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Double hommage à la Commune de Paris : celui de ses ennemis et celui de ses partisans

dimanche 3 janvier 2010, par Robert Paris

Sommaire du site

Images et documents de la Commune de Paris

« Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand cœur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l’histoire les a cloués au pilori éternel. »

Karl Marx

« La guerre civile en France »

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MATIERE ET REVOLUTION

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Prolétaires, sauvons-nous nous-mêmes !


MOTS CLEFS :

dialectique
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non-linéarité
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boucle de rétroactionrupture de symétrie
le temps -
contradictions
crise
transition de phasecriticalité
auto-organisationvide - révolution permanente -
Blanqui -
Lénine -
Trotsky
Prigogine -
Barta -
Gould - marxisme - Marx - la révolution

Double hommage à la Commune de Paris : celui de ses ennemis et celui de ses partisans


LES CLASSES DIRIGEANTES ET LEURS PISSE-COPIE CONTRE LA COMMUNE DE PARIS

Edmond de Goncourt :

"A toutes les fenêtres, les drapeaux tricolores ; sur toutes les voitures, des drapeaux tricolores. Les soupiraux de cave de toutes les maisons fermés et maçonnés. Sur les pavés qu’on replace, l’essaim des Parisiens, reprenant en habits de voyage la possession de leur ville.
C’est bon. Il n’y a eu ni conciliation ni transaction. La solution a été brutale. Ç’a été de la force pure. La solution a retiré les âmes des lâches compromis. La solution a redonné confiance à l’armée, qui a appris, dans le sang des communeux, qu’elle était encore capable de se battre. Enfin, la saignée a été une saignée à blanc ; et les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle, si le pouvoir ose tout ce qu’il peut oser en ce moment." (Journal, mercredi 31 mai 1871)

Anatole France :

"Enfin le gouvernement du crime et de la démence pourrit à l’heure qu’il est dans les champs d’exécution."

Gustave Flaubert :

"Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés, et point pour ceux qu’ils ont mordus." (dans une lettre à George Sand, le 18 octobre 1871)

Alexandre Dumas fils à propos du peintre Gustave Courbet (communard) :

"De quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suintement sébacé peut avoir été générée cette chose qu’on appelle Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’oedème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, incarnation du Moi imbécile et impuissant."
Le même à propos des femmes de la Commune :
"Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent - quand elles sont mortes."

Emile Zola :

"Le bain de sang que [le peuple de Paris] vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur."

Zola, souvent catalogué républicain radical, écrit : "C’était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l’or des coffres éventrés. les femmes hurleraient, les hommes auraient des machoires de loups, ouvertes pour mordre. Oui, ce seraient les mêmes guenilles, la même cohue effroyable, de peau sale, d’haleine empestée, balayant le vieux monde, sous la poussée débordante des barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout pierre sur pierre des villes."

dans "Germinal"

Maxime Ducamp :

"Le sexe faible fit parler de lui, et pour faire suite au Mérite des femmes, on pourrait écrire un livre curieux : Du rôle des femmes pendant la Commune. Le récit de leurs sottises devrait tenter le talent d’un moraliste ou d’un aliéniste. Elles avaient lancé bien autre chose que leur bonnet par-dessus les moulins ; tout le costume y passa. Celles qui se donnèrent à la Commune - et elles furent nombreuses - n’eurent qu’une seule ambition : s’élever au-dessus de l’homme en exagérant ses vices. Elles furent mauvaises. Utilisées par la police des Rigault et des Ferré, elles se montrèrent impitoyables dans la recherche des réfractaires qui se cachaient pour ne point servir la Commune. Comme "ambulancières", elles abreuvèrent les blessés d’eau-de-vie, sous prétexte de les "remonter", et poussèrent dans la mort bien des malheureux qu’une simple médication aurait guéris. Dans les écoles où elles s’installèrent, elles apprirent aux petits enfants à tout maudire, excepté la Commune. Du haut de la chaire des églises converties en clubs, elles se dévoilèrent ; de leur voix glapissante, au milieu de la fumée des pipes, dans le bourdonnement des hoquets, elles demandèrent "leur place au soleil, leurs droits de cité, l’égalité qu’on leur refuse" et autres revendications indécises qui cachent peut-être le rêve secret qu’elles mettaient volontiers en pratique : la pluralité des hommes.
[...] Ces évadées du dispensaire parlaient de Jeanne d’Arc, et ne dédaignaient pas de se comparer à elle. La Commune, sans trop s’en douter, aida à ce soulèvement féminin qui vidait les maisons à gros numéro au détriment de la santé publique et au profit de la guerre civile."

George Sand :

« L’horrible aventure continue. Ils rançonnent, ils menacent, ils arrêtent, ils jugent. Ils ont pris toutes les mairies, tous les établissements publics, ils pillent les munitions et les vivres ».

Lire sur le thème « Les Écrivains contre la Commune », Paul Lidsky, Maspéro, 1970.

Le journal bourgeois « Le Moniteur universel » :
« Pas un des malfaiteurs dans la main desquels s’est trouvé Paris pendant deux mois ne sera considéré comme un homme politique. On les traitera comme des brigands qu’ils sont, comme d’épouvantables monstres… »

Paul de Saint-Victor dans « Barbares et bandits » :
« La Commune régna et se mit à l’œuvre. Son personnel tenait le milieu entre la bohême et le bagne : émeutiers de profession, assassins de fraîche date, journalistes tarés, ruffians des faubourgs, aboyeurs de clubs, ouvriers de grève, le « tas d’hommes perdus » dont parle Corneille, portés par un flot fougueux sur le sommet de la dictature. Cherchez bien, parcourez l’histoire, vous n’y trouverez pas une révolution d’un niveau si bas et d’un caractère si pervers. Les guerres serviles de Rome sont justes, en fin de compte, malgré leurs excès. Ce sont des esclaves qui brisent leurs chaînes, des gladiateurs qui échappent de la boucherie du Cirque… (…) La Commune n’a aucune de ces compensations ni de ces excuses. Elle éclate brusquement, en pleine république, en pleine liberté, devant l’invasion rangée en bataille sous les remparts de Paris, contre une Assemblée librement élue, contre le suffrage universel, contre la religion, contre la bourgeoisie, contre l’industrie, contre la famille, contre le travail, contre tout ce qui fait la dignité, la sécurité et la vie d’un peuple. Ce n’est ni à un despotisme ni à une aristocratie qu’elle déclare la guerre, mais à la civilisation, à la société et à la patrie. Elle n’a pour dogme qu’un athéisme grossier, pour doctrine qu’un matérialisme abject, pour programme que le lazzaronisme armé, l’expropriation de toutes les classes par une seule, l’égalité des parts dans la mangeoire humaine, la curée de la fortune publique et privée jetée en proie aux appétits et aux convoitises du prolétariat…
C’est faire trop d’honneur aux ravageurs de Paris que de leur prêter un système. Ils n’ont eu d’autre logique que celle de la violence et de l’ineptie. La spoliation et la profanation des églises, l’emprisonnement de l’archevêques et des prêtres, les enrôlements forcés pour la guerre civile, les réquisitions violant les domiciles et dressant l’inventaire des futurs pillages, sont les premiers actes de leur grossier mélodrame. (…)
L’internationale, cette franc-maçonnerie du crime, dont le drapeau n’a d’autre couleur que celui du sang, trônait et régnait à l’Hôtel de ville. Elle avait recruté les routiers et les malandrins de l’Europe entière. Des faussaires polonais, des bravi garibaldiens, des pandours slaves, des agents prussiens, des flibustiers yankees, cavalcadaient en tête de ses bataillons (…) Paris était devenu l’égoût collecteur de la lie et de l’écume des deux mondes…
Car l’ivrognerie était l’aliment de cette révolution crapuleuse. Une vapeur d’alcool flottait sur l’effervescence de la plèbe. La bouteille fut un des instruments de règne de la Commune. Ses bataillons marchaient en titubant au combat. Il y avait un delirium tremens dans la furie de leur résistance…
Cette catastrophe exécrable a purifié la France, en la foudroyant. Elle aura l’éclat du Jugement dernier, tranchant en deux parties la nation. D’un côté, quelque soient d’ailleurs leurs opinions diverses et leurs préférences légitimes, les élus de l’ordre, du devoir, de l’honnêteté, de la paix publique ; de l’autre, les réprouvés du brigandage et de l’anarchie… »

Jules Favre, ministre des affaires étrangères, attribue la Commune à l’Internationale dans une circulaire du 6 juin 1871 :
« L’Internationale est une société de guerre et de haine. C’est pour écraser les nations sous le joug d’une sorte de monarchisme sanguinaire, c’est pour en faire une vaste tribu appauvrie et hébétée par le communisme, que des hommes égarés et pervers, agitent le monde… Le dernier mot de leur système ne peut être que l’effroyable despotisme d’un petit nombre de chefs s’imposant à une multitude courbée sous le joug, subissant toutes les servitudes, jusqu’à la plus odieuse, celle de la conscience, n’ayant plus foyer, ni champ, ni épargne, ni prière, réduite à un immense atelier, conduite par la terreur et contrainte administrativement à chasser de son cœur Dieu et la famille. »


LES PARTISANS OU PARTICIPANTS DE LA COMMUNE

Maxime Vuillaume dans « Les cahiers rouges », rapportant le témoignage d’un sergent sur l’abattoir du Luxembourg :

« Depuis l’entrée des troupes, on fusillait sans relâche. On fusillait derrière ces bosquets, dont le vert feuillage m’était apparu et que je revoyais criblé de gouttes de sang. Là, c’était un simple peloton. Quatre par quatre. Contre un mur, contre un banc. Et les soldats s’en allaient, rechargeant tranquillement leurs fusils, passant la paume de la main sur le canon poussiéreux, laissant là les morts.
On fusillait aussi autour du grand bassin, près du four de pierre qui surmonte les escaliers menant à la grande allée de l’Observatoire, le long de la balustrade de gauche. (…)
Trois femmes prisonnières se donnaient le bras. Une foule hurlante suivait. Et j’entendis distinctement le cri féroce :
 A mort ! A mort ! Au Luxembourg ! »

Louise Michel
« Au 3ème conseil de guerre » :

« Ils sont là, calmes et sublimes,
Les élus du libre Paris
Et vous les chargez de vos crimes,
Furieux de leurs fiers mépris.
De rien ils n’ont à se défendre,
Car vous avez fui lâchement.
Ils ont défendu vaillamment
Tout ce que vous veniez de vendre. »

Théophile Ferré, devant le 3ème conseil de guerre, refuse de se défendre :

« Membre de la Commune de Paris, je suis entre les mains de ses vainqueurs ; ils veulent ma tête, qu’ils la prennent ! Jamais je ne sauverai ma vie par la lâcheté. Libre, j’au vécu, j’entend mourir de même ! »

Louise Michel, dans « Les œillets rouges » à Théophile Ferré exécuté le 28 novembre 1871 :
« Dans les derniers temps de l’Empire
lorsque le peuple s’éveillait
rouge œillet, ce fut ton sourire
qui nous dit que tout renaissait.

Aujourd’hui va fleurir dans l’ombre
des noires et tristes prisons
va fleurir près du captif sombre
et dis-lui bien que nous l’aimons.

Dis-lui que par le temps rapide
tout appartient à l’avenir
que le vainqueur au front livide
plus que le vaincu peut mourir. »

La mort du communard Varlin, ouvrier relieur :

« Le dimanche 28, place Cadet, il fut reconnu par un prêtre qui courut chercher un officier. Le lieutenant Sicre saisit Varlin, lui lia les mains derrière le dos et l’achemina vers les Buttes où se tenait le général de Laveaucroupet. Par les rues escarpées de Montmartre, ce Varlin, qui avait risqué sa vie pour sauver les otages de la rue Haxo, fut traîné une grande heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative qui n’avait jamais eu que des pensées fraternelles, devint un hachis de chairs, l’oeil pendant hors de l’orbite. Quand il arriva rue des Rosiers, à l’Etat-major, il ne marchait plus, on le portait. On l’assit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coups de crosse. Sicre vola sa montre et s’en fit une parure. Le Mont des martyrs n’en a pas de plus glorieux. Qu’il soit, lui aussi, enseveli dans le grand cœur de la classe ouvrière. Toute la vie de Varlin est un exemple. Il s’était fait tout seul par l’acharnement de la volonté, donnant le soir à l’étude les maigres heures que laisse l’atelier, apprenant, non pour se pousser aux honneurs comme les Corbons, les Tolains, mais pour instruire et affranchir le peuple. Il fut le nerf des associations ouvrières, à la fin de l’Empire. Infatigable, modeste, parlant très peu, toujurs au moment juste, et alors éclairant d’un mot juste la discussion confuse, il avait conservé le sens révolutionnaire qui s’émousse souvent chez les ouvriers instruits. Un des premiers au 18 mars, au labeur pendant toute la Commune, il fut aux barricades jusqu’au bout.
Ce mort-là est tout aux ouvriers.

Lissagaray, « Histoire de la Commune »

L’ « Union pour la défense de Paris et les soins des blessés » de Louise Michel, Elisabeth Dimitrieva et Nathalie Le Mel signe un manifeste :
« Non, ce n’est pas la paix, mais bien la guerre à outrance que les travailleuses de Paris viennent réclamer !
Aujourd’hui, une conciliation serait une trahison !
Ce serait renier toutes les aspirations ouvrières acclamant la rénovation socialiste absolue, l’anéantissement de tous les rapports juridiques et sociaux existant actuellement, la suppression de tous les privilèges, de toutes les exploitations, la substitution du règne du travail à celui du capital, en un mot, l’affranchissement du travailleur par lui-même. (…) Paris ne reculera pas car il porte le drapeau de l’avenir. L’heure suprême a sonné ! Place aux travailleurs ! (…)

Alors que les révolutionnaires de la Commune de Paris battus, arrêtés et assassinés et le peuple de Paris qui venait de tenter de prendre le pouvoir étaient pourchassés en France et honnis par toute la bourgeoisie européenne, Victor Hugo, réfugié en Belgique un pays qui refusait le droit d’asile aux réfugiés de la Commune, écrivait :

"Quant à moi, je déclare ceci : cet asile que le gouvernement belge refuse aux vaincus de Paris, je l’offre ! Où ? En Belgique ! Je fais à la Belgique cet honneur. J’offre l’asile : qu’un vaincu de la commune de Paris frappe à ma porte ; j’ouvre ; il est dans ma maison ; il est inviolable... Si l’on vient chez moi prendre un fugitif de la Commune, on me prendra."

Hugo rapporte la répression, féroce, de la bourgeoisie contre la Commune, dans "L’année terrible" :
"Sur une barricade, au milieu des pavés
Souillés d’un sang coupable et d’un sang pur lavés, L’enfant de douze ans est pris avec des hommes (...)"

Victor Hugo écrit :
"Qui arrête la révolution à mi-côte ? La bourgeoisie. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie est l’intérêt arrivé à satisfaction. (...) Il y en a qui disent qu’il faut me tirer un coup de fusil comme un chien. Pauvre bourgeoisie. Uniquement parce qu’elle a peur pour sa pièce de cent sous. (...) Ouvriers de Paris, vous faites votre devoir et c’est bien. Vous donnez là un bel exemple. La civilisation vous remercie. "

ou encore ...

"Les révolutions sont de magnifiques improvisatrices, un peu échevelées quelques fois."

"Il y a au fond du socialisme une partie des réalités douloureuses de notre temps et de tous les temps."

"Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère."’

"Le droit de Paris de se déclarer commune est incontestable."

Le 31 mai 1871, il écrit : "La réaction commet à Paris tous les crimes. Nous sommes en pleine Terreur Blanche."

Le 5 juin 1871 : "Les nouvelles continuent d’être hideuses. Terreur de plus en plus blanche"

« Les Misérables », même si peu de commentateurs l’ont remarqué, est le grand roman du peuple révolutionnaire de Paris. Les héros en sont Gavroche, Enjolras, Courfeyras, Bahorel ou Marius. Le véritable fond de scène des Misérables, ce sont toutes les émeutes et révolutions à Paris entre 1830 et 1848. Et même les révolutions de 1789 à 1795 en passant par 1793.

« Les Misérables » (chapitre « Lézardes sous la fondation ») :
« Il y a dans les révolutions des nageurs à contre-courant : ce sont les vieux partis. (…) Toute révolution, ‘étant un accomplissement normal, contient en elle sa légitimité, que de faux révolutionnaires déshonorent quelquefois, mais qui persiste, même souillée, qui survit, même ensanglantée. Les révolutions ortent, non d’un accident, mais de la nécessité. Une révolution est un retour du factice au réel. Elle est parce qu’il faut qu’elle soit. »

« Les Misérables » (chapitre « Louis-Philippe ») :
« Les révolutions ont le bras terrible et la main heureuse : elles frappent ferme et choisissent bien. Même incomplètes, même abâtardies, même mâtinées et réduites à l’état de révolution cadette, comme la révolution de 1830, il leur reste presque toujours assez de lucidité providentielle pour qu’elles ne puissent mal tomber. Leur éclipse n’est jamais une abdication. Pourtant, ne nous vantons pas trop haut ; les révolutions, elles aussi, se trompent, et de graves méprises se sont vues. »

« Les Misérables » (chapitre « Argot qui pleure et argot qui rit ») :
« La souffrance engendre la colère ; et tandis que les classes prospères s’aveuglent, ou s’endorment, ce qui est toujours fermer les yeux, la haine des classes malheureuses allume sa torche à quelque esprit chagrin ou mal fait qui rêve dans un coin et elle se met à examiner la société. L’examen de la haine, chose terrible. De là, si le malheur des temps le veut, ces effrayantes commotions qu’on nommait jadis des jacqueries, près desquelles les agitations purement politiques sont des jeux d’enfants qui ne sont plus la lutte de l’opprimé contre l’oppresseur (…) Tout s’écroule alors. Les jacqueries sont des tremblements de peuple. »

« Les Misérables » (chapitre « Le 5 juin 1832 ») :
« De quoi se compose l’émeute ? De rien et de tout. D’une électricité dégagée peu à peu, d’une flamme subitement jaillie, d’une force qui erre, d’un souffle qui passe. Ce souffle rencontre des têtes qui pensent, des cerveaux qui rêvent, des âmes qui souffrent, des passions qui brûlent, des misères qui hurlent, et les emporte. (…) Tels sont les éléments de l’émeute. Ce qu’il y a de plus grand et ce qu’il ya de plus intime. (…) Les émeutes éclairèrent en rouge, mais splendidement, toutes les saillies les plus originales du caractère parisien, la générosité, le dévouement, la gaieté orageuse, les étudiants prouvant que la bravoure fait partie de l’intelligence, la garde nationale inébranlable, des bivouacs de boutiquiers, des forteresses de gamins, le mépris de la mort chez les passants. (…) Il y a l’émeute et il y a l’insurrection ; ce sont deux colères ; l’une a tort, l’autre a le droit. (…) Tueurs de la Saint-Barthélemy, égorgeurs de Septembre. Massacreurs d’Avignon, assassins de Coligny, voilà l’émeute. La Vendée est une grande émeute catholique. (…) Du reste, insurrection, émeute, en quoi la première diffère de la seconde, le bourgeois, proprement dit, connaît peu ces nuances. Pour lui, tout est sédition, rébellion pure et simple, révolte du dogue contre le maître, essai de morsure qu’il faut punir de la chaîne et de la niche, aboiement jappement ; jusqu’au jour où la tête du chien, grossie tout à coup, s’ébauche vaguement dans l’ombre en face de lion. (…) Est-ce une émeute ? Est-ce une insurrection. C’est une insurrection ? »

« Les Misérables » (chapitre « Les bouillonnements d’autrefois ») :
« Rien n’est plus extraordinaire que le premier fourmillement d’une émeute. Tout éclate partout à la fois. Etait-ce prévu ? Etait-ce préparé ? Non. (…) Rive droite, rive gauche, sur les quais, sur les boulevards, dans le quartier latin, dans le quartier des halles, des hommes haletants ouvriers, étudiants, sectionnaires, lisaient des proclamations, criaient : aux armes, brisaient les réverbères, dételaient les voitures, dépavaient les rues, enfonçaient les portes des maisons, déracinaient les arbres, fouillaient les caves, roulaient des tonneaux, entassaient pavés, moellons, meubles, planches, faisaient des barricades. (…) En moins d’une heure, vingt-sept barricades sortirent de terre dans le seul quartier des halles. (…) L’insurrection, brusquement, avait bâti les barricades d’une main et de l’autre saisi presque tous les postes de la garnison. (…) L’insurrection s’était fait du centre de Paris une sorte de citadelle inextricable, tortueuse, colossale. (…) C’est le caractère propre des émeutes de Paris. »

« Les Misérables » (chapitre « Les excès de zèle de Gavroche ») :
« Pourvu que j’arrive à temps à la barricade ! (…) Gavroche se remit à canter sa chanson :

Mais il reste encore des bastilles
Et je vais mettre le holà
Dans l’ordre public que voilà

Où vont les belles filles
Lon la

Quelqu’un veut-il jouer aux quilles ?
Tout l’ancien monde s’écroula
Quand la grosse boule roula

Où vont les belles filles
Lon la

Vieux bon peuple, à coups de béquilles
Cassons ce Louvre où s’étala
La monarchie en falbala

Où vont les belles filles
Lon la

Nous en avons forcé les grilles ;
Le roi Charles dix ce jour-là
Tenait mal et se décolla

Où vont les belles filles
Lon la »

« Les Misérables » (chapitre « La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg Saint-Antoine ») :
« Les deux plus mémorables barricades (…) sortirent de terre dan (…) l’insurrection de juin 1848 (qui fut) la plus grande guerre des rues qu’ait vue l’histoire. (…) L’une encombrait l’entrée du faubourg Saint-Antoine ; l’autre défendait l’approche du faubourg du Temple ; ceux devant qui se sont dressés, sous l’éclatant ciel bleu de juin, ces deux effrayants chefs-d’œuvre de la guerre civile, ne les oublieront jamais. La barricade Saint-Antoine était monstrueuse (…) Dix-neuf barricades s’étageaient dans la profondeur des rues derrière cette barricade mère. (…) C’était la collaboration du pavé, du moellon, de la poutre, de la barre de fer, du chiffon, du carreau défoncé, de la chaise dépaillée, du trognon de chou, de la loque, de la guenille, et de la malédiction. (…) En somme terrible. C’était l’acropole des va-nus-pieds. (…) Un vaste drapeau rouge y claquait dans le vent ; on y entendait les cris du commandement, les chansons d’attaque, des roulements de tambours, des sanglots de femmes, et l’éclat de rire ténébreux des meurt-de-faim. Elle était démesurée et vivante. L’esprit de révolution couvrait de son nuage ce sommet où grondait cette voix du peuple (…) Comme nous l’avons dit elle attaquait au nom de la révolution. (…) Dans le chaos de sentiments et de passions qui défendent une barricade, il y a de tout ; il y a de la bravoure, de la jeunesse, du point d’honneur, de l’enthousiasme, de l’idéal, de la conviction, de l’acharnement de joueur, et, surtout, des intermittences d’espoir. »

« Les Misérables » (chapitre « Gavroche dehors ») :
« L’oeil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, Gavroche chanta :
Je ne suis pas notaire,
C’est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.
(…) Une balle mieux ajustée et plus traître que les autres finit par atteindre l’enfant feu follet. (…)
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à …. »

« Les Misérables » (chapitre « Les morts ont raison et les vivants n’ont pas tort ») :
« L’utopie d’ailleurs, convenons-en, sort de sa sphère radieuse en faisant la guerre. (…) Cette réserve faite, et faite en toute sérénité, il nous est impossible de ne pas admirer, qu’ils réussissent ou non, les glorieux combattants de l’avenir, les confesseurs de l’utopie. Même quand ils avortent, ils sont vénérables. (…) On est injuste pour ces grands essayeurs de l’avenir quand ils avortent. On accuse les révolutionnaires de semer l’effroi. Toute barricade semble attentat. On incrimine leurs théories, on suspecte leur but, on redoute leur arrière-pensée, on dénonce leur conscience. »

« Les Misérables » (chapitre « Les héros ») :
« Cette barricade, construite comme elle l’était et admirablement contrebutée, était vraiment une de ces situations où une poignée d’hommes tient en échec une légion. (…) Les assauts se succédèrent. L’horreur alla grandissant. Alors éclata, sur ce tas de pavés, dans cette rue de la Chanvrerie, une lutte digne d’une muraille de Troie. Ces hommes hâves, déguenillés, épuisés, qui n’avaient pas mangé depuis vingt-quatre heures, qui n’avaient pas dormi, qui n’avaient plus que quelques coups à tirer, qui tâtaient leurs poches vides de cartouches, presque tous blessés, la tête ou le bras bandé d’un linge rouillé et noirâtre, ayant dans leurs habits des trous d’où le sang coulait, à peine armés de mauvais fusils et de vieux sabres ébréchés, devinrent des Titans. La barricade fut dix fois abordée, assaillie, escaladée, et jamais prise. (…) C’était l’héroïsme monstre. »

Dans « Les Misérables » :
« L’histoire passe l’égout. Les Saint-Barthélemy y filtrent goutte à goutte entre les pavés. Les grands assassinats publics, les boucheries politiques et religieuses, traversent ce souterrain de la civilisation et y poussent leurs cadavres. (…) On respire dans les égouts la fétidité énorme des catastrophes sociales. (…) Il coule là une eau terrible où se sont lavées des mains sanglantes. »


Extraits de "L’année terrible" :

Voici le peuple : il meurt, combattant magnifique,
Pour le progrès

PARIS BLOQUE

O ville, tu feras agenouiller l’histoire.
Saigner est ta beauté, mourir est ta victoire.
Mais non, tu ne meurs pas. Ton sang coule, mais ceux
Qui voyaient César rire en tes bras paresseux,
S’étonnent : tu franchis la flamme expiatoire,
Dans l’admiration des peuples, dans la gloire,
Tu retrouves, Paris, bien plus que tu ne perds.
Ceux qui t’assiègent, ville en deuil, tu les conquiers.
La prospérité basse et fausse est la mort lente ;
Tu tombais folle et gaie, et tu grandis sanglante.
Tu sors, toi qu’endormit l’empire empoisonneur,
Du rapetissement de ce hideux bonheur.
Tu t’éveilles déesse et chasses le satyre.
Tu redeviens guerrière en devenant martyre ;
Et dans l’honneur, le beau, le vrai, les grandes moeurs,
(…)
Rien n’est plus admirable ; et Paris a dompté
L’univers par la force où l’on sent la bonté.
Ce peuple est un héros et ce peuple est un juste.
Il fait bien plus que vaincre, il aime.

O ville auguste,
Ce jour-là tout tremblait, les révolutions
Grondaient, et dans leur brume, à travers des rayons,
Tu voyais devant toi se rouvrir l’ombre affreuse
Qui par moments devant les grands peuples se creuse ;
Et l’homme qui suivait le cercueil de son fils
T’admirait, toi qui, prête à tous les fiers défis,
Infortunée, as fait l’humanité prospère ;
Sombre, il se sentait fils en même temps que père,
Père en pensant à lui, fils en pensant à toi.

Que ce jeune lutteur illustre et plein de foi,
Disparu dans le lieu profond qui nous réclame,
O peuple, ait à jamais près de lui ta grande âme !
Tu la lui donnas, peuple, en ce suprême adieu.
Que dans la liberté superbe du ciel bleu,
Il assiste, à présent qu’il tient l’arme inconnue,
Aux luttes du devoir et qu’il les continue.
Le droit n’est pas le droit seulement ici-bas ;
Les morts sont des vivants mêlés à nos combats,
Ayant tantôt le bien, tantôt le mal pour cibles ;
Parfois on sent passer leurs flèches invisibles.
Nous les croyons absents, ils sont présents ; on sort
De la terre, des jours, des pleurs, mais non du sort ;
C’est un prolongement sublime que la tombe.
On y monte étonné d’avoir cru qu’on y tombe.
Comme dans plus d’azur l’hirondelle émigrant,
On entre plus heureux dans un devoir plus grand ;
On voit l’utile avec le juste parallèle ;
Et l’on a de moins l’ombre et l’on a de plus l’aile.
O mon fils béni, sers la France, du milieu
De ce gouffre d’amour que nous appelons Dieu ;
Ce n’est pas pour dormir qu’on meurt, non, c’est pour faire
De plus haut ce que fait en bas notre humble sphère ;
C’est pour le faire mieux, c’est pour le faire bien.
Nous n’avons que le but, le ciel a le moyen.
La mort est un passage où pour grandir tout change ;
Qui fut sur terre athlète est dans l’abîme archange ;
Sur terre on est borné, sur terre on est banni ;
Mais là-haut nous croissons sans gêner l’infini ;
L’âme y peut déployer sa subite envergure ;
C’est en perdant son corps qu’on reprend sa figure.
Va donc, mon fils ! va donc, esprit ! deviens flambeau.
Rayonne. Entre en planant dans l’immense tombeau !
Sers la France. Car Dieu met en elle un mystère,
Car tu sais maintenant ce qu’ignore la terre,
Car la vérité brille où l’éternité luit,
Car tu vois la lumière et nous voyons la nuit.
(…)
Quand finira ceci ? Quoi ! ne sentent-ils pas
Que ce grand pays croule à chacun de leurs pas !
Châtier qui ? Paris ? Paris veut être libre.
Ici le monde, et là Paris ; c’est l’équilibre.
Et Paris est l’abîme où couve l’avenir.
Pas plus que l’Océan on ne peut le punir,
Car dans sa profondeur et sous sa transparence
On voit l’immense Europe ayant pour coeur la France.
Combattants ! combattants ! qu’est-ce que vous voulez ?
Vous êtes comme un feu qui dévore les blés,
Et vous tuez l’honneur, la raison, l’espérance !
Quoi ! d’un côté la France et de l’autre la France !
Arrêtez ! c’est le deuil qui sort de vos succès.
Chaque coup de canon de Français à Français
Jette, - car l’attentat à sa source remonte, -
Devant lui le trépas, derrière lui la honte.
Verser, mêler, après septembre et février,
Le sang du paysan, le sang de l’ouvrier,
Sans plus s’en soucier que de l’eau des fontaines !
Les Latins contre Rome et les Grecs contre Athènes !
Qui donc a décrété ce sombre égorgement ?
Si quelque prêtre dit que Dieu le veut, il ment !
Mais quel vent souffle donc ? Quoi ! pas d’instants lucides !
Se retrouver héros pour être fratricides !
Horreur !
Le peuple est un lutteur prodigieux qui traîne
Le passé vers le gouffre et l’y pousse du pied
(…)
Vous imaginez-vous cette haute cité
Qui fut des nations la parole, l’ouïe,
La vision, la vie et l’âme, évanouie !
Vous représentez-vous les peuples la cherchant ?
On ne voit plus sa lampe, on n’entend plus son chant.
C’était notre théâtre et notre sanctuaire ;
Elle était sur le globe ainsi qu’un statuaire
Sculptant l’homme futur à grands coups de maillet ;
L’univers espérait quand elle travaillait ;
Elle était l’éternelle, elle était l’immortelle ;
Qu’est-il donc arrivé d’horrible ? où donc est-elle ?
Vous les figurez-vous s’arrêtant tout à coup ?
Quel est ce pan de mur dans les ronces debout ?
Le Panthéon ; ce bronze épars, c’est la colonne ;
Ce marais où l’essaim des corbeaux tourbillonne,
C’est la Bastille ; un coin farouche où tout se tait,
Où rien ne luit, c’est là que Notre-Dame était ;
La limace et le ver souillent de leurs morsures
Les pierres, ossements augustes des masures ;
Pas un toit n’est resté de toutes ces maisons
Qui du progrès humain reflétaient les saisons ;
Pas une de ces tours, silhouettes superbes ;
Plus de ponts, plus de quais ; des étangs sous des herbes,
Un fleuve extravasé dans l’ombre, devenu
Informe, et s’en allant dans un bois inconnu ;
Le vague bruit de l’eau que le vent triste emporte.
Et voyez-vous l’effet que ferait cette morte !

*

Mais qui donc a jeté ce tison ? Quelle main,
Osant avec le jour tuer le lendemain,
A tenté ce forfait, ce rêve, ce mystère
D’abolir la ville astre, âme de notre terre,
Centre en qui respirait tout ce qu’on étouffait ?
Non, ce n’est pas toi, peuple, et tu ne l’as pas fait.
Non, vous les égarés, vous n’êtes pas coupables !
Le vénéneux essaim des causes impalpables,
Les vieux faits devenus invisibles vous ont
Troublé l’âme, et leur aile a battu votre front ;
Vous vous êtes sentis enivrés d’ombre obscure ;
Le taon vous poursuivait de son âcre piqûre,
Une rouge lueur flottait devant vos yeux,
Et vous avez été le taureau furieux.
(…)
Un jour je vis le sang couler de toutes parts ;
Un immense massacre était dans l’ombre épars ;
Et l’on tuait. Pourquoi ? Pour tuer. O misère !
En mitraillant des tas de femmes et d’enfants ;
Que changer en bourreaux des soldats triomphants,
C’est leur faire une gloire où la honte surnage ;
Et, pensif, je me mis en travers du carnage.
Triste, n’approuvant pas la grandeur du linceul,
Estimant que la peine est au coupable seul,
Pensant qu’il ne faut point, hélas ! jeter le crime
De quelques-uns sur tous, et punir par l’abîme
Paris, un peuple, un monde, au hasard châtié,
Je dis : Faites justice, oui, mais ayez pitié !
Alors je fus l’objet de la haine publique.
L’église m’a lancé l’anathème biblique,
Les rois l’expulsion, les passants des cailloux ;
Quiconque a de la boue en a jeté ; les loups,
Les chiens, ont aboyé derrière moi ; la foule
M’a hué presque autant qu’un tyran qui s’écroule ;
On m’a montré le poing dans la rue ; et j’ai dû
Voir plus d’un vieil ami m’éviter éperdu.
(…)
La prisonnière passe, elle est blessée. Elle a
On ne sait quel aveu sur le front. La voilà !
On l’insulte ! Elle a l’air des bêtes à la chaîne.
On la voit à travers un nuage de haine.
Qu’a-t-elle fait ? Cherchez dans l’ombre et dans les cris,
Cherchez dans la fumée affreuse de Paris.
Personne ne le sait. Le sait-elle elle-même ?
Ce qui pour l’homme est crime est pour l’esprit problème.
La faim, quelque conseil ténébreux, un bandit
Si monstrueux qu’on l’aime et qu’on fait ce qu’il dit,
C’est assez pour qu’un être obscur se dénature.
Ce noir plan incliné qu’on nomme l’aventure,
La pente des instincts fauves, le fatal vent
Du malheur en courroux profond se dépravant,
Cette sombre forêt que la guerre civile
Toujours révèle au fond de toute grande ville,
Dire : d’autres ont tout, et moi qu’est-ce que j’ai ?
Songer, être en haillons, et n’avoir pas mangé,
Tout le mal sort de là. Pas de pain sur la table ;
Il ne faut rien de plus pour être épouvantable.
Elle passe au milieu des foules sans pitié.
Quand on a triomphé, quand on a châtié,
Qu’a-t-on devant les yeux ? la victoire aveuglante.
Tout Versailles est en fête. Elle se tait sanglante.
Le passant rit, l’essaim des enfants la poursuit
De tous les cris que peut jeter l’aube à la nuit.
L’amer silence écume aux deux coins de sa bouche ;
Rien ne fait tressaillir sa surdité farouche ;
Elle a l’air de trouver le soleil ennuyeux ;
Une sorte d’effroi féroce est dans ses yeux.
Des femmes cependant, hors des vertes allées,
Douces têtes, des fleurs du printemps étoilées,
Charmantes, laissant pendre au bras de quelque amant
Leur main exquise et blanche où brille un diamant,
Accourent. Oh ! l’infâme ! on la tient ! quelle joie !
Et du manche sculpté d’une ombrelle de soie,
Frais et riants bourreaux du noir monstre inclément,
Elles fouillent sa plaie avec rage et gaiement.
Je plains la misérable ; elles, je les réprouve.
Les chiennes font horreur venant mordre la louve.

X

Une femme m’a dit ceci : - J’ai pris la fuite.
Ma fille que j’avais au sein, toute petite,
Criait, et j’avais peur qu’on n’entendît sa voix.
Figurez-vous, c’était un enfant de deux mois ;
Elle n’avait pas plus de force qu’une mouche.
Mes baisers essayaient de lui fermer la bouche,
Elle criait toujours ; hélas ! elle râlait.
Elle voulait téter, je n’avais plus de lait.
Toute une nuit s’était de la sorte écoulée.
Je me cachais derrière une porte d’allée,
Je pleurais, je voyais les chassepots briller.
On cherchait mon mari qu’on voulût fusiller.
Tout à coup, le matin, sous cette horrible porte,
L’enfant ne cria plus. Monsieur, elle était morte.
Je la touchai ; monsieur, elle était froide. Alors,
Cela m’était égal qu’on me tuât ; dehors,
Au hasard, j’emportai ma fille, j’étais folle,
J’ai couru, des passants m’adressaient la parole,
Mais je me suis enfuie, et, je ne sais plus où,
J’ai creusé de mes mains dans la campagne un trou,
Au pied d’un arbre, au coin d’un enclos solitaire ;
Et j’ai couché mon ange endormi dans la terre ;
L’enfant qu’on allaita, c’est dur de l’enterrer.

Et le père était là qui se mit à pleurer.

XI

Sur une barricade, au milieu des pavés
Souillés d’un sang coupable et d’un sang pur lavés,
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
 Es-tu de ceux-là, toi ! - L’enfant dit : Nous en sommes.
 C’est bon, dit l’officier, on va te fusiller.
Attends ton tour. - L’enfant voit des éclairs briller,
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit à l’officier : Permettez-vous que j’aille
Rapporter cette montre à ma mère chez nous ?
 Tu veux t’enfuir ? - Je vais revenir. - Ces voyous
Ont peur ! Où loges-tu ? - Là, près de la fontaine.
Et je vais revenir, monsieur le capitaine.
 Va-t’en, drôle ! - L’enfant s’en va. - Piège grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle
Mais le rire cessa, car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : Me voilà.

La mort stupide eut honte, et l’officier fit grâce.

Enfant, je ne sais point, dans l’ouragan qui passse
Et confond tout, le bien, le mal, héros, bandits,
Ce qui dans ce combat te poussait, mais je dis
Que ton âme ignorante est une âme sublime.
Bon et brave, tu fais, dans le fond de l’abîme,
Deux pas, l’un vers ta mère et l’autre vers la mort ;
L’enfant a la candeur et l’homme a le remord,
Et tu ne réponds point de ce qu’on te fit faire ;
Mais l’enfant est superbe et vaillant qui préfère
A la fuite, à la vie, à l’aube, aux jeux permis,
Au printemps, le mur sombre où sont morts ses amis.
La gloire au front te baise, ô toi si jeune encore !
Doux ami, dans la Grèce antique, Stésichore
T’eût chargé de défendre une porte d’Argos ;
Cinégyre t’eût dit : Nous sommes deux égaux !
Et tu serais admis au rang des purs éphèbes
Par Tyrtée à Messène et par Eschyle à Thèbes.
On graverait ton nom sur des disques d’airain ;
Et tu serais de ceux qui, sous le ciel serein,
S’ils passent près du puits ombragé par le saule,
Font que la jeune fille ayant sur son épaule
L’urne où s’abreuveront les buffles haletants,
Pensive, se retourne et regarde longtemps.
Partout la mort. Eh bien, pas une plainte.
O blé que le destin fauche avant qu’il soit mûr !
O peuple !

On les amène au pied de l’affreux mur.
C’est bien. Ils ont été battus du vent contraire.
L’homme dit au soldat qui l’ajuste : Adieu, frère.
La femme dit : - Mon homme est tué. C’est assez.
Je ne sais s’il eut tort ou raison, mais je sais
Que nous avons traîné le malheur côte à côte ;
Il fut mon compagnon de chaîne ; si l’on m’ôte
Cet homme, je n’ai plus besoin de vivre. Ainsi
Puisqu’il est mort, il faut que je meure. Merci. -
Et dans les carrefours les cadavres s’entassent.
Dans un noir peloton vingt jeunes filles passent ;
Elles chantent ; leur grâce et leur calme innocent
Inquiètent la foule effarée ; un passant
Tremble. - Où donc allez-vous ? dit-il à la plus belle.
Parlez. - Je crois qu’on va nous fusiller, dit-elle.
Un bruit lugubre emplit la caserne Lobau ;
C’est le tonnerre ouvrant et fermant le tombeau.
Là des tas d’hommes sont mitraillés ; nul ne pleure ;
Il semble que leur mort à peine les effleure,
Qu’ils ont hâte de fuir un monde âpre, incomplet,
Triste, et que cette mise en liberté leur plaît.
Nul ne bronche. On adosse à la même muraille
Le petit-fils avec l’aïeul, et l’aïeul raille,
Et l’enfant blond et frais s’écrie en riant : Feu !
Ce rire, ce dédain tragique, est un aveu.
Gouffre de glace ! énigme où se perd le prophète !
Donc ils ne tiennent pas à la vie ; elle est faite
De façon qu’il leur est égal de s’en aller.
C’est en plein mois de mai ; tout veut vivre et mêler
Son instinct ou son âme à la douceur des choses ;
Ces filles-là devraient aller cueillir des roses ;
L’enfant devrait jouer dans un rayon vermeil ;
L’hiver de ce vieillard devrait fondre au soleil ;
Ces âmes devraient être ainsi que des corbeilles
S’emplissant de parfums, de murmures d’abeilles,
De chants d’oiseaux, de fleurs, d’extase, de printemps !
Tous devraient être d’aube et d’amour palpitants.
Eh bien, dans ce beau mois de lumière et d’ivresse,
O terreur ! c’est la mort qui brusquement se dresse,
La grande aveugle, l’ombre implacable et sans yeux ;
Oh ! comme ils vont trembler et crier sous les cieux,
Sangloter, appeler à leur aide la ville,
La nation qui hait l’Euménide civile,
Toute la France, nous, nous tous qui détestons
Le meurtre pêle-mêle et la guerre à tâtons !
Comme ils vont, l’oeil en pleurs, bras tordus, mains crispées
Supplier les canons, les fusils, les épées,
Se cramponner aux murs, s’attacher aux passants,
Et fuir, et refuser la tombe, frémissants ;
Et hurler : On nous tue ! au secours ! grâce ! grâce !
Non. Ils sont étrangers à tout ce qui se passe ;
Ils regardent la mort qui vient les emmener.
Soit. Ils ne lui font pas l’honneur de s’étonner.
Ils avaient dès longtemps ce spectre en leur pensée.
Leur fosse dans leur coeur était toute creusée.
Viens, mort !

Etre avec nous, cela les étouffait.
Ils partent. Qu’est-ce donc que nous leur avions fait ?
O révélation ! Qu’est-ce donc que nous sommes
Pour qu’ils laissent ainsi derrière eux tous les hommes,
Sans un cri, sans daigner pleurer, sans un regret ?
Nous pleurons, nous. Leur coeur au supplice était prêt.
Que leur font nos pitiés tardives ? Oh ! quelle ombre !
Que fûmes-nous pour eux avant cette heure sombre ?
Avons-nous protégé ces femmes ? Avons-nous
Pris ces enfants tremblants et nus sur nos genoux ?
L’un sait-il travailler et l’autre sait-il lire ?
L’ignorance finit par être le délire ;
Les avons-nous instruits, aimés, guidés enfin,
Et n’ont-ils pas eu froid ? et n’ont-ils pas eu faim ?
C’est pour cela qu’ils ont brûlé vos Tuileries.
Je le déclare au nom de ces âmes meurtries,
Moi, l’homme exempt des deuils de parade et d’emprunt,
Qu’un enfant mort émeut plus qu’un palais défunt
C’est pour cela qu’ils sont les mourants formidables,
Qu’ils ne se plaignent pas, qu’ils restent insondables,
Souriants, menaçants, indifférents, altiers,
Et qu’ils se laissent presque égorger volontiers.
Méditons. Ces damnés, qu’aujourd’hui l’on foudroie,
N’ont pas de désespoir n’ayant pas eu de joie.
Le sort de tous se lie à leur sort. Il le faut.
Frères, bonheur en bas, sinon malheur en haut !

Victor Hugo

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Karl Marx

« À l’aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune ! Qu’est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l’entendement bourgeois à si dure épreuve ?
Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.
Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’État et de le faire fonctionner pour son propre compte.
(…) Le régime impérial est la forme la plus prostituée et en même temps la forme ultime de ce pouvoir d’État, que la société bourgeoise naissante a fait naître, comme l’outil de sa propre émancipation du féodalisme, et que la société bourgeoise parvenue à son plein épanouissement avait finalement transformé en un moyen d’asservir le travail au capital.
L’antithèse directe de l’Empire fut la Commune.
(...) Paris s’était débarrassé de l’armée et l’avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C’est cet état de fait qu’il s’agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l’armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.
La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d’être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune.
Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l’expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l’instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d’instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l’Église et de l’État. Ainsi, non seulement l’instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l’avaient chargée.
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n’avait servi qu’à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables. »

Dans « La guerre civile en France »

Karl Marx

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Lénine le 24 janvier 1918 :

« Deux mois et quinze jours (la durée d’existence du nouveau pouvoir soviétique), c’est en tout et pour tout cinq jours de plus que la durée d’existence du pouvoir précédent des ouvriers sur tout un pays ou sur les exploiteurs et les capitalistes : le pouvoir des ouvriers parisiens à l’époque de la Commune de Paris en 1871….
Après s’être maintenus deux mois et dix jours, les ouvriers parisiens qui avaient pour la première fois instauré la Commune, cet embryon du pouvoir des soviets, ont péri, fusillés par l’équivalent français des cadets, des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires de droite. C’est au prix de sacrifices inouïs que les ouvriers français ont fait la première expérience d’un gouvernement ouvrier….
Ce qui rend notre situation beaucoup plus favorable, c’est que les ouvriers et les paysans russes ont pu faire connaître au monde entier la forme de leur pouvoir : le gouvernement soviétique. »

Messages

  • La position des « intellectuels » vis-à-vis de la révolte populaire ne date pas de la Commune :

    Baudelaire écrivait déjà, dans « Salons de 1845, à propos d’un sergent de ville, un municipal, qui donnait des coups de crosse à un émeutier :

    « Crosse, crosse un peu plus fort, crosse encore, municipal de mon cœur, car en ce crossement suprême, je t’adore et je te juge semblable à Jupiter le grand justicier. L’homme que tu crosses est un ennemi des fleurs et des parfums. (…) Crosse religieusement les omoplates de l’anarchiste. »

    Saint Marc de Girardin dans « Le journal des débats » d’août 1832 :

    « Les Barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ni dans les steppes de Tartarie, ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières. »

    Ernest Renan dans « Dialogues philosophiques » :

    « Il faut avouer que nous ne concevons guère la grande culture régnant sur une portion de l’humanité sans qu’une autre portion y serve en sous-ordre. L’essentiel est que la grande culture s’établisse et se rende maîtresse du monde. L’essentiel est moins de produire des masses éclairées que de produire des grands génies… Si l’ignorance des masses est une condition pour cela, tant pis. La nature ne s’arrête pas devant de tels soucis ; elle sacrifie des espèces entières pour que d’autres trouvent les conditions essentielles de leur vie (…) Le grand nombre doit penser et jouir par procuration. (…) La masse travaille, quelques-uns remplissent pour elle les hautes fonctions de la vie ; voilà l’humanité. (…) Quelques-uns vivent pour tous. Si on veut changer, personne ne vivra. »

    Ce n’est pas d’incompréhension que ces intellectuels souffrent, bien au contraire :

    Edmond de Goncourt dans son « Journal » :

    « Enfermer dans Paris cent mille hommes indisciplinés et démoralisés par leurs défaites, en ces jours de famine qui vont précéder le ravitaillement, n’est-ce pas enfermer la rébellion, l’émeute, le pillage ? »

    Ceci le 30 janvier 1871.

    Et le 28 mars 1871 :

    « Ce qui arrive est tout uniment la conquête de la France par l’ouvrier et l’asservissement sous son despotisme du noble, du bourgeois, du paysan. Le gouvernement quitte les mains de ceux qui possèdent pour aller aux mains de ceux qui ne possèdent pas, de ceux qui ont un intérêt matériel à la conservation de la société à ceux qui sont complètement désintéressés d’ordre, de stabilité, de conservation… »

    Cela n’empêchera pas un Zola d’écrire après le massacre de la Commune :

    « Le bain de sang qu’il (le peuple de Paris) vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. »

    Georges Sans écrit sur les Communards :

    « Ces hommes ont été mus par la haine, l’ambition déçue, le patriotisme mal entendu, le fanatisme sans idéal, la niaiserie du sentiment ou la méchanceté naturelle. »

    Leconte de Lisle :

    « Nous avons été la proie d’un soulèvement de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs… etc. (…) J’espère que la répression sera telle que rien ne bougera plus. »

    Francisque Sarcey :

    « Dût-on noyer cette insurrection dans le sang, dût-on l’ensevelir sous les ruines de la ville en feu, il n’y a pas de compromis possible. »

    Et dans un reste de conscience, Leconte de Lisle :

    « Tout n’est pas dit et le jour de cette ruine totale n’est peut-être pas éloigné. Le prolétariat triomphera inévitablement, et ce sera la fin de la France. Après tout, ni le civilisations, ni les nations ne sont immortelles. »

  • Adolphe Thiers, assassin de la Commune, montrait bien son visage lors de la loi Falloux, déclarant : "Je demande que l’action du curé soit forte, beaucoup plus forte qu’elle ne l’est, parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir... D’ailleurs l’enseignement primaire ne doit pas être forcément à la portée de tous, j’irai même jusqu’à dire que l’instruction est, selon moi, un commencement d’aisance et que l’aisance n’est pas réservée à tous."

  • Les écrivains contre la Commune de Paul Lidsky

    Les éditions La Découverte viennent de rééditer l’étude de Paul Lidsky consacrée à l’attitude des écrivains français face à la Commune de Paris en 1871. Paru pour la première fois il y a trente ans, ce livre d’un réel intérêt était devenu introuvable depuis fort longtemps.

    Du 18 mars au 21 mai 1871, à Paris, le pouvoir fut entre les mains du petit peuple parisien. La Commune, cet « Etat d’un type nouveau » selon l’expression de Marx, gouverna, organisa, contrôla tout ce qui était nécessaire à la vie de la population. Elle fut en quelque sorte le premier Etat ouvrier, le premier exemple au monde de ce qu’est « la dictature du prolétariat » au sens que lui donna Marx. Contre la Commune de Paris, la bourgeoisie française trouva immédiatement une alliée dans l’intelligentsia littéraire, qui mit sa plume au service des possédants et de la réaction. A l’exception de Jules Vallès, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Villiers de l’Isle-Adam, qui sympathisèrent plus ou moins avec les communards, et de Victor Hugo qui adopta une attitude de neutralité, la très grande majorité des écrivains de l’époque, par-delà les clivages politiques, se retrouva soudée dans une même haine de classe pour condamner la Commune de Paris.

    Au premier rang, se situent les écrivains conservateurs comme Maxime Du Camp et Gustave Flaubert, ainsi que les royalistes comme Alphonse Daudet, le comte de Gobineau, Ernest Renan, la comtesse de Ségur, Taine et bien d’autres encore, sans oublier les très réactionnaires Leconte de Lisle et Théophile Gautier. Viennent ensuite les républicains et les modérés comme François Coppée et Anatole France (qui n’évolua politiquement que bien des années plus tard), Catulle Mendès, Richepin, George Sand et Emile Zola.

    Certes, il y a des nuances entre l’hystérie d’un Théophile Gautier et la condamnation plus modérée d’un Catulle Mendès ou d’un Emile Zola. Mais la dénonciation des communards était unanime, même si les écrivains adoptèrent une position sensiblement différente selon qu’ils vécurent à Paris, se laissant parfois gagner par l’enthousiasme populaire, ou bien se réfugièrent à Versailles où ils se firent alors les propagandistes zélés de Thiers et de son gouvernement tout à ses préparatifs de la répression. Lorsque certains écrivains restèrent isolés en province, ce fut pour prendre comme argent comptant les pires calomnies distillées par les Versaillais.

    Oscillant entre l’outrance verbale et le schématisme le plus grossier, ne reculant devant aucun manichéisme et développant à l’extrême la caricature, la littérature anticommunarde laisse suinter, à toutes les lignes, la haine de ces écrivains à l’égard de la classe ouvrière.

    Dans son livre, Paul Lidsky analyse les convictions politiques et littéraires de ces écrivains anticommunards, montre comment ils raisonnaient, pensaient, et avec quels préjugés de classe.

    De l’ancien « révolutionnaire romantique » de 1848 au monarchiste le plus réactionnaire, tous ces écrivains partagaient l’avis (unanime à l’époque dans les milieux bourgeois) que les classes laborieuses étaient avant tout des classes dangereuses. Pour eux, la Commune résultait de la « fièvre », de la « canaille », de la « populace » mue par « l’envie ». Ils n’hésitèrent pas à comparer le prolétariat à une « race nuisible », les ouvriers à des « bêtes enragées », à des « nouveaux barbares » menaçant la « civilisation ». Ainsi en est-il d’un Théophile Gautier qui comparait avec rage les Communards à des animaux dans Tableaux du siège, Paris, 1870-1871.

    Du 22 au 28 mai 1871, la Commune fut réprimée dans le sang par les troupes versaillaises qui firent près de 30 000 morts parmi les Parisiens. Cette « semaine sanglante » fut d’autant plus sauvage que la frayeur éprouvée par la bourgeoisie, devant l’audace du peuple de Paris partant à l’assaut du ciel et renversant les bases de son pouvoir, avait été grande. La plupart des écrivains attendaient cette répression, la souhaitaient, voire l’avaient réclamée à cor et à cri. Pour Edmond de Goncourt, « les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle ». Opinion comparable chez Leconte de Lisle, qui espère « que la répression sera telle que rien ne bougera plus, et pour mon compte, je désirerais qu’elle fût radicale ». La répression ne fut pas assez féroce au goût d’un Flaubert qui, dans une lettre à George Sand, le 18 octobre 1871, trouvait « qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés, et point pour ceux qu’ils ont mordus ». Des lignes qui se passent de commentaire.

    Pertinent et accusateur, ce petit livre sur ce qu’ont pu écrire ces écrivains, très engagés aux côtés de la bourgeoisie de l’époque, est à lire et à faire lire.

    René CYRILLE

    Les écrivains contre la Commune, de Paul Lidsky, Ed. La Découverte

  • Gustave Flaubert avait fait chorus avec la plupart des écrivains, artistes et journalistes de renom pour exprimer sa haine sans bornes des Communards. Il avait réagi en bourgeois ordinaire, terrorisé par les ouvriers et réclamant la terreur à leur égard. On lit dans sa correspondance :

    « Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou et en simples forçats. »

    Il écrit à George Sand :

    « Ah ! Dieu merci, les Prussiens sont là, c’est le cri universel des bourgeois. Je mets dans le même sac messieurs les ouvriers, et qu’on f…le tout ensemble dans la rivière !... »

  • Leconte de Lisle accusait les intellectuels insurgés d’appartenir à la "ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs, mauvais poètes, mauvais peintres, journalistes manqués, romanciers de bas étage".

  • George Sand, bien qu’ayant été au coeur de la lutte lors de la Révolution de 1848, a vécu la Commune comme une "horrible aventure" : "Ils rançonnent, ils menacent, ils arrêtent, ils jugent. Ils ont pris toutes les mairies, tous les établissements publics, ils pillent les munitions et les vivres"

  • « Puisque la société française en est arrivé à cet état de perturbation morale, que les idées les plus naturelles, les plus évidentes, les plus universellement répandues, sont mises en doute, audacieusement niées, qu’il nous soit permis de les démontrer comme si elles en avaient besoin. C’est une tâche fastidieuse et difficile, car il n’y a rien de plus fastidieux, rien de plus difficile que de vouloir démontrer l’évidence. »

    De la propriété, Adolphe Thiers

  • « Le jour du Conseil des Ministres [le 17 février 1871] à l’issue duquel sera prise la décision de reprendre les canons par la force, Thiers n’avait trouvé d’appui réel dans sa politique de fermeté que chez Jules Ferry, alors Délégué du Gouvernement à la mairie de Paris. »

    La république absolue, Odile Rudelle

    Vous savez Jules Ferry, ce modèle de François Hollande...

  • Encore un écrivain contre la Commune de Paris révolutionnaire : Emile Zola dans "La débâcle" :

    Son exaltation grandissait, il n’écoutait même plus les supplications d’Henriette et de Jean, terrifiés. Et il continuait, dans une fièvre chaude, abondante en symboles, en images éclatantes. C’était la partie saine de la France, la raisonnable, la pondérée, la paysanne, celle qui était restée le plus près de la terre, qui supprimait la partie folle, exaspérée, gâtée par l’empire, détraquée de rêveries et de jouissances ; et il lui avait ainsi fallu couper dans sa chair même, avec un arrachement de tout l’être, sans trop savoir ce qu’elle faisait. Mais le bain de sang était nécessaire, et de sang français, l’abominable holocauste, le sacrifice vivant, au milieu du feu purificateur. Désormais, le calvaire était monté jusqu’à la plus terrifiante des agonies, la nation crucifiée expiait ses fautes et allait renaître.

    — Mon vieux Jean, tu es le simple et le solide… Va, va ! Prends la pioche, prends la truelle ! Et retourne le champ, et rebâtis la maison !… Moi, tu as bien fait de m’abattre, puisque j’étais l’ulcère collé à tes os !

    Il délira encore, il voulut se lever, s’accouder à la fenêtre.

    — Paris brûle, rien ne restera… Ah ! Cette flamme qui emporte tout, qui guérit tout, je l’ai voulue, oui ! Elle fait la bonne besogne… Laissez-moi descendre, laissez-moi achever l’œuvre d’humanité et de liberté…

  • .
    En 1871, Gustave Flaubert avait fait chorus avec la plupart des écrivains, artistes et journalistes de renom pour exprimer sa haine sans bornes des Communards. Il avait réagi en bourgeois ordinaire, terrorisé par les ouvriers et réclamant la terreur à leur égard. On lit dans sa correspondance :

    « Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou et en simples forçats. »

    Il écrit à George Sand :

    « Ah ! Dieu merci, les Prussiens sont là, c’est le cri universel des bourgeois. Je mets dans le même sac messieurs les ouvriers, et qu’on f…le tout ensemble dans la rivière !... »

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