Accueil > 06- Livre Six : POLITIQUE REVOLUTIONNAIRE > 4- Ce qu’est le socialisme et ce qu’il n’est pas > Quand Jack London devinait que la lutte des classes menait à l’alternative (…)
Quand Jack London devinait que la lutte des classes menait à l’alternative violente guerre mondiale ou révolution mondiale
mardi 11 juin 2024, par
Quand Jack London devinait que la lutte des classes menait à l’alternative violente guerre mondiale ou révolution mondiale et pas à une montée électorale socialiste par la voie démocratique
Lire ici le roman "Le talon de fer" de Jack London
"Le vaste monde est calme, mais du calme qui précède les orages. J’écoute et guette de tous mes sens le moindre indice du cataclysme imminent. "
En 1908, un écrivain socialiste ne voit pas, dans le monde capitaliste, un univers allant progressivement vers le progrès ni vers le socialisme, mais un monde se dirigeant à toute vitesse sur une confrontation violente, vers des guerres civiles et des guerres mondiales... c’est-à-dire atteignant ses limites et, pour détourner une lutte de classe devenue violente, mène au fascisme et à la guerre mondiale. L’ouvrage de Jack London est l’une des critiques les plus féroces du réformisme. Il imagine dans cet ouvrage la révolution prolétarienne en armes qui va à contrario de toutes les images du socialisme comme aboutissement des succès électoraux...
Le Talon de fer décrit une révolution socialiste qui serait arrivée entre 1914 et 1918, et analysée par un observateur du XXIVe siècle. L’auteur relate le développement de la classe ouvrière nord-américaine et ses combats contre l’oligarchie, à travers le point de vue d’Avis Everhard, jeune fille de famille riche devenue amoureuse d’Ernest, un socialiste qui devient leader des révoltés. Cette révolution est suivie d’une répression impitoyable, rationnelle et standardisée, permise par les moyens scientifiques avancés des États-Unis de l’époque, et par l’alliance prévisible entre capitalistes et aristocrates de la bureaucratie syndicale. Il présente la révolution armée comme le remède à la misère sociale atroce provoquée par le capitalisme.
Dans une lettre, adressée en 1909 à William E. Walling, Jack London écrivait : " Je suis un révolutionnaire absolument irréductible. Je serai toujours d’avis que le parti socialiste demeure rigidement irréductible ".
"Notre civilisation tant vanté est née dans le sang, est imbibée de sang, et ni vous, ni moi, ni personne ne pouvons échapper à cette tache écarlate."
Extrait du "Le talon de fer" de Jack London
Léon Trotsky
Lettre à Joan London
Coyoacan, 16 octobre 1937
Chère camarade,
J’éprouve une certaine confusion à vous avouer que ces derniers jours seulement, c’est-à-dire avec un retard de trente ans, j’ai lu pour la première fois Le Talon de Fer, de Jack London. Ce livre a produit sur moi – je le dis sans exagération – une vive impression. Non pour ses seules qualités artistiques : la forme du roman ne fait ici que servir de cadre à l’analyse et à la prévision sociales. L’auteur est à dessein très économe dans l’usage des moyens artistiques. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le destin individuel de ses héros, mais le destin du genre humain. Par là, je ne veux pourtant absolument pas diminuer la valeur artistique de l’œuvre et surtout de ses derniers chapitres, à partir de la commune de Chicago. Là n’est pas l’essentiel. Le livre m’a frappé par la hardiesse et l’indépendance de ses prévisions dans le domaine de l’histoire.
Le mouvement ouvrier mondial s’est développé à la fin du siècle passé et au début du siècle présent sous le signe du réformisme. Une fois pour toutes semblait établie la perspective d’un progrès pacifique et continu de l’épanouissement de la démocratie et des réformes sociales. Bien sûr, la révolution russe fouetta l’aile radicale de la social-démocratie allemande et donna pendant quelque temps une vigueur dynamique à l’anarcho-syndicalisme en France. Le Talon de Fer porte d’ailleurs la marque indubitable de l’année 1905. La victoire de la contre-révolution s’affirmait déjà en Russie au moment où parut ce livre remarquable. Sur l’arène mondiale, la défaite du prolétariat russe donna au réformisme non seulement la possibilité de reprendre des positions un moment perdues mais encore les moyens de se soumettre complètement le mouvement ouvrier organisé. Il suffit de rappeler que c’est précisément au cours des sept années suivantes (de 1907 à 1914) que la social-démocratie internationale atteignit enfin la maturité suffisante pour jouer le rôle bas et honteux qui fut le sien pendant la guerre mondiale.
Jack London a su traduire en vrai créateur l’impulsion donnée par la première révolution russe, il a su aussi repenser dans son entier le destin de la société capitaliste à la lumière de cette révolution. Il s’est tout particulièrement penché sur les problèmes que le socialisme officiel d’aujourd’hui considère comme définitivement enterrés : la croissance de la richesse et de la puissance à l’un des pôles de la société, de la misère et des souffrances à l’autre pôle. L’accumulation de la haine sociale, la montée irréversible de cataclysmes sanglants, toutes ces questions Jack London les a senties avec une intrépidité qui nous contraint sans cesse à nous demander avec étonnement : quand donc ces lignes furent-elles écrites ? Etait-ce bien avant la guerre ?
Il faut souligner tout particulièrement le rôle que Jack London attribue dans l’évolution prochaine de l’humanité à la bureaucratie et à l’aristocratie ouvrières. Grâce à leur soutien, la ploutocratie américaine réussira à écraser le soulèvement des ouvriers et à maintenir sa dictature de fer pour les trois siècles à venir. Nous n’allons pas discuter avec le poète sur un délai qui ne peut pas ne pas nous sembler extraordinairement long. L’important, ici, ce n’est d’ailleurs pas le pessimisme de Jack London, mais sa tendance passionnée à secouer ceux qui se laissent bercer par la routine, à les contraindre à ouvrir les yeux, à voir ce qui est et ce qui est en devenir. L’artiste utilise habilement les procédés de l’hyperbole. Il pousse jusqu’à leur limite extrême les tendances internes du capitalisme à l’asservissement, à la cruauté, à la férocité et à la traîtrise. Il manie les siècles pour mieux mesurer la volonté tyrannique des exploiteurs et le rôle traître de la bureaucratie ouvrière. Ses hyperboles les plus romantiques sont, en fin de compte, infiniment plus justes que les calculs de comptables des politiques soi-disant "réalistes".
Il n’est pas difficile d’imaginer l’incrédulité condescendante avec laquelle la pensée socialiste officielle d’alors accueillit les prévisions terribles de Jack London. Si l’on se donne la peine d’examiner les critiques du Talon de Fer qui furent alors publiées dans les journaux allemands " Neue Zeit " et " Vorwaerts ", dans les journaux autrichiens " Kampf " et " Arbeiter Zeitung ", il ne sera pas difficile de se convaincre que le " romantique " de trente ans voyait incomparablement plus loin que tous les leaders sociaux-démocrates réunis de cette époque. Dans ce domaine, d’ailleurs, Jack London ne soutient pas seulement la comparaison avec les réformistes et les centristes. On peut affirmer avec certitude qu’en 1907 il n’était pas un marxiste révolutionnaire, sans excepter Lénine et Rosa Luxembourg, qui se représentât avec une telle plénitude la perspective funeste de l’union entre le capital financier et l’aristocratie ouvrière. Cela suffit à définir la valeur spécifique du roman.
Le chapitre " La Bête hurlante de l’Abîme " est indiscutablement le centre de l’œuvre. Au moment où le roman fut publié, ce chapitre apocalyptique dut apparaître comme la limite de l’hyperbolisme. Ce qui s’est passé depuis l’a pratiquement dépassé. Et pourtant le dernier mot de la lutte des classes n’a pas encore été dit. " La Bête de l’Abîme " c’est le peuple réduit au degré le plus extrême d’asservissement, d’humiliation et de dégénérescence. Il ne faudrait pas pour cela se risquer à parler du pessimisme de l’artiste ! Non, London est un optimiste, mais un optimiste au regard aigu et perspicace. " Voilà dans quel abîme la bourgeoisie va nous précipiter si vous ne la mettez pas à la raison " – telle est sa pensée, et cette pensée a aujourd’hui une résonance incomparablement plus actuelle et plus vive qu’il y a trente ans. Enfin, rien n’est plus frappant dans l’œuvre de Jack London que sa prévision vraiment prophétique des méthodes que le Talon de Fer emploiera pour maintenir sa domination sur l’humanité écrasée. London s’affirme magnifiquement libre des illusions réformistes et pacifistes. Dans son tableau de l’avenir il ne laisse absolument rien subsister de la démocratie et du progrès pacifique. Au-dessus de la masse des déshérités s’élèvent les castes de l’aristocratie ouvrière, de l’armée prétorienne, de l’appareil policier omniprésent et, couronnant l’édifice, de l’oligarchie financière. Quand on lit ces lignes on n’en croit pas ses yeux : c’est un tableau du fascisme, de son économie, de sa technique gouvernementale et de sa psychologie politique (les pages 299, 300 et la note de la page 301 sont particulièrement remarquables). Un fait est indiscutable : dès 1907 Jack London a prévu et décrit le régime fasciste comme le résultat inéluctable de la défaite de la révolution prolétarienne. Quelles que soient " les fautes " de détail du roman – et il y en a – nous ne pouvons pas ne pas nous incliner devant l’intuition puissante de l’artiste révolutionnaire.
J’écris ces lignes à la hâte. Je crains fort que les circonstances ne me permettent pas de compléter mon appréciation de Jack London. Je m’efforcerai de lire plus tard les autres ouvrages que vous m’avez envoyés, et de vous dire ce que j’en pense. Vous pouvez faire de mes lettres l’usage que vous-même jugerez nécessaire. Je vous souhaite de réussir dans le travail que vous avez entrepris sur la biographie du grand homme qu’était votre père.
Avec mes salutations cordiales.
Léon Trotsky
L’introduction d’Anatole France
Le Talon de fer est une œuvre désormais classique.
Le titre même du livre de Jack London est passé dans la langue courante comme synonyme de l’impitoyable dictature du Capital.
Le livre, dans son ensemble, représente la fresque la plus puissante qui ait jamais été brossée par un écrivain, d’une anticipation révolutionnaire.
« Je suis socialiste, disait Jack London, d’abord parce que, né prolétaire, de bonne heure j’ai découvert que pour le prolétariat le socialisme était la seule issue ; ensuite, parce qu’en cessant d’être un prolétaire pour devenir un parasite (un parasite artiste, s’il vous plaît) j’ai découvert également que le socialisme était la seule issue pour l’art et les artistes. »
Avec son immense talent de conteur, Jack London — écrivain prolétarien entraîné, dès ses premières publications, dans la ronde infernale du succès et de la publicité littéraire — a décrit, en campant le héros du Talon de fer, Ernest Everhard, l’homme qu’il aurait voulu être, le militant parfait, le combattant type du prolétariat révolutionnaire aux prises avec l’ennemi de classe.
Les discussions entre intellectuels, le trouble semé par la prédication socialiste dans la classe moyenne, le chômage, l’échec dc la grève générale, l’avènement du Talon de fer avec la complicité — assurée par la corruption — de l’aristocratie ouvrière et des syndicats réformistes, l’écrasement du soulèvement des farmers, l’horrible vie du « peuple de l’abîme », les provocateurs, les enlèvements à la manière des gangsters, la terreur, la bombe de Washington, l’emprisonnement des leaders parlementaires, leur délivrance, le cynisme intelligent des oligarques, la Commune de Chicago et sa répression, tout cela constitue un tableau parfois prophétique où l’on découvre déjà le fascisme européen et les méthodes d’assassinat en masse employées par les organisations patronales de la « démocratie » américaine moderne, dans leur lutte contre les ouvriers, comme en Pensylvanie, par exemple.
Peut-on faire grief à Jack London d’avoir poussé le tableau au noir, d’avoir envisagé trois cents ans de domination sanglante du Talon de fer, depuis la défaite révolutionnaire ? Outre que nous sommes ici dans le domaine de la fantaisie, le pessimisme de Jack London s’explique historiquement. Jack London écrivait dans l’état d’esprit de l’écrasante majorité des intellectuels social-démocrates de son époque. Le Talon de fer date de 1907. Il a été composé dans l’atmosphère créée par l’émigration russe rouge de 1905. Et il apparaît clairement que Jack London, qui va puiser son inspiration révolutionnaire aux sources russes — il avait parmi ses relations les plus intimes des participants actifs à la première révolution — subit le contre-coup de leur dépression consécutive à la défaite. En outre, Jack London, ancien ouvrier, en contact par sa situation littéraire avec les capitalistes, connaissait par expérience, et des deux bouts, la puissance, alors encore en pleine ascension, du capitalisme américain et, le comparant à l’autocratie dégénérée et au capitalisme embryonnaire de la Russie, ne pouvait qu’imaginer une répression beaucoup plus durable, plus standardisée, plus rationalisée quand il envisageait la victoire du Talon de fer dans son propre pays.
C’est ce qui fait que, si le livre de Jack London reste une grande œuvre comme ouvrage d’imagination, tels de ses détails nous semblent aujourd’hui tout à fait périmés et même dangereux au point de vue des enseignements révolutionnaires.
Entre 1907 et aujourd’hui, l’expérience d’une révolution prolétarienne victorieuse a été faite. Depuis il y a eu Lénine. « Depuis » c’est une façon de parler car, lorsque Jack London écrivait son livre, Lénine, qui longtemps auparavant avait tracé les grandes lignes de l’organisation et de l’activité d’un parti révolutionnaire dans « Que faire ? », luttait pied à pied précisément contre le pessimisme dans les rangs de l’intelligentsia révolutionnaire, se refusait à donner un caractère de déroute à la défaite de 1905, préconisait, en réaliste, une politique de participation aux élections de la Douma pour utiliser toutes les parcelles de légalité qui subsistaient, engageait la bataille contre les déviations idéalistes, opportunistes et gauchistes du groupe Bogdanov-Lounatcharski et prévoyait déjà le réveil révolutionnaire qui devait être marqué en 1912 par les grèves de la Léna.
Le génie de Lénine, en 1907, traçait, lui aussi, les grandes lignes d’une anticipation révolutionnaire. Et celle-là devait se réaliser.
Mais Jack London ne connaissait pas Lénine ou le perdait dans la masse des révolutionnaires russes. Frappé, comme beaucoup d’intellectuels d’alors, par l’héroïsme individuel qu’exigeaient les méthodes terroristes héritées des narodniks, Jack London voyait l’action révolutionnaire comme l’œuvre d’une poignée d’individualités agissantes s’imposant par une chaîne de coups réussis. Aussi décrit-il la lutte contre le Talon de fer, beaucoup plus en mystique et en romantique qu’en matérialiste, comme une succession d’attentats et de provocations compliquées, organisées par des agents doubles, emportés par le fanatisme d’une religion nouvelle, et finit-il par faire de ses héros — les dirigeants mêmes de la Révolution — des gens qui poussent le sacrifice révolutionnaire jusqu’à devenir des policiers dans le service secret des oligarques pour mieux surprendre leurs secrets !
Sans doute entrevoit-on à travers le livre de Jack London le résultat final, le triomphe du prolétariat et le règne de la « Fraternité », mais la masse qui doit en être historiquement l’artisan et le bénéficiaire n’apparaît au cours du livre que comme un troupeau d’esclaves, pitoyable et aveuglé, incapable d’être organisée et qui ne prouve son existence que par des soubresauts sanguinaires...
Mais il faut rendre cette justice à Jack London que jamais il ne crut aux ronronnements endormeurs du pacifisme ni aux promesses de duperie d’une révolution sans violence.
Le 7 mars 1916, neuf ans après avoir écrit le Talon de fer, Jack London, alors au sommet de la célébrité, envoyait au Parti socialiste des États-Unis sa démission dans ces termes :
« Chers camarades,
« Je donne ma démission du Parti socialiste parce qu’il manque de feu et de combativité, et parce qu’il a cessé d’appuyer de toutes ses forces les luttes de classes.
« À l’origine, j’ai été membre du vieux Socialist Labour Party, qui, lui, était révolutionnaire, combatif, et se tenait debout sur ses pattes de derrière. Depuis lors, et jusqu’au temps actuel, j’ai été un membre combattant du Parti socialiste. Malgré tant de jours écoulés, mon record de combat pour la Cause n’est pas entièrement oublié. Dressé à la révolte de classe, telle que l’enseignait et la pratiquait le Socialist Labour Party, et soutenu par mes meilleures convictions personnelles, j’avais cette foi que la classe ouvrière, en combattant, en ne fusionnant jamais, en ne faisant jamais d’accords avec l’ennemi, pourrait parvenir à s’émanciper. Mais puisque, en ces dernières années, la tendance du socialisme aux États-Unis a été toute de compromis, je sens que mon esprit se refuse à sanctionner davantage ces paisibles dispositions et que je ne puis rester membre du Parti. Voilà les motifs de ma démission. »
Si l’ignorance du léninisme et l’atmosphère de 1907 aggravant encore les déformations inhérentes aux intellectuels individualistes expliquent ce qu’il y a de dépassé aujourd’hui dans le livre de Jack London, on comprend moins le pessimisme d’Anatole France écrivant en 1923 pour le Talon de fer une préface dans laquelle il explique le « recul du socialisme » par la « guerre qui tue les esprits comme les corps » et négligeant, lorsqu’il passe en revue les raisons d’espérer, de parler de l’U.R.S.S., alors en pleine bataille pour la reconstruction de son économie, en train de panser les blessures de la guerre civile et de montrer aux cinq autres sixièmes du monde l’exemple d’un peuple révolutionnaire que rien ne peut abattre parce qu’il est armé d’une doctrine juste appliquée de façon réaliste par un parti discipliné avec la participation éclairée et enthousiaste des masses.
Tel quel, dans une époque où la Révolution a fait irruption dans le monde par une porte que Jack London croyait fermée pour longtemps, au moment où la crise développe en Amérique même une situation prérévolutionnaire, le Talon de fer reste un livre de grande classe dans l’œuvre d’un écrivain que le prolétariat peut revendiquer hardiment comme l’un des siens.
Jack London, en effet, n’oublie jamais les cruelles, les impitoyables nécessités de la lutte des classes.
Évoquant ses succès, cet homme que la bourgeoisie comblait, revendiquant le titre de membre de la classe ouvrière « où j’étais né, disait-il, et à laquelle j’appartenais », jetait ce dur congé à la face du capitalisme :
« Je ne me soucie plus de grimper. L’imposant édifice de la société, au-dessus de ma tête, ne contient plus aucune attraction pour moi. Ce sont les fondations qui m’intéressent. Là, je suis heureux de peiner, levier en mains, épaule contre épaule, avec des intellectuels, des idéalistes, des ouvriers conscients, donnant un coup de temps à autre et ébranlant tout l’édifice. Quelque jour, quand nous serons un peu plus nombreux, et que nous aurons quelques leviers de plus pour travailler, nous renverserons l’édifice et, avec lui, toute sa vie de pourriture et ses cadavres ambulants, le monstrueux égoïsme dont il est imprégné. Alors nous nettoierons la cave et bâtirons une nouvelle habitation pour le genre humain où toutes les chambres seront gaies et claires et où l’air qu’on respirera sera propre, noble et vivant. »
Haute leçon donnée par un écrivain de race à tant de nos camarades de jeunesse de guerre et de révolte, passés, après la quarantaine, au camp du conformisme et qui, pour l’écuelle de soupe bourgeoise et l’espoir de la niche académique, ont choisi une fois pour toutes une prétendue « neutralité » qui leur fait porter le collier, garder le seuil et lécher la main des « oligarques » porteurs de fouet. »
Anatole France.