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L’actualité de l’ouvrage « Le Capital » de Karl Marx

dimanche 30 août 2020, par Robert Paris

Le capitalisme est la négation de la propriété des travailleurs producteurs. Sa chute est la négation de la négation !

Marx : "L’appropriation capitaliste, conforme au mode de production capitaliste, constitue la première négation de cette propriété privée qui n’est que le corollaire du travail indépendant et individuel. Mais la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. C’est la négation de la négation. Elle rétablit non la propriété privée du travailleur, mais sa propriété individuelle, fondée sur les acquêts de l’ère capitaliste, sur la coopération et la possession commune de tous les moyens de production, y compris le sol." source

L’actualité de l’ouvrage « Le Capital » de Karl Marx

Avec l’actuel effondrement du système capitaliste, bien des gens redécouvrent le message de Marx dans Le Capital : les fondements mêmes du capitalisme mènent à une contradiction irrémédiable entre la propriété privée des moyens de production et l’indispensable accumulation croissante du capital fondée sur le vol aux salariés d’une fraction du produit de leur travail, la plus-value. La mort du capitalisme est programmée.

La conclusion du Capital de Marx :

« A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d’évolution sociale, s’accroissent la misère, l’oppression, l’esclavage, la dégradation, l’exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grandissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L’heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés »

C’est dans le Capital précisément que Marx a énoncé « la loi concrète de la société moderne » qui aboutit à la crise générale du capitalisme et à une société supérieure, dont l’instauration s’impose inéluctablement comme tâche au prolétariat : « Il ne s’agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se propose comme but momentanément. Il s’agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu’il doit faire historiquement, conformément à son être. Son but et son action historiques lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable, dans sa propre situa­tion historique, comme dans toute l’organisation de la société actuelle. »

Dans sa postface au Capital, Marx cite un commentateur :

« Une seule chose préoccupe Marx : trouver la loi des phénomènes qu’il étudie ; non seulement la loi qui les régit sous leur forme arrêtée et dans leur liaison observable pendant une période de temps donnée. Non, ce qui lui importe, par-dessus tout, c’est la loi de leur changement, de leur développement, c’est-à-dire la loi de leur passage d’une forme à l’autre, d’un ordre de liaison dans un autre. Une fois qu’il a découvert cette loi, il examine en détail les effets par lesquels elle se manifeste dans la vie sociale… Ainsi donc, Marx ne s’inquiète que d’une chose ; démontrer par une recherche rigoureusement scientifique, la nécessité d’ordres déterminés de rapports sociaux, et, autant que possible, vérifier les faits qui lui ont servi de point de départ et de point d’appui. Pour cela il suffit qu’il démontre, en même temps que la nécessité de l’organisation actuelle, la nécessité d’une autre organisation dans laquelle la première doit inévitablement passer, que l’humanité y croie ou non, qu’elle en ait ou non conscience. Il envisage le mouvement social comme un enchaînement naturel de phénomènes historiques, enchaînement soumis à des lois qui, non seulement sont indépendantes de la volonté, de la conscience et des desseins de l’homme, mais qui, au contraire, déterminent sa volonté, sa conscience et ses desseins… Si l’élément conscient joue un rôle aussi secondaire dans l’histoire de la civilisation, il va de soi que la critique, dont l’objet est la civilisation même, ne peut avoir pour base aucune forme de la conscience ni aucun fait de la conscience. Ce n’est pas l’idée, mais seulement le phénomène extérieur qui peut lui servir de point de départ. La critique se borne à comparer, à confronter un fait, non avec l’idée, mais avec un autre fait ; seulement elle exige que les deux faits aient été observés aussi exactement que possible, et que dans la réalité ils constituent vis-à-vis l’un de l’autre deux phases de développement différentes ; par-dessus tout elle exige que la série des phénomènes, l’ordre dans lequel ils apparaissent comme phases d’évolution successives, soient étudiés avec non moins de rigueur. Mais, dira-t-on, les lois générales de la vie économique sont unes, toujours les mêmes, qu’elles s’appliquent au présent ou au passé. C’est précisément ce que Marx conteste ; pour lui ces lois abstraites n’existent pas… Dès que la vie s’est retirée d’une période de développement donnée, dès qu’elle passe d’une phase dans une autre, elle commence aussi à être régie par d’autres lois. En un mot, la vie économique présente dans son développement historique les mêmes phénomènes que l’on rencontre en d’autres branches de la biologie… Les vieux économistes se trompaient sur la nature des lois économiques, lorsqu’ils les comparaient aux lois de la physique et de la chimie. Une analyse plus approfondie des phénomènes a montré que les organismes sociaux se distinguent autant les uns des autres que les organismes animaux et végétaux. Bien plus, un seul et même phénomène obéit à des lois absolument différentes, lorsque la structure totale de ces organismes diffère, lorsque leurs organes particuliers viennent à varier, lorsque les conditions dans lesquelles ils fonctionnent viennent à changer, etc. Marx nie, par exemple, que la loi de la population soit la même en tout temps et en tout lieu. Il affirme, au contraire, que chaque époque économique a sa loi de population propre… Avec différents développements de la force productive, les rapports sociaux changent de même que leurs lois régulatrices… En se plaçant à ce point de vue pour examiner l’ordre économique capitaliste, Marx ne fait que formuler d’une façon rigoureusement scientifique la tâche imposée à toute étude exacte de la vie économique. La valeur scientifique particulière d’une telle étude, c’est de mettre en lumière les lois qui régissent la naissance, la vie, la croissance et la mort d’un organisme social donné, et son remplacement par un autre supérieur ; c’est cette valeur-là que possède l’ouvrage de Marx. »

Postface au Capital :

Relisons ce qu’Engels, compagnon de Marx, tirait de cet enseignement économique et social :

Lettre de F. Engels à Conrad Schmidt

27 octobre 1890

« L’homme du marché mondial ne voit les fluctuations de l’industrie et du marché mondial que sous la forme du reflet inversé du marché de l’argent et des effets et alors l’effet devient la cause dans son esprit. Cela je l’ai déjà vu à Manchester dans les années 40 : pour la marche de l’industrie, avec ses maxima et minima périodiques, les cours de la bourse de Londres étaient absolument inutilisables parce que ces messieurs voulaient tout expliquer par les crises du marché de l’argent, qui n’étaient pourtant elles-mêmes que des symptômes. Il s’agissait alors de démontrer que la naissance des crises industrielles n’avait rien à voir avec une surproduction temporaire et qui incitait à la falsification. Aujourd’hui cet élément disparaît — pour nous au moins une fois pour toutes — et en outre c’est un fait que le marché de l’argent peut avoir aussi ses propres crises et qu’à cette occasion des troubles directement dans l’industrie ne jouent qu’un rôle subordonné ou ne jouent même aucun rôle ; dans ce domaine il reste encore beaucoup de choses, en particulier aussi pour l’histoire des vingt dernières années, à constater et à examiner. Où il y a division du travail à l’échelle sociale, il y a aussi indépendance des travaux partiels les uns par rapport aux autres. La production est le facteur décisif en dernière instance. Mais en même temps que le commerce des produits devient indépendant de la production proprement dite, il obéit à son propre mouvement, que domine certes en gros le processus de production mais qui, dans le détail, et à l’intérieur de cette dépendance générale, n’en obéit pas moins à ses propres lois qui ont leur origine dans la nature de ce facteur nouveau. Il possède ses propres phases et réagit de son côté sur le processus de production. La découverte de l’Amérique était due à la soif d’or qui avait déjà poussé auparavant les Portugais vers l’Afrique (cf. Soetbeer : La Production des métaux précieux), parce que l’industrie européenne si puissamment développée au XIVe et XVe siècles et le commerce correspondant exigeaient de nouveaux moyens d’échange que l’Allemagne — le grand pays de l’argent de 1450 à 1550 — ne pouvait livrer. La conquête de l’Inde par les Portugais, Hollandais, Anglais de 1500 à 1800 avait pour but les importations en provenance de l’Inde, personne ne pensait à des exportations vers ce pays. Et pourtant quelle action colossale en retour ont eue sur l’industrie ces découvertes et ces conquêtes nées des seuls intérêts commerciaux — ce sont les besoins en vue de l’exportation en direction de ces pays qui ont créé et développé la grande industrie. Il en est de même du marché des valeurs. Et même temps que le commerce des valeurs se détache du commerce des marchandises, le commerce de l’argent — sous certaines conditions posées par la production et le commerce des marchandises et à l’intérieur de ces limites — a sa propre nature, connaît des phases particulières. S’il s’y ajoute encore qu’au cours de cette évolution nouvelle le commerce de l’argent s’élargit en commerce des effets, que ces effets ne sont pas seulement des effets tirés sur l’Etat mais aussi des actions de sociétés industrielles et de transport, qu’en somme le commerce de l’argent acquiert un pouvoir direct sur une partie de la production (laquelle en gros le domine), on comprend que l’action en retour du commerce de l’argent sur la production devient encore plus forte et plus compliquée. Ceux qui font commerce de l’argent sont les propriétaires des chemins de fer, des mines, des usines sidérurgiques, etc… Les moyens de production acquièrent un double visage : leur exploitation doit se conformer tantôt aux intérêts de la production directe, mais tantôt aussi aux besoins des actionnaires dans la mesure où ils font commerce de l’argent. Voici l’exemple le plus frappant : l’exploitation des chemins de fer de l’Amérique du Nord dépend totalement des opérations boursières que font à tel moment Jay Gould, Vanderbildt, etc. lesquelles opérations sont parfaitement étrangères aux chemins de fer en particulier et à ce qui leur est utile en tant que moyen de communication. Ici même, en Angleterre, nous avons vu durant des dizaines d’années différentes sociétés de chemin de fer lutter entre elles pour la possession de régions où elles touchaient l’une à l’autre ; au cours de ces luttes des sommes énormes étaient dépensées, non dans l’intérêt de la production et du rapport mais uniquement à cause d’une rivalité qui, la plupart du temps, n’avait d’autre but que de permettre des opérations boursières à ceux qui possédaient les actions et faisaient commerce de l’argent."

Karl Marx à Bernstein :

« Pour en revenir à l’impôt sur la Bourse, nous n’avons pas besoin de nier l’« immoralité » de la Bourse et l’escroquerie qu’elle représente ; nous pouvons même la dépeindre de façon fort suggestive comme le couronnement de l’accaparement capitaliste, le lieu où la propriété se ramène directement au vol, mais il faut conclure ensuite qu’il n’est pas du tout dans l’intérêt du prolétariat de briser cette belle fleur de l’économie actuelle, mais bien plutôt de la laisser s’épanouir en toute liberté, afin que même le plus bête comprenne à quoi aboutit l’économie actuelle. Laissons donc l’indignation morale à ceux qui sont assez cupides pour aller à la Bourse, sans être eux-mêmes des Boursiers, et qui, comme il se doit, se font plumer. Et si ensuite la Bourse et les « affaires sérieuses » se mettent à se disputer et si le Junker, qui essaie lui aussi de se lancer dans le petit jeu des papiers en Bourse et qui nécessairement y perd sa chemise, est le troisième larron dans ce combat que se livrent mutuellement les trois fractions principales de la classe des exploiteurs, alors nous serons le quatrième, celui qui rit le dernier. »

Marx et Engels disaient-il que le capitalisme ne pouvait pas se détruire lui-même ?

Le capitalisme peut-il s’effondrer de lui-même définitivement ?

La suite

Dans un article intitulé « Si Le Capital avait été écrit aujourd’hui » (en italien : Se Il Capitale fosse stato scritto oggi), Pietro Basso défend à sa manière l’actualité du « Capital » de Marx :

« Toute grande œuvre du génie humain est inévitablement affectée par le temps. C’est également vrai pour « Le Capital », un monument du génie humain qui ne perd ni de force ni de pertinence avec le temps, et même qui, pour l’essentiel, en acquiert. Et pourtant, ceux qui y font face ne peuvent manquer d’entendre immédiatement, au travers du style de l’exposé, l’écho des disputes scientifiques et culturelles du milieu du XIXe siècle. Je ne parle pas tellement du style d’écriture qui a reçu un rejet impensable sans appel de l’élève la plus aigüe de Marx, Rosa Luxemburg, qui dans une lettre de mars 1917 a écrit : « le très célèbre premier volume du Capital de Marx, avec le sa surcharge d’ornements rococo de style hégélien, pour moi maintenant c’est une horreur » 1. (…)

Ce n’est pas pour rien que le sous-titre du Capital est le même qu’il était huit ans plus tôt : une critique de l’économie politique, et pas simplement une critique des propres rapports de production et de reproduction du capital. Mais en tant qu’homme aux grands défis qu’il est, Marx n’en est pas satisfait. Il tient à lancer un autre défi contre ceux qui veulent enterrer Hegel, et en particulier l’impact révolutionnaire de sa logique dialectique, ou qui - contre leurs intentions - finissent par le vider et le ridiculiser. C’est un défi théorique à la fois philosophique et politique, mené au nom du matérialisme historique et du mouvement ouvrier, de la « classe qui tient l’avenir par la main ». L’auteur de « Le Capital » n’accepte pas de faire seulement un travail de science économique, d’une nouvelle économie qui a su dissoudre les contradictions dans lesquelles l’économie politique classique, valable en elle-même, pour sa rigueur, pour la capacité de clarifier comment les choses se passent et se passent dans la forme de société la plus complexe, mystifiée et auto-mystifiante qui ait jamais existé. Il entend aussi montrer que la force explosive du capitalisme, explosive à la fois dans la multiplication de la productivité du travail et dans la tension pour créer un marché mondial complet, ouvre la voie, avec ses antagonismes, à une « organisation économique supérieure de la société », au communisme.

De nombreux documents montrent que Marx était pleinement conscient des grandes difficultés des premiers chapitres du livre I, et s’en préoccupait également, au point de réécrire plusieurs fois certains passages. Cependant, à notre connaissance, il n’a jamais eu à l’esprit de modifier l’ordre de son exposition par rapport au schéma de 1859. Il est resté le même même lorsqu’il a décidé de modifier la méthode : au lieu de « passer de l’abstrait au concret » comme dans l’Introduction de 57, « passant du particulier au général » 2, c’est-à-dire de la marchandise, la « forme élémentaire » du tissu social capitaliste, vers l’identification de la « loi économique du mouvement de la société moderne » et de ses contradictions internes. Pourquoi une telle obstination à imposer à ses lecteurs un départ qui ressemble à l’escalade d’un mur de septième niveau sans chauffage préalable ? Précisément parce que Marx, fondateur de l’économie politique critique, veut clôturer définitivement ses comptes à la fois avec les doctrines économiques antérieures et avec le dernier grand produit de la philosophie, le noyau rationnel de la logique de Hegel, incorporant ses résultats les plus élevés à travers un exposition de la matière économique réalisée de manière dialectique. (…)

Cela dit, j’en viens à la question : serait-il sensé aujourd’hui, dans l’exposé critique de ce qu’est le capital, de recommencer, comme en 1867, à partir des marchandises et de leur décomposition, de ce type de phénoménologie ? Ma réponse est : certainement pas. Pour la simple raison que la double bataille avec l’économie politique et les héritiers / dissipateurs ou liquidateurs de la pensée de Hegel, fondamentale au moment où elle a été donnée, appartient entièrement au passé. C’est un chapitre totalement fermé. Marx est vivant, ses opposants à la doctrine de 1867 sont clandestins depuis longtemps. Et il n’y aura aucune chance pour eux d’être ressuscités. L’économie politique officielle a perdu, pas à partir d’aujourd’hui, toute possibilité de revendiquer le statut de science. Il l’a fait en abandonnant la théorie de la valeur-travail, pour tourner dans le sens de la valeur-utilité puis de l’utilité marginale, avec un renversement subjectiviste de l’analyse économique, accompagné de l’hypothèse paradoxale d’un système en équilibre total et d’une structure productive statique. . Elle s’est ainsi de plus en plus éloignée de la réalité réelle du capitalisme, traversée aux XXe et XXIe siècles par des dynamiques de croissance et de crise de plus en plus violentes et non régulées, et de plus en plus dominée par la recherche obsessionnelle du profit jusqu’à l’hypothèque, à travers « gonflement anormal du capital fictif, l’exploitation du travail pendant de nombreuses générations à venir. L’économie politique classique n’avait pas eu peur d’affronter les contradictions du capital. L’économie néoclassique, au contraire, les évite, les cache. Et cette ligne de marche s’est radicalisée avec l’avènement de la doctrine néolibérale. (…)

De la même manière, la philosophie ne me semble certainement pas ressuscitée du coma profond dans lequel elle est tombée, précipitant ruineusement en aval des sommets atteints avec Spinoza, Kant et Hegel. Rien de plus que l’extraordinaire fortune dont il jouit, en Italie du moins, Heidegger le prouve. La puissance théorique de sa philosophie réside entièrement et uniquement dans la création d’une série infinie de formules inextricables et tautologiques, qui peuvent signifier des choses infinies sans jamais en dire précisément, dans sa capacité à transfigurer, adultérer, annuler chaque problème `` analysé ’’, dans le sa torsion et son retournement en d’éternels exercices préliminaires qui ne nous donnent jamais le contenu de la vérité, c’est-à-dire le contenu de la réalité, des catégories à l’intérieur desquelles tant de bouffées de fumée se déroulent. Un vrai labyrinthe dont on sort épuisé et déconcerté, sans un seul élément de savoir plus que ceux déjà possédés 3, en effet avec un effet recherché de distanciation de l’être social réellement existant à ce moment-là, provoqué par la tentative de stérilisation apparemment indolore de toute capacité critique. C’est pourquoi il n’aurait aucun sens de se battre contre des ombres sombres dépourvues de vitalité et de sens, ni - encore moins - de « flirter » avec leur langage ou, pire encore, avec leur méthode. C’est aussi pourquoi la réinterprétation philosophique du Capital promue par Althusser au milieu des années 1960 a été si stérile, ne laissant derrière elle qu’une opposition inconsistante et à nouveau académique entre le « premier » et le « deuxième » Marx. Si quoi que ce soit, il y avait et il y a un besoin d’une lecture historico-sociale plus marquée du Capital, visant à démontrer comment et pourquoi l’arrière-plan de ce travail est une vision du processus historique de l’avènement du capitalisme en tant que totalité, en tant qu’économie mondiale, et combien il a su anticiper, dans l’ensemble, les développements contemporains du capitalisme. (…) »

1 - Voir Rosa Luxemburg, édité par L. Basso, Mondadori, Milan, 1977, p. 18. La lettre, datée du 8 mars 1917, est envoyée à son ami Hans Diefenbach, à qui il demande un avis sur son Anticritica, implicitement présentée comme un exemple de style simple et calme.

2 – Il souligne ce passage et la complexité de la méthode d’exposition utilisée par Marx dans Capitale, M. Musto, Karl Marx. Introduction à la critique de l’économie politique, Quodlibet, Macerata, 2010, pp. 99 ff. Pour R. Rosdolsky, c’est Marx lui-même qui présente sa manière de procéder comme un voyage de la surface des relations économiques « à la structure fondamentale intime, essentielle mais cachée de ces relations et au concept qui leur correspond » : Genèse et structure de » Capital "par Marx, Laterza, Rome-Bari, 1975, vol. I, pp. 76-77.

3- Je reprends ici quelques idées de la critique âcre de A. Berardinelli, Les bruits de l’être. Heidegger, Derrida, Severino, "Journal", année IV, n. 6, juin 1988, p. 49 ff. Et pourtant G. La Guardia a raison lorsqu’il souligne que l’être et le temps de Heidegger n’est pas qu’un bruit vide, il a une « inspiration expressément anti-matérialiste » précise, ayant le marxisme comme « objectif stratégique » (frapper), bien que non déclaré. : voir Le Dieu caché. Sociologie du dieu caché, dans J.Ferrari (sous la direction de), Le Baroque, Figures Libres, Dijon, 2003.

On voit ici que Pietro Basso, adepte de Bordiga, peut le suivre dans son dégoût de la philosophie, y compris la dialectique de Hegel que les deux voudraient bien soustraire à l’œuvre de Marx…

« Bordiga dit qu’il faut se débarrasser de Dieu, de l’Esprit et ... de Hegel. »

Lire ici en italien

Quando Bordiga dice (e non solo nei testi qui presentati) che occorre mandare in pensione Dio, lo Spirito e… Hegel, non fa che riprendere Marx ed Engels sulla "fine della filosofia". Come abbiamo visto, però, anche in campo avversario molti filosofi pare siano giunti alla medesima conclusione sulla fine della loro propria materia di studio. Pura apparenza : da una parte essi resuscitano la vecchia metafisica sotto nuove forme, dall’altra sostengono che la morte della filosofia è dovuta al trionfo della scienza e della tecnica, fenomeno alle cui implicazioni dedicano i loro studi. Alcuni ritengono che tale trionfo sia positivo nonostante gli evidenti difetti della scienza ; altri lo interpretano in modo negativo, come rinuncia all’umanità dell’uomo. Bordiga nega l’uno e l’altro assunto, quello neometafisico e quello, contraddittorio, della scienza vista in positivo o in negativo : anche scienza e tecnologia, lodate o criticate che siano, non sono altro che una nuova forma di filosofia e per di più metafisica. Egli aggiunge persino che la scienza odierna è assimilabile a una superstizione magica.

« La réprimande voilée de Bordiga à Lénine pour son « engouement » pour Hegel à l’ère de la science moderne est significative. »
Il velato rimprovero di Bordiga a Lenin per la sua "infatuazione" per Hegel nell’epoca della scienza moderna è significativo.

Lire aussi : Bordiga contre la philosophie

Bordiga fait partie de ceux qui ont voulu voir dans le marxisme la fin de la philosophie, en se fondant sur un membre de phrase de Marx…

Qu’en est-il en réalité ? Le marxisme est-il la fin de la philosophie ?

La philosophie dialectique est indispensable à la politique des marxistes révolutionnaires

Ceux qui veulent nous enfermer dans des contradictions diamétrales en politique

La dialectique, c’est la vie. Penser le monde sans la dynamique des contradictions, c’est la mort....

Contrairement à ce que pensait Bordiga, dire que le marxisme est scientifique ne signifie pas qu’il se détourne de la philosophie : Lire ici

Mais Bordiga est-il un critère de compréhension philosophique du marxisme ?

Lire à ce propos : L’invariance du marxisme selon Bordiga ou l’ossification du marxisme

L’invariance du marxisme en français

L’invariance de Bordiga en anglais
Il en profite pour suivre aussi sur ce point Rosa Luxembourg…
Mais ce n’est pas des révolutionnaires qui se félicitent de cette position soi-disant de marxiste anti-orthodoxe de Rosa : Par exemple, ici Hannah Arendt

Pour notre part, nous pensons que tout « Le Capital » est dialectique au sens de Hegel tout en restant matérialiste au sens de Marx !!!
Nous avons été plusieurs fois amenés à discuter du fait que Pourquoi Marx estimait la dialectique indispensable pour comprendre l’économie

L’un de ces articles demandait : Pourquoi Marx tenait-il à considérer l’économie comme une matière dialectique ? Et nous y répondions ici

Ou encore Sur le premier paragraphe du Capital de Karl Marx

Bien sûr, nous ne sommes pas ignorants de la contradiction fondamentale entre la pensée de Hegel et celle de Marx-Engels et on a pu écrire ainsi : De Hegel à Marx-Engels, une contradiction dialectique

Mais on a pu aussi remarquer La dialectique de l’économie capitaliste, telle que l’a exposée Karl Marx dans « La Critique de l’Economie Politique »

Sur notre site Matière et Révolution, nous avons été maintes fois amenés à souligner que Les lois économiques obéissent à des contradictions dialectiques

Rappelons pourquoi nous défendons la dialectique au sens de Hegel et pourquoi nous n’estimons pas comme lui qu’elle serait contradictoire avec une vision scientifique

Marx a toujours affirmé que « Le Capital » était une application de la thèse dialectique de Hegel et non un simple ouvrage d’économie.
Karl Marx écrit, dans sa lettre du 14 janvier 1858 par laquelle il rend compte de son travail préparatoire à la rédaction du « Capital » :

"Dans la méthode d’élaboration du sujet, quelque chose m’a rendu grand service. J’avais refeuilleté, et pas par hasard, la « Logique » de Hegel. (…) Si jamais j’ai un jour du temps, j’aurais grande envie de rendre en un ou deux grands placards d’imprimerie accessible aux hommes de sens commun le fond rationnel de la méthode que Hegel a découverte, et en même temps mystifié."

"Sous sa forme rationnelle, la dialectique n’est, aux yeux de la bourgeoisie et de ses théoriciens, que scandale et horreur, parce que, outre la compréhension positive de ce qui existe, elle englobe également la compréhension de la négation, de la disparition inévitable de l’état des choses existant ; parce qu’elle considère toute forme sous l’aspect du mouvement, par conséquent aussi sous son aspect transitoire ; parce qu’elle ne s’incline devant rien et qu’elle est, par son essence, critique et révolutionnaire."

Certains auteurs voudraient bien reprendre quelques éléments acceptables de Marx comme son « étude économique du Capital » sans s’embarquer dans une théorie et une philosophie générale révolutionnaire.

Certes, Le Capital de Marx n’a plus à prendre aux libéraux la notion de plus-value puisque, de nos jours, les fameux libéraux ne croient plus à la plus-value : voir ici

Cela ne signifie pas que Marx ait inventé la notion de plus-value ou celle de marché mondial ou celle de prolétariat, voire de force de travail, de mode de production et de rapports de production.

Karl Marx disait lui-même :

« En ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert ni l’existence des classes dans la société moderne, ni leur lutte entre elles. Bien longtemps avant moi, des historiens bourgeois avaient décrit l’évolution historique de cette lutte des classes, et des économistes bourgeois en avaient analysé l’anatomie économique. Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est la preuve : 1°) que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases déterminées du développement historique de la production ; 2°) que la lutte des classes aboutit nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3°) que cette dictature elle-même ne constitue que la transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classes. »

Lettre de Karl Marx à Joseph Weydemeyer (5 mars 1852)

« Le Capital » rapporte que le prolétariat « lié à des phases déterminées du développement historique de la production »…

Lire encore sur l’actualité du marxisme

Contrairement à Pietro Basso et à Rosa Luxembourg, Ttrosky y écrit :

« Certains arguments de Marx, particulièrement dans le premier chapitre, le plus difficile, peuvent paraître au lecteur non initié beaucoup trop discursifs, oiseux ou métaphysiques En réalité, cette impression tient au fait que l’on n’a pas l’habitude de considérer scientifiquement des phénomènes très familiers. La marchandise est devenue un élément si universellement répandu, si familier, de notre existence quotidienne, que nous n’essayons même pas de nous demander pourquoi les hommes se séparent d’objets de première importance, nécessaires à l’entretien de la vie, pour les échanger contre de petits disques d’or ou d’argent qui n’ont par eux-mêmes d’utilité sur aucun continent. La marchandise n’est pas le seul exemple d’une telle attitude. Toutes les catégories de l’économie marchande sont acceptées sans analyse, comme allant de soi, comme si elles constituaient la base naturelle des rapports entre les hommes. Cependant, tandis que les réalités du processus économique sont le travail humain, les matières premières, les outils, les machines, la division du travail, la nécessité de distribuer les produits manufacturés entre tous ceux qui participent au processus de la production, etc..., des catégories telles que la marchandise, la monnaie, les salaires, le capital, le profit, l’impôt, etc..., ne sont, dans la tête de la plupart des hommes, que les reflets à moitié mystiques des différents aspects d’un processus économique qu’ils ne comprennent pas, et qui échappe à leur contrôle. Pour les déchiffrer, une analyse scientifique est indispensable. (…) Quoi qu’il en soit, celui qui n’a pas perdu l’habitude d’accepter passivement, sans esprit critique, les reflets idéologiques du développement économique, celui qui n’a pas pénétré, à la suite de Marx, la nature essentielle de la marchandise en tant que cellule fondamentale de l’organisme capitaliste, celui-là restera toujours incapable de comprendre scientifiquement les plus importants phénomènes de notre époque. (…) Le but de Marx n’était pas de découvrir les "lois éternelles" de l’économie. Il niait l’existence de telles lois. L’histoire du développement de la société humaine est l’histoire de la succession de différents systèmes économiques, qui ont chacun leurs lois propres. Le passage d’un système à un autre a toujours été déterminé par la croissance des forces productives, c’est-à-dire de la technique et de l’organisation du travail. Jusqu’à un certain point, les changements sociaux ont seulement un caractère quantitatif, et n’altèrent pas les fondements de la société, c’est-à-dire les formes dominantes de la propriété. Mais il arrive un moment où les forces productives accrues ne peuvent plus rester enfermées dans les vieilles formes de propriété ; alors survient dans l’ordre social un changement, accompagné de secousses. A la commune primitive succéda ou s’ajouta l’esclavage ; l’esclavage fut remplacé par le servage, avec sa superstructure féodale ; au XVIème siècle, le développement commercial des villes en Europe entraîna l’avènement du régime capitaliste, qui, depuis lors, est passé par différentes étapes. Dans son Capital, Marx n’étudie pas l’économie en général, mais l’économie capitaliste, avec ses lois spécifiques. Des autres systèmes économiques, il ne parle qu’incidemment, et seulement pour mettre en lumière les caractéristiques propres du capitalisme. (…) L’erreur fondamentale de l’économie classique était de considérer le capitalisme comme la forme d’existence de l’humanité à toutes les époques, alors qu’il n’est qu’une étape historique dans le développement de la société. Marx commença par critiquer cette économie politique, il en exposa les erreurs, en même temps que les contradictions du capitalisme lui-même, et il démontra l’inéluctabilité de l’effondrement de ce régime. (…) Les lois qui gouvernent les différentes sphères de l’économie capitaliste – les salaires, les prix, la rente foncière, le profit, l’intérêt, le crédit, la Bourse – ces lois sont nombreuses et complexes. Cela est manifeste. Mais, en dernier ressort, elles se ramènent à une loi unique, découverte par Marx, et qu’il a explorée à fond : la loi de la valeur-travail, qui est le régulateur fondamental de l’économie capitaliste. L’essence de cette loi est simple. La société dispose d’une certaine réserve de force de travail vivante. Appliquée à la nature, cette force produit les objets nécessaires à la satisfaction des besoins de l’humanité. Par suite de la division du travail entre des producteurs indépendants, ces objets prennent la forme de marchandises. Les marchandises s’échangent à un taux donné, d’abord directement, plus tard au moyen d’un intermédiaire : l’or ou la monnaie. La propriété essentielle des marchandises, propriété qui les rend, suivant un certain rapport, comparables entre elles, est le travail humain dépensé pour les produire – le travail abstrait, le travail en général – base et mesure de la valeur. Si la division du travail entre des millions de producteurs n’entraîne pas la désagrégation de la société, c’est que les marchandises sont échangées selon le temps de travail socialement nécessaire pour leur production. En acceptant ou en rejetant les marchandises, le marché, arène de l’échange, décide si elles contiennent ou ne contiennent pas de travail socialement nécessaire, détermine ainsi les quantités des différentes espèces de marchandises nécessaires à la société, et, par conséquent, aussi la distribution de la force de travail entre les différentes branches de la production.
Les processus réels du marché sont infiniment plus complexes que nous n’avons pu l’exposer en quelques lignes. Ainsi, les prix, en oscillant autour de la valeur-travail, sont tantôt en dessous, tantôt au-dessus de la valeur. Les causes de ces variations sont expliquées en long et en large dans le troisième livre du Capital, livre dans lequel Marx analyse "Le procès d’ensemble de la production capitaliste". Néanmoins, quelque considérables que puissent être les écarts entre le prix et la valeur des marchandises dans des cas particuliers, la somme de tous les prix est égale à la somme de toutes les valeurs des marchandises créées par le travail humain et figurant sur le marché, et les prix ne peuvent pas franchir cette limite, même si l’on tient compte des "prix de monopole" des trusts ; là où le travail n’a pas créé de nouvelle valeur, Rockfeller lui-même ne peut rien tirer. »

Voici comment Friedrich Engels expliquait l’apport du « Capital » de Marx :

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