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Le parti communiste de gauche KAPD en Allemagne

vendredi 3 février 2023, par Robert Paris

Le parti communiste de gauche KAPD en Allemagne

Le résumé de wikipedia :

Le Parti communiste ouvrier d’Allemagne est fondé le 4 avril 1920 à Heidelberg. Il rassemble à ses débuts environ 50 000 militants. Herman Gorter est son principal animateur. À l’origine le parti reste « membre sympathisant » de l’Internationale communiste, malgré ses divergences politiques.

Le KAPD refusait toute participation aux élections. Opposé aux bolcheviks, le KAPD participe en avril 1920 au soulèvement de la Ruhr ; en 1921, il se joint à l’« Action de Mars », la tentative de coup de force du KPD, mais décide quelques mois plus tard de rompre avec l’Internationale communiste.

Une partie des militants souhaite créer une organisation « unifiée », à la fois politique et syndicale : une partie importante des militants quitte alors l’organisation pour fonder l’Union générale des travailleurs d’Allemagne - Organisation unitaire (AAUD-E). En 1922, une nouvelle scission intervient entre la « fraction d’Essen » et la « fraction de Berlin ». Ces scissions plombent le jeune parti qui ne rassemble plus que 5 000 militants. Beaucoup de militants retournèrent au KPD au cours des années 1920.

La « Fraction d’Essen » du KAPD était liée à l’Internationale communiste ouvrière. Le parti publie un journal, Kommunistische Arbeiter-Zeitung.

En 1933, une partie du KAPD finit par rejoindre l’Union communiste ouvrière d’Allemagne (KAUD). Des groupes de résistance anti-nazis se créeront dans la tradition du KAPD : les Roten Kämpfer, et la Kommunistische Räte-Union.

Le point de vue de Lénine

Le communisme de "gauche" en Allemagne. Chefs, partis, classe, masse.

Les communistes allemands dont nous aurons maintenant à parler ne se donnent pas le nom de communistes de "gauche", mais, si je ne me trompe, celui "d’opposition de principe". Mais qu’ils présentent des symptômes caractérisés de cette "maladie infantile, le gauchisme", c’est ce qu’on verra dans l’exposé ci-après. La brochure la Scission du Parti communiste d’Allemagne (Ligue Spartacus), publiée par le "groupe local de Francfort-sur-le-Main", et qui reflète le point de vue de cette opposition, expose avec un relief, une exactitude, une clarté et une concision extrêmes, le fond des idées de cette opposition. Quelques citations suffiront à le faire connaître au lecteur :

"Le parti communiste est le parti de la lutte de classe la plus décidée.. ".
" ...Au point de vue politique, cette période de transition" (entre le capitalisme et le socialisme) "est celle de la dictature du prolétariat..."

" ..La question se pose : qui doit exercer la dictature : i e Parti communiste ou la classe prolétarienne ? . . Faut-il tendre en principe à la dictature du Parti communiste ou à la dictature de la classe prolétarienne ?

Plus loin, le Comité central du Parti communiste d’Allemagne est accusé, par l’auteur de la brochure, de chercher un moyen de se coaliser avec le Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, et de n’avoir soulevé "la question de l’admission en principe de tous les moyens politiques" de lutte, y compris le parlementarisme, que pour cacher ses véritables et principales tendances à la coalition avec les indépendants. Et la brochure continue :

"L’opposition a choisi une autre voie. Elle est d’avis que la domination du Parti communiste et la dictature du Parti, ce n’est qu’une question de tactique. En tout cas, la domination du Parti communiste est la forme dernière de toute domination de parti. Il faut tendre en principe à la dictature de la classe prolétarienne. Et toutes les mesures prises par le parti, son organisation, ses formes de lutte, sa stratégie et sa tactique doivent être orientées vers ce but. Il faut par suite repousser de la façon la plus décidée tout compromis avec les autres partis, tout retour aux formes parlementaires de lutte qui, historiquement et politiquement, ont fait leur temps, toute politique de louvoiement et d’entente."

"Les méthodes spécifiquement prolétariennes de lutte révolutionnaire doivent être particulièrement soulignées. Et pour entraîner les plus larges milieux et couches de prolétaires qui doivent entrer dans la lutte révolutionnaire, sous la direction du Parti communiste, il faut créer de nouvelles formes d’organisation sur la plus large base et dans le plus large cadre. Le point de rassemblement de tous les éléments révolutionnaires est l’union ouvrière qui a à sa base les organisations d’usines. C’est là que doivent se réunir tous les ouvriers qui suivent le mot d’ordre : Sortez des syndicats ! C’est là que le prolétariat militant se formera en rangs serrés pour le combat. Pour y entrer il suffit de reconnaître la lutte de classes, le système des Soviets et la dictature. Ultérieurement, toute l’éducation politique des masses en lutte et l’orientation politique de la lutte incombent au Parti communiste qui reste en dehors de l’union ouvrière.

".. .Ainsi, deux partis communistes se trouvent maintenant en présence : L’un est le parti des chefs, qui entend organiser la lutte révolutionnaire et la diriger par en haut, acceptant tes compromis et le parlementarisme, afin de créer des situations permettant à ces chefs d’entrer dans un gouvernement de coalition qui détiendrait la dictature. L’autre est le parti des masses, qui attend l’essor de la lutte révolutionnaire d’en bas qui ne connaît et n’applique dans cette lutte que la seule méthode menant clairement au but ; qui repousse toutes les méthodes parlementaires et opportunistes ; cette seule méthode est celle du renversement résolu de la bourgeoisie, afin d’instituer ensuite la dictature prolétarienne de classe et réaliser le socialisme. "

" ..Là, c’est la dictature des chefs ; ici, c’est la dictature des masses ! Tel est notre mot d’ordre."

Telles sont les thèses essentielles qui caractérisent les vues de l’opposition dans le Parti communiste allemand.

Tout bolchevik qui a consciemment participé au développement du bolchevisme, ou l’a observé de près depuis 1903, dira aussitôt, après avoir lu ces raisonnements : "Quel vieux fatras connu de longue date ! Quel enfantillage de "gauche" !

Mais examinons de près les raisonnements cités.

La seule façon de poser la question : "dictature du parti ou bien dictature de la classe ? Dictature (parti) des chefs ou bien dictature (parti) des masses ?" témoigne déjà de la plus incroyable et désespérante confusion de pensée. Ces gens s’appliquent à inventer quelque chose de tout à fait original et, dans leur zèle à raffiner, ils se rendent ridicules. Tout le monde sait que les masses se divisent en classes ; qu’on ne peut opposer les masses et les classes que lorsqu’on oppose l’immense majorité dans son ensemble sans la différencier selon la position occupée dans le régime social de la production, et les catégories occupant chacune une position particulière dans ce régime ; que les classes sont dirigées, ordinairement, dans la plupart des cas, du moins dans les pays civilisés d’aujourd’hui, par des partis politiques ; que les partis politiques sont, en règle générale, dirigés par des groupes plus ou moins stables de personnes réunissant le maximum d’autorité, d’influence, d’expérience, portées par voie d’élection aux fonctions les plus responsables, et qu’on appelle les chefs. Tout cela ce n’est que l’a b c. Tout cela est simple et clair. Pourquoi a-t-on besoin d’y substituer je ne sais quel charabia, je ne sais quel nouveau volapük ? D’une part, il est évident que ces gens se sont empêtrés dans les difficultés d’une époque où la succession rapide de la légalité et de l’illégalité du parti trouble le rapport ordinaire, normal et simple entre chefs, partis et classes. En Allemagne, comme dans les autres pays d’Europe, on s’est trop habitué à la légalité, à l’élection libre et normale des "chefs" par les congrès réguliers des partis, à la vérification commode de la composition de classe des partis par les élections au parlement, les meetings, la presse, les dispositions d’esprit des syndicats et autres associations, etc. Quand il a fallu, par suite de la marche impétueuse de la révolution et du développement de la guerre civile, passer rapidement de cet état de choses coutumier à la succession, à la combinaison de la légalité et de l’illégalité, aux procédés "incommodes", "non démocratiques", de désignation, de formation ou de conservation des "groupes de dirigeants", on a perdu la tête et on s’est mis à imaginer des énormités. Sans doute les "tribunistes" hollandais qui ont eu le malheur de naître dans un petit pays jouissant des traditions et des conditions d’une légalité particulièrement stable et privilégiée, qui n’ont jamais vu se succéder la légalité et l’illégalité, se sont-ils empêtrés eux-mêmes ; ils ont perdu la tête et ont favorisé ces inventions absurdes.
D’autre part, on observe l’emploi simplement irréfléchi et illogique des vocables "à la mode", pour notre temps, sur la "masse" et les "chefs". Les gens ont beaucoup entendu parler des "chefs", ils ont la tête pleine d’attaques de toute sorte contre eux, ils se sont habitués à les voir opposer à la "masse" ; mais ils n’ont pas su réfléchir au pourquoi de la chose, y voir clair.
C’est surtout à la fin de la guerre impérialiste et dans l’après-guerre que le dissentiment entre les "chefs" et la "masse" s’est marqué dans tous les pays avec le plus de force et de relief. La cause principale de ce phénomène a été maintes fois expliquée par Marx et Engels, de 1852- 1892, par l’exemple de l’Angleterre. La situation exclusive de l’Angleterre donnait naissance à une "aristocratie ouvrière", à demi petite-bourgeoise, opportuniste, issue de la "masse". Les chefs de cette aristocratie ouvrière passaient continuellement aux côtés de la bourgeoisie qui les entretenait, directement ou indirectement. Marx s’attira la haine flatteuse de cette racaille pour les avoir ouvertement taxés de trahison. L’impérialisme moderne (du XX° siècle) a créé à quelques pays avancés une situation exceptionnellement privilégiée, et c’est sur ce terrain qu’on a vu partout dans la II° Internationale se dessiner le type des chefs traîtres, opportunistes, social-chauvins, défendant les intérêts de leur corporation, de leur mince couche sociale : l’aristocratie ouvrière. Les partis opportunistes se sont détachés des "masses", c’est-à-dire des plus larges couches de travailleurs, de leur majorité, des ouvriers les plus mal payés. La victoire du prolétariat révolutionnaire est impossible si on ne lutte pas contre ce mal, si on ne dénonce pas, si on ne flétrit pas, si on ne chasse pas les chefs opportunistes social-traîtres. Telle est bien la politique pratiquée par la III° Internationale.

Mais en arriver sous ce prétexte à opposer en général la dictature des masses à la dictature des chefs, c’est une absurdité ridicule, une sottise. Le plaisant, surtout, c’est qu’aux anciens chefs qui s’en tenaient à des idées humaines sur les choses simples, on substitue en fait (sous le couvert du mot d’ordre "à bas les chefs !") des chefs nouveaux qui débitent des choses prodigieusement stupides et embrouillées. Tels sont en Allemagne Laufenberg, Wolfheim, Horner, Karl Schroeder, Friedrich Wendel, Karl Erler. Les tentatives de ce dernier pour "approfondir" la question et proclamer en général l’inutilité et le "bourgeoisisme" des partis politiques représentent à elles seules de telles colonnes d’Hercule en fait de sottises, que les bras vous en tombent. Voilà bien où s’applique cette vérité que d’une petite erreur on peut toujours faire une erreur monstrueuse : il suffit d’y insister, de l’approfondir pour la justifier, de la "mener à son terme".

Nier la nécessité du parti et de la discipline du parti, voilà où en est arrivée l’opposition. Or, cela équivaut à désarmer entièrement le prolétariat au profit de la bourgeoisie. Cela équivaut, précisément, à faire siens ces défauts de la petite bourgeoisie que sont la dispersion, l’instabilité, l’inaptitude à la fermeté, à l’union, à l’action conjuguée, défauts qui causeront inévitablement la perte de tout mouvement révolutionnaire du prolétariat, pour peu qu’on les encourage. Nier du point de vue du communisme la nécessité du parti, c’est sauter de la veille de la faillite du capitalisme (en Allemagne), non pas dans la phase inférieure ou moyenne du communisme, mais bien dans sa phase supérieure. En Russie nous en sommes encore (plus de deux ans après le renversement de la bourgeoisie) à faire nos premiers pas dans la voie de la transition du capitalisme au socialisme, ou stade inférieur du communisme. Les classes subsistent, et elles subsisteront partout, pendant des années après la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Peut-être ce délai sera-t-il moindre en Angleterre où il n’y a pas de paysans (mais où il y a cependant des petits patrons !). Supprimer les classes, ce n’est pas seulement chasser les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, - ce qui nous a été relativement facile, - c’est aussi supprimer les petits producteurs de marchandises ; or, ceux-ci on ne peut pas les chasser, on ne peut pas les écraser, il faut faire bon ménage avec eux. On peut (et on doit) les transformer, les rééduquer, - mais seulement par un travail d’organisation très long, très lent et très prudent. Ils entourent de tous côtés le prolétariat d’une ambiance petite-bourgeoise, ils l’en pénètrent, ils l’en corrompent, ils suscitent constamment au sein du prolétariat des récidives de défauts propres à la petite bourgeoisie : manque de caractère, dispersion, individualisme, passage de l’enthousiasme à l’abattement. Pour y résister, pour permettre au prolétariat d’exercer comme il se doit, avec succès et victorieusement, son rôle d’organisateur (qui est son rôle principal), le parti politique du prolétariat doit faire régner dans son sein une centralisation et une discipline rigoureuses. La dictature du prolétariat est une lutte opiniâtre, sanglante et non sanglante, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de la vieille société. La force de l’habitude chez les millions et les dizaines de millions d’hommes est la force la plus terrible. Sans un parti de fer, trempé dans la lutte, sans un parti jouissant de la confiance de tout ce qu’il y a d’honnête dans la classe en question, sans un parti sachant observer l’état d’esprit de la masse et influer sur lui, il est impossible de soutenir cette lutte avec succès. Il est mille fois plus facile de vaincre la grande bourgeoisie centralisée que de "vaincre" les millions et les millions de petits patrons ; or ceux-ci, par leur activité quotidienne, coutumière, invisible, insaisissable, dissolvante, réalisent les mêmes résultats qui sont nécessaires à la bourgeoisie, qui restaurent la bourgeoisie. Celui qui affaiblit tant soit peu la discipline de fer dans le parti du prolétariat (surtout pendant sa dictature), aide en réalité la bourgeoisie contre le prolétariat.

A côté de la question relative aux chefs, au parti, à la classe, à la masse, il faut poser la question des syndicats "réactionnaires". Mais auparavant je me permettrai encore, en guise de conclusion, quelques remarques fondées sur l’expérience de notre parti. Des attaques contre la "dictature des chefs", il y en a toujours eu dans notre parti : les premières dont je me souvienne remontent à 1895, à l’époque où notre parti n’existait pas encore formellement, mais où le groupe central de Pétersbourg commençait à se constituer et devait prendre sur lui la direction des groupements de quartier. Au IX° Congrès de notre parti (avril 1920), il y avait une petite opposition qui s’élevait aussi contre la "dictature des chefs", l’"oligarchie", etc. Il n’y a donc rien d’étonnant, rien de nouveau, rien de terrible dans cette "maladie infantile" qu’est le "communisme de gauche", chez les Allemands. Cette maladie passe sans danger et, après elle, l’organisme devient même plus robuste. D’autre part, la rapide succession du travail légal et illégal, qui impose la nécessité de "cacher" tout particulièrement, d’entourer d’un secret particulier, justement l’état-major, justement les chefs, entraîne parfois chez nous les plus funestes conséquences. Le pire fut, en 1912, l’entrée du provocateur Malinovski au Comité central bolcheviks. Il fit repérer des dizaines et des dizaines de camarades, parmi les meilleurs et les plus dévoués, il les fit envoyer au bagne et hâta la mort de beaucoup d’entre eux. S’il ne causa pas un mal encore plus grand, c’est parce que nous avions bien établi le rapport entre le travail légal et illégal. Pour gagner notre confiance, Malinovski, en sa qualité de membre du Comité central du Parti et de député à la Douma, devait nous aider à lancer des journaux quotidiens légaux qui savaient, même sous le tsarisme, livrer combat à l’opportunisme des mencheviks, et répandre, sous une forme utilement voilée, les principes fondamentaux du bolchevisme. D’une main Malinovski envoyait au bagne et à la mort des dizaines et des dizaines de meilleurs militants du bolchevisme ; de l’autre, il devait aider, par la voie de la presse légale, à l’éducation de dizaines et de dizaines de milliers de nouveaux bolcheviks. Voilà un fait que feront bien de méditer les camarades allemands (et aussi anglais et américains, français et italiens) qui ont pour tâche d’apprendre à mener le travail révolutionnaire dans les syndicats réactionnaires.

Dans nombre de pays, y compris les plus avancés, la bourgeoisie envoie certainement et enverra des provocateurs dans les partis communistes. L’un des moyens de combattre ce danger, c’est de combiner avec intelligence le travail légal et illégal.

Annexe

I. La scission des communistes allemands

La scission des communistes d’Allemagne est un fait acquis. Les "gauches" ou "opposition de principe" ont constitué un parti distinct qui, à la différence du "Parti communiste", s’appelle "Parti ouvrier communiste". En Italie les choses vont aussi, semble-t-il, vers une scission. Je dis : semble-t-il, parce que je n’ai que deux nouveaux numéros (n° 7 et 8) du journal de gauche il Soviet, où la possibilité et la nécessité de cette scission sont ouvertement envisagées, et où il est également parlé d’un congrès de la fraction des "abstentionnistes" (ou boycottistes, c’est-à-dire des adversaires de la participation au parlement), fraction qui appartient jusqu’à ce jour au Parti socialiste italien.

Il est à craindre que la scission avec les "gauches", les antiparlementaires (et partiellement aussi antipolitiques, adversaires de tout parti politique et de l’action dans les syndicats) ne devienne un phénomène international, comme la scission avec les "centristes" (ou les kautskistes, les longuettistes, les "indépendants", etc.). Soit ! La scission vaut tout de même mieux que la confusion qui entrave la croissance et la maturation idéologique, théorique et révolutionnaire du parti et son travail pratique, unanime, véritablement organisé et visant véritablement à préparer la dictature du prolétariat.

Que les "gauches" se mettent eux-mêmes pratiquement à l’épreuve sur le plan national et international ; qu’ils essayent de préparer (et puis de réaliser) la dictature du prolétariat sans un parti rigoureusement centralisé et possédant une discipline de fer, sans se rendre maîtres de tous les domaines, branches et variétés du travail politique et culturel. L’expérience pratique aura tôt fait de les instruire.

Il faut seulement appliquer tous nos efforts pour que la scission avec les "gauches" n’entrave pas, ou entrave le moins possible, la fusion en un seul parti, fusion nécessaire et inévitable dans un avenir prochain, de tous les participants au mouvement ouvrier, partisans sincères et loyaux du pouvoir des Soviets et de la dictature du prolétariat. Le grand bonheur des bolcheviks de Russie, c’est qu’ils ont eu quinze années pour mener à bonne fin, de façon systématique, la lutte contre les mencheviks (c’est-à-dire contre les opportunistes et les "centristes") et contre les "gauches", longtemps avant l’action directe des masses pour la dictature du prolétariat. En Europe et en Amérique, on est aujourd’hui obligé de faire le même travail "à marches forcées". Certains personnages, surtout d’entre les prétendants malheureux au rôle de chefs, pourront (si l’esprit de discipline prolétarien et la "loyauté envers eux-mêmes" leur font défaut) persister longtemps dans leurs erreurs ; quant aux masses ouvrières, elles réaliseront facilement et vite, le moment venu, leur propre union et celle de tous les communistes sincères dans un parti unique, capable d’instituer le régime soviétique et la dictature du prolétariat [1].

II. Communistes et indépendants en Allemagne

J’ai exprimé dans ma brochure cette opinion qu’un compromis entre les communistes et l’aile gauche des indépendants était nécessaire et utile au communisme, mais qu’il ne serait pas facile de le réaliser. Les journaux que j’ai reçus depuis ont confirmé l’un et l’autre. Le n°32 du Drapeau rouge, organe du Comité central du Parti communiste d’Allemagne (Die Rote Fahne, Zentralorgan der Kommun. Partei Deutschiands, Spartacusbund, du 26 mars 1920), contient une "déclaration" de ce Comité central sur le "putsch" militaire (complot, aventure) de Kapp-Lüttwitz et sur le "gouvernement socialiste". Cette déclaration est parfaitement juste dans ses prémisses fondamentales et dans sa conclusion pratique. Les prémisses fondamentales se ramènent à ceci qu’actuellement la "base objective" de la dictature du prolétariat fait défaut, puisque la "majorité des ouvriers des villes" est avec les indépendants. Conclusion : promesse d’une "opposition loyale" (c’est-à-dire renonciation à préparer le "renversement par la violence") au gouvernement "socialiste d’où seraient exclus les partis capitalistes, bourgeois".

Cette tactique est, sans nul doute, juste quant au fond. Mais si l’on ne doit pas s’arrêter aux inexactitudes de détail dans l’exposé, il est cependant impossible de passer sous silence le fait qu’on ne saurait appeler "socialiste" (dans une déclaration officielle du Parti communiste) un gouvernement de social-traîtres ; qu’on ne saurait parler de l’exclusion des "partis capitalistes, bourgeois", puisque les partis des Scheidemann et de MM. Kautsky-Crispien sont des partis démocrates petits-bourgeois ; qu’on ne saurait enfin écrire des choses telles que le paragraphe 4 de la Déclaration, où il est dit :

"... Un état de choses où la liberté politique puisse être utilisée sans limites et où la démocratie bourgeoise ne puisse pas agir en qualité de dictature du capital aurait, du point de vue du développement de la dictature du prolétariat... une importance considérable pour la conquête ultérieure des masses prolétariennes au communisme..."

Un tel état de choses est impossible. Les chefs petits-bourgeois, les Henderson allemands (les Scheidemann) et les Snowden allemands (les Crispien), ne sortent pas et ne peuvent sortir du cadre de la démocratie bourgeoise, laquelle à son tour ne peut être qu’une dictature du capital. Du point de vue des résultats pratiques poursuivis à juste titre par le Comité Central du Parti communiste, il ne fallait pas du tout écrire ces assertions fausses en leur principe et politiquement nuisibles. Il suffisait de dire (pour être poli à la façon parlementaire) : tant que la majorité des ouvriers des villes suit les indépendants, nous, communistes, ne pouvons pas empêcher ces ouvriers de se débarrasser de leurs dernières illusions démocratiques petites-bourgeoises (c’est-à-dire "capitalistes, bourgeoises") en faisant l’expérience de "leur" gouvernement. Il n’en faut pas plus pour justifier un compromis, réellement indispensable, et qui consiste à renoncer pour un temps aux tentatives de renverser par la force un gouvernement auquel la majorité des ouvriers des villes fait confiance. Mais dans la propagande quotidienne au sein des masses, on n’est pas tenu de se renfermer dans la politesse parlementaire officielle, et l’on pourrait naturellement ajouter : laissons ces gredins de Scheidemann et ces philistins de Kautsky-Crispien révéler dans leurs actes à quel point ils se sont laissés mystifier eux-mêmes et mystifient les ouvriers ; leur gouvernement "pur" nettoiera mieux que quiconque les écuries d’Augias du socialisme, du social-démoIcratisme et autres formes de social-trahison.

La vraie nature des chefs actuels du "Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne" (de ces chefs dont on a dit à tort qu’ils avaient déjà perdu toute influence, et qui sont en réalité encore plus dangereux pour le prolétariat que les social-démocrates hongrois qui s’étaient donné le nom de communistes et avaient promis de "soutenir" la dictature du prolétariat) s’est manifestée une fois de plus pendant le coup de force Kornilov d’Allemagne, c’est-à-dire pendant le coup d’Etat de MM. Kapp et Lüttwitz [2]. Nous en trouvons une image réduite, mais saisissante, dans les petits articles de Karl Kautsky : "Heures décisives" (Entscbeidende Stunden) dans Freiheit (Liberté, organe des indépendants) du 30 mars 1920 et d’Arthur Crispien : "De la situation politique" (ibid., 14 avril 1920). Ces messieurs ne savent pas du tout penser ni raisonner en révolutionnaires. Ce sont des démocrates petits-bourgeois pleurards, mille fois plus dangereux pour le prolétariat s’ils se déclarent partisans du pouvoir des Soviets et de la dictature du prolétariat, car, dans la pratique, ils ne manqueront pas de commettre, à chaque instant difficile et dangereux, une trahison tout en demeurant "très sincèrement" convaincus qu’ils aident le prolétariat. Les social-démocrates de Hongrie, qui s’étaient baptisés communistes, entendaient eux aussi "aider" le prolétariat, quand, par lâcheté et veulerie, ils jugèrent désespérée la situation du pouvoir des Soviets en Hongrie, et se mirent à pleurnicher devant les agents des capitalistes et des bourreaux de l’Entente.

III. Turati et Cie en Italie

Les numéros indiqués plus haut du journal italien il Soviet confirment entièrement ce que j’ai dit dans ma brochure à propos de la faute que commet le Parti socialiste italien en tolérant dans ses rangs de pareils membres, et même un pareil groupe de parlementaires. J’en trouve encore davantage la confirmation chez un témoin indifférent, le correspondant à Rome du Manchester Guardian, organe de la bourgeoisie libérale anglaise. Ce journal a publié dans son numéro du 12 mars 1920 une interview de Turati.

"....M. Turati, écrit le correspondant, estime que le péril révolutionnaire n’est pas de nature à susciter des craintes en Italie. Elles seraient sans fondement. Les maximalistes jouent avec le feu des théories soviétiques simplement pour maintenir les masses éveillées, excitées. Ces théories ne sont en réalité que de purs concepts légendaires, des programmes sans maturité, pratiquement inutilisables. Elles ne sont bonnes qu’à maintenir les classes laborieuses dans l’attente. Ceux-là mêmes qui s’en servent comme d’un appât pour éblouir le prolétariat, se voient contraints de soutenir une lutte de tous les jours pour conquérir des améliorations économiques souvent insignifiantes, afin de retarder le moment où les classes ouvrières perdront leurs illusions et la foi en leurs mythes favoris. De là, une longue période de grèves de toutes proportions et surgissant à tout propos, jusqu’aux dernières grèves des postes et des chemins de fer, mouvements qui aggravent encore la situation déjà difficile du pays. Le pays est irrité par les difficultés du problème de l’Adriatique, accablé par sa dette extérieure et par l’inflation effrénée ; et, néanmoins, il est encore loin de comprendre la nécessité de s’assimiler la discipline du travail, qui seule peut ramener l’ordre et la prospérité..."
C’est clair comme le jour : le correspondant anglais a éventé la vérité que vraisemblablement Turati lui-même, ainsi que ses défenseurs, complices et inspirateurs bourgeois en Italie, cachent et maquillent. Cette vérité, c’est que les idées et l’action politique de MM. Turati, Trêves, Modigliani, Dugoni et Cie sont bien telles que les dépeint le correspondant anglais. C’est un tissu de social-trahisons. N’est-elle pas admirable, cette défense de l’ordre et de la discipline pour des ouvriers réduits à l’esclavage salarié et travaillant pour engraisser les capitalistes ? Et comme nous les connaissons bien, nous russes, tous ces discours mencheviks ! Quel aveu précieux que les masses sont pour le pouvoir des Soviets ! Quelle incompréhension obtuse et platement bourgeoise du rôle révolutionnaire de ces grèves qui se développent spontanément ! Oui, en vérité, le correspondant anglais du journal libéral bourgeois a envoyé à MM. Turati et Cie le pavé de l’ours et confirmé supérieurement la justesse de ce qu’exigent le camarade Bordiga et ses amis du journal il Soviet, à savoir que le Parti socialiste italien, s’il veut être effectivement pour la III° Internationale, stigmatise et chasse de ses rangs MM. Turati et Cie, et devienne un parti communiste aussi bien par son nom que par son œuvre.

IV. Conclusions fausses et prémisses justes

Mais le camarade Bordiga et ses amis "gauches" tirent de leur juste critique de MM. Turati et Cie cette conclusion fausse qu’en principe toute participation au parlement est nuisible. Les "gauches" italiens ne peuvent apporter l’ombre d’un argument sérieux en faveur de cette thèse. Ils ignorent simplement (ou s’efforcent d’oublier) les exemples internationaux d’utilisation réellement révolutionnaire et communiste des parlements bourgeois, utilisation incontestablement utile à la préparation de la révolution prolétarienne. Simplement incapables de se représenter cette utilisation "nouvelle", ils clament en se répétant sans fin, contre l’utilisation "ancienne", non bolchevique, du parlementarisme.

Là est justement leur erreur foncière. Ce n’est pas seulement dans le domaine parlementaire, c’est dans tous les domaines d’activité que le communisme doit apporter (et il en sera incapable sans un travail long, persévérant, opiniâtre) un principe nouveau, qui romprait à fond avec les traditions de la II° Internationale (tout en conservant et développant ce que cette dernière a donné de bon).

Considérons par exemple le journalisme. Les journaux, les brochures, les tracts remplissent une fonction indispensable de propagande, d’agitation et d’organisation. Dans un pays tant soit peu civilisé, aucun mouvement de masse ne saurait se passer d’un appareil journalistique. Et toutes les clameurs soulevées contre les "chefs", toutes les promesses solennelles de préserver la pureté des masses de l’influence des chefs, ne nous dispenseront pas d’employer pour ce travail des hommes issus des milieux intellectuels bourgeois, ne nous dispenseront pas de l’atmosphère, de l’ambiance "propriétaire", démocratique bourgeoise, où ce travail s’accomplit en régime capitaliste. Même deux années et demie après le renversement de la bourgeoisie, après la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, nous voyons autour de nous cette atmosphère, cette ambiance des rapports propriétaires, démocratiques bourgeois des masses (paysans, artisans).

Le parlementarisme est une forme d’action, le journalisme en est une autre. Le contenu dans les deux cas peut être communiste et doit l’être si, dans l’un comme dans l’autre domaine, les militants sont réellement communistes, réellement membres du parti prolétarien de masse. Mais dans l’une et dans l’autre sphère - et dans n’importe quelle sphère d’action, en régime capitaliste et en période de transition du capitalisme au socialisme - il est impossible d’éluder les difficultés, les tâches particulières que le prolétariat doit surmonter et réaliser pour utiliser à ses fins les hommes issus d’un milieu bourgeois, pour triompher des préjugés et des influences des intellectuels bourgeois, pour affaiblir la résistance du milieu petit-bourgeois (et puis ensuite le transformer complètement).

N’avons-nous pas vu dans tous les pays, avant la guerre de 1914-1918, d’innombrables exemples d’anarchistes, de syndicalistes et d’autres hommes d’extrême "gauche", qui foudroyaient le parlementarisme, tournaient en dérision les socialistes parlementaires platement embourgeoisés, flétrissaient leur arrivisme, etc., etc., - et qui eux-mêmes, par le journalisme, par l’action menée dans les syndicats, fournissaient une carrière bourgeoise parfaitement identique ? Les exemples des sieurs Jouhaux et Merrheim, pour ne citer que la France, ne sont-ils pas typiques à cet égard ?

"Répudier" la participation au parlementarisme a ceci de puéril que l’on s’imagine, au moyen de ce procédé "simple", "facile" et prétendument révolutionnaire, "résoudre" le difficile problème de la lutte contre les influences démocratiques bourgeoises à l’intérieur du mouvement ouvrier, alors qu’en réalité on ne fait que fuir son ombre, fermer les yeux sur la difficulté, l’éluder avec des mots. L’arrivisme le plus cynique, l’utilisation bourgeoise des sinécures parlementaires, la déformation réformiste criante de l’action parlementaire, la plate routine petite-bourgeoise, nul doute que ce ne soient là les traits caractéristiques habituels et dominants que le capitalisme engendre partout, en dehors comme au sein du mouvement ouvrier. Mais ce même capitalisme et l’atmosphère bourgeoise qu’il crée (laquelle est très lente à disparaître, même la bourgeoisie une fois renversée, puisque la paysannerie donne constamment naissance à la bourgeoisie), enfantent dans tous les domaines du travail et de la vie sans exception, un arrivisme bourgeois, un chauvinisme national, de la platitude petite-bourgeoise, etc., qui sont au fond exactement les mêmes et ne se distinguent que par d’insignifiantes variations de forme.

Vous vous imaginez vous-mêmes "terriblement révolutionnaires", chers boycottistes et antiparlementaires, mais en fait vous avez pris peur devant les difficultés, relativement peu importantes, de la lutte contre les influences bourgeoises dans le mouvement ouvrier, alors que votre victoire, c’est-à-dire le renversement de la bourgeoisie et la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, suscitera ces mêmes difficultés dans une proportion encore plus grande, infiniment plus grande. Tels des enfants, vous avez pris peur devant la petite difficulté qui se présente à vous, aujourd’hui, sans comprendre que, demain et après-demain, vous aurez à parfaire votre éducation, à apprendre à triompher de ces mêmes difficultés, en des proportions infiniment plus vastes.

Sous le pouvoir des Soviets, il s’insinuera dans votre parti et dans le nôtre, le parti du prolétariat, un nombre encore plus grand d’intellectuels bourgeois. Ils s’insinueront dans les Soviets et dans les tribunaux, et dans les administrations, car on ne peut bâtir le communisme qu’avec le matériel humain créé par le capitalisme ; il n’en existe pas d’autre. On ne peut ni bannir, ni détruire les intellectuels bourgeois, il faut les vaincre, les transformer, les refondre, les rééduquer, comme du reste il faut rééduquer au prix d’une lutte de longue haleine, sur la base de la dictature du prolétariat, les prolétaires eux-mêmes qui, eux non plus, ne se débarrassent pas de leurs préjugés petits-bourgeois subitement, par miracle, sur l’injonction de la Sainte Vierge, sur l’injonction d’un mot d’ordre, d’une résolution, d’un décret, mais seulement au prix d’une lutte de masse, longue et difficile, contre les influences des masses petites-bourgeoises. Sous le pouvoir des Soviets, ces mêmes problèmes qu’aujourd’hui l’antiparlementaire rejette loin de lui d’un seul geste de la main, si orgueilleusement, avec tant de hauteur, d’étourderie, de puérilité, renaissent au sein des Soviets, au sein des administrations soviétiques, parmi les "défenseurs" soviétiques (nous avons supprimé en Russie, et nous avons bien fait de supprimer le barreau bourgeois, mais il renaît chez nous sous le manteau des "défenseurs" "soviétiques"). Parmi les ingénieurs soviétiques, parmi les instituteurs soviétiques, parmi les ouvriers privilégiés, c’est-à-dire les plus qualifiés, et placés dans les meilleures conditions dans les usines soviétiques, nous voyons continuellement renaître tous, absolument tous les traits négatifs propres au parlementarisme bourgeois ; et ce n’est que par une lutte répétée, inlassable, longue et opiniâtre de l’esprit d’organisation et de discipline du prolétariat que nous triomphons - peu à peu - de ce mal.

Il est évidemment très "difficile" de vaincre, sous la domination de la bourgeoisie, les habitudes bourgeoises dans notre propre parti, c’est-à-dire dans le parti ouvrier : il est "difficile" de chasser du parti les chefs parlementaires de toujours, irrémédiablement corrompus par les préjugés bourgeois ; il est "difficile" de soumettre à la discipline prolétarienne un nombre strictement nécessaire (même très limité) d’hommes venus de la bourgeoisie ; il est "difficile" de créer dans le parlement bourgeois une fraction communiste parfaitement digne de la classe ouvrière ; il est "difficile" d’obtenir que les parlementaires communistes ne se laissent pas prendre aux hochets du parlementarisme bourgeois, mais s’emploient à un travail substantiel de propagande, d’agitation et d’organisation des masses. Tout cela est "difficile", c’est certain. Ç’a été difficile en Russie, et c’est infiniment plus difficile encore en Europe occidentale et en Amérique, où la bourgeoisie est beaucoup plus forte, plus fortes les traditions démocratiques bourgeoises et ainsi de suite.

Mais toutes ces "difficultés" ne sont vraiment qu’un jeu d’enfant à côté des problèmes, absolument de même nature, que le prolétariat aura à résoudre nécessairement pour assurer sa victoire, et pendant la révolution prolétarienne et après la prise du pouvoir par le prolétariat. A côté de ces tâches vraiment immenses, alors qu’il s’agira, sous la dictature du prolétariat, de rééduquer des millions de paysans, de petits patrons, des centaines de milliers d’employés, de fonctionnaires, d’intellectuels bourgeois, de les subordonner tous à l’Etat prolétarien et à la direction prolétarienne, de triompher de leurs habitudes et traditions bourgeoises, - à côté de ces tâches immenses, constituer sous la domination bourgeoise, au sein d’un parlement bourgeois, une fraction réellement communiste d’un véritable parti prolétarien, n’est plus qu’un jeu d’enfant.

Si les camarades "gauches" et les antiparlementaires n’apprennent pas dès maintenant à vaincre une aussi mince difficulté, on peut dire à coup sûr qu’ils se trouveront dans l’impossibilité de réaliser la dictature du prolétariat, de se subordonner et de transformer sur une grande échelle les intellectuels bourgeois et les institutions bourgeoises ; ou bien qu’ils seront obligés de complêter hativement leur instruction, et cette hâte portera un immense préjudice à la cause du prolétariat, leur fera commettre des erreurs plus qu’à l’ordinaire, tes rendra plus faibles et malhabiles au-dessus de la moyenne, etc., etc.

Tant que la bourgeoisie n’est pas renversée et, ensuite, tant que n’ont pas disparu totalement la petite exploitation et la petite production marchande, l’atmosphère bourgeoise, les habitudes propriétaires, les traditions petites-bourgeoises nuiront au travail du prolétariat tant au-dehors qu’au-dedans du mouvement ouvrier, non point dans une seule branche d’activité, l’activité parlementaire, mais nécessairement dans tous les domaines possibles de la vie sociale, dans toutes les activités culturelles et politiques sans exception. Et l’erreur la plus grave, dont nous aurons nécessairement à expier les conséquences, c’est de vouloir se dérober, tourner le dos à telle tâche "fâcheuse" ou difficulté dans un domaine quelconque. Il faut apprendre à s’assimiler tous les domaines, sans exception, du travail et de l’action, vaincre toujours et partout toutes les difficultés, toutes les habitudes, traditions et routines bourgeoises. Poser la question autrement est chose simplement peu sérieuse et puérile.
12 mai 1920

V. Lettre de Wijnkoop

Dans l’édition russe de ce livre j’ai présenté de façon un peu inexacte le comportement du Parti communiste hollandais dans son ensemble sur le plan de la politique révolutionnaire internationale. Je profite donc de cette occasion pour publier la lettre ci-après de nos camarades hollandais sur cette question et, ensuite, remplacer les mots "tribunistes hollandais" que j’ai employés dans le texte russe par les mots "certains membres du Parti communiste hollandais".


Moscou, le 30 juin 1920

Cher camarade Lénine,

Grâce à votre amabilité, nous, membres de la délégation hollandaise au 11°Congrès de l’Internationale Communiste, avons eu la possibilité de voir votre livre la Maladie infantile du communisme (le "gauchisme") avant qu’il soit publié dans les langues de l’Europe occidentale. Vous y soulignez à plusieurs reprises que vous désapprouvez le rôle joué par certains membres du Parti Communiste hollandais dans la politique internationale.

Il nous faut cependant protester contre le fait que vous rejetez la responsabilité de leurs actes sur le Parti Communiste. Cela est tout à fait inexact. Bien plus, c’est injuste, puisque ces membres du Parti communiste hollandais participent très peu ou pas du tout à l’activité courante de notre Parti ; par ailleurs, ils cherchent, directement ou indirectement, à faire appliquer par le Parti Communiste les mots d’ordre d’opposition que ce Parti et tous ses organismes ont combattus et continuent de combattre à ce jour de la façon la plus énergique. Salutations fraternelles

(pour la délégation hollandaise)

D.I. Wijnkoop.

Notes

[1] En ce qui concerne la fusion future des communistes "de gauche", des antiparlementaires, avec les communistes en général, je ferai encore une remarque. Dans la mesure où j’ai pu prendre connaissance des journaux des communistes "de gauche", et en général des communistes d’Allemagne, je constate que les premiers ont l’avantage de savoir mieux que les autres faire de la propagande au sein des masses. J’ai observé à plusieurs reprises quelque chose d’analogue, - quoique en de moindres proportions, dans des organisations locales isolées et non à l’échelle nationale, - dans l’histoire du Parti bolchevik. Ainsi, en 1907-1908, les bolcheviks "de gauche" ont quelquefois, çà et là, fait auprès des masses leur travail d’agitation avec plus de succès que nous. Cela s’explique en partie, parce qu’en période révolutionnaire, ou lorsque le souvenir de la révolution est encore vif, il est plus aisé d’aborder les masses avec une tactique de "simple" négation. Toutefois ce n’est pas encore un argument en faveur de la justesse de cette tactique. En tout cas, il ne fait pas l’ombre d’un doute que le Parti communiste qui veut être réellement l’avant-garde, le détachement avancé de la classe révolutionnaire, du prolétariat, et qui veut en outre apprendre à diriger la grande masse prolétarienne, mais aussi non prolétarienne, la masse des travailleurs et des exploités, doit savoir faire la propagande, organiser, mener l’agitation de la façon la plus accessible, la plus intelligible, la plus claire et la plus vivante à la fois pour les "faubourgs" industriels et pour les campagnes.

[2] Ce fait a été exposé avec une clarté, une concision et une exactitude extrêmes, de façon vraiment marxiste, dans l’excellent journal du Parti communiste autrichien Die Rote Fahne, des 28 et 30 mars 1920 (Vienne, Nos 266 et 267, par L. L. : Ein neuer Abschnitt der deutschen Revolution). (Une nouvelle étape de la révolution allemande. - N.R.)

Lire aussi :

L’histoire du KAPD

https://www.marxists.org/francais/reichenbach/works/1928/00/reichenbach.pdf

Le deuxième congrès du KAPD

http://www.left-dis.nl/f/Minutes-VF-final.pdf

Le KAPD (gauche communiste) écrivait :

LIGNES DIRECTRICES SUR LA NATURE ET LES TACHES
DES COMITES D’ACTION REVOLUTIONNAIRES

I.

L’intensification des antagonismes de classe comme résultat de l’effondrement économique place le prolétariat toujours plus devant la question d’une confrontation ouverte avec la société capitaliste ou d’une chute continuelle dans une misère toujours plus grande. Cependant, le prolétariat incarne lui-même en soi la contradiction qu’il porte en lui, qu’il ne peut se libérer de sa de sa situation qu’à travers l’action révolutionnaire, mais que celle-ci exige le dépassement des illusions et conceptions petites-bourgeoises. Il s’effraie à l’idée du moment décisif, tant que cette question n’est pas implacablement et inévitablement mise à l’ordre du jour de l’histoire ; il se dérobe constamment à la lutte et reste soumis à l’influence des syndicats et des partis parlementaires. Il se rebelle à l’intérieur d’eux, mais place ces organisations objectivement devant une tâche impossible, celle d’améliorer la situation de la classe ouvrière dans le cadre de la société capitaliste. La déficience des syndicats et de leurs prolongements (comités légaux d’entreprise) développe dans les masses travailleuses, en période d’exacerbation de la crise, une atmosphère d’abandon et d’impuissance totale.
Il se trouve que les vieilles armes des organisations syndicales et parlementaristes ne peuvent plus être mises en avant ; elles sont devenues au contraire des armes de la contre-révolution. Le prolétariat voit bien aujourd’hui que la plus grande partie des moyens de lutte doit être changée, mais il n’a pas encore réalisé que même avec des « méthodes radicales » et sans le renversement du capital lui-même, il n’est aucun salut possible pour le prolétariat. Dans cette perspective, se pose la question de la création de comités d’action, où le Parti et l’Union par leur propagande pour ces comités doivent dissiper à l’intérieur du prolétariat les idées fausses, reprises consciemment ou inconsciemment, ainsi que toutes nouvelles illusions.

II.

De même que la propagande du Parti et de l’Union doit exprimer ses principes programmatiques, de même l’action révolutionnaire doit suivre la même ligne de cette propagande. La propagande pour les comités d’action n’est pas un simple mot d’ordre s’opposant aux slogans petits-bourgeois du KPD, mais se confronte aussi avec le programme révolutionnaire du KAPD et de l’AAU. La création de comités d’action ne dépend pas d’une simple volonté de voter pour eux, mais de la décision du prolétariat conscient de rompre avec toutes les traditions et méthodes réformistes, et de mener la lutte dans le sens du programme du KAPD et de l’AAU. Anticiper au niveau organisationnel une attitude révolutionnaire surtout intuitive ne peut nullement renforcer et favoriser la conscience de classe nécessaire au combat ; au contraire, cette « anticipation » étaye la croyance que des raccourcis organisationnels pourraient se substituer à l’action ; par-là, elle entretient la passivité dans le prolétariat. C’est uniquement lorsque le surgissement des comités d’action est l’expression d’une conscience de classe révolutionnaire croissante, dont la liquidation est non seulement perçue comme un échec d’une expérience après une défaite par le prolétariat, mais être de valeur durable qui se réalise dans le renforcement du Parti et de l’Union dans une relation d’organisation et d’idées, augmentant ainsi leur efficacité pour des combats ultérieurs.

III.

La classe ouvrière ne s’engage pas spontanément dans la lutte, mais sous la poussée des contraintes économiques, quand la confrontation devient un devoir impérieux. Les explosions révolutionnaires – causes objectives nécessaires de la crise mortelle (Todeskrise) grandissante du capital – peuvent cependant devenir facteur de révolution prolétarienne, lorsqu’elles trouvent une base politique et principielle commune, lorsqu’elles surgissent du champ des conditions locales et sont dépouillées de leur caractère plus ou moins flou. Seul un objectif réalisable conjointement peut nourrir le sol d’une véritable solidarité de classe. Cependant, la condition sine qua non pour atteindre cet objectif réside dans le fait que les conséquences organisationnelles du mouvement lui-même – être un élément le portant en avant –, les comités d’action deviennent un instrument de la révolution, pas une chose entre les mains de manipulateurs réformistes, en continuant à véhiculer des illusions petites-bourgeoises.

IV.

Les tâches des comités d’action formés avec cette orientation résultent de la situation actuelle face à l’ennemi de classe. Après leur formation comme expression de la violence prolétarienne, ils doivent immédiatement poursuivre, pour leurs tâches révolutionnaires, une nécessaire division du travail et appeler à faire surgir des conseils révolutionnaires, économiques et politiques. L’Union et le Parti doivent mobiliser la totalité de l’énergie du prolétariat pour soulager les points nodaux de la lutte et même mener le combat pour des comités d’action, pour coordonner aussitôt les comités d’action ou les conseils dans toute la zone où se déroulent les luttes ; en un mot, il s’agit de tout mettre en avant pour accroître la capacité à lutter du mouvement, afin d’élargir le mouvement lui-même.

V.

Ce ne sont pas les comités d’action en soi mais leur nature qui est cruciale pour le soutien du mouvement par le Parti et l’Union ; aussi les membres du Parti et de l’Union actifs dans le comité d’action doivent nécessairement y mener un travail de fraction. La politique et les mesures adoptées par les membres du parti et de l’union adhérents du comité d’action doivent exprimer la volonté de toute l’organisation. Pour agir dans un sens révolutionnaire de manière unitaire et stimulante, la collaboration la plus étroite entre Union et Parti, dans tout le Reich, est un devoir impérieux et une absolue précondition. L’Union et le Parti condition doivent être étroitement liés non seulement au sommet, mais dans les districts et les usines, en préservant pleinement leur mutuelle indépendance organisationnelle ; ils doivent se soutenir mutuellement de la façon la plus énergique.

Si le mouvement emprunte des voies légalistes ou « particulières », le Parti et l’Union ont tous deux le devoir – conformément à leur programme – de mener une lutte inébranlable et sans faiblesse contre les tendances qui se font jour, de dissoudre le comité d’action ou d’en démissionner, et de reprendre et poursuivre la lutte, dans le prolétariat lui-même, pour les buts et les principes.

Lettre ouverte au camarade Lénine de Hermann Gorter :

https://www.marxists.org/francais/gorter/index.htm

Le Parti communiste ouvrier allemand
(KAPD) par Philippe Bourrinet qui défend des thèses proches de celles du KAPD

https://bsstock.files.wordpress.com/2014/05/kapd-brochure.pdf

Lire aussi :

https://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2015/01/gch-bourrinet-rev-2sansremerciements.pdf

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