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Luttes en Afrique 1988-91

dimanche 1er juillet 2007, par Robert Paris

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La révolte de 1988, le film6


Comme un feu de forêt


Pendant toutes ces années de 1988 à 1991, l’Afrique est parcourue de mouvements sociaux, de révoltes et de manifestations. La lutte touche Sénégal, Mali, Gabon, Côte d’Ivoire, Niger, Kenya, Bénin, Algérie, etc… Dans certains pays, la mobilisation prend l’aspect d’une révolte générale contre le régime. Dans d’autres, comme le Mali en 1991 où le régime de dictature militaire de Moussa Traoré tombe. Des régimes, qui avaient tenu depuis les indépendances, sont pour la première fois menacés par les masses populaires.

En 1988, en Côte d’Ivoire, la contestation débute par des mouvements sociaux divers : médecins, soldats appelés, policiers et dockers. En même temps, on assiste à un mouvement de soldats qui occupent les bâtiments publics. Au Sénégal, le régime prétendait avoir démocratisé le pays, en permettant à l’opposition de faire des meetings électoraux pour les élections législatives et présidentielles. Mal lui en a pris, c’est le mécontentement qui s’exprime : le « sopi » (changement) est acclamé depuis 1988, et la jeunesse se bat tous les jours avec les forces de l’ordre. Diouf est dénoncé.

En 1989, tout au long de l’année, le Bénin est secoué par des luttes populaires diverses des travailleurs du privé, des fonctionnaires, des étudiants. Les salariés dénoncent les salaires impayés et les mauvaises conditions de travail. C’est l’un des pays où le mouvement a un caractère le plus ouvrier. A partir de janvier 1990, les mouvements de contestation se généralisent en Afrique, avec des grèves, des grèves générales, des manifestations de masses, des émeutes et des révoltes. Au Bénin, le 4 janvier 1990, les enseignants sont lancés dans un bras de fer avec le pouvoir et déclarent : « Même si nos salaires sont payés, le travail ne reprendra pas tant que nos revendications ne seront pas satisfaites. » Le pouvoir réagit en lâchant du lest sur le plan politique. Le général-président Kérékou, qui se faisait appeler « camarade Kérékou » abandonne son pseudo « socialisme populaire », le parti unique et ouvre le régime. Cependant, le 16 janvier, les étudiants de l’université Omar Bongo, au Gabon, entrent en grève et occupent l’université pour protester contre le manque de professeurs et de moyens. Il s’en suit des bagarres avec les forces de l’ordre qui font de nombreux blessés, mais ne parviennent pas à arrêter le mouvement de protestation au Gabon. Loin de se calmer, les étudiants développent la lutte. Le 18 janvier, ils entraînent les collégiens et lycéens, ainsi que les jeunes chômeurs. Ce jour-là, des centaines de manifestations sillonnent les artères de Libreville et s’affrontent avec les forces de l’ordre. Dans les quartiers populaires, comme Mont-Bouet, Akebe, Rio, Kembo, l’agitation se transforme en émeutes : des groupes de jeunes armés de bâtons et de cailloux s’attaquent aux bâtiments publics et pillent les boutiques. Des voitures sont incendiées et servent pour constituer des barrages et barricades. Les manifestants défilent sur le périphérique qui conduit à l’aéroport et ils le bloquent. Le 18, le pouvoir riposte en fermant universités, lycées et collèges. Mais, la 19, l’agitation gagne de l’ampleur. Plus d’une centaine de boutiques sont pillées. Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre se généralisent à la plupart des quartiers populaires. Le gouvernement interdit les attroupements, renforce les contrôles d’identité et instaure le couvre-feu à partir de 19 heures. Alors que le mouvement, bien que réprimé, se poursuit au Gabon, il rebondit le 2 février au Sénégal. C’est d’abord l’appel à la grève lancé par la Coordination des étudiants et élèves pour protester contre l’insuffisance des fournitures scolaires et le manque d’équipements. Le pouvoir sénégalais réagit par la fermeture des universités et écoles. Suivant l’exemple des étudiants gabonais et sénégalais, les élèves et étudiants du Niger se mettent aussi en grève. A Niamey, ils protestent également la dégradation de leurs conditions d’études. Le lendemain, ils organisent une marche politique au travers de la ville. Mais, à hauteur du pont Kennedy qu’ils veulent traverser, les forces de l’ordre chargent et tirent dans la foule. Il y a vingt morts et de nombreux blessés parmi les manifestants. Le 12 février, des événements importants se produisent au Niger et au Gabon. Au Niger, devant les violences dont les étudiants ont été victimes, la colère l’emporte sur la peur. Une manifestation de protestation regroupe non seulement des élèves mais de nombreux travailleurs et des habitants des quartiers populaires. Le groupe des travailleurs de l’uranium est particulièrement massif et fait une démonstration de force. La dictature de Saïbou tente de se disculper, prétendant qu’elle n’a pas ordonné de tirer et ferme les établissements scolaires. Au Gabon, le couvre-feu semblait avoir rétabli le calme, mais c’était une apparence trompeuse : le 12 février, le mouvement prend un caractère social. Depuis cinq ans, les salaires sont bloqués, si bien que la grève d’une catégorie limitée met le feu aux poudres. La grève touche d’abord les fonctionnaires : enseignants du supérieur, médecins, agents du ministère des finances, agents des banques gabonaises et des sociétés de cigarettes arrêtent le travail, rapidement rejoints par les salariés des Postes et Télécommunications, de l’Energie Electrique et de nombreuses sociétés privées. L’électricité est coupée. Les centraux téléphoniques sont bloqués. Le transport aérien est en grève. Le pays est paralysé et coupé du monde. C’est une gifle pour Bongo. Les travailleurs de la Navigation entrent en lutte. Le dictateur Bongo accepte de négocier directement avec les grévistes, puisque les travailleurs en grève refusent d’être représentés par le syndicat unique, agent du pouvoir. Bongo essaie de négocier avec chaque catégorie à part, mais devant la menace de la généralisation de la lutte à toute la classe ouvrière, le dictateur recule. Il déclare qu’il reconnaît le multipartisme, alors qu’il avait toujours déclaré que, lui vivant, on ne verrait jamais cela au Gabon ! Dans le même mois de février 1990 en Côte d’Ivoire, la dictature d’Houphouët Boigny est en butte à une situation de crise d’une ampleur sans précédent depuis l’indépendance. La classe ouvrière est dans le coup. Les syndicalistes qui manifestaient pour l’autorisation de syndicats libres ont été arrêtés. Les travailleurs de l’Energie et des Eaux entrent en grève. Le gouvernement essaie de faire croire que les coupures sont liées à des problèmes techniques. Le gouvernement annule la mesure de baisse des salaires de 15 à 40% qu’il avait prévu d’annoncer. Ce sont les étudiants qui ont commencé à s’affronter directement au pouvoir. La première manifestation est partie de la résidence universitaire de Youpougon. Ils marchent sur l’université, occupent les rues, dressent des barrages. Ils sont rejoints par les lycéens et les collégiens. En expulsant les étudiants de leurs universités, le pouvoir le pousse dans la rue. La jeunesse des quartiers populaires les rejoint et ils envahissent la capitale. La jeunesse se mobilise massivement, remplit les rues de la capitale Abidjan, conspue le pouvoir et le président Houphouët, détruit les signes extérieurs de richesse et de pouvoir. On n’avait jamais vu ça : c’est une véritable déferlante qui démarre de Koumassi avec un grand nombre de jeunes, très jeunes. Le mouvement de masse de la jeunesse est si important que le pouvoir choisit de faire le mort et de laisser passer la vague. Houphouët est conspué par les jeunes et les milieux populaires aux cris de « Houphouët voleur » et « Houphouët bandit ». Ils crient aussi : « les grotos (les riches) doivent payer ! ». Des émeutes ont lieu également dans les grandes villes, comme Bouaké ou Bongerville. Houphouët Boigny contre-attaque à la télévision : « On m’accuse d’avoir volé le pays. Mais c’est un mensonge. Je suis né dans l’or. Je suis n é dans une cadillac. » Il rajoute qu’en Côte d’Ivoire, on ne peut pas faire payer les riches pour enrichir les pauvres parce qu’ »il n’y a que de faux riches et de faux pauvres. S’il y avait un seul riche en Côte d’Ivoire, je lui aurai demandé d’aider le pays. » En mai-juin 1990, de nombreuses catégories sociales manifestent. Les travailleurs des bus, de Blohorn, de Carena (chantier naval) ou encore de Sonaco (société nationale de conditionnement). Pour la première fois en Côte d’Ivoire, le secteur privé se met en grève. Au mois de mars, le Gabon, la révolte ouvrière explose. Le 23 mars, les travailleurs du pétrole de Port Gentil se mettent en grève contre leurs conditions de travail et réclament des augmentations de salaires. L’agitation s’étend à d’autres catégories de travailleurs, aux lycéens, aux collégiens qui se répandent dans les rues. L’intervention de la police entraîne des émeutes dans la plupart des quartiers populaires. Les manifestants s’en prennent aux bâtiments administratifs et aux boutiques qui sont parfois saccagées et pillées. La police et les forces de l’ordre locales sont débordées. Les autorités de Port Gentil font appel à des renforts militaires de Libreville. Le couvre-feu est instauré à Libreville, puis dans l’ensemble du pays. Face aux émeutes, les paras français et la Légion débarquent à Port Gentil et à Libreville pour réprimer les manifestants, et pas seulement pour « défendre les ressortissants français » comme il le prétend, les forces gabonaises se révélant insuffisantes pour faire face à la révolte. En deux jours, Port Gentil connaît une véritable explosion de mécontentement social qui s’attaque à tout ce qui représente l’oppression : bâtiments publics, intérêts privés des riches, voitures… La Guinée est également sous le coup des révoltes. A Conakry, Subreka, Kindi,… il y a des bagarres avec la police, des émeutes, des pillages comme ailleurs. Le gouvernement tente de désamorcer la colère. Lansana Conté sacrifie son ministre de l’Education et parle d’instaurer bientôt le multipartisme. Au Zaïre aussi, il y a des grèves d’étudiants et des émeutes à Kinshasa. Cela amène le dictateur Mobutu à chercher d’éviter l’explosion sociale généralisée en instaurant un multipartisme limité à trois partis. L’Afrique, ex coloniale anglaise, est elle aussi concernée, comme au Kenya où il y a où il y a eu des émeutes.

La classe ouvrière s’est assez partiellement mobilisée. Mais elle a été bien plus concernée que les oppositions politiques, débordées par la radicalité du mouvement. Ainsi, en Côte d’Ivoire, l’un des hauts lieux du mouvement, le principal opposant, Laurent Gbagbo, écrit : « En l’absence d’une législation cohérente (…) les travailleurs sont obligés de recourir à des grèves sauvages, très dures… Il faut absolument changer cette situation. (…) Nous pensons que mieux l’ouvrier sera protégé par la loi, mieux il participera à la production. » (extrait de « Pour une alternative démocratique en Côte d’Ivoire ». Dès le début des émeutes, Laurent Gbagbo a appelé les émeutiers à se calmer. Les opprimés avaient à peine commencé à menacer le système que ces faux opposants montraient qu’ils savent choisir leur camp.

L’insurrection au Mali et la chute de Moussa Traore

Le lieutenant Moussa Traoré a pris le pouvoir en novembre 1968, déposant le premier président du Mali, Modibo Keita. Il va régner pendant 23 ans sans partage sur le pays. Le parti unique, UDPM, va dominer le Mali jusqu’au 26 mars 1991. C’est la révolte populaire qui va les faire chuter. Le climat social est à la révolte dès 1990. La misère a atteint un niveau insupportable. On a vu un directeur d’école démonter le plafond d’une salle de classe pour la revendre afin de nourrir sa famille. La peur du régime, qui emprisonne et torture, a été telle pendant toutes ces années que les opposants osent à peine parler entre eux. Mais la révolte est telle que la peur va tomber. Le régime s’est discrédité par sa corruption et parce qu’il s’est montré incapable de battre les résistances armées des touaregs nomades qu’il méprisait, opprimait et dont il prétendait écraser aisément dans le sang la révolte armée. Les revendications sociales commencent à monter au cours de l’année 1990. Les petits vendeurs bana-bana, opprimés et réprimes, et les petits commerçants ne se laissent plus faire. Les commerçants en ont assez, par exemple, de voir le commerce des fruits et légumes monopolisé par le président et sa femme. Les associations à but politique se multiplient et le régime cherche à leur interdire d’intervenir sur ce terrain. La colère monte dans la jeunesse et dans la classe ouvrière. Les fonctionnaires, notamment les enseignants, ne sont pas payés pendant des mois quand ce n’est pas des années. Il est très significatif de l’ambiance dans la classe ouvrière que, le 1er mai 1990, le syndicat unique lui-même, l’Union Nationale des Travailleurs du Mali, se prononce pour la première fois en faveur de la démocratisation du pays, dans un discours public. L’Association des Elèves et Etudiants du Mali, après la répression de 1979, se réveille de longues années de silence et de soumission. AEEM et Comité National d’Initiative pour la Démocratie appellent à une manifestation pour le multipartisme le 10 décembre 1990. Plus de dix mille manifestants répondent à l’appel. C’est la plus grande manifestation jamais organisée au Mali sous le régime de Moussa Traoré. La manifestation se déroule pacifiquement dans la capitale Bamako, mais le pouvoir n’entend pas reculer. Les organisateurs et les manifestants non plus. Le 24 janvier 1991, ils appellent à une nouvelle manifestation qui va enclencher le cycle des affrontements se terminant par la chute du dictateur. Les manifestants bloquent la route et saccagent les édifices publics. Les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les manifestants faisant de nombreux morts et blessés. Le 25 janvier, des chars sont déployés contre les manifestants et les écoles sont fermées. Le 28 janvier, à la nouvelle de l’arrestation de plusieurs élèves et étudiants, dont le secrétaire général de l’AEEM, Oumar Mariko, le mouvement explose en insurrection de toute la jeunesse, englobant celle des quartiers populaires. Ces derniers, tout particulièrement les jeunes chômeurs, armés de bâtons et de pierres, envahissent les rues de la capitale, brûlent des magasins et des édifices publics, ainsi que des voitures. Les résidences de plusieurs membres du gouvernement et du parti unique, dont celle du directeur général des douanes, beau-frère du président Traoré, sont entièrement saccagées. A partir de ce moment, les émeutes se multiplient tous les jours dans Bamako, où les manifestants érigent des barricades. Cette situation se propage aux villes de province. Les morts de manifestants et le nombre de blessés ne cessent de croître tous les jours. Le 29 janvier, ce sont des centaines de manifestants arrêtés qui ont été torturés, dont une douzaine d’enfants de moins de douze ans. Le général-président a annoncé que l’interdiction aux associations de faire de la politique est levée, mais cela ne diminue pas la pression de la rue. L’AEEM revendique la libération de tous les emprisonnés. Le 31 janvier, le gouvernement laisse entendre qu’il pourrait libérer de nombreux manifestants arrêtés dont Oumar Mariko. Le 2 février, la télévision nationale annonce la libération de 196 élèves sur les 232 officiellement arrêtées. 34 détenus ont été déférés en justice et condamnées lourdement pour trouble à l’ordre public, pillage, incendie, dévastation d’édifices publics, vol et recel. Les Touaregs du nord du Mali s’invitent dans la lutte, en attaquant l’usine de phosphates de Bourem, à une centaine de kilomètres de la ville de Gao, dans la nuit du 21 février 1991, tuant deux militaires.
Le 22 mars 1991, les émeutes reprennent à Bamako. De violentes manifestations parcourent la capitale. Les forces de l’ordre tirent à balles réelles et tuent. C’est un véritable carnage à la mitraillette et à la grenade offensive. La guerre est déclarée par le pouvoir aux jeunes manifestants qui enflamment le ministère de l’emploi. Le 23 mars, la jeunesse scolarisée est rejointe dans la révolte par les chômeurs et les travailleurs. Les travailleurs de la COMATEX, dont le dictateur-président a dit, avec une expression de profond mépris, qu’ils ne savent même pas qui ils sont, ont arrêté le travail. Les émeutes s’étendent à l’ensemble du pays. Des répressions violentes ont lieu à Sikasso et Diola. Certains policiers se font lyncher. Le centre commercial de Bamako est le siège d’un véritable carnage. Tout ce qui appartient aux responsables du régime est saccagé. Les commerçants sont attaqués eux aussi. Les morts continuent de tomber, mais, cette fois, la foule ne recule plus devant les forces de l’ordre. Les étudiants inventent un moyen d’autodéfense face aux policiers. Ils l’intitulent article 320 : 300 francs CFA pour acheter un litre d’essence et 20 francs CFA pour une boite d’allumette. L’action consiste à jeter de l’essence sur les policiers et à lancer une allumette.
Les jours suivants, les manifestations continuent, s’attaquant à la BIRD et à la Banque Mondiale de Bamako. L’hôtel de ville est saccagé. Deux dignitaires proches de l’ancien président ont été lynchés par la foule en colère. Le 29 mars, des villas de dignitaires sont pillées. L’Etat d’urgence a été décrété dans les villes du Mali. Le bilan est de nombreux manifestant morts et de centaines de blessés graves qui ont les membres déchiquetés. Le chef de l’Etat lance un appel au calme et affirme sa « totale disponibilité pour une dialogue et une consultation et pour trouver des solutions durables des différents problèmes ». Les manifestants répondent « C’est terminé. On ira jusqu’au bout. » Il y a déjà un bilan de plusieurs centaines de morts. La grève générale commence, paralysant le pays. Les mères de famille, révoltées que leurs enfants soient tués comme des lapins, s’attaquent à mains nues à la présidence à Coulouba. Le général-président leur barre la route avec des blindés. Mais l’armée ne marche plus et on est à un doigt d’une grave mutinerie. Affirmant agir en coordination avec les organisations démocratiques, les militaires déposent la dictature de Moussa Traoré et prennent le pouvoir le 27 mars 1991. Un régiment de parachutistes commandé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (dit ATT) arrête Moussa Traoré. Le chef du coup d’Etat prend la tête d’un « conseil de réconciliation nationale » auquel collaborent UNTM et AEEM. Immédiatement, la France lâche Moussa Traoré. Le multipartisme est instauré. Le chef de la junte militaire lance à la population un appel au calme. La junte décide de maintenir en place les anciens gouverneurs de province et tous les directeurs de cabinet. Le 1er avril, après quelques frottements, un compromis est trouvé entre l’opposition et la junte. Des élections municipales, législatives et présidentielles doivent être organisées avant la fin de l’année. Le 31 mars, ATT est nommé président de Comité de transition pour le salut du peuple. Soumana Sacko, ancien ministre des finances de Moussa Traoré, est nommé premier ministre. Une conférence nationale est annoncée le 19 juin et s’ouvre le 29 juillet. Elle adopte une constitution, un code électoral et une charte des partis, le 13 août. Multipartisme, indépendance de la justice, liberté de la presse et liberté syndicale ont été adoptées. Le multipartisme malien est né. Il va prendre la forme d’une alternance curieuse : une fois ATT (Toumani Touré), une fois Alpha (Omar Konaré). Ce dernier est dirigeant de l’ADEMA, qui avait été deux ans ministre de Moussa Traoré. Rien n’est dit sur les richesses du pays. Le seul point discuté est le détournement de fonds en Suisse réalisé par Moussa Traoré et estimé à 12 milliards de francs français, montant de la dette du pays. En mars 1992, une paix est signée avec la rébellion touareg.

Dans toutes les tractations politiciennes, pas un mot n’a été dit sur les richesses du pays et la redistribution qui a été conclue. Au sein de l’armée, une redistribution du pouvoir a eu lieu, également dans la plus grande obscurité sous prétexte de coups d’Etat. En somme, le vrai pouvoir (armée et capital) n’est pas du domaine qui est discuté publiquement.

Si le peuple malien reste l’un des plus pauvre du continent, le pays n’est pas pauvre… pour les capitalistes. Le pays est classé, selon les critères des institutions du système des Nations Unies, parmi les pays les plus pauvres du monde :

 753 dollars de PIB (produit intérieur brut) par habitant (identique au Niger, contre 1573 au Cameroun, 6024 au Gabon, 4676 à la Guinée Bissau et 9000 à l’Afrique du sud et au Mexique et surtout à comparer aux 23 000 de l’Angleterre et de la France, aux 35 000 des USA)

 plus de la moitié des Maliens ne savent ni écrire ni lire (contre 20% au Cameroun et 30% au Congo)

 une mortalité infantile de 13% (contre 10% au Centrafrique, 9% au Congo, 8% au Cameroun)

 une armée de 7300 soldats (contre 2500 au Tchad en guerre permanente ou 7000 en Côte d’Ivoire qui a un PIB quatre fois supérieur)

 le service de la dette représente 12,2% des exportations

Pourtant les résultats économiques sont loin d’indiquer une telle catastrophe :

 une augmentation de 4,4% de croissance économique en 2000 pour contre 2,7% pour la période 1995-2000.

 une production céréalière record en 1999-2000 : 2 951 600 tonnes

 le Mali compte une production de coton de 600.000 tonnes, d’or de 55 tonnes

 un doublement de la part du secteur minier dans le produit national brut (PNB)

 90 millions de dollars de recettes touristiques

Pourtant, le Mali est un grand producteur d’or : selon « Le Soleil » (Sénégal) du 15 Mars 2002, avec une production annuelle de près de 55 tonnes d’or, un chiffre d’affaires de près de 300 milliards de FCFA, le secteur minier occupe au Mali indiscutablement une place de choix -parfois méconnue- dans l’économie. « Le Mali pourrait être Le 3e producteur d’or en Afrique » écrit Panafrican News Agency du 3 Août 2000.

 une production d’or sans cesse en hausse : d’une production de 24,356 tonnes d’or en 1998 nous avons atteint 26,675 tonnes en 1999 ; 29,679 tonnes en 2000 et 51,306 tonnes en 2001. On annonce 55 tonnes en 2002.

 Après celle de Kaolack, les mines de Morila (la dernière en date et l’une des plus prometteuses), de Syama, Sadiola situées dans les régions Sud et Ouest du Mali ont dopé une production qui a presque doublé en moins de cinq ans, passant de 25 à 52 tonnes de production annuelle. La mine d’or de Morila représente un investissement de près de 90 millions de dollars américains soit plus de 60 milliards de francs CFA.

 Modibo Coulibaly, le directeur national de la géologie et des mines, déclare : « Le Mali se place aujourd’hui au 3e rang des producteurs africains d’or après l’Afrique du Sud et le Ghana. Depuis 1999, l’or a d’ailleurs ravi au coton la première place des produits d’exportation. La production industrielle d’or au 31 décembre 2001 est de 51,307 tonnes. Si on ajoute à cela la production artisanale et semi-industrielle, on approche facilement les 55 tonnes. Ceci représente un chiffre d’affaire de près de 300 milliards de Francs Cfa. 36 à 40 % du chiffre d’affaires réalisé par les sociétés minières reviennent au pays. »

 « La diversification de la production minière est un des aspects important de la politique minière. Les substances concernées sont entre autres, les métaux de base -cuivre, nickel, plomb, zinc- les substances précieuses autres que l’or -diamant, grenats, améthyste, etc-, les substances énergétiques -pétrole, gaz, charbon, schistes bitumineux et tourbes. Il y a aussi l’étain, le manganèse, le fer, le calcaire pour la fabrication de chaux et les matériaux de construction (marbre, argile, calcaire, dolomite, gypse etc.). Il y a encore la découverte de pierres précieuses dans les localités de Sangafé, Sandaré et Nioro. »

 des mines comme celles de Kodiéran, Loulo, Ségala, Tabakoto et Kalana ne sont pas encore en exploitation

 sur 143 titres miniers en vigueur dans des mines d’or, 55 titres appartiennent à des sociétés maliennes. Trois coopératives disposent de titre minier. Il s’agit de la coopérative des orpailleurs de Dialafara, celle des orpailleurs de Sitakili, et le GIE des orpailleurs de Dioulafoundouding. Pour tous les autres, il s’agit de grandes entreprises capitalistes. Par exemple, les actifs miniers de Semafo en Afrique de l’Ouest s’élèvent à fin 2001 à 61,5 millions de dollars. En trois années, ils ont pu augmenter de 49,5 millions de dollars. Ils se répartissent comme suit : 20,3 millions de dollars pour la Guinée ; 1,2 pour Ghana ; 3,5 pour Burkina Faso ; 7 pour Mali ; 0,33 pour la Côte d’Ivoire et 28,8 millions de dollars pour le Niger.

Annexe
Voici ce qu’écrivait un élève participant à la révolte du peuple malien :

« La colère des pauvres au Mali en 1991
« En 1991, les Maliens pauvres innocents ne pouvaient plus supporter la dictature imposée par la bourgeoisie à travers le despote Moussa Traoré et sa clique.
Un lundi, commençait le premier soulèvement populaire débuté par les petits commerçants ne pouvant plus supporter les multiples taxes qui leur sont imposées.
A ce moment, toute manifestation étudiante est combattue comme lors d’une guerre. L’AEEM est créée en 1991. Ils font un cahier des charges et le présentent au despote. Celui-ci refuse tout et menace les étudiants. Alors, les étudiants déterminés décident d’en finir avec lui. La destruction des biens, soi disant de l’Etat, commence. L’armée commence sa mission : celle de tuer. Et plus on nous tue, plus on est nombreux. Les grands magasins des dignitaires, à Bamako, sont saccagés, dépouillés de leur contenu parce qu’on avait faim et brûlé ensuite jusqu’aux cendres. Ces magasins étaient tous remplis jusqu’au toit, alors qu’à la porte de ces magasins, des enfants, des jeunes, des vieux et des vieilles mourraient de faim et ne pouvaient plus supporter de mourir à la porte de magasins remplis de riz, mil et tout ce que l’on peut imaginer. Il fallait les saccager. Leurs villas ont été brûlées les unes après les autres. Toutes les couches sociales participaient, chaque jour et plus nombreux chaque jour, dans les manifestations. Les boutiques, les stations, toutes les voitures de l’Etat ont presque été brûlées. Au moment où l’on brûlait les voitures que l’Etat a donné aux cadres, les maisons de l’Etat ont été brûlées, les banques attaquées, tous les sièges de la BEC brûlés, le drapeau malien (vert-jaune-rouge) déchiré partout et brûlé pour prouver qu’on a besoin d’autre chose que le drapeau. Dans la périphérie de Bamako vers la Guinée forestière, à 20 kilomètres de Bamako, les dignitaires du BEC, les ministres avaient des champs, des vergers. Dans ces vergers, il y avait tant de poules, tant de moutons, tant de bœufs dits « hollandais », pouvant fournir chacun une vingtaine de litres de lait. Les paysans de cette localité, armés de machettes, de bâtons, dans leur fureur, couraient derrière ces animaux, en coupaient des morceaux, couraient après l’animal jusqu’à ce qu’il s’épuise et tombe. Ensuite, ils l’achevaient. Leur champ, ils le saccageaient et le brûlaient.
Avec tout ça, l’armée redoublait les massacres. Ce fut l’une des journées les plus meurtrières de la révolution. Au Sahel vert, les enfants, les jeunes entassés dans cette école furent tous assassinés par l’armée utilisant ses armes à feu. Ceux qui essayaient de sortir par la seule issue étaient criblés de balles. C’en était trop. Les mères se sont organisées et ont décidé de monter à Koulouko pour en finir définitivement avec Moussa. L’armée prendra un hélico pour les arroser de balles, commettant des meurtres atroces. Arroser de balles des femmes manifestant mains nues avec des hélicoptères militaires, c’était inimaginable.
C’est les femmes qui ont couronné la révolution. Elles ont prouvé qu’elles étaient la pièce maîtresse de cette société.
Après le coup d’Etat qui a remplacé Moussa Traoré, les pauvres continuaient leurs manifestations. Madou Diarra, cousin de madame Traoré Mariam, devant la foule, s’est suicidé. Les manifestants ont brûlé son corps, comme celui du ministre de l’Education nationale, Bakary Traoré, qui a été attrapé par des étudiants. Le directeur de la douane, Ramsès selon son surnom, a échappé mais ses maisons ont brûlé. Tous les commissariats ont été détruits. La prison centrale civile saccagée. »

Un article du journal Le Monde du 25 mars 1991

« On ira jusqu’au bout ! »
BAMAKO
« Si j’ai peur ? ... » L’homme écarte la question d’un revers de la main, comme s’il s’agissait d’une mouche. « Ah non, c’est terminé. On n’a plus peur de rien. On ira jusqu’au bout, jusqu’à ce que Moussa s’en aille », lâche-t-il d’une voix assurée. Sur le bord de la route qui traverse le quartier semi-résidentiel de Badala, au sud de Bamako, les vendeuses de légumes ont repris place à l’ombre des manguiers. Un peu plus loin, debout près d’une vieille moto, des gamins se partagent tranquillement une cigarette. N’étaient les carcasses noircies de cinq ou six poids lourds ― dont une, abandonné, au beau milieu de la chaussée, et que les automobilistes contournent prestement, sans même ralentir, ― on n’imaginerait pas la capitale malienne aux portes du chaos.

Pourtant, malgré le calme apparent de cette fin d’après-midi, les trois hôpitaux de la ville n’ont pas désempli depuis trois jours. Selon les informations données, dimanche 24 mars, dans la soirée, par la radio nationale, le bilan des émeutes serait de trente-quatre morts et cent quarante et un blessés. De source officieuse, on estime le nombre probable de tués à environ cent cinquante et celui des blessés ―« essentiellement par balles ou éclats de grenades » ― à quelques trois cents. La Croix-Rouge internationale s’apprête à recevoir plusieurs centaines de kilos de matériel médical d’urgence et 3 tonnes de médicaments, financés par la CEE.

Selon l’opposition, les forces de sécurité auraient procédé à de très nombreuses arrestations. Plusieurs militants, dont M. Brema Beredouo et Mme Bintou Maiga, membres du Comité national d’initiative démocratique (CNID), ont ainsi disparu, enlevés en pleine nuit à leur domicile « par des policiers en uniforme et des types en civil ».

« Il y a trop de morts pour faire marche arrière. Maintenant, au rythme où vont les choses, je ne donne pas plus de trois ou quatre jours au régime pour être balayé » prédit un habitant de la capitale.

La communauté française ―qui, à aucun moment, n’a été la cible des émeutiers ― a reçu pour consigne de limiter au strict minimum ses déplacements en ville. A vrai dire, la fermeture des écoles, fin janvier, au lendemain des 3remiers affrontements de rues, avait déjà incité nombre de mères de famille françaises et leurs enfants à quitter le pays. Celles qui restaient ont quitté Bamako dimanche soir par un vol régulier d’UTA.

« Le problème, c’est que, désormais, ni le gouvernement, ni l’opposition ne contrôlent vraiment leurs troupes a, affirme un membre d’une organisation humanitaire. Ainsi, raconte-t-il, on a vu dimanche matin, dans le centre de Bamako, des militaires fonçant à bord d’un camion et « arrosant à l’aveuglette tout ce qui bougeait sur leur passage ». Pendant ce temps, des bandes de jeunes casseurs s’en prenaient, sans raison apparente, à une usine de vélomoteurs, à laquelle ils ont fini par mettre le feu.

Mot d’ordre de grève illimitée
Le discours prononcé dimanche soir par le président Moussa Traoré, promettant que « la question du multipartisme serait « étudiée » lors du prochain congrès de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM, parti unique au pouvoir), censé s’ouvrir jeudi 28 mars à Bamako, ne semble pas devoir calmer les esprits. L’amorce de « dialogue » esquissée dimanche avec l’opposition n’a pas empêché cette dernière de maintenir son mot d’ordre de grève illimitée à partir de lundi. Le programme de l’opposition, qui regroupe notamment les militants du CNID et ceux de l’Association pour la démocratie au Mali (ADEMA), ne souffre guère de compromis. Le texte exige, en effet, « la démission de Moussa Traoré et de son gouvernement, la dissolution de l’Assemblée nationale et la constitution d’un comité de salut public chargé de gérer la transition vers la démocratie ».

CATHERINE SIMON

Article du journal français "Le Monde" :

MALI

BAMAKO :
VINGT MORTS
POUR LA.
DEMOCRATIE

De violentes émeutes ont éclaté hier dans la capitale malienne, où les forces de l’ordre ont tiré, faisant une vingtaine de morts selon des sources médicales. Dans un discours
prononcé dans la soirée, le président
Moussa Traoré annonçait la mise en place
de l’état d’urgence, sans exclure le dialogue.

A Cotonou on vote. A Bamako on tire. C’est l’Afrique à deux vitesses. Alors qu’au Bénin, les habitants s’apprêtent à élire démocratiquement leur futur président de la République, au Mali, ils risquent leur peau pour obtenir la même chose. Vendredi, à Bamako, plusieurs dizaines de jeunes Maliens sont morts pour avoir voulu courir plus vite que le régime, leur Président et son gouvernement sur le chemin du multipartisme et de la démocratie.

• Depuis mercredi, à l’appel de l’association des élèves et étudiants du Mali, une organisation autonome, les écoliers, les lycéens et les étudiants étaient en grève. Vendredi matin, vers 7h30, ils se rassemblent aux quatre coins de la ville. Devant l’école centrale d’administration, l’école normale supérieure, le Lycée Prosper-Kemaraou le Lycée de Badalodougôu. Ils veulent bénéficier de bourses plus importantes, protestent contre la vétusté des internats et, surtout, réclament une commission d’enquête « réellement indépendante » sur les récents affrontement les ayant opposés aux forces
de l’ordre en janvier dernier. Affrontements qui auraient fait, selon eux, cinq ou six morts et des centaines de blessés, le tout suivi de nombreuses arrestations. La commission mise en place par les autorités ne leur convient pas puisqu’elle est majoritairement constituée d’associations d’élèves liées au gouvernement.
Alors, partout, ils se rassemblent. Ici, ils sont quelques dizaines. Là, quelques centaines. Outre leurs revendications, ils réclament le départ du président Moussa Traoré ou l’avènement de la démocratie. Il y a les lycéens et les étudiants bon teint, et les autres. Ceux qui ont des diplômes mais ne trouvent pas de travail. Ceux qui vivent en vendant des cigarettes ou des fringues en attendant mieux. Et tous les exclus qui ne vont plus à l’école ou n’y ont jamais été. Les bandes des quartiers périphériques qui, armées de bâtons ou de cailloux, de cocktail Molotov et
parfois de machettes, vont s’en prendre à tout ce qui symbolise l’Etat : les stations d’essence liées aux firmes nationales, les pharmacies, elles aussi nationalisées, les immeubles des administrations, les banques. Parfois, ils sont organisés en petit groupe ayant des objectifs précis : les résidences de certains représentants du régime, les bars, restaurants ou boîtes de nuit leur appartenant. A chaque fois, on casse et on pille et, souvent, on revend ce que l’on a pu voler. C’est ce qui est arrivé en janvier dernier dans la capitale et dans certaines villes de province. Il y a trois semaines à Gao et à Tombouctou. Mercredi dernier à Ségou, Sikasso, Dioura ou Kati.
Vendredi matin, à Bamako. c’est le même scénario. Les ministères de l’Emploi, des Finances, de la Justice, de l’intérieur, de l’Hydrolique et des Eaux et des Forêts, la Banque mondiale, la Bird, la banque Libyo-malienne, l’immeuble de l’Union des femmes du Mali, une annexe du service des douanes, des stations services et des maisons appartenant à des officiels maliens font les frais de l’opération.
Très vite, les forces de police interviennent. Des affrontements violents éclatent. Au début, les policiers lancent des grenades lacrymogènes, puis tirent ; non à blanc, comme ils l’avaient fait lors des précédents incidents (ce sont des balles à blanc tirées à bout portant qui seraient à l’origine des morts de janvier), mais à balles réelles. Les affrontements les plus violents ont lieu dans le centre ville et dans le quartier de Badaladougou. Viennent les premiers blessés. Les premiers morts. Souvent jeunes. Parfois très jeunes.
La ville semble exploser. Un témoin interrogé par l’Agence France presse parle de « situation quasi insurrectionnelle ». Dans certains endroits, des mères descendent dans la rue pour soutenir leurs mômes ou partir à leur recherche. Un groupe de femmes qui emprunte le pont de l’Amitié enjambant le Niger pour tenter de rejoindre
l’hôpital central Gabriel-Touré, où sont rassemblés les blessés, est pris sous le feu policier. Certains témoins affirment avoir vu les forces armées maliennes faire usage de mitrailleuses. C’est le cas de M Demba Diallo, président de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), qui affirme en outre avoir vu des blindés légers de l’armée tirer sur la foule. Selon d’autres sources dans les hôpitaux, c’est la panique. On manque de sang et des donneurs anonymes font la queue pour tenter d’aider les médecins. On parle aussi de nombreuses amputations.
L’émeute dure toute la matinée et une vingtaine de morts sont recensés. A midi, la radio annonce que le président Moussa Traoré « va s’adresser au pays d’un moment à l’autre ». La nouvelle se répand et la ville se calme. On pense aussi à la grande prière désormais imminente. La radio continue son travail. Et l’imminence du discours présidentiel est sans arrêt rappelée. En début d’après-midi, malgré quelques tirs sporadiques, c’est l’apaisement.
14h, 15h, l6h... 17h, le Président ne parle toujours pas. Il présiderait, au palais Koulouba, une réunion extraordinaire du gouvernement et du bureau exécutif central du parti unique, l’Union du peuple malien (UDPM). Tout le monde s’interroge : va-t-il, tout en dénonçant vigoureusement les violences, annoncer enfin la mise en place du multipartisme ? Se contentera-t-il de répondre aux revendications lycéennes et étudiantes en renvoyant à plus tard une démocratisation du régime ? Durcira-t-il encore sa position en annonçant éventuellement la mise en place d’un état de siège renvoyant

aux calendes grecques toute libéralisation du régime ? Le verdict tombera à 22 heures, avec l’annonce de l’état d’urgence et du couvre-feu par le général-président, qui a dit sa « disponibilité totale » pour le « dialogue ».
Les militants de l’UDPM, qui doivent se réunir en congrès le 28 mars, sont divisés. Si le secrétaire politique du parti, Djelioul Dialo, s’est prononcé publiquement pour le multipartisme, tout le monde ne semble pas être d’accord. A commencer par Moussa Traoré, qui. a montré lors d’un récent remaniement gouvernemental qu’il ne penchait pas vers la conciliation. En effet, il a « durci » son équipe en faisant rentrer un certain nombre de militaires. au gouvernement, notamment au ministère de l’intérieur. Par ailleurs, il a décidé de limiter l’expression de l’opposition en interdisant toute « activité politique » aux associations favorab1es au multipartisme, telle l’Association pour la démocratie au Mail (ADEMA) et le Comité national d’initiative démocratique (CNID). Ces mouvements s’étaient joints à l’Union nationale des travailleurs du Mail (UNMT) ―la centrale syndicale unique auparavant liée au gouvernement― et à l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) pour soutenir les lycéens et les étudiants qui manifestaient aujourd’hui.

Gilles MILLET (avec AFP)

Jacqueries au Mali
Après la chute du président Moussa Traoré, les désordres se poursuivent
et les buts de la nouvelle junte restent incertains
BAMAKO
de notre envoyée spéciale

« Ça c’est passé sur la route de l’hippodrome, celle qu’on surnomme « la route des millionaires ». Il devait être 10 ou 11 heures du soir : on avait passé l’heure du couvre-feu, mais le coin semblait calme, se rappelle Françoise Huguier, photographe. Tout à coup, on est tombé sur une bande de gosses armés de pierres et de bâtons. Ils avaient fait une espèce de barricade de cailloux pour bloquer la route. « Faut nous donner de l’argent pour l’essence, on veut brûler/ », nous ont-ils dit. » Forcés de se soumettre aux exigences des petits pillards ― « Ce n ‘est pas qu’ils aient été trop agressifs, précise la photographe, mais enfin ils étaient quand même une bonne vingtaine autour de la voiture » ―les voyageurs s’en tireront moyennant un billet de 500 francs CFA (1) et quelques instants d’émotion. « Ils n’étaient pas contents qu’on ait donné si peu’ et je me suis ramassé un... pot de moutarde sur la figure », raconte Françoise Huguier.

Les choses, cette nuit-là, n’iront pas plus loin. Comme beaucoup de ces bandes qui écument Bamako, le gang était composé d’adolescents et de gamins de dix à douze ans ». Le phénomène de razzia, vingt-quatre heures après la chute du président Moussa Traoré, est devenu une des préoccupations majeures de la nouvelle junte militaire. La capitale malienne, qui n’a. jamais montré une opulence extravagante, offre maintenant une façade dévastée.
Mardi 26 mars à midi, sur la place des Souvenirs, une foule hétéroclite assiste à l’incendie d’une petite maison. La Papeterie de la cathédrale ― principal fournisseur des administrations ― de même que le Centre culturel libyen et les locaux d’Air-Mauritanie sont mangés par les flammes.
Les équipes de pompiers ont garé leurs camions au beau milieu de la place. Sans doute ont-ils été prévenus trop tard. En tout cas les tuyaux d’arrosage restent attachés à l’arrière des véhicules... Tandis qu’une partie des gens du quartier contemplent, comme les pompiers, le flamboyant ravage, à l’autre bout de la place une marée de pillards joue à colin-tampon avec les militaires. Les assaillants, à la manière des mange-mil, ne se laissent pas décourager. Les tirs à blanc des forces de l’ordre qui gardent un entrepôt convoité, ne ont que très provisoirement reculer les voraces. Le ballet insolite semble devoir durer des heures.

Faiblesse de l’opposition politique
Ces « jacqueries urbaines », comme les appelle Patrick Hirtz, chirurgien de Médecins du monde, « sont d’autant plus inquiétantes quelles restent difficilement contrôlables ». Plus ou moins tolérées durant l’« insurrection » des 22 et 23 mars qui a conduit à la chute du « tyran » Moussa Traoré, ces « jacqueries » mettent désormais en péril les efforts de reconstruction.

L’appel au calme et à la discipline lancé mardi par le chef de la junte militaire, le lieutenant-colonel Amadou Toumany Touré, président du Conseil de réconciliation nationale (CRN), semble recevoir un écho favorable d’une partie croissante de la population. Avec le soutien des autorités, des milices de quartier formées surtout de commerçants, sont en train de s’organiser contre le pillage. Elles ne devraient être armées théoriquement que de gourdins. Il faut, a insisté le président du CRN, « qu’on puisse remettre de l’ordre dans le pays. sans baïonnettes et sans PM » (police militaire). Cette profession de foi n’est encore, hélas, qu’un voeu pieux durant la seule journée du 26 mars ― après que l’annonce de l’arrestation du chef de l’Etat ait soulevé la capitale, jetant des foules en liesse dans les rues ― les médecins de l’hopitaI Gabriel Touré, l’un des deux principaux de Bamako, ont recensé soixante-dix morts et plusieurs dizaines de blessés.

On opère à même le sol les blessés entassés dans l’étroit couloir. Il y a du sang partout. Le chirurgien local et celui de Médecins du monde travaillent sans un instant de répit. Le bilan des victimes depuis le début de l’émeute, vendredi, s’élève à deux cents, voire trois cents morts, dans la seule capitale.

Jusqu’à présent les tirs à blanc des militaires sont restés rarissimes C’est à coups de fusils-mitrailleurs et par des jets de grenades que tes soldats et les policiers (ils portent le même uniforme kaki) ont tiré sur les civils, arrosant indistinctement les manifestants, les casseurs et les simples badauds.

Les opposants civils au régime du général Moussa Traoré sont en position de faiblesse vis-à-vis de la junte. Pour chasser le chef de l’Etat, ils ont dû s’en remettre à l’armée, responsable, les jours précédents, d’une partie des carnages commis contre les manifestants. L’argument selon lequel c’est la police, plus que l’armée qui a mené la répression n’a jamais convaincu grand monde. Chacun comprend en revanche que les associations de l’opposition ― qui ont pour la plupart été créées il y a moins de six mois ― ne puissent pas aujourd’hui jouer un rôle déterminant. Ces associations, devenues les animateurs de la classe politique, bénéficient cependant d’une immense popularité parmi la population de Bamako.

Pas d’« arrangement »
C’est à la Bourse du travail, lieu de rendez-vous habituel des manifestants d’hier, que la population de la capitale s’est naturellement précipitée mardi pour « avoir des nouvelles » sur l’arrestation du « tyran » et acclamer les nouveaux dirigeants militaires Mais l’aura qui entoure ces derniers semble relever davantage du respect que de l’approbation politique ou de l’idéologie. La place de premier plan occupée par les avocats et magistrat contestataires, défenseurs d l’« état de droit » dans la lutte contre l’ancien régime explique sans doute cela.
« Ne croyez pas qu’il y a eu Un quelconque arrangement. Le seul arrangement qu’il y ait eu, c’était pour s’assurer du départ de Moussa et de ça clique a cru... gouvernement de transition, annoncé pour tes prochains jours, devrait donner des premiers éléments de réponse. Se déclarant très favorable au « multipartisme » et à la « démocratie », le lieutenant-colonel Touré a seulement déclaré que les militaires remettront « dès qu’il le pourront » le pouvoir aux civils.

La population malienne, échaudée par plus de vingt ans d’« expérience Traoré », se résignera-t-elle à laisser à nouveau le pouvoir politique aux mains des militaires, même provisoirement ?
« même si l’armée n ‘était pas intervenue, notre victoire était assurée. L’armée a seulement accéléré le processus » a déclaré mardi Me Demba Diallo, président de l’Association malienne des droits de l’homme et membre du Comité national d’initiative démocratique (CAID). Tout en donnant « raison » à ceux qui « ont de l’appréhension devant un uniforme », Me Diallo n’en a pas moins félicité avec force les « officiers patriotes ».

Cadavre immolé
Les habitants de Bamako qui suivent avec passion l’évolution de la situation politique, ont commencé à leur manière de tourner la page du passé. C’est à 8 heures du matin mardi que le corps de Mamadou Diarra, père de Marianne Traoré, l’épouse de l’ancien président, a été sorti de force dc l’hôpital Gabriel Touré et traîné dans la rue. Le cadavre à moitié nu a été immolé en public. « C’est comme ça qu’on fait avec le assassins ! » a ricané un homme dans ta foule, tandis que des jets de pierres et d’insultes accompagnaient la crémation.

Un autre proche de l’ancien président, Abduramane Doua Cissoko, ex-directeur général des douanes et l’ancien ministre de l’éducation, Bakary Traoré, ont également été mis à mort. Beaucoup dans la capitale estiment que cette vague de règlement de comptes ne fait que commencer.
CATHERINE SIMON

La foudre au Mali

Ceux qui croient que la révolution est une chimère et un événement passé, ceux qui croient que l’histoire est finie, ceux qui ont trouvé leur place dans ce monde, même en marge, ceux qui sont satisfaits, même d’être insatisfaits, préfèrent ignorer ou oublier des insurrections comme celle du Mali. Sa brièveté et sa jeunesse sont la seule poésie d’aujourd’hui, de l’art hilare, de l’explosion de vie.

Le 7 janvier 1991, le gouvernement du dictateur Moussa Traoré signe un « accord de paix » avec les nomades rebelles touaregs, qui guérillent au nord du pays. Dans la capitale, Bamako, les manifestations et grèves expliquent ce besoin de répit de l’Etat. Est-ce une manifestation violemment réprimée le 19, l’arrestation d’un leader étudiant, la rumeur de cette arrestation, ou plus probablement le charme des vitrines, la beauté des jeunes filles et des jeunes gens, l’émulation réciproque d’une vivacité d’allure et d’esprit ? L’émeute du 20 janvier dure tout le 21. D’autres pays, d’autres mœurs, disent les imbéciles qui font allusion aux traditions de la soumission. Les émeutiers du monde entier nous permettent aujourd’hui d’affirmer le contraire. Les mœurs sont les mêmes. La jeunesse malienne a simplement montré que, quitte à y aller, autant y aller pour de bon. Pharmacies d’Etat, villas, bâtiments publics, éventrés, vidés puis grillés, comme les entrailles d’un poulet, en témoignent. De 4 à 6 morts, des centaines d’arrestations (dont des dizaines d’enfants de moins de douze ans), la situation est « insurrectionnelle », comme le déclare l’information non sans stupeur.

Tout s’est arrêté aussi brusquement que ça a commencé. Ceux qui se souviennent vaguement d’une insurrection au Mali, en 1991, penseront ici que c’est fini, comme tous ceux qui s’y sont intéressés alors. Ceux qui se souviennent des dates diront : mais non, l’insurrection de Bamako, ce n’était pas en janvier ! Car ceux qui se souviennent de mars ont oublié le hors-d’œuvre de janvier. Si notre mémoire milite aussi activement contre notre conscience, comment pourrons-nous, un jour, prévoir et préparer le dépassement d’une insurrection comme celle du Mali ? D’autant que l’état des mémoires et des consciences doit être à peine meilleur dans les rues de Bamako.

Mais tout de même, le plat de résistance qu’a mijoté cette verte jeunesse dépasse en saveur la plupart des entreprises connues. Et la richesse du goût ne réside pas dans le seul piment, qui y est pourtant généreux. C’est le 20 mars que tout reprend. Loin de l’information, à Sikasso et Dioïla, les émeutes du printemps éclatent. Le 22, elles gagnent la capitale. Si elles ont, depuis, effacé dans les mémoires celles de janvier, à ce moment-là elles les ont certainement rallumées, au moins dans la mémoire de Moussa Traoré. Surpris et débordé alors, il décide cette fois la plus brutale fermeté. Aussi fait-il tirer dans cette foule indocile, si mobile. Mais celle-ci, où plus on est jeune plus on semble aguerri, ne se laisse pas intimider, au contraire. Là où presque partout dans le monde tout s’arrête dans le deuil et la soumission retrouvés qu’exaltent les politiciennes pleureuses professionnelles et les oraisons funèbres d’éditorialistes qui se prennent pour des dramaturges, à Bamako, c’est le contraire. Comme en Iran en 1978, le feu de l’armée mue la colère en rage. L’insurrection explose comme si la répression avait bafoué l’honneur des frondeurs, et le corps du mouvement en s’étirant avec volupté mesure sa grandeur. Partout, barricades et pillages occupent la rue. Le luxe de la dévastation le dispute à la dévastation du luxe. Sur cette imprévue riposte, l’Etat décrète le couvre-feu. La grève générale est aussitôt déclenchée. Les 23 et 24, les deux camps sont à fond dans la bataille mais ni l’armée ni la police, d’un côté, ni les enfants ni les adolescents, de l’autre, ne reculent. Délicieuse découverte du monde grand ouvert au milieu des rues tenues depuis trois jours ! Et là, l’un des moments les plus doux est l’imperceptible instant, incompréhensible instant où la peur de mourir change de camp. Le 25, le meeting permanent attaque. Il y a déjà au moins 150 morts, mais les insurgés prennent d’assaut la prison, et libèrent tout le monde. Bien entendu, ils sont dans un monde où une certaine forme d’incarcération est généralisée, et donc où survivent beaucoup de prisonniers qui ont plus peur de la vie que de la prison. Les insurgés de Bamako ont dû être bien surpris que tout le monde ne veuille pas la liberté qu’ils pratiquaient là.

Le 26 mars, à 1 heure du matin, Moussa Traoré est arrêté. D’autres militaires ont compris que, pour sauver l’Etat et leur peau qui y est collée, il fallait lâcher leur serment de fidélité et trahir le dictateur qu’ils servaient. La journée du 26 a été celle du grand festin. Là, les vainqueurs ont joui. La vengeance a été impunie. Le pillage a été complet. Bombance, passion, dispute, vive la richesse, vive la vie, quelle fameuse journée !

Pour une fois, l’information occidentale fourmille d’anecdotes joyeuses et comiques (cette photographe occidentale qui se fait taxer par une bande de moins de douze ans, et comme cette radine ne leur donne que l’équivalent de 10 francs français, alors qu’ils veulent l’essence de sa voiture pour brûler, ils lui envoient à la gueule... un pot de moutarde). Bouche bée, elle encaisse un événement dont les acteurs pensent plus vite qu’elle. Elle n’a pas eu le temps d’installer ses démocrates. Ceux qui feraient l’affaire sont d’ailleurs restés cachés. La lourdeur de son discours la laisse toujours à la veille de ce qui se passe. Et comme ce qui se passe est agogique, exponentiel, fulgurant, elle fait comme tous ceux qui commencent à craindre pour leur peau : elle tâche de suivre. Comprendre et récupérer seront pour plus tard, où il s’avérera d’ailleurs qu’il vaut mieux et qu’il aurait mieux valu occulter.

Les nouveaux militaires promettent tout : impunité aux émeutiers, châtiments de leurs ennemis non lynchés, prospérité et démocratie. Les propriétaires ont été dépouillés, et leur vie n’est encore que le tremblement devant la mort. Il y a même un « expert financier » qui « lâche en privé » (au ’Monde’, 31 mars) : « Finalement, les pillards ont bien fait. Au moins, les gens auront de quoi se nourrir pendant les prochains mois. Vu le chaos économique qui s’annonce, ce n’est pas plus mal ! » L’ampleur de la razzia a donc été telle que les économistes mêmes préfèrent applaudir ce qui est leur arrêt de mort. La peur a été loin, car tout est allé si vite, si fort : « En Conseil des ministres, Roland Dumas [ministre français des Affres étranges] a estimé à près de 2 000 (bien deux mille !) le nombre des victimes dans tout le pays. » Voilà apparemment un ministre impressionné. Le 19 avril, le bilan officiel s’établit à 112 morts et 822 blessés.

Mais comme les enfants du Mali sont des seigneurs, ils n’ont pas oublié le dessert. Les 27 et 28 avril, une nouvelle émeute rappelle l’ambiance des fameuses journées de mars. C’est une grève de la police. Les écoliers font la circulation. Ils sont donc des casseurs de grève pour les policiers. Les policiers vont casser leurs écoles en représailles. Mais en représailles des représailles, les écoliers détruisent tous les commissariats de Bamako, en quarante-huit heures. Depuis dix ans, les grèves de flics, matons, juges, entre autres professions de défenseurs de ce monde, ont révélé ce que la grève pouvait avoir aussi de conservateur. Lorsque les enfants de Bamako règlent la circulation, ils ridiculisent la grève policière et signifient qu’une police est inutile. Régler la circulation est en effet la seule tâche de police qui peut s’effectuer sans police, c’est-à-dire sans coercition. Les enfants de Bamako ont prouvé que ceux qui circulent peuvent y pourvoir eux-mêmes, c’est un jeu d’enfant. Par ailleurs, nous sommes contre les casseurs de grève, excepté dans le cas de la profession des casseurs de grève, où nous n’avons de sympathie que pour les casseurs de la profession. La suite de cette émeute a été la savoureuse anticipation d’une situation fertile : plus d’écoles, plus de commissariats.

Tant de fraîcheur et de négativité mérite bien d’être occulté. Tant de vigueur et d’intelligence mérite bien d’être combattu. Mais contrer frontalement ce mouvement paraît impossible. Il faut donc le laminer. Les nouveaux gouvernants maliens, leurs alliés dans le monde et l’information occidentale n’ont d’abord pu qu’enrayer la vengeance. Puis, dès fin mai, ils ont recouru à l’expédient de la diversion que Moussa Traoré avait lâché à l’aube de sa chute : la guerre contre les Touaregs, qui s’embrigadent en guérillas, est la forme primaire et première de répression indirecte des insurgés de mars.

Quant à ces insurgés, ils digèrent en dormant. Leur réveil menace d’être gargantuesque, et tous leurs ennemis directs le savent. L’occultation et l’oubli sont ainsi la loi que les cadres de la récupération et de la répression s’efforcent d’inoculer, et pour que la Belle au bois dormant ne se réveille surtout pas, à eux-mêmes d’abord. Ne résistons donc pas, en conclusion, au faible jeu de mots qui forme la devise de ces ennemis : honni soit qui Mali pense.

Messages

  • « Je suis là pour le peuple et je ne suis pas venu pour l’opinion internationale ». Ce n’est pas Danton mais Tandja qui s’exprimait ainsi lors d’une conférence de presse, dimanche. Voilà qui boucle la boucle.. Hier, le président nigérien a d’ailleurs fait voter l’armée pour mieux la déployer aujourd’hui si la situation sécuritaire l’exige. L’opposition a juré d’empêcher la tenue du référendum. Cependant, que peut-elle réellement ? Prendre une balle lors d’une marche contre la vie chère, ça passe. Mais pour la rue africaine qui survit plus qu’elle ne vit, donner sa poitrine pour la Vè ou la VIè République, c’est moins évident. D’autant que les politiciens ont réussi l’exploit de faire croire qu’ils sont largement interchangeables et tous décevants. Encore que les forces politiques et sociales du Niger ont démontré au cours de leur long bras de fer avec Tandja que la démocratie c’est aussi la qualité de ses contre-pouvoirs. La probabilité la plus forte est que le référendum se tienne, qu’il soit ponctué de quelques heurts vite maîtrisés, que le taux de participation officiel soit déclaré satisfaisant pour un oui qui ne peut qu’être massif. Poutine avait tout vu et compris qui disait que le plus important n’était pas le vote mais le décompte. Donc, le défi pour Tandja n’est pas de remporter le référendum mais de pouvoir gouverner, ne serait-ce que pour ses trois ans de tazartché. Dans l’adversité, il est vrai, jamais irréversible de la classe politique et des forces syndicales. Et sans l’assistance financière de la communauté internationale. Qui aurait bien pâle figure en validant le règne de Tandja au-delà de décembre prochain. C’est là d’ailleurs que se situe l’enjeu nigérien. Ce n’est pas que Tandja ait prolongé son mandat, ce qui est courant en Afrique, mais qu’il ait touché à une clause intangible de la constitution de son pays dont il est le garant, qu’il ait foulé du pied le verdict de la cour constitutionnelle qui est pourtant sans appel, et enfin renvoyé les juges constitutionnels de leur mission sans en avoir le droit. L’argument du pouvoir de fait, donc du coup d’Etat ne manquera pas d’être exploité par ses adversaires et s’il aboutit, le Niger connaîtra un long isolement international qui pourrait lui faire mal. A moins que son uranium ne plaide pour lui. Ce qui voudra dire que le précieux minerai a aidé Tandja, mais irradié la démocratie.

    Bill

    • cher lecteur,

      le président devrait garantir la constitution mais la constitution, elle, garantit quoi exactement ?

      Selon moi, la constitution garantit le droit de propriété de la classe capitaliste qui est appelé "liberté" c’est-à-dire liberté d’exploiter, de profiter, d’acheter, de vendre la force de travail et ses produits...

      Tandja a violé bien autre chose que la constitution : il a violé la vie de jeunes femmes et de jeunes hommes qui ne demandent qu’à vivre et dont la vie est assassinée tous les jours par les profiteurs...

      amicalement

      Robert Paris

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