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La situation en France en 1938, du front populaire au fascisme et à la guerre mondiale

lundi 9 mai 2022, par Robert Paris

Du front populaire de 1936 en France à la guerre mondiale, lire aussi :

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article525

Léon Trotsky

L’heure de la décision approche : sur la situation en France

18 décembre 1938

Chaque jour, que nous le voulons ou non, nous nous persuadons que la Terre continue à tourner autour de son axe. De même, les lois de la lutte des classes agissent indépendamment du fait que nous les reconnaissions ou non. Elles continuent à agir en dépit de la politique du Front populaire. La lutte des classes fait des Fronts populaires son instrument. Après l’expérience de la Tchécoslovaquie, c’est maintenant le tour de la France : les plus bornés et les plus arriérés ont une nouvelle occasion de s’instruire.

Le Front populaire est une coalition de partis. Toute coalition, c’est-à-dire toute alliance politique durable a nécessairement comme programme d’action, le programme du plus mesuré des partis coalisés. Le Front populaire signifiait dès le début que socialistes et communistes plaçaient leur activité politique sous le contrôle des radicaux. Les radicaux français représentent le flanc gauche de la bourgeoisie impérialiste. Sur le drapeau du parti radical sont inscrits "patriotisme" et "démocratie". Le patriotisme signifie la défense de l’empire colonial de la France ; la "démocratie" ne signifie rien de réel, mais sert seulement à enchaîner au char de l’impérialisme les classes petites-bourgeoises. C’est précisément parce que les radicaux unissent l’impérialisme pillard à une démocratie de façade que, plus que tout autre parti, ils sont contraints de mentir et de tromper les masses populaires. On peut dire sans exagération que le parti de Herriot-Daladier est le plus dépravé de tous les partis français, représentant une sorte de bouillon de culture pour les carriéristes, les individus vénaux, les affairistes de la Bourse et, en général, les aventuriers de toute sorte. Puisque les partis du Front populaire ne pouvaient aller au-delà du programme des radicaux, cela signifiait pratiquement qu’il soumettait les ouvriers et les paysans au programme impérialiste de l’aile la plus corrompue de la bourgeoisie.
LE ROLE DU PARTI RADICAL.

Pour justifier la politique du Front populaire, on invoqua la nécessité de l’alliance du prolétariat et de la petite bourgeoisie. Il est impossible d’imaginer mensonge plus grossier ! Le parti radical exprime les intérêts de la grande bourgeoisie et non de la petite. Par son essence même, il représente l’appareil politique de l’exploitation de la petite bourgeoisie par l’impérialisme. L’alliance avec le parti radical est par conséquent une alliance, non avec la petite bourgeoisie, mais avec ses exploiteurs. Réaliser la véritable alliance des ouvriers et des paysans n’est possible qu’en enseignant à la petite bourgeoisie comment s’affranchir du parti radical et rejeter une fois pour toutes son joug de sa nuque. Cependant le Front populaire agit en sens exactement opposé : entrés dans ce "front", socialistes et communistes prennent sur eux la responsabilité du parti radical et l’aident ainsi à exploiter et à tromper les masses populaires.

En 1936, socialistes, communistes et anarcho-syndicalistes aidèrent le parti radical à freiner et à émietter le puissant mouvement révolutionnaire. Le grand capital réussit dans les deux dernières années et demi à se remettre quelque peu de son effroi. Le Front populaire, ayant rempli son rôle de frein, ne représente dès lors pour la bourgeoisie qu’une gêne inutile. L’orientation internationale de l’impérialisme français changea aussi. L’alliance avec l’U.R.S.S. fut reconnue de peu de valeur et de grand risque, l’accord avec l’Allemagne nécessaire. Les radicaux reçurent du capital financier l’ordre de rompre avec leurs alliés, les socialistes et les communistes [1] . Comme toujours, ils l’exécutèrent sans broncher. L’absence d’opposition chez les radicaux lors du changement de cours démontra une fois de plus que ce parti était impérialiste par essence et "démocratique" seulement en paroles. Le gouvernement radical, rejetant toutes les leçons du Komintern sur le "Front unique des démocraties", se rapproche de l’Allemagne fasciste et, en passant, comme c’était évident, reprend toutes les "lois sociales" qui avaient été le produit accessoire du mouvement des ouvriers en 1936. Tout cela s’accomplit selon les strictes lois de la lutte des classes, et c’est pourquoi cela pouvait être prévu-et le fut en effet.

Mais les socialistes et les communistes, petits-bourgeois aveugles, se sont trouvés pris à l’improviste et ont couvert leur désarroi de vides déclamations : comment ? eux, patriotes et démocrates, ils ont aidé à rétablir l’ordre, ils sont venus à bout du mouvement ouvrier, ils ont rendu des services inappréciables à la "République", c’est-à-dire à la bourgeoisie impérialiste, et maintenant, on les jette sans cérémonie à la poubelle. En fait, s’ils sont jetés dehors, c’est précisément pour avoir rendu à la bourgeoisie tous les services énumérés ci-dessus. La reconnaissance n’a jamais encore été un facteur de la lutte des classes.
LE MECONTENTEMENT DES MASSES.

Le mécontentement des masses trompées est grand. Jouhaux, Blum et Thorez sont contraints de faire quelque chose pour ne pas perdre définitivement leur crédit. En réponse au mouvement spontané des ouvriers, Jouhaux proclame la "grève générale", la protestation des "bras croisés" ; Protestation légale, pacifique, tout à fait inoffensive ! Pour vingt-quatre heures seulement, explique-t-il avec un sourire déférent à l’adresse de la bourgeoisie. L’ordre ne sera pas troublé, les ouvriers conserveront un calme "digne", pas une cheveu ne tombera de la tête des classes dominantes. Il en donne la garantie, lui, Jouhaux. "Ne me connaissez-vous pas, messieurs les banquiers, les industriels et les généraux ? Avez-vous oublié que je vous ai sauvés lors de la guerre de 1914-1918 ?" Blum et Thorez secondent, de leur côté, le secrétaire général de la C.G.T. : "Uniquement une protestation pacifique, une petite protestation sympathique, patriotique !". Entre-temps, Daladier rappelle des catégories importantes d’ouvriers et met la troupe en alerte. Face au prolétariat aux bras croisés, la bourgeoisie, affranchie, grâce au Front populaire, de sa panique, ne se prépare nullement, elle, à croiser les bras ; elle a l’intention d’utiliser la démoralisation engendrée par le Front populaire dans les rangs ouvriers pour porter un coup décisif. Dans ces conditions, la grève ne pouvait se terminer que par un échec.

Les ouvriers français avaient passé récemment par un tumultueux mouvement gréviste avec occupation des usines. L’étape suivante ne pouvait être pour eux qu’une véritable grève générale révolutionnaire qui mît à l’ordre du jour la conquête du pouvoir. Personne n’indique ni ne peut indiquer aux masses aucune autre issue à la crise intérieure, aucun autre moyen de lutter contre le fascisme qui vient et la guerre qui approche. Chaque prolétaire français qui réfléchit comprend que le lendemain d’une grève théâtrale de 24 heures, les "bras croisés", la situation n’est pas meilleure, mais pire. Cependant, les catégories les plus importantes d’ouvriers risquent de la payer cruellement-et par la perte du travail, et par les amendes et par des peines de prison. Au nom de quoi ? L’ordre ne sera en aucun cas troublé, Jouhaux le jure. Tout restera en place : la propriété, la démocratie, les colonies et, avec elles, la misère, la vie chère, la réaction et le danger de guerre. Les masses sont capables de supporter les plus grands sacrifices, mais elles veulent savoir clairement quel est l’objectif, quelles sont les méthodes, qui est l’ami, qui est l’ennemi. Cependant les dirigeants des organisations ouvrières ont tout fait pour égarer et désorienter le prolétariat. Hier encore, le parti radical était glorifié comme le plus important élément du Front populaire, comme le représentant du progrès, de la démocratie, de la paix, etc. La confiance des ouvriers dans les radicaux n’était, certes, pas très grande. Mais ils toléraient les radicaux dans la mesure où ils faisaient confiance aux partis socialiste et communiste et à l’organisation syndicale. La rupture au sommet se produisit, comme toujours en pareil cas, inopinément. Les masses furent maintenues dans l’ignorance jusqu’au dernier moment. Pis encore, les masses reçurent toujours des informations propres à permettre à la bourgeoisie de prendre les ouvriers à l’improviste. Et pourtant les ouvriers se disposèrent d’eux-mêmes à entrer en lutte. Empêtrés dans leurs propres filets, les "chefs" appellent les masses -ne riez pas !- à la "grève générale". Contre qui ? Contre les "amis" d’hier. Au nom de quoi ? Nul ne le sait. L’opportunisme s’accompagne toujours de contorsions accessoires d’aventurisme.
DE JUIN 1936 A LA GREVE DU 30 NOVEMBRE.

La grève générale est, par son essence même, un moyen révolutionnaire de lutte. Dans la grève générale, le prolétariat se rassemble, en tant que classe, contre son ennemi de classe. L’emploi de la grève générale est absolument incompatible avec la politique du Front populaire, laquelle signifie l’alliance avec la bourgeoisie, c’est-à-dire la soumission du prolétariat à la bourgeoisie. Les misérables bureaucrates des partis socialiste et communiste, de même que des syndicats, considèrent le prolétariat comme un simple instrument auxiliaire de leurs combinaisons de coulisse avec la bourgeoisie. On proposait aux ouvriers de payer une simple démonstration par des sacrifices qui ne pouvaient avoir de sens qu’au cas où il se fût agi d’une lutte décisive [2] . Comme si l’on pouvait faire faire à ces masses de millions de travailleurs des demi-tours à droite et à gauche, selon les combinaisons parlementaires ! Au fond, Jouhaux, Blum et Thorez ont tout fait pour assurer l’échec de la grève ; eux-mêmes ne craignent pas la lutte moins que la bourgeoisie. Mais en même temps, ils se sont efforcés de se forger un alibi aux yeux du prolétariat. C’est l’habituelle ruse de guerre des réformistes : préparer l’échec de l’action des masses et accuser ensuite les masses de l’insuccès ou, ce qui ne vaut pas mieux, se vanter d’un succès qui n’a pas eu lieu. Peut-on s’étonner de ce que l’opportunisme, complété par des doses homéopathiques d’aventurisme, n’apporte aux ouvriers que défaites et humiliations ?

Le 9 juin 1936, nous écrivions : "La Révolution française a commencé." Il peut sembler que les événements aient réfuté ce diagnostic. La question est en réalité plus compliquée. Que la situation objective en France ait été et reste révolutionnaire, il ne peut y avoir de doute. Crise de la situation internationale de l’impérialisme français ; liée à elle, crise interne du capitalisme français ; crise financière de l’Etat ; crise politique de la démocratie ; désarroi extrême de la bourgeoisie ; absence manifeste d’issus dans les anciennes voies traditionnelles. Cependant, comme l’indiquait déjà Lénine en 1915 : "Ce n’est pas de toute situation révolutionnaire que surgit la révolution, mais seulement d’une situation telle qu’au changement objectif se joint un changement subjectif, à savoir la capacité de la classe révolutionnaire de mener des actions révolutionnaires de masse suffisamment puissantes pour briser (...) l’ancien gouvernement qui, jamais, même en période de crise, ne "tombe" si on ne le "fait" pas tomber." L’histoire récente a apporté une série de tragiques confirmations au fait que la révolution ne naît pas de toute situation révolutionnaire, mais qu’une situation révolutionnaire devient contre-révolutionnaire si le facteur subjectif, c’est-à-dire l’offensive révolutionnaire de la classe révolutionnaire, ne vient pas à temps en aide au facteur objectif.

Le grandiose tournant des grèves de 1936 a montré que le prolétariat français était prêt à la lutte révolutionnaire et qu’il était déjà entré dans la voie de la lutte. En ce sens, nous avions le plein droit d’écrire : "La Révolution française a commencé." Mais si "la révolution ne naît pas de toute situation révolutionnaire", toute révolution commençante n’est pas non plus assurée d’un développement ultérieur continu. Le commencement d’une révolution qui jette dans l’arène de jeunes générations est toujours teinté d’illusions, d’espoirs naïfs et de crédulité. La révolution a d’ordinaire besoin d’un rude coup de la part de la réaction pour faire un pas en avant plus décisif. Si la bourgeoisie française avait répondu aux grèves avec occupation des usines et aux démonstrations par des mesures policières et militaires-et cela se serait inévitablement produit si elle n’avait pas eu à son service Blum, Jouhaux, Thorez et Cie-, le mouvement, à un rythme accéléré, fut parvenu à un degré plus élevé, la lutte pour le pouvoir se serait indubitablement posée à l’ordre du jour. Mais la bourgeoisie, utilisant les services du Front populaire, a répondu par un recul apparent et des concessions temporaires : à l’offensive des grévistes, elle a opposé le ministère Blum, qui apparut aux ouvriers comme leur propre ou presque leur propre gouvernement. La C.G.T. et le Komintern ont soutenu de toutes leurs forces cette tromperie.

Quand on mène une lutte révolutionnaire pour le pouvoir, il faut voir clairement la classe à laquelle le pouvoir doit être arraché. Les ouvriers ne reconnaissaient pas l’ennemi, car il était déguisé en ami. Quand on lutte pour le pouvoir, il faut, en outre, des instruments de combat, le parti, les syndicats, les soviets. Ces instruments ont été enlevés aux ouvriers, car les chefs des organisations ouvrières ont construit un rempart autour du pouvoir bourgeois afin de le masquer, de le rendre méconnaissable et invulnérable. Ainsi la révolution commencée s’est trouvée freinée, arrêtée, démoralisée.

Les deux années et demie écoulées depuis lors ont découvert peu à peu l’impuissance, la fausseté et le vide du Front populaire. Ce qui était apparu aux masses travailleuses comme un gouvernement "populaire" s’est révélé un simple masque provisoire de la bourgeoisie impérialiste. Ce masque est maintenant jeté. La bourgeoisie pense, apparemment, que les ouvriers sont suffisamment trompés et affaiblis et que le danger immédiat de révolution est passé. Le ministère Daladier est seulement, selon le dessein de la bourgeoisie, une étape avant un gouvernement plus fort et plus sérieux de dictature impérialiste.
LA CRISE FRANÇAISE ET LE PROLETARIAT

La bourgeoisie a-t-elle raison dans son diagnostic ? Le danger immédiat est-il réellement passé pour elle ? Autrement dit, la révolution est-elle réellement remise à un avenir indéterminé, c’est-à-dire plus lointain ? Ce n’est nullement démontré. Des affirmations de ce genre sont pour le moins hâtives et prématurées. Le dernier mot de la crise actuelle n’est pas encore dit. En tout cas, il ne convient nullement au parti révolutionnaire d’être optimiste pour le compte de la bourgeoisie : c’est lui qui pénètre le premier sur le champ de bataille et le quitte le dernier.

La "démocratie" bourgeoise est devenue maintenant le privilège des nations exploiteuses et esclavagistes les plus puissantes et les plus riches. La France est de ce nombre : mais elle est, parmi elles, le chaînon le plus faible. Son poids économique spécifique ne correspond plus, depuis longtemps, à la situation mondiale qu’elle a héritée du passé. Voilà pourquoi la France impérialiste est en train de tomber sous les coups de l’Histoire qu’elle ne pourra esquiver. Les éléments fondamentaux de la situation révolutionnaire, non seulement n’ont pas disparu, mais se sont au contraire considérablement renforcés. La situation internationale et intérieure du pays a beaucoup empiré. Le danger de guerre s’est rapproché. Si l’effroi de la bourgeoisie devant la révolution s’est affaibli, la conscience générale de l’absence d’issue s’est plutôt accrue.

Mais comment se présentent les choses du point de vue du "facteur subjectif", c’est-à-dire de la disposition du prolétariat à lutter ? Cette question-précisément parce qu’elle concerne la sphère subjective et non objective-ne se résout pas par une investigation précise a priori. Ce qui décide, en fin de compte, c’est l’action vivante, c’est-à-dire la marche réelle de la lutte. Cependant certains points existent, non négligeables, qui permettent d’apprécier le "facteur subjectif" : on peut, même à grande distance, les déduire de l’expérience de la dernière "grève générale".

Nous ne pouvons malheureusement pas fournir ici une analyse détaillée de la lutte des ouvriers français dans la deuxième moitié de novembre et les premiers jours de décembre. Mais même les données les plus générales sont suffisantes pour la question qui nous intéresse. La participation à la grève de démonstration, alors qu’il y a cinq millions de membres de la C.G.T.-du moins sur le papier-est une défaite. Mais en tenant compte des conditions politiques indiquées plus haut et surtout du fait que les principaux "organisateurs" de la grève étaient en même temps les principaux briseurs de grève, le chiffre de deux millions de grévistes témoigne d’un esprit de lutte élevé de la part du prolétariat français. Cette conclusion devient beaucoup plus évidente et plus claire à la lumière des événements antérieurs. Les meetings et les manifestations tumultueuses, les rencontres avec la police et l’armée, les grèves, les occupations d’usines commencent le 17 novembre et vont en croissant avec la participation active des communistes, des socialistes et des syndicalistes du rang [3] . La C.G.T. commence manifestement à perdre pied dans les événements. Le 25 novembre, les bureaucrates syndicaux appellent à une grève pacifique, "non politique", pour le 30 novembre, c’est-à-dire cinq jours plus tard. En d’autres termes, au lieu de développer, d’étendre et de généraliser le mouvement réel qui prend des formes de plus en plus combatives, Jouhaux et Cie opposent à ce mouvement révolutionnaire l’idée creuse d’une protestation platonique. Le délai de cinq jours, dans un moment où chaque jour était un mois, était nécessaire aux bureaucrates pour paralyser, écraser, par une collaboration tacite avec les autorités, le mouvement qui se développait de façon indépendante et dont ils n’étaient pas moins effrayés que la bourgeoisie. Les mesures policières et militaires de Daladier ne purent avoir de sérieux effets que parce que Jouhaux et Cie poussèrent le mouvement dans une impasse.

La non-participation-ou la faible participation-à la "grève générale" des cheminots, des ouvriers de l’industrie de guerre, des métallurgistes et autres couches avancées du prolétariat n’eut nullement pour origine quelque indifférence de leur part : durant les deux semaines antérieures, les ouvriers de ces catégories avaient pris une part active à la lutte. Mais, précisément, les couches avancées comprirent mieux que les autres, surtout après les mesures de Daladier, qu’il ne s’agissait désormais ni de manifestations, ni de protestations platoniques, mais de la lutte pour le pouvoir. La participation à la grève de démonstration des couches ouvrières les plus arriérées ou les moins importantes du point de vue social témoigne d’autre part de la profondeur de la crise du pays et du fait que, dans les masses ouvrières, l’énergie révolutionnaire subsiste, en dépit des années de politique diluante du Front populaire.

Certes, il est arrivé dans l’histoire que, même après une défaite décisive et définitive de la révolution, les couches les plus retardataires de travailleurs aient continué à mener l’offensive, tandis que les cheminots, les métallurgistes et autres demeuraient passifs : c’est par exemple ce qui s’est passé en Russie après l’écrasement de l’insurrection de décembre 1905. Mais une telle situation était le résultat du fait que les couches avancées avaient déjà épuisé leurs forces auparavant, au cours de longs combats, grèves, lock-outs, manifestations, rencontres avec la police et l’armée, insurrections. On ne peut parler de rien de tel dans le cas du prolétariat français. Le mouvement de 1936 n’a nullement épuisé les forces de l’avant-garde. La déception provoquée par le Front populaire a pu, assurément, apporter une démoralisation temporaire dans certaines couches ; en revanche, elle a du exacerber la révolte et l’impatience des autres couches. En même temps, les mouvements de 1936 comme de 1938 ont dû enrichir tout le prolétariat d’une inappréciable expérience et faire surgir des milliers de chefs ouvriers locaux, indépendants de la bureaucratie officielle. Il faut savoir trouver accès à ces chefs, les lier entre eux, les armer d’un programme révolutionnaire.

Nous n’avons nullement l’intention de donner de loin des conseils à nos amis français qui se trouvent sur le terrain de l’action et peuvent tâter beaucoup mieux que nous le pouls des masses. Cependant, pour tous les marxistes révolutionnaires, il est maintenant plus que jamais évident que l’unique mesure sérieuse et définitive du rapport des forces, y compris de la disposition des masses à lutter, c’est l’action. La critique impitoyable de la II° et de la III° Internationales n’a une valeur révolutionnaire que dans la mesure où elle aide à mobiliser l’avant-garde pour une intervention directe dans les événements. Les mots d’ordre fondamentaux de la mobilisation sont donnés par le programme de la IV° Internationale, lequel, dans la période présente, a en France un caractère plus actuel que dans tout autre pays. Sur nos camarades repose une responsabilité politique immense. Aider la section française de la IV° Internationale de toutes ses forces et par tous les moyens, moraux et matériels, est le devoir le plus important et le plus impérieux de l’avant-garde révolutionnaire.
Notes

[1] Les décrets-lois Paul Reynaud prévoient le rétablissement de la semaine de six jours ("la fin de la semaine des deux dimanches", comme dit le ministre) la suppression des majorations pour les deux cent cinquante premières heures supplémentaires, le rétablissement du travail aux pièces, etc., et le recrutement de 1500 gendarmes supplémentaires.

[2] Selon Maurice Thorez, le bilan fut de 40 000 licenciés dans l’aviation, 32 000 lock-outés chez Renault, des dizaines de milliers dans la banlieue parisienne, 100 000 à Marseille, 80 000 mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, 100 000 dans le textile. Il faut ajouter à ce bilan des licenciements, les lourdes condamnations pour "atteinte à la liberté du travail", les déplacements d’office de fonctionnaires, etc.

[3] L’usine Renault, occupée le 23 novembre par les grévistes, est mise en état de défense par les travailleurs, malgré les efforts du maire SFIO de Boulogne, Morizet, et du député communiste Alfred Costes en faveur d’une évacuation. Pendant que le gouvernement concentre 100 pelotons de gardes mobiles et 1 500 agents autour des bâtiments, aucun tract n’appelle les entreprises voisines à la solidarité avec Renault. La bataille, commencée a 20 heures, dure jusqu’à 1 heure du matin, les ouvriers résistant d’atelier en atelier. L’Union syndicale de la région parisienne et la Fédération des Métaux (le Peuple, 25 novembre) appellent les ouvriers à "ne déclencher aucun mouvement prématuré". Les tribunaux prononceront plusieurs centaines de condamnations à des peines de prison ferme. Le députe Costes, devant les juges, incrimine "une poignée d’agitateurs se prétendant membres d’une IV° Internationale".

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