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Coup d’état militaire en préparation en Espagne ?

vendredi 4 décembre 2020, par Robert Paris

Des officiers espagnols à la retraite appellent le roi à soutenir un coup d’État militaire

Plus de 100 officiers de haut rang à la retraite ont écrit au roi Felipe VI pour lui demander, en tant que chef des forces armées espagnoles, d’agir contre le gouvernement élu du Parti socialiste (PSOE)-Podemos. Ils accusent le gouvernement de trahison et de menacer la survie de la nation espagnole.

Il n’y a aucune voie légale permettant au roi, qui a besoin constitutionnellement du soutien du Premier ministre pour dissoudre le gouvernement, d’agir sur ces lettres. Leur envoi survient après que le gouvernement a obtenu le soutien des partis régionalistes catalans et basques au parlement pour son budget d’austérité. Les lettres des officiers dénoncent le nationalisme régionaliste en Espagne. Cependant, sur fond de la pandémie COVID-19, du plus grand effondrement économique mondial depuis les années 1930 et de la colère croissante de la classe ouvrière contre les politiques d ’« immunité collective », il est clair qu’il s’agit bien plus qu’un différend sur les priorités budgétaires de cette année.

Un avertissement est nécessaire : le gouvernement PSOE-Podemos est resté muet à ce sujet, mais ce dont il est question c’est d’un coup d’État pour installer une dictature militaire dirigée contre la classe ouvrière.

La première lettre, signée par 73 généraux et colonels à la retraite de la XXIIIe promotion de l’Académie militaire générale, met en garde contre un risque sérieux pour « la cohésion nationale[… ]dans ses aspects politiques, économiques et sociaux ». Elle tient responsable « le gouvernement social-communiste » pour « la décomposition de l’unité nationale ». Elle accuse le gouvernement d’être « soutenu par des groupes pro-ETA [Euskadi Ta Askatasuna ] » – faisant référence à EH Bildu, un parti lié à l’ancienne aile politique du groupe nationaliste basque ETA – et par des « séparatistes » catalans. Elle se termine en affirmant le soutien et la loyauté envers le roi « dans ces moments difficiles pour notre patrie ».

Le langage fait écho à la rhétorique du parti fasciste Vox au parlement. Lors d’un vote de censure raté en octobre, le leader de Vox, Santiago Abascal, a dénoncé 23 fois les « social-communistes » dans son discours.

De manière significative, la lettre a été divulguée au principal journal social-démocrate espagnol, El País, qui l’a citée de manière sélective dans un bref article de 500 mots. Le quotidien a refusé de publier l’intégralité de la lettre, même après que d’autres médias l’ont rapporté et que des dizaines de lecteurs d’El País ont écrit pour insister sur sa publication.

Cela survient quelques jours après qu’une lettre similaire ait été signée par 39 commandants de l’armée de l’air à la retraite de la classe XIX de l’Ecole générale de l’armée de l’air. Un exemplaire a été envoyé au président du Parlement européen David Sassoli le 3 novembre et un autre au roi le 10 novembre. Ni Sassoli ni la maison royale d’Espagne n’ont informé le public. Ce n’est que le 17 novembre, une semaine après sa réception par la Maison royale, que l’extrême droite OkDiario a rapporté cette lettre. Ni Sassoli ni la Maison royale n’ont identifié les auteurs, à l’exception de l’ancien général José Molina Zataraín, qui a demandé à être nommé.

Les signataires écrivent : « Nous sommes profondément préoccupés, Votre Majesté, qu’un gouvernement qui a juré ou promis de se conformer à la Constitution soit capable de tenter de violer son serment en promouvant des changements autres que ceux qui y figurent ». Ils affirment que le gouvernement attaque la monarchie espagnole, la langue espagnole et la séparation des pouvoirs, conduisant à « l’anéantissement de notre démocratie ».

Les signataires se déclarent également « profondément déçus et offensés par les relations entre l’exécutif » et les nationalistes basques, qui sont « les héritiers des terroristes ».

Pour toutes ces raisons, écrivent ces officiers : « Votre Majesté, ces membres de la promotion XIX de l’École de l’air, aujourd’hui à la retraite et fiers d’avoir servi dans de multiples déploiements au sein de notre armée de l’air, dont beaucoup de ses membres en service actif ont donné leurs vies aussi, veulent être à vos côtés pour que vous ressentiez notre soutien sincère et notre profonde loyauté. »

Ces lettres doivent être considérées comme un avertissement. La classe dirigeante est terrifiée par la montée de la colère, les protestations et les grèves contre les politiques d ’« immunité collective » et les plans de sauvetage à hauteur de plusieurs milliards d’euros pour les grandes entreprises et les banques. Le fait que ni le roi ni le Parlement européen n’ont publiquement désavoué ou même divulgué ces lettres montre qu’une rupture avec les formes démocratiques de gouvernement est envisagée au plus haut niveau de la classe dirigeante européenne.

Les officiers signataires de ces lettres, qui ont grandi sous la dictature fasciste du général Francisco Franco, font appel aux traditions fascistes de l’armée espagnole. La dernière fois que l’armée a organisé un coup d’État contre ce qu’elle prétendait être un gouvernement « social-communiste », c’était en 1936 contre le gouvernement du Front populaire. Dirigée par Franco, l’armée a mené une guerre civile de trois ans et a procédé à des exécutions de masse après la guerre pour écraser les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière. Ce n’est qu’en 1978 que le régime de Franco s’effondra, sur fond d’éruption de grèves et de manifestations ouvrières.

Le seul haut responsable espagnol à s’être exprimé sur la question a été l’ancien Premier ministre du PSOE, José Luis Rodríguez Zapatero, qui a déclaré que la lettre des officiers de l’armée « mérite mon reproche ». Zapatero a déclaré que quiconque « a exercé des responsabilités militaires doit être prudent lorsqu’il s’exprime ». De manière significative, Zapatero a comparé la situation à la crise de l’armée durant son mandat, lorsque des officiers de haut rang, dont le lieutenant général de l’armée José Mena Aguado, ont dénoncé en 2006 l’adoption du statut régional catalan.

« Cela a conduit à certaines actions. Certaines sont connues, d’autres le deviendront avec le temps. Je sais qu’il y avait une attitude qui n’était pas appropriée pour certains commandants militaires par rapport au Statut », a déclaré Zapatero. Il a ajouté que le ministre de la Défense José Bono – qui a rapporté (article en anglais) une décennie plus tard, en 2015, que l’Espagne était dans une « situation d’avant coup d’État » – est intervenu « rapidement » à l’époque.

Cependant, Zapatero a minimisé les lettres des militaires, les attribuant à des « discours exagérés, infondés et émotionnellement excités » au parlement. Cela faisait apparemment référence aux dénonciations de Vox du caractère prétendument « social-communiste » du gouvernement. Zapatero a indiqué que les généraux n’ont pas à s’inquiéter, car la politique du gouvernement PSOE-Podemos n’a rien à voir avec le communisme : « Il y a trop de fausses indications dans le débat politique. Vous devez évaluer les politiques en fonction d’événements réels et non de fausses indications. »

Cette explication, attribuant la crise uniquement à la psychologie du corps des officiers espagnols, est une dérobade absurde. Sur fond d’une radicalisation croissante de la classe ouvrière et d’une colère croissante face à la gestion officielle de la pandémie, l’aristocratie financière rompt avec les formes démocratiques de gouvernement. En Amérique, Trump a refusé d’admettre sa défaite électorale et a fait appel aux réseaux fascistes qui ont tenté d’assassiner ses adversaires politiques, comme la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer, tandis que le président élu démocrate Joe Biden a déclaré qu’il compterait sur l’armée pour évincer Trump.

En France, après avoir appelé à une répression accrue des manifestations des « gilets jaunes », l’ancien chef d’état-major des forces armées, le général Pierre de Villiers, a récemment déclaré à la presse néo-fasciste, au milieu de manifestations massives contre la brutalité policière, que « l’État de droit » devait être subordonné à plus de « réflexion stratégique ».

En Espagne, l’état-major est bien sûr parfaitement conscient que le gouvernement PSOE-Podemos n’a rien à voir avec la révolution d’Octobre 1917 ou une lutte internationale pour le pouvoir ouvrier et le socialisme. Depuis deux ans, le PSOE et Podemos ont mis en œuvre l’austérité sociale, tout en inondant les forces armées de milliards d’euros et de matériel militaire de dernier cri. Le gouvernement PSOE-Podemos protège actuellement le tristement célèbre comploteur vénézuélien Leopoldo López.

Les généraux sont encouragés dans leur complot de coup d’État par la réponse lâche prévisible du gouvernement PSOE-Podemos. Le ministère de la Défense a déclaré qu’il ne prévoyait pas d’ouvrir une enquête, « parce que [la lettre] était adressée au roi », selon Diario16 . La principale chaîne de télévision publique espagnole, Televisión Española, a tenté d’endormir son auditoire, rapportant que « des sources du ministère de la Défense ont déclaré que la lettre n’avait eu aucune répercussion au sein des forces armées actives ».

L’armée ne s’inquiète pas du gouvernement, mais de l’opposition explosive qui se développe dans la classe ouvrière, à gauche du PSOE et de Podemos. Pendant la pandémie, le gouvernement, en alliance avec les syndicats, a contraint des millions de travailleurs à retourner au travail et les enfants à retourner à l’école, contribuant à la propagation du virus qui a infecté plus de 1,5 million de personnes et fait plus de 65000 morts, rien qu’en Espagne. Il a répondu à l’opposition en interdisant les manifestations, en déployant la police anti-émeute, en menaçant de déployer l’armée et en intensifiant la surveillance des réseaux sociaux et des sites Web de gauche.

Cela souligne la nécessité de mobiliser la classe ouvrière, indépendamment de toutes les factions de l’élite dirigeante capitaliste, contre la pandémie et la menace croissante d’une dictature policière et militaire.

Alejandro López, Alex Lantier - WSWS

Messages

  • Le résultat des élections du 4 mai dans la région de Madrid est un avertissement pour la classe ouvrière, en Espagne et dans le monde. Quatre-vingt-cinq ans après qu’un coup d’État fasciste a déclenché la Guerre civile espagnole en 1936, les défenseurs de ce coup d’État entrent au gouvernement régional de Madrid.

    La campagne électorale fut un spectacle dégradant marqué par la violence fasciste. La gouverneure sortante du Parti populaire (PP) de droite, Isabel Diaz Ayuso, a fait campagne sur le slogan « Communisme ou Liberté ». Opposée aux confinements COVID-19 comme étant « communistes » elle a appelé à la défense de la « liberté » par la fin de la distanciation sociale et en permettant les infections de masse. Elle s’est alliée au parti d’extrême droite Vox qui loue publiquement le coup d’État de Franco.

    Des menaces de mort fascistes accompagnées de balles issues des arsenaux de l’État espagnol ont été envoyées par la poste aux responsables du Parti socialiste espagnol pro-patronat (PSOE) et au principal candidat de la région madrilène de Podemos, Pablo Iglesias.

    Néanmoins, même après que la politique sur le COVID-19 de l’Union européenne (UE) eut entraîné plus de 100.000 décès en Espagne, l’alliance PP-Vox a obtenu 54 pour cent des voix. De manière significative, le PP a étendu son soutien au-delà de sa base traditionnelle des quartiers les plus riches du nord de Madrid. Il est arrivé en tête dans 175 des 179 circonscriptions de la région, y compris la banlieue ouvrière du sud de la ville – appelée la « ceinture rouge » pour avoir voté pour le PSOE ou ses alliés et pour son opposition au franquisme.

    Ce fut une débâcle pour le gouvernement national PSOE-Podemos et personnellement pour Iglesias, qui dit vouloir quitter la politique. C’est là avant toute chose un avertissement. En défendant impitoyablement les intérêts du capital espagnol et européen, notamment par l’application de la politique de réouverture de l’UE en pleine pandémie, les partis de pseudo-gauche de la classe moyenne aisée, comme Podemos, renforcent les forces fascistes.

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