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Quelques écrits du surréaliste René Crevel

vendredi 17 mai 2024, par Robert Paris

DE LA GUERRE PRÉVENTIVE AUX AVEUGLES POUR RIRE

En scène pour la répétition générale.

Alerte au gaz.

Le professeur Langevin, le docteur Rivet et, avec eux, les hommes de science les mieux autorisés ont démontré, preuves à l’appui, l’inefficacité des moyens individuels et des mesures générales de protection proposés au peuple de Paris, contre le bombardement aérien, par les officiels et les officieux de la République bourgeoise.

En réponse, tel grand prêtre de la flicaille a traité de faux intellectuels ceux à qui ni la police ni l’armée ne sauraient pardonner de s’opposer aux tentatives de militariser les civils.

L’année dernière le colonel de la Rocque présidait l’Union de défense passive de France, avec gaz, asphyxie et coquets bénéfices à tous les étages. Pour assister ce cher Casimir, M. Schneider avait bien voulu distraire un peu d’un temps précieux, précieusement consacré à la vente de l’artillerie lourde et aux séances de l’Académie des sciences morales, politiques et canonnières. De gros industriels, marchands d’ustensiles à donner l’illusion de la sécurité, tout le contraire des petits sauteurs ou des faux intellectuels, complétaient l’assemblée.

Et dire que, malgré le respect dû à ces messieurs, un chimiste muni du meilleur des masques eut encore le mauvais esprit de mourir, après un court passage dans la chambre à expériences.

La fumée d’une cigarette traverse telle substance dont l’imperméabilité a pourtant été louée en style publicitaire, parmi les réclames pour les maisons de massage, les pilules qui remontent jusqu’au ciel les poitrines un peu fatiguées, les sirops qui font descendre les rhumatismes en terre et les fakirs prêts à offrir le moyen de gagner à la loterie, en échange d’un timbre de cinquante centimes.

Dans nombre de magasins, l’on peut acheter des masques faits sur mesure, voire d’une certaine élégance, affirme un journal du soir. Mais, est-il forcé d’ajouter, ils sont d’un prix élevé. Que faire ?

Il faut dépenser au moins quatre-vingts francs, même si l’on ne tient pas à cette « certaine élégance » dont le souci décide les godelureaux et pimbêches à choisir un modèle à cent quarante francs qui, d’ailleurs, risque de ne pas mieux les protéger.

L’ouvrier et, à plus forte raison, le chômeur que son indemnité aide juste à ne point crever de faim, peuvent donc s’apprêter à perdre sinon la vie, du moins les poumons ou les yeux, car les aveugles ne seront pas toujours « des aveugles pour rire » qui réjouissaient les rombières déguisées, non plus en simples dames de la Croix-Rouge, mais en scaphandrières, lors de l’attaque aux alentours de Notre-Dame-des-Champs. Ici ouvrons une parenthèse pour noter que le conseiller municipal de ce quartier a tenu sa promesse. Oui, nous voilà bel et bien au seuil des luttes futures si chères à celui dont la naine personne condense les genres et les styles les plus divers de la provocation.

Il en est des exercices de défense passive comme des omelettes qui, chacun le sait, ne se font pas sans casser d’œufs. Il y a eu bon nombre de bonnes chutes dans l’obscurité. Si le médecin avait le droit de circuler en auto, mais au ralenti, phares éteints (tant pis pour la femme qui accouche, le blessé, le malade à opérer d’urgence), les particuliers devaient aller le chercher à pied.

Quand, au lieu de troubler le sommeil des Parisiens, les sirènes se contentent d’arrêter leur travail, MM. Guichard et Langeron en profitent pour soigner leur publicité. D’où photo de l’un et l’autre, avec, entre eux, promu au grade d’agent sauveteur, l’un de ces braves gens qui font métier de matraquer et d’assassiner les prolétaires.

Comme la gauloiserie ne perd jamais ses droits, afin de donner un petit air bon enfant et gentiment cochon aux jeux de la guerre, un abri a été installé rue de Provence, dans une maison hospitalière.

L’amour masqué, comme disait l’autre !

Il est question d’aménager des casernes où pourraient être entassés huit cent mille êtres humains. Or, la ville et sa banlieue comptent plusieurs millions d’habitants. D’autre part, tout le monde n’a pas une limousine à sa disposition, pour fuir et gagner les casernes. À supposer qu’il n’y ait pas d’embouteillage à la sortie de Paris, les avions ennemis auraient vite rejoint la caravane éperdue.

Alors ?

Alors, aujourd’hui plus que jamais, contre le fascisme et la guerre, le pouvoir au peuple.

UN CAS SOCIAL À SAINTE-ANNE

Depuis de longs mois déjà, elle se trouve recluse à Sainte-Anne, parmi les aliénés, cette jeune fille de vingt ans, dont tout le monde s’accorde à reconnaître l’intelligence et la raison. Mais voilà, c’est une enfant naturelle. Ses premières années ont été sans histoire, jusqu’au jour où sa mère a trouvé un mari. La femme a-t-elle alors soudain redouté une future rivale dans sa bâtarde ? Ou bien, par jalousie rétroactive, l’homme a-t-il refusé de garder au foyer celle dont il n’était pas le père ? Quoi qu’il en soit, la malheureuse a été enfermée chez les sœurs, sous prétexte qu’elle avait mauvais caractère.

Le fait est qu’elle n’a pas été d’humeur à supporter la séquestration parmi les vestales de l’ignorance crasse et de la crasse ignorantine. Elle faussa compagnie aux femmes-curés.

Domestique dans une famille bourgeoise, elle commet le crime de ne pas accepter sans y répondre les observations et les caprices de sa patronne. On la renvoie. Bientôt, à bout de ressource et faute de quelqu’un sur qui compter, elle décide de se tuer. Avec ses derniers sous, elle achète plusieurs tubes de somnifère, les avale d’un trait, tombe endormie, est transportée à l’hôpital où, après des heures et des heures, elle finit par se réveiller à cette vie dont elle ne voulait plus.

Elle se remet très vite. Saine de corps et d’esprit, fraîche et jeune, elle n’en a pas moins les meilleures raisons de détester l’existence. Elle n’a rien de bon à attendre. Aussi, son psychisme (comme disent les gens du métier) ne s’améliore-t-il guère. Le suicide lui semble la seule solution. Elle ne saurait mettre ailleurs son espérance.

Où, quand, comment, pourquoi, en régime capitaliste, cette malheureuse reprendrait-elle goût à la vie ?

Il s’agit de la caser, c’est-à-dire de l’enterrer vive soit dans un asile, soit dans une maison de correction. Elle a encore la chance de voir tomber sur l’asile le choix des bonnes âmes qui ont à décider de son sort. À sa majorité, elle sera libre. Libre d’aller se prostituer, se jeter à l’eau, s’empiffrer de cyanure de potassium, se saouler de vitriol. En attendant, que la compagnie des démentes l’aide à passer le temps.

Lors de la présentation des malades aux étudiants, le professeur Claude lui demande :

— Qu’avez-vous pris pour vous tuer ?

— Un peu de tout, répond-elle, avec un sourire où, malgré la macabre gourmandise, pétille l’espièglerie d’une très peu lointaine enfance.

Le professeur doit en convenir : elle n’est pas folle. Son cas est un cas social et non un cas médical. Que faire ?

Et d’abord, monsieur le professeur, messieurs les médecins, messieurs les juges, ces messieurs et dames de la famille, de toutes les familles, prière de ne pas empoisonner la victime particulière d’un ordre ou plutôt d’un désordre général.

De tous ses bagnes, l’État bourgeois nie la personne humaine, l’individu dont il se réclame. Ses asiles valent ses casernes, ses usines et autres geôles.

Une fille de vingt ans saine de corps et d’esprit à Sainte-Anne, comment ne pas évoquer la Bastille, les lettres de cachet ?

DISCOURS
AUX OUVRIERS DE BOULOGNE[1]

Camarades,

Au nom de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, ce n’est pas seulement le salut des travailleurs intellectuels que je viens apporter aux travailleurs manuels. L’heure est trop grave pour que nous nous contentions d’échanger des petits sourires ou des grandes politesses. Le Premier Mai, journée prolétarienne, est le jour des plus belles promesses, pour nous dont le travail consiste à donner une expression de l’homme contemporain et à chercher, pour l’homme futur, de meilleures chances.

Or, nous savons par expérience, camarades ouvriers, que, de vos luttes, des batailles que vous livrerez, des batailles que vous gagnerez, dépend l’avenir de la pensée, l’avenir de la science, de la littérature, de l’art.

Aussi, estimons-nous qu’il n’est point pour nous de plus pressant devoir, de meilleure justification, de plus grand honneur que de venir nous ranger parmi vous, nous fondre dans vos masses, pour ces luttes et ces batailles.

Vous savez comment, face aux menaces de fascisme et de guerre, à vos côtés se sont dressés des savants tels que les professeurs Prenant, Rivet, Langevin, des écrivains tels que Romain Rolland, Henri Barbusse, André Gide, André Malraux, des peintres tels que Signac, des architectes, des médecins, des étudiants.

En effet, dans leur laboratoire, dans leurs bibliothèques, dans leurs ateliers, les plus clairvoyants de ceux qui ont pour métier de faire des expériences, de faire des livres ou des tableaux, ont compris que pour eux, pour leurs recherches, la partie allait se jouer dans la rue.

L’essor culturel en Union Soviétique, d’une part, et, d’autre part, les persécutions contre tous ceux qui, malgré les Hitler, les Gœring, les Mussolini, les Gil Robles, les Lerroux, n’ont pas accepté de renoncer au droit de penser, n’en était-ce point assez, camarades, pour prouver aux intellectuels que leur sort est lié au vôtre ?

Indissolublement lié.

Aujourd’hui 1er mai 1935, le gouvernement du grand Flandin a osé ce dont, l’année dernière, cette vieille ordure de Tournesuez n’aurait pas eu l’audace.

Toute manifestation ouvrière a été interdite. La peur rend féroce. L’unité d’action effraie ces messieurs de la bourgeoisie et les ministres qui leur servent de valets. Leurs petits cœurs de gros actionnaires et de présidents de conseils d’administration peuvent trembler sous leurs portefeuilles, puisque les organisations unitaires et confédérées participeront en commun à deux grands meetings centraux à Paris (à Huyghens et à Japy), à cinquante réunions en banlieue et à soixante-six meetings en province.

La garde mobile, la flicaille chiappiste peuvent se répandre par les places, les boulevards, les avenues, interdits aux cortèges des travailleurs. Le bloc des travailleurs ne manquera point de riposter, de mettre un terme aux méfaits, aux crimes dont le capitalisme, jamais, n’hésite à se rendre coupable pour prolonger un désordre dont il est le fauteur et le profiteur.

Un intellectuel qui a conscience de lui-même, du monde où il vit, aujourd’hui, doit forcément aller, coude à coude, avec les exploités qui ont pris la plus claire conscience de classe.

Ce sont toujours les mêmes, c’est toujours la même minorité d’exploiteurs, d’affameurs, qui jette le lait au ruisseau, le blé à la mer, brûle le café, brûle les livres et organise la terreur blanche, la peste brune, la répression tricolore sur les cinq sixièmes du globe.

Là où sévit encore la bourgeoisie, des milliers et des milliers d’hommes meurent de faim et se voient refuser par les pouvoirs constitués, les chances de s’instruire, le droit d’apprendre.

Notre solidarité, camarades, n’est pas un mot. Elle est un fait. Des persécutions collectives l’ont prouvé. L’union, l’unité dans la lutte ne cessera d’en témoigner.

Front uni, unité d’action contre le fascisme et la guerre, oui, mais aussi front uni, unité d’action pour l’avènement du socialisme mondial, pour l’édification d’une société sans classe, où le profit sera définitivement aboli, où s’effondreront à jamais les frontières entre les hommes, ces frontières qui s’opposent à la circulation, à l’échange des produits du travail humain et sont aussi des frontières contre les idées, contre le progrès.

Certes, l’État capitaliste se montre de plus en plus autoritaire. Mais là, camarades, est le signe même de sa faiblesse.

Rappelez-vous cette définition de l’État, que Lénine a donnée, dans L’État et la Révolution, admirable livre, écrit à la veille d’Octobre, au seuil même de la première révolution prolétarienne triomphante qui devait permettre la naissance, la construction d’un monde nouveau.

Selon Lénine, « l’État est le produit et la manifestation de l’antagonisme inconciliable des classes. L’État apparaît là où les contradictions ne peuvent être objectivement conciliées et dans la mesure où elles ne peuvent l’être. »

Parce que les contradictions ne peuvent être conciliées, l’État se fascise. Et quand l’État se fascise, c’est-à-dire quand il frustre l’ouvrier de ses libertés syndicales, de son droit de grève et de tous les droits qu’il a conquis au cours des siècles, par la lutte révolutionnaire, alors, les écrivains, les artistes se voient retirer la liberté de s’exprimer, l’indépendance nécessaire à leur production, donc à leur vie, à leur vie matérielle aussi bien qu’à leur vie morale. Et c’est bientôt, pour les uns et pour les autres, l’exil, le camp de concentration.

Dans le bagne même, en dépit de ce bagne, envers et contre ce bagne, la solidarité entre ouvriers et intellectuels encore s’affirme.

En Espagne, ces jours derniers, un professeur, membre du Parti communiste, m’a dit comment à Oviedo, dans le cachot où lui et d’héroïques mineurs de l’Octobre asturien se trouvaient incarcérés, ils réussirent à publier un journal. Et dans la prison de Madrid, où j’ai pu lui parler au travers des barreaux, Largo Caballero, le leader du Parti socialiste espagnol, et d’autres détenus, militants de base et théoriciens, m’ont dit comment ils avaient réussi à organiser une université ouvrière.

Avec quelle force, avec quel éclat péremptoire, ces magnifiques exemples, cette faim de savoir, ce besoin de collaborer pour apprendre, toujours apprendre, ces élans s’opposent à l’obscurantisme, au gâchis des valeurs, à la négation des forces vives, dont la réaction et ses agents prétendent faire une loi.

Mais notre solidarité, camarades, il ne faut pas qu’elle s’affirme seulement dans les bagnes, dans les camps de concentration.

Travailleurs manuels et intellectuels, communistes, socialistes, inorganisés, contre la répression en France, contre les assassinats d’ouvriers, contre le fascisme d’Union nationale, contre le gouvernement de trêve, contre les Jeunesses patriotes, les Briscards, les Croix de Feu, les godelureaux francistes et autres asticots de la décomposition bourgeoise, nous devons nous ranger sur un même front, sans cesser jamais de travailler à l’unité des forces antifascistes, unité qui peut, seule, permettre la déroute définitive des bandes d’exploiteurs et de massacreurs dont les bottes martèlent les pavés ensanglantés du capitalisme.

Et si, camarades, le triomphe du socialisme en U. R. S. S. nous est une raison chaque jour plus péremptoire de dire et de redire l’admirable mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », les dangers qui menacent la culture dans la société capitaliste pourrissante nous décident aujourd’hui à crier :

Intellectuels de tous les pays, unissez-vous aux prolétaires de tous les pays.
René CREVEL.

Ce discours, prononcé le 1er mai 1935 par notre camarade Crevel, a été lu au Congrès International des Écrivains pour la Défense de la Culture, le samedi 22 juin, par Aragon, au moment où, dans le débat sur le « Rôle de l’Écrivain dans la Société », René Crevel aurait dû prendre la parole. Le Congrès en se levant tout entier à la fin de cette lecture, rendit hommage à la position prise par Crevel, que définit par ailleurs le discours retrouvé écrit pour le Congrès, que nous avons publié dans notre précédent numéro.

L’ART DANS L’OMBRE
DE LA MAISON BRUNE

Engels a dénoncé les méfaits de l’analyse, lorsque, des sciences dont elle avait permis les immenses progrès, elle fut passée à la philosophie. Ainsi par la faute d’une méthode féconde à l’origine, les objets et les idées qui en naissent chez l’homme furent considérés non dans leurs rapports mais dans leur isolement, non dans leur mouvement mais dans leur repos.

D’où l’étroitesse métaphysique avec, entre autres formes et formules, la théorie nouménale de l’art pour l’art. Or, pas plus que la chose à peindre, la chose peinte n’est chose en soi. Intermédiaire entre les hommes, elle leur permet de communiquer à travers le temps et l’espace. Et même alors que l’exhibitionnisme n’est si souvent qu’un simulacre, la manière de s’effacer (et non moins du reste celle de simuler) constitue un aveu. Il n’y a point d’œuvre abstraite qui d’un trait concret ne définisse son auteur.

Conscience est à prendre de ce qu’affirme la négation. Par exemple, la tendance à tout égarer (donc à tout refuser, à tout nier) permet de diagnostiquer le narcissisme et ses suites. Suites mortelles. Voilà déjà Narcisse à l’état de cadavre, faute d’avoir pris notion de ce et ceux qui l’entourent, faute d’avoir su imaginer des rapports vivants de lui à eux. Il croyait arrêter à son profit, à sa gloire, le cours du ruisseau. Il s’en est fait un tombeau définitif. Sans insister sur ce cas limite, rappelons pour mémoire l’immobilité des littérateurs d’avant crise occupés à rafistoler le mal du siècle. Bien assis dans des fauteuils de style N. R. F., à housses d’inquiétude, ils se regardaient le nombril sans cesser de pontifier, béatifier, bêtifier sur l’objet perdu.

Du point de vue de la phénoménologie de l’esprit, il importait de réduire à la transparence ces paravents dont l’ombre propice aux vêpres introspectives abritait l’individualisme et ses chapelets de contradictions.

Quand il donne poids et corps à ses plus impondérables particularités, l’artiste affirme sa volonté d’agir sur l’univers, en riposte à l’action de l’univers sur lui. Sa pensée ne saurait se limiter aux contours, aux couleurs qui l’habillent. Elle est fonction de l’heure, du lieu, des problèmes qui les agitent. Se prétendre neutre équivaut à tolérer, donc, dans l’état présent des choses, à se faire complice des exploiteurs contre les exploités.

Dans l’antagonique et double fait de momifier ses minuscules secrets ou d’asservir ses yeux à quelque déchet de paysage, se trahit une opposition au devenir commun du monde extérieur et du monde intérieur, entre lesquels il y a non à choisir mais à établir des rapports.

Une photographie qui serait pure passivité n’est pas concevable. Décrire c’est fatalement s’exprimer entre le décrit et la description. Qui s’exprime se transforme du fait même qu’il s’exprime. L’élan de sa métamorphose le porte vers un horizon neuf. Il veut dépasser telle forêt qui ne se contente pas d’être métaphorique. De par tout le monde capitaliste, de vrais arbres en vrai bois de vraie potence répandent une ombre dont les profondeurs sont à sonder, non pour s’y perdre ou s’y complaire, mais afin d’y porter le jour. Par-delà l’obscurité patibulaire s’allume un libre soleil. Que l’imagination cependant n’aille point prétendre à l’exercice d’un pouvoir absolu. L’esprit dont elle est l’une des parties intégrantes a pour tremplin la matière. Par un bond en avant, l’hypothèse du poète aussi bien que celle du savant se proposent de rejoindre et d’éclairer la nécessité aveugle tant qu’elle n’est pas connue. Or, de nécessité aveugle en nécessité connue, de fil noir en aiguille de feu, il ne semble pas que la culture puisse atteindre jamais le terme de sa course. L’ordre, la lumière ont-ils été mis dans un paysage, celui-ci aussitôt se repeuple de points d’interrogation plus prompts à éclater que crocus à la fonte des neiges. Ici, aujourd’hui, que cette image florale ne donne point l’illusion de quelque idylle. La connaissance ne saurait aller sans combat. Depuis plus de vingt ans, la pensée, son expression dans l’art et dans la science ont été en butte à tous les coups. Que de têtes fracassées, d’yeux crevés, de membres arrachés, que d’effondrements, de livres brûlés, de tableaux condamnés, de sculptures brisées. Plus que jamais la grandeur d’une œuvre apparaît fonction du pouvoir de lutte de son auteur. Dans les remous d’un talent, d’une technique, d’un style en face de la vie que propose aux uns et aux autres l’économie d’une société, se jugent non seulement tels manieurs de plume ou de pinceau mais encore, grâce au jeu réciproque d’action et de réaction, toute une époque, tout un monde au travers des heures, des lieux, des objets, des êtres et des secousses qu’auront fixés plume et pinceau sur un papier et sur une toile au filigrane de qui les tient.

Dans un temps de décomposition violente, la mesure à elle-même complaisante, l’extrême bon goût, l’opportunisme de la mignardise, feront figure d’agents provocateurs. Signalons pour mémoire le défi de Trianon, l’infamie d’une mauvaise conscience qui singe en robe d’exploiteuse ceux qu’elle exploite. Tout près de nous, l’hitlérisme a voulu imposer le retour au folklore édulcoré. En fait de théâtre, par exemple, il ne fallait plus que des pastorales. Ordre fut donné aux auteurs, aux décorateurs et aux acteurs de prendre une encre, une palette, un fond de teint bucoliques. Devant le résultat, le ministre de l’Agriculture a dû interdire ces bergeries.

De cette démonstration par l’absurde, une conclusion est à tirer pour la théorie et la pratique : dans la cascade des mots, des formes et des couleurs, les dansantes flammes de la colère sont les seuls miroirs où la vie puisse encore frémir et tresser, de la surface des choses au secret de l’homme, un pont de reflets à la fois mouvement et chemin du mouvement, route qui s’anime, s’ouvre aux plus légitimes tentations de voir et de savoir. Les brouillards sanglants du racisme, les sauterelles en pluie de la superstition s’obstinent contre cette liane, veulent la couper des bords que son élan s’est proposé de joindre. L’obscurantisme, rideau de gluantes ténèbres, a pour chambranle la raison d’État. Et l’État, comme l’a constaté Lénine dans l’État et la Révolution, « l’État est le produit et la manifestation de l’antagonisme des classes. L’État apparaît là où les contradictions ne peuvent être objectivement conciliées et dans la mesure où elles ne peuvent l’être ».

Au nom de l’État hitlérien, Johst a osé écrire : « Quand j’entends le mot de culture je tire mon revolver. » En contrepartie, un vieux de la vieille garde nazie, Ewald Banse, professeur de géopolitique à l’école polytechnique de Brunswick, a inventé une science nouvelle, la science militaire qui prévoit et systématise l’utilisation soldatesque de toutes les sciences et de tous les arts. Mais défense d’imaginer. Dans Propagande et Puissance nationales, un certain Eugen Hadanovsky déclare : « Après des siècles de liberté artistique et d’absence de contrainte, nous exigeons aujourd’hui de l’intelligence artistique qu’elle soit conforme aux tendances de la volonté nationale. En art, l’ère de l’indiscipline est révolue. »

Parce que l’intelligence artistique doit être conforme aux tendances de la volonté nationale, c’est en grande pompe, avec un luxe inouï de discours que fut inaugurée, à Berlin, l’exposition du professeur Vollbehn, un grand génie doublé d’un grand héros, puisqu’il n’avait pas craint de monter en ballon (et captif, s’il vous plaît) pour exécuter, entre 1914 et 1918, d’exquises peintures du front allemand et du front français. Parce que l’ère de l’indiscipline est révolue, Klee, Kokoschka et bien d’autres n’ont eu qu’à plier bagage.

Dans l’Allemagne d’avant le Troisième Reich, un tout petit bourgeois, au lieu d’acheter à sa femme un faux diamant ou un buffet Henri II, lui donnait de belles reproductions de Van Gogh. Au contraire de ceux de France les musées offraient un admirable choix de peintures contemporaines. Impossible, dès lors, de ne pas opposer des œuvres spécifiquement nationales-socialistes aux formes les plus récentes de l’expression humaine que, dans Mein Kampf, le Führer a condamnées comme produits marxistes. Et voilà pourquoi, de juin à octobre 1934, la Nouvelle Pinacothèque a été vidée et mise à la disposition des peintres et sculpteurs qui n’avaient pas été priés de faire un petit tour à l’étranger. Pour être justes, rappelons que Paris venait d’avoir son Salon des artistes anciens combattants. Réponse du berger à la bergère : à Munich il semblait plutôt que l’on eût affaire à des futurs combattants.

Dès l’entrée, la plus agressive niaiserie triomphait, sous l’aspect d’un grand saint Michel terrassant le démon qui ressemblait à saint Georges terrassant le dragon, comme un œuf pourri à un autre œuf pourri. Pas un des maîtres de l’heure qui n’eût son portrait. De face, bien entendu. Ces messieurs portent en effet sur leurs chemises brunes de jolis petits minois en pomme de terre bouillie. Par système de compensation, Mussolini travaillait du profil. Après l’assassinat de Dollfus et la mobilisation italienne au Brenner il fut sans doute décroché et prié de se reposer. Entre impérialismes complices, naissent de ces soudains conflits que la propagande par le barbouillage ne saurait prévoir, ni résoudre. Pour faire contrepoids à ces petites zizanies internationales, la réaction avait réussi son accord national malgré les polémiques de nazis à curés et de curés à nazis. De par toute la Bavière, les plus riants paysages étaient pollués de machinisme chrétien. Cet hiver, après la trahison des catholiques sur l’injonction de l’évêque de Trêves (quelque horreur que puisse inspirer toute prophétie a posteriori), il fallut bien se rappeler ces banderoles, le long des routes, qui ordonnaient aux Allemands de penser à la Sarre, sans craindre le voisinage des panneaux-réclames pour la guignolesque passion d’Oberamergau. Sur ces affiches, par un jeu d’images à donner la mort, sabre et croix se confondaient. L’instrument de supplice divinisé se faisait épée de feu, à même le ciel, au-dessus de ce pays où la superstition est entretenue aux plus basses fins commerciales et contraint les montagnards à la misérable folie de se croire Jésus, saint Jean-Baptiste, Dieu le Père, la Sainte Vierge, Marie-Madeleine et autres godelureaux et pimbêches de la même farine. Mais le voyageur n’avait même pas à prendre l’autocar pour tomber en pleine bondieuserie. À la Nouvelle Pinacothèque ce n’était que crucifixions et descentes de croix. Pour l’éclaircissement du peuple et la propagande, le Reich s’était dépêché d’acheter une bonne douzaine d’apôtres. L’un des pèlerins d’Emmaüs profitait de l’aurore pour envoyer un de ces coups de pied de vache au soleil à peine éveillé. Symbole ou pas symbole, le fait y était. Après un saint François tout à sa nigauderie, c’était un saint Sébastien venu se faire un peu entrelarder dans la capitale. La manière que son caleçon de bain avait de ne pas lui tenir aux hanches et tout dans sa contenance (non moins d’ailleurs que les bouffissures trop roses de nombre de jeunes hitlériens gloutonnement portraiturés) prouvaient qu’il ne suffit pas de brûler les documents du juif Hirschfeld pour résoudre les questions sexuelles. Libre à certain docteur Erick d’écrire dans une étude sur l’éducation artistique : « Nous ne voulons plus rien de tout ce qui appartient au domaine de la pathologie. » Une toile intitulée « Plongée mystique » prouve que ce docteur aurait bien tort de prendre ses désirs pour des réalités : une malheureuse, l’une de celles que l’idéologie du régime condamne aux trois K (Küche, Kinder, Kirche) tend vers le néant ses mains en racine de ménopause. Les yeux se révulsent. Une boule d’hystérie, un œuf sur un jet d’eau, saute de la clavicule au menton. Et voilà pour la femme. Quant aux enfants, malgré le délire raciste, ils ne promettent guère. Le ciseau d’un sculpteur n’a pas eu de chance avec deux petits crétins qui s’empoignent.

La Vieille Pinacothèque n’est pas loin de la Nouvelle. Une famille du xve siècle a donc été invitée à se rendre de l’une à l’autre. Chemin faisant, elle s’est arrêtée au magasin de confection. Et maintenant, une petite fleur d’idiotie dans la main du garçonnet, le garçonnet entre Papa et Maman, et il n’y a plus qu’à s’attendrir sur un trio de demeurés.

La couverture du catalogue et les affiches de l’exposition présentaient une colonne par trop dépourvue de chapiteau, à même un fond aussi noir que l’uniforme des S. S. Un casque de légionnaire y mettait une tache de cette couleur de scorie intestinale choisie pour la tenue des S. S. C’est dans le passé que le fascisme va toujours chercher les accessoires de son cotillon sinistre. Obsession antisémite qui ramène à la vieille Judée, délire spartiate, rêve d’impérialisme colonisateur, goût de la superstition médiévale. Pour ranimer les thèmes les plus déteints, quels bouquets de déchets ! Tel tableau représente un laboureur bel et bien attelé à sa charrue. Relativité du temps, malgré l’exil d’Einstein : le plus biblique des arcs-en-ciel couronne les bœufs d’un roi fainéant, un instrument aratoire lacédémonien et une recrue pour le service militaire obligatoire, le tout traité selon la recette du plus plat académisme.

En face de ce qui se crispe, argue de traditions pour mieux se défendre d’inventer et se retenir aux branches mortes, comment ne pas répéter la phrase si souvent et jamais assez citée d’Héraclite : « L’on ne se baigne jamais deux fois de suite dans le même fleuve… » Et le fleuve ne baigne jamais deux fois de suite le même « on ». Voilà pourquoi les baigneurs qui se sentent fondre et tomber en morceaux recherchent les fontaines pétrifiantes. Ils font en sorte qu’un caillou leur tienne lieu de cervelle. Ils ne veulent que bornes frontières et cloisons étanches. Et quoi de plus abominablement imperméable que cette suffisance calcaire qui servit de méninges à la France victorieuse. La démocratie bourgeoise au cœur de silex sut unir à ses vieillards les mieux endurcis d’autres menhirs d’une granitique souplesse. Et ces antiquailles de piétiner, tailler, rogner à vif, à même l’Europe du Centre et de l’Est, pour y organiser la misère intellectuelle. Si l’hitlérisme est l’enfant maudit du traité de Versailles, jamais père n’apparut à ce point responsable des méfaits de son fils.

Brouet de peste brune, sauce de terreur blanche ou potage tricolore au fond de l’assiette réactionnaire, c’est toujours le même os de seiche. Et s’il pouvait parler ce rebut des marées, il ne tiendrait pas un autre langage que cette vieille carcasse de Charles X qui, de 1789 à 1815, se vantait de ne rien avoir appris. Et encore ce manque de vergogne dans l’imbécillité vaut-il mieux que toutes les hypocrisies classiques et néoclassiques. Si, un siècle et demi après la mort d’André Chénier, Charles Maurras s’acharne à en célébrer le culte, c’est que l’homme aux alcyons demeure celui d’un vers.

« Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. »

Jugez plutôt du penser nouveau. Le lendemain même de l’assassinat de Marat, le fabricant d’Oarystis, le ci-devant cadet gentilhomme au régiment d’Angoumois et attaché d’ambassade à Londres, l’élégiaque, publiait une ode à la gloire de Charlotte Corday comme si la mégère poignardeuse avait été colombe poignardée. De ce fait, la jeune Tarentine prenait figure de harpie. Elle et son chromo de mer Ionienne s’en allaient rejoindre, dans le cul-de-sac des sanglants « et ron et ron petit patapon » artistiques, Mme Veto née Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine, son Trianon et ses félonies. Un penser nouveau ne saurait se vêtir à l’antique. Son premier élan crève la baudruche mythique. Sinon ce sera la même mascarade autour de la même vieille poire tapée de feinte, de la même vieille noix d’hypocrisie. Pour mettre un terme au distinguo des cuistres entre fond et forme, il est temps de remplacer le fameux « Dis-moi qui tu hantes… » par certain petit « Dis-moi comment tu contiens, je te dirai ce que tu contiens ». Nous savons tous que les ascenseurs mérovingiens de la plaine Monceau n’ont pas été faits pour hisser les fines fleurs de l’audace. Dans les quartiers de résidence, ces immeubles, dont les façades s’ornent de guirlandes Louis XVI, comme d’une veine trop saillante le front de l’artério-sclérosé, ne sont-ils pas les dignes écrins des rêves que peuvent faire ces petits bijoux d’actionnaires de Suez.

À Munich, une publicité monstre force à visiter certain « Siedlung », colonie d’habitations à bon marché, aux abords de la ville. Or ces suites de maisons en série se trouvent uniformément coiffées de toits pointus, monotone sottise d’autant moins excusable que les vieux pignons de Rothenburg, par exemple, auront permis de mieux comprendre et de mieux aimer une poétique Allemagne et sa manière architecturale de s’exprimer. Mais à quoi bon, en 1935, ce grenier où la dactylo, l’employé de bureau, de magasin, le petit boutiquier n’auront rien à ranger. Toute cette place perdue quand tant et tant n’ont pas où s’abriter, tout ce vide en robe d’ardoise, quel symbole !

C’est un mal foncier que révèlent et prolongent l’idolâtrie du motif périmé, la vénération des cadavres formels et la rage à les ressusciter. Il ne veut certes point la transformation du monde celui qui replâtre le vieux gâchis, consolide les façades écaillées et rafistole les ruines qui s’opposent au libre jeu des choses et de leur reflet dans l’homme. Derrière les murs sempiternellement rabâchés, il y a un désordre dont il s’agit de prendre conscience en vue d’un ordre nouveau. Si la censure vise l’art dans ses plus originales expressions, c’est que l’art, c’est que les artistes ont encore et toujours beaucoup à dire, beaucoup trop à dire au gré de la réaction.

LA RÉVOLUTION D’ABORD ET TOUJOURS !

Le monde est un entre-croisement de conflits qui, aux yeux de tout homme un peu averti, dépassent le cadre d’un simple débat politique ou social. Notre époque manque singulièrement de voyants. Mais il est impossible à qui n’est pas dépourvu de toute perspicacité de n’être pas tenté de supputer les conséquences humaines d’un état de choses ABSOLUMENT BOULEVERSANT.

Plus loin que le réveil de l’amour-propre de peuples longtemps asservis et qui sembleraient ne pas désirer autre chose que de reconquérir leur indépendance, ou que le conflit inapaisable des revendications ouvrières et sociales au sein des états qui tiennent encore en Europe, nous croyons à la fatalité d’une délivrance totale. Sous les coups de plus en plus durs qui lui sont assénés, il faudra bien que l’homme finisse par changer ses rapports.

Bien conscients de la nature des forces qui troublent actuellement le monde, nous voulons, avant même de nous compter et de nous mettre à l’œuvre, proclamer notre détachement absolu, et en quelque sorte notre purification, des idées qui sont à la base de la civilisation européenne encore toute proche et même de toute civilisation basée sur les insupportables principes de nécessité et de devoir.

Plus encore que le patriotisme qui est une hystérie comme une autre, mais plus creuse et plus mortelle qu’une autre, ce qui nous répugne c’est l’idée de Patrie qui est vraiment le concept le plus bestial, le moins philosophique dans lequel on essaie de faire entrer notre esprit [1].

Nous sommes certainement des Barbares puisqu’une certaine forme de civilisation nous écœure.

Partout où règne la civilisation occidentale toutes attaches humaines ont cessé à l’exception de celles qui avaient pour raison d’être l’intérêt, « le dur paiement au comptant ». Depuis plus d’un siècle la dignité humaine est ravalée au rang de valeur d’échange. Il est déjà injuste, il est monstrueux que qui ne possède pas soit asservi par qui possède, mais lorsque cette oppression dépasse le cadre d’un simple salaire à payer, et prend par exemple la forme de l’esclavage que la haute finance internationale fait peser sur les peuples, c’est une iniquité qu’aucun massacre ne parviendra à expier. Nous n’acceptons pas les lois de l’Économie ou de l’Échange, nous n’acceptons pas l’Esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l’Histoire. L’Histoire est régie par des lois que la lâcheté des individus conditionne et nous ne sommes certes pas des humanitaires, à quelque degré que ce soit.

C’est notre rejet de toute loi consentie, notre espoir en des forces neuves, souterraines et capables de bousculer l’Histoire, de rompre l’enchaînement dérisoire des faits, qui nous fait tourner les yeux vers l’Asie [2]. Car en définitive, nous avons besoin de la Liberté, mais d’une Liberté calquée sur nos nécessités spirituelles les plus profondes, sur les exigences les plus strictes et les plus humaines de nos chairs (en vérité ce sont toujours les autres qui auront peur). L’époque moderne a fait son temps. La stéréotypie des gestes, des actes, des mensonges de l’Europe a accompli le cycle du dégoût [3]. C’est au tour des Mongols de camper sur nos places. La violence à quoi nous nous engageons ici, il ne faut craindre à aucun moment qu’elle nous prenne au dépourvu, qu’elle nous dépasse. Pourtant, à notre gré, cela n’est pas suffisant encore, quoi qu’il puisse arriver. Il importe de ne voir dans notre démarche que la confiance absolue que nous faisons à tel sentiment qui nous est commun, et proprement au sentiment de la révolte, sur quoi se fondent les seules choses valables.

Plaçant au devant de toutes différences notre amour de la Révolution et notre décision d’efficace, dans le domaine encore tout restreint qui est pour l’instant le nôtre, nous : CLARTE, CORRESPONDANCE, PHILOSOPHIES, LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE, etc., déclarons ce qui suit :

1° Le magnifique exemple d’un désarmement immédiat, intégral et sans contre-partie qui a été donné au monde en 1917 par LÉNINE à Brest-Litovsk, désarmement dont la valeur révolutionnaire est infinie, nous ne croyons pas votre France capable de le suivre jamais.
2° En tant que, pour la plupart, mobilisables et destinés officiellement à revêtir l’abjecte capote bleu-horizon, nous repoussons énergiquement et de toutes manières pour l’avenir l’idée d’un assujettissement de cet ordre, étant donné que pour nous la France n’existe pas.
3° Il va sans dire que, dans ces conditions, nous approuvons pleinement et contresignons le manifeste lancé par le Comité d’action contre la guerre du Maroc, et cela d’autant plus que ses auteurs sont sous le coup de poursuites judiciaires.
4° Prêtres, médecins, professeurs, littérateurs, poètes, philosophes, journalistes, juges avocats, policiers, académiciens de toutes sortes, vous tous, signataires de ce papier imbécile : "Les intellectuels aux côtés de la Patrie", nous vous dénoncerons et vous confondrons en toute occasion. Chiens dressés à bien profiter de la Patrie, la seule pensée de cet os à ronger vous anime.

5° Nous sommes la révolte de l’esprit ; nous considérons la Révolution sanglante comme la vengeance inéluctable de l’esprit humilié par vos œuvres. Nous ne sommes pas des utopistes : cette Révolution nous ne la concevons que sous sa forme sociale. S’il existe quelque part des hommes qui aient vu se dresser contre eux une coalition telle qu’il n’y ait personne qui ne les réprouve (traîtres à tout ce qui n’est pas la liberté, insoumis de toutes sortes, prisonniers de droit commun), qu’ils n’oublient pas que l’idée de Révolution est la sauvegarde la meilleure et la plus efficace de l’individu.

Georges AUCOUTURIER, Jean BERNIER, Victor CRASTRE, Camille FÉGY, Marcel FOURRIER, Paul GUITARD.
Camille GOEMANS, Paul NOUGÉ.
André BARSALOU, Gabriel BEAUROY, Émile BENVENISTE, Norbert GUTERMANN, Henri JOURDAN, Henri LEFEBVRE, Pierre MORHANGE, Maurice MULLER, Georges POLITZER, Paul ZIMMERMANN.
Maxime ALEXANDRE, Louis ARAGON, Antonin ARTAUD, Georges BESSIÈRE, Monny de BOULLY, Joe BOUSQUET, André BRETON, Jean CARRIVE, René CREVEL, Robert DESNOS, Paul ÉLUARD, Max ERNST, Théodore FRÆNKEL, Michel LEIRIS, Georges LIMBOUR, Mathias LÜBECK, Georges MALKINE, André MASSON, Douchan MATITCH, Max MORISE, Georges NEVEUX, Marcel NOLL, Benjamin PÉRET, Philippe SOUPAULT, Dédé SUNBEAM, Roland TUAL, Jacques VIOT.
Hermann CLOSSON.
Henri JEANSON.
Pierre de MASSOT.
Raymond QUENEAU.
Georges RIBEMONT-DESSAIGNES.

1- Ceux mêmes qui reprochaient aux socialistes allemands de n’avoir pas « fraternisé » en 1914 s’indignent si quelqu’un engage ici les soldats à lâcher pied. L’appel à la désertion, simple délit d’opinion, est tenu à crime : « Nos soldats » ont le droit qu’on ne leur tire pas dans le dos. (Ils ont le droit aussi qu’on ne leur tire pas dans la poitrine).

2- Faisons justice de cette image. L’orient est partout. Il représente le conflit de la métaphysique et de ses ennemis, lesquels sont les ennemis de la liberté et de la contemplation. En Europe même qui peut dire où n’est pas l’Orient ? Dans la rue, l’homme que vous croisez le porte en lui : l’Orient est dans sa conscience.

3- Spinoza, Kant, Schelling, Proud’hon, Marx, Stirner, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Nietzsche : cette seule énumération est le commencement de votre désastre.

DU CHANTAGE A LA DEFAITE
VIA BA-TA-CLAN

Sous la protection d’une flicaille toujours prête à riposter par la matraque aux regards des journalistes et photographes, son minois de naufrageur derrière l’écran des suantes petites pattes ouvertes en éventail pour le mieux cacher, M. le grand-gros-bourgeois-patriote-à-tous-crins est allé chercher quelques briques d’or. Il s’est dépêché. Il a eu bien chaud. Ouf, il peut enfin respirer. En échange de deux cent vingt billets de mille, donnant donnant, douze kilos de métal lui ont été remis au guichet de la Banque de France. Vive la banque ! Vive la France ! Rentré chez lui, après avoir caché le magot, il a troqué l’anonymat contre une vertu fort personnelle et non moins tonitruante. Alors, il a pu rêver tout haut d’un ministère à pleins pouvoirs et réclamer à cor et à cri les mesures les plus propres à exaspérer la panique, sous prétexte de l’enrayer.

Rien ne creuse comme les heures historiques. Il n’a donc point perdu l’appétit, ce porc trop richement nourri. Et il entend ne pas rester sur sa faim. Déjà il se lèche les babines, car même aux temps les plus infâmes de sa chère union sacrée, jamais il n’eût osé songer à ce ragoût de ministres sans portefeuille que M. Buisson n’aurait su imaginer s’il n’avait eu cette longue pratique de la cuisine parlementaire.

Mais oyez plutôt, bonnes gens, la recette à Fernand le barbichu : vous prenez cette grosse tripe d’ Herriot bien marinée dans un jus de petites combines et de grandes hypocrisies. Vous saupoudrez de raclures maringouines et ornez le tout d’un vieux croûton de Pétain tricolore rissolé dans la graisse de fusil que vous aurez eu soin de choisir très rance.

Avec un tel plat, il faudrait que la France et le franc eussent bien mauvais caractère pour s’obstiner à ne point reprendre du poil de la bête. Surtout si l’on pense que deux généraux viennent s’ajouter au menu gouvernemental. Un Pétain, un Maurin, un Denain, voilà qui ne se contente pas de faire trois vieux daims pour un effet de rime. Mais, scrogneugneu, ce brelan donne à l’ensemble un de ces petits airs d’épopée ! Dommage que Lyautey soit trépassé ; l’on aurait pu lui confier l’administration de la France d’outremer dont il avait été payé (et comment !) pour savoir qu’elle est aussi la France d’outre-mort. Par compensation, les Finances sont à nouveau sous le signe de l’artério-Caillaux-sclérose. Et le grand argentier se flatte de s’être toujours dressé, à la commission sénatoriale, contre ce qu’il appelle si joliment les dépenses démagogiques. Ceux qui n’ont pas de quoi manger n’auront donc qu’à arroser leur faim d’un petit coup de vinaigre de grande pénitence.

Mais les plus caducs déchets de la bourgeoisie ont beau faire leur possible pour nous ramener au bon vieux temps, le monsieur à la valise pleine de lingots d’or ne se sent plus capable d’agiter le spectre de l’homme au couteau entre les dents. Les mensonges classiques, les provocations de tout repos ne prennent plus guère. Les exécuteurs des hautes et basses œuvres du capitalisme sont à bout de souffle. La Fédération nationale des contribuables elle-même en a été réduite à plaquer sur les murs de Paris un certain « Contribuables unissez-vous » incapable de faire le contrepoids au décisif « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ».

Les spécialistes des histoires de maffia ont eu beau tenter de se rapprocher de Paris, en passant du conseiller Prince au Dr Dupêchez, de la Côte-d’Or à l’Yonne, l’apparition soudaine du Croix-de-Feu « M. Douceur » ne saurait servir de réponse aux énigmes que posent les récits contradictoires du très vertueux et très réactionnaire maire de Sens. Les soutiens du régime capitaliste ont perdu de leur superbe. Ils sont tombés en pleine calembredaine. Ils ont tenu à nous faire vivre une semaine qui ne fut que farce et traîtrise. Voyez plutôt L. 0. Frossard au Travail, Lafont à la Santé publique et Laval inamovible aux Affaires étrangères. Comment ne pas se rappeler que l’Alexandre, assez habile pour avoir fait de « Millerand » le synonyme de renégat, lança l’idée du Bloc national voilà seize ans dans un discours dit fort à propos de Ba-ta-clan.

Malgré les efforts de la grande presse, qui se prétend objective, mais se contente d’être objectivement aux ordres de la bourgeoisie, la discipline du front populaire n’a pas été brisée. Aux élections municipales, aux élections du Conseil général, grâce à l’entente des forces antifascistes, ce fut la défaite de tout ce qui spécule, matraque, exploite. Rien ne put l’empêcher, pas plus les manœuvres en vue du naufrage monétaire que l’acharnement des valets de plume occupés jusqu’à ne plus savoir où donner de la pourriture qui leur sert de stylo. Qui donc eût bien pu prendre au sérieux un Kérillis osant réclamer la mise hors la loi du communisme, alors que Maurice Thorez, à la réunion des groupes de gauche, proposait d’organiser la défense des libertés démocratiques, grâce à des mesures efficaces telles que désarmement et dissolution des ligues fascistes.

Lettre ouverte à M. Paul Claudel
Ambassadeur de FRANCE au JAPON

« Quant aux mouvements actuels, pas un seul ne peut conduire à une véritable rénovation ou création. Ni le dadaïsme, ni le surréalisme qui ont un seul sens : pédérastique.
Plus d’un s’étonne non que je sois bon catholique, mais écrivain, diplomate, ambassadeur de France et poète. Mais moi, je ne trouve en tout cela rien d’étrange. Pendant la guerre, je suis allé en Amérique du Sud pour acheter du blé, de la viande en conserve, du lard pour les armées, et j’ai fait gagner à mon pays deux cents millions. »
« Il Secolo », interview de Paul Claudel reproduite par « Comœdia », le 17 juin 1925.

Monsieur,

Notre activité n’a de pédérastique que la confusion qu’elle introduit dans l’esprit de ceux qui n’y participent pas.

Peu nous importe la création. Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine et nous appelons cette destruction comme l’état de choses le moins inacceptable pour l’esprit.

Il ne saurait y avoir pour nous ni équilibre ni grand art. Voici déjà long-temps que l’idée de Beauté s’est rassise. Il ne reste debout qu’une idée morale, à savoir par exemple qu’on ne peut être à la fois ambassadeur de France et poète.

Nous saisissons cette occasion pour nous désolidariser publiquement de tout ce qui est français, en paroles et en actions. Nous déclarons trouver la trahison et tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, peut nuire à la sûreté de l’État beaucoup plus conciliable avec la poésie que la vente de « grosses quantités de lard » pour le compte d’une nation de porcs et de chiens.

C’est une singulière méconnaissance des facultés propres et des possibilités de l’esprit qui fait périodiquement rechercher leur salut à des goujats de votre espèce dans une tradition catholique ou gréco-romaine. Le salut pour nous n’est nulle part. Nous tenons Rimbaud pour un homme qui a désespéré de son salut et dont l’œuvre et la vie sont de purs témoignages de perdition.

Catholicisme, classicisme gréco-romain, nous vous abandonnons à vos bondieuseries infâmes. Qu’elles vous profitent de toutes manières ; engraissez encore, crevez sous l’admiration et le respect de vos concitoyens. Écrivez, priez et bavez ; nous réclamons le déshonneur de vous avoir traité une fois pour toutes de cuistre et de canaille.

Paris, le 1er juillet 1925.

Maxime Alexandre, Louis Aragon, Antonin Artaud, J.-A. Boiffard, Joë Bousquet, André Breton, Jean Carrive, René Crevel, Robert Desnos, Paul Eluard, Max Ernst, T. Fraenkel, Francis Gérard, Éric de Haulleville, Michel Leiris, Georges Limbour, Mathias Lübeck, Georges Malkine, André Masson, Max Morise, Marcel Noll, Benjamin Péret, Georges Ribemont-Dessaignes, Philippe Soupault, Dédé Sunbeam, Roland Tual, Jacques Viot, Roger Vitrac.

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