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Les Palestiniens et la révolution au Moyen-Orient
mercredi 30 décembre 2009, par
Site : Matière et révolution
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Ce n’est pas un hasard si le combat des Palestiniens pour la question nationale, le droit à disposer d’eux-mêmes, le droit à un Etat et le droit à disposer d’une terre et des moyens d’y vivre, s’est appelé la « révolution palestinienne ». Ce n’est pas que les organisations menant la lutte armée contre Israël soient réellement révolutionnaires. Malheureusement elles ne l’étaient pas et ne le sont pas aujourd’hui. Cela ne veut pas dire non plus que les « élites arabes » soient réellement prêtes à se battre ou même seulement soutenir une révolution populaire. Et encore moins les classes dirigeantes arabes ou les Etats ! Cela signifie que par cinq fois la population pauvre elle-même a lancé des offensives, de grandes révoltes des pauvres, des ouvriers et des paysans : la révolte de 1935-39, la lutte des fedayins et son relais dans les luttes ouvrières et populaires en Egypte de 1967, les combats de 1970 contre la monarchie jordanienne, la révolution libanaise de 1975-76 et enfin les deux intifadas dans les territoires occupés de 1987 et 2000.
1936-39 : révolte paysanne et populaire en Palestine
Contrairement à ce que l’on croit souvent la lutte des Palestiniens ne date pas de la naissance d’Israël, pas plus que leur oppression par des occupants juifs. C’est contre l’oppression de l’occupant ottoman puis impérialiste anglais qu’est né le mouvement palestinien en même temps que le combat contre les nouveaux occupants juifs.
Ce dernier combat ne doit rien à des oppositions religieuses (même si cela servira bien des fois de drapeau au nationalisme) ou communautaires entre juifs et arabes. Les juifs représentaient 7% de la population de Palestine en 1900 et vivaient en bonne intelligence avec leurs voisins car ils étaient complètement intégrés aux nombreux peuples de la région : arabes, druzes, turcs, kurdes, arméniens, chiites, grecs et bien d’autres. Ils y vivaient du même type d’activités agricoles ou commerciales, étaient tous opprimés par le même empire ottoman et subissaient tous l’exploitation et l’oppression réactionnaire de petits seigneurs, propriétaires terriens liés à la bourgeoisie des villes.
Ce n’est qu’avec l’arrivée des colons sionistes, fuyant les pogromes en Russie et en Europe de l’est, que les relations se sont envenimées. Les communautés juives étaient appuyées par la bourgeoisie occidentale, l’Agence juive finançant des achats de terre pour l’implantation de colonies agraires peuplées exclusivement par des juifs. Des nécessités de sécurité ne justifiaient en rien ce choix de n’y faire travailler que des juifs, des propriétaires juifs ayant même auparavant constitué des exploitations mixtes. Or sur ces terres achetées par les fonds collectés par la communauté juive internationale à de grands propriétaires féodaux travaillaient traditionnellement la grande masse des paysans arabes de la région. Les colons ont donc exproprié ensuite les paysans pauvres, anciens tenanciers de la terre, sans chercher ni à les dédommager ni à les faire participer d’une manière ou d’une autre à l’exploitation de la terre. Le développement des colonies et l’arrivée de plus en plus massive des immigrants juifs, malgré les limitations imposées par les Anglais, représentaient réellement une menace pour les paysans pauvres. Avant même la naissance d’Israël, les juifs sont donc apparus aux Palestiniens pauvres comme des ennemis. Ce n’est pas la démagogie des dirigeants arabes qui leur a donné cette image mais la politique sioniste qui, derrière le socialisme agraire des kibboutz, n’est qu’un vulgaire colonialisme ajouté à une politique d’apartheid (l’emploi juif dans une société exclusivement juive). C’est ainsi que dirigeants arabes d’un côté et dirigeants sionistes de l’autre, qui négociaient volontiers avec l’impérialisme anglais qui opprimait et méprisait également masses arabes et juives, ne se parlaient pas. Et périodiquement avaient lieu des affrontements violents entre paysans palestiniens et colons.
Mais si le peuple palestinien a été très combatif dans les années 30, c’est loin d’être exclusivement contre les implantations juives. Il s’est soulevé contre l’impérialisme anglais qui est devenu en 1917 la puissance tutélaire avec la chute de l’empire ottoman et contre les petits seigneurs féodaux. Et ce combat s’intégrait dans celui des masses arabes de la région contre l’impérialisme et contre leurs propres classes dirigeantes.
En 1935 commence un grand mouvement des Palestiniens qui va avoir plusieurs phases et dont la première est une révolte paysanne qui débute en Galilée pour l’interdiction des ventes de terres arabes au Fonds national juif. L’étape suivante est la grève générale qui dure d’avril à octobre 1936. Ouvriers et commerçants cessent leur activité et des comités se créent dans toutes les villes et les quartiers arabes qui organisent la grève, le ravitaillement, autorisent les déplacements, transmettent les informations. Il s’ensuit une vaste révolte qui gagne tout le pays et s’amplifie malgré la répression anglaise. Des groupes armés s’attaquent aux troupes et des volontaires s’enrôlent, venus de tout le pays mais aussi de nombreux pays arabes. L’état d’urgence est proclamé. Aux forces britanniques se joignent les milices sionistes, jusque là interdites et clandestines. Des travailleurs juifs jouent le rôle de briseurs de grève et font marcher les trains et les usines. La grève doit s’arrêter en octobre ayant subi 200 morts, 800 blessés mais l’insurrection paysanne prend le relais. L’été 1937, les forces publiques britanniques sont chassées de Jérusalem, de Galilée, de Hébron, Beerchebaa et Gaza. La répression est féroce mais la révolte durera jusqu’en 1939 et il faudra 30 000 hommes de troupes pour que les Anglais parviennent à l’éteindre. C’était une terrible occasion manquée pour l’union dans la lutte entre travailleurs juifs et arabes. Les Palestiniens se battaient d’abord contre l’impérialisme, ennemi également des travailleurs juifs. La révolte paysanne était également dirigée contre les propriétaires terriens arabes et même palestiniens. L’union était possible mais ce n’était pas du tout le sens de la politique des dirigeants sionistes.
Si en 1936-39, la Palestine a connu des émeutes et une grève générale des Palestiniens contre l’impérialisme anglais, en même temps la population syrienne se mobilisait au début de 1936 par une grève générale qui dura 50 jours dans toute la Syrie contre l’occupation française. Pendant la guerre mondiale, le mouvement de contestation arabe se développa : en 1941 en Syrie avec une importante agitation sociale et une grève générale, puis toujours en 1941 au Liban puis en 1944-45 en Syrie, au Liban et en Palestine.
C’est la naissance d’Israël en 1948 qui a éteint le mouvement palestinien pour de longues années. En effet, les « élites palestiniennes », bourgeois et féodaux, ont été les premières à abandonner la place pour rejoindre leurs familles à Beyrouth, Amman ou Damas, avant même que ne démarre la guerre de 1948, contrairement aux villageois palestiniens qui n’ont quitté que sous la menace de véritables massacres de la part de l’armée israélienne et des milices d’extrême-droite. C’est la première expulsion massive des Palestiniens de leur propre terre et c’est seulement récemment que des historiens israéliens ont exhumé les documents prouvant que les palestiniens ne sont pas partis d’eux-mêmes. Le plan Dalet sous le gouvernement Ben Gourion ne laisse aucun doute : « opération contre les centres de population ennemie (...) en détruisant les villages (en y mettant le feu, en les dynamitant, et en déposant des mines dans leurs débris) et spécialement dans le cas de centres de populations difficiles à maîtriser (...) la population expulsée hors des frontières de l’Etat. » Le cas du village massacré de Deir Yassine est connu mais loin d’être le seul . Ainsi, les bombardements de Lod et Ramlah se sont accompagnés du massacre de 250 civils. Quarabte et uns villes et villages ont donné lieu à une expulsion manu militari. Et aussi une centaine de civils sont abattus à l’est d’Hébron, ou encore soixante dans le village de Bab el Cheikh, etc...Quelque 800 000 Palestiniens prennent le chemin de l’exil. Ils sont partis pour éviter les massacres mais le discours du président Ben Gourion est clair : « ne pas les laisser revenir ! » Et la population palestinienne, en partie sous occupation et en partie expulsée et obligée de vivre dans des camps de toiles, a été également abandonnée par les classes dirigeantes arabes.
La victoire militaire d’Israël face aux Etats arabes en 1948 permet à ces derniers de justifier l’abandon de l’objectif d’un Etat palestinien, en accusant Israël du sort des Palestiniens. Mais en même temps, dans le reste du territoire palestinien, ces Etats se sont bien gardés de mettre en place un Etat palestinien. La Cisjordanie a même été officiellement annexée par le royaume de Jordanie en 1950 et le territoire de Gaza par l’Egypte, soit en gros le territoire qu’Israël entend concéder en partie à une « autonomie palestinienne ». En dehors de la bande de Gaza qu’elle contrôle désormais, l’Egypte n’a pas accueilli les Palestiniens. D’ailleurs ni lors de l’expulsion massive de 1948 ni à la grande époque des années 50 du Nasser, leader populaire et panarabe, l’Egypte n’a accueilli les Palestiniens sur son sol. Et aucun pays arabe, pourtant peu économes de discours de solidarité avec les réfugiés, n’a accordé sa nationalité aux Palestiniens. Paradoxalement, c’est au moment où les Etats arabes sont le plus discrédités que les organisations palestiniennes vont se développer.
1967 : mouvement fedayin et mouvement populaire en Egypte
En juin 1967, la défaite des armées arabes contre Israël, défaite militaire cuisante en seulement six jours qui a discrédité les régimes réactionnaires comme celui de Jordanie autant que les régimes nationalistes radicaux comme celui d’Egypte, a été le déclencheur du mouvement fedayin, c’est-à-dire d’une organisation clandestine de combattants organisant des actes terroristes contre les Israéliens. Il y a un nouvel exil des Palestiniens (250 000) chassés des territoires occupés mais surtout une nouvelle conscience que seule la lutte des Palestiniens eux-mêmes peut changer la situation et quand qu’il ne faut pas compter sur les Etats arabes. Ces derniers brutalement discrédités et désavoués par leur propre population (Nasser lui-même a dû menacer de démissionner pour relancer sa popularité sérieusement mise à mal) ont dû pour la première fois soutenir ces mouvements. Dès août 1967, Nasser fait appel à Yasser Arafat dont il ignorait jusque là le petit mouvement. Le harcèlement des forces d’occupation israéliennes dans les territoires occupés est organisée et financée. Cependant le territoire ne se prêtant pas à une guérilla, les forces palestiniennes du Fatah de Yasser Arafat s’installent en Jordanie, des deux côtés des rives du Jourdain, profitant de l’affaiblissement du régime du roi Hussein, son armée étant déstabilisée par la honte de la défaire cuisante contre Israël. En 1967, une scission du MNA, à l’origine pro-Nasser se radicalise et fonde le FPLP. Une grande part des fedayin sont des étudiants plus ou moins guévaristes ou maoïstes qui lisent Marx, Lénine et Mao. Ce qui encourage ces militants clandestins qui doivent vivre coupés de la population, c’est que celle-ci se manifeste en 1967 par des grèves, sit-in et manifestations contre l’occupation israélienne. Un épisode de confrontation entre l’armée israélienne et les fedayin amène l’armée jordanienne à intervenir et se solde par une défaite israélienne. Ce seul combat de Karameh servira à la mystique du mouvement, afin de laver la honte des Etats arabes. Le roi Hussein ira jusqu’à déclarer devant les journalistes : « nous sommes tous des fedayin ! » L’OLP affirmait se satisfaire du soutien hypocrite et peu réel des Etats arabe et déclarait dans sa Charte de 1968 : « l’OLP coopère avec tous les gouvernements arabes selon les possibilités de chacun et ne s’ingère pas dans les affaires intérieures d’aucun Etat arabe. » C’est sous la pression de la radicalisation de la révolution palestinienne que le septième conseil national palestinien est amené à donner à la lutte nationale mais pour nombre de ses leaders il s’agit juste de phrases radicales qui doivent en rester au stade de la déclaration. C’est compter sans l’influence réelle que la révolution palestinienne va entraîner dans les pays arabes, d’abord en Egypte puis en Jordanie, enfin au Liban.
En Egypte c’est dès 1967 que la situation explose, .comme le raconte Mahmoud Hussein dans son ouvrage « La lutte des classes en Egypte ». Si, après l’annonce de la démission de Nasser après l’échec militaire de 1967, les masses sont dans la rue les 9 et 10 juin pour demander à Nasser de revenir au pouvoir, le mécontentement est grand et tout particulièrement dans les milieux populaires et ouvriers. La première étincelle part de la banlieue ouvrière de Hélouan, siège de grandes usines modernes qui manifestent en dénonçant l’armée égyptiennes et y rajoutent : « pas de socialisme sans liberté ! ». Un barrage policier est balayé par les ouvriers qui prennent d’assaut le poste de police. Les ouvriers d’Hélouan veulent se rendre au Caire mais le ministère bloque les chemins de fer. Mais les ouvriers de Choubra, dans la banlieue du Caire, prennent le relais, déclenchant grèves et manifestations en solidarité. Sur la route d’Heliopolis, dix mille manifestants s’opposent violemment aux forces de police. Les jeunes des quartiers pauvres se sont joints aux ouvriers et aux étudiants. Le président de l’assemblée nationale, Sadate, est contraint de recevoir une délégation des manifestants. Autour de l’assemblée des milliers de manifestants réclament les droits démocratiques en Egypte. Dans plusieurs quartiers populaires des barricades sont élevées. Le gouvernement annonce que toutes manifestation est désormais interdite. Du coup, une immense manifestation se forme place El Tahrir au Caire formée d’étudiants, de jeunes ouvriers et de chômeurs. Après une bataille rangée avec la police, l’armée intervient en tirant dans la foule. La réponse vient des jeunes de quatorze à dix-sept ans qui attaquent massivement les forces de l’ordre, armés de pierres et de bâtons.
D’autres étapes allaient suivre et notamment celle de novembre 1972 commencée par des manifestations universitaires le20 novembre où l’armée fait tirer sur les étudiants et où les quartiers populaires prennent partie pour ceux-ci. A partir de là il va y avoir en Egypte de nombreux mouvements dans la classe ouvrière. Les villes ouvrières du delta comme El Khom et Benha font grève sur le tas. Une émeute a lieu à Abou Kébir. Une usine militaire d’Hélouan, en grève, séquestre la direction. Cette fois, toute l’Egypte va suivre le mouvement. Les ouvriers s’adressent aux autres ouvriers d’Helouan, de Choubra, Mehalla et Alexandrie. L’armée encercle l’usine d’où est parti le mouvement mais c’est trop tard ; devant la montée ouvrière, le pouvoir recule et les grévistes obtiennent la totalité de leurs revendications.
Une fois encore les mouvements sociaux avaient un lien avec la situation en Palestine. La haine des milieux populaires vis à vis du régime avaient été exacerbées par la signature par l’Egypte du plan américain Rogers pour la paix avec Israël.
1970 : conflit contre la royauté jordanienne
La conquête par Israël de la Cisjordanie et de Gaza change la situation des Palestiniens car elle signifie que désormais il y a un million de Palestiniens de plus sur le sol contrôlé par son armée, dont 600 000 habitants des camps de réfugiés. Le nouveau départ de milliers de Palestiniens vers des camps dans les pays voisins entraîne une nouvelle vague de militantisme radical avec la formation de plusieurs organisations de combattants qui mènent des actions armées, notamment de la Transjordanie du roi Hussein vers la Cisjordanie occupée. Or à l’été 1970, la Jordanie, dans la foulée de l’Egypte de Nasser, a signé le plan de paix américain Rogers. L’Egypte a déjà donné le ton, Nasser déclarant : « nos frères palestiniens devront se rallier à la voix de la raison », décide de fermer les deux radios palestiniennes qui émettent du Caire « la voix de la Palestine » et « la voix d’Açifa ».
En même temps les mouvements palestiniens sont débordés par un afflux de recrues et se radicalisent. Et les régimes arabes sont effrayés par ce succès et se sentent menacés. En 1969, le Fatah est en position de prendre le pouvoir au sein de l’organisation palestinienne qui avait été fondée par la Ligue Arabe, l’OLP, coquille vide jusque là qui n’était qu’un alibi des Etats arabes. A Amman, en Jordanie où stationnent l’essentiel de forces palestiniennes d’où elles organisent des actions contre les Israéliens, le climat devient de plus en plus tendu avec le régime royal jordanien qui est un régime ultra-réactionnaire et féodal. Le régime royal est d’autant plus menacé que le même type de régime, réactionnaire, féodal et royal, a déjà chuté en Egypte, en Syrie et en Irak et que 60% de l’armée et l’essentiel de l’infanterie sont palestiniennes. Le régime a toujours été détesté de la population pauvre et des Palestiniens. Ainsi le roi Abdallah, le père de Hussein, a été assassiné par un Palestinien en juillet 1954. En 1965-66, une première crise a opposé Hussein à l’OLP.
En 1970, l’armée jordanienne décide de remettre en question le droit des Palestiniens de posséder leurs propres groupes armés et commence par leur interdire en mai1970 de passer du royaume de Jordanie vers la Cisjordanie occupée par les Israéliens. Le Fatah est débordé par des groupes plus radicaux comme le FPLP de George Habache qui s’en prennent aux forces armées réactionnaires de Hussein dirigées par des seigneurs bédouins. Cependant ce n’est pas par une politique révolutionnaire ou de liaison plus grande avec les masses pauvres jordaniennes que le FPLP fonde sa plus grande radicalité mais par des actions terroristes, notamment contre le roi Hussein. Du 7 au 15 juin 1970, l’armée jordanienne fait 500 morts et plus de mille blessés dans les rangs palestiniens. A l’occasion d’affrontements entre militaires et combattants palestiniens, le Fatah dénonce ... les organisations palestiniennes qui interviennent contre les exactions des forces royales jordaniennes et se solidarise à plusieurs reprises avec le roi contre les radicaux palestiniens. Le 13 juin, le Fatah d’Arafat collabore même avec l’armée jordanienne pour neutraliser les Palestiniens près d’Amman. Mais le FPLP devient plus influent chez les combattants de Jordanie et de Gaza que le Fatah et ce dernier est contraint de se radicaliser pour ne pas perdre pied. On assiste entre la monarchie et les forces palestiniennes et démocratiques jordaniennes à une situation de double pouvoir.
Le 14 septembre toute une partie de la Jordanie est considérée « zone libérée » par les organisations palestiniennes et jordaniennes qui appellent à un gouvernement démocratique. Le 15 septembre, les organisations palestiniennes mettent en place à Irbid un congrès populaire à Irbid. Les forces armées jordaniennes sont contraintes d’évacuer la capitale, Amman qui tombe aux mains de l’insurrection.
Ce sont les blindés, l’artillerie et l’aviation jordaniennes qui vont être lancées contre les combattants palestiniens et les camps de réfugiés. Le 17 septembre, les forces armées jordaniennes commencent à bombarder les camps palestiniens : les forces royales bombardent
sans discontinuer le gigantesque camp de réfugiés de Djebel-Wahadate et Djebel-Akhdar et Djebel-Hussein, où sont retranchés des fedayins dans de misérables bidonvilles, continuent à être les cibles favorites de l’artillerie lourde, qui tire jour et nuit. La capitale est bombardée et les civils ne sont pas épargnés. C’est le début de « septembre noir », la répression sanglante de l’armée jordanienne, faisant plus de milliers de morts que l’armée israélienne n’en a jamais fait ! Les trois premiers jours se soldent par 3500 morts et un accord est signé selon lequel la résistance palestinienne qui reconnaît l’autorité du Hussein et accepte de quitter les villes jordaniennes.
Les forces fedayins qui semblaient si puissantes n’avaient pas de commandement central. Arafat était contre s’attaquer au roi et Habache, très révolutionnaire en paroles, était ailleurs, plus préoccupé par sa stratégie d’actes terroristes que par la révolution jordanienne. Les officiers bédouins sont restés fidèles au roi et personne dans la résistance palestinienne n’a appelé les petits soldats à se joindre à la résistance. Les forces palestiniennes n’auront de soutien que de la population civile jordanienne. Quand le roi Hussein envoie ses troupes bédouines contre les forces palestiniennes, la Syrie et l’Irak retirent leurs propres troupes pour ne pas intervenir. Ainsi Bagdad retire 15 000 hommes de troupes qui stationnaient en Jordanie. Hafez el Assad de Syrie impose à son aviation de ne pas intervenir aux côtés des Palestiniens et 23 septembre, les chars syriens se retirent de Jordanie. Le contingent saoudien près de Kerak soutient Hussein. Le roi Faycal d’Arabie s’accorde avec la Libye pour « cesser toute assistance à la résistance palestinienne ». Le 18 septembre les USA ont décidé de renouveler entièrement tout le matériel militaire de la Jordanie. Devant les premiers affrontements entre les Palestiniens et le régime du roi Hussein de Jordanie, journal égyptien Al Ahram, pro-gouvernemental, écrit : « il faut prendre garde au complot israélo-américain contre tous les pays arabes, et pas seulement la Jordanie. » Quant à Nasser, après huit jours de silence et pour tout soutien, il ramène Arafat au Caire pour lui faire signer un cessez le feu qui impose à la résistance son retrait des villes jordaniennes. Le 27 septembre, tous les chefs d’Etat arabes signent un texte demandant le désarmement des palestiniens.
Loin d’en tirer les leçons sur l’hypocrisie de la « solidarité arabe » quand il s’agit des Etats et des classes dirigeantes, les responsables palestiniens renoncent à la perspective de révolution arabe et s’alignent sur la position des chefs d’Etat. Un dirigeant palestinien, analyse ainsi les événements : « nous nous sommes trompés en présentant la révolution palestinienne comme une alternative au régime jordanien. L’étroit mélange démographique et social palestino-jordanien a conduit le mouvement révolutionnaire à penser que la majorité de la population en Jordanie lui était favorable et lui permettrait d’accéder au pouvoir. Ce fut une erreur monumentale ». Les dirigeants palestiniens ont donc considéré l’affrontement avec les forces jordaniennes comme une tragique méprise, due à l’erreur d’avoir menacé le régime jordanien d’une révolution sociale ! Le 28 septembre 1970, quelques jours après le massacre, Yasser Arafat ira même jusqu’à se réconcilier avec le massacreur en embrassant publiquement Hussein et en affirmant qu’il n’a jamais voulu mener un seul combat contre les régimes arabes mais seulement contre Israël.
Mais ce n’est pas fini car le roi Hussein est décidé d’en finir avec les combattants palestiniens et de les chasser du pays. Le 13 janvier 1971, l’armée jordanienne donne le coup de grâce à la résistance palestinienne en attaquant les réduits palestiniens à l’artillerie, au bombardement aérien et aux blindés. Le camp de Wahdat est bombardé par des bombes au phosphore et les morts par brûlures s’y comptent par milliers. En avril 1971, les combattants palestiniens doivent quitter la Jordanie et des centaines de milliers de réfugiés quittent le pays. Loin de radicaliser socialement la direction palestinienne, la répression d’un soi-disant « frère arabe » n’a que radicalisé qu’une petite minorité et uniquement sur le terrain des actions terroristes notamment avec le groupe « septembre noir », actes terroristes qui ont duré jusqu’en 1974 et ont contribué à couper les combattants du peuple palestinien lui-même.
1975-76 : révolution sociale au Liban
C’est surtout au Liban que les organisations palestiniennes se réfugient après septembre noir et l’expulsion de Jordanie. La jonction entre les organisations palestiniennes et les masses pauvres va être encore plus profonde menant aux premiers pas d’une révolution en 1975, toujours contre la volonté des dirigeants du Fatah de Yasser Arafat qui ne veut nullement d’une révolution contre les régimes réactionnaires arabes.
Au Liban les militants palestiniens vont trouver non seulement la sympathie des populations libanaises mais vont entraîner une réaction sociale contre la bourgeoisie libanaise. Dès 1969, la bourgeoisie et l’Etat libanais, trouvant que la présence de forces armées formées de pauvres palestiniens est un danger social, commencent à s’affronter à ces combattants mais un compromis est finalement trouvé en novembre 1969. La présence des Palestiniens en armes et qui se battent renverse le rapport des forces entre les classes sociales libanaises en encourageant les travailleurs du Liban à ne plus se laisser faire. De 1972 à 1975, la classe ouvrière libanaise et les couches populaires se radicalisent : aux balles des militaires répondent les grèves générales ouvrières en novembre 1972, décembre 1973, janvier et août 1974. Et en même temps cette classe ouvrière intervient aux côtés des Palestiniens : par exemple, le 1é avril 1973, c’est un cortège de 250 000 personnes qui traverse Beyrouth pour l’enterrement de trois leaders palestiniens tués par un commando israélien.
Une gauche anti-confessionnelle, ouvrière et syndicaliste, se développe en liaison avec les Palestiniens. Les grèves ouvrières se multiplient et les travailleurs interviennent autant dans les groupes armés palestiniens que ces derniers dans les grèves et manifestations ouvrières. Palestiniens et libanais pauvres ne font plus qu’un et la bourgeoisie libanaise arme ses milices d’extrême-droite pour écraser les travailleurs et les Palestiniens. La bourgeoisie tente de faire reculer la classe ouvrière en employant la violence dans les grèves : deux morts dans la grève de Ghandour à Beyrouth, deux autres morts dans celle des planteurs de tabac du sud Liban, intervention militaire contre les paysans en lutte contre les féodaux, bombardement par l’armée des camps palestiniens, enfin soulèvement de Saïda suite à une lutte des pêcheurs soutenue par les Palestiniens et mitraillée par l’armée (11 morts). Mais la violence des phalanges et de l’armée libanaise, loin d’impressionner les travailleurs, provoque une radicalisation de la population pauvre qui s’unit aux Palestiniens armés. En quelques mois, les travailleurs unis aux palestiniens font subir une défaite à l’armée unie aux bandes fascistes. Cependant, l’OLP de Yasser Arafat, loin de soutenir le soulèvement ouvrier, déclare en juin 75 : « tout ce qui se passe au Liban est injustifiable. La révolution palestinienne sait que le véritable champ de bataille se trouve en Palestine. » Arafat ne veut pas déstabiliser les dictature de Moyen Orient et compte au contraire être reconnu être des leurs. Mais devant la radicalisation de la révolution palestinienne, Arafat suit et s’unit à Habache en mai 1976.
Le 21 mars 1976, la gauche libanaise et la résistance palestinienne (palestino-progressiste) lancent une offensive dans le centre de Beyrouth et dans la montagne. L’insurrection est alors en voie de gagner sur toute la ligne devant une armée libanaise divisée et en battant les phalangistes. Or, la révolte du Liban menace d’autres pays où les Palestiniens ont trouvé refuge, comme la Syrie. Aussi le premier pays qui va intervenir pour arrêter la menace d’une victoire du camp des travailleurs est justement la Syrie. Alors que les dirigeants de la gauche libanaise et des Palestiniens accueillent avec satisfaction l’intervention d’un « pays frère arabe », les tanks syriens qui rentrent au Liban interviennent aux côtés de l’extrême-droite chrétienne contre le camp « palestino-progressiste ». Pour tous ceux qui ont cru à la solidarité des gouvernements arabes, c’est une chute très dure car la Syrie était, en paroles, particulièrement radicale sur ce terrain. Le 31 mai 1976 c’est le début de l’intervention conjointe contre les palestino-progressistes de l’armée syrienne, de la résistance palestinienne aux ordres de la Syrie, la Saïka et de l’armée palestinienne organisée par la ligue arabe, l’ALP. A ce moment la résistance palestinienne n’a plus le soutien d’aucun pays arabes. Un des « hauts faits d’armes » de l’armée syrienne contre les palestiniens est la bataille de Tall El-Zataar : l’armée syrienne pilonne ainsi méthodiquement le camp de réfugiés de Tall El-Zaatar qui, refusant de se rendre pendant des mois, est affamé puis massacré par la soldatesque. Le siège aura duré du 22 juin au 12 août 1976 ! Et ce n’est qu’un exemple ! Armée syrienne et phalanges fascistes chrétiennes collaborent même dans cette élimination méthodique de la gauche et des Palestiniens.
En 1977, les Palestiniens sont lâchés ouvertement par un des principaux Etats arabes protagonistes, l’Egypte. Sadate se rend en Israël pour négocier avec Begin, chef de l’Etat israélien et leader de la droite, ce qui se traduira par les accords de camp David, la paix est signée entra Israël et l’Egypte sans pour autant que la question palestinienne avance d’un poil. La paix séparée, loin de signifier un affaiblissement des actions israéliennes contre les palestiniens, sera le prélude de l’intervention israélienne la plus violente, celle du Liban.
En 1982, c’est l’intervention militaire israélienne contre les camps palestiniens bombardés par l’aviation. Khadaffi envoie alors un message à l’OLP conseillant de « se suicider plutôt que d’accepter l’humiliation »..., conseil généreux sans doute en guise de soutien. Sous les ordres du général Sharon, au titre de « paix en Galilée », l’armée israélienne envahit le Liban jusqu’à Beyrouth sous l’oeil médusé et grâce à la passivité des « forces d’interposition » internationales du sud Liban ! C’est le début d’un nouveau massacre des Palestiniens.
En juillet 1982, les combattants palestiniens signent leur défaite : ils quittent Beyrouth y laissant les réfugiés livrés à de nombreux meurtriers israéliens, phalangistes et armée syrienne. Selon l’accord signé sous l’égide des Américains, les civils Palestiniens seront protégés. En fait, c’est de suite les massacres que subissent les réfugiés dès septembre 1982. Sabra et Chatila où 1000 à 1500 réfugiés sont exécutés de sang froid par les phalanges libanaises sous les yeux des soldats israéliens chargés de les surveiller. La commission israélienne Kahane chargée d’enquête sur la responsabilité israélienne mettra en cause Begin et Sharon et 250 000 personnes descendent dans le rue contre le gouvernement.
Du 21 août au 3 septembre 1982, 14 500 combattants palestiniens qui étaient retranchés à Beyrouth-Ouest doivent quitter le Liban. Le mouvement palestinien, très affaibli, est réfugié à Tunis. En mai 1983, une dissidence au sein du Fatah d’Arafat au Liban est soutenue par la Syrie et la Lybie contre les combattants loyaux à Yasser Arafat. Pour les réduire, le chef retourne en personne au Liban livrer combat. En juin 1983, ce sont les premiers affrontements entre Palestiniens dissidents et loyalistes du Fath dans la Bekaa. Cette fois c’est Palestiniens contre Palestiniens et la dissidence est réprimée par un mois de siège meurtrier. Les mêmes combats reprendront en juillet puis en novembre 1983, les dissidents palestiniens, appuyés par les forces syriennes et libyennes, lancent une offensive contre les positions de Yasser Arafat et de ses fidèles retranchés depuis la fin septembre dans la région de Tripoli dans le nord du Liban.
Au Liban où les pauvres abandonnés par la gauche et les Palestiniens se sont tournés vers le mouvement chiite Amal, celui-ci mène lui aussi sa répression des Palestiniens du Liban au printemps 1985. Le 20 mai 1985, commence la « bataille des camps » : de sanglants affrontements à Beyrouth-Ouest entre Chiites Amal et Palestiniens pour le contrôle des camps. Le siège des camps palestiniens dure des semaines, des mois et les réfugiés sont réduits par la famine et les fusillades. Les camps palestiniens du Liban sont transformés en de gigantesques cimetières. Montrant ainsi à quel point il tenait à se montrer en partisan de la défense de l’ordre bourgeois, Arafat déclarait en 1991 à propos de la guerre civile libanaise : « Nous avons veillé sur l’économie libanaise. Nos forces, en 1976, puis pendant le siège de Beyrouth en 1982, ont protégé la banque centrale libanaise et les réserves d’or des Libanais. Nous avons préservé la stabilité du Liban. »
1987-93 et 2000 : les intifadas, deux révoltes sociales
En décembre 1987, l’intifada, la « révolte des pierres » des territoires occupés n’est pas du tout le produit de l’action des organisations palestiniennes complètement discréditées. Elle est née spontanément de la misère des bidonvilles, du chômage massif, de l’humiliation et de la répression quotidienne des forces d’occupation. C’est une explosion sociale d’une population pauvre et en particulier de sa jeunesse. La première année de l’intifada, ont lieu des manifestations de masse. À l’escalade des manifestations, des grèves et des heurts répondra donc, pour tenter de la stopper, une spirale répressive. L’armée multiplie les couvre-feu, tire sur les adolescents qui la narguent, les « passe à tabac », en arrête des dizaines de milliers et en interne des milliers, n’hésite pas devant les « mauvais traitements » lors de ses raids contre des villages ou dans les prisons, expulse des Palestiniens, etc...
La deuxième année, les manifestations de masse ont disparu mais sont remplacées par la guérilla à coups de pierres et de cocktails Molotov que mènent les " groupes de choc " de l’Intifada contre les voitures des colons et les patrouilles de l’armée. " C’est une stratégie de lutte armée sans armes " ( à feu). Des comités locaux populaires organisent le combat de rue, le ravitaillement, les soins médicaux et se fédèrent en une direction unifiée du soulèvement.
L’intifada est marquée aussi par l’abandon complet des dirigeants arabes qui continuent leurs négociations et bonnes relations nouvellement établies, comme si de rien n’était.
Suite au développement de l’intifada, le roi Hussein conclue qu’il n’est plus utile de revendiquer la Cisjordanie qui serait ingérable du fait du soulèvement. Le souverain hachémite rompt en juillet 1988, tout lien juridique et administratif avec la Cisjordanie
En 1988, Yasser Arafat appelle à la fin de l’intifada et tente de mettre fin à la révolte en obtenant une reconnaissance en échange. Dans ce but, l’OLP reconnaît l’Etat israélien en novembre 1988, mais les dirigeants israéliens ne prennent pas la perche tendue et déclarent que c’est un piège. En 1990, la guerre du Golfe va entraîner un isolement encore plus grand du mouvement palestinien car la position d’Arafat en faveur de Saddam Hussein le coupe de ses soutiens financiers dans le Golfe.
L’Intifada continue et entre en 1992 dans sa cinquième année. Le nombre de victimes palestiniennes tuées par les soldats et les colons israéliens depuis 1987 a dépassé le millier à l’été 1992. A la mi-1991, on dénombrait environ 850 Palestiniens tués par l’armée ou par les colons israéliens depuis le début du soulèvement, en décembre 1987. L’Etat d’Israël fait face à une révolte qu’il ne peut arrêter. Il va lui falloir entamer les négociations de 1993 à Oslo pour la faire arrêter. C’est un tournant politique décisif : reconnaissance de l’existence du peuple Palestinien (appelé jusque là les Arabes), reconnaissance de l’OLP comme représentant du peuple palestinien, promesse d’un territoire qui sera géré par une Autorité Palestinienne désignée par la population. Apparemment une victoire sur toute la ligne mais Israël et l’impérialisme n’ont cédé que formellement : sur le terrain la situation des Palestiniens ne va que s’aggraver, provoquant en septembre dernier la nouvelle intifada.
A nouveau c’est spontanément que s’est déclenchée la révolte, qui prend par surprise et même à contre-pied l’OLP et l’Autorité palestinienne. Les organisations palestiniennes étaient alors toutes tournées vers la collaboration politique et policière avec Israël et n’avaient nullement ce soulèvement en tête même si des militants y ont bien sûr participé et l’organisent maintenant. Et cette fois, les Palestiniens israéliens ont participé au soulèvement. En effet, dès le début de l’intifada, les Palestiniens israéliens avaient voulu montrer leur solidarité en manifestant pacifiquement mais la réaction de l’Etat a été terrible : treize morts et des ratonnades à Bat Yam, Holon, Jaffa, Tibériade, Hadera, Haïffa, Saint Jean d’Acre, Jérusalem et Tel Aviv. Jamais on n’avait vu ainsi les forces israéliennes tirer sur des Arabes israéliens. Du coup, les Palestiniens israéliens ont également explosé notamment à Oum el Fahm, à Jaffa, à Nazareth et dans les agglomérations bédouines près de Bersheva.
Dans les pays voisins, l’intifada a entraîné des réactions mais les divers gouvernements ont tout fait pour les limiter et les canaliser. Au Liban, les manifestations ont eu lieu immédiatement les samedi 30 septembre et 1er octobre parties des camps palestiniens mais elles y sont restées cantonnées, l’armée veillant à leur interdire de sortir. En même temps, au Koweit, plusieurs milliers de personnes manifestaient leur solidarité avec les Palestiniens au point que l’émir, un ennemi violent des Palestiniens, le même qui accorde royalement 50 naturalisations de Palestiniens par an et en a expulsé des centaines de milliers, s’est cru obligé de dire « la solidarité du peuple koweitien avec ses frères palestiniens ». En Jordanie, des manifestations massives en faveur des Palestiniens ont dégénéré en affrontements avec la police anti-émeutes. En Egypte, les forces de l’ordre ont tout fait pour que la population ne soit pas appelée à une grande manifestation, contraignant notamment les étudiants à manifester à l’intérieur du campus universitaires en intervenant à coups de matraque et de grenades lacrymogènes. La répression a fait de nombreux blessés parmi la dizaine de milliers de manifestants. Cependant le 11 octobre une manifestation, interdite, a quand même eu lieu au Caire avec plusieurs milliers de manifestants criant « où est l’armée égyptienne ? » La position des chefs d’état arabe a été plus que modérée au point que Barak a déclaré qu’ « il se félicitait » des déclarations du président égyptien et du roi de Jordanie.
Le Maghreb est également très touché par la question palestinienne. Devant l’émotion populaire, l’Algérie a préféré interdire toute manifestation et a empêché par la force de manifester ceux qui ont tenté le 12 octobre de descendre quand même dans la rue. Au Maroc, c’est 700 000 personnes qui se sont rassemblées à Rabat contre la répression israélienne. Des manifestations massives ont également eu lieu à Marrakech et Tunis.
Pas d’issue pour une paix entre les peuples ?
Après plus de cinquante années de lutte, des dizaines de milliers de morts (environ 7000 morts en Jordanie en 1970, 30 000 morts au Liban après 1975, 1400 morts dans les diverses révoltes des territoires occupés, etc...) et des sacrifices sans nombre, la population palestinienne ne dispose toujours pas d’un territoire, d’un Etat, ni des moyens de subsistance et est toujours un peuple déplacé, sans papiers, sans domicile fixe, le plus souvent sans travail et sans revenu, otage de tractations sans fin des chefs d’Etat.
A nouveau, il pourrait sembler que la lutte des Palestiniens peut durer éternellement, toujours entre une négociation et un massacre, sans qu’apparemment puisse changer le sort de ce peuple expulsé de sa terre et sans droit. Etats arabes et Israël, un camp comme l’autre, comme les Etats impérialistes, s’ingénient à présenter le conflit comme le produit de la haine inextinguible entre deux peuples, juifs et arabes, conflit qui serait dû à une incompatibilité entre deux communautés fondées sur des cultures, des religions différentes. L’Etat d’Israël explique ainsi qu’on ne pourra jamais se fier aux Arabes et les Etats arabes que le problème n’est pas seulement chez les dirigeants sionistes mais que le peuple israélien est aussi l’ennemi. Déjà en 1967, Moshe Dayan déclarait : « Les Arabes détestent les Juifs pour des raisons personnelles, religieuses ou raciales. »
Les Etats de la région et ceux des pays impérialistes présentent bien entendu leurs interventions et leurs guerres comme des efforts pour défendre les populations et organiser la paix. En fait, Israël, les pays impérialistes et aussi les Etats arabes n’ont nulle intention de protéger les peuples, pas même le leur. Ils se préoccupent surtout qu’il ne se révolte pas contre eux et les classes dirigeantes dont ils défendent les intérêts. La sécurité des peuples qui sert sans cesse de prétexte à leurs interventions est le cadet de leurs soucis, y compris Israël pour les Israéliens et les Etats et classes dirigeantes arabes (et palestinienne) pour les Palestiniens. Le nationalisme des uns et des autres a d’abord pour but de faire croire aux peuples qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se solidariser avec leurs propres classes dirigeantes c’est-à-dire avec leurs exploiteurs.
Il n’est pas exact que la révolte palestinienne et les guerres du Moyen Orient soient le produit d’une haine entre les peuples. De même qu’il n’est pas exact que la lutte ait lieu entre toute la communauté arabe et les israéliens. Et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si l’Etat d’Israël a pris son propre peuple au piège de la politique sioniste, cela ne signifie pas que c’était une fatalité ni que cela le sera à l’avenir. Cela signifie encore moins que ce serait l’intérêt des travailleurs israéliens de défendre l’oppression exercée par leur Etat sur le peuple palestinien. La deuxième raison réside dans l’absence totale de véritable solidarité entre les classes dirigeantes et les peuples du Moyen Orient. On peut même dire que les diverses armées arabes et mouvements armés soutenus par eux ont fait beaucoup plus de morts palestiniens que l’Etat d’Israël lui-même. Ne citons que l’armée jordanienne en 1970, l’armée et les bandes armées fascistes libanaises à partir de 1975, l’armée syrienne à partir de 1976. Malgré leur discours prétendument pro-palestinien et parfois anti-impérialiste, les Etats arabes sont des Etats réactionnaires liés à l’impérialisme et qui oppriment des peuples dont l’immense majorité sont extrêmement pauvres, menacés sans cesse par des révoltes des Palestiniens
L’OLP n’existait pas lors de la révolution ouvrière et paysanne, de 1936-39 s’est déclenchée mais par la suite on peut dire qu’elle n’a jamais été vraiment du côté des révoltés dans chacun des soulèvements palestiniens. Ce front uni a été créé en 1964 par des Etats arabes soucieux d’abord d’encadrer la révolte que de la faire triompher. Loin de chercher à agir de manière révolutionnaire en Jordanie, elle n’a fait que subir la confrontation puis se défendre en 1970 quand la révolte palestinienne a déstabilisé le régime réactionnaire du roi Hussein de Jordanie ce qui a amené ce dernier à l’écraser dans un bain de sang. Elle n’a jamais soutenu la fusion de la révolution palestinienne et de celle des pauvres du Liban en 1975-76 contre la bourgeoisie libanaise et ses phalanges d’extrême-droite. Elle n’a été à l’origine ni de l’intifada de 1987 ni de celle débutée en septembre dernier. Et cela n’a rien d’étonnant : l’OLP n’a fait que se maintenir au travers d’une révolution nationale mais aussi sociale en conservant son orientation bourgeoise consistant à ne jamais vouloir remettre en question les régimes arabes et les classes dirigeantes de ces pays pourtant ultra-réactionnaires et hostiles aux Palestiniens. Et du coup, elle n’a jamais représenté l’organisation capable de donner toute son ampleur au mouvement palestinien, même quand celui-ci était gros d’une révolution dans tout le Moyen Orient.
Demander à la révolution palestinienne d’entraîner une révolution arabe ou à l’échelle du Moyen Orient, de menacer ainsi la domination impérialiste dans toute la région, peut sembler irréaliste. Les Palestiniens doivent d’abord régler leurs propres problèmes, diront les uns. Ils ne peuvent se substituer aux masses arabes, diront les autres, qui soulignent le soutien insuffisant des autres peuples à la lutte des Palestiniens. Mais c’est oublier que la force du combat des Palestiniens, ce qui a sauvé aussi leur combat de l’écrasement ou de l’oubli, est justement que l’impérialisme craint le caractère contagieux et explosif de cette lutte. L’ordre du Moyen Orient est un ordre impérialiste et l’impérialisme US à lui seul contrôle 20% de la production et 50% des réserves du Moyen Orient. Il sait parfaitement tout le caractère instable des régimes arabes car c’est l’impérialisme lui-même qui les a parfois mis en place, qui en a fait ce qu’ils sont, qui gère leur économie et leur dette en maintenant la tête du noyé juste au dessus du niveau, à la limite de l’explosion sociale. .
Un même combat avec les peuples du Moyen Orient
Le Moyen Orient est une région importante pour l’impérialisme et la lutte des Palestiniens est un des facteurs importants qui rend instable sa domination dans cette région. Les pays du Golfe ne sont pas à l’abri de révoltes sociales et d’agitations politiques menaçant ces régimes féodaux ultra-réactionnaires maintenus à bouts de bras par l’impérialisme. Le Koweit l’a montré en 1990, l’Arabie Saoudite en 1979 et le Bahrein a connu une véritable intifada en 1994. L’Irak a été menacé simultanément par une révolte des kurdes, une révolte des chiites pauvres et une situation sociale explosive mais l’intervention militaire de l’impérialisme en 1990 a noyé tout cela dans un bain de sang. C’est cette instabilité et cette sensibilité des populations à la cause palestinienne qui explique que ces pays financent les organisations palestiniennes. C’est le prix à payer pour ne pas risquer d’être mis en cause par les peuples pour leur entente avec l’impérialisme et leur passivité devant les massacres des Palestiniens.
Les pays voisins, Egypte, Jordanie, Syrie et Liban, sont particulièrement sensibles à la question palestinienne. On a déjà cité trois cas de révoltes sociales liées au combat des Palestiniens : Egypte 1967, Jordanie 1970 et Liban 1975-76. Et le Liban a connu à nouveau des émeutes sociales en 1987
Egypte
Avec ses 65 millions d’habitants, l’Egypte représente un tiers de la population arabe ! Et une grande part, treize millions, habite la capitale, Le Caire, la ville la plus prolétarisée du monde (73% !). Au Caire, 22,7% des habitations n’ont pas l’électricité, 36% n’ont pas l’eau courante 40% des logements menacent de s’effondre et 41,7% n’ont pas le tout à l’égout. Certains quartiers ont la plus forte densité au monde (Bab al Sharia : 127 000 habitants au mètre carré). L’historien Robert Ilbert écrit en 1990, dans la revue « Autrement » : « Du Caire vous pouvez dire qu’elle est cité fébrile. Il arrive que le volcan sorte de sa torpeur. Et explose. »
Combien l’Egypte est dépendante de l’impérialisme, quelques chiffres suffisent à le souligner : avec une dette de 50 milliards de dollars, une inflation de 35%, un chômage atteignant 20% de la population active. Deux millions d’égyptiens ont dû émigrer pour vivre et dix millions survivent grâce à cette émigration. C’est dire pourquoi l’Egypte a été pressée de faire sa paix avec Israël sous l’égide des USA. Dès sa signature des aides américaines n’ont pas cessé d’arriver. Mais la misère grandit presque aussi vite que la richesse d’une infime minorité très voyante, corrompue et liée au pouvoir. Le chômage touche 2,8 millions de personnes (18% de la force de travail). Il est bien fini le temps de la démagogie populiste nassérienne ! Les 5% de familles les plus riches ont absorbé en 1983 22% du revenu national, alors que les 34% les plus pauvres n’en ont perçu que 11%. 2,3% des Égyptiens ont englouti 34% de la consommation nationale, alors que 33% des citadins et 44% des ruraux vivaient en dessous du seuil de la pauvreté. Depuis 1974, la politique d’ouverture (Infitah) amorcée par le président Sadate a produit ce que l’on appelle les "nouveaux riches de l’Infitah"qui étalient un luxe tapageur, de plus en plus mal supporté par les catégories sociales les plus défavorisées.
L’Egypte est entrée dans le cycle infernal : fin de la subvention des produits de première nécessité, mise à niveau mondial des prix des produits agricoles et de l’énergie, réductions des moyens de l’Etat, suppression des services publics, baisse des salaires réels (-24% en cinq ans de 1990 à 1995), sacrifices pour les plus pauvres, privatisations, bénéfices boursiers, chômage, misère. Et les réactions populaires sont en proportions. Les émeutes ont été quasi régulières en Egypte mais en janvier 1977, c’est autre chose : c’est carrément l’explosion sociale au Caire. Ce sont des émeutes sanglantes ! La dégradation des conditions de vie de millions d’Égyptiens a suscité de nombreux conflits sociaux en 1986. D’importantes grèves ont secoué les centres ouvriers de Choubra al Kheima et Mehallah al Kobra, durement réprimées par les forces de l’ordre. Mais dans un pays où le mouvement syndical a été caporalisé, où les droits de l’opposition politique sont réduits, le mécontentement s’exprime surtout sous forme "d’explosion". Le soulèvement des policiers du Caire en février 1986 - qui a fait, suivant les estimations officielles, une centaine de victimes et des millions de dollars de dégâts - a été le dernier exemple de cette forme d’opposition. En août 1988, de violents affrontements ont lue entre la population de la banlieue du Caire et la police. Et l’été 1997, c’est le tour des paysans de se révolter !
Dans ces conditions le régime ne s’est jamais vraiment remis de l’humiliation de la défaite de 1967, de la honte de voir à ses portes les palestiniens qui souffrent et se battent et de voir le régime s’entendre avec les dirigeants israéliens. Politiquement, il n’a trouvé une solution que dans une alternance d’ouverture vis à vis des islamistes, pour combattre les syndicalistes et la gauche, puis d’affrontement avec eux.
La situation sociale et politique est si tendue en Egypte que l’état d’urgence est en vigueur depuis ...1981 et 16 700 personnes sont détenues incarcérés en vertu de la loi d’urgence.
Jordanie
La Jordanie compte 4,5 millions d’habitants, dont plus de 60 % de Palestiniens, parmi lesquels 1,5 million de réfugiés de 1948-1949 recensés par l’agence onusienne UNRWA et 400 000 déplacés de la guerre de 1967. Ces Palestiniens sont, de fait, des citoyens de seconde zone, largement exclus des fonctions administratives et militaires importantes – mais très présents dans l’économie. En temps habituel, une vraie tension existe entre eux et les Transjordaniens de souche. Le problème pour le régime, c’est que toute la population, quelle que soit son origine, prend fait et cause pour les Palestiniens des territoires occupés. C’est ce qu’a démontré la manifestation de soutien à l’intifada le 24 octobre 2000. Voilà ce que rapporte le Monde du 7 novembre 2000. « De mémoire de Jordanien, on n’avait plus vu une telle foule depuis la mort de Gamal Abdel Nasser, en 1970. Entre 20 000 et 50 000 personnes, selon les estimations, dans un pays où une manifestation « de masse » en rassemble au maximum 5 000, voilà qui a démontré, le 24 octobre, l’ampleur de la solidarité de la population du royaume avec ses « frères » palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Mais ce grand rassemblement a aussi constitué un exemple grandeur nature des difficultés et des ambiguïtés dans lesquelles se débat aujourd’hui la monarchie hachémite.
Plusieurs semaines auparavant, les syndicats avaient appelé à une manifestation nationale de soutien au « droit au retour » des Palestiniens. La population était appelée à converger vers Chouneh, dernier bourg situé avant le pont Allenby, qui enjambe le Jourdain, point d’entrée par la route vers les territoires occupés par Israël. Le gouvernement avait, dans un premier temps, autorisé la manifestation. Trois jours avant la marche, il l’interdisait. La veille du jour J, non seulement il l’autorisait de nouveau, mais on annonçait la présence de plusieurs ministres dans le cortège, au point que de nombreux militants palestiniens, dénonçant la « récupération » par le régime, décidaient de ne pas y participer. En même temps, le pouvoir demandait aux autorités locales de veiller à ce que le nombre de véhicules se rendant sur les lieux soit aussi limité que possible. Résultat : une énorme manifestation à l’issue de laquelle des participants, débordant les barrages militaires et policiers, et il y aurait eu un mort et 300 blessés. Publiquement, le régime soutient la lutte du peuple palestinien. Le roi Abdallah II a même été donner son sang pour les Palestiniens victimes de l’intifada et toute la presse a titré : « Du sang hachémite pour les blessés de Palestine ». En réalité, le palais est inquiet. La pire de ces éventualités serait évidemment un effet ricochet des affrontements en cours sur l’autre rive du Jourdain, qui mettrait en péril la monarchie.
« Le roi est en harmonie totale avec son peuple. La situation n’est pas dangereuse, mais nous sommes prêts à toute éventualité », dit Taleb El Rifaï, ministre de l’information.
« Nous sommes l’immédiate arrière-cour de la Palestine, les premiers affectés par ce qui s’y passe, émotionnellement, démographiquement et géopolitiquement », dit encore M. Rifaï. « Notre principal problème est démographique. Notre régime ne survivrait pas à un nouveau transfert de population palestinienne ».
La guerre civile de 1970 n’est pas la seule à avoir montré combien la situation sociale et la stabilité du régime pouvaient être menacées.
L’intifada de 1987 a eu immédiatement des répercussions en Jordanie, au point que le roi Hussein a été contraint pour faire relâcher la pression d’annoncer en 1988.qu’il renonçait à toute revendication sur la Cisjordanie.
La Jordanie a connu, en avril 1989, des émeutes dans plusieurs villes du Sud, en particulier à Maan et Karak. Ces émeutes, durement réprimées, auraient fait, selon un bilan officieux, 11 morts et 34 blessés. Un tel bilan est significatif du malaise profond que traverse le royaume hachémite, d’autant plus que les violences ont éclaté spontanément dans les fiefs bédouins du désert, fidèles soutiens du roi Hussein. Les Palestiniens résidant en Jordanie n’ont pas participé à cette révolte contre la vie chère.
Les émeutes se sont déclenchées le 18 avril 1989, deux jours après l’adoption par la Jordanie, à la demande du FMI, d’un programme d’austérité qui s’est traduit par d’importantes hausses de produit de première nécessité, comme l’essence, le lait ou la margarine. Depuis plusieurs mois, la Jordanie traversait une grave crise économique liée à trois causes essentielles : la diminution des dons versés par les pays pétroliers du Golfe (350 millions de dollars en 1987 contre 1,2 milliard en 1978), la baisse spectaculaire des transferts des travailleurs émigrés (passés de 1,3 milliard de dollars en 1983 à 750 millions en 1987), et la fin de la guerre Irak-Iran. Le royaume hachémite était en effet devenu le point de passage des importations et d’une grande partie des exportations irakiennes. Or, la région de Ma’an où ont éclaté les troubles vit précisément du transport routier et a été touchée par la fin de la guerre Irak-Iran et par les hausses du carburant.
D’autre part, la décision du roi Hussein, annoncée solennellement le 31 juillet 1988, de rompre les liens administratifs et juridiques unissant la Jordanie et la Cisjordanie, a eu des répercussions importantes sur l’économie jordanienne : c’est ainsi que de nombreux Palestiniens de Cisjordanie ont retiré leurs capitaux placés dans les banques d’Amman, accentuant la dépréciation du dinar jordanien par rapport au dollar, aggravant ainsi le poids de la dette extérieure jordanienne. Enfin, même si le roi Hussein a rompu les liens entre la Jordanie et la Cisjordanie, l’opinion publique jordanienne suit avec admiration l’intifada dans les territoires occupés.
Après les violentes émeutes d’avril 1989 qui avaient fait plusieurs morts dans le sud de la Jordanie, la situation économique est demeurée préoccupante, avec un taux de chômage élevé (dépassant 20% de la population active), une inflation galopante (entre avril 1988 et avril 1989, le dinar jordanien a perdu 75% de sa valeur par rapport au dollar), et un endettement spectaculaire. Le rééchelonnement de la dette extérieure, estimée à 8 milliards de dollars en 1990 (soit le double de la valeur du PNB), a été désigné comme l’objectif prioritaire des autorités jordaniennes. D’habiles négociations conduites durant l’été 1989 ont permis d’obtenir ce rééchelonnement. En même temps, la Jordanie, dans le cadre d’un plan de redressement, s’engageait à réduire son déficit budgétaire (24% du PIB en 1988, 20% en 1989, 16% en 1990, avec pour objectif 6% en 1993).
L’accroissement du chômage, accentué par le retour d’un grand nombre de Jordaniens expatriés dans les "pétromonarchies" du Golfe, a conduit Amman, en octobre 1987, à restreindre de nouveau l’octroi de permis de travail aux étrangers. Amman envisage le renvoi de 80 000 Egyptiens et de 10 000 Syriens.
Avec 20% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté et une pauvreté générale qui grandit sans cesse, le pays est menacé en permanence d’explosion sociale. Les émeutes d’août 1996 contre l’augmentation de 250% du prix du pain et la hausse des prix des aliments pour le bétail, imposées par le FMI, et la répression permanente contre toute agitation sociale ou politique, illustrent la fragilité du régime jordanien. Débordé par les émeutes, dès le 16 août 1996, le roi a fait appel à l’armée qui a réprimé violemment sans que l’on connaisse le nombre de victimes. Le 17 août, quatre villes du sud sont secouées par des émeutes qui sont réprimées. Même les islamistes, qui se flattaient d’être une opposition radicale sur le terrain social, ont « dénoncé le caractère insurrectionnel du mouvement ».
En février 1998, des troubles graves ont lieu à Amman et à Ma’an, faisant au moins un mort et des blessés, face à une population qui protestait contre les nouveaux bombardements américains sur l’Irak.
Dans tous les pays du Moyen Orient, des dictatures se sont maintenues inchangées depuis de longues années grâce à la répression permanente. Ce qui change la donne c’est l’ « ouverture économique » (fin de l’économie d’Etat, privatisations, poids des capitaux financiers, dette, etc...) s’est produite ici sans l’ombre d’une ouverture politique. La guerre du Golfe, la poursuite par les USA de la politique visant à diaboliser l’Irak met tous ces régimes dans une position très délicate quand, au même moment, Israël qui réprime violemment les Palestiniens est soutenu par les USA.
C’est cette instabilité politique et sociale des pays du Moyen orient qui a amené l’impérialisme à faire pression sur Israël pour un règlement du conflit palestinien. La fin de l’intifada a fait baisser la pression et Israël en a profité pour retarder ou annuler les mesures prévues. Aujourd’hui plus que jamais il est sûr que les Palestiniens ne peuvent gagner qu’en menaçant de déstabiliser l’ordre impérialiste du Moyen Orient. Seule la menace d’extension peut obliger l’impérialisme à faire suffisamment pression sur son allié, l’Etat d’Israël et le contraindre à accéder aux droits des palestiniens. C’est pour cela que la politique consistant à soutenir les régimes arabes, qui est celle d’Arafat, ne peut être qu’une trahison des intérêts des Palestiniens. On comprend qu’aujourd’hui Arafat ne soit plus la bête noire des gouvernants israéliens et même presque le contraire !
Mais dans le combat des Palestiniens, les travailleurs et les pauvres des pays arabes ne sont pas les seuls alliés. Il y a aussi les travailleurs, les jeunes israéliens et la partie de la population israélienne qui, petits enfants des victimes de pogromes, ne veulent pas devenir les nouveaux gardiens de ghetto d’un nouveau peuple martyr : les Palestiniens .
Les israéliens sont-ils fatalement
attachés à la politique agressive de leur Etat ?
Et, contrairement à ce qu’affirment les nationalistes des deux camps, depuis le début, avant même la création de l’Etat d’Israël et jusqu’à aujourd’hui, bien des occasions ont été manquées par les militants qui auraient voulu unir dans la lutte peuples palestinien et israélien. Des combats contre l ‘impérialisme anglais des années 30 à nos jours, les occasions n’ont pas manqué dans lesquelles la population et les travailleurs juifs pouvaient s’unir aux Palestiniens et bâtir un autre avenir que celui des guerres sans fin. D’ailleurs certaines petites organisations l’ont plus ou moins défendu un certain temps : le parti des ouvriers de Sion dans les années 1900, le parti communiste palestinien dans les années 30 puis le mouvement trotskyste ou des organisations comme les Panthères noires d’Israël.
La guerre du Liban de 1982 a été une de ces occasions manquées pour les israéliens, ou une partie d’entre eux, de remettre en cause la politique sioniste. Ce n’a pas été une guerre comme les autres pour les Israéliens. Elle entraîna un refus de soutien aux opérations de l’Etat d’Israël sans précédent. Pour la première fois il est évident qu’il ne s’agit nullement d’une guerre pour la défense de la population juive mais d’une guerre de conquête et de destruction d’un pays voisin. Une partie importante d’Israël s’oppose à la guerre. Le pays est coupé en deux. Le nombre élevé des soldats israéliens tombés au Liban - 650 tués à la mi-avril 1985, environ 3 500 blessés - a causé un choc terrible dans le pays, Phénomène absolument nouveau en Israël : des dizaines de soldats ont été condamnés en 1983 à des peines de plusieurs semaines de prison pour refus de rejoindre leurs unités.
Présentée au départ comme une opération à caractère limité dans l’espace (45 kilomètres au nord de la frontière) et le temps, l’offensive apparaîtra vite à l’opinion publique israélienne comme une vraie guerre, dont le bilan côté israélien s’élèvera au début de 1983 à 460 morts et 2 500 blessés. Au fur et à mesure que le siège de Beyrouth-Ouest se prolonge, de la mi-juin à la fin août, les divisions vont s’approfondir en Israël. Des manifestations pacifistes contre l’assaut de Beyrouth-Ouest réunissent, à l’appel du mouvement "La paix maintenant", des dizaines de milliers de personnes. Ils seront plus de deux cent mille à la fin septembre pour réclamer la constitution d’une commission d’enquête officielle sur les responsabilités israéliennes dans les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila. Plus d’un millier de civils palestiniens ont en effet été tués les 16, 17 et 18 septembre 1982 par des forces phalangistes introduites dans les camps par l’armée israélienne, à 200 mètres de ses lignes et de son quartier général dans Beyrouth investie.
Devant la réaction dans les territoires occupés, le gouvernement militaire ferme les universités, destitue les maires élus, interdit aux hôpitaux de soigner les blessés des manifestations avant l’arrivée de la police. Les colons, prétendument "civils", intensifient à l’ombre de cette politique leurs provocations et leurs exactions : enlèvements et assassinats, culminant avec l’acte "fou" du colon juif américain Goodman sur le site de la mosquée El-Aqsa, le 11 avril 82.
Face à cette situation, la minorité "dissidente" - des sionistes modérés aux antisionistes - se radicalise, se forge une nouvelle détermination, dont témoignent notamment les manifestations du comité israélien de soutien à l’université de Bir-Zeit en territoire occupé, violemment réprimées par l’armée. Maigre contrepoids à la course folle de la droite vers la guerre, mais néanmoins lueur d’espoir.
Cinq mois après, les conclusions accablantes de la commission d’enquête Kahane, qui accuse le gouvernement de porter une "responsabilité indirecte" dans les massacres, obligent le ministre de la Défense Ariel Sharon à se démettre de ses fonctions, tout en restant au cabinet. Le même jour, le 10 février, un manifestant pacifiste, Émile Grundzweig, est tué par une grenade lancée contre une manifestation de "La paix maintenant". Ce geste fait prendre conscience à une partie des israéliens que, si leur mouvement contre la guerre est pacifiste et modéré, l’extrême-droite, elle, se radicalise en Israël. L’affaire a bouleversé l’opinion, qui a pris conscience que la cohésion même de la société israélienne était en cause. Le gouvernement a perçu le risque et recule : le même 10 février 1983, Sharon n’est plus ministre de la Défense. Le cabinet l’a obligé à se démettre de ses fonctions après la publication du rapport Kahane, qui concluait à la "responsabilité personnelle" d’Ariel Sharon dans les massacres de Sabra et Chatila
Le 25 février 1983, un extrémiste juif, Baruch Goldstein, ouvre le feu à l’intérieur de la mosquée Ibrahim (le Caveau des patriarches) à Hébron, (mort de 30 Palestiniens). Mais la poussée de l’extrême-droite continue à se manifester violemment et se influence grandit. L’extrême-droite fascisante passe de 2,6% des voix et trois députés en 1981 à 10% et 11 députés en 1992. Le 4 novembre1994, c’est l’assassinat à Tel Aviv d’Itzhak Rabin par un extrémiste israélien, Ygal Amir a appartenu à la brigade Golani, une unité d’élite de l’armée, et a même travaillé en URSS pour une organisation d’aide aux Juifs soviétiques liée aux services secrets. Dans le même temps, il a rejoint la droite religieuse, radicalisée après l’accord d’Oslo avec l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) de Yasser Arafat. L’hypothèse d’un complot n’a pas été retenue par les enquêteurs, même si la responsabilité de rabbins extrémistes a été évoquée.
Le meurtre de Itzhak Rabin provoqua une émotion considérable, en particulier au sein de la jeunesse. Des centaines de milliers d’Israéliens de tous âges sont venus rendre un dernier hommage à la dépouille mortelle du Premier ministre, et participer à ses funérailles à Jérusalem, qui ont, également attiré des personnalités du monde entier, y compris de plusieurs États arabes fraîchement réconciliés avec l’État hébreu.
Les réseaux terroristes anti-arabes, qui recrutent en premier chef dans les colonies de peuplement juives, ont de leur côté multiplié les attentats. En juillet, ils ont ainsi attaqué l’université islamique de Hebron, tuant sur le coup trois étudiants palestiniens. D’autres petits groupes moins bien organisés, composés de mystiques de choc, de délinquants tournés vers la religion, de sympathisants juifs américains du rabbin Meir Kahane, ont pris pour objectif des institutions religieuses chrétiennes et musulmanes.
L’intifada de 1987 a été une autre occasion manquée pour les Israéliens de se démarquer radicalement des dirigeants de leur Etat. Les violences de la répression ont choqué. Les autorités amènent de jeunes soldats israéliens à casser les os des jeunes Palestiniens. Des Israéliens se révoltent et une partie traite des Israéliens l’autre de fasciste. 1500 militaires ont refusé de servir dans les territoires occupés et 150 font même des peines de prison. Un mouvement d’insoumission (des jeunes qui refusent le service militaire, cela ne s’était jamais vu en Israël dont l’armée avait toujours été populaire) se développe dans la jeunesse israélienne.
Le 24 décembre 1988, alors que le nombre de morts et de blessés se multiplie du fait de l’utilisation par l’armée de nouvelles balles en plastique, plusieurs milliers d’Israéliens manifestent à Tel Aviv contre la répression et en faveur d’un dialogue avec l’OLP.
Ces événements ont divisé les Israéliens. Si une minorité non négligeable est restée irrémédiablement opposée à tout compromis sur le "Grand Israël" et a refusé de renoncer à la moindre parcelle des territoires conquis en 1967, la majorité a semblé au contraire l’accepter et souhaite prendre ses distances par rapport aux pratiques de l’occupation telles qu’a pu les révéler la commission d’enquête officielle sur le massacre commis le 25 février 1994 par un colon juif, le docteur Baruch Goldstein, au Tombeau des Patriarches d’Hébron (Cisjordanie). B. Goldstein a abattu vingt-neuf fidèles musulmans en pleine prière avant d’être tué à son tour par les survivants. C’est toutefois sans regrets que la plupart des Israéliens ont vu leur armée quitter la bande de Gaza (à l’exception du secteur des colonies juives) en mai 1994, pour être remplacée par la police palestinienne. Quitter l’"enfer" de Gaza était assurément un objet de consensus, surtout auprès des Israéliens contraints d’effectuer leurs périodes de réserve à patrouiller dans les camps de réfugiés face aux activistes de l’intifada (soulèvement palestinien dans les Territoires occupés, commencé en décembre 1987).
En dépit de l’appui de la majorité des Israéliens à la répression antipalestinienne et des appels répétés de la droite nationaliste en faveur de l’expulsion des habitants des territoires occupés, un malaise s’est installé dans le pays. Seuls les partis d’opposition de gauche et de nombreux groupes extraparlementaires (dont La Paix maintenant) ont organisé des protestations contre la répression. Mais ce mouvement a pris moins d’envergure que celui qui s’était opposé à la guerre du Liban en 1982. Six cents soldats avaient été tués alors (l’occupation du Sud-Liban continue de faire couler du sang) tandis que l’intifada n’a fait que deux victimes du côté israélien. En outre, le Parti travailliste qui en 1982 était dans l’opposition, participe en 1988 à la coalition gouvernementale et c’est un des siens, le ministre de la Défense, Itzhak Rabin, qui dirige la répression
Les travailleurs israéliens ont des intérêts différents des patrons
et de l’Etat israéliens
Le seul succès du gouvernement d’union nationale a incontestablement été d’ordre économique. L’inflation a été de 185% en 1985 (contre 444,9% en 1984). En juillet 1985, elle atteignait un chiffre record dans l’histoire du pays : 27,5%, puis, après l’adoption d’un plan d’urgence de redressement économique, elle a décru régulièrement pour arriver en janvier 1986 au chiffre impensable de -1,3%. Depuis, l’inflation mensuelle a été de l’ordre de 3% environ. Ce sont les salariés qui ont payé lourdement cette réussite : au cours de l’année 1985, les salaires réels moyens ont diminué de quelque 20% pour arriver à l’équivalent de 450 dollars par mois environ. Les disparités sociales se sont approfondies : en 1985, 1% de la population recevait 11,5% du revenu national, 10% s’en partageaient presque 40%, et 14,5% de la population vivaient au-dessous du seuil de pauvreté (avec moins de la moitié d’un salaire moyen). Le chômage a atteint 6,9% en 1985 (contre 5,9% en 1984), et les impôts sont restés parmi les plus élevés du monde. Grâce à l’accroissement de l’aide américaine (quelque 3 milliards de dollars en 1985, auxquels s’est ajouté un don de 750 millions de dollars), Israël a vu, pour la première fois, sa dette extérieure diminuer. Le déficit commercial a atteint 2 000 millions de dollars en 1985, contre 2 520 millions de dollars en 1984. La croissance économique a été insignifiante. L’économie israélienne est toujours malade de son budget militaire démesuré, ce qui a amené un humoriste israélien à dire : "Israël n’est pas un pays qui a une armée, mais c’est une armée qui possède un État."
Malgré un net recul du chômage, 700 000 Israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté (1575F par mois) et il y a une véritable « fracture sociale » entre riches et pauvres Israéliens entre un revenu mensuel minimum de 3000F, des retraités et des travailleurs des kibboutz misérables et des hauts revenus de 500 000F.
Avec la nouvelle intifada, l’opposition pacifiste s’est à nouveau manifestée. Elle réclame notamment la fin des colonies. Le mouvement « la paix maintenant », qui souligne que depuis les accords d’Oslo les logements dans des colonies ont augmenté de 52,5% avec notamment 80 000 colons de plus en Cisjordanie, revendique l’évacuation quasi totale des colonies.
Les provocations de l’extrême droite ou simplement de nouvelles politiques catastrophiques des classes dirigeantes israéliennes, le jusqu’au-boutisme guerrier, la violence la répression, peuvent aussi créer demain de nouvelles occasions pour que s’exprime et s’organise dans la population israélienne une véritable opposition à la politique sioniste, et si une telle opposition se battait vraiment elle pourrait donner les bases d’un combat commun des deux peuples.
Pour conclure
Le bilan de cinquante ans de lutte est très dur. Malgré tout le courage, l’héroïsme même, des combattants palestiniens et de tout un peuple qui les soutient, leur combat est arrivé à une impasse :au mieux un Etat croupion, dépendant d’Israël, oppresseur supplémentaire d’une fraction seulement des réfugiés. Parce que la lutte révolutionnaire des Palestiniens nécessite une direction qui le soit également et que la radicalité spontanée des combattants ne peut remplacer une politique révolutionnaire. Pour que les leçons de ces combats soient tirées et même fructifiées dans les luttes suivantes, il est indispensable qu’une organisation marxiste révolutionnaire, même petite, en éclaire la voie. C’est là que réside le principal soutien que peuvent apporter les révolutionnaires des autres pays : aider à la formation d’une avant-garde communiste révolutionnaire ! Si cette condition était demain réalisée, tous les espoirs seraient permis non seulement aux Palestiniens mais à tous les opprimés du Moyen Orient !
ANNEXE
Texte publié pour la première fois sous le titre « Thawrat 1936-1939 fi Filastin » dans Chou’un filastiniyyah (Affaires Palestiniennes), nº 6, janvier 1972.
Traduction de la version anglaise : « The 1936-1939 Revolt in Palestine », Committee for Democratic Palestine, New York, 1972.
Ghassan Kanafani
La révolte de 1936-39 en Palestine
Janvier 1972
Introduction
Entre 1936 et 1939, le mouvement révolutionnaire palestinien subit un sérieux revers du fait de l’action combinée de trois ennemis distincts qui constituaient ensemble le principal frein au mouvement national en Palestine à chaque étape cruciale de la lutte : les dirigeants réactionnaires locaux, les régimes des Etats arabes prêts à sacrifier la Palestine et l’ennemi impérialiste-sioniste. La présente étude se concentre sur les structures respectives de ses forces distinctes et sur les relations dialectiques existant entre elles.
La richesse de l’expérience nationale palestinienne qui a vu le jour depuis 1918, s’accompagnant d’une façon ou d’une autre de la lutte armée, ne s’est pas reflétée dans les structures supérieures du mouvement national palestinien qui resta sous le contrôle de dirigeants semi-féodaux et semi-religieux. La raison première est à rechercher dans deux facteurs : l’existence et l’efficacité du mouvement sioniste qui donna la primauté relative à la question nationale sur les contradictions sociales. Les masses arabes palestiniennes subirent le poids de cette question nationale en étant les principales victimes de l’invasion sioniste appuyée par l’impérialisme britannique.
L’existence d’un conflit d’intérêt majeur entre la direction féodale et religieuse locale et l’impérialisme britannique : la classe dirigeante se devait d’appuyer plus ou moins la lutte révolutionnaire au lieu d’être plus ou moins l’alliée du pouvoir impérialiste comme c’était le cas ailleurs. Les impérialistes britanniques trouvèrent chez les sionistes « un allié plus digne de confiance ».
Ces facteurs donnèrent à la lutte du peuple palestinien un caractère particulier qui ne s’applique pas à la lutte nationale arabe en dehors de la Palestine. La direction traditionnelle participa ou au moins toléra la forme la plus avancée de l’action politique (la lutte armée), elle lança des slogans progressistes et malgré sa nature réactionnaire, elle appuya une direction positive durant la phase critique de la lutte nationale palestinienne. Il est à noter, malgré tout, que la direction féodale et religieuse a pu se maintenir à la tête du mouvement national palestinien très longtemps (jusqu’en 1948). La transformation de la structure économique et sociale de la Palestine qui s’est déroulée rapidement, a touché en premier le secteur juif et s’est exercée aux frais de la moyenne et petite-bourgeoisie palestinienne ainsi que de la classe ouvrière arabe. La transformation d’une société féodale en société capitaliste s’est accompagnée d’une concentration du pouvoir économique dans les mains de la machine sioniste dans la société juive de Palestine. Il est significatif que les Arabes palestiniens ouvertement conciliateurs dans les années trente, n’étaient pas des propriétaires terriens ni des paysans riches mais plutôt des éléments de la haute bourgeoisie urbaine dont les intérêts coïncidaient petit à petit avec les intérêts en expansion de la bourgeoisie juive. Cette dernière en contrôlant le processus d’industrialisation créait ses propres agents.
Dans le même temps, les pays arabes prêts à sacrifier la Palestine jouaient deux rôles contradictoires. D’un côté, le mouvement de masse pan-arabe servait de catalyseur pour l’esprit révolutionnaire des masses palestiniennes, depuis qu’une relation dialectique existait entre les luttes palestiniennes et celles des autres Arabes. D’un autre côté, les régimes établis dans ces pays arabes faisaient tout ce qui leur était possible pour limiter et saper le mouvement de masse palestinien. Le conflit s’aiguisant en Palestine, contribuait au développement de la lutte dans ces pays sur la voie d’une plus grande violence, créant un potentiel révolutionnaire, ce que ne pouvaient supporter les classes dirigeantes. Les classes dirigeantes arabes furent dans l’obligation de soutenir l’impérialisme britannique contre les classes dirigeantes de Palestine à la tête du mouvement national palestinien.
Parallèlement, l’alliance sionisme-impérialisme continua de grandir ; la période 1936-39 ne montra pas seulement la cristallisation du caractère militariste et agressif de la société coloniale implantée par le sionisme en Palestine mais aussi le musellement et la défaite de la classe ouvrière palestinienne ;cela aura un effet déterminant sur la conduite de la lutte. Durant cette période, le sionisme en collaboration avec le Mandat britannique, sapa avec succès le développement d’un mouvement ouvrier juif progressiste ainsi que la fraternité prolétarienne juive-arabe. Le Parti Communiste de Palestine fut isolé des ouvriers juifs et arabes, et l’Histadrut réactionnaire domina complètement le mouvement ouvrier juif. L’influence des forces progressistes dans les fédérations ouvrières arabes à Haïfa et Jaffa diminua pour laisser la place à des directions réactionnaires qui monopolisèrent l’action politique.
Arrière-plan : les ouvriers
La question de l’immigration juive en Palestine ne fut pas simplement un problème moral ou national ; elle eut une implication directe sur le statut économique du peuple arabe de Palestine, touchant en premier lieu les petits et moyens paysans, les ouvriers et certains secteurs de la petite et moyenne bourgeoisie.
Le caractère national et religieux de l’immigration juive aggrava plus tard les conséquences économiques. Entre 1933 et 1935, 150 000 juifs immigrèrent en Palestine, portant la population juive du pays à 443 000 soit 29,6% de la population totale – de 1926 à 1932 le nombre d’immigrants en moyenne par an était de 7 201 [1].
Cette moyenne s’éleva à 42 985 entre 1933 et 1936 comme un résultat direct de la persécution nazie en Allemagne. En 1932, 9 000 juifs allemands entrèrent en Palestine, 30 000 en 1933, 40 000 en 1934 et 61 000 en 1935 [2], près des trois quarts d’entre eux s’installèrent dans les villes. Si le nazisme était responsable de la terreur contre les juifs et de leur fuite d’Allemagne, ce fut le capitalisme « démocratique » qui fut responsable avec le mouvement sioniste de l’envoi d’un grand nombre relatif d’entre eux en Palestine comme l’ illustrent les chiffres suivants : des 2 562 000 juifs qui fuirent la persécution nazie, les USA n’en accueillirent que 170 000 (6,6%), l’ Angleterre 50 000 (1,9%) pendant que la Palestine en reçu 8,5% et que 1 930 000 (75,2%) trouvèrent refuge en URSS [3].
Le grave impact économique de l’immigration en Palestine peut être compris lorsque l’on sait qu’un important pourcentage de colons juifs étaient, à l’origine, des capitalistes : en 1933, 3 250 de ces derniers soit 11% étaient considérés comme capitalistes, en 1934, 5 124 soit 12%, en 1935, 6 309 soit 10%. [4]
D’après les statistiques officiels, sur l’ensemble des immigrés juifs qui entrèrent en Palestine entre 1932 et 1936, 1 370 (avec 17 119 personnes à charge) possédaient 1 000 Livres Palestiniennes (LP) au moins et 130 000 étaient officiellement enregistrées comme demandeurs d’emploi ou dépendants économiquement d’autres immigrés. [5]
En d’autres termes, l’immigration n’avait pas seulement comme tâche d’assurer la concentration du capital juif européen en Palestine pour dominer le processus d’industrialisation, mais également d’assurer cette tâche avec un prolétariat juif : la politique qui conduisit au slogan : « Le travail aux juifs » eut de graves conséquences en conduisant rapidement à l’émergence de tendances fascistes dans la société coloniale juive. Une autre conséquence fût le développement d’une compétition violente entre les prolétariats arabes palestiniens et juifs et entre les paysans arabes palestiniens, les fermiers et les travailleurs agricoles et leurs concurrents juifs.
Ce conflit s’étendit aussi à de plus hautes classes sociales quand les petits propriétaires terriens et la moyenne bourgeoisie urbaine réalisèrent que leurs intérêts étaient en péril du fait du développement du capital juif. En 1935, par exemple, les juifs contrôlaient 872 des 1 212 entreprises industrielles de Palestine employant 13 678 ouvriers quand dans le même temps le reste des entreprises industrielles sous contrôle arabe palestinien employaient 4 000 ouvriers : les investissements juifs s’élevaient à 4,391 millions de Livres Palestiniennes (LP) face aux 704 000 Livres Palestiniennes 4 Ibid . 5 Himadeh, op. cit. , p.26-27. des investisseurs arabes palestiniens, la production juive approchait les 6 millions de Livres Palestiniennes (LP) contre 1,545 millions pour les entreprises arabes palestiniennes : de plus le capital juif contrôlait à 90% les concessions garanties par le Mandat britannique pour un total d’investissement de 5,789 millions de Livres Palestiniennes et donnant du travail à 2 619 ouvriers. [6]
Un rapport officiel notait qu’un ouvrier juif percevait en moyenne un salaire de 145% supérieur à son concurrent arabe palestinien (cet écart était de 433% dans l’industrie textile employant des femmes juives et arabes palestiniennes et de 233% dans l’industrie du tabac) [7]. « Jusqu’en 1937 le salaire réel des ouvriers arabes palestiniens a chuté de 10% quand celui des juifs a augmenté de 10% » [8].
Le résultat fût une chute quasi-totale de l’économie arabe en Palestine affectant en premier lieu les ouvriers arabes palestiniens. Dans son rapport à la Commission Royale Peel, George Mansour, secrétaire de la Fédération des Travailleurs Arabes Palestiniens de Jaffa, indiquait que 98% des ouvriers arabes avaient un relativement bon niveau de vie. Se basant sur un sondage couvrant 1 000 ouvriers de Jaffa en 1936, la Fédération trouva que 57% des ouvriers arabes gagnaient moins de 2 750 LP (le salaire minimum pour faire vivre une famille était de 11 LP) que 12% gagnaient moins de 4 250 LP, que seuls 12% gagnaient moins de 6 LP, 4% moins de 10 LP, 1,5% moins de 12 LP et 0,5% moins de 15 LP [9].
Quand le Mandat britannique refusa d’autoriser près de mille demandeurs d’emploi de Jaffa à manifester le 6 juin 1935, la Fédération des Ouvriers publia une déclaration mettant en garde le gouvernement contre la non résolution des problèmes promettant que « le gouvernement devra bientôt donner du pain ou des balles aux ouvriers » [10].
Avec la détérioration des conditions de vie des ouvriers, il était prévisible qu’un soulèvement voit le jour. George Mansour (qui avait été auparavant un membre du Parti Communiste) mit en avant dans son rapport à la Commission Peel qu’à la fin 1935, 2 270 ouvriers et ouvrières arabes étaient au chômage dans la seule ville de Jaffa sur une population de 71 000 habitants [11]. Mansour donna cinq raisons expliquant le taux élevé de chômage, quatre d’entre elles étaient directement liées à l’immigration juive :
1) l’installation de nouveaux immigrés,
2) l’exode rural,
3) le renvoi des travailleurs arabes de leur travail,
4) la détérioration de la situation économique,
5) la politique discriminatoire du Mandat britannique en faveur des ouvriers juifs [12].
Dans une période couvrant neuf mois, le nombre d’ouvriers à la Histadrut augmenta de 41 000. D’après un article publié dans le numéro 3460 du journal Davar, les ouvriers de la Histadrut étaient au nombre de 115 000 fin juillet 1936, un rapport officiel du gouvernement (page 117) évaluait leur nombre à 74 000 fin 1935 [13].
La politique de renvoi des ouvriers arabes palestiniens des usines et des projets contrôlés par le capital juif fut à l’origine de violents événements. Dans les quatre colonies juives de Malbis, Dairan, Wadi Hunain et Khadira, il y avait 6 214 ouvriers arabes palestiniens en février 1935. Après six mois, il n’en restait que 2 276 et après un an plus que 617 [14]. Des attaques contre les ouvriers arabes palestiniens eurent lieu. En une occasion au moins, la communauté juive força un patron palestinien et ses ouvriers à quitter le building Brodski à Haïfa. Parmi ceux qui perdirent systématiquement leur travail, il y avait les ouvriers agricoles des vergers, les ouvriers du tabac, les maçons et les tâcherons du bâtiment [15]. Entre 1930 et 1935, les exportations de l’industrie arabe palestinienne de perles chutèrent entre 11 532 LP et 3 777 LP par an. Le nombre des usines arabes palestiniennes de savon de Haïfa passa de 12 en 1929 à 4 en 1935. La valeur de leurs exportations passa de 206 659 LP en 1930 à 79 111 LP en 1935 [16]. Il était clair que le prolétariat arabe était tombé « victime du colonialisme britannique et du capital juif, le premier des deux portant la plus grande responsabilité [17]. »
Yehuda Bauer écrivit [18] : « A la lumière des perturbations de 1936, la Palestine fût peut-être le seul pays, mise à part l’URSS, qui ne fût affectée par la crise économique mondiale ; en fait, elle bénéficia d’une réelle prospérité, résultat d’une importation massive de capital (30 millions entrèrent en Palestine). Le capital importé ne suffit pourtant pas aux programmes d’investissements nécessaires. Cette prospérité reposait sur des fondations fragiles qui s’effondrèrent lorsque l’afflux de capital privé prit fin et du fait de la peur du déclenchement d’une guerre en Méditerranée. Le système des prêts s’effondra : il y avait des indications d’un chômage sérieux et d’une baisse de la construction. Les ouvriers arabes palestiniens furent renvoyés par les patrons juifs et arabes, un grand nombre d’entre eux retournèrent dans leurs villages d’origine ; la conscience nationale s’éveilla à cause de l’aggravation de la crise économique [19]. »
Mais Bauer met de côté le premier facteur : l’immigration juive continue. Sir John Hope notait dans son rapport que « c’est une mauvaise politique, peut-être une dangereuse politique que d’autoriser de larges sommes d’argent à être investies dans des industries non rentables en Palestine pour justifier une immigration toujours en hausse. ». Dans les faits, l’affirmation de Bauer est infondée. Alors que l’afflux de capital juif était continu durant les années dont il fait mention, il prit son essor en 1935 ; le nombre d’immigrés s’accrut également durant ces années. (Le capital juif investit dans les entreprises industrielles et commerciales juives augmenta de 5,371 millions de LP en 1933 à 11, 637 millions en 1936 ; op.cit.p.323). Plus encore, le renvoi des ouvriers arabes palestiniens par les patrons juifs avait commencé bien avant cette époque [20]. Dans le même temps, de nombreuses masses paysannes arabes palestiniennes furent chassées et dépossédées de leurs terres, résultat de la colonisation juive des zones rurales [21].
Ces masses immigrèrent dans les villes et les cités uniquement pour trouver du travail. La machine sioniste tira tout avantage de la rivalité entre ouvriers arabes palestiniens et ses propres ouvriers juifs. Les militants de gauche « israéliens » ont observé bien plus tard que jamais en cinquante ans les ouvriers juifs ne se mobilisèrent sur des questions matérielles, ni la Fédération des Travailleurs pour changer le régime « israélien » lui-même. « Le prolétariat juif ne pouvait être mobilisé autour de ses intérêts de classe » [22].
En fait, la situation fut le résultat d’une organisation sioniste efficace pour reprendre les mots de Hertzl : « La propriété privée sur les terres qui nous ont été imparties doit être saisie des mains de ses propriétaires. Les habitants pauvres doivent être rapidement évacués à la frontière après s’être assurés qu’ils auront du travail dans les pays dont ils prendront destination. Il doit leur être interdit de travailler dans notre pays ; comme pour les grosses propriétés terriennes, elles doivent être nôtres [23]. » La Histadrut déclara pour résumer sa politique que « autoriser des Arabes à pénétrer le marché du travail juif, signifie que l’afflux du capital juif sera employé au développement arabe, ce qui est contraire aux objectifs sionistes. De plus, l’emploi d’Arabes dans les industries juives conduira à une division de classe en Palestine selon une ligne raciale : des capitalistes juifs employant des ouvriers arabes, si il est permis de le dire c’est introduire en Palestine les conditions qui ont conduit à l’émergence de l’anti-sémitisme [24]. »
Ainsi, l’idéologie et les pratiques à l’oeuvre durant le processus de colonisation, avec l’escalade du conflit contre la société arabe de Palestine, développèrent des caractéristiques fascistes dans les organisations sionistes ; le fascisme sioniste utilisait les mêmes méthodes que le fascisme ascendant en Europe. L’ouvrier arabe se trouvait à la base d’une pyramide sociale complexe et sa situation se dégradait à cause de la confusion à l’intérieur du mouvement ouvrier arabe. Durant la période comprise entre le début des années vingt et le début des années trente, le mouvement ouvrier progressiste arabe aussi bien que juif, eut à subir des coups très rudes, qui, combinés à des faiblesses purement subjectives, débouchèrent sur sa paralysie virtuelle. D’une part, le mouvement sioniste qui prenait rapidement un caractère fasciste et pratiquait le terrorisme armé chercha à isoler et détruire le Parti Communiste de Palestine (PCP), dont la plupart des dirigeants étaient juifs, et qui résistait aux organisations ouvrières sionistes. D’autre part, la direction palestinienne féodale et religieuse ne pouvait tolérer l’émergence d’un mouvement ouvrier arabe indépendant de son contrôle. Le mouvement ouvrier était ainsi soumis à la terreur de la direction arabe. Au début des années trente, le groupe du Mufti assassina Michel Mitri, président de la Fédération des Ouvriers Arabes de Jaffa. Des années après, Sami Taha, un syndicaliste et président de la Fédération des Ouvriers Arabes de Haïfa fut également assassiné. En l’absence d’une bourgeoisie nationale économiquement et politiquement forte, les ouvriers étaient directement confrontés et opprimés par la direction féodale traditionnelle ; cette lutte débouchait parfois sur des confrontations violentes, mais le plus souvent elles restaient sous-jacentes quand la direction traditionnelle essayait de prendre directement en mains les activités syndicales. Le résultat fût que l’activité ouvrière perdit son rôle essentiel dans la lutte. Plus encore, avec l’intensification de la lutte nationale, une relative communauté d’intérêts unifia les ouvriers avec la direction traditionnelle arabe.
Le Parti Communiste de Palestine réussit parfois dans le même temps, à organiser l’action politique. A l’occasion du 1 er mai 1920, un groupe de manifestants communistes se heurta à une manifestation sioniste à Tel-Aviv et fut obligé de fuir la ville et de trouver refuge dans le quartier arabe de Manshiya à Jaffa. Plus tard, un affrontement se déroula contre les forces de sécurité britanniques qui avait été envoyées pour arrêter les bolcheviks [25]. Dans une déclaration du Comité Exécutif du Parti, distribuée le même jour, le Parti déclarait : « les ouvriers juifs sont ici pour vivre avec vous, ils ne sont pas venus pour vous persécuter mais pour vivre avec vous. Ils sont prêts à combattre à vos côtés contre l’ennemi capitaliste qu’il soit juif, arabe ou britannique. Si les capitalistes vous excitent contre l’ouvrier juif c’est pour se protéger eux-mêmes de vous. Ne tombez pas dans le piège, l’ouvrier juif, qui est un soldat de la révolution, est venu pour vous offrir sa main comme celle d’un camarade dans la résistance contre les capitalistes britanniques, juifs et arabes. Nous vous appelons à lutter contre les riches qui vendent leur terre et leur pays aux étrangers. A bas les baïonnettes britanniques et françaises, A bas les capitalistes arabes et étrangers [26]. »
L’aspect significatif de cette longue déclaration n’est pas seulement l’image idéaliste de la lutte mais surtout qu’elle ne mentionne nulle part le mot sioniste alors que le sionisme représentait une menace quotidienne pour les ouvriers et les paysans arabes palestiniens, mais aussi pour les communistes juifs, cinquante-cinq d’entre eux ayant été attaqués par les sionistes à Tel-Aviv et chassés à Jaffa. Le Parti Communiste de Palestine (PCP) resta isolé de la réalité politique jusqu’à la fin de 1930, l’année de la tenue de son VIIe Congrès. Dans les résolutions votées à son congrès, le Parti admettait qu’il « avait adopté une attitude essentiellement erronée sur la question du nationalisme palestinien, sur le statut de la minorité nationale juive en Palestine et de son rôle vis-à-vis des masses arabes. Le Parti a échoué à construire son activité parmi les masses arabes palestiniennes et est demeuré isolé en travaillant exclusivement parmi les ouvriers juifs. Cet isolement s’est particulièrement illustré par l’attitude négative du Parti durant l’insurrection arabe palestinienne de 1929 [27]. »
Bien qu’en pratique le Parti attaqua systématiquement la bourgeoisie palestinienne, qui était dans une position difficile, et bien qu’il n’ adopta jamais une politique de fronts populaires et d’alliances entre les classes révolutionnaires, les conclusions du VIIe Congrès tenu en 1930-31 mettaient en avant une analyse politique plus juste.
Ainsi dans ses conclusions, le Parti considérait que la résolution de la question nationale palestinienne était une des tâches principales de la lutte révolutionnaire. Il voyait dans son isolement du mouvement des masses arabes palestiniennes le résultat d’une « déviation influencée par le sionisme et qui empêchait l’arabisation du Parti ». Les documents mentionnent les « efforts opportunistes pour bloquer l’ arabisation du Parti ». Le Congrès adopta la position qu’il était du devoir du Parti de développer le nombre de cadres des forces révolutionnaires capables de diriger l’activité des paysans (c’est-à-dire des cadres ouvriers arabes palestiniens révolutionnaires). L’ arabisation du Parti, sa transformation en un véritable parti des masses travailleuses arabes palestiniennes était la condition première du succès de son activité dans les zones rurales [28]. Le Parti se montra pourtant incapable de mettre en oeuvre la mobilisation des Arabes palestiniens et les slogans révolutionnaires adoptés par le congrès ne furent jamais traduits dans la pratique : « Pas un seul dunum [un dunum équivaut à mille mètres carrés. Ndlt] pour les impérialistes et les usurpateurs sionistes ! » « Expropriation révolutionnaire de la terre appartenant au gouvernement, aux promoteurs juifs, aux factions sionistes et aux grands propriétaires et fermiers arabes » « Aucune reconnaissance des accords sur la vente de la terre » « Lutte contre les usurpateurs sionistes » [29].
Le Congrès décida également « qu’il n’est possible de résoudre toutes les questions brûlantes et la fin de l’oppression qu’à travers la révolution armée sous la direction de la classe ouvrière » [30]. Le Parti Communiste de Palestine ne fût malgré tout jamais « arabisé ». Le terrain était prêt pour la domination du mouvement des masses arabes palestiniennes par les directions féodales et religieuses. Peut-être une des raisons qui explique la ligne et les pratiques du Parti d’alors est à chercher dans l’attitude révolutionnaire sans concession connue dans le Komintern entre 1928 et 1934. Mais malgré leur faible nombre, leur isolement relatif et leur échec à gagner les masses arabes palestiniennes, particulièrement dans les zones rurales, les communistes mirent toute leur énergie dans la révolte de 1936. Ils montrèrent un grand courage, coopérèrent avec certains dirigeants locaux, apportèrent leur soutien au Mufti, nombreux furent tués et arrêtés. Ils ne réussirent pas à devenir une force influente. Apparemment, le slogan d’« arabisation » resta lettre morte. Près de dix ans plus tard, le 22 janvier 1946, les Izvestia osèrent comparer la lutte des juifs en Palestine à celle des bolcheviks avant 1917. En tout cas, les résolutions du VIIe Congrès du Parti Communiste de Palestine (PCP) n’ont été connues que récemment ; le processus d’arabisation n’a pas eu lieu et malgré le rôle d’éducateur joué par le Parti et les contributions qu’il fit à la lutte sur ce terrain, il ne joua pas le rôle qu’il s’était imparti à son VIIe Congrès, dans le mouvement national palestinien. Durant la révolte de 1936, le Parti explosa. Il y eut une autre scission en 1948, puis une autre en 1965 sur la question de l’arabisation : les dissidents défendaient une « attitude constructive envers le sionisme. »
Cet échec du Parti Communiste de Palestine (PCP), la faiblesse de la bourgeoisie arabe émergente et la désunion du mouvement ouvrier arabe signifiait que la direction féodale et religieuse allait jouer un rôle fondamental dans l’évolution de la situation vers l’explosion en 1936.
Arrière-plan : les paysans
Telle était la situation des ouvriers à l’heure du déclenchement de la révolte de 1936. Néanmoins, ce que nous avons pris en considération jusque là ne traite que d’un cadre de confrontation entre les sociétés juives et arabes en Palestine et plus tard au sein de chacune d’entre elles.
L’autre cadre se situe dans les zones rurales, où la confrontation prit en premier lieu la forme du nationalisme du fait du capital juif se déversant sur la Palestine. Malgré qu’une grande proportion de capital juif fut allouée aux zones rurales, et malgré la présence des forces militaires britanniques et la pression intense de la machine administrative en faveur des sionistes, ces derniers n’obtinrent que des résultats minimes (un total de 6 752 colons) en comparaison des plans sionistes pour établir un Etat juif.
Ils aggravèrent néanmoins sérieusement la situation de la population rurale arabe palestinienne. La propriété des groupes juifs sur les zones urbaines et rurales passa de 300 000 dunums en 1929 à 1,250 millions de dunums en 1930. La terre achetée était insignifiante du point de vue d’une colonisation de masse et pour la résolution du problème juif. Mais l’ expropriation de près d’un million de dunums – près d’un tiers des terres agricoles – conduisit à un sérieux appauvrissement des paysans arabes et des bédouins. Avant 1931, 20 000 familles paysannes avaient été expulsées par les sionistes. Plus encore, la vie agricole dans le monde sous-développé et dans le monde arabe en particulier, n’est pas seulement un mode de production mais également le lieu de relations sociales, religieuses et rituelles. Ainsi, en plus de la perte de la terre, la société arabe palestinienne rurale fut détruite par le processus de colonisation. Jusqu’en 1931, seuls 151 juifs pour 1 000 dépendaient de l’agriculture en comparaison des 637 Arabes pour 1 000. Sur près de 119 000 paysans, seuls 11 000 étaient juifs [31]. En 1931, 19,1% de la population juive travaillait dans l’agriculture, 59% des Arabes palestiniens vivaient de la terre. La base économique pour ce choc est très dangereuse, mais pour l’appréhender complètement nous devons voir son aspect national.
En 1941, 30% des paysans arabes palestiniens ne possédaient aucune terre, quand près de 50% ne possédaient que des parcelles insuffisantes pour subvenir aux besoins de leur famille. Alors que 250 propriétaires féodaux possédaient 4 millions de dunums, 25 000 familles paysannes étaient sans terre et 46 000 possédaient une surface de 100 dunums. 15 000 travaillaient comme ouvriers agricoles pour les propriétaires. D’après une enquête sur 322 villages arabes palestiniens conduite en 1936, 47% des paysans possédaient moins de 7 dunums et 65% moins de 20 dunums (le minimum requis pour faire vivre une famille était de 130 dunums) [32].
Parce qu’elles vivaient sous la triple pression de l’invasion sioniste, de la propriété féodale arabe et de la taxation lourde du gouvernement du Mandat britannique, les masses rurales arabes palestiniennes furent les premières conscientes du défi national. Durant les révoltes de 1929 et 1933, de nombreux petits paysans arabes palestiniens vendirent leurs terres aux gros propriétaires terriens pour acheter des armes et résister à l’invasion sioniste et au Mandat britannique. C’est cette invasion, par sa remise en cause d’une façon de vivre où la religion, la tradition et l’honneur jouaient un rôle important, qui permit à la direction féodale et cléricale de garder sa position dominante malgré les crimes qu’elle avait commis. Dans de nombreux cas, ce sont des éléments féodaux qui achetèrent la terre pour mieux la revendre au capital juif. Entre 1933 et 1936, 62,7% de la terre achetée par les sionistes appartenait aux propriétaires terriens résidant en Palestine, 14,9% à des propriétaires terriens absents et 22,5% à des petits paysans. Alors que de 1920 à 1922, les pourcentages étaient de 20,8% pour les propriétaires résidants, 75,4 % pour les propriétaires absents et 3,8% pour les petits paysans [33].
Les lois mises en oeuvre par le gouvernement mandataire furent établies pour servir les objectifs de la colonisation juive et ce, alors qu’ elles étaient présentées comme suggérant qu’elles protégeaient les paysans de l’expulsion ou de la vente forcée. En réalité, elles ne mettaient pas en oeuvre une telle protection. Le cas de Wadi al-Hawarith, une zone de 40 000 dunums, le village de Shatta avec ses 16 000 dunums et de nombreux autres villages où la terre fut saisie par les sionistes après en avoir chassé les habitants en sont l’illustration.
Le résultat fut que 50 000 juifs vivant dans les colonies agricoles possédaient 1,2 millions de dunums (24 dunums par habitant) alors que 500 000 Arabes possédaient moins de 6 millions de dunums (soit 12 dunums par habitant) [34]. Le cas des 8 730 paysans expulsés de Marj Ibn Amer (240 000 dunums), après que la terre fut vendue aux sionistes par la famille féodale beyrouthine Sursock, resta en suspens jusqu’à la fin du Mandat en 1948 [35]. « Toute parcelle de terre vendue aux juifs est rendue étrangère aux Arabes comme si elle avait été amputée du corps de la Palestine et replacée dans un autre pays [36] . » Ces mots sont ceux d’un grand dirigeant féodal palestinien. Il ajoute : « Selon les juifs, 10% de la terre achetée l’a été aux paysans, le reste aux grands propriétaires terriens mais en fait la terre appartient à 25% aux paysans [37]. » Cette attitude pleine de contrition de la part d’un féodal ne change rien au fait que (comme le rapportent les sources juives), sur le total de la terre acquise par trois grandes compagnies juives en 1936 (représentant la moitié de la terre achetée par le capital juif à cette date) 52,6% appartenait à des propriétaires absents, 24,6% à des propriétaires résidants, 13,4% au gouvernement, aux églises, à des compagnies étrangères et 9,4% à des paysans individuels [38].
Ce transfert de la propriété de la terre fut à l’origine du développement d’une classe de paysans dépossédés qui se tourna vers le travail salarié saisonnier. La majorité se tourna vers les villes et le travail non qualifié. « Pour un paysan expulsé de sa terre, il était impossible de trouver une autre terre et les compensations étaient le plus souvent très faibles sauf quand le Mukhtar (maire) ou les notables d’autres villages étaient impliqués » [39]. La majorité des petits paysans dépossédés s’installèrent ainsi dans les bourgs et les villes. « A Jaffa, la plupart des nettoyeurs de rues étaient des ex-villageois, la Compagnie Arabe des Tabacs et Cigarettes de Nazareth rapportait que la plupart de ses ouvriers avaient aussi une origine paysanne [40]. » Ce qui suit illustre la condition des paysans migrants : « Nous avons demandé à la Compagnie combien d’ouvriers elle employait et la réponse fut 210. Le total des salaires hebdomadaires payés aux ouvriers était de 62 Livres Palestiniennes (LP) ce qui revenait à un salaire de 29,5 piastres par ouvrier par semaine [41]. » A cette époque le salaire hebdomadaire d’une ouvrière juive dans les usines de tabac était compris entre 170 et 230 piastres [42]. Même dans les emplois gouvernementaux, un salarié juif touchait un salaire 100% supérieur à celui de son concurrent arabe [43]. En 1930, la Commission Johnson- Crosby estimait que le revenu annuel avant impôts d’un paysan était de 31,37 LP. Le rapport indiquait plus loin que le montant des impôts s’élevait à 3,87 LP. Si on déduit les 8 LP que le paysan payait pour les intérêts sur prêts, le revenu annuel se montait à 19,5 LP par an. D’après le même rapport, le revenu annuel nécessaire pour couvrir les dépenses d’une famille de paysans était de 26 LP. « Dans les faits, les paysans étaient le groupe le plus lourdement taxé en Palestine. La politique conduite par le gouvernement cherchait clairement à placer le paysan dans une situation économique qui assurait l’établissement d’un foyer national juif [44]. »
On voit clairement que l’immigration juive et la transformation de l’économie palestinienne d’une économie agricole essentiellement arabe à une économie industrielle dominée par le capital juif affecta en premier lieu les petits paysans arabes palestiniens.
Les exemptions d’impôts furent garanties aux immigrés juifs ainsi que les exemptions de taxes d’importation pour les industries juives comme pour certains matériaux bruts, produits non finis, charbon…
Par contre, les taxes d’importation sur les biens de consommation explosèrent. Le taux de la taxe d’importation passa de 11% au début du Mandat britannique à plus de 26% en 1936 ; 110% sur le sucre, 149% sur le tabac, 208% sur le pétrole, 400% sur les allumettes, 26% sur le café [45]. Une illustration de la politique gouvernementale est donnée dans l’histoire suivante expliquée à la Commission Peel, par l’Evêque Gregorius Hajjar : « J’étais une fois dans le village de Roma dans le district d’Acre où les habitants vivent de la production d’huile d’ olive. Depuis longtemps, ils se plaignaient au Haut Commissaire sur la Compagnie de l’Huile. La compagnie recevait l’aide du gouvernement sous la forme d’exemptions de taxes sur ses importations d’arachide dont elle extrayait de l’huile qu’elle mélangeait à l’huile d’olive et revendait à bas prix. Les gens demandaient qu’on les protège contre les produits de la Compagnie et le gouvernement mit sur pied un comité pour entendre les plaintes des villageois. Quand le comité se rendit à Roma, les villageois furent furieux de constater que le président du comité n’était autre que le directeur de la Compagnie [46]. »
D’autre part, le système d’impôt était clairement discriminatoire et favorable aux riches. Sur un revenu annuel de 22,37 LP, le taux d’ imposition était de 25% alors que sur les rentes et salaires supérieurs à 1 000 LP par an, il était de 12% [47]. Les petits et moyens paysans ne s’appauvrissaient pas seulement du fait de la perte de leurs terres mais ils étaient victimes des pratiques sionistes basées sur les slogans « Le travail aux seuls juifs » « Produits juifs uniquement ». Les industriels juifs employaient seulement des ouvriers juifs, les payaient plus cher et leurs vendaient leurs produits à des prix plus élevés. Les juifs étaient encouragés à donner la préférence aux produits juifs malgré des prix plus élevés que ceux de leurs concurrents arabes [48].
Les matériaux bruts étaient exemptés de frais de douane alors que de lourdes taxes étaient imposées sur les biens à l’importation en particulier si les mêmes produits étaient fabriqués localement par les entreprises juives.
Il faut également ajouter la classe connue comme celle des « Effendis » qui vivait en ville et tirait ses revenus de la terre louée aux paysans et des intérêts des prêts aux paysans (les Effendis ne commencèrent à investir dans l’industrie que dans les années quarante). Cette forme d’exploitation était de loin plus ruineuse pour les paysans que la colonisation sioniste.
Un autre groupe rural, les Bédouins comptait 66 653 personnes en 1931 (en 1922, il y avait 103 000 Bédouins en Palestine). Ils jouèrent un rôle primordial dans la révolte de 1936, comme ils l’avaient fait durant le soulèvement d’août 1929. Ce groupe attira l’attention du Parti Communiste de Palestine dans le congrès que nous avons précédemment cité. Les Bédouins représentaient une force révolutionnaire potentielle. « Désespérés par leur appauvrissement sévère et par la faim constante, ils étaient toujours à la tête des soulèvements armés. Leur participation à la révolte d’août montre qu’ils peuvent jouer un rôle dirigeant dans la révolte des masses arabes mais dans le même temps il apparaît clairement que les chefs de ces tribus se vendent au plus offrant. Ils fournissent constamment l’armée des paysans sans terre et des semi-prolétaires avec de nouvelles mains et de nouvelles têtes [49]. »
Dans le même temps, la petite-bourgeoisie arabe urbaine fragmentée était dans un état de confusion, d’indécision et de division. La vitesse avec laquelle la société se transformait en une société industrielle juive, ne donnait ni à la bourgeoisie naissante, ni aux féodaux la chance de participer à cette évolution ou d’en tirer profit. C’est pourquoi, sans aucune surprise, la plupart des dirigeants palestiniens qui témoignèrent devant la Commission Peel en 1937 et devant les précédentes commissions idéalisait l’impérialisme ottoman et louait la façon dont il les traitait par rapport à l’impérialisme britannique. Ils étaient les instruments de la Sublime Porte, le rempart du Sultan et une partie intégrante du système de domination, d’oppression et d’exploitation, alors que l’impérialisme britannique les avait chassé de leur place de choix, parce qu’il avait trouvé un agent mieux qualifié, plus fortement établi et plus hautement organisé en la présence du mouvement sioniste.
Dans cette optique, le rôle fondamental de la direction féodale et religieuse était établi : lutter pour une meilleure position dans le régime colonialiste. Elle ne pouvait s’engager dans cette lutte sans avoir rallié auparavant les classes qui avaient faim de se libérer elles-mêmes du joug de la colonisation. Avec ce but en tête, la direction féodale et cléricale dressa un programme qui était progressiste, qui adoptait les slogans des masses qu’elle n’avait ni la capacité, ni la volonté de pousser dans ses conclusions logiques et suivit un mode de lutte qui lui était étranger. Bien sûr, cette direction n’avait pas une totale liberté d’action comme de nombreuses personnes le suggèrent, au contraire, elle était exposée à toutes les pressions qui s’exerçaient dans le cours des événements, à l’intensité croissante des confrontations et à toutes les influences que nous avons traitées auparavant. Cela explique pourquoi elle développa de temps en temps des contradictions partielles entre ses intérêts et ceux des classes dirigeantes des pays arabes qui abandonnaient la Palestine, bien qu’ elle défende les mêmes intérêts de classe. Cela explique aussi les alliances à large échelle au sein de la structure de classe de la Palestine.
Arrière-plan : les intellectuels
En 1930, après treize ans d’occupation britannique en Palestine, le Directeur de l’Education admettait dans son rapport que : « depuis le début de l’occupation, le gouvernement n’a jamais travaillé à donner les moindres fonds nécessaires à la construction d’une seule école dans le pays » et en 1935, le gouvernement refusa à 41% les inscriptions scolaires des Arabes palestiniens ayant fait leur demande. Dans les 800 villages de Palestine, il n’y avait que 15 écoles pour filles et 269 pour garçons, seules quinze filles d’origine villageoise avaient dépassé la septième classe de l’école primaire. 517 villages arabes palestiniens n’avaient ni écoles pour garçons, ni écoles pour filles, pas un seul village n’ayant d’école secondaire. Plus encore, le gouvernement « interdisait les livres, s’opposait à toute diffusion culturelle dans le monde arabe, et ne fit rien pour élever le niveau scolaire des paysans… [50] »
Ainsi, en 1931, parmi les Palestiniens musulmans seuls 25,1% des garçons et 3,3% des filles avaient été à l’école, parmi les Palestiniens chrétiens 71,5% des garçons et 44,1% des filles (pour les juifs la proportion était de 94,3% des garçons et 78,7% des filles) 51 . Ces chiffres donnent une idée de la situation scolaire dans les zones rurales mais ne rendent pas compte du rôle pionnier que joua la Palestine dans l’éducation depuis le début de la renaissance arabe dans les premières années du vingtième siècle. En fait, un grand nombre de maisons d’édition s’était installé en Palestine avant l’occupation britannique, près de cinquante journaux en langue arabe virent le jour entre 1904 et 1922, auxquels il faut ajouter dix de plus avec un tirage conséquent, qui furent édités avant la révolte de 1936. Un nombre de facteurs, qu’il est impossible de tous expliquer en détail ici, ont fait de la Palestine un centre important de la culture arabe, et les efforts persistants des intellectuels qui voyagèrent dans et hors la Palestine furent à la base du rôle culturel de la Palestine dans l’ établissement des associations littéraires et des clubs littéraires qui apparurent au début des années vingt.
Ce développement culturel, qui fut alimenté constamment par un flot de diplômés de Beyrouth et du Caire, s’accompagna d’une intense activité de traduction du français et de l’anglais. Les missions étrangères qui avaient été attirées en Palestine pour des raisons historiques et religieuses jouèrent un rôle proéminent dans le développement de l’éducation dans les villes. Néanmoins, nous ne sommes pas intéressés ici par la situation culturelle générale en Palestine durant cette période, mais par l’impact de l’aggravation de la crise politique et économique sur le mouvement littéraire. Le développement d’une certaine « culture populaire » fut très significatif.
Elle représentait une certaine prise de conscience qui existait dans les zones rurales malgré l’illettrisme profond, un réveil aiguillonné par le développement rapide de la réalité politique et économique. La poésie populaire, en particulier, reflétait l’inquiétude croissante des masses rurales face au développement de la situation. Ce réveil spontané conduisit à un esprit de mobilisation dans les villages.
La majorité des intellectuels urbains, pour sa part, avait une origine de classe féodale ou petite-bourgeoise mercantile. Bien qu’ils défendaient le principe d’une révolution bourgeoise, les conditions objectives n’étaient en aucun cas favorables au développement de la classe qui aurait dû logiquement conduire ce processus. Comme les activistes politiques, ils restèrent sous le contrôle des directions traditionnelles. Leurs travaux reflétaient néanmoins un degré d’éveil qui n’était pas égalé par leurs homologues des autres pays arabes.
La lutte entre les défenseurs de la révolution et les réactionnaires dans les zones rurales, entre les militants révolutionnaires et les éléments défaitistes dans les villes se développait en faveur de la révolution. A notre connaissance, pas un écrivain palestinien, pas un intellectuel palestinien, durant cette période, qui ne prit part aux appels à la résistance contre l’ennemi colonisateur. Aucun doute que les intellectuels organisés dans un parti révolutionnaire, et ceux qui ne l’étaient pas, jouèrent un rôle important dans la lutte nationale. La position des intellectuels palestiniens était unique. Ayant achevés leurs études et de retour dans leurs villes, ils prirent conscience de l’incapacité de la classe à laquelle ils appartenaient de diriger la lutte nationale. Mais dans le même temps, ils souffraient de leur propre incapacité à participer et à bénéficier du processus de développement industriel qui était contrôlé par une communauté étrangère et hostile.
D’autre part, dans les zones rurales de Palestine, les paysans, sujets depuis des siècles à une oppression de classe et nationale, vivaient dans une société des plus archaïques où les dirigeants féodaux et religieux exerçaient leur pouvoir absolu. La poésie populaire reflétait souvent la soumission des paysans, que les intellectuels palestiniens, les poètes en particulier, ne pouvaient aisément combattre. Certains intellectuels essayèrent de réduire le sentiment de soumission des masses paysannes en jouant un rôle important dans la diffusion d’idées progressistes. Wadi al-Bustani, un poète d’origine libanaise, diplômé de l’Université Américaine de Beyrouth et installé en Palestine joua un rôle important comme intellectuel progressiste. Il fut le premier à mettre en garde contre la Déclaration Balfour et ses conséquences, le mois de sa proclamation. Son époque (quand la Palestine était le terrain d’une révolte armée) fut à l’origine d’une puissante avant-garde de poètes révolutionnaires dont les travaux devinrent une partie de l’héritage culturel des masses [52]. Le 29 janvier 1920, le Gouvernement du Mandat britannique envoya une lettre à l’éditeur du magazine culturel Karmel, publié à Haïfa, dans laquelle il demandait que soit publié un poème du célèbre poète irakien Ma’ruf al-Risafi qui était dédié au Haut Commissaire britannique, une prière et un éloge déclamé par un narrateur juif du nom de Jehuda. L’éditeur accepta de le publier mais avec une réponse. Al-Bustani écrivit la réponse sous la forme d’un poème qui disait les choses suivantes :
« Discours de Juda ? Ou actes de sorcelleries ?
Et la Parole de Rasafi ? Ou mensonges de la poésie, la vôtre dans des mots finement choisis,
Vous êtes bien informé des joyaux que la mer déverse
Mais cette mer est Politique, si la justice s’étale haut, sa marée basse commence
Oui ! Celui qui a traversé le Jourdain est notre cousin mais celui qui vient par delà les mers est suspect [53]. »
Ce long poème, qui devint très connu à cette époque, était en fait un document politique unique. Il ne fait pas seulement de al-Risafi un jouet, mais il affirme aussi, à une date précoce, des faits politiques d’une grande importance. Il ne mentionne pas seulement l’immigration juive et le danger qu’elle représente, mais aussi le rôle joué par la Grande-Bretagne dans la division des Arabes palestiniens, la déclaration Balfour et ses conséquences etc.…
Peu de temps avant, le 28 mars 1920, Al-Bustani prit lui-même la tête d’une manifestation et récita un chant qu’il avait lui-même composé. Il fut convoqué à un interrogatoire et voici ce qui apparaît dans l’enregistrement de son interrogatoire par le Procureur Public :
Procureur Public : « Des rapports ont été établis disant que vous étiez porté sur des épaules et que vous disiez aux gens qui vous suivaient, Oh Chrétiens, Oh Musulmans ! »
Accusé : « Oui . »
Procureur Public : « Et vous disiez aussi : A qui avez-vous abandonné le pays ?! »
Accusé : « Oui. »
Procureur Public : « Après vous avez dit : Tuez les juifs et les infidèles ! »
Accusé : « Non. Cela est une violation du vers et de la rime. Je n’ai pu dire ça. Ce que j’ai dit était métrique et rimait. Cela s’appelait de la poésie [54]. »
Durant cette période, la poésie joua un rôle important dans l’expression, à toutes sortes d’occasions, des sentiments des masses abandonnées. Ainsi quand Balfour arriva de Londres pour assister à la cérémonie inaugurale de l’Université Hébraïque en 1927, assistaient aussi à cette cérémonie Ahmad Lutfi al-Said comme représentant du gouvernement égyptien et le poète Iskandar al-Khuri qui écrivit ces lignes adressées à Balfour :
« Courant de Londres vous veniez exciter le feu de cette bataille Oh Lord je ne vous blâme pas, vous n’êtes pas la source de nos souffrances. C’est l’Egypte qui doit être blâmée, à qui nous tendons nos mains vides. »
Ibrahim Tuqan, Abu Salma (Abd al-Karim al-Karmi) et Abd al-Rahim Mahmud représentèrent le summum à partir des années trente, de la vague des poètes nationalistes qui enflammèrent la Palestine toute entière par l’agitation et l’éveil révolutionnaire. As’af al-Nashashibi, Khalil al -Sakakini, Ibrahim al-Dabbagh, Muhammed Hasan Ala al-Din, Burhan al-Abbushi, Mohammed Khurshid, Qayasar al-Khuri, le prêtre George Bitar, Bulos Shihada, Mutlaq abd al-Khaliq furent aussi de ceux-là.
Le travail des trois auteurs, Tuqan, al-Karmi et Mahmud fait preuve d’une force d’appréciation extraordinaire des faits, qui ne peut être expliquée que par une connaissance profonde du bouillonnement des masses. Ce qui apparaît comme une prophétie inexplicable ou un pouvoir de prédiction dans leurs poèmes n’est en fait que leur capacité à exprimer la relation dialectique qui liait leur travail artistique au mouvement en cours dans la société.
Le fait que nous nous soyons concentrés sur le rôle joué par la poésie et la poésie populaire ne signifie pas que d’autres manifestations culturelles en Palestine ne jouèrent pas de rôle, ou que leur rôle fût insignifiant. Les journaux et articles littéraires, les romans, le mouvement de traduction jouèrent tous un rôle d’avant-garde significatif. Par exemple, dans un éditorial de Yusuf al-Isa dans Al-Nafa’is en 1920 on lit :
« La Palestine est arabe, ses musulmans sont arabes, ses chrétiens sont arabes, et ses citoyens juifs sont arabes aussi. La Palestine ne connaîtra pas la tranquillité si elle est séparée de la Syrie et devient un foyer national pour le sionisme. »
Ce sont des idées de ce genre dans les années vingt qui façonnèrent la marée culturelle révolutionnaire des années trente qui joua un rôle important d’éveil et d’étincelle pour la révolte – chez des écrivains comme Arif al-Arif, Khalil al-Sakakini (un caricaturiste et fils d’un maître charpentier), As’af al Nashashibi (membre de la haute bourgeoisie influencé par al-Sakakini et adoptant ses idées), Arif al-Azzuni, Mahmud Saif al-Din al-Irani et Najati Sidqi (l’un des premiers écrivains de gauche qui mit en avant en 1936 le matérialisme de Ibn Khaldun et critiqua l’idéalisme). Ce dernier fût certainement le premier chroniqueur du mouvement nationaliste arabe du début de la renaissance qui utilisa une analyse matérialiste des événements. Il publia ses travaux dans Al-Tali’a en 1937 et en 1938. On trouve ces idées également chez Abdullah Mukhlis (qui dans les années trente commença à dépeindre le colonialisme comme un phénomène de classe), Raja al-Hurani, Abdullah al-Bandak, Khalil al-Badiri, Muhammad Izzat Darwaza et Isa Al-Sifri (dont l’éloge de la mort d’al-Qassam eut une signification révolutionnaire profonde).
Cette effervescence dans le milieu culturel palestinien qui connut son apogée dans les années trente s’exprimait sous des formes variées mais reliées à l’histoire de la littérature arabe pour de nombreuses raisons, l’influence la plus importante était celle exercée par la poésie et la poésie populaire.
Ce qui suit explique à lui seul le rôle que prit la poésie dans cette période, poésie qui était la plupart du temps prêche politique direct.
Ibrahim Tuqan, par exemple, commentant la fondation en 1932 du « Fonds National » pour sauver la terre de Palestine de la vente aux sionistes (c’était le fonds établi par la direction féodale et cléricale au prétexte d’empêcher la terre des paysans pauvres de tomber dans les mains des sionistes) expliqua : « Huit des responsables de ce projet de Fonds sont des diviseurs de terre pour les sionistes ». Dès 1929, Ibrahim Tuqan dénonça le rôle joué par les grands propriétaires terriens dans le problème de la terre :
« Ils ont vendu la terre à ces ennemis à cause de leur appétit pour l’argent ; mais c’est leurs maisons qu’ils ont vendu. Ils auraient pu être excusés si ils y avaient été forcés par la faim, mais Dieu sait qu’ils n’ont jamais eu ni faim ni soif. » « Si seulement l’un de nos dirigeants jeûnait comme Gandhi, peut-être que son jeûne ferait du bien. Il n’y a pas besoin de s’abstenir de manger, en alestine un dirigeant mourrait sans nourriture. Laissez-le arrêter de vendre la terre et laissez un bout de terre pour enterrer ses os [55]. »
La même année, Tuqan avait écrit son poème épique sur les condamnations à mort, prononcées par le gouvernement mandataire contre les trois martyrs Fuad Hijazi de Safad, Muhammad Jumjum et Ata al-Zir d’Acre. Ce poème devint extrêmement connu, considéré comme partie intégrante de l’héritage révolutionnaire, comme le poème de Abd al-Rahim Mahmud écrit le 14 août 1935 dans lequel il s’adressait à l’Emir Saoud visitant la Palestine : « Etes-vous venu visiter la mosquée Al-Aqsa, ou lui dire adieu avant qu’elle ne soit détruite ? »
Ce poète perdit la vie à la bataille de Al-Shajara en Palestine en 1948, mais avant sa mort, il joua un rôle important, avec Abu Salma et Tuqan, posant les fondations de la poésie de la résistance palestinienne, qui plus tard, sous l’occupation israélienne, restera l’une des manifestations les plus visibles de la ténacité des masses palestiniennes. La poésie et la poésie populaire ont accompagné le mouvement de masse à partir du début des années trente, expliquant les évolutions qui conduisirent au déclenchement de la révolte.
Le poème d’Abu Salma, dans lequel il décrit la révolte de 1936, parle courageusement du désarroi qui accompagna son abandon par les régimes arabes :
« Vous qui chérissez la révolte de la patrie contre l’oppression inique, libérez la patrie des rois, libérez-la des pantins…
Je pensais que nous avions des rois capables de conduire des hommes derrière eux, honte à de tels rois si les rois sont si vils.
Par Dieu, leurs couronnes ne sont pas dignes de semelles, nous sommes ceux qui protègerons la patrie et guérirons ses blessures. »
Nous devons également mentionner le poète populaire « Awad », qui écrivit la nuit précédent son exécution en 1937, sur les murs de sa cellule à Acre, un poème splendide se terminant par ces lignes :
« Le marié nous appartient ; malheur à lui que nous combattons, nous lui couperons sa moustache avec un sabre. Agitons la lance avec le beau manche ; d’où êtes-vous, hommes braves. Nous sommes des hommes de Palestine. Bienvenue avec honneur. Père du marié, ne crains rien, nous sommes des buveurs de sang. A Bal’a et Wadi al-Tuffah il y eut l’attaque et le fracas des armes. Oh les femmes jolies chantent et crient. Le jour de la bataille de Beit Amrin vous avez entendu le son des armes à feu, regardez au-dessus de nous, aux balcons [56]. »
La colère se déchaînait sur les trois éléments de la trinité ennemie – l’invasion sioniste, le Mandat britannique et la réaction arabe locale et extérieure. Elle grandissait à mesure que la situation devenait plus critique. A ce moment, avec l’escalade des conflits et des insurrections armées, la campagne développait son propre éveil à travers les contacts de ses éléments « culturels » avec les villes et la multiplication des facteurs conduisant à un tel éveil :
« Bonnes gens, qu’est-ce qui est tant haï ? Un sioniste et un occidental ? [57] » « Le fusil apparut, le Lion non ; le museau du fusil est humide de rosée. »
ou :
« Cette arme à feu chez le marchand, Je dis que mon coeur ne sera en paix jusqu’à ce que je l’achète, cette arme à feu est couverte de poussière faute d’avoir été utilisée mais cherche encore son combattant. »
En effet, l’appel enflammé à la révolte atteignit un degré si extraordinaire, que la poésie populaire, après tant de proverbes conduisant à la soumission et à l’autorité infaillible de la tradition, devint subitement capable de dire : « Arabe, fils d’une faible et pauvre mère, vends ta mère et achète un fusil ; un fusil sera meilleur que ta mère quand la révolte soulagera tes soucis [58]. » Plus le conflit devenait ardent, plus le « fusil » devenait l’instrument qui détruit les vieilles murailles de l’appel à la soumission et soudain capable de percer la matière, et la révolte devenait promesse de futur – meilleure que les choses les plus rassurantes du passé, la mère et la famille.
Mais dans toute cette effervescence, le féodalisme patriarcal était ossifié avec sa direction impotente, son autorité et ses liens avec le passé. Au beau milieu de tous ces conflits qui s’étendaient et devenaient de plus en plus profonds, et qui affectaient les ouvriers et les paysans arabes, mais aussi la petite et moyenne bourgeoisie et paysannerie, la situation devint plus exacerbée en s’exprimant dans les épisodes armés (1929-1933).
Les dirigeants féodaux et cléricaux palestiniens trouvèrent aussi que leurs propres intérêts étaient mis en danger par la force économique grandissante – le capitalisme juif allié au Mandat britannique. Mais leurs intérêts étaient aussi mis en danger par les masses arabes pauvres qui ne savaient plus vers où se tourner. La bourgeoisie urbaine arabe était faible et incapable d’assurer la direction à ce stade de la transformation économique marquée par une rapidité inégalée, et une petite section de cette bourgeoisie devenait parasitaire et demeurait aux franges du développement industriel juif.
Les conditions objectives et subjectives amenaient des changements en contradiction avec la voie que la société arabe suivait en général. Les jeunes intellectuels, fils des riches familles rurales, jouèrent un rôle de premier plan dans l’incitation à la révolte. Ils revenaient de leurs universités dans une société dont ils rejetaient les vieilles relations, une société qui avait fait son temps, mais aussi dans une société marquée par l’alliance sionisto-colonialiste qui les excluait de ses nouvelles relations. Ainsi la lutte de classe se mêla de façon complexe et avec une extraordinaire force, à l’intérêt national et aux sentiments religieux, et ce mélange éclata dans le cadre de la crise objective et subjective que la société arabe en Palestine traversait. De ce fait, la société arabe palestinienne resta prisonnière des directions féodales et cléricales. Du point de vue de l’oppression sociale et économique qui était le lot des Arabes palestiniens pauvres dans les villes et les villages, il était inévitable que le mouvement nationaliste devait mettre en pratique des formes avancées de lutte, adopter des slogans de classe et suivre une ligne de conduite basée sur des concepts de classe. De façon similaire, face à l’alliance ferme entre la société envahissante construite par les colons juifs en Palestine et le colonialisme britannique, il était impossible d’oublier le caractère national principal de la lutte. Et du point de vue de la terrible ferveur religieuse qui était à la base de la colonisation sioniste de la Palestine et qui était inséparable de toutes ses manifestations, il était impossible que la paysannerie sous-développée palestinienne ne pratique pas un fondamentalisme religieux comme manifestation d’hostilité à l’intrusion colonialiste sioniste.
Un article du magazine de gauche en langue hébreu Matzpen (nº 5, Avril 1971) dit : « Les conflits de classe en Israël tendent parfois à prendre la forme de conflits confessionnels. Les conflits de classe, même traduits de façon confessionnelle ont été présents depuis le début au coeur du sionisme. » Bien sûr, cette sentence s’applique à l’extension du rôle joué par la religion contre l’invasion sioniste comme étant persécutée à la fois d’un point de vue national et de classe. Par exemple : « Un des résultats du sionisme fut que les célébrations de l’anniversaire du Prophète se transformaient en rassemblements nationalistes sous la direction du Mufti de Haïfa et du poète Wadi al-Bustani et unissaient aussi tous les responsables chrétiens et les notables, pas un seul juif n’était invité. De même, les Jours des Saints devinrent des festivals populaires nationalistes appréciés des musulmans comme des chrétiens, dans les villes de Palestine. »
Les directions féodales et cléricales réussirent à s’imposer à la tête du mouvement des masses. Ils tirèrent avantage de l’incapacité de la bourgeoisie urbaine arabe à émerger, de leurs attributs religieux, de l’infime taille du prolétariat arabe et de la faiblesse de son Parti Communiste qui était non seulement sous la direction de dirigeants juifs mais aussi dont les éléments arabes subissaient l’intimidation et l’oppression de ces directions féodales depuis les années vingt.
C’est dans ce contexte compliqué et dans l’entrechoc de conflits extrêmement difficiles que la révolte de 1936 occupa le devant de la scène dans l’histoire de la Palestine.
Les historiens ne sont pas d’accord entre eux sur les différents incidents qui se déroulèrent en différents endroits, ni sur la raison du déclenchement de la révolte de 1936.
Selon Yehuda Bauer, « l’incident qui est communément vu comme le début des désordres de 1936 » s’est déroulé le 19 avril 1936, quand des bandes arabes palestiniennes attaquèrent des passants juifs [59].
Selon Isa al-Sifri [60], Salih Mas’ud Buwaysir [61] et Subhi Yasin [62] , la première étincelle fut allumée quand un groupe inconnu d’Arabes palestiniens prit en embuscade quinze véhicules sur la route entre Anabta et la prison de Nur Shams (Subhi Yasin décrit ce groupe comme étant un groupe qassamiste comprenant Farhan al-Sa’udi et Mahmud Dairwani). Le groupe détroussa les passagers juifs et arabes et l’un des trois membres du groupe tint un petit discours aux Arabes palestiniens qui formaient la majorité des passagers, qui disait selon al-Sifri, « nous prenons votre argent pour pouvoir combattre l’ennemi et vous défendre » [63].
Le docteur Abd al-Wahhab al-Kayyali pense, lui, que la première étincelle fut allumée avant, en février 1936, lorsqu’une bande armée d’ Arabes palestiniens encercla une école que des promoteurs juifs faisaient construire à Haïfa, employant uniquement des travailleurs juifs [64]. Cependant, toutes les sources convergent avec raison pour reconnaître que le soulèvement qassamiste initié par Sheikh Izz al-Din al- Qassam, fut le commencement réel de la révolte de 1936. Néanmoins, le rapport de la Commission Royale Peel, que Yehuda Bauer regarde comme l’une des sources les plus crédibles, ignore ces causes immédiates du déclenchement de la révolte et l’attribue à deux raisons principales : le souhait des Arabes de gagner leur indépendance nationale et leur aversion et leur peur de l’établissement d’un foyer national juif en Palestine.
Il n’est pas très difficile à comprendre que ces deux raisons n’en font qu’une et que la terminologie utilisée est ronflante et ne contient aucune signification précise. Lord Peel mentionne également ce qu’il appelle des « facteurs secondaires » qui contribuèrent au déclenchement des « troubles ». Ce sont : le développement d’un esprit nationaliste arabe en dehors de la Palestine, l’immigration croissante juive depuis 1933, le fait que les juifs étaient capables d’influencer l’opinion publique en Grande-Bretagne, le manque de confiance des Arabes palestiniens dans les bonnes intentions du gouvernement britannique, la peur des Arabes palestiniens de la recherche continue de terres par les juifs, le fait que l’objectif final du Gouvernement Mandataire n’était pas clair [65]. La compréhension des causes de la révolte qu’ avait la direction d’alors du mouvement national palestinien peut être résumée dans les trois slogans qui avançaient ses revendications : l’arrêt immédiat de l’immigration juive, l’interdiction de transfert de propriété des terres arabes palestiniennes aux colons juifs, l’ établissement d’un gouvernement démocratique où les Arabes palestiniens auraient un rôle prépondérant compte tenu de leur supériorité numérique [66]. Ces slogans, dans leur version incantatoire, étaient incapables d’exprimer la situation réelle et en dernière instance ne visaient qu’à perpétuer le contrôle de la direction féodale sur le mouvement nationaliste.
En réalité, la vraie raison de la révolte fut que les contradictions aiguës contenues dans la transformation de la société palestinienne arabe, agricole, féodale et cléricale, en une société industrielle occidentale sioniste et bourgeoise, avaient atteint leur paroxysme comme nous l’avons vu.
Le processus d’établissement des bases du colonialisme et de sa transformation en colonialisme sioniste, comme nous l’avons décrit, atteignit son apogée au milieu des années trente, et la direction du mouvement national palestinien fut obligée d’adopter une certaine forme de lutte armée faute de quoi il devenait impossible pour elle de se maintenir. Un nombre de facteurs contradictoires jouèrent un rôle dans l’adoption de la lutte armée par la direction palestinienne d’alors. Premièrement , le mouvement d’Izz al-Din al-Qassam. Deuxièmement , la série d’échecs subis par cette direction, alors à la tête du mouvement de masse, au regard des revendications mineures et partielles qu’elle avançait espérant contenir le ressentiment. Les colonialistes n’hésitaient cependant jamais à les rejeter, et les Britanniques mirent du temps à saisir la valeur de telles manoeuvres, malgré le fait qu’ils sauvegardaient leurs intérêts grâce à la compétence de leurs agents sionistes. Troisièmement , la violence sioniste (bandes armées, « le travail aux juifs », etc.… ) ajoutée à la violence colonialiste (manière dont fut réprimée la révolte de 1929).
Dans toute analyse de la révolte de 1936-39, on doit réserver une place particulière à Sheikh Izz al-Din al-Qassam. Malgré tout ce qui a été écrit sur lui, ce n’est pas trop de dire que cette personnalité unique est restée méconnue, et le restera sans doute. Tout ce qui a été écrit sur lui l’a été de l’extérieur, et à cause de la superficialité de l’étude de sa personnalité, de nombreux historiens juifs n’ont pas hésité à le dépeindre comme un « derviche fanatique », alors que les historiens occidentaux ont, eux, choisi de l’ignorer. En fait, il est clair que c’est l’incapacité de comprendre le lien dialectique entre la religion et les tendances nationalistes qui est responsable de la minimisation de l’importance du mouvement qassamiste.
Quoiqu’il en soit de la vision qu’on ait d’al-Qassam, il ne fait aucun doute que son mouvement (12-19 novembre 1935) a représenté un tournant dans la lutte nationaliste et joué un rôle important dans l’adoption d’une forme plus avancée de lutte, en contradiction avec la direction traditionnelle divisée et éclatée face à la lutte en expansion. La personnalité d’al-Qassam, en elle-même, constitue probablement un point de rencontre symbolique de cette masse de facteurs liés qui ont commencé à être appelés « problème palestinien ». Le fait qu’il soit « syrien » (né à Jabala dans la périphérie de Lattakia) illustre le facteur nationaliste arabe de la lutte. Le fait qu’il soit « azhariste » (il étudia à Al-Azhar) illustre le facteur nationaliste-religieux représenté par Al-Azhar au début du siècle. Le fait qu’il se soit engagé dans une lutte nationale (il prit part à la lutte contre les Français en Syrie à Jabal Horan en 1919-20 et fut condamné à mort) illustre l’unité de la lutte arabe. Al-Qassam arriva à Haïfa en 1921, accompagné de l’égyptien Sheikh Muammad al-Hanafi et de Sheikh Ali al-Hajj Abid, et commença aussitôt à constituer des groupes clandestins.
Ce qui est remarquable chez al-Qassam c’est son intelligence organisationnelle avancée et sa patience forte comme l’acier. En 1929, il refusa d’être poussé à annoncer qu’il avait pris les armes, et malgré le fait que son refus conduisit à une scission, il réussit à refaire l’unité et à garder le secret. Selon un qassamiste bien connu [67], al-Qassam avait prévu sa révolte en trois étapes, préparation psychologique et diffusion du discours révolutionnaire, formation de groupes clandestins, formation de comités chargés de collecter des fonds et de procurer des armes, de comités pour l’entraînement, la sécurité, l’espionnage, la propagande, l’information et l’établissement de contacts politiques, et enfin le déclenchement de la révolte. Ceux qui ont connu al-Qassam disent que lorsqu’il fit irruption avec 25 de ses hommes dans les collines de Ya’bad dans la nuit du 12 novembre 1935, il n’avait pas pour objectif de proclamer la lutte armée mais de diffuser l’appel à la révolte. Un affrontement accidentel l’avait conduit là et malgré une résistance héroïque, lui et ses hommes furent écrasés facilement par une unité britannique. On dit que lorsqu’il réalisa qu’il ne pourrait pas étendre la révolte avec ses camarades, il aurait déclaré son fameux slogan : « Mourrez en martyrs ».
Nous devons comprendre ce slogan dans le sens « guévariste », si nous pouvons utiliser cette expression, et à un niveau national ordinaire, la conduite d’al-Qassam nous montre qu’il était conscient de l’importance de son rôle comme initiateur d’un foyer révolutionnaire avancé. Ce slogan porta rapidement ses fruits. Les masses suivirent à pied, sur dix kilomètres jusqu’au village de Yajur, son corps martyr. Mais la chose la plus importante qui arriva fut de démasquer la direction traditionnelle face au nouveau défi que représentait Sheikh al-Qassam. Cette direction, comme le Mandat britannique, était consciente du défi. Selon un qassamiste , quelques mois avant qu’al-Qassam se rende dans les collines, ce dernier envoya à Hajj al-Amin al-Hussaini par l’intermédiaire de Sheikh Musa al-Azrawi, la demande de 21 déclaration de révoltes coordonnées à travers le pays. Hussaini refusa au prétexte que les conditions n’étaient pas réunies [68].
Quand al-Qassam fut tué, ses funérailles ne furent suivies que par des pauvres gens. Les dirigeants adoptèrent une attitude d’indifférence et réalisèrent bientôt combien ils avaient eu tort. La preuve en est que les représentants des cinq partis palestiniens qui rendirent visite au Haut Commissaire britannique six jours après la mort d’al-Qassam, lui soumirent un mémorandum extraordinairement impudent dans lequel ils admettaient que si ils ne recevaient pas de réponse à ce mémorandum qui paraissait acceptable en général, alors ils perdraient leur influence sur leurs bases, les vues extrémistes et irresponsables prendraient le dessus et la situation se détériorerait [69]. Ils voulaient utiliser le phénomène al-Qassam pour leur permettre de faire un pas en arrière. Mais il leur était rendu impossible de reculer par le choix de la forme de lutte fait par al-Qassam. C’est ce qui explique la différence d’attitude des dirigeants palestiniens entre la mort d’al- Qassam et la cérémonie de commémoration tenue quarante jours après sa mort. Dans l’intervalle de ces quarante jours, ils réalisèrent que si ils n’essayaient pas de contenir la grande vague consécutive à la mort d’al-Qassam, elle les engloutirait. Ils remisèrent leur indifférence et prirent part aux rassemblements et discours pour la cérémonie du Quarantième. Hajj Amin al-Hussaini gardera en mémoire cette lacune pendant des années. Plus de vingt ans après, le magazine Filastine, expression du Haut Comité Arabe, essayera de donner l’impression que le mouvement qassamiste n’était rien d’autre qu’une partie du mouvement dirigé par le Mufti, et que ce dernier et al-Qassam étaient des « amis personnels » [70].
Les Britanniques rapportèrent l’histoire d’al-Qassam dans un rapport sur les incidents de 1935 qu’ils présentèrent à Genève comme suit : « Il y avait des rumeurs persistantes qu’un groupe terroriste avait été créé, inspiré par des facteurs politiques et religieux ; et le 7 novembre 1935, un sergent de police et un agent suivaient une piste dans les collines du district de Nazareth quand deux inconnus ouvrirent le feu contre eux, tuant le sergent… .Cet incident amena rapidement à la découverte d’une bande opérant dans les environs, conduite par Izz al-Din al-Qassam, un réfugié politique venant de Syrie et qui jouissait d’un prestige considérable comme dirigeant religieux. Il avait été fortement suspecté quelques années auparavant, et on disait qu’il avait la main sur des activités terroristes . » « Les funérailles de Sheikh al-Qassam furent suivies par de très grandes foules et malgré les efforts des musulmans influents pour garder le calme, il y eut des manifestations et des jets de pierre. La mort d’al-Qassam fut à l’origine d’une vague de puissants sentiments politiques dans les autres centres du pays et les journaux arabes se mirent d’accord pour le présenter comme un martyr dans les articles qu’ils écrivaient sur lui [71]. »
Les Britanniques étaient également conscients du changement qu’amenait la mort d’al-Qassam et ils essayèrent aussi de faire marche arrière comme le montre le Haut Commissaire dans une lettre au Ministre des Colonies. Dans cette lettre, il explique que si les revendications des dirigeants arabes ne sont pas satisfaites, « ils perdront toute leur influence et toute possibilité de pacification par les vues modérées qu’ils avancent se volatilisera [72]. » Mais là encore il était impossible de faire marche arrière car le mouvement qassamiste était l’ expression d’une tendance naturelle capable de faire face à l’escalade du conflit et d’y répondre. Rapidement, cela se refléta dans la constitution de nombreux groupes et comités à tel point que la direction traditionnelle fut obligée de choisir entre lutter contre le souhait intensifié des masses de combattre ou réprimer leur volonté en la plaçant sous son contrôle. Malgré que les Britanniques aient pris des mesures rapides, et proposèrent l’idée d’une assemblée législative et la fin des ventes des terres aux juifs, il était trop tard. Le mouvement sioniste qui commençait à se renforcer très fermement à cette date joua son rôle pour minimiser l’efficacité de l’offre des Britanniques. Dans le même temps, la direction du mouvement national palestinien n’avait pas encore décidé de l’attitude à adopter mais était extraordinairement oscillante et le 2 avril 1936, les représentants des partis palestiniens se préparèrent à former une délégation pour aller à Londres expliquer leur point de vue. Les choses se précipitèrent contre toute attente de la direction du mouvement nationaliste, et quand les premières flammes s’allumèrent à Jaffa en février 1936, les dirigeants du mouvement national palestinien croyaient encore possible d’obtenir des concessions partielles des Britanniques à travers la négociation.
Ils furent surpris par la tournure des évènements. Tous ceux qui furent associés de près aux évènements d’avril 1936 admettent que l’ émergence de la violence et de la désobéissance civile fut spontanée, et qu’à l’exception des actions des groupes qassamistes résiduels, tout ce qui arriva fut l’expression spontanée du niveau critique atteint par les contradictions. Même quand la grève générale fut déclarée le 19 avril 1936, la direction du mouvement national fut à la remorque. Elle prit néanmoins le train en route et réussit à dominer le mouvement national pour les raisons que nous avons déjà mentionnées dans notre analyse de la situation sociale et politique en Palestine.
D’un point de vue organisationnel, le mouvement national palestinien était représenté par de nombreux partis, la plupart d’entre eux étant des vestiges du mouvement anti-ottoman apparu au début du siècle. Cela signifie qu’ils n’avaient jamais pris part à une lutte pour l’ indépendance (comme ce fut le cas en Egypte) et qu’ils n’étaient rien d’autre que des clubs, sans principes définis, contrôlés par des groupes de notables et dépendants des allégeances et de leurs influences comme dirigeants féodaux, religieux, d’hommes influents dans la société ; ils n’étaient pas des partis avec une base organisée. Mis à part al-Qassam (et les communistes bien sûr) aucun des dirigeants du mouvement nationaliste palestinien ne possédait alors de capacité d’organisation, même Hajj Amin al-Hussaini qui avait pourtant de rares capacités administratives, n’avait pas de conception de l’organisation pour la lutte.
Les responsabilités organisationnelles furent portées par des talents individuels dans les comités inférieurs et parmi les cadres intermédiaires. Néanmoins, ils ne furent pas capables de traduire politiquement leurs capacités. A l’aube de la révolte, la situation des représentants du mouvement nationaliste en Palestine était la suivante : avec la dissolution du Comité Exécutif Arabe en août 1934, six groupes existaient :
– le Parti de la Palestine Arabe, fondé en mai 1935 et dirigé par Jamal al-Husseini ; il épousait plus ou moins la politique du Mufti et représentait les féodaux et les marchands des grandes villes.
– le Parti de la Défense Nationale, fondé en décembre 1934 et dirigé par Raghib al-Nashashibi, il représentait la nouvelle bourgeoisie urbaine et les anciens officiels.
– le Parti de l’Indépendance, fondé en 1932, dirigé par Auni Abd al-Hadl. Il comprenait des intellectuels de la moyenne bourgeoisie qui contribuèrent au rôle spécial joué par son aile gauche.
– le Parti de la Réforme, fondé par le docteur Hussain al-Khalidi en août 1935 et qui représentait certains intellectuels.
– le Parti du Bloc National, dirigé par Abd al-Latif Salah
– le Parti de la Jeunesse de Palestine, dirigé par Ya’qub al-Ghusain.
Cette multiplicité était purement superficielle ; elle n’était pas l’expression claire et définie de la configuration de classe dans le pays. La très grande majorité des masses n’était pas représentée (selon Nevill Barbour, 90% des révolutionnaires étaient des paysans qui se définissaient comme des volontaires).
Une observation de la structure de classe en Palestine en 1931 montre que 59% des Arabes palestiniens étaient paysans (19,1% pour les juifs), 12,9% travaillaient dans le bâtiment et dans les mines (30,6% pour les juifs), 6% travaillaient dans les communications, 8,4% dans le commerce, 1,3% dans l’administration etc.… [73] Cela signifie que la très grande majorité de la population n’était pas représentée par ces partis politiques, qui étaient l’expression des dirigeants féodaux et religieux, des compradores urbains et de certains secteurs intellectuels ; elle était assujettie au Mufti et à sa classe, les dirigeants féodaux et cléricaux, et qui était plus nationaliste que la direction de la bourgeoisie urbaine. Ces derniers, les Effendis, investissaient leur argent, à l’époque, dans l’industrie (ce qui s’accentua après la défaite de la révolte de 1936-39). La petite bourgeoisie en général (petits commerçants, artisans, enseignants, employés publics) n’avait pas de direction politique. En tant que classe, elle n’avait aucune influence ni importance sous le régime turc, qui reposait sur la classe des Effendis, et à qui il avait donné le droit de gouvernement local à cause de son développement en parallèle avec l’aristocratie féodale.
Le mouvement ouvrier était tout jeune et faible, exposé à l’oppression des autorités, soumis à la rivalité entre prolétariat et bourgeoisie juifs et persécuté par la direction du mouvement nationaliste arabe. Avant la création du Haut Comité Arabe avec à sa tête Hajj Amin al- Hussaini le 25 avril 1936, ce dernier regrettait la croyance populaire grandissante dans ce que l’ennemi réel était le Britannique. Le Parti de la Défense Nationale qui représentait avant tout la classe compradore urbaine n’était pas réellement disposé à un conflit ouvert avec les Britanniques.
Deux jours avant seulement, le 23 avril 1936, Weizmann, le dirigeant du mouvement sioniste, fit un discours à Tel-Aviv où il décrivit la lutte Arabes-sionistes qui commençait comme une lutte entre les éléments destructeurs et constructifs, mettant en avant les forces sionistes comme l’instrument du colonialisme à la veille de l’affrontement armé.
Voilà les positions des deux parties à l’aube de la révolte !
A la campagne, la révolte adopta la forme de la désobéissance civile et de l’insurrection armée. Des centaines d’hommes armés affluèrent pour rejoindre les groupes qui avaient commencé à se déployer dans les zones montagneuses, le non-paiement des impôts fut décidé à la conférence tenue au Collège Raudat al-Ma’aref al Wataniya à Jérusalem le 7 mai 1936 où prirent part 150 délégués représentant les Arabes de Palestine. Un passage en revue des noms des délégués fait par Isa al-Safri [74] montre que c’est à cette conférence que la direction du mouvement de masse fut confiée à une alliance faible entre les dirigeants féodaux-religieux, la bourgeoisie commerciale urbaine et un nombre limité d’intellectuels. La résolution adoptée par cette conférence fut brève, mais était une illustration claire des limites que pouvait atteindre une direction de ce type. « La conférence a décidé à l’unanimité d’annoncer qu’aucun impôt ne sera plus payé à partir du 15 mai 1936, si le gouvernement britannique ne procède à aucun changement radical de sa politique en stoppant l’immigration juive . » La réponse britannique à la désobéissance civile et à l’insurrection armée fut de frapper en deux points : en premier lieu les cadres organisationnels qui pour la plupart étaient plus révolutionnaires que la direction, ensuite les masses appauvries qui avaient prit part à la révolte et qui n’avaient que leurs seules armes pour se défendre. Cela prendrait du temps pour expliquer pourquoi les deux seules personnes qui étaient comparativement compétentes en termes d’organisation – Auni Abed el-Hadi et Mohammad Azat Darwazeh – furent arrêtées et le reste des cadres soumis aux arrestations et aux persécutions à tel point qu’ils furent totalement paralysés. Cela se traduit dans le fait que 61 Arabes responsables de l’organisation de la grève (les cadres intermédiaires) furent arrêtés le 23 mai. Dans le même temps, cela n’empêchait pas les Britanniques de donner des permis à quatre des dirigeants de la révolte (Jamal al-Hussaini, Shibi al-Jamal, Abd al-Latif Salah et le docteur Izzat Tanus) pour voyager à Londres afin de rencontrer le Ministre des Colonies le 12 juin. Il n’y avait rien d’anormal dans cette démarche et elle fut répétée dans les mois et les années suivantes. Le Haut Commissaire britannique avait observé avec une grande satisfaction que « les sermons du vendredi étaient bien plus modérés que ce que j’attendais dans une période où les sentiments étaient exacerbés. C’était dû dans une large mesure au Mufti [75]. »
Dès le départ, la situation fut que la direction du mouvement national palestinien considéra la révolte des masses simplement pour faire pression sur le colonialisme britannique pensant améliorer les conditions de vie des masses mais tout en sauvegardant ses propres intérêts en tant que classe. Les Britanniques avaient conscience de ce fait et agirent en adéquation. Néanmoins, les Britanniques ne prirent pas le risque d’accorder à cette classe les concessions qu’elle désirait ; Londres persista dans son engagement concernant la transmission de son héritage colonial en Palestine au mouvement sioniste et plus encore, c’est durant les années de la révolte (1936-1939) que le colonialisme britannique pesa de tout son poids dans le soutien à la présence sioniste et à sa consolidation, comme nous le verrons plus tard.
Les Britanniques atteignirent leur but de deux manières : en frappant les paysans pauvres révolutionnaires avec une violence inouïe et en jouant de leur grande influence sur les régimes arabes, qui jouèrent un grand rôle de liquidateurs de la révolte.
Premièrement : les lois d’urgence britanniques jouèrent un rôle effectif. Al-Sifri cite une série de sentences prononcées à cette époque pour montrer au combien ces lois d’urgences étaient injustes : « Six ans d’emprisonnement pour la possession d’un revolver, douze ans pour la possession d’une grenade, cinq ans de travaux forcés pour la possession de douze balles, huit mois pour mauvais renseignements à un détachement de soldats, neuf ans pour possession d’explosifs, cinq ans pour avoir essayé d’acheter des munitions à un soldat, deux semaines pour la possession d’un bâton …etc. [76]. » Selon une estimation britannique soumise à la Société des Nations, le nombre des Palestiniens tués durant la révolte de 1936 est de un millier, hors blessés, disparus et internés. Les Britanniques utilisèrent la politique de destruction des maisons à l’explosif sur une large échelle. Dans la ville de Jaffa (le 18 juin 1936) ils firent sauter 220 maisons, 6 000 personnes se retrouvèrent sans domicile. Une centaine de cabanes furent détruites à Jabalia, 300 à Abu Kabir, 350 à Sheikh Murad et 75 à Arab al-Daudi. Il est clair que les habitants des quartiers détruits à Jaffa et ceux qui habitaient les cabanes détruites des faubourgs étaient des paysans pauvres qui avaient fui la campagne pour la ville. Dans les villages, selon al-Sifri, 143 maisons furent détruites pour des raisons liées à la révolte [77]. Les maisons appartenaient à des paysans pauvres, certains moyens paysans et à un tout petit nombre de familles féodales.
Deuxièmement : l’Emir Abdallah de Transjordanie et Nuri Said commencèrent à prendre part à la médiation avec le Haut Comité Arabe. Néanmoins, leur médiation fut infructueuse malgré le fait que la direction était prête à accepter leurs bons offices. Le mouvement des masses n’était pas prêt encore à être domestiqué en 1936, mais ces contacts eurent un effet négatif sur la révolte et laissèrent le sentiment que le conflit en cours mènerait à un accord et dans la réalité cette démarche qui débuta sur un échec fut couronnée de succès en octobre de la même année.
Ces contacts n’étaient pas la seule forme de dialectique des relations entre la Palestine et les pays arabes voisins. Cette dialectique était plus compliquée et reflétait la complexité des contradictions, nous avons déjà vu ce que al-Qassam représentait à ce niveau, et dans ce sens le phénomène qassamiste continuait dans les faits à exister. De nombreux combattants arabes de la liberté affluaient en Palestine ; il y avait parmi eux Sa’id al-As qui fut tué en octobre 1936, Sheikh Muhammad al-Ashmar et bien d’autres. Cet afflux comprenait aussi un nombre d’officiers nationalistes aventuristes, dont le plus important était Fauzi al-Qawuqji, qui après être rentré en Palestine à la tête d’un petit groupe en août 1936, se proclama commandant en chef de la rébellion. Bien que ces hommes utilisèrent et développèrent les tactiques des rebelles, la plus grande partie de la violence révolutionnaire à la campagne et des actions de commandos dans les villes fut l’oeuvre des paysans dépossédés. En fait, ce furent les « officiers » issus des rangs des paysans qui jouèrent un rôle central bien que la plupart d’entre eux fussent assujettis au Mufti. Ils représentaient l’héroïsme légendaire des masses de la révolution.
Bien que les officiels britanniques en Palestine ne partageaient pas complètement la politique de Londres de soutien sans faille au mouvement sioniste, pensant qu’il y avait une place dans la collaboration colonialiste pour la classe dirigeante arabe dont les intérêts n’ étaient pas liés à la révolte, la Grande-Bretagne mit en avant finalement le 19 juin 1936 « l’importance du 26 lien organique entre la sécurité des intérêts britanniques et le succès du sionisme en Palestine » [78].
La Grande-Bretagne décida d’accroître ses forces en Palestine et d’accentuer ses mesures répressives. Effrayée par cette décision, la direction du mouvement nationaliste palestinien vacilla et perdit son calme. Hajj Amin al-Hussaini, Raghib Nashashibi et Auni abd al-Hadi se hâtèrent de rencontrer le Haut Commissaire britannique et il est clair dans les rapports qu’il fit à son gouvernement qu’ils étaient prêts à mettre un terme à la révolte si les rois arabes leur demandaient de le faire. Ils ne voulaient pas pour autant passer aux yeux des masses comme les instigateurs d’un tel projet tortueux et ils le nièrent à plusieurs reprises.
Après qu’un grand nombre de troupes britanniques, estimé à vingt mille, entra en Palestine et acheva son arrivée le 30 septembre 1936, on assista au renforcement du degré de loi martiale. Les autorités mandataires accentuèrent leur politique de répression sans retenue et, de septembre à octobre, on assista à des batailles d’une grande violence – les dernières grandes batailles à l’échelle de toute la Palestine. Le 11 octobre 1936, le Haut Comité Arabe distribua une déclaration appelant à la fin de la grève et ainsi de la révolte : « Vu que nous nous soumettons aux volontés de leurs Majestés et de leurs Altesses, les rois arabes, et qu’obéir à leurs souhaits est une de nos traditions arabes héréditaires, et vu que le Haut Comité Arabe croit fermement que leurs Majestés et leurs Altesses ne donnent uniquement des ordres qu’en conformité avec les intérêts de leurs fils et dans le but de protéger leurs droits ; le Haut Comité Arabe, conformément aux souhaits de leurs Majestés et Altesses, les rois et émirs, et parce qu’il croit dans le grand bénéfice qui résultera de leurs médiations et coopérations, appelle le noble peuple arabe à la fin de la grève et des troubles, au respect de ces ordres qui ont comme seul objet les intérêts des Arabes [79]. »
Exactement un mois plus tard (le 11 novembre 1936), le « Commandement Général de la Révolte Arabe en Syrie sud/Palestine » annonça qu’il « appelle à l’arrêt complet de tout acte de violence, qu’il n’y ait aucune provocation qui pourrait déranger les négociations, dont la nation arabe espère qu’elles seront un succès et obtiendront les pleins droits du pays [80]. »
Dix jours plus tard, le même Commandement publia un communiqué dans lequel il déclarait qu’il avait « quitté le terrain, ayant confiance dans les garanties des rois et des émirs arabes, pour protéger la bonne tenue des négociations [81] » Comme Jamil al-Shuqairi le dit : « Ainsi, par obéissance aux ordres des rois et des émirs, la grève fut levée et les activités révolutionnaires prirent fin dans les deux heures qui suivirent la publication de l’appel. [82] » Bien que la Grande-Bretagne défiait les dirigeants palestiniens précisément sur la question sur laquelle ils avaient déçu les masses – l’immigration juive en Palestine – et bien que ces dirigeants avaient décidé de boycotter la Commission Royale (Commission Peel), les rois et les émirs arabes obligèrent ces dirigeants à leur obéir pour la seconde fois en trois mois. Le Roi Abdul Aziz al-Sa’ud et le Roi Ghazi écrivirent des lettres à Hajj Amin al-Hussaini disant « Vue notre confiance dans les bonnes intentions du gouvernement britannique de faire justice aux Arabes, notre opinion est que vos intérêts requièrent que vous rencontriez la Commission Royale. » En fait, cet incident qui parait anodin, anéantissait l’alliance de la direction du mouvement national, car les forces à la droite d’Hajj Amin al-Hussaini, dirigées par le Parti de la Défense Nationale, s’opposèrent immédiatement à la décision de boycott de la Commission Peel et donnèrent plusieurs signes de leur désir d’accepter l’accord que la Grande-Bretagne s’apprêtait à proposer. Les dirigeants de ce parti qui représentaient principalement les Effendis des villes firent le lien entre le mécontentement des gros marchands des villes et la dislocation des intérêts de la bourgeoisie urbaine, étant dépendants des relations économiques étroites incarnées par les agences qu’ils tenaient avec des entreprises industrielles britanniques et parfois juives. Les régimes arabes, plus particulièrement celui de Transjordanie, soutenaient fortement cette aile de droite et Hajj Amin al-Hussaini et ce qu’il représentait n’ avait aucune envie de se tourner vers l’aile gauche qu’il avait commencé à liquider dans les faits. Ainsi son attitude devint vacillante et hésitante et il fut clair qu’il était dans une position où il ne pouvait ni faire un pas en avant avec la révolution ni reculer d’un pas de plus.
Néanmoins, quand les Britanniques pensèrent qu’ils étaient maintenant capables d’achever la liquidation politique du Mufti dans cette période de calme suite à la fin de la grève, ils trouvèrent que l’aile droite du Mufti était encore trop faible pour contrôler la situation. Le Haut Commissaire britannique continua malicieusement à penser combien pouvait être grand le rôle du Mufti s’il était réduit à sa position entre la droite et le Parti de la Défense Nationale et la gauche, le Parti de l’Indépendance et le mouvement des jeunes intellectuels. Le Haut Commissaire réalisa la capacité de la Grande-Bretagne à prendre l’avantage dans ce fossé profond entre « l’inflexibilité des villageois qui ont résisté durant six mois, recevant peu de fonds et refusant le pillage, et la faiblesse ou l’inexistence de grandes qualités de direction parmi les membres du Haut Comité Arabe [83]. »
La justesse des vues du Haut Commissaire du rôle limité que pouvait jouer l’aile droite du Mufti fut flagrante quand le Parti de la Défense Nationale échoua dans sa position ambiguë contre le rapport de la Commission Peel publié le 7 juillet 1937 et qui préconisait la partition et l’établissement d’un Etat juif. Dans le même temps, il devint clair que la crainte du Haut Commissaire de pressions de l’aile gauche du Mufti pour lui faire abandonner son attitude modérée, était fondée. Ces pressions ne vinrent cependant pas d’où le Haut Commissaire les attendait, mais des cadres intermédiaires qui étaient encore présents dans les comités nationaux et qui représentaient les paysans dépossédés et les ouvriers privés d’emploi dans les villes et à la campagne. Ainsi la seule voie qui restait au Mufti était de fuir. Il échappa à l’arrestation en trouvant refuge dans le Haram al-Sharif, mais les évènements l’obligèrent à prendre une position qu’il n’avait pas été capable de prendre un an plus tôt.
En Septembre 1937, Andrews, le Commissaire de District de Galilée, fut tué par quatre partisans armés à la sortie de l’église anglicane de Nazareth. Andrews était « le seul officiel qui administrait pour le Mandat exactement comme le voulaient les sionistes… Il ne réussit jamais à gagner la confiance des Fellahin (paysans palestiniens). » Les Arabes le voyaient comme un ami des sionistes et croyaient que sa tâche était de transférer la Galilée à l’Etat sioniste qui avait été délimité par la proposition de partition. Les paysans arabes le détestaient et l’accusaient de faciliter la vente des terres de Huleh, et les partisans qui le tuèrent étaient suspectés d’appartenir à une cellule secrète de qassamistes [84].
Malgré le fait que le Haut Comité Arabe condamna cet incident le soir même, la situation était hors de contrôle du Mufti et de son groupe, exactement comme ce qui était arrivé quand al-Qassam avait été tué. Pour ce maintenir à la tête du mouvement national, ils devaient se tenir au devant de la vague montante comme en avril 1936. Mais cette fois, l’enthousiasme révolutionnaire des masses était plus violent, pas seulement à cause de l’expérience acquise en une année, mais aussi parce que la contradiction, qui prenait forme devant leurs yeux, devenait plus claire. Il est certain que cette étape de la révolution fut dirigée presque entièrement contre les Britanniques plutôt que contre les sionistes. L’accentuation de la contradiction avait conduit à la cristallisation de positions plus claires : les paysans étaient presque complètement à la tête de la révolution, le rôle de la bourgeoisie urbaine était en retrait, les riches de la campagne et les gros paysans moyens hésitaient à soutenir les rebelles, quand dans le même temps les forces sionistes étaient à l’offensive.
Deux questions importantes doivent être considérées à cette étape de la révolution :
« Les Arabes contactèrent les sionistes, leur proposant une sorte d’arrangement sur la base d’une rupture complète des relations avec la Grande-Bretagne. Mais les sionistes rejetèrent immédiatement cette proposition, parce qu’ils jugeaient fondamentales leurs relations avec la Grande-Bretagne [85]. » Cela s’accompagna d’une explosion du nombre des sionistes servant dans la police en Palestine : de 365 en 1935, on passa à 682 en 1936. Le gouvernement annonça à la fin de l’année le recrutement de 1 240 sionistes comme auxiliaires de police avec des armes de l’armée, un mois plus tard, le chiffre était porté à 2 863 [86] et les officiers britanniques jouèrent un rôle important en dirigeant les groupes sionistes dans leurs attaques des villages arabes palestiniens.
La direction de la révolution qui se situait hors de la Palestine (à Damas) rendit le rôle des dirigeants locaux qui étaient pour la plupart d’origine paysanne pauvre plus important qu’il n’avait été dans la période précédente. Ces dirigeants locaux étaient liés fortement aux paysans. Cela explique jusqu’où la révolution fut capable d’aller. Durant cette période, par exemple, Abd al-Rahim al-Hajj émergea comme commandant local et les communistes affirmaient être en contact avec lui et lui donner des informations [87] . Ce développement aurait pu constituer un tournant historique dans la révolution si il n’y avait pas eu la faiblesse au propre comme au figuré de la « gauche », et si ces commandants locaux n’avaient pas été obligés de maintenir leurs liens organisationnels à un certain niveau avec le Comité Central de Lutte (Jihad) à Damas, pour des raisons financières et de loyauté traditionnelle.
Jamais dans toute l’histoire de la lutte palestinienne, la révolution armée populaire ne fut si proche de la victoire que durant les mois entre la fin 1937 et le début 1939. Durant cette période, le contrôle de la Palestine par les forces britanniques s’affaiblit, le prestige du colonialisme fut au plus bas et la réputation et l’influence de la révolution devinrent la force principale du pays.
La Grande-Bretagne fut convaincue qu’elle devait se lier aux sionistes qui la mettaient dans une situation unique, qu’elle n’avait eue dans aucune colonie, celle d’avoir à sa disposition une force faisant cause commune avec le colonialisme britannique et fortement mobilisée contre la population locale. A ce moment, la Grande-Bretagne commença à éprouver la nécessité de rapatrier une partie de ses forces militaires en Europe pour faire face à la situation de plus en plus critique. Elle vit avec plaisir « l’organisation rapide d’une force de défense des volontaires juifs de 6 500 hommes déjà sur pied [88]. » Elle avait déjà poursuivit une politique en liaison avec les forces sionistes localement en leur déléguant les tâches de répression qui augmentaient. Néanmoins, les Britanniques ne détruirent pas le pont qui avait été préservé entre eux et la classe dirigée par le Mufti, et c’est dans cette optique qu’ils jouèrent le rôle primordial dans le maintien du Mufti comme représentant indiscuté des Arabes palestiniens. Leur alternative de direction à la droite du Mufti était épuisée de telle sorte que si le Mufti n’était pas considéré comme le seul dirigeant, cela aurait signifié « que personne ne pouvait représenter les Arabes à part les dirigeants de la révolution dans les montagnes . » comme l’affirma le Haut Commissaire britannique en Palestine [89]. Il n’y a pas de doute que c’est cette raison parmi d’autres qui contribua à laisser le Mufti à la tête de la direction du mouvement national palestinien, en dépit du fait qu’il avait abandonné sa place à la Mosquée al-Aqsa et trouvé refuge à Damas depuis la fin janvier 1937. L’ oppression britannique qui avait atteint un degré inégalé, l’augmentation des raids de la police, les arrestations de masse et les exécutions tout le long de 1937 et 1938, affaiblirent la révolution mais n’y mirent pas un terme définitif.
Les britanniques réalisaient que en essence et en substance, au regard de sa direction locale, cette révolution était une révolution paysanne. Le sentiment révolutionnaire qui prévalait dans toute la Palestine poussait les citadins à porter les habits paysans (le keffieh et l’agal) de telle sorte qu’un paysan venant en ville ne puisse pas être harcelé par les autorités. Plus tard, on décida de s’interdire de porter sur soi les cartes d’identités de telle sorte que les autorités ne puissent distinguer un citadin d’un rural. Ces éléments indiquent très clairement la nature de la révolution et son influence à l’époque. La campagne en général était le terreau de la révolution et l’ occupation temporaire des villes en 1938 ne fut réalisée que de l’extérieur par des attaques paysannes [90]. Les paysans et les villageois payèrent aussi le plus lourd tribut à la lutte. En 1938, un grand nombre de paysans furent exécutés pour être en possession d’armes. Un rapide coup d’oeil à la liste des noms de ceux qui furent emprisonnés ou pendus nous montre que dans une très large majorité il s’agissait de paysans pauvres. Par exemple, « tous les habitants du village de Ain Karem, 3 000 au total, furent condamnés à s’enregistrer tous les jours à 10 kilomètres de leur village, au poste de police [91]. » Durant la période, la Grande-Bretagne condamna 2 000 Arabes palestiniens à de lourdes peines, démolit 5 000 maisons et exécuta par pendaison 148 personnes à la prison de Acre, plus de 5 000 personnes croupissaient en prison pour des peines variables [92]. La Grande-Bretagne qui avait abandonné en novembre 1938 la proposition de partition recommandée par le Rapport Peel, essayait de gagner du temps. La Conférence de la Table Ronde tenue à Londres en février 1939 fut une illustration typique des transactions douteuses qui se tenaient dans le silence entre le Commandement de la révolution palestinienne et les Britanniques, qui savaient certainement que le Commandement était prêt à négocier à tout moment. Bien sûr Jamal al-Hussaini ne se rendit pas seul à la Conférence de la Table Ronde à Londres : il était accompagné de représentants des pays arabes « indépendants ». Ainsi, les régimes arabes qui étaient des sujets du colonialisme, furent destinés pour la seconde fois en moins de trois ans à imposer leurs volontés aux Arabes de Palestine dans le seul intérêt de ceux qui étaient assis à la table des négociations. Les discours de Jamal al-Hussaini, de l’émir Faysal (Arabie Saoudite), de l’émir Hussain (Yémen), d’All Mahir (Egypte) et de Nuri al-Sa’id (Irak), qui déclara qu’il parlait comme un ami intime de la Grande-Bretagne et qu’il ne voulait pas dire un seul mot qui puisse froisser aucun Britannique parce qu’il était leur ami du plus profond du coeur [93], confirmèrent le succès de la politique britannique suivie depuis si longtemps vis-à-vis de la direction du mouvement national palestinien. Elle ne l’abandonnait pas et lui laissait toujours une porte de sortie de crise. La Grande-Bretagne avait confiance que l’Irak et l’Arabie Saoudite « étaient préparées à user de leurs influences sur les dirigeants palestiniens pour mettre un terme à la révolution et assurer le succès de la Conférence ».
Néanmoins, la révolution ne s’était pas éteinte. Selon les rapports officiels, en février 1939, 110 personnes furent tuées dans douze engagements contre les troupes britanniques, 112 blessées. 39 villages furent perquisitionnés, le couvre-feu fut imposé trois fois dans trois villes différentes, 200 villageois furent arrêtés, cinq départements gouvernementaux furent incendiés, dix Arabes furent exécutés pour port d’armes, dix colonies juives furent attaquées, l’oléoduc fut saboté, un train entre Haïfa et Lydda attaqué et un poste de recherche installé près de la mosquée al-Aqsa. Les rapports britanniques présentés par le Secrétaire Colonial montrent qu’ « entre le 20 décembre et le 29 février, il y eut 348 tentatives d’assassinat, 140 actes de sabotage, 19 kidnappings, 23 braquages, 32 explosions de bombes, 9 mines, où l’Armée perdit 18 hommes et eut 39 blessés, les Palestiniens perdirent 83 hommes et eurent 124 blessés, ces chiffres ne comprennent pas les pertes des rebelles… [94] » Les choses continuèrent ainsi jusqu’en septembre 1939, le mois où fut déclenchée la Seconde Guerre Mondiale. Les Palestiniens avaient essuyé des pertes irremplaçables ; la direction éloignée de l’esprit de compromis était à l’étranger, les commandements locaux nouvellement constitués tombaient les uns après les autres sur les différents champs de bataille, l’oppression britannique avait atteint son apogée et la violence sioniste s’intensifiait constamment depuis la moitié de 1937. Il n’y a pas de doute que la présence concentrée britannique et sa persistance sur le théâtre des opérations en Palestine avaient épuisées les rebelles, qui ne savaient plus avec leur direction qui ils devaient combattre et pourquoi. Par moment, la direction parlait d’amitié traditionnelle et d’ intérêts communs avec la Grande-Bretagne, par moment, elle allait plus loin en acceptant de garantir l’autonomie des juifs sur les zones où ils étaient implantés. Il ne fait aucun doute que l’oscillation de la direction et que son incapacité à déterminer un objectif clair de lutte jouèrent leur rôle dans l’affaiblissement de la révolution. Mais cela ne doit pas nous conduire à négliger le facteur objectif : les Britanniques utilisèrent deux divisions de troupes, plusieurs escadrons aériens, la police et la Force Frontalière Transjordanienne ainsi qu’une force sioniste forte de six mille hommes pour prendre le contrôle de la situation. (La Commission Peel admit que les dépenses sécuritaires en Palestine passèrent de 826 000 Livres Palestiniennes en 1935 à 2,223 millions en 1936). Cette campagne de terrorisme et les efforts déployés pour couper les rebelles de leurs liens avec les villages épuisèrent la révolution. La mort d’Abd al-Rahim al-Hajj Muhammad en mars 1939 survint comme un coup terrible porté à la révolte, la privant d’un de ses plus braves, de ses plus sages et honnêtes dirigeants populaires révolutionnaires. Après sa mort, les commandements locaux disparurent et quittèrent le terrain. De plus, le rapprochement franco -britannique à la veille de la Seconde Guerre Mondiale rendit plus facile la défaite de la révolution. Arif abd al-Razzaq, poursuivi et affamé, fut remis aux Français avec certains de ses hommes, les forces jordaniennes arrêtèrent Yusuf Abu Daur et le remirent aux Britanniques qui l’exécutèrent. Le terrorisme britannique et sioniste contre les villages avait apeuré les gens dans leur soutien aux rebelles et leur approvisionnement en armes et nourriture, et faute d’un minimum d’organisation il devenait impossible de surmonter ces obstacles.
Le Parti Communiste de Palestine attribua alors la défaite de la révolution à cinq principales causes :
– l’absence d’une direction révolutionnaire
– l’individualisme et l’opportunisme des dirigeants de la révolution
– le manque d’un commandement central des forces de la révolution
– la faiblesse du Parti Communiste de Palestine
– la situation mondiale peu propice [95].
Dans l’ensemble cette critique est correcte, mais on doit rajouter à ces causes le fait que le Parti Communiste était proche de la direction d’Hajj Amin al-Hussaini dans lequel il voyait « l’appartenance à l’aile la plus anti-impérialiste du mouvement nationaliste » et dont les ennemis étaient « des traîtres féodaux » [96]. Et ceci malgré le fait que le groupe du Mufti n’eut aucune hésitation à liquider les éléments de gauche qui essayait de pénétrer les cercles ouvriers.
La gauche communiste, en plus d’être faible, fut incapable de se développer à la campagne ; elle resta concentrée dans certaines villes. Elle échoua à arabiser le Parti, comme l’avait recommandé le VIIe Congrès du Komintern et resta victime de ses vues limitées de l’unité arabe, et des relations avec le reste de la patrie arabe, ce qui avait des répercussions organisationnelles.
Il est clair que le défaut qui est le plus responsable de la défaite fut le grand fossé creusé par le développement rapide de la société en Palestine, sa transformation extrêmement violente d’une société agricole arabe en une société juive industrielle. Ce fut la raison réelle qui empêcha la bourgeoisie nationale arabe et la petite bourgeoisie de jouer leur rôle historique dans le mouvement national palestinien et permit aux dirigeants féodaux et religieux de diriger sans rivaux ce mouvement pour une longue période. Le Docteur Abd al-Wahhab al-Kayyali pointe une autre cause importante. « Lassitude du combat », « La pression militaire constante, l’espoir de l’application de certains aspects du Livre Blanc, et le manque d’armes et de munitions eurent leur part dans la difficulté de continuer la révolte. De plus, vu que le monde se dirigeait vers le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, la France supprima le quartier général des rebelles à Damas [97]. » Enfin, nous pouvons ajouter deux autres facteurs en corrélation : l’attitude de la Transjordanie, de son régime servile dirigé par l’émir Abdullah et l’activité des agents contre-révolutionnaires à l’intérieur du mouvement et qui se situait à la périphérie des activités terroristes des forces britanniques et sionistes. Le Parti de la Défense Nationale, dirigé par Raghib Nashashibi, joua le rôle de représentant légal du régime servile de Transjordanie dans le mouvement national palestinien. Cette liaison était probablement une sorte de camouflage car le parti était dans l’incapacité de révéler ses liens de servilité avec le colonialisme britannique quand le principal ennemi au coeur même de la bataille était ce même colonialisme britannique. C’est pourquoi, le lien avec le régime de Transjordanie était une sorte de camouflage accepté par les deux parties. Le Parti de la Défense Nationale était un petit groupe d’Effendis urbains qui représentait les intérêts de la bourgeoisie compradore ascendante et qui commençait à découvrir que son existence et sa croissance étaient liées non seulement au colonialisme britannique mais aussi au mouvement sioniste qui contrôlait la transformation industrielle de l’économie palestinienne. La situation de cette classe nous permet de résumer son rôle historique en disant qu’elle « coopérait avec les autorités d’occupation sur le plan administratif, avec le sionisme sur le plan commercial, qu’elle vendait la terre aux juifs, cassait le mouvement, véhiculait le doute, embourbait l’activité nationaliste, renforçait les liens entre Abdullah, Hussein et les sionistes en 1923-24 dans le soutien à l’ immigration, soutenait le Mandat dans les années vingt, la partition dans les années trente, défendait l’établissement d’un foyer national juif sur une partie de la Palestine et le transfert d’une autre partie à la Transjordanie… etc. [98]. »
L’émir Abdallah de Transjordanie mit un terme au mouvement de masse transjordanien après que celui-ci ait décidé à une Conférence Populaire tenue par Mithgal al-Faiz dans le village d’Umm al-Amd de soutenir la révolution palestinienne en hommes et en matériel. Les Britanniques avaient décidé de considérer la Transjordanie, dès lors, comme une partie du théâtre des opérations contre les activités des rebelles palestiniens. Le rôle joué par le régime servile transjordanien ne se limita pas à cela. Il ferma les routes menant en Irak pour prévenir toute aide, réduisit les mouvements des dirigeants palestiniens qui avaient été obligés d’accroître leurs activités depuis la Transjordanie après la construction d’un réseau d’étranglement de barbelés à la frontière nord de la Palestine. Les activités de ce régime culminèrent avec l’arrestation en 1939 de deux dirigeants palestiniens. L’un d’entre eux, Yusuf Abu Durrar, fut livré aux Britanniques qui l’ exécutèrent. Les forces transjordaniennes étaient engagées aux côtés des troupes britanniques et des bandes sionistes dans leur chasse aux rebelles. Il ne fait aucun doute que le rôle joué par le régime transjordanien encouragea les éléments de la contre-révolution intérieure à mettre sur pied leurs activités. Nombre de dirigeants du Parti de la Défense Nationale prirent part à l’établissement de ce qu’ils appelaient des « détachements de paix », de petites forces mercenaires, formées en coopération avec les Britanniques et qui aidaient à la chasse aux rebelles, prenaient part aux combats contre eux et les chassaient de leurs positions. Fakhri al-Nashashibi était un des dirigeants de ces détachements, les armant et les dirigeant dans leurs activités… .ce qui conduisit à son assassinat quelques mois après la fin de la révolution [99]. Avant cela, la sauvage campagne britannique pour désarmer la Palestine entière avait compté sur « l’encouragement des éléments hostiles au Mufti à renseigner les Britanniques et à identifier les rebelles [100]. »
L’attitude de l’Irak et de l’Arabie Saoudite ne fut pas meilleure que celle du régime jordanien. A la Conférence de Londres, ils exprimèrent leur disponibilité « à user de leur influence sur les dirigeants palestiniens pour mettre un terme à la révolte [101]. » Tout ceci ne permit pas cependant aux dirigeants contre-révolutionnaires (les agents des Britanniques) de devenir une force de poids parmi les masses. Au contraire, ceci renforça le Mufti et sa direction, alors qu’on encourageait les éléments contre-révolutionnaires, entre autre chose, à modérer celui-ci et à le confiner dans un cadre qui pouvait être contrôlé. Les Britanniques agirent en accord avec leur conviction qu’al- Nashashibi ne pouvait être une alternative au Mufti. Le très faible degré de manoeuvre de l’autorité du Mufti, qui était le résultat de conflits mineurs en cours entre le colonialisme français en Syrie et au Liban et le colonialisme britannique, ne fut pas capable de conduire à un changement radical de direction, et il atteint un point d’ancrage fort à la veille de la guerre. Tous ces faits dans leur globalité montrent que la révolution palestinienne fut attaquée en trois points vitaux :
– sur le plan subjectif – l’incapacité, l’oscillation, la faiblesse, la subjectivité et l’anarchie de ses différents dirigeants.
– sur le plan arabe – la collusion des régimes arabes pour faire échouer la révolution et un mouvement nationaliste arabe populaire faible qui ne se solidarisait avec la révolution palestinienne que d’une façon sélective, subjective et marginale.
– sur le plan international – le déséquilibre immense dans l’équilibre objectif des forces qui voyait l’alliance de tous les membres du camp colonialiste avec le mouvement sioniste qui était renforcé par la mise à sa disposition d’une force de frappe considérable à la veille de la Seconde Guerre Mondiale.
Les meilleures estimations des pertes humaines Arabes durant la révolution de 1936-39 donnent 19 972 tués ou blessés durant les quatre années, incluant les pertes Arabes palestiniennes victimes des bandes sionistes. Cette estimation est basée sur les premières conclusions contenues dans les rapports officiels britanniques, comparées à d’autres documents 102 . On estime selon ces calculs que 1200 Arabes furent tués en 1936, 120 en 1937, 1200 en 1938 et 1200 en 1939. De plus, 112 Arabes furent exécutés et 1200 autres tués dans diverses opérations terroristes. Ce qui donne au total 5 032 tués durant la révolution de 1936-39 et 14 760 blessés. Le nombre des détenus fut de 816 en 1937, 2 463 en 1938 et 5 679 en 1939.
La signification réelle de ces chiffres peut être comprise par comparaison. En relation avec le nombre d’habitants, les pertes palestiniennes en 1936-39 auraient signifié la perte de 200 000 Britanniques, 600 000 blessés et 1,22 millions de détenus. Dans le cas des USA, 1 million de tués, 3 millions de blessés, 6 millions de détenus !
Mais le dommage le plus sérieux et réel tient dans le développement rapide des secteurs économiques et militaires qui permit les fondations de l’entité coloniale sioniste en Palestine. Il n’y a pas d’exagération à affirmer que la présence militaire et économique sioniste, dont les liens avec l’impérialisme augmentaient fortement, a établi ses principales fondations durant cette période et un historien israélien a même été jusqu’à dire que « les conditions de la victoire sioniste de 1948 ont été créées durant la période de la révolte arabe [103]. »
La politique générale suivie par les sionistes durant cette période peut être vue comme une profonde détermination à éviter tout conflit entre eux et les autorités mandataires britanniques, alors que ces dernières sous la pression des rebelles arabes, étaient obligées de refuser certaines revendications du mouvement sioniste.
Les sionistes savaient que si ils donnaient aux Britanniques, qui avaient la plus forte et la plus agressive armée coloniale du monde, la chance d’écraser la révolution arabe en Palestine, cette armée rendrait un très grand service à leurs projets, plus qu’ils ne l’avaient rêvé. Ainsi, les plans sionistes s’articulèrent autour de deux lignes parallèles : la plus proche alliance possible avec la Grande-Bretagne – dans le cadre fixé par le vingtième Congrès sioniste tenu à l’été 1937, et qui avait exprimé sa disponibilité à accepter la partition pour se concilier les Britanniques et éviter une rupture avec eux. Cette politique fut adoptée pour permettre à l’Empire Britannique d’écraser la révolution arabe qui avait repris à l’été. L’autre ligne directrice consistait en la mobilisation interne et continue de la société des colons sionistes, sous le slogan adopté par Ben Gourion « Pas d’alternative » qui mettait en avant la nécessité de poser les fondations d’ une société militarisée et de ses instruments économiques et militaires. La question d’une conciliation la plus grande possible avec les Britanniques, en dépit du fait qu’ils avaient par exemple pris des mesures pour réduire l’immigration juive, fut un tournant dans l’histoire de la politique sioniste durant cette période. Malgré le fait que certains éléments dans le mouvement rejetaient ce qui était appelé « self -control », la voix de cette minorité n’eut aucun effet. Ce qui était la règle de cette politique des sionistes fut résumée par Weizman lorsqu’il dit : « Il y a une complète similarité d’intérêts entre les sionistes et les Britanniques en Palestine. » Durant cette période, la coopération et l’interaction de ces deux lignes,
1) l’alliance avec le mandat britannique au plus haut point,
2) la mobilisation de la société coloniale juive, eut des conséquences extrêmement importante.
La bourgeoisie juive trouva avantage dans le déclenchement de la révolte arabe pour implanter de nombreux projets qu’elle n’aurait pu implanter dans des circonstances autres. Libérée soudainement de la concurrence des produits agricoles arabes palestiniens moins chers, cette bourgeoisie promut son existence économique. Bien sûr cela aurait été impossible sans le concours des Britanniques. Durant la révolution, les sionistes et les autorités mandataires réussirent à construire un réseau de routes reliant les principales colonies sionistes et les villes, qui constitua plus tard une partie essentielle de l’infrastructure de l’économie sioniste. Ainsi, la route principale entre Haïfa et Tel-Aviv fut pavée, et le port d’Haïfa fut étendu et élargi, et un port fut construit à Tel Aviv pour faire mourir le port de Jaffa. De plus, les sionistes monopolisèrent les contrats de fournitures aux troupes britanniques qui arrivaient massivement en Palestine. Cinquante colonies sionistes furent établies entre 1936 et 1939, et entre 1936 et 1938, les juifs investirent 1,26 millions de Livres Palestiniennes pour la création d’emplois dans cinq villes juives, alors que les Arabes n’investirent que 120 000 Livres Palestiniennes dans seize villages durant la même période. Les juifs s’engagèrent massivement dans les projets sécuritaires pour absorber un grand nombre d’ouvriers juifs au chômage qui se pressaient toujours plus nombreux aux frontières de la Palestine. « Les Britanniques employèrent des travailleurs juifs dans la construction à hauteur de 100 000 Livres Palestiniennes [104]. » ainsi que pour des douzaines d’ autres projets. Les études réalisées postérieurement nous donnent une meilleure idée : la valeur des exportations des produits locaux manufacturés passa de 478 807 LP en 1935 à près du double (896 875 LP) en 1937, malgré la révolte [105]. Cela ne peut s’expliquer que par l’activité croissante de l’économie juive. Cette mobilisation s’étendait du domaine économique en alliance avec le mandat, jusqu’au domaine militaire, en collusion avec le mandat. Les Britanniques réalisèrent que leur allié sioniste était qualifié pour remplir le rôle qu’aucun autre n’aurait pu jouer si bien. En fait, Ben Gourion ne dit qu’une partie de la vérité lorsqu’il admet que le nombre de recrues juives dans la force armée quasi-policière se portait à 2 863 en septembre 1936, car il ne s’agit que d’une partie des forces juives : il y avait 12 000 hommes dans la Haganah en 1937 et 3 000 autres dans l’Organisation Militaire Nationale de Jabotinski [106].
Leur alliance, comme représentants réels du mouvement sioniste, avec le colonialisme britannique conduisit à l’idée d’une « quasi-force de police » à l’été 1936. L’idée servait de couverture à une présence armée sioniste encouragée par les Britanniques. Cette force servit de transition pendant quelques mois durant lesquels la Haganah se préparait à évoluer vers une nouvelle étape début 1937. Non seulement les Britanniques en étaient conscients mais en plus ils aidaient à ce passage. Cette étape consistait en des patrouilles et des opérations limitées contre les Arabes palestiniens, l’objectif central étant la dispersion et la confusion. Il aurait été impossible d’avancer vers cette étape et de maintenir la « confiance » (l’alliance) avec les autorités mandataires si il ne s’était agit du résultat d’un plan conjoint. Ben Gourion affirme que la farce d’une police supplétive sioniste servit « d’atelier » pour l’entraînement de la Haganah [107]. A l’été 1937, cette force reçut le nom de « Défense des Colonies Juives » puis plus tard de « Police des Colonies ». Elle était supervisée par le mandat britannique dans tout le pays, et les Britanniques entraînaient ses membres. En 1937, elle fut renforcée de 3 000 nouveaux membres, qui prirent part dans leur ensemble au rôle direct des opérations répressives contre les rebelles palestiniens en particulier dans le nord. En juin 1938, les Britanniques décidèrent que des opérations offensives devaient être prises contre les rebelles. A ce titre, ils donnèrent des instructions sur l’entraînement de nombreux cadres de la Haganah qui devinrent plus tard les cadres de l’armée israélienne [108]. Début 1939, l’armée britannique organisa dix groupes de la « Police des Colonies » bien armés, auxquels on donna des noms hébreux. Les membres de cette force furent autorisés à abandonner le « Qalbaq », couvre-chef officiel, pour le chapeau australien de brousse, afin de les rendre plus distincts. Ces groupes totalisèrent 14 411 hommes, chacun des groupes était commandé par un officier britannique, assisté d’un second désigné par l’Agence Juive. En été 1939, les sionistes bénéficiaient aussi de 62 unités mécanisées de 8 à 10 hommes chacune. Au printemps 1938, le commandement britannique décida de confier à ces éléments sionistes la défense des chemins de fer entre Haïfa et Ludd qui étaient fréquemment attaqués par les partisans palestiniens, et il envoya 434 hommes pour exécuter cette mission. Six mois plus tard, l’ Agence juive réussit à porter ce nombre à 800. Cela n’était pas qu’au service du renforcement militaire sioniste mais aussi pour l’ absorption et l’emploi de nombreux ouvriers juifs au chômage dans les villes. Dans cette optique, le prolétariat juif fut poussé à travailler dans les organisations répressives, non seulement dans les projets sécuritaires britanniques dirigés contre la révolution, mais aussi dans la force militaire sioniste. Les fondations de l’appareil militaire sioniste furent établies sous le contrôle britannique. La force sioniste à laquelle on avait confié la défense de la ligne de chemins de fer Haïfa-Ludd fut en charge, plus tard, de la défense de l’ oléoduc de la plaine de Bashan. Cet oléoduc, construit de fraîche date (1934), pour apporter le pétrole de Kirkouk à Haïfa, avait été attaqué à de nombreuses reprises par les rebelles palestiniens. Cela avait une grande valeur symbolique pour les rebelles arabes, qui étaient conscients de la valeur du pétrole pour les exploiteurs britanniques, et c’est pourquoi ils le brûlèrent pour la première fois près d’Irbid le 15 juillet 1936. Il fut attaqué plus tard de nombreuses fois : près des villages de Kaukab, d’Hawa, de Mihna Israil, d’Iksal, entre at-Ufula et Bashan, et à Tell Adas, Bira, Ard al-Marj, Tamra, Kafr Misir, Jisr al-Majami, Jinjar, Bashan et Ain Daur. Les Britanniques étaient incapables de défendre cet oléoduc vital et admirent que le « pipe », comme le surnommaient les paysans arabes palestiniens, était magnifié dans le folklore qui glorifiait les actes d’héroïsme populaire. Les Britanniques mirent une protection minimum autour de l’oléoduc. En Palestine, il était défendu par les groupes sionistes, et en Transjordanie, il était défendu par le Sheikh Turki ibn Zain, chef d’une sous division de la tribu des Bani Sakhr, que la compagnie autorisait à patrouiller dans le désert [109]. Ben Gourion révéla souvent ce fait, que les Britanniques pensaient établir une force aérienne sioniste pour la défense de ces intérêts. Les Britanniques dans un stade initial furent capables de voir la stratégie plus tard désignée par les Américains de « vietnamisation ». C’était très important parce que c’est à partir de cet incident que les Britanniques acquirent la conviction que la formation d’une force de frappe sioniste résoudrait de nombreux problèmes en relation avec la défense des intérêts impérialistes, que cette formation protégerait ses intérêts. L’officier britannique Charles Orde Wingate joua un rôle important pour traduire l’alliance britannico-sioniste en pratique. Les historiens sionistes tentent de donner l’impression que les efforts de Wingate étaient la conséquence de son tempérament personnel et de son engagement « idéaliste ». Mais il est clair que cet officier des renseignements, qui avait été envoyé à Haïfa par ses chefs à l’automne 1937, était en charge d’une tâche spécifique : la formation d’un noyau de forces de frappe pour la force armée sioniste qui avait six mois d’existence et qui exigeait de la préparation. Cet officier britannique que les soldats « israéliens » voient comme le véritable fondateur de l’armée « israélienne » fit du problème de l’oléoduc sa tâche spécifique, impliquant des opérations de terrorisme et de massacres, et c’est lui en personne qui prit le soin de former ses protégés à Ain Daur, parmi lesquels figurait Moshé Dayan, à devenir des experts dans de telles opérations. Il ne fait aucun doute, qu’en plus de ses qualités d’officier impérialiste expérimenté, Wingate était habité d’une haine raciste illimité pour les Arabes. Il est clair dans les biographies réalisées par ceux qui le connurent qu’il prenait du plaisir à torturer et à tuer des paysans arabes [110].
Avec l’aide d’impérialistes comme Wingate et des dirigeants réactionnaires du type de l’Emir Abdullah, les Britanniques firent de leur mieux pour que le mouvement sioniste devienne, aux niveaux économique et militaire, une tête de pont pour sauvegarder leurs intérêts. Selon la conviction de tous, tout ceci arriva parce que la direction du mouvement national palestinien n’était pas suffisamment révolutionnaire et ne put faire face à ses ennemis unis. Le mouvement national palestinien, paralysé par des facteurs subjectifs que nous avons mentionnés et par les violentes attaques des Britanniques et des sionistes se trouvait dans une situation très difficile à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Les affirmations des historiens selon lesquelles les Arabes stoppèrent leur révolution pour permettre aux Britanniques de mener la guerre contre le nazisme sont démenties par les faits et par le fait que Hajj Amin al-Hussaini trouva refuge en Allemagne nazie durant la guerre.
Cette étude, dans sa globalité, présente le tableau politique et social qui prévalait entre les années 1936 et 1939. C’est cette situation, avec les relations dialectiques contenues en son sein, qui explique la stagnation du mouvement national palestinien durant la guerre. Quand la guerre prit fin, les Britanniques constatèrent que le mouvement national palestinien avait été écrasé : sa tête brisée, sa base affaiblie et son tissu social désintégré par les changements violents qui avaient pris place dans la société, l’échec de ses dirigeants et de ses partis à l’organiser et à le mobiliser, la faiblesse et la confusion de la gauche et l’instabilité du mouvement nationaliste dans les pays arabes voisins.
Ainsi, le mouvement sioniste entrait dans les années quarante en trouvant le terrain dégagé pour lui, dans un climat international extrêmement favorable pour lui, conséquence de l’ambiance politique et psychologique consécutive aux massacres des juifs par Hitler.
Les régimes arabes dans les pays arabes voisins étaient des régimes bourgeois au sens historique, mais sans réel pouvoir. Il n’y avait pas dans la société juive en Palestine de mouvement de gauche capable d’exercer sa pression dans une direction opposée à ce que l’entière société fût consacrée au colonialisme par l’invasion. La gauche palestinienne avait, durant la Seconde Guerre Mondiale, perdu l’initiative, qu’elle avait commencé à mettre en avant dans les années trente comme le résultat du changement de politique du Komintern. Elle avait échoué à arabiser le Parti. Plus encore, la gauche communiste était sujette encore plus à la répression de la direction arabe défaite. (Par exemple, les hommes du Mufti assassinèrent le dirigeant syndicaliste Sami Taha à Haïfa le 12 septembre 1947. Ils avaient auparavant tué à Jaffa, le syndicaliste Michel Mitri qui avait joué un grand rôle dans la mobilisation des ouvriers arabes en 1936).
Tout ceci rendit capable le mouvement sioniste dans le milieu des années quarante de mettre sur pied son premier conflit contre le colonialisme britannique après des années d’alliance. Ainsi, en 1947, les circonstances devinrent favorables pour récolter les fruits de la défaite de la révolution de 1936, ce qui avait été retardé par l’explosion de la Seconde Guerre Mondiale. Le temps mis pour achever le second chapitre de la défaite palestinienne, de la fin 1947 au milieu de 1948, s’écoula rapidement parce qu’il n’était que la conclusion d’un long et sanglant chapitre qui s’était écrit d’avril 1936 à septembre 1939.
Notes
1 Himadeh Said (ed.), Economic Organization of Palestine, American University of Beirut, Beirut 1939, p.32.
2 Menuhin Moshe, The Decadence of Judaism in our Time, Institute of Palestine Studies, Beirut, 1969.
3 Weinstock Nathan, Le Sionisme - Contre Israël, Maspero, Paris, 1969.
6 Weinstock, op. cit.
7 Himadeb, op. cit, p.373.
8 Ibid, p.376.
9 Collection of Arab testimonies in Palestine before the British Royal Commission, al- Itidal Press Damascus, 1938, p.54.
10 Ibid. , p.55.
11 Himadeh, op. cit., (le nombre de chômeurs s´élevait à 4000 rien qu´à Jaffa après 1936, voir note 5 p.55).
12 Collection , op. cit. p.55.
13 Ibid. p.55.
14 Davar nº 3462 (voir note 13. p.661.)
15 Collection, op. cit ., p.15.
16 Ibid., p.66.
17 Ibid., p.59.
18 Yehuda Bauer, The Arab Revolt of 1936, New Outlook, Vol.9 No. 6 (81), Tel-Aviv, 1966, p. 50.
19 Ibid. , p.51.
20 En 1930, le nombre d´ouvriers arabes dans le bâtiment chuta de 1500 à 500 alors que le nombre d´ouvriers juifs dans ce secteur s´éleva de 550 à 1600.
21 Jusqu´en 1931, les sionistes expulsèrent 20 000 paysans arabes palestiniens après avoir racheté les terres sur lesquels ils travaillaient.
22 Haim Hanagbi, Moshe Machover, Akiva Orr. The Class Nature of Israel, New Left Review (65), Jan-Feb 1971, p.6.
23 Theodor Herzl, Selected Works, Newman Ed,Vol.7, Book 1. Tel Aviv, p.86.
24 Exco Foundation for Palestine. Inc., Palestine. A Study of Jewish, Arab and British Policies, Vol. 1, Yale University Press, 1947, p.561.
25 Kayyali Abdulwahhab, Modern History of Palestine, Arab Institute of Studies and Publication, Beirut, 1970. p.174.
26 Documents of the Palestine Arab Resistance (1918-1939). Beirut, p.22-25.
27 Action among the peasants and the struggle against Zionism, The Palestine Communist Party Theses for 1931 , Communist Internationalism and the Arab Revolution , Dar al-Haqiqa, Beirut, p.54.
28 Ibid. , p.122, 121.
29 Ibid. , p.124.
30 Ibid. , p.162.
31 Himadeh, Ibid. ,p. 39.
32 Communist Internationalism , p. 135-145.
33 Weinstock. Ibid.
34 Collection , p.34.
35 La Sublime Porte avait accordé cette terre à la Famille Sursuk du Liban en retour de services rendus. Voir aussi : Hadawi, Palestine Under the Mandate , 1920-1940, Palestine Studies, Kuwaiti Alumni Association, p. 34.
36 En 1934, les sionistes.
37 Ibid ., p.39.
38 Hadawi., op. cit. , p. 29.
39 Collection , p. 25.
40 Ibid. , p. 56.
41 Ibid. , p. 58.
42 Himadeh, op. cit ., p. 376.
43 Collection , p. 60.
44 Ibid ., p. 62-63.
45 Ibid ., p. 62.
46 Ibid. , p. 44.
47 Ibid. , p. 63.
48 Rony E. Gubbay, A Political Study of the Arab-Jewish Conflict , Librairie de Droz, Genève, 1959, p.29.
49 Communist Internationalism , p. 143-144. 12
50 Collection , p. 52.
51 Himadeh, op. cit. , p. 45.
52 Arab Society , by Dr. Ali Ahmed Issa, quoted in Yusra Arnita, Folkloric Arts in Palestine , Beirut, Palestine Research Center, P.L.O.p. 187. 14
53 Yaghi , Dr. Abdul Rahman, Modern Palestinian Literature . Beirut, p. 232.
54 Ibid. , p. 237.
55 Ibid. , p. 283.
56 Our Popular Songs , by Nimr Sirhan, Jordan, Ministry of Culture and Information, p. 157.
57 Ibid. , p. 299-300.
58 Ibid. , p. 301.
59 Yehuda Bauer, op. cit. , p. 49.
60 Sifri Issa, Arab Palestine Under the Mandate & Zionism , the New Palestine Bookshop, Jaffa, 1937, Vol. II p. 10.
61 Palestinian Struggle over half a century , by Saleh Bouyissir, al-Fatah House, Beirut, p. 180.
62 The Great Arab Revolution in Palestine , al-Hana House, Damascus, Subhi Yasine, p. 30.
63 Bouyissir, op. cit ., p. 181.
64 Kayyali, op. cit ., p.302.
65 Collection , p. 96.
66 Hadawi, op. cit ., p. 38.
67 Yasin Subhi, op. cit. , p. 22-23.
68 Ibid. , p. 22.
69 Kayyali, op. cit. , p. 296.
70 Palestine , nº 94, Jan 1,1969, Arab Higher Committee, Beirut.
71 Ibid. , nº 94, p. 19. 22
72 Kayyali, op. cit. , p. 296.
73 Palestine’s Economic Future , Percy, Lund H, London, 1946, p. 61.
74 Sifri, op. cit. , p. 39-40.
75 Kayyali, op. cit. , p. 311.
76 Sifri, op. cit ., p. 60.
77 Ibid. , p. 93.
78 Kayyali, op. cit. , p. 319.
79 Documents , p.454.
80 Ibid. , p. 457.
81 Ibid. , p. 458.
82 Collection , p. 8.
83 Kayyali, op. cit. , p. 326.
84 Neville Barbour, Nisi Dominus , London, p. 183-193.
85 Kayyali, op. cit. , p. 338.
86 Jewish Observer , Sept. 20, 1963. London, p. 13-14.
87 Abdul Qadir Yasin, al Katib, nº 121, April 1971, p. 114.
88 Kayyali, op. cit. , p. 346.
89 Ibid, p. 346.
90 En Mai 1938, les rebelles occupèrent Hebron après avoir occupé le vieux port de Jerusalem. Le 9 septembre, ils occupèrent Beersheba et libérèrent les prisonniers. Le 5 octobre, ils occupèrent Tibérias, début août certaines parties de Naplouse, etc.
91 Bouyissir, op. cit. , p. 247.
92 Ibid., p .247.
93 Ibid., p. 258.
94 Al-Ahram , March 1, 1939, Cairo.
95 Yasin, op. cit ., p.115.
96 Ibid. , p.114.
97 Kayyali, op. cit. , p.359.
98 Sayegh Anis, The Hashemite & the Palestine Question , Beirut, 1966, p. 150. 33
99 Ibid. ,Voir aussi, al-Talia’a, nº 4 , April 7, 1971, Cairo, p. 98.
100 Kayyali, op. cit. , p. 348.
101 A letter from Baghdad to the British Foreign Minister , 31 Oct. 1930, cité dans Kayyali, Ibid. , p. 349.
102 Walid Khalidi editor, From Haven to Conquest, IPS, Beirut, 1971, p. 836-849.
103 Bouyissir, op. cit. , p. 21.
104 Barbour, op. cit. , p. 193.
105 Himadeh, op. cit ., p. 323.
106 Bouyissir, op. cit. , p. 323.
107 Ben Gurion, op. cit. , p. 372.
108 Ibid. , p. 373.
109 Sifri, op.cit. , p. 131-132.
110 Khalidi, op. cit. , p. 375-378.
Messages
1. Les Palestiniens et la révolution au Moyen-Orient, 1er octobre 2009, 12:41
Par Cirepal
Le premier octobre prochain, les Palestiniens de 48 (qui vivent dans l’entité sioniste) organisent une grève générale, à laquelle ont unanimement appelé les forces politiques palestiniennes présentes dans le Haut comité de suivi des masses arabes. Cette grève signifie essentiellement que les régions demeurées majoritairement arabes (Galilée, Triangle et des parties du Naqab) seront entièrement paralysées, y compris dans la partie arabe des villes « mixtes ». Il s’agit d’abord de commémorer le martyre de 13 Palestiniens tombés début octobre 2000, lorsque notre peuple de l’intérieur s’est soulevé, pour contribuer à l’intifada al-Aqsa, déclenchée quelques jours plus tôt.
Il a fallu huit ans pour que les Palestiniens de 48 arrivent à proclamer cette grève, historique dans l’histoire du mouvement palestinien de l’intérieur. En effet, après la terrible répression en octobre 2000 contre les Palestiniens de 48, descendus dans les rues pour protester contre les massacres commis par l’armée sioniste en Cisjordanie (al-Quds y compris) et la bande de Gaza et pour participer à la révolte de notre peuple contre la colonisation et l’occupation, dans l’Intifada al-Aqsa, les Palestiniens de 48 ont célébré, entre 2001 et 2008, la commémoration annuelle en organisant diverses manifestations, dans certaines villes, soit en Galilée soit dans le Triangle.
2. Les Palestiniens et la révolution au Moyen-Orient, 7 janvier 2010, 12:38, par Robert Paris
Le mouvement ouvrier arabe et juif sait que la seule opposition réelle à la guerre, la seule solution possible au problème palestinien, c’est l’union des ouvriers juifs et arabes contre l’impérialisme et contre tous leurs exploiteurs communs.
Le même exemple nous est donné aux Indes où Gandhi, jadis apôtre de la non-violence, prêche la "guerre sainte" contre le Pakistan, alors que le mouvement ouvrier, unissant dans la même lutte contre leurs exploiteurs, ouvriers hindous et musulmans, s’efforce d’apporter la paix entre les peuples.
C’est l’essence du mouvement ouvrier lui-même, pour défendre ses intérêts, de défendre aussi la fraternité entre les peuples. En luttant contre les excitateurs de guerre qui entretiennent la division entre les peuples, le mouvement ouvrier lutte pour la paix.
Barta - 1er octobre 1947
3. Les Palestiniens et la révolution au Moyen-Orient, 1er septembre 2010, 19:27, par Ramiro
Comment est il possible qu’aucune jonction ne put être possible entre le prolétariat judéo arabe avant la création d’israel ? De la fin du 19ème siècle jusqu’à 1948, quand on sait que toutes les premières vagues d’immigration juive était composé en général de personnes militantes dans des organisations ouvrières. Toute cette population "progressiste" pouvaient être une menace révolutionnaire dangereuse pour les intérets des classes dirigeantes de la région, les impérialistes ont laissés se développer le mouvement Sioniste, et ce mouvement a crée une aile gauche. Cette aile gauche a servit à déradicaliser, canalyser et communautariser ce mouvement potentiellement révolutionaire. Ils ont mit en place des organisations ouvrières sionistes comme le Hapoel Hatzair et des organisations syndicales comme la Histadrout captant une extrême majorité du prolétariat. Ils ont canalysés y compris les mouvement les plus radicaux comme les tendances anarchistes en créant l’idée petite bourgeoise du Kiboutz, mettant en avant l’autogestion, le travail manuel, le retour à la terre, la terre vierge à découvrir loin de la société marchande, ce sont avec ces pièges qu’ils ont masqués le colonialisme. Communautarisés en interdisant les travailleurs non juifs à adhérés dans ces orgas, et en provoquant les féodaux arabes nationalistes entrainant des heurts interethnique car eux aussi n’avaient aucun intérets à une jonction du prolétariat judéo arabe.
C’est cette clique de bureaucrate sioniste de gauche qui a empêché toute jonction y compris lors de la révolution de 1936, et c’est cette clique de bureaucrate sioniste de gauche qui c’est imposé lors de la création de l’état d’israel Ben Gourion était le secrétaire générale de la Histadrout, ces mêmes la ont utilisés des milices d’extrême droite (sionistes révisionistes) pour vider voler et massacrer les palestiniens, assseoire le nouvel ordre colonial.
1. Les Palestiniens et la révolution au Moyen-Orient, 1er septembre 2010, 21:27, par Robert Paris
Tu as parfaitement raison à mon avis. La gauche et même une partie de l’extrême gauche, étant sioniste donc favorable à un nationalisme pro-impérialiste et colonialiste, ont fait le pire mal au prolétariat israélien... Et cela dès le départ. le choix s’est fait en 1936, lors de la grève générale du prolétariat arabe contre le colonialisme anglais où les organisations sionistes ont accepté de jouer les briseurs de grève aux côtés des anglais alors que ceux-ci opprimaient le prolétariat juif...
4. Les Palestiniens et la révolution au Moyen-Orient, 2 septembre 2010, 14:38, par Ramiro
Le colonialisme britanique a utilisé les sionistes, de la même manières qu’il a utilisé également les féodaux et notables arabes de la région. C’est une manipulation le mandat britanique ne souhaitait nullement la création de l’état d’israel, de même que les appels du pied qu’il a fait aux mouvements nationalistes arabes ne résultaient que de la peur de leur montée en puissance et leur crainte qu’il s’allie à l’impérialisme allemand au début de la 2ème guerre mondiale, la démagogie vis à vis de ces mouvements qu’a exercé le mandat britanique c’est d’avoir limité considérablement l’immigration juive en Palestine et même de l’interdire aux populations juives résidant en Allemagne et en Pologne car considéré comme citoyen de pays ennemis, alors que ces populations subissaient un génocide.