mardi 8 mars 2022, par
,Bien des gens s’imaginent que la guerre va rester cantonnée à l’Ukraine et c’est possible pendant un certain temps. Mais ce n’est pas juste un accident guerrier qui va s’arrêter là. Même si des négociations mènent au retrait militaire russe, cela ouvre une nouvelle période qui sera celle des confrontations entre les blocs, celle des guerres ou menaces de guerres, celle de la course aux armements, celle des confrontations violentes qui justifieront des politiques violentes des États, intérieures comme extérieures. C’est une nouvelle période pour l’Europe et pour le monde.
Le camp occidental tient à faire croire qu’il ne s’agit nullement de guerre inter-impérialiste et que seule la Russie veut la guerre. C’est très compliqué pour les gouvernants occidentaux, comme on vient de la voir avec le président de la bourgeoisie française et de l’impérialisme bleu-blanc-rouge, de se dire en guerre aux côtés du peuple ukrainien et, en même temps, d’affirmer qu’ils ne sont pas en guerre et que seule la Russie l’est. C’est indispensable de faire ce grand écart de déclarations pour, d’un côté, expliquer qu’on occupe militairement l’Europe de l’Est pour aider militairement les Ukrainiens envahis, et, de l’autre, que l’on n’a pas déclaré la guerre à la Russie, qu’on ne la souhaite absolument pas, qu’on n’y a aucun intérêt, que tout le camp occidental serait purement pacifiste dans cette affaire qui opposerait seulement Russie et Ukraine. C’est prendre les gens pour des naïfs : il est évident que l’OTAN, les USA et l’Europe sont dans un camp dans cette guerre et la Russie dans l’autre.
Bien sûr, chacun, dans le camp occidental, croit savoir que c’est la Russie qui a tout à gagner à cette guerre pour reconstituer son empire éclaté depuis la chute de l’URSS et aussi pour rendre Poutine plus populaire dans le camp des nationalistes russes. Bien sûr, chacun croit savoir que c’est Poutine qui a tout intérêt à cultiver les sentiments nationaux russes et qui a depuis longtemps surfé sur cette aspiration d’une partie de la population russe au retour à la grandeur passée de l’empire dont l’Ukraine était une partie essentielle. Il l’a bien démontré, pensent-ils, en Crimée.
Pour le grand public, Poutine a une allure bien plus dictatoriale et militariste que Biden, ais c’est pure apparence. Biden a conduit la guerre américaine pendant bien plus d’années et de manière bien plus sanglante que Poutine. Car Biden, c’est le grand ordonnateur de la guerre américaine en Irak. C’est à cette époque que l’armée américaine enfermait ses ennemis (ou ennemis supposés) dans des containers immenses qui étaient ensuite mitraillés. Et ce n’est qu’un exemple des violences massives américaines ordonnées par un certain Biden…
Biden a fondé l’essentiel de son programme politique sur la guerre contre la Russie et la Chine et c’est sur cette base qu’il a été élu. Il faut dire que, son adversaire Trump, lui, s’était fondé sur la paix avec le bloc ennemi et prétendait parvenir ainsi à remonter l’Amérique contre le bloc adverse sur le plan économique. Mais il n’y était pas parvenu. Cela fait que les commentateurs internationaux, bien avant toute velléité russe en Ukraine, affirmaient que l’élection de Biden à la présidence des USA signifiait à court terme la guerre avec Russie et Chine ! Ils ne prêtaient pas alors la responsabilité exclusive de la guerre à la seule Russie et au seul Poutine, mais à un besoin irrépressible des Etats-Unis de combattre sur le terrain militaire leur principal adversaireéconomique !
Au contraire, le bloc Russie-Chine répétait sans cesse qu’il ne souhaitait que la paix, celle-ci leur permettant de gagner sans cesse des parts de marchés et de conquérir des positions de plus en plus dominantes. Au point que le nombre de pays qui rejoignaient leur alliance internationale grandissait plus que le nomde de pays (essentiellement en Europe de l’Est) qui gagnaient l’OTAN, alliance anti-russe. La paix est donc nécessairement plus intéressante pour le camp Russie-Chine et pas par pacifisme !
D’ailleurs, l’impérialisme russe, après son échec cuisant en Afghanistan, a beaucoup plus appris qu’une défaite militaire peut faire perdre beaucoup de pouvoir, que l’impérialisme américain qui a essuyé bien des défaites sans en être menacé, notamment en Corée ou au Vietnam et dans toute l’Indochine.
Cela ne veut pas dire que le bloc impérialiste Russie-Chine et leurs alliés soit pacifiste ni anti-guerre ni moins dangereux ni moins impérialiste que le bloc USA-Canada-Australie-Japon-Europe. Ils n’ont pas les mêmes atouts, ni le même passé, ni les mêmes sources d’approvisionnement, ni les mêmes types d’armées, etc.
Tout le monde que la confrontation frontale avec tous les moyens militaires de chaque puissance mis en jeu signifierait un recul effroyable pour l’humanité, mais des grandes puissances peuvent se confronter plus lentement, à plus petite échelle, plus localement, et de manière plus lente qu’un simple envoi de missiles porteurs d’ogives nucléaires contre les grandes villes de l’adversaire. Les impérialismes peuvent parfaitement choisir de mettre le monde en guerre et pratiquer d’abord une drôle de guerre, leur permettant de rendre leur camp encore plus dictatorial.
Dans chaque pays, quiconque ne soutiendrait pas leur guerre serait taxé de trahison et traité comme tel. Tous les pays se transformeraient ainsi en dictatures. On voit d’ailleurs déjà ce type d’évolution se profiler, avec les attaques contre des personnes d’origine russe, dans de nombreuses professions de l’art, du sport, des spectacles, licenciées comme le chef d’orchestre russe Valéry Gergiev de l’orchestre de Vienne simplement parce qu’ils sont russes et n’ont pas fait de déclaration publique anti-Poutine ! Quand un pays est en guerre, un homme public qui ne se solidarise pas avec cette guerre est directement menacé…
Quand les puissances occidentales s’attaquent à tous les Russes, seulement à cause de leur nationalité, les éliminent des jeux sportifs, des participations artistiques, des activités de toutes sortes, s’attaquent à eux en tant que musiciens, que restaurateurs, qu’intellectuels, aussi bien que comme milliardaires ou comme généraux, s’en prennent non aux dictateurs mais à tout un peuple, est-ce pour démontrer le caractère démocratique du monde occidental, ou est-ce plutôt pour attiser le chauvinisme violent, pour solidariser tous les Russes avec Poutine en obligeant tous les Occidentaux à se solidariser avec Biden ?
Il est certain que, pendant des années, la domination américaine sur le monde était complètement incontestée. Mais ce n’est plus le cas et il ne peut pas y avoir plusieurs centres de domination sans que ceux-ci souhaitent la confrontation, ne serait-ce que pour mesurer qui l’emporte et trancher. Mais c’est loin d’être la seule raison de la guerre.
L’hostilité particulière des USA à l’égard de la Russie ne date pas de Biden, et pas même de Poutine. Il y a belle lurette que l’impérialisme américain, plus ou moins aidé en cela par les plus grandes puissances européennes, a entouré la Russie d’Etats qui lui sont violemment hostile et sont violemment pro-américains comme la Pologne.
Il est évident qu’en 2004 c’est tout le monde occidental qui a poussé le peuple ukrainien contre la Russie. Il est ainsi remarquable que ce dernier ait trouvé remarquable la mobilisation de Maidan alors qu’il n’a soutenu aucun des soulèvements du même type dans le monde. Il est aussi remarquable que ce soient les seules forces antidémocratiques et réactionnaires que ce monde dit démocratique aient soutenu au sein du soulèvement de 2004 à Kiev. Au nom de la liberté de l’Ukraine, il s’agissait surtout de former une nouvelle nation du cordon sanitaire anti-russe. Et l’Otan espérait bien la faire adhérer à son tour à l’alliance anti-russe. C’est cette menace qui, plus que toutes les autres, a mis le feu aux poudres. Cela signifie que les USA étaient parfaitement maîtres d’éviter la conflagration et qu’ils ont cherché au contraire à y pousser.
Si une partie de la population ukrainienne a pensé qu’elle n’avait rien à perdre à aller à la confrontation avec la Russie, c’est parce qu’elle a cru que l’Europe et les USA interviendraient militairement et immédiatement en cas d’attaque militaire russe et, visiblement, elle s’est trompée. L’opinion publique occidentale s’est trompée de même. Pourtant, le camp occidental dit « démocratique » s’est gardé de s’expliquer là-dessus et les commentateurs aux ordres n’ont pas posé la question. Les armées du camp occidental interviennent dans une partie de l’Europe de l’Est mais pas du tout en Ukraine !
La guerre en Europe a un autre avantage pour l’impérialisme américain : celui d’obliger toutes les puissances occidentales et notamment toutes celles d’Europe à s’aligner strictement sur les intérêts américains. Les gouvernants européens font semblant de l’avoir voulu de leur plein gré mais on voit bien qu’elles ont suivi de manière contrainte et forcée.
Autre étonnement : les forces occidentales ont limité leur aide militaire à l’Ukraine et n’en ont fourni aucune à la population ukrainienne. Armer le peuple n’a jamais été dans les us et coutumes des gouvernants capitalistes dans aucun conflit, dans aucune région du monde. Ils peuvent fournir des armes à des bandes armées mais de manière très limitée et à la population ils n’en fournissent pas du tout. Rappelons que l’alliance occidentale de la deuxième guerre mondiale ne voulait pas armer réellement la résistance en France ni armer les maquis.
Si le prétexte des interventions armées impérialistes est d’aider des peuples, cela ne va jamais jusqu’à aider ces peuples à se libérer eux-mêmes. Pire même, s’il s’avère qu’un peuple a tendance à se libérer lui-même d’un dictateur, comme le peuple irakien contre Saddam Hussein, alors l’impérialisme sauve encore le dictateur contre son peuple, quitte à faire ensuite une guerre soi-disant pour le renverser !
Mais, direz-vous, les puissances occidentales sont pacifistes et ne veulent pas la guerre. Pourtant il suffit d’écouter Macron dire que la guerre va s’étendre à toute l’Europe et qu’elle va être de longue durée pour sentir combien il est satisfait d’avoir un bon prétexte pour annoncer au peuple français des temps difficiles et des aides financières aux capitalistes et combien il compte que la guerre le sauve de toutes les luttes sociales, de toutes les luttes de gilets jaunes, de toutes les luttes des anti-pass, de toute la révolte sociale qui monte. Et ce n’est pas tout, il compte que la guerre lui permette d’étouffer toute critique, toute liberté. Ainsi, on commence par affirmer que quiconque soutient Poutine devient un ennemi, puis c’est quiconque ne déclare pas être contre Poutine. D’ailleurs, on voit immédiatement tous les candidats à la présidentielle prendre le tournant, tous les média, toutes les organisations syndicales, tous se mettre dans le rang, au garde à vous derrière le gouvernement français, soi-disant pour clamer « à bas la guerre » mais pas, surtout pas, à bas la guerre de la France en Europe, à bas l’envoi de l’armée française en Roumanie par exemple !
D’autres peuvent souligner que les puissances occidentales essaient une autre arme qui peut faire reculer Poutine : la « guerre économique ». C’est le terme employé (puis retiré) par le ministre français de l’économie Le Maire. C’est aussi la réalité d’une des interventions des USA avec de multiples mesures de blocage des relations commerciales, bancaires et financières. Mais on peut difficilement faire passer cette intervention agressive économiquement contre la Russie pour une réaction à la guerre russe puisque l’essentiel de ces mesures a été décidé et mis en œuvre avant la guerre en Ukraine. C’est même ces mesures, décrétées et maintenues alors que la Russie annonçait arrêter ses manœuvres militaires, qui ont poussé la Russie vers la radicalisation de l’affrontement puisqu’il n’y avait plus rien à perdre. Le boutefeu de guerre a donc été bien plus Biden que Poutine. Même Macron, qui se dit pacifiste, s’est adressé d’abord aux troupes armées pour leur dire qu’on allait faire appel à elles dans le cadre de la guerre contre la Russie, avant de s’adresser à la population pour lui dire qu’il n’était pas en guerre contre la Russie. Belle démonstration d’hypocrisie et de retour aux « mensonges de guerre » !
La guerre économique, présentée comme une arme pacifique pour arrêter la guerre tout court, est en fait bien plus le but qu’un simple moyen « non violent ». En effet, les puissances occidentales considèrent que, si la paix favorise le camp Russie-Chine, ils peuvent les faire reculer par la guerre et notamment par la guerre économique qui peut leur faire perdre économiquement bien plus que militairement !
Oui, si en temps de paix le camp occidental perd des parts de marchés, en période de guerre économique, c’est plutôt le camp Russie-Chine qui en perd.
Et c’est effectivement l’économie qui explique la guerre et pas seulement par la concurrence entre les deux grands blocs impérialistes mondiaux. L’économie capitaliste est entrée dans une phase critique, celle où chaque mesure économique ou financière pour aider le système ne fait que le faire plonger davantage, et notamment les interventions financières massives pour « aider l’économie » qui créent une masse de capitaux « liquides » qui étouffent finalement l’économie. Dès lors, la guerre économique peut être un moyen trouvé pour pallier à cette situation, donner notamment de nouvelles justifications pour d’un côté aider les capitalistes, notamment par la relance de la production d’armes, et de l’autre par les sacrifices exigés à la population sous prétexte de guerre pour aider un peuple agressé.
La France et ses alliés occidentaux ne sont pas les seuls à jouer les hypocrites. Actuellement, Russie et Chine font semblant d’être moins proches et de défendre séparément leurs intérêts, la Chine jouant elle aussi les pacifistes. Dans ce camp aussi, le mensonge de guerre est roi…
La déliquescence actuelle du système capitaliste n’est nullement un produit de la guerre d’Ukraine. Elle n’a pas attendu celle-ci pour se manifester et menacer le monde capitaliste. La chute ne menace pas seulement le bloc occidental mais tout aussi bien le bloc Russie-Chine. Les uns comme les autres n’ont pas de solution face à la chute des investissements productifs rentables, chute relative par rapport au total des capitaux et due au fait que ce total atteint des sommets bien trop importants pour que le système leur trouve des débouchés. Si l’industrie chinoise par exemple, ou russe dans quelques domaines, ont connu des succès, ceux-ci ne suffisent nullement à digérer la masse des capitaux nouveaux accumulés. Du coup, les spéculations vont bon train et les banques centrales dépensent des sommes colossales à racheter les titres pourris, à avaler les dettes des Etats et à sauver trusts et banques.
Bien sûr, la guerre, en poussant la production d’armes, en remontant le cours des matières premières, en justifiant des aides d’État aux capitalistes, aide certain d’entre eux mais cela ne peut suffire à sauver le système. Capitalistes chinois, russes comme occidentaux le savent.
Ils savent tous très bien que ce n’est pas la guerre en Ukraine qui déterminera le moment où l’ensemble du monde capitaliste préférera la guerre mondiale que la paix armée. Ce moment sera déterminé par l’existence d’une chute absolument inévitable et la guerre éclatera quelques jours avant…
La guerre mondiale est donc aussi inévitable que la chute du capitalisme et sa date est déterminée par elle. Tant qu’elle ne sera pas irrésistible, tant que les banques centrales pourront réagir financièrement à la chute économique, tant que la crise des liquidités et que la crise de l’inflation ne prendront pas un tour catastrophique, la guerre restera suspendue au-dessus de nos têtes sans éclater, sans que les deux blocs se confrontent directement et l’hypocrisie restera de mise. Voilà pourquoi les puissances occidentales se refusent encore à intervenir en Ukraine et leur prétendue solidarité avec le peuple ukrainien en reste au prétendu pacifisme. Ils ne peuvent pas s’en expliquer sans dévoiler l’ensemble de leurs calculs et leur pessimisme sur l’avenir du capitalisme. Les peuples, eux, restent dans l’ignorance des enjeux et des perspectives…
Plus que jamais pour le peuple travailleur, le seul avenir consiste non à clamer « la paix » ou « les salaires » mais à se préparer à la lourde tâche d’assumer la direction de la société humaine, parce que le capitalisme est devenu un système du passé, même s’il s’accroche au pouvoir.