement à cette époque sur le terrain national dans le cadre des Etats nationaux, sur la base de l’industrie nationale, dans le domaine du parlementarisme national. Plusieurs dizaines d’années de travail, d’organisation et de réformes ont créé une génération de chefs dont la majorité acceptaient en paroles le programme de la révolution sociale, mais y ont renoncé en fait, se sont enfoncés dans le réformisme, dans une adaptation servile à la domination bourgeoise. Le caractère opportuniste des partis dirigeants de la IIe Internationale s’est clairement révélé et a conduit au plus immense krach de l’histoire mondiale au moment précis où le cours des événements historiques réclamait des partis de la classe ouvrière des méthodes révolutionnaires de lutte. Si la guerre de 1870 porta un coup à la Première Internationale en découvrant que derrière son programme social et révolutionnaire il n’y avait encore aucune force organisée des masses, la guerre de 1914 a tué la Deuxième internationale en montrant qu’au-dessus des organisations puissantes des masses ouvrières se tiennent des partis devenus les instruments dociles de la domination bourgeoise.

Ces remarques ne s’appliquent pas seulement aux social-patriotes qui sont passés nettement et ouvertement dans le camp de la bourgeoisie, qui sont devenus ses délégués préférés et ses agents de confiance, les bourreaux les plus sûrs de la classe ouvrière ; elles s’appliquent encore à la tendance centriste, indéterminée et inconsciente, qui tente de restaurer la IIe Internationale, c’est-à-dire de perpétuer l’étroitesse de vues, l’opportunisme, l’impuissance révolutionnaire de ses cercles dirigeants. Le parti indépendant en Allemagne, la majorité actuelle du parti socialiste en France, le parti ouvrier indépendant d’Angleterre et tous les autres groupes semblables essayent en fait de prendre la place qu’occupaient avant la guerre les anciens partis officiels de la IIe Internationale. Ils se présentent comme autrefois avec des idées de compromis et d’unité, paralysant par tous les moyens l’énergie du prolétariat, prolongeant la crise et multipliant par là les malheurs de l’Europe. La lutte contre le centre socialiste est la conclusion indispensable du succès de la lutte contre l’impérialisme.

Rejetant loin de nous toutes les demi-mesures, les mensonges et la paresse des partis socialistes officiels caducs, nous, communistes, unis dans IIIe Internationale, nous nous reconnaissons les continuateurs directs des efforts et du martyre héroïque acceptés par une longue série de générations révolutionnaires, depuis Babeuf jusqu’à Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Si la première Internationale a prévu le développement à venir et a préparé les voies, si la deuxième Internationale a rassemblé et organisé des millions de prolétaires, la troisième Internationale est L’Internationale de l’action des masses, l’Internationale de la réalisation révolutionnaire.

La critique socialiste a suffisamment flagellé l’ordre bourgeois. La tâche du parti communiste international est de renverser cet ordre de choses et d’édifier à sa place le régime socialiste. Nous demandons aux ouvriers et ouvrières de tous les pays de s’unir sous l’étendard du communisme qui est déjà le drapeau des premières grandes victoires prolétaires de tous les pays ! Dans la lutte contre la barbarie impérialiste, contre la monarchie et les classes privilégiées, contre l’Etat bourgeois et la propriété bourgeoise, contre tous les aspects et toutes les formes de l’oppression des classes ou des nations, unissez-vous !

Sous le drapeau des Soviets ouvriers, de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir et la dictature du prolétariat, sous le drapeau de la IIIe Internationale, prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Les congrès de l’IC

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Léon Trotsky, Pour la IV° Internationale

Quand Staline s’attaquait à la perspective internationale et prolétarienne de Lénine

La revue du Komintern

Numéro un

Numéro deux

Numéro trois

Numéro quatre

Numéro cinq

Numéro six

Numéros sept-huit

Léon Trotsky

Introduction à "Cinq années d’Internationale Communiste"

24 mai 1924

La demi-décennie d’existence de l’Internationale Communiste est divisée en 2 périodes par son 3° congrès mondial. Durant les deux premières années, la vie et l’activité du Comintern est intégralement et exclusivement marquée par la guerre impérialiste et ses suites. Les perspectives révolutionnaires sont élaborées à partir des conséquences de la guerre. En conséquence des convulsions sociales dues à la guerre, il est considéré comme évident par tous que la fermentation politique au sein des masses va aller constamment en s’intensifiant jusqu’à la conquête du pouvoir par le prolétariat. Cette appréciation des développements en cours trouve son expression dans les manifestes des premier et second congrès qui sont inclus dans ce volume. L’appréciation principielle de la situation de l’après-guerre fournie par ces documents conserve aujourd’hui toute sa force. Mais le rythme des développements s’est avéré différent.

La guerre n’a pas abouti directement à la victoire du prolétariat en Europe occidentale. Ce qui manqua à la victoire en 1919 et 1920 est aujourd’hui trop évident : il manquait un parti révolutionnaire.

Ce n’est que quand le puissant ferment au sein des masses commencera à refluer que de jeunes partis communistes commenceront à prendre chair - et encore s’agit-il de leur physionomie brute. Les événements allemands de mars 1921 illustrent à merveille la contradiction qui existait entre la situation existante et la politique de l’Internationale Communiste. Des Partis Communistes, ou au moins leurs ailes gauches, recherchaient impétueusement à déclencher l’offensive alors que des millions de prolétaires, après les défaites initiales, subissaient les contrecoups de la situation de l’après-guerre et observaient avec attention les partis communistes. Au troisième congrès mondial, Lenine constate l’écart grandissant entre le développement du mouvement des masses et la tactique des partis communistes, et d’une main ferme, impulse un tournant décisif de la politique de l’Internationale. Nous sommes à présent suffisamment éloignés du troisième congrès pour pouvoir évaluer ses travaux avec le recul nécessaire ; on peut donc affirmer que le tournant effectué lors du troisième congrès à eu la même importance pour l’Internationale Communiste que celui de Brest-Litovsk pour la république soviétique. Si la III° Internationale avait continué à suivre mécaniquement le même chemin, l’une des étapes étant les événements de mars en Allemagne, peut-être qu’en un an ou deux ne serait-il demeuré que des débris des partis communistes. Avec le troisième congrès, commence un cours nouveau : les partis prennent en considération le fait que les masses sont encore à gagner et qu’un assaut doit être précédé par une période prolongée de préparation. C’est là qu’entre en scène le Front Unique, la tactique de jonction avec les masses sur la base de revendications transitoires. Les discours et articles contenus dans la seconde partie de ce volume sont consacrées à ce "cours nouveau".

La seconde période de développement de l’Internationale Communiste, qui a invariablement mené à l’approfondissement de l’influence de ses principales sections parmi les masses laborieuses, couvre la puissante marée révolutionnaire qui a déferlé en Allemagne à la fin de 1923. Une fois encore, l’Europe était prise de convulsions, au cœur desquelles était la question de la Ruhr. La question du pouvoir se pose une fois de plus en Allemagne, dans toute sa nudité et toute son acuité. Mais la bourgeoisie survivra cette fois encore. Un troisième chapitre s’ouvre alors pour le développement de l’Internationale Communiste. La tâche du V° congrès mondial est d’identifier les caractéristiques de cette nouvelle période et d’en déduire les tâches tactiques.

Pourquoi la révolution allemande n’a pu être victorieuse ? Les raisons en sont entièrement dans la tactique et non dans les conditions objectives. Nous avons affaire à une situation révolutionnaire classique qu’on a laissé échapper. A partir de l’occupation de la Ruhr, et encore plus lorsque la banqueroute de la résistance passive est devenue évidente, il était impératif que le Parti Communiste adopte une orientation ferme et résolue pour la conquête du pouvoir. Seul un courageux tournant tactique aurait pu unir le prolétariat allemand dans sa lutte pour le pouvoir. Si au troisième congrès, et en partie au quatrième nous avions dit aux camarades allemands : "vous ne gagnerez les masses qu’en prenant part à leur combat sur la base de revendications transitoires", au milieu de 1923, la question se posait désormais différemment : après tout ce que le prolétariat allemand avait du subir dans les années récentes, il pouvait être mené à la bataille décisive s’il était convaincu que la question se posait, comme disent les allemands, aufs ganze (ce qui est en cause n’est par telle ou telle tâche partielle mais bien l’essentiel), que le Parti Communiste était prêt à marcher à la bataille et capable de remporter la victoire. Mais le Parti Communiste exécutera le tournant sans l’assurance nécessaire et avec un retard extrême. Les courants de droite et de gauche, en dépit des durs combats qu’ils se menaient, feront tous deux preuve de fatalisme face au développement de la révolution jusqu’en septembre-octobre [1923]. Au moment où la situation objective exigeait un tournant décisif, le parti n’agit pas pour organiser la révolution mais resta à l’attendre. "La révolution ne se fait pas sur ordre", répondirent les droites et les gauches, mélangeant ainsi la révolution comme un tout avec l’une de ses étapes - celle de la prise du pouvoir. Mon article "La révolution se fait-elle sur ordre ?" était consacré à la question. Cet article résume les innombrables discussions et polémiques qui avaient eu lieu précédemment. Il est vrai qu’un tournant radical de la politique du parti avait eu lieu en octobre. Mais c’était déjà trop tard. Durant 1923, les masses laborieuses ont compris ou ressenti que le moment du combat décisif approchait. Mais elles ne virent pas la résolution et la confiance nécessaire de la part du Parti Communiste. Et quand commencèrent les préparatifs fiévreux pour l’insurrection, il perdit immédiatement son équilibre et aussi ses liens avec les masses. La même chose arrive au cavalier qui, arrivant doucement face à une barrière élevée, plante nerveusement ses éperons dans les flancs du cheval. Même si le cheval tentait de franchir la barrière, il est fort probable qu’il se briserait les jambes. Pour ce qui nous concerne, il s’est arrêté à la barrière et couché par terre. Tels sont les mécanismes de la cruelle défaite subie par le Parti Communiste Allemand et l’Internationale toute entière en novembre passé [1923].

Quand apparut un tournant dans les rapports de forces réciproques, que les fascistes légalisés bougèrent en première ligne alors que les communistes s’enfonçaient dans la clandestinité, des camarades estimèrent que "nous avons surestimé la situation ; la révolution n’est pas encore mûre". En réalité, la révolution ne fut pas victorieuse non parce qu’en général "elle n’était pas mûre" mais parce que le chaînon décisif - la direction - a quitté la chaîne au moment décisif. "Notre" erreur ne réside pas dans "notre" surestimation des conditions de la révolution mais dans "notre" sous-estimation de celles-ci ; elle réside dans "notre" incapacité à comprendre à temps le besoin d’un tournant tactique décisif et abrupt : de la lutte pour les masses à la lutte pour le pouvoir. "Notre" erreur réside en ce que "nous" avons continué durant des semaines à répéter les vieilles banalités au nom de ce que "la révolution ne se fait pas sur ordre" et avons ainsi laissé passer le moment propice.

Le Parti Communiste avait-il gagné à lui la majorité des travailleurs dans la dernière partie de l’année ? Il est difficile de dire quel aurait été le résultat d’un sondage à ce moment. Ces questions ne se décident pas par sondage. Elles se décident par la dynamique du mouvement. Malgré le fait qu’un nombre considérable d’ouvriers restaient dans les rangs de la social-démocratie, seule une fraction négligeable d’entre eux était prête à prendre une position hostile voire même passivement hostile face à ce tournant. La majorité du parti social-démocrate et même des partis bourgeois subissait de façon aiguë l’impasse oppressante du régime démocratique-bourgeois et attendaient le dénouement. Leur confiance, leur sympathie complète et définitive pouvait seulement être gagnées dans le cours de la lutte pour le dénouement elle-même. Toutes les discussions sur les forces redoutables de la réaction, les centaines de milliers d’hommes de la Reichswehr noire, etc., se sont avérées de monstrueuses exagérations, ce qui ne fit jamais aucun doute dans l’esprit des éléments animés d’un sens révolutionnaire. Seule la Reichswehr officielle représentait une force réelle. Mais elle était numériquement trop faible et aurait été balayée par l’assaut de millions d’hommes.

Aux cotés des masses déjà fermement gagnées par le Parti Communiste, gravitaient des masses encore plus nombreuses attendant le signal du combat et une direction. Ne l’ayant pas reçu, elles ont commencé à s’éloigner des communistes aussi spontanément qu’elles s’en étaient rapprochées. Ceci explique précisément le basculement rapide du rapport de forces qui permit à Seeckt de gagner sur le champ de bataille politique sans résistance notable. Parallèlement, les politiciens qui le soutenaient, s’appuyant sur les rapides succès de Seeckt proclamèrent : "Vous voyez, le prolétariat ne désire pas le combat". En fait, après l’expérience d’une demi-décade de combats révolutionnaires, les travailleurs allemands ne voulaient pas seulement le combat ; ils voulaient un combat qui les mènerait enfin à la victoire. N’ayant pas trouvé la direction nécessaire, ils évitèrent le combat. Ils montrèrent seulement ainsi que les leçons de 1918-21 avaient été profondément assimilées.

Le Parti Communiste Allemand avait 3 600 000 électeurs. Combien en a-t-il perdu ? Il est de difficile de répondre à cette question. Mais les résultats des élections partielles aux Landtags, aux municipalités, etc., attestent que le parti communiste a participé aux élections au Reichstag dans une situation d’affaiblissement extrême. Et malgré tout cela, il a encore obtenu 3 600 000 voix ! "Regardez", nous dit-on, "le Parti Communiste Allemand est sévèrement critiqué, mais représente encore une force puissante !". Mais après tout, le nœud de la question est que 3 600 000 vois en mai 1924, donc après le sommet de l’action spontanée des masses, le recul du régime bourgeois, prouvent que le parti communiste était la force décisive à la fin de l’année, mais que cela n’a malheureusement pas été compris ni utilisé à temps. Ceux qui, même aujourd’hui, refusent d’admettre que la défaite provient d’une sous-estimation, plus précisément d’une évaluation tardive de la situation exceptionnellement révolutionnaire de l’an passé, ceux qui persistent, courent le risque de ne rien apprendre et par suite de refuser de reconnaître la révolution une deuxième fois lorsqu’elle frappera de nouveau à la porte.

Les circonstances dans lesquelles le Parti Communiste Allemand a renouvelé ses organes dirigeants est dans l’ordre des choses [1]. Le parti tout entier attendait et désirait le combat, espérait la victoire - à la place, il y eut une défaite sans combat. Il est naturel que le parti se retourne vers sa vieille direction. La question de savoir si la gauche aurait pu mieux assumer ces tâches si elle avait eu la direction a peu de signification. Franchement, nous ne le pensons pas. Nous avons déjà noté qu’en dépit de sa vive lutte fractionnelle, l’aile gauche partageait la politique de l’ancien Comité Central sur les questions essentielles - la prise du pouvoir, une politique floue, semi-fataliste, dilatoire. Mais le seul fait que la gauche ait été en opposition en a fait le recours naturel pour diriger le parti, après que sa vieille direction ait été rejetée. A présent, la direction est entre les mains de la gauche. C’est une nouvelle étape dans le développement du parti allemand. Il est nécessaire de prendre ceci en compte, de le prendre comme point de départ. Il est nécessaire de faire tout ce qui est possible pour aider la nouvelle direction du parti à assumer ses tâches. Et pour cela, il faut avant tout identifier clairement les dangers. Le premier danger possible pourrait découler d’une attitude insuffisamment sérieuse concernant la défaite de l’an passé : une attitude visant à faire croire que rien d’extraordinaire ne s’est passé, seulement un léger retard ; la situation révolutionnaire va bientôt se répéter ; nous continuons comme avant - vers l’assaut décisif. C’est faux ! La crise de l’an passé est un gâchis colossal de l’énergie révolutionnaire du prolétariat. Le prolétariat a besoin de temps pour digérer sa défaite tragique de l’an passé, une défaite sans combat décisif, une défaite sans même une tentative de combat décisif. Il a besoin de temps pour s’orienter à nouveau de façon révolutionnaire dans une situation objective. Ceci ne signifie évidemment pas qu’un grand nombre d’années est nécessaire. Mais quelques semaines ne suffiront pas. Et le plus grand danger est que la stratégie du parti allemand tente de passer par-dessus les processus qui ont lieu au sein du prolétariat allemand en conséquence de la défaite de l’an passé.

En dernière analyse, comme nous le savons, l’économie décide. Les succès économiques limités obtenus ces derniers mois par la bourgeoisie allemande sont en soi le résultat inévitable de l’affaiblissement du processus révolutionnaire, un certain renforcement - très superficiel et instable - de la "loi et l’ordre" bourgeois, etc. Mais le rétablissement du moindre équilibre capitaliste en Allemagne n’a pu se faire substantiellement plus que durant la période de juillet à novembre de l’an passé. En toute occasion, la voie de la stabilisation mène à de si grands conflits entre Travail et Capital, et la France bouche la voie avec tant de difficultés, que le prolétariat allemand est encore assuré de fondements économiques favorables à la révolution pour une période indéfinie. Ceci étant, ces processus partiels qui ont lieu dans les fondations - aggravations temporaires ou au contraire jugulements temporaires de la crise et de ses manifestations auxiliaires - ne nous sont en aucun cas indifférents. Si un prolétariat relativement bien nourri et puissant est toujours sensible au moindre recul de sa situation, à l’inverse, le prolétariat allemand, épuisé, qui souffre et a faim depuis longtemps, est sensible à la moindre amélioration de sa condition. Ceci explique le renforcement - encore une fois, extrêmement instable - de la social-démocratie allemande et de la bureaucratie syndicale qui est désormais manifeste. Aujourd’hui plus que jamais, nous sommes forcés de suivre attentivement les fluctuations de la situation commerciale et industrielle en Allemagne, et de la façon dont elles se répercutent sur le niveau de vie de l’ouvrier allemand.

L’économie décide, mais seulement en dernière analyse. Les processus politiques-psychologiques qui ont lieu actuellement au sein du prolétariat allemand et qui selon toutes probabilités ont leur logique propre ont une signification plus directe. Le parti a recueilli 3 600 000 voix aux élections : un merveilleux noyau prolétarien ! Mais les éléments vacillants nous ont quitté. Cependant, une situation révolutionnaire directe est toujours caractérisée par le flux d’éléments hésitants en notre direction. Nombre d’ouvriers social-démocrates, supposons-nous, ont dû se dire durant les élections : "nous savons parfaitement que nos dirigeants sont de fieffés coquins, mais pour qui voter ? Les communistes promettaient de prendre le pouvoir, mais s’en sont avérés incapables et ont seulement aidé la réaction. Allons-nous suivre les nazis ?". Et la rage au cœur, ils ont voté social-démocrate. L’école de la réaction bourgeoise, on peut l’espérer, va rapidement aider le prolétariat allemand dans sa grande majorité à assimiler une orientation révolutionnaire, cette fois plus définitivement et plus fermement. Il est nécessaire d’aider ce processus de toutes les façons. Il est nécessaire de l’accélérer. Mais il est impossible de sauter les étapes inévitables. Caractériser la situation comme si rien d’extraordinaire n’avait eu lieu, comme si seule une légère secousse avait eu lieu, etc., serait on ne peut plus faux et augurerait de pires bévues stratégiques. Ce qui a eu lieu n’est pas un ralentissement superficiel mais une énorme défaite. Sa signification a à être assimilée par l’avant-garde prolétarienne. S’appuyant sur ces enseignements, l’avant-garde doit accélérer les processus de regroupement des forces prolétariennes autour des 3 600 000. Le flux révolutionnaire monte, puis reflue, puis a lieu un nouveau flux - ces processus ont leur propre logique et leurs propres échéances. Les révolutions ne surgissent pas seulement, nous le répétons, les révolutions s’organisent.

Mais il n’est possible d’organiser une révolution que sur la base de son évolution interne. Ignorer l’état d’esprit critique, précautionneux, sceptique de larges cercles du prolétariat après ce qui a eu lieu, c’est se préparer à une nouvelle défaite. Un jour après la défaite, même le plus valeureux parti révolutionnaire ne peut appeler à une nouvelle révolution, pas plus que le meilleur obstétricien ne peut donner naissance tous les trois ou cinq mois. Que la naissance révolutionnaire de l’an passé ait avorté ne change pas le fond des choses. Le prolétariat allemand doit passer à travers une phase de recouvrement et de regroupement de ses forces pour un nouveau sommet révolutionnaire, avant que le Parti Communiste, ayant apprécié la situation, puisse appeler à un nouvel assaut. Mais d’autre part, nous savons que le danger de ne pas reconnaître une nouvelle situation révolutionnaire - et par là de se montrer incapable de l’utiliser à ses fins - n’est pas moindre.

Deux des plus grandes leçons données au Parti Communiste Allemand : mars 1921 et novembre 1923. Dans le premier cas, le parti prit son impatience pour une situation révolutionnaire ; dans le second cas, il fut incapable d’identifier une situation révolutionnaire et la laissa s’échapper.

Il y a de grands dangers à "gauche" et à "droite" - ce sont les limites de la politique du parti prolétarien à notre époque. Nous continuerons à espérer qu’enrichi par les batailles, les défaites et l’expérience, le Parti Communiste Allemand arrivera dans un futur pas si lointain à diriger son navire entre le Scylla de "mars" et le Charybe de "novembre" et arrivera à donner au prolétariat allemand ce qui qu’il a si durement mérité : la victoire !

Alors qu’en Allemagne, les dernières élections parlementaires, sous l’impact du danger de l’an passé, ont donné au camp bourgeois une nouvelle impulsion à droite - mais dans le cadre du parlementarisme et non d’une dictature fasciste - dans le reste de l’Europe et en Amérique la tendance des divers groupements bourgeois est vers le "conciliationnisme". En Angleterre et au Danemark, la bourgeoisie règne via les partis de la seconde internationale. La victoire du Bloc des Gauches en France signifie une participation plus ou moins masquée (probablement ouverte) des socialistes au gouvernement. Le fascisme italien prend la route de la "régulation" parlementaire de sa politique. Aux Etats-Unis, les illusions conciliationnistes sont mobilisées sous la bannière du "Troisième Parti". Au Japon, l’opposition a gagné les élections.

Quand un navire perd son gouvernail, il faut parfois faire fonctionner ses moteurs droit et gauche alternativement : le bateau avance en zigzags, beaucoup d’énergie est dépensée, mais le bateau continue à avancer. C’est au moment présent le mode de navigation des Etats capitalistes d’Europe. La bourgeoisie est forcée d’alterner méthodes fascistes et social-démocrates. Le fascisme demeure le plus fort dans les pays où le prolétariat s’est approché le plus près du pouvoir, mais sans être en mesure de le prendre ou le conserver : Italie, Allemagne, Hongrie, etc. Au contraire, les tendances conciliationnistes commencent à gagner la prépondérance là où la bourgeoisie ressent moins directement la montée prolétarienne. Si la bourgeoisie se sent assez forte pour ne pas avoir à utiliser l’activité directe des gangs fascistes, elle ne sent par ailleurs pas assez forte pour avancer sans couverture menchevique.

A l’époque du quatrième congrès du Comintern, qui se déroula entièrement sous l’égide de l’offensive capitaliste et de la réaction fasciste, nous écrivions que si la révolution allemande ne débouchait pas à partir de la situation existant à ce moment et ne donnait donc pas une nouvelle direction au développement politique européen entier, alors on pouvait s’attendre avec une pleine assurance au remplacement du chapitre fasciste par un chapitre conciliationniste, en particulier l’arrivée d’un gouvernement du Labour Party en Angleterre et du Bloc des Gauches en France. A l’époque, cette prévision apparaissait comme la semence... d’illusions conciliationnistes. Certains réussissent à rester des révolutionnaires en gardant les yeux fermés.

Utilisons, cependant, les citations. Dans l’article "Perspectives politiques", publié dans les Izvestia du 30 novembre 1922, je polémiquais contre les conceptions simplistes, non marxistes, mécanistes, du développement politique qui soi-disant mènent du renforcement automatique du fascisme et du communisme à la victoire du prolétariat. Dans cet article, il est écrit :

"Dès le 16 juin [1921], mon discours à l’Exécutif de l’I.C. développait l’idée que si des événements révolutionnaires ne survenaient pas d’abord en Europe et en France, alors l’ensemble de la vie parlementaire-politique française se cristalliserait inévitablement autour de l’axe du Bloc des Gauches par contraste avec le Bloc "National" alors dominant. Dans l’année et demi qui s’est écoulée, la révolution n’est pas survenue. Et quiconque a suivi la vie politique en France ne niera pas que - à l’exception des communistes et syndicalistes-révolutionnaires - tous se préparent actuellement au remplacement du Bloc National par le Bloc des Gauches. C’est vrai : la situation en France reste marquée par l’offensive capitaliste, des interminables menaces à destination de l’Allemagne, etc. Mais il y a en parallèle la montée de la confusion parmi la bourgeoisie, spécialement les couches intermédiaires, qui vivent dans la peur du lendemain, sont désenchantées par la politique des "réparations", se serrent la ceinture pour juguler la crise financière qui réduit les dépenses au profit de l’impérialisme, ont l’espoir de rétablir les relations avec la Russie, etc., etc.
Cette atmosphère imprègne aussi une fraction considérable de la classe ouvrière par le moyen des socialistes et syndicalistes réformistes. D’où il découle que la continuation de l’offensive du capitalisme et de la réaction française n’est en aucune manière contradictoire avec le fait que la bourgeoisie française se prépare clairement une nouvelle orientation pour elle-même. "

Et plus loin dans le même article, nous écrivions :

"La situation en Angleterre n’est pas moins instructive. En conséquence des récentes élections, la domination de la coalition libéraux-conservateurs a été remplacée par un cabinet purement conservateur. Un évident pas vers la "droite" ! Mais d’un autre coté, précisément, le résultat des dernières élections prouve que l’Angleterre bourgeoise-conciliationniste s’est d’ores et déjà préparée une nouvelle orientation pour elle-même, en cas d’aggravation des contradictions et de difficultés aiguisées (et les deux aspects sont inévitables)... Sont-ce là des bases sérieuses pour penser que le régime conservateur actuel mènera directement à la dictature du prolétariat en Angleterre ? Nous ne voyons pas de telles bases. Au contraire, nous considérons que les actuelles contradictions insolubles - économiques, coloniales et internationales - de l’Empire britannique offriront un ferment considérable à l’opposition plébeienne-classes moyennes sous la forme du soi-disant Labour Party. Selon toutes les indications, en Angleterre, plus que dans tout autre pays du globe, la classe ouvrière, avant d’arriver à la dictature du prolétariat aura à passer par l’étape d’un gouvernement "travailliste" vertébré par un Labour Party réformiste-pacifiste qui a déjà reçu quelques quatre millions et demi de voix lors des dernières élections."

"Mais ceci n’implique-t-il pas que votre point de vue est qu’il y a atténuation des contradictions politiques ? Mais, après tout, c’est de l’opportunisme de droite !" ont objecté les camarades qui ne peuvent se protéger contre les tendances opportunistes qu’en les ignorant. Comme si prévoir un remontée temporaire des illusions conciliationnistes signifiait les partager en quoi que ce soit ! Il est bien sûr beaucoup plus simple de ne rien prévoir, de se restreindre à la répétition des formules sacrées. Mais il n’est désormais plus besoin de continuer la polémique. Les événements ont fourni la vérification de ces prognoses : nous avons le gouvernement Mac Donald en Angleterre, le ministère Staunig au Danemark, la victoire du Bloc des gauches en France et les partis d’opposition au Japon, tandis que la figure symbolique de LaFolette apparaît à l’horizon politique aux Etats-Unis, figure sans espoir, on peut en être sûr.

Les élections en France fournissent la vérification finale d’une autre polémique : celle concernant l’influence du Parti Socialiste Français [2]. Ainsi que chacun sait, ce "parti" n’a presque pas d’organisation. Sa presse officielle est très limitée et lue par presque personne. Partant de ces faits incontestables, certains camarades ont étés amenés à considérer le Parti Socialiste comme insignifiant. Ce point de vue rassurant mais faux a trouvé une expression accidentelle jusque dans certains documents officiels du Comintern. En réalité, il est faux jusqu’à la racine d’évaluer l’influence des socialistes français en se basant sur leur organisation ou la circulation de leur presse. Le Parti Socialiste représente un appareil dont l’objet est d’attirer des travailleurs dans le camp de la bourgeoisie "radicale". Les éléments les plus retardataires comme les plus privilégiés de la classe ouvrière n’ont besoin ni d’organisation, ni de presse de parti. Il ne rejoignent ni le parti ni les syndicats ; ils votent pour les socialistes et lisent la presse jaune. La relation entre nombre de membres du parti, d’abonnés à la presse du parti, et d’électeurs n’est pas la même pour les socialistes et les communistes. Nous avons eu l’occasion de nous exprimer plus d’une fois sur ce sujet. Utilisons une fois de plus des citations. Le 2 mars 1922, nous écrivions dans la Pravda :

"Si nous prenons en compte le fait que le Parti Communiste a 130 000 membres alors que les socialistes sont 30 000, alors l’énorme succès du communisme en France est évident. Mais, si nous mettons ces chiffres en relation avec les forces numériques de la classe ouvrière en tant que telle, l’existence de syndicats réformistes et de tendances anti-communistes dans les syndicats révolutionnaires, alors la question de l’hégémonie du Parti Communiste dans le mouvement ouvrier nous confronte à une tâche très difficile, qui est loin d’être résolue par notre prépondérance numérique sur les dissidents (socialistes). Dans certaine conditions, ces derniers peuvent s’avérer un facteur contre-révolutionnaire bien plus significatif au sein de la classe ouvrière que cela n’apparaît si l’on évalue les choses sur la seule base de la faiblesse de leur organisation, la circulation insignifiante et le contenu idéologique de leur organe, Le Populaire."

Récemment, nous avons eu l’occasion de revenir sur la question. Au début de l’année, un document décrivait le Parti Socialiste comme "moribond" et indiquait que seuls "quelques travailleurs" voteraient pour lui, etc., etc. A ce sujet, j’écrivais le 7 janvier de cette année ce qui suit :

"Il est bien trop facile de parler du Parti Socialiste Français comme moribond et de dire que seuls "quelques" travailleurs voteront pour lui. C’est une illusion. Le Parti Socialiste Français est l’organisation électorale d’une fraction considérable de masses ouvrières passives et semi-passives. Si parmi les communistes, la proportion entre ceux qui sont organisés et ceux qui votent est de, disons, 1 pour 10 à 20, alors parmi les socialistes, cette proportion peut s’avérer de 1 à 50 ou 1 à 100. Notre tâche durant les campagnes électorales consiste dans une large mesure à capter une section considérable de cette masse de travailleurs passifs qui s’éveillent durant les élections."

Les récentes élections ont pleinement et de façon décisive confirmé ce point de vue. Les communistes, avec une organisation et une presse bien plus forte, ont obtenu considérablement moins de voix que les socialistes. Même les proportions arithmétiques se sont avérées approximativement celles qui avaient été indiquées... Cependant, le fait que notre parti aie reçu approximativement 900 000 voix représente un sérieux succès, particulièrement si nous prenons en compte la croissance réelle de notre influence dans la banlieue parisienne !

Il y a aujourd’hui toutes les raisons d’attendre l’entrée des socialistes dans le Bloc des Gauches et leur participation au gouvernement créera des conditions favorables à la croissance de l’influence politique des communistes, en tant que seul parti libre de tout lien vis à vis du régime bourgeois.

En Amérique, les illusions conciliationnistes de la petite-bourgeoisie, principalement les paysans, et les illusions petites-bourgeoises du prolétariat prennent la forme du Troisième Parti. Elles sont au moment présent mobilisées autour du sénateur LaFolette, ou plus précisément, autour de son nom, car le sénateur lui-même, âgé de presque 70 ans, n’a toujours pas trouvé le temps de quitter les rangs du Parti Républicain. Tout ceci est d’ailleurs dans la nature des choses. Mais la positions de certains dirigeants du Parti Communiste Américain, sommant le parti d’appeler à voter pour LaFolette afin de renforcer l’influence communiste parmi les paysans, est pour le moins étonnante [3]. Par-dessus le marché, on cite en exemple le bolchevisme russe, qui aurait soi-disant gagné les paysans au moyen de ce type de politique [4]. Enfin, on ne nous épargne pas les variations sur un thème qui a déjà perdu le moindre semblant de sens, à savoir que la "sous-estimation" de la paysannerie serait l’un des traits de base du menchevisme. L’histoire du marxisme et du bolchevisme en Russie est avant tout l’histoire de la lutte contre les "narodniki" (populistes) et contre les S.R. Cette lutte a offert les prémices du combat contre le menchevisme et avait comme tâche fondamentale d’assurer le caractère prolétarien du parti. Des décades de lutte contre les narodniki petit-bourgeois ont permis au bolchevisme au moment décisif c’est à dire au moment de la lutte ouverte pour le pouvoir, de détruire les S.R. d’un seul mouvement en prenant possession de leur programme agraire et en amenant les masses paysannes à se ranger derrière le parti. L’expropriation politique des S.R. était la condition de l’expropriation économique de la noblesse et de la bourgeoisie. Il est évident que le chemin que sont prêts à suivre certains camarades américains n’a rien de commun avec le bolchevisme. Pour un Parti Communiste jeune et faible, manquant de trempe révolutionnaire, jouer le rôle de rabatteur électoral et de rassembleur des "électeurs progressistes" pour le sénateur républicain LaFolette revient à avancer vers la dissolution du parti dans la petite-bourgeoise. Après tout, l’opportunisme ne s’exprime pas seulement par son étapisme, mais aussi par l’impatience politique : il recherche souvent à récolter avant d’avoir semé, d’obtenir des succès sans rapport avec son influence. La sous-estimation de la tâche de base - le développement du caractère prolétarien du parti - est le trait caractéristique de l’opportunisme ! Une confiance insuffisante dans les potentialités du prolétariat est la source des cabrioles pour gagner les paysans, cabrioles qui peuvent coûter son existence au Parti Communiste. Que le Parti Communiste doive suivre attentivement les besoins et l’état d’esprit de la paysannerie, en utilisant la crise politique actuelle pour étendre son influence à la campagne - tout ceci est évident. Mais le parti ne peut accompagner les paysans et la petite-bourgeoisie en général à travers toutes leurs étapes et leurs zigzags, il ne peut volontairement accompagner leurs illusions et désillusions, courant après LaFolette pour le mettre ensuite à découvert. En dernière analyse, la masse des paysans suivra le Parti Communiste dans la bataille contre la bourgeoisie seulement si elle est convaincue que ce parti représente une force en mesure d’arracher son pouvoir à la bourgeoisie. Et le Parti Communiste ne peut devenir une telle force - y compris aux yeux de la paysannerie - que dans l’action en tant qu’avant-garde du prolétariat, pas en tant qu’arrière-garde d’un troisième parti.

La vitesse à laquelle un point de départ erroné aboutit aux pires erreurs politiques est démontrée par un document émanant du soi-disant Comité d’Organisation, mis en place pour organiser le congrès du troisième parti en juin et désigner LaFolette comme candidat à l’élection présidentielle. Le président de ce comité est un des dirigeants du parti ouvrier-paysan du Minnesota ; son secrétaire est un communiste, désigné à cette charge par le Parti Communiste. Et maintenant, ce communiste a donné sa signature à un manifeste qui en appelle aux "électeurs progressistes", déclare que l’objectif du mouvement est de parvenir à l’"unité politique nationale", et, en réfutant l’accusation que la campagne est contrôlée par les communistes, déclare que ceux-ci ne forment qu’une minorité insignifiante et que même s’ils tentaient de s’emparer de sa direction, il ne pourraient y arriver car le "parti" [ouvrier-paysan] a pour but d’obtenir une législation constructive et non des utopies. Et le Parti Communiste prend la responsabilité de ces abominations face à la classe ouvrière ! Au nom de quoi ? Au nom de ce que les inspirateurs de ce monstrueux opportunisme, imbibés de scepticisme quant au prolétariat américain, sont impatients de transférer le centre de gravité du parti vers un milieu paysan - un milieu secoué par la crise agraire. En reprenant, même avec des réserves, les pires illusions de la petite-bourgeoisie, il n’est pas difficile de se donner l’illusion que l’on dirige la petite-bourgeoisie. Considérer que le bolchevisme consiste en cela, c’est ne rien comprendre au bolchevisme.

Il est difficile de prévoir combien de temps la phase actuelle du conciliation durera. En tous cas, il ne saurait être question pour l’Europe bourgeoise de rétablir son équilibre économique intérieur, non plus que son équilibre économique avec l’Amérique. En ce qui concerne le problème des réparations, on fait, il est vrai, une tentative réelle pour le résoudre à l’amiable. L’avènement au pouvoir du Bloc des gauches en France fortifie cette politique. Mais la contradiction fondamentale subsiste intégralement : pour payer, l’Allemagne doit exporter ; pour payer beaucoup, elle doit exporter beaucoup ; or les exportations allemandes sont une menace pour les exportations anglaises et françaises. Pour avoir de nouveau la possibilité de lutter victorieusement sur le marché européen, extrêmement réduit, la bourgeoisie allemande devrait surmonter de formidable difficultés intérieures, ce qui amènerait infailliblement une nouvelle exacerbation de la lutte de classe. D’un autre côté, la France elle-même a des dettes formidables dont elle n’a pas encore entrepris le paiement. Pour commencer à payer, il lui faut développer ses exportations c’est-à-dire accroître, en matière de commerce extérieur, les embarras de l’Angleterre, dont les exportations n’ont encore atteint que 75% de leur niveau d’avant-guerre. Devant les problèmes économiques, politiques et militaires essentiels, le gouvernement conciliateur de Mac Donald manifeste sa banqueroute bien plus fortement qu’on ne pouvait s’y attendre. Inutile de dire qu’avec le gouvernement du Bloc des gauches, en France, les affaires n’iront pas mieux. La situation désespérée de l’Europe, situation masquée actuellement par des tractations internationales et intérieures, apparaîtra de nouveau dans son essence révolutionnaire. Sans aucun doute, les partis communistes s’avéreront alors mieux aguerris. Les récentes élections parlementaires dans nombre de pays montrent déjà que le communisme représente une force puissante et que cette force croît.

Notes

[1] En mai 1924, le congrès du K.P.D. procède au renouvellement de ses organes dirigeants suite à l’échec de "l’octobre allemand". La gauche, liée à Zinoviev et dirigée par R. Fischer, remplace le groupe dirigé par H. Brandler. La nouvelle direction adopte un cours ultra-gauche. Ainsi lors de son entrée au parlement, R. Fischer commence par déclarer : "nous, communistes, sommes prêts à commettre des actes de haute trahison". D’où les passages de ce texte relatifs à la nécessité de ne pas tenter de sauter les étapes. Voir à ce sujet - entre autres - P. Broué : Révolution en Allemagne et Histoire de l’Internationale Communiste.

[2] Cette question avait été amplement débattue lors des sessions de la commission française de l’I.C. (1922). La direction d’alors du P.C.F. considérait en effet comme négligeable l’influence des "dissidents" de la S.F.I.O. Cette direction avait quitté depuis quitté le P.C.F. Voir notamment les interventions de Trotsky sur la question (mai-juin 1922).

[3] Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a évidemment rejeté une politique si fausse et si dangereuse. La direction du C.E.I.C. était plus qu’opportune. Quelques jours après, le sénateur LaFolette procéda à une attaque en règle contre les communistes et déclara pieusement qu’il n’aurait rien à voir avec cette racaille, le fruit rouge de Belzébuth et de Moscou. Espérons que cette leçon s’avérera fructueuse pour les super-stratèges concernés. (Notes de Trotsky)

[4] Le représentant de l’I.C. aux Etats-Unis, Pepper est particulièrement visé. Il écrivait en août 1923 : « L’Amérique est confrontée à sa troisième révolution, (…) la révolution LaFolette. Elle comprendra des éléments de la grande révolution française et de la révolution russe de Kerensky. Il y aura dans son idéologie des éléments de jeffersonisme, des coopératives danoises, du Ku-Klux-Klan et du bolchevisme. C’est après la révolution LaFolette que commencera le rôle indépendant des ouvriers et des fermiers exploités (…) ».

Léon Trotsky Le tournant de l’Internationale Communiste et la situation en Allemagne

26 septembre 1930

1. Les origines du dernier tournant

A notre époque, les tournants tactiques, même très importants, sont absolument inévitables. Ils sont le résultat de tournants abrupts dans la situation objective (instabilité des rapports internationaux ; fluctuations brusques et irrégulières de la conjoncture ; répercussions brutales des fluctuations économiques au niveau politique ; mouvements impulsifs des masses qui ont le sentiment de se trouver dans une situation sans issue, etc.). L’étude attentive des changements dans la situation objective est aujourd’hui une tâche beaucoup plus importante et en même temps infiniment plus difficile qu’avant la guerre, à l’époque du développement "organique" du capitalisme. La direction du parti se trouve maintenant dans la situation d’un chauffeur qui conduit sa voiture sur une route de montagne en lacets. Un tournant pris à contretemps, une trop grande vitesse, font courir aux voyageurs et à la voiture de très graves dangers, qui peuvent être mortels.

La direction de l’Internationale Communiste nous a donné, ces dernières années, des exemples de tournants très brusques. Le dernier en date, nous l’avons observé au cours des derniers mois. Quelle est la raison des tournants de l’Internationale Communiste depuis la mort de Lenine ? Est-ce dû à des changements de la situation objective ? Non. On peut affirmer en toute certitude qu’à partir de 1923, l’Internationale Communiste n’a pris à temps aucun tournant tactique fondé sur une analyse correcte des changements intervenus dans les conditions objectives. Au contraire, chaque tournant est en fait le résultat d’une aggravation insupportable de la contradiction entre la ligne de l’Internationale Communiste et la situation objective. Et nous le constatons encore une fois aujourd’hui.

Le IX° plenum du Comité exécutif de l’Internationale Communiste, le VI° Congrès et surtout le X° plenum s’étaient orientés vers un essor brusque et linéaire de la révolution ("la troisième période"), essor que la situation objective à cette époque excluait totalement, après les sévères défaites en Angleterre et en Chine, l’affaiblissement des partis communistes dans le monde entier, et surtout dans les conditions d’expansion commerciale et industrielle que connaissait toute une série de pays capitalistes. Le tournant tactique de l’Internationale Communiste à partir de février 1928 était ainsi en totale contradiction avec le cours réel de l’histoire. Cette contradiction a donné naissance à des tendances aventuristes, à l’isolement prolongé des partis, à leur affaiblissement organisationnel, etc. La direction de l’Internationale Communiste n’a effectué un nouveau tournant qu’en février 1930, lorsque ces phénomènes avaient déjà un caractère nettement menaçant ; ce tournant était en retrait et à droite par rapport à la tactique de la "troisième période". Par une ironie du sort, sans pitié pour le suivisme, ce nouveau tournant tactique de l’Internationale Communiste coïncida dans le temps avec un nouveau tournant dans la situation objective. La crise internationale d’une gravité sans précédent ouvre sans doute de nouvelles perspectives de radicalisation des masses et de bouleversements sociaux. C’est précisément dans ces conditions qu’un tournant à gauche était possible et nécessaire : il fallait impulser un rythme rapide à la montée révolutionnaire. Cela aurait été tout à fait correct et nécessaire si, pendant ces trois dernières années, la direction de l’Internationale Communiste avait mis à profit, comme il se devait, la période de reprise économique, doublée du reflux du mouvement révolutionnaire, pour renforcer les positions du parti dans les organisations de masse, et principalement dans les syndicats. Dans ces conditions, le chauffeur aurait pu et aurait dû en 1930 passer de seconde en troisième ou, du moins, se préparer à le faire dans un avenir proche. En fait, on assista au processus inverse. Pour ne pas tomber dans le précipice, le chauffeur dut rétrograder de la troisième qu’il avait passée trop tôt, en seconde ; s’il avait suivi une ligne stratégique juste, il aurait été obligé d’accélérer.

Telle est la contradiction flagrante entre les nécessités tactiques et les perspectives stratégiques, dans laquelle, conséquence logique des erreurs de leur direction, se retrouvent aujourd’hui les partis communistes de toute une série de pays.

C’est en Allemagne que cette contradiction se manifeste sous la forme la plus nette et la plus dangereuse. En effet, les dernières élections y ont révélé un rapport de forces tout à fait original, qui est le résultat non seulement des deux périodes de stabilisation en Allemagne depuis la guerre, mais aussi des trois périodes d’erreurs de l’Internationale Communiste.

2. La victoire parlementaire du parti communiste à la lumière des tâches révolutionnaires

Aujourd’hui la presse officielle de l’Internationale Communiste présente les résultats des élections en Allemagne comme une grandiose victoire du communisme ; cette victoire mettrait le mot d’ordre "l’Allemagne des Soviets" à l’ordre du jour. Les bureaucrates optimistes refusent de réfléchir sur la signification du rapport de forces que révèlent les statistiques électorales. Ils analysent l’augmentation des voix communistes indépendamment des tâches révolutionnaires et des obstacles nés de la situation objective.

Le parti communiste a obtenu environ 4 600 000 voix contre 3 300 000 en 1928. Ce gain de 1 300 000 voix est énorme si l’on se place du point de vue de la mécanique parlementaire "normale", compte tenu de l’augmentation générale du nombre des électeurs. Mais les gains du parti communiste paraissent bien pâles face à la progression fulgurante des fascistes qui passent de 800 000 voix à 6 400 000. Le fait que la social-démocratie, malgré des pertes importantes, ait gardé ses principaux cadres et récolté plus de voix ouvrières que le parti communiste, a une tout aussi grande importance dans l’appréciation des élections.

Pourtant, si l’on cherche quelles sont les conditions intérieures et internationales susceptibles de faire basculer avec le plus de force la classe ouvrière du côté du communisme, on ne peut donner un exemple meilleur que celui de la situation actuelle en Allemagne : le nœud coulant du plan Young, la crise économique, la décadence des dirigeants, la crise du parlementarisme, la façon effrayante dont la social-démocratie au pouvoir se démasque elle-même. La place du Parti Communiste allemand dans la vie sociale du pays, malgré le gain de 1 300 000 voix, demeure faible et disproportionnée du point de vue des conditions historiques concrètes.

La faiblesse des positions du communisme est indissolublement liée à la politique et au fonctionnement interne de l’Internationale Communiste ; elle se révèle de manière encore plus criante si nous comparons le rôle social actuel du parti communiste et ses tâches concrètes et urgentes dans les conditions historiques présentes.

Il est vrai que le parti communiste lui-même ne comptait pas sur un tel accroissement. Mais cela prouve qu’avec ses erreurs et ses défaites répétées, la direction du parti communiste a perdu l’habitude des perspectives et des objectifs ambitieux. Hier, elle sous-estimait ses propres possibilités, aujourd’hui elle sous-estime de nouveau les difficultés. Un danger est ainsi multiplié par un autre.

La première qualité d’un authentique parti révolutionnaire est de savoir regarder la réalité en face.

3. Les hésitations de la grande bourgeoisie

A chaque tournant de la route de l’histoire, à chaque crise sociale, il faut encore et toujours réexaminer le problème des rapports existant entre les trois classes de la société actuelle : la grande bourgeoisie avec à sa tête le capital financier, la petite bourgeoisie oscillant entre les deux principaux camps, et, enfin, le prolétariat.

La grande bourgeoisie qui ne constitue qu’une fraction infime de la nation ne peut se maintenir au pouvoir sans appui dans la petite bourgeoisie de la ville et de la campagne, c’est-à-dire parmi les derniers représentants des anciennes couches moyennes, et dans les masses qui constituent aujourd’hui les nouvelles couches moyennes. A l’heure actuelle, cet appui revêt deux formes principales, politiquement antagoniques, mais historiquement complémentaires : la social-démocratie et le fascisme. En la personne de la social-démocratie, la petite bourgeoisie, qui est à la remorque du capital financier, entraîne derrière elle des millions de travailleurs.

Divisée, la grande bourgeoisie allemande hésite aujourd’hui. Les désaccords internes ne portent que sur le choix du traitement à appliquer aujourd’hui à la crise sociale. La thérapeutique sociale-démocrate rebute une partie de la grande bourgeoisie, parce que ses résultats ont un caractère incertain et qu’elle risque d’entraîner de trop grands frais généraux (impôts, législation sociale, salaires). L’intervention chirurgicale fasciste apparaît à l’autre partie trop risquée et non justifiée par la situation. En d’autres termes, la bourgeoisie financière dans son ensemble hésite quant à l’appréciation de la situation, car elle ne trouve pas encore de raisons suffisantes pour proclamer l’avènement de sa "troisième période", où la social-démocratie doit céder impérativement la place au fascisme ; de plus, chacun sait que lors du règlement de comptes général, la social-démocratie sera récompensée pour les services rendus par un pogrome général. Les hésitations de la grande bourgeoisie - vu l’affaiblissement de ses principaux partis - entre la social-démocratie et le fascisme sont le symptôme le plus manifeste d’une situation pré-révolutionnaire. Il est évident que ces hésitations cesseraient sur-le-champ, dès l’apparition d’une situation réellement révolutionnaire.

4. La petite bourgeoisie et le fascisme

Pour que la crise sociale puisse déboucher sur la révolution prolétarienne, il est indispensable, en dehors des autres conditions, que les classes petites bourgeoises basculent de façon décisive du côté du prolétariat. Cela permet au prolétariat de prendre la tête de la nation, et de la diriger.

Les dernières élections révèlent une poussée inverse, et c’est là que réside leur valeur symptomatique essentielle. Sous les coups de la crise, la petite bourgeoisie a basculé non du côté de la révolution prolétarienne, mais du côté de la réaction impérialiste la plus extrémiste, en entraînant des couches importantes du prolétariat.

La croissance gigantesque du national-socialisme traduit deux faits essentiels : une crise sociale profonde, arrachant les masses petites bourgeoises à leur équilibre, et l’absence d’un parti révolutionnaire qui, dès à présent, jouerait aux yeux des masses un rôle de dirigeant révolutionnaire reconnu. Si le parti communiste est le parti de l’espoir révolutionnaire, le fascisme en tant que mouvement de masse est le parti du désespoir contre-révolutionnaire. Lorsque l’espoir révolutionnaire s’empare de la masse entière du prolétariat, ce dernier entraîne immanquablement à sa suite, sur le chemin de la révolution, des couches importantes et toujours plus larges de la petite bourgeoisie. Or, dans ce domaine, les élections donnent précisément l’image opposée : le désespoir contre-révolutionnaire s’est emparé de la masse petite bourgeoise avec une force telle qu’elle a entraîné à sa suite des couches importantes du prolétariat.

Comment peut-on expliquer cela ? Dans le passé nous avons observé (Italie, Allemagne) un brusque renforcement du fascisme, victorieux ou du moins menaçant, à la suite d’une situation révolutionnaire épuisée ou manquée, à l’issue d’une crise révolutionnaire, au cours de laquelle l’avant-garde prolétarienne avait révélé son incapacité à prendre la tête de la nation, pour transformer le sort de toutes les classes, y compris celui de la petite bourgeoisie. C’est précisément cela qui a fait la force énorme du fascisme en Italie. Mais aujourd’hui en Allemagne, il ne s’agit pas de l’issue d’une situation révolutionnaire mais de son approche. Les fonctionnaires dirigeants du parti, optimistes par fonction, en tirent la conclusion que le fascisme arrivé "trop tard" est condamné à une défaite rapide et inévitable (Die Rote Fahne). Ces gens ne veulent rien apprendre. Le fascisme arrive "trop tard", si l’on se réfère aux crises révolutionnaires passées. Mais il apparaît assez tôt - à l’aube - pour la nouvelle crise révolutionnaire.

Qu’il ait eu la possibilité d’occuper une position de départ aussi forte à la veille d’une période révolutionnaire, et non à son terme, ne constitue pas le point faible du fascisme mais le point faible du communisme. La petite bourgeoisie, par conséquent, n’a pas besoin de nouvelles désillusions quant à la capacité du parti communiste à améliorer son sort ; elle s’appuie sur l’expérience du passé, elle se souvient des leçons de l’année 1923, des bonds capricieux du cours ultra-gauche de Maslow-Thaelmann, l’impuissance opportuniste du même Thaelmann, le bavardage de la "troisième période", etc. Enfin, et c’est l’essentiel, sa méfiance pour la révolution prolétarienne se nourrit de la méfiance que des millions d’ouvriers sociaux-démocrates éprouvent à l’égard du parti communiste. La petite bourgeoisie, même si les événements l’ont complètement arrachée à l’ornière conservatrice, ne peut se tourner du côté de la révolution sociale que si cette dernière a la sympathie de la majorité des ouvriers. Cette condition très importante fait précisément défaut en Allemagne, et ce n’est pas par hasard.

La déclaration programmatique du Parti Communiste allemand avant les élections était entièrement et uniquement consacrée au fascisme en tant qu’ennemi principal. Cependant le fascisme est sorti vainqueur des élections, ayant rassemblé non seulement des millions d’éléments semi-prolétariens, mais aussi des centaines de milliers d’ouvriers de l’industrie. Cela montre que, malgré la victoire parlementaire du parti communiste, la révolution prolétarienne a subi globalement dans ces élections une grave défaite, qui n’est évidemment pas décisive, mais qui est préliminaire, et qui doit servir d’avertissement et de mise en garde. Elle peut devenir décisive, et le deviendra inévitablement, si le parti communiste n’est pas capable d’apprécier sa victoire parlementaire partielle en liaison avec cette défaite "préliminaire" de la révolution, et d’en tirer toutes les conclusions nécessaires.

Le fascisme est devenu en Allemagne un danger réel ; il est l’expression de l’impasse aiguë du régime bourgeois, du rôle conservateur de la social-démocratie face à ce régime, et de la faiblesse accumulée du parti communiste, incapable de renverser ce régime. Qui nie cela est un aveugle ou un fanfaron.

En 1923, Brandler, en dépit de tous nos avertissements, surestimait monstrueusement les forces du fascisme. De cette appréciation fausse du rapport des forces est née une politique défensive, faite d’attente, de dérobade et de lâcheté. C’est ce qui a perdu la révolution. De tels événements ne sont pas sans laisser de traces dans la conscience de toutes les classes de la nation. La surestimation du fascisme par la direction communiste a créé l’une des causes du renforcement ultérieur du fascisme. L’erreur inverse, c’est-à-dire la sous-estimation du fascisme par la direction actuelle du parti communiste, peut mener la révolution à une défaite encore plus grave pour de longues années.

La question du rythme de développement qui, évidemment, ne dépend pas uniquement de nous, confère à ce danger une acuité particulière. Les poussées de fièvre enregistrées par la courbe des températures politiques et révélées lors des élections, permettent de penser que le rythme du développement de la crise nationale peut être très rapide. En d’autres termes, le cours des événements peut, dans un avenir très proche, faire resurgir en Allemagne, à une nouvelle hauteur historique, la vieille contradiction tragique entre la maturité de la situation révolutionnaire d’une part, la faiblesse et la carence stratégique du parti révolutionnaire d’autre part. Il faut le dire clairement, ouvertement et, surtout, suffisamment tôt.

5. Le parti communiste et la classe ouvrière.

Ce serait une erreur monstrueuse de se consoler en se disant que le parti bolchevique qui, en avril 1917, après l’arrivée de Lenine, commençait à se préparer à la conquête du pouvoir, avait moins de 80 000 membres et entraînait à sa suite, même à Pétrograd, à peine le tiers des ouvriers et une partie encore plus faible des soldats. La situation en Russie était tout à fait différente. Ce n’est qu’en mars que les partis révolutionnaires étaient sortis de la clandestinité, après trois années d’interruption de la vie politique, même étouffée, qui existait avant la guerre. Pendant la guerre la classe ouvrière s’était renouvelée approximativement pour 40%. La masse écrasante du prolétariat ne connaissait pas les bolcheviks, n’avait même jamais entendu parler d’eux. Le vote pour les mencheviks et les socialistes révolutionnaires, en mars et en juin, était simplement l’expression de ses premiers pas hésitants après son réveil. Dans ce vote, il n’y avait pas l’ombre d’une déception à l’égard des bolcheviks ou d’une méfiance accumulée, qui ne peut être que le résultat des erreurs du parti, vérifiées concrètement par les masses. Au contraire, chaque jour de l’expérience révolutionnaire de 1917 détachait les masses des conciliateurs et les poussait du côté des bolcheviks. D’où la croissance tumultueuse, irrésistible du parti et surtout de son influence.

Fondamentalement, la situation en Allemagne diffère sur ce point et sur beaucoup d’autres. L’apparition sur la scène politique du Parti Communiste allemand ne date pas d’hier, ni d’avant-hier. En 1923, la majorité de la classe ouvrière était derrière lui, ouvertement ou non. En 1924, dans une période de reflux, il recueillit 3 600 000 voix, c’est-à-dire un pourcentage de la classe ouvrière supérieur à celui d’aujourd’hui. Ce qui signifie que les ouvriers qui sont restés avec la social-démocratie, comme ceux qui ont voté cette fois-ci pour les nationaux-socialistes, ont agi ainsi non par simple ignorance, non parce que le réveil date seulement d’hier, non parce qu’ils ne savent pas encore ce qu’est le parti communiste, mais parce qu’ils ne croient pas en lui sur la base de leur propre expérience de ces dernières années.

Il ne faut pas oublier qu’en février 1928 le IX° plenum du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste a donné le signal d’une lutte renforcée, extraordinaire et implacable, contre les "sociaux-fascistes". La social-démocratie allemande, durant presque toute cette période, était au pouvoir, et chacune de ses actions révélait aux masses son rôle criminel et infâme. Une crise économique gigantesque couronna le tout. Il est difficile d’imaginer des conditions plus favorables à l’affaiblissement de la social-démocratie. Pourtant, cette dernière a dans l’ensemble maintenu ses positions. Comment expliquer ce fait surprenant ? Par le seul fait que la direction du parti communiste a aidé par toute sa politique la social-démocratie, en la soutenant sur sa gauche.

Cela ne signifie nullement que le vote de cinq à six millions d’ouvriers et d’ouvrières pour la social-démocratie exprime leur confiance pleine et entière à son égard. Il ne faut pas prendre les ouvriers sociaux-démocrates pour des aveugles. Ils ne sont pas si naïfs quant à leurs dirigeants, mais ils ne voient pas d’autre issue dans la situation actuelle. Nous parlons, évidemment, des simples ouvriers, et non de l’aristocratie et de la bureaucratie ouvrières. La politique du parti communiste ne leur inspire pas confiance, non parce que le parti communiste est un parti révolutionnaire, mais parce qu’ils ne croient pas qu’il puisse remporter une victoire révolutionnaire et ne veulent pas risquer leur tête en vain. En votant, le cœur serré, pour la social-démocratie, ces ouvriers ne lui manifestent pas leur confiance ; par contre ils expriment leur méfiance envers le parti communiste. C’est en cela que réside l’énorme différence entre la situation des communistes allemands et celle des bolcheviks russes en 1917.

Mais, les difficultés ne se limitent pas à ce problème. Une méfiance sourde à l’égard de la direction s’est accumulée à l’intérieur du parti et surtout chez les ouvriers qui le soutiennent ou simplement votent pour lui. Ce qui accroît ce qu’on appelle la "disproportion" entre l’influence du parti et ses effectifs ; en Allemagne, une telle disproportion existe sans aucun doute, elle est particulièrement nette au niveau du travail dans les syndicats. L’explication officielle de la disproportion est à ce point erronée que le parti n’est pas en mesure de "renforcer" au niveau organisationnel son influence. La masse y est considérée comme un matériau purement passif, dont l’adhésion ou la non-adhésion au parti dépend uniquement de la capacité du secrétaire à forcer la main à chaque ouvrier. Le bureaucrate ne comprend pas que les ouvriers ont leur propre pensée, leur propre expérience, leur propre volonté et leur propre politique active ou passive à l’égard du parti. En votant pour le parti, l’ouvrier vote pour son drapeau, pour la Révolution d’Octobre, pour sa révolution future. Mais, en refusant d’adhérer au parti communiste ou de le suivre dans la lutte syndicale, il exprime sa méfiance envers la politique quotidienne du parti. Cette "disproportion" est en fin de compte un des canaux par où s’exprime la méfiance des masses envers la direction actuelle de l’Internationale Communiste. Et cette méfiance, créée et renforcée par les erreurs, les défaites, le bluff et les tromperies cyniques des masses de 1923 à 1930, représente l’un des principaux obstacles sur la route de la victoire de la révolution prolétarienne.

Sans confiance en soi, le parti ne gagnera pas la classe. S’il ne gagne pas le prolétariat, il n’arrachera pas les masses petites bourgeoises au fascisme. Ces deux faits sont indissolublement liés.

6. Retour à la "deuxième période" ou en avant, une nouvelle fois, vers la "troisième période" ?

Si l’on adopte la terminologie officielle du centrisme, il faut formuler le problème de la manière suivante. La direction de l’Internationale Communiste a imposé aux sections nationales la tactique de la "troisième période", c’est-à-dire la tactique de soulèvement révolutionnaire immédiat, à une époque (1928) qui se caractérisait essentiellement par des traits de la "deuxième période" : stabilisation de la bourgeoisie, reflux et déclin de la révolution. Le tournant qui s’est opéré en 1930 marquait le refus de la tactique de la "troisième période" et un retour à la tactique de la "deuxième période". Alors que ce tournant faisait son chemin dans l’appareil bureaucratique, des symptômes très importants témoignaient clairement, au moins en Allemagne, du rapprochement effectif de la "troisième période". Cela ne prouve-t-il pas la nécessité d’un nouveau tournant vers la tactique de la "troisième période", qui vient juste d’être abandonnée ?

Nous recourons à ces termes pour rendre plus accessible l’énoncé du problème à ceux dont la conscience est encombrée par la méthodologie et la terminologie de la bureaucratie centriste. Mais en aucun cas nous ne faisons nôtre cette terminologie qui masque la combinaison du bureaucratisme stalinien avec la métaphysique boukharinienne. Nous rejetons la conception apocalyptique de la "troisième" période en tant que dernière : leur nombre jusqu’à la victoire du prolétariat est une question de rapport de forces et de changements dans la situation ; tout ceci ne peut être vérifié qu’au travers de l’action. Mais nous rejetons l’essence même du schématisme stratégique, avec ses périodes numérotées. Il n’y a pas de tactique abstraite, mise au point à l’avance, que ce soit pour la "deuxième" ou la "troisième" période. Naturellement on ne peut arriver à la victoire et à la conquête du pouvoir sans soulèvement armé. Mais comment arriver au soulèvement ?

Les méthodes et le rythme de mobilisation des masses dépendent non seulement de la situation objective en général, mais aussi et avant tout, de l’état dans lequel se trouve le prolétariat au début de la crise sociale dans le pays, des rapports entre le parti et la classe, entre le prolétariat et la petite bourgeoisie, etc. L’état du prolétariat au seuil de la "troisième période" dépend à son tour de la tactique appliquée par le parti dans la période précédente.

Le changement tactique normal et naturel, correspondant au tournant actuel dans la situation en Allemagne, aurait dû être une accélération du rythme, une progression des mots d’ordre et des méthodes de lutte. Mais ce tournant tactique n’aurait été normal et naturel que si le rythme et les mots d’ordre de la lutte d’hier avaient correspondu aux conditions de la période précédente. Mais il n’en était pas question. La contradiction aiguë entre la politique ultra-gauche et la stabilisation de la situation est l’une des causes du tournant tactique. C’est pourquoi, au moment où le nouveau tournant de la situation objective, parallèlement au regroupement général défavorable des forces politiques, a apporté au communisme un fort gain de voix, le parti s’avère stratégiquement et tactiquement plus désorienté, embarrassé et dérouté qu’il ne l’a jamais été.

Pour expliquer la contradiction dans laquelle est tombé le Parti Communiste allemand, comme la majorité des autres sections de l’Internationale Communiste, mais beaucoup plus profondément qu’elles, prenons la comparaison la plus simple. Pour sauter une barrière, il faut d’abord prendre son élan en courant. Plus la barrière est haute, plus il importe de commencer à courir à temps, ni trop tard ni trop tôt, pour atteindre l’obstacle avec la force nécessaire. Cependant, depuis février 1928, et surtout depuis juin 1929, le Parti communiste allemand n’a fait que prendre son élan. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le parti ait commencé à s’essouffler et à traîner des pieds. L’Internationale Communiste donna enfin un ordre :"ralentissez !". Mais à peine le parti hors d’haleine avait-il retrouvé une allure plus normale, qu’apparemment surgissait devant lui une barrière non imaginaire, bien réelle, qui risquait d’exiger un saut révolutionnaire. La distance suffirait-elle pour prendre de l’élan ? Fallait-il renoncer au tournant et le remplacer par un contre-tournant ? - telles sont les questions tactiques et stratégiques qui se posent au parti allemand dans toute leur acuité.

Pour que les cadres dirigeants du parti soient à même de trouver une réponse correcte à ces questions, ils doivent avoir la possibilité d’apprécier le chemin à suivre, en liaison avec l’analyse de la stratégie des dernières années et de ses conséquences, telles qu’elles sont apparues aux élections. Si, faisant contrepoids à cela, la bureaucratie réussissait par ses cris de victoire à étouffer la voix de l’autocritique politique, le prolétariat serait inévitablement entraîné dans une catastrophe plus effroyable que celle de 1923.

7. Les variantes possibles du développement ultérieur

La situation révolutionnaire, qui pose au prolétariat le problème immédiat de la conquête du pouvoir, est composée d’éléments objectifs et subjectifs, qui sont liés entre eux et se conditionnent mutuellement dans une large mesure. Mais cette interdépendance est relative. La loi du développement inégal s’applique aussi entièrement aux facteurs de la situation révolutionnaire. Le développement insuffisant de l’un d’eux peut conduire à l’alternative suivante : soit la situation révolutionnaire ne parviendra même pas à l’explosion et se résorbera, soit, parvenue à l’explosion, elle se terminera par la défaite de la classe révolutionnaire. Quelle est, à cet égard, la situation en Allemagne aujourd’hui ?

1 . Nous sommes indubitablement en présence d’une crise nationale profonde (économie, situation internationale). La voie normale du régime parlementaire bourgeois n’offre aucune issue.

2 . La crise politique de la classe dominante et de son système de gouvernement est absolument incontestable. Ce n’est pas une crise parlementaire mais la crise de la domination de classe de la bourgeoisie.

3 . Cependant la classe révolutionnaire est encore profondément divisée par des contradictions internes. Le renforcement du parti révolutionnaire au détriment du parti réformiste en est à son tout début et se produit, pour le moment encore, à un rythme qui est loin de correspondre à la profondeur de la crise.

4 . Dés le début de la crise, la petite bourgeoisie a occupé une position qui menace le système actuel de domination du capital, mais qui est en même temps mortellement hostile à la révolution prolétarienne.

En d’autres termes, nous sommes en présence des conditions objectives fondamentales de la révolution prolétarienne ; une de ses conditions politiques existe (l’état de la classe dirigeante) ; l’autre condition politique (l’état du prolétariat) ne fait que commencer à évoluer dans le sens de la révolution, mais, du fait de l’héritage du passé, ne peut pas évoluer rapidement ; enfin, la troisième condition politique (l’état de la petite bourgeoisie) penche non du côté de la révolution prolétarienne mais du côté de la contre-révolution bourgeoise. Cette dernière condition n’évoluera dans un sens favorable que si des changements radicaux interviennent au sein même du prolétariat, c’est-à-dire si la social-démocratie est liquidée politiquement Nous sommes confrontés ainsi à une situation profondément contradictoire. Certaines de ses composantes mettent à l’ordre du jour la révolution prolétarienne ; mais d’autres excluent toute possibilité de victoire dans une période très proche, car elles impliquent une profonde modification préalable du rapport des forces politiques.

Théoriquement, on peut imaginer certaines variantes dans l’évolution ultérieure de la situation actuelle en Allemagne ces variantes dépendent autant de causes objectives, dont la politique des ennemis de classe, que de l’attitude du parti communiste lui-même. Indiquons schématiquement quatre variantes possibles du développement.

1 . Le parti communiste effrayé par sa propre stratégie (la troisième période), avance à tâtons, avec la plus grande prudence, en cherchant à éviter toute action risquée ; il laisse échapper sans combat une situation révolutionnaire. Ce sera, la répétition sous une autre forme de la politique de Brandler en 1921-1923. Les brandlériens et les semi-brandlériens l’intérieur et à l’extérieur du parti pousseront dans cette direction, qui reflète la pression de la social-démocratie.

2 . Sous l’influence de son succès aux élections, le parti effectue, au contraire, un tournant brutal à gauche, se lançant dans une lutte directe pour le pouvoir et, devenu le parti d’une minorité active, subit une défaite catastrophique. Le fascisme, l’agitation criarde et imbécile de l’appareil, qui n’élève en rien la conscience des masses, mais au contraire l’obscurcit, le désespoir et l’impatience d’une partie de la classe ouvrière, et surtout de la jeunesse en chômage, tout cela pousse dans cette direction.

3 . Il est possible aussi que la direction, sans renoncer à quoi que ce soit, s’efforce de trouver empiriquement une voie intermédiaire entre les deux premières variantes et accomplisse ainsi une nouvelle série d’erreurs ; mais elle mettra tant de temps à surmonter la méfiance des masses prolétariennes et semi-prolétariennes que, pendant ce même temps, les conditions objectives auront le temps d’évoluer dans un sens défavorable pour la révolution, cédant la place à une nouvelle période de stabilisation. Le parti allemand est poussé avant tout dans cette direction éclectique, qui allie un suivisme général à un aventurisme dans des cas particuliers, par la direction stalinienne de Moscou qui redoute de prendre une position claire et se prépare à l’avance un alibi, c’est-à-dire la possibilité de rejeter sur les "exécutants" la responsabilité, à droite ou à gauche selon les résultats. C’est une politique que nous connaissons bien, qui sacrifie les intérêts historiques internationaux du prolétariat aux intérêts de "prestige" de la direction bureaucratique. Les présupposés théoriques d’une telle orientation sont déjà donnés dans la Pravda du 16 septembre.

4 . Terminons par la variante la plus favorable ou plus exactement la seule favorable : grâce à l’effort de ses éléments les meilleurs et les plus conscients, le parti allemand se rend pleinement compte de toutes les contradictions de la situation actuelle. Par une politique juste, audacieuse et souple, le parti a encore le temps, à partir de la situation actuelle, d’unir la majorité du prolétariat et d’obtenir que les masses semi-prolétariennes et les couches les plus exploitées de la petite bourgeoisie changent de camp. L’avant-garde prolétarienne en tant que dirigeant de la nation des travailleurs et des opprimés, accède à la victoire. La tâche des bolcheviks-léninistes (de l’Opposition de gauche) est d’aider le parti à orienter sa politique dans cette voie.

Il serait tout à fait inutile de chercher à deviner laquelle de ces variantes a le plus de chances de se réaliser dans une proche période. C’est en luttant et non en se livrant à des conjectures qu’on résout de telles questions.

Une lutte idéologique implacable contre la direction centriste de l’Internationale Communiste est un élément indispensable de ce combat. Moscou a déjà donné le signal d’une politique de prestige bureaucratique, qui couvre les erreurs passées et prépare les erreurs de demain, par ses cris hypocrites sur le nouveau triomphe de la ligne.

Tout en exagérant de façon invraisemblable la victoire du parti, en minimisant de façon non moins invraisemblable les difficultés et en interprétant même le succès des fascistes comme un facteur positif de la révolution prolétarienne, la Pravda émet cependant une petite réserve. "Les succès du parti ne doivent pas lui tourner la tête." La politique perfide de direction stalinienne est ici encore fidèle à elle-même. L’analyse de la situation est faite dans l’esprit de l’ultra-gauchiste non critique. Ce qui pousse consciemment le parti sur la voie de l’aventurisme. En même temps, Staline se prépare un alibi avec la phrase rituelle sur "le vertige du succès". C’est précisément cette politique à courte vue et sans scrupule qui peut perdre la révolution allemande.

8. Où est l’issue ?

Ci-dessus, nous avons donné une analyse sans aucune enjolivure ni indulgence des difficultés et des dangers qui relèvent entièrement de la sphère politique subjective ; ils découlent principalement des erreurs et des crimes de la direction des épigones et, aujourd’hui, compromettent manifestement la nouvelle situation révolutionnaire qui, à notre avis, est en train de se créer. Les fonctionnaires soit ignoreront notre analyse, soit renouvelleront leurs stocks d’injures. Mais il ne s’agit pas de ces fonctionnaires incurables, mais du sort du prolétariat allemand. Dans le parti, y compris dans l’appareil, il y a bon nombre de gens qui observent et réfléchissent, et que le caractère aigu de la situation forcera à réfléchir demain avec une intensité redoublée. C’est à eux que nous destinons notre analyse et nos conclusions.

Toute situation de crise contient des facteurs importants d’indétermination. Les états d’esprit, les opinions et les forces, aussi bien hostiles qu’alliées, se forment dans le processus même de la crise. Il est impossible de les prévoir à l’avance de façon mathématique. Il faut les mesurer dans la lutte, par la lutte, et apporter à sa politique les corrections nécessaires en se fondant sur ces mesures tirées de la vie.

Peut-on estimer à l’avance la force de la résistance conservatrice des ouvriers sociaux-démocrates ? Non. A la lumière des événements des dernières années cette force apparaît gigantesque. Mais le fond du problème est que la politique erronée du parti, qui a trouvé son expression la plus achevée dans la théorie absurde du social-fascisme, est ce qui a le plus favorisé la cohésion de la social-démocratie. Pour mesurer la capacité réelle de résistance de la social-démocratie, il faut trouver un autre instrument de mesure, c’est-à-dire que les communistes se donnent une tactique correcte. Si cette condition est remplie - et ce n’est pas une mince condition - on découvrira à relativement court terme, à quel point la social-démocratie est rongée de l’intérieur.

Ce qui a été dit ci-dessus s’applique également au fascisme, mais sous une autre forme. Il s’est développé dans des conditions différentes, grâce au levain de la stratégie zinovievo-stalinienne. Quelle est sa force offensive ? Quelle est sa stabilité ? A-t-il atteint son point culminant, comme nous l’affirment les optimistes de profession, ou en est-il seulement à ses premiers pas ? Il est impossible de le prédire mécaniquement. On ne peut le déterminer qu’à travers l’action. C’est précisément à l’égard du fascisme, qui est un rasoir dans les mains de l’ennemi de classe, qu’une politique erronée du parti communiste peut, dans un délai très court, conduire à un résultat fatal. Par ailleurs, une politique juste peut - il est vrai à beaucoup plus long terme - miner les positions du fascisme.

Lors des crises du régime, le parti révolutionnaire est beaucoup plus fort dans la lutte de masse extra-parlementaire, que dans le cadre du parlementarisme. A une seule condition cependant : qu’il comprenne correctement la situation et qu’il soit capable de lier pratiquement les besoins réels des masses aux tâches de la conquête du pouvoir. Actuellement, tout se ramène à cela.

Aussi ce serait une très grave erreur de ne voir dans situation allemande actuelle que des difficultés et des dangers. Non, la situation offre également d’énormes possibilités à condition qu’elle soit analysée en profondeur et utilisée directement.

Que faut-il pour cela ?

1 . Un tournant forcé "à droite", alors que la situation évolue "à gauche", demande un examen attentif, consciencieux et habile de l’évolution ultérieure des autres composantes de la situation.

Il faut rejeter immédiatement l’opposition abstraite entre méthodes de la deuxième et de la troisième période. Il faut prendre la situation comme elle est, avec toutes ses contradictions et dans la dynamique vivante de son développement. Il faut s’adapter attentivement aux changements réels de cette situation, et agir sur elle dans le sens de son développement effectif et non par complaisance pour les schémas de Molotov ou Kuusinen.

S’orienter dans la situation est la tâche la plus difficile la plus importante. On ne peut s’en acquitter par des méthodes bureaucratiques. Les statistiques, aussi importantes soient-elles sont insuffisantes pour cet objectif. Il faut être quotidiennement à l’écoute en profondeur du prolétariat et des travailleurs en général. Il faut non seulement mettre en avant des mots d’ordre vitaux et entraînants, mais aussi se soucier de la manière dont ils sont repris par les masses. Seul un parti qui a partout des dizaines de milliers d’antennes, qui recueille leurs témoignages, qui examine tous les problèmes et qui élabore activement une position collective, peut atteindre un tel objectif.

2 . Le fonctionnement interne du parti est indissolublement lié à ce problème. Des gens désignés par Moscou indépendamment de la confiance ou de la méfiance du parti à leur égard, ne peuvent mener les masses à l’assaut de la société capitaliste. Plus le régime actuel du parti est artificiel, plus profonde sera la crise au jour et à l’heure de la décision. De tous les "tournants", le plus urgent et le plus nécessaire concerne le régime interne du parti. C’est une question de vie ou de mort.

3 . Le changement du régime du parti est une condition mais aussi une conséquence du changement d’orientation. L’un est impensable sans l’autre. Le parti doit s’arracher à cette atmosphère hypocrite, conventionnelle, où l’on passe sous silence les idéaux réels et où l’on glorifie des valeurs fictives, en un mot à l’atmosphère pernicieuse du stalinisme, qui est le résultat non pas d’une influence idéologique et politique, mais d’une grossière dépendance matérielle de l’appareil et des méthodes de commandement qui en découlent.

Pour arracher le parti à sa prison bureaucratique, il est indispensable de vérifier globalement la "ligne générale" de la direction allemande, depuis 1923 et même depuis les journées de mars 1921. L’opposition de gauche a donné, dans une série de documents et de travaux théoriques, son appréciation sur toutes les étapes de la politique officielle funeste de l’Internationale Communiste. Cette critique doit devenir un des acquis du parti. Il ne réussira pas à l’éluder ni à la passer sous douce. Le parti ne s’élèvera pas à la hauteur de ses tâches grandioses sans une libre appréciation de son présent à lumière de son passé.

4 . Si le parti communiste, malgré des conditions extraordinairement favorables, s’est révélé impuissant à ébranler sérieusement l’édifice social-démocrate avec la formule du "social-fascisme", par contre le fascisme réel menace maintenant ce même édifice non avec les formules purement verbales d’un radicalisme fictif, mais avec les formules chimiques des explosifs. Pour vraie que soit l’affirmation selon laquelle la social-démocratie a préparé par toute sa politique l’épanouissement du fascisme, il n’en reste pas moins vrai que le fascisme une menace mortelle surtout pour cette même social-démocratie, dont toute la splendeur est indissolublement liée aux formes et aux méthodes de l’état démocratique, parlementaire et pacifiste.

Il ne fait aucun doute que les dirigeants de la social-démocratie et une mince couche de l’aristocratie ouvrière préfère en dernière instance une victoire du fascisme à la dictature révolutionnaire du prolétariat. Mais précisément, l’imminence de ce choix est à l’origine des immenses difficultés que connaît la direction social-démocrate face à ses propres ouvriers La politique de front unique des ouvriers contre le fascisme découle de toute la situation. Elle offre au parti communiste d’énormes possibilités. Mais la condition du succès réside dans l’abandon de la pratique et de la théorie du "social-fascisme" dont la nocivité devient dangereuse dans les conditions actuelles.

La crise sociale provoquera inévitablement de profondes fissures dans l’édifice social-démocrate. La radicalisation des masses touchera également les ouvriers sociaux-démocrates bien avant qu’ils cessent d’être des sociaux-démocrates. Il nous faudra inévitablement conclure avec les différentes organisations et fractions sociales-démocrates des accords contre le fascisme, en posant aux dirigeants des conditions précises devant les masses. Seuls des opportunistes apeurés, alliés de Tchang-Kaï-Chek et Wan-Jing-Weï, peuvent se lier les à l’avance contre ces accords par une obligation formelle. Il faut abandonner les déclarations creuses des fonctionnaires contre le front unique, pour revenir à la politique unique telle qu’elle fut formulée par Lenine et toujours appliquée par les bolcheviks, et tout particulièrement en 1917.

5 . Le problème du chômage est l’un des éléments les plus importants de la crise politique actuelle. La lutte contre la capitaliste et pour la journée de travail de 7 heures reste toujours à l’ordre du jour. Mais seul le mot d’ordre de coopération large et systématique avec l’URSS peut porter cette lutte à la hauteur des tâches révolutionnaires. Dans sa déclaration programmatique pour les élections, le Comité central du parti allemand déclare qu’après leur arrivée au pouvoir les communistes mettront au point une coopération avec l’URSS. Cela ne fait aucun doute. Mais il faut pas opposer la perspective historique aux tâches politiques de l’heure. C’est dès aujourd’hui qu’il faut mobiliser ouvriers et, en premier lieu, les chômeurs, sous le mot de large coopération économique avec la République des Soviets. Le Gosplan de l’URSS doit élaborer avec la participation des communistes et des spécialistes allemands, un plan de coopération économique qui, partant du chômage se développe en une coopération générale, englobant les principales branches de l’économie. Le problème n’est pas de promettre une réorganisation de l’économie après la prise du pouvoir, mais d’arriver au pouvoir. Le problème n’est pas promettre une coopération entre l’Allemagne soviétique mais de gagner aujourd’hui les masses à cette coopération en la liant étroitement à la crise et au chômage et en développant en un plan gigantesque de réorganisation sociale des deux pays.

6 . La crise politique en Allemagne remet en question le régime que le traité de Versailles a instauré en Europe. Le Comité central du Parti Communiste allemand dit qu’une fois au pouvoir, le prolétariat allemand liquidera les documents de Versailles. Et c’est tout ? L’abolition du traité Versailles serait ainsi la plus haute conquête de la révolution prolétarienne ! Par quoi sera-t-il remplacé ? Cette manière négative de poser le problème rapproche le parti des nationaux-socialistes. Etats unis soviétiques d’Europe, voilà le seul mot d’ordre correct apportant une solution au morcellement de l’Europe, qui menace non seulement l’Allemagne mais aussi l’Europe entière d’une décadence économique et culturelle totale.

Le mot d’ordre d’unification prolétarienne de l’Europe en même temps une arme très importante dans la lutte contre le chauvinisme abject des fascistes, contre leur croisade contre la France. La politique la plus dangereuse et la plus incorrecte est celle qui consiste à s’adapter passivement à l’ennemi, à se faire passer pour lui. Aux mots d’ordre de désespoir national et de folie nationale, il faut opposer les mots d’ordre qui proposent une solution internationale. Mais pour cela, il est indispensable de nettoyer le parti du poison du national-socialisme dont l’élément essentiel est la théorie du socialisme dans seul pays.

Pour condenser tout ce qui a été dit ci-dessus en une formule simple, posons la question de la manière suivante : la tactique du Parti Communiste allemand doit-elle, dans la période immédiate, être placée sous le signe de l’offensive ou la défensive ? A cela nous répondons : de la défensive.

Si l’affrontement avait lieu aujourd’hui, conséquence de l’offensive du parti communiste, l’avant-garde prolétarienne se briserait contre le bloc constitué par l’Etat et le fascisme, la majorité de la classe ouvrière se cantonnant dans une neutralité craintive et perplexe, la petite bourgeoisie, quant à elle soutenant dans sa majorité directement le fascisme.

Une position défensive implique une politique de rapprochement avec la majorité de la classe ouvrière allemande et le front unique avec les ouvriers sociaux-démocrates et sans parti contre le danger fasciste.

Nier ce danger, le minimiser, le traiter à la légère est le plus grand crime que l’on puisse commettre aujourd’hui contre la révolution prolétarienne en Allemagne.

Que va "défendre" le parti communiste ? La constitution de Weimar ? Non, nous laissons ce soin à Brandler. Le parti communiste doit appeler à la défense des positions matérielles et intellectuelles que la classe ouvrière a déjà conquises dans l’Etat allemand. C’est le sort de ses organisations politiques et syndicales, de ses journaux et de ses imprimeries, de ses clubs et de ses bibliothèques, qui est en jeu. L’ouvrier communiste doit dire à l’ouvrier social-démocrate : "La politique de nos partis est inconciliable ; mais si les fascistes viennent cette nuit détruire le local de ton organisation, je viendrai à ton aide, les armes à la main. Promets-tu au cas où ce même danger menacerait mon organisation d’accourir à mon aide ?" Telle est la quintessence de la politique de la période actuelle. Toute l’agitation doit être menée dans cet esprit.

Plus nous développerons cette agitation avec persévérance, avec sérieux, avec réflexion, sans les hurlements et les forfanteries dont les ouvriers sont si las, plus les mesures organisationnelles défensives que nous allons proposer dans chaque usine, dans chaque quartier ouvrier, seront pertinentes, moins grand sera le danger que l’attaque des fascistes nous prenne au dépourvu, plus grande sera l’assurance que cette attaque soudera et non divisera les rangs des ouvriers.

En effet, les fascistes, du fait de leur succès vertigineux, du fait du caractère petit bourgeois, impatient et indiscipliné de leur armée, seront enclins à passer à l’attaque dans une proche période. Chercher à les concurrencer actuellement dans cette voie serait une mesure non seulement désespérée mais aussi mortellement dangereuse. Au contraire, plus les fascistes apparaîtront aux yeux des ouvriers sociaux-démocrates et à l’ensemble des masses travailleuses comme le camp qui attaque, plus nous aurons de chances non seulement d’écraser l’offensive des fascistes, mais aussi de passer à une contre-offensive victorieuse. La défense doit être vigilante, active et courageuse. L’état-major devra couvrir du regard tout le champ de bataille et tenir compte de tous les changements pour ne pas laisser passer un nouveau retournement de la situation lorsqu’il s’agira de donner le signal de l’assaut général.

Il y a des stratèges qui se prononcent toujours et dans n’importe quelles circonstances pour la défensive. Les brandlériens, par exemple, sont de ceux-là. S’étonner de ce qu’aujourd’hui encore ils parleront de défensive, serait tout à fait puéril ils le font toujours. Les brandlériens sont un des porte-voix la social-démocratie. Nous devons par contre nous rapprocher des ouvriers sociaux-démocrates sur le terrain de la défensive pour les entraîner ensuite dans une offensive décisive. Les brandlériens en sont tout à fait incapables. Lorsque le rapport de forces se modifiera de façon radicale en faveur de révolution prolétarienne, les brandlériens apparaîtront une nouvelle fois comme un poids mort et comme un frein de la révolution. C’est la raison pour laquelle une politique défensive visant au rapprochement avec les masses sociales-démocrates ne doit en aucun cas impliquer une atténuation des contradictions avec l’état-major brandlérien, derrière lequel il n’y pas et il n’y aura jamais les masses.

Dans le cadre du regroupement de forces, caractérisé ci-dessus, et les tâches de l’avant-garde prolétarienne, les méthodes de répression physique appliquées par la bureaucratie stalinienne en Allemagne et dans d’autres pays contre les bolcheviks-léninistes, prennent une signification toute particulière. C’est un service direct rendu à la police sociale-démocrate et aux troupes de choc du fascisme. En contradiction totale avec les traditions du mouvement révolutionnaire prolétarien, ces méthodes répondent parfaitement à la mentalité des bureaucrates petits bourgeois, qui tiennent à leur salaire garanti d’en haut et qui craignent de le perdre avec l’irruption de la démocratie à l’intérieur du parti. Les infamies des staliniens doivent faire l’objet d’un large travail d’explication, le plus concret possible, visant à démasquer le rôle des fonctionnaires les plus indignes de l’appareil du parti. L’expérience de l’URSS et d’autres pays prouve que ceux qui luttent avec la plus grande frénésie contre l’opposition de gauche, sont de tristes sires qui ont absolument besoin de dissimuler à la direction leurs fautes et leurs crimes : dilapidation des fonds communs, abus de fonction, ou tout simplement incapacité totale. Il est tout à fait clair que la dénonciation des exploits brutaux de l’appareil stalinien contre les bolcheviks-léninistes sera d’autant plus couronnée de succès que nous développerons plus largement notre agitation générale sur la base des tâches exposées ci-dessus.

Si nous avons examiné le problème du tournant tactique de l’Internationale Communiste uniquement à la lumière de la situation allemande c’est parce que la crise allemande place le Parti communiste allemand une nouvelle fois au centre de l’attention de l’avant-garde prolétarienne mondiale, et parce qu’à la lumière de cette crise tous les problèmes apparaissent avec le plus grand relief. Il ne serait pas difficile de montrer que ce qui est dit ici s’applique, plus moins, aussi aux autres pays.

En France, toutes les formes prises par la lutte des classes depuis la guerre ont un caractère infiniment moins aigu et décisif qu’en Allemagne. Mais les tendances générales du développement sont les mêmes, sans parler, bien évidemment, de la dépendance directe qui lie le sort de la France à celui de l’Allemagne. Les tournants de l’Internationale Communiste ont en tout cas un caractère universel. Le Parti Communiste français, proclamé par Molotov dès 1928 premier candidat pouvoir, a mené ces deux dernières années une politique tout à fait suicidaire. Il n’a pas vu en particulier l’essor économique. Un tournant tactique fut annoncé en France au moment où la remontée économique cédait la place à une crise. Ainsi les mêmes contradictions, les mêmes difficultés et les mêmes tâches, dont nous avons parlé à propos de l’Allemagne, sont aussi à l’ordre du jour en France.

Le tournant de l’Internationale Communiste, en liaison avec le tournant de la situation, place l’Opposition communiste de gauche devant des tâches nouvelles et extrêmement importantes. Ses forces sont réduites. Mais chaque courant se développe parallèlement à ses tâches. Les comprendre clairement, c’est posséder un des gages les plus importants de la victoire.

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