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Une morale ? Oui, mais pas celle de nos ennemis...

mardi 30 juillet 2024, par Robert Paris

Une morale ? Oui, mais pas celle de nos ennemis de classe ! A bas le moralisme, couverture hypocrite des intérêts de classe des possédants !

Marx dans « Le Manifeste communiste » :

« Les lois, la morale, la religion sont à ses yeux autant de préjugés bourgeois derrière lesquels se cachent autant d’intérêts bourgeois. »

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000a.htm

Marx dans « Manuscrits de 1844 » :

« La religion, la famille, l’État, le droit, la morale, la scien¬ce, l’art, etc., ne sont que des modes particuliers de la production et tombent sous sa loi géné¬rale. L’abolition positive de la propriété privée, l’appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l’homme hors de la religion, de la famille, de l’État, etc., à son existence humaine, c’est-à-dire sociale. »

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/00/km18440000/km18440000_5.htm

Marx sur la morale de Robespierre

Dans la séance de la Convention du 5 février 1794, discutant les principes de la morale publique, Robespierre demande :
« Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire ? La vertu ; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges en Grèce et à Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine ; de cette vertu qui n’est autre chose que l’amour de la patrie et de ses lois. »

Robespierre, Saint-Just et leur parti ont succombé parce qu’ils ont confondu la société à démocratie réaliste de l’Antiquité, reposant sur la base de l’esclavage réel, avec l’État représentatif moderne à démocratie spiritualiste, qui repose sur l’esclavage émancipé, sur la société bourgeoise. Être obligé de reconnaître et de sanctionner, dans les droits de l’homme, la société bourgeoise moderne, la société de l’industrie, de la concurrence universelle, des intérêts privés qui poursuivent librement leurs fins, ce régime de l’anarchie, de l’individualisme naturel et spirituel devenu étranger à lui-même ; vouloir en même temps annuler après coup pour tel ou tel individu particulier les manifestations vitales de cette société tout en prétendant façonner à l’antique la tête politique de cette société : quelle colossale illusion !
Tout le tragique de cette illusion éclate le jour où Saint-Just, marchant à la guillotine, montre le grand tableau des Droits de l’Homme accroché dans la salle de la Conciergerie et s’écrie avec fierté : « C’est pourtant moi qui ai fait cela ! » Ce tableau, précisément, proclamait le droit d’un homme qui ne saurait être l’homme de la société antique, pas plus que les conditions économiques et industrielles où il vit ne sont celles de l’antiquité.
Ce n’est pas ici le lieu de justifier historiquement l’illusion des hommes de la Terreur.
« Après la chute de Robespierre, les esprits éclairés et le mouvement politique s’acheminent à grands pas vers le point où ils allaient devenir la proie de Napoléon qui, peu après le 18 brumaire, pouvait dire : Avec mes préfets, mes gendarmes et mes curés, je puis faire de la France ce que je veux. »

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900u.htm

Marx dans Critique de l’éducation :

« De l’aveu de toutes les autorités, en particulier de la Commission sur l’em-
ploi des enfants, les écoles ne contribuent à peu près en rien à la moralité de la
classe laborieuse. La bourgeoisie anglaise est si impitoyable, si stupide et si
bornée dans son égoïsme, qu’elle ne se donne pas même la peine d’inculquer
aux ouvriers la morale actuelle, que la bourgeoisie s’est pourtant confectionnée
dans son propre intérêt et pour sa propre défense ! Même cette préoccupation
d’elle-même semble donner trop de peine à cette bourgeoisie qui est de plus en
plus avachie et veule ; même cela lui semble superflu. Certes, il viendra un
moment où elle regrettera – trop tard – sa négligence 1. Mais elle n’a pas le
droit de se plaindre si les travailleurs ignorent cette morale et n’en tiennent pas
compte. »

https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/enseignement/critique_enseignement.pdf

Engels dans l’ Anti-Dühring :

« …il est remarquable que c’est précisément dans ce domaine que nous rencontrons le plus souvent les vérités dites éternelles, les vérités définitives en dernière analyse, etc. Le fait que deux fois deux font quatre, que les oiseaux ont des becs, et d’autres faits du même genre ne seront proclamés vérités éternelles que par l’homme qui nourrit l’intention de tirer de l’existence de vérités éternelles en général la conclusion qu’il y a aussi dans le domaine de l’histoire humaine des vérités éternelles, une morale éternelle, une justice éternelle, etc., revendiquant une validité et une portée analogues à celles des intellections ou des applications de la mathématique. Dès lors, nous pouvons compter avec certitude que le même philanthrope nous expliquera à la première occasion que tous ses prédécesseurs en fabrication de vérités éternelles étaient plus ou moins des ânes et des charlatans, que tous étaient empêtrés dans l’erreur, que tous avaient failli ; mais l’existence de leur erreur et de leur faillibilité est naturelle et démontre la présence de la vérité et du juste chez lui ; lui, le prophète qui vient de naître, porte toute prête en poche la vérité définitive en dernière analyse, la morale éternelle, la justice éternelle. Le cas s’est déjà produit tant et tant de fois que l’on ne peut que s’étonner qu’il y ait encore des hommes assez crédules pour croire cela non pas d’autrui, mais d’eux-mêmes. Pourtant, ne voyons-nous pas, ici encore, l’un de ces prophètes, d’ailleurs prompt comme à l’ordinaire à tomber dans une colère ultra-morale lorsque d’autres gens nient qu’un individu quelconque soit en mesure de fournir la vérité définitive en dernière analyse ? Une telle négation, voire le simple doute, sont état de faiblesse, confusion inextricable, néant, scepticisme dissolvant, pire que le simple nihilisme, chaos confus et autres amabilités du même genre. Comme chez tous les prophètes, on n’examine pas et on ne juge pas d’un point de vue scientifique et critique, mais on brandit les foudres de la morale sans autre forme de procès. »

https://www.marxists.org/francais/engels/works/1878/06/fe18780611k.htm

Leur morale et la nôtre de Trotsky :

« Evaporation de la morale

« On voit, dans les époques de réaction triomphante, MM. les démocrates, sociaux-démocrates, anarchistes et autres représentants de la gauche, sécréter de la morale en quantité double, de même que les gens transpirent davantage quand ils ont peur. Répétant à leur façon les dix commandements ou le sermon sur la montagne, ces moralistes s’adressent moins à la réaction triomphante qu’aux révolutionnaires traqués, dont les "excès" et les principes "amoraux" "provoquent" la réaction et lui fournissent une justification morale. Il y aurait cependant un moyen élémentaire, mais sûr, d’éviter la réaction : l’effort intérieur, la renaissance morale. Des échantillons de perfection éthique sont distribués gratuitement dans toutes les rédactions intéressées. Cette prédication aussi ampoulée que fausse a sa base sociale — de classe — dans la petite bourgeoisie intellectuelle. Sa base politique est dans l’impuissance et le désarroi devant la réaction. Base psychologique : le désir de surmonter sa propre inconsistance en se mettant une fausse barbe de prophète.

Le procédé favori du philistin moralisateur consiste à identifier les façons d’agir de la révolution et de la réaction. Des analogies formelles en assurent le succès. Le tsarisme et le bolchevisme deviennent des jumeaux. On peut découvrir également des jumeaux dans le fascisme et le communisme.

On peut dresser la liste des caractères communs au catholicisme ou au jésuitisme et au communisme. De leur côté, Hitler et Mussolini, usant d’une méthode tout à fait semblable, démontrent que le libéralisme, la démocratie et le bolchevisme ne sont que les diverses manifestations d’un même mal. L’idée que le stalinisme et le trotskysme sont "au fond identiques" rencontre aujourd’hui la plus large audience. Elle réunit les libéraux, les démocrates, les pieux catholiques, les idéalistes, les pragmatistes, les anarchistes et les fascistes. Si les staliniens n’ont pas la possibilité de se joindre à ce "Front populaire"-là, c’est seulement par un effet du hasard : ils sont précisément absorbés par l’extermination des trotskystes.

Ces rapprochements et ces identifications sont essentiellement caractérisés par l’ignorance complète des assises matérielles des diverses tendances, c’est-à-dire de leur nature sociale et, dès lors, de leur rôle historique objectif. On y apprécie et classe par contre les diverses tendances d’après des indices extérieurs et secondaires, le plus souvent d’après leur attitude envers tel ou tel principe abstrait auquel le classificateur attribue professionnellement une signification particulière. Pour le pape, les francs-maçons, les darwinistes, les marxistes et les anarchistes sont frères en le sacrilège puisqu’ils repoussent tous l’Immaculée Conception. Pour Hitler, le libéralisme et le marxisme, ignorant l’un et l’autre "le sang et l’honneur", sont des jumeaux. Jumeaux pour le démocrate, le fascisme et le bolchevisme puisqu’ils refusent de s’incliner devant le suffrage universel. Et cætera.

Les traits communs aux tendances ainsi rapprochées sont indéniables. Mais le développement de l’espèce humaine n’est épuisé ni par le suffrage universel ni par "le sang et l’honneur", ni par le dogme de l’Immaculée Conception ; — tout est là. Le devenir historique est avant tout lutte des classes, et il arrive que des classes différentes usent, à des fins différentes, de moyens analogues. Il ne saurait en être autrement. Les armées belligérantes sont toujours plus ou moins symétriques ; s’il n’y avait rien de commun dans leurs façons de combattre, elles ne pourraient pas se heurter.

Le paysan ou le boutiquier inculte, s’il se trouve entre deux feux, sans comprendre les causes et la portée du combat engagé entre le prolétariat et la bourgeoisie, considère les deux partis en présence avec une haine égale. Mais que sont tous ces moralistes démocrates ? Les idéologues des couches moyennes tombées, ou qui craignent de tomber, entre deux feux. Les prophètes de ce genre sont surtout caractérisés par leur éloignement des grands mouvements de l’histoire, par le conservatisme rétrograde de leur pensée, par le contentement de leur médiocrité et par la pusillanimité politique la plus primitive. Les moralistes souhaitent par dessus tout que l’histoire les laisse en paix avec leurs bouquins, leurs petites revues, leurs abonnés, leur bon sens et leurs règles. Mais l’histoire ne les laisse pas en paix. Tantôt de gauche, tantôt de droite, elle leur bourre les côtes. Evidemment : révolution et réaction, tsarisme et bolchevisme, stalinisme et trotskysme sont frères jumeaux ! Que celui qui en doute veuille bien palper, sur les crânes des moralistes, les bosses symétriques de droite et de gauche...

Amoralisme marxiste et vérités éternelles

Le reproche le plus commun et le plus impressionnant que l’on adresse à l’"amoralisme" bolchevik emprunte sa force à la prétendue règle jésuitique du bolchevisme : La fin justifie les moyens. De là, aisément, la conclusion suivante : les trotskystes, comme tous les bolcheviks (ou marxistes), n’admettant pas les principes de la morale, il n’y a pas de différence essentielle entre trotskysme et stalinisme. Ce qu’il fallait démontrer.

Un hebdomadaire américain, passablement vulgaire et cynique par ailleurs, a ouvert sur la morale du bolchevisme une petite enquête destinée, selon l’usage, à servir à la fois la morale et la publicité. L’inimitable Herbert Wells, dont l’homérique suffisance dépassa toujours l’imagination extraordinaire, s’est empressé de se solidariser avec les snobs réactionnaires de "Common Sense". C’est dans l’ordre des choses. Mais ceux-là mêmes qui ont répondu à l’enquête en prenant la défense du bolchevisme ne l’ont pas fait sans de timides réserves. Les principes marxistes sont, bien sûr, mauvais, mais on trouve néanmoins parmi les bolcheviks des hommes excellents (Eastman). En vérité, il est des "amis" plus dangereux que les ennemis.

Si nous voulions prendre MM. nos censeurs au sérieux, nous devrions tout d’abord leur demander quels sont leurs propres principes de morale. Question qui resterait sans doute sans réponse... Admettons que ni la fin personnelle ni la fin sociale ne puissent justifier les moyens. Il faudrait alors chercher d’autres critériums en dehors de la société telle que l’histoire la fait et des fins suscitées par son développement. Où ? Au ciel si ce n’est sur la terre. Les prêtres ont depuis longtemps découvert dans la révélation divine les canons infaillibles de la morale. Les petits prêtres laïcs traitent des vérités éternelles de la morale sans indiquer leur référence première. Nous sommes en droit de conclure que si ces vérités sont éternelles, elles sont antérieures à l’apparition du pithécanthrope sur la terre et même à la formation du système solaire. Mais d’où viennent-elles donc ? La théorie de la morale éternelle ne peut pas se passer de Dieu.

Les moralistes du type anglo-saxon, dans la mesure où ils ne se contentent pas d’un utilitarisme rationaliste — de l’éthique du comptable bourgeois — se présentent comme les disciples conscients ou inconscients du vicomte de Shaftesbury qui — au début du XVIIIe siècle — déduisait les jugements moraux d’un sens particulier, le sens moral inné à l’homme. Située au-dessus des classes, la morale conduit inévitablement à l’admission d’une substance particulière, d’un sens moral absolu qui n’est que le timide pseudonyme philosophique de Dieu. La morale indépendante des "fins", c’est-à-dire de la société — qu’on la déduise des vérités éternelles ou de la "nature humaine" — n’est au bout du compte qu’un aspect de la "théologie naturelle". Les cieux demeurent la seule position fortifiée d’où l’on puisse combattre le matérialisme dialectique.

Toute une école "marxiste" se forma en Russie à la fin du siècle dernier, qui entendait compléter la doctrine de Marx en lui ajoutant un principe moral autonome, supérieur aux classes (Strouvé, Berdiaeff, Boulgakov et autres...). Ses tenants commençaient naturellement par Kant et son impératif catégorique. Comment finirent-ils ? Strouvé est aujourd’hui un ancien ministre du baron de Wrangel et un bon fils de l’Eglise ; Boulgakov est prêtre orthodoxe ; Berdiaeff interprète en plusieurs langues l’Apocalypse. Des métamorphoses aussi inattendues à première vue ne s’expliquent pas par "l’âme slave" — l’âme de Strouvé étant du reste germanique — mais par l’envergure de la lutte sociale en Russie. L’orientation essentielle de cette métamorphose est en réalité internationale.

L’idéalisme classique en philosophie, dans la mesure où il tendait à séculariser la morale, c’est-à-dire à l’émanciper de la sanction religieuse, fut un immense progrès (Hegel). Mais, détachée des cieux, la morale avait besoin de racines terrestres. La découverte de ces racines fut l’une des tâches du matérialisme. Après Shaftesbury, il y eut Darwin, après Hegel, Marx. Invoquer de nos jours les "vérités éternelles" de la morale, c’est tenter de faire rétrograder la pensée. L’idéalisme philosophique n’est qu’une étape : de la religion au matérialisme ou, au contraire, du matérialisme à la religion. »

« Les moralistes du type anglo-saxon, dans la mesure où ils ne se contentent pas d’un utilitarisme rationaliste — de l’éthique du comptable bourgeois — se présentent comme les disciples conscients ou inconscients du vicomte de Shaftesbury qui — au début du XVIIIe siècle — déduisait les jugements moraux d’un sens particulier, le sens moral inné à l’homme. Située au-dessus des classes, la morale conduit inévitablement à l’admission d’une substance particulière, d’un sens moral absolu qui n’est que le timide pseudonyme philosophique de Dieu. La morale indépendante des "fins", c’est-à-dire de la société — qu’on la déduise des vérités éternelles ou de la "nature humaine" — n’est au bout du compte qu’un aspect de la "théologie naturelle". Les cieux demeurent la seule position fortifiée d’où l’on puisse combattre le matérialisme dialectique. (…)

L’idéalisme classique en philosophie, dans la mesure où il tendait à séculariser la morale, c’est-à-dire à l’émanciper de la sanction religieuse, fut un immense progrès (Hegel). Mais, détachée des cieux, la morale avait besoin de racines terrestres. La découverte de ces racines fut l’une des tâches du matérialisme. Après Shaftesbury, il y eut Darwin, après Hegel, Marx. Invoquer de nos jours les "vérités éternelles" de la morale, c’est tenter de faire rétrograder la pensée. L’idéalisme philosophique n’est qu’une étape : de la religion au matérialisme ou, au contraire, du matérialisme à la religion. (…)

L’évolutionnisme bourgeois s’arrête, frappé d’impuissance, sur le seuil de la société historique, ne voulant pas admettre que la lutte des classes soit le ressort principal de l’évolution des formes sociales. La morale n’est qu’une des fonctions idéologiques de cette lutte. La classe dominante impose ses fins à la société et l’accoutume à considérer comme immoraux les moyens qui vont à l’encontre de ces fins. Telle est la mission essentielle de la morale officielle. Elle poursuit "le plus grand bonheur possible", non du plus grand nombre, mais d’une minorité sans cesse décroissante. Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte, ne durerait pas une semaine. Le ciment de l’éthique lui est indispensable. La fabrication de ce ciment incombe aux théoriciens et aux moralistes petits-bourgeois. Ils peuvent faire jouer toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; ils ne sont, tout compte fait, que les apôtres de l’esclavage et de la soumission. (…)

La bourgeoisie, dont la conscience de classe est très supérieure, par sa plénitude et son intransigeance, à celle du prolétariat, a un intérêt vital à imposer "sa" morale aux classes exploitées. Les normes concrètes du catéchisme bourgeois sont camouflées à l’aide d’abstractions morales placées elles-mêmes sous l’égide de la religion, de la philosophie ou de cette chose hybride qu’on appelle le "bon sens". L’invocation des normes abstraites n’est pas une erreur désintéressée de la philosophie, mais un élément nécessaire du mécanisme de la lutte des classes. Faire ressortir cette duperie, dont la tradition remonte à des millénaires, est le premier devoir du révolutionnaire prolétarien. (…)

La démocratie et la morale "généralement admise" ne sont pas les seules victimes de l’impérialisme. Le bon sens "inné à tous les hommes" est sa troisième victime. Cette forme inférieure de l’intellect, nécessaire dans toutes les conditions, est aussi suffisante dans certaines conditions. Le capital principal du bon sens est fait de conclusions élémentaires tirées de l’expérience humaine : Ne mettez pas vos doigts dans le feu, suivez de préférence la ligne droite, ne taquinez pas les chiens méchants... et cætera, et cætera. Dans un milieu social stable, le bon sens se révèle suffisant pour faire du commerce, soigner des malades, écrire des articles, diriger un syndicat, voter au parlement, fonder une famille, croître et multiplier. Mais sitôt qu’il tente de sortir de ses limites naturelles pour intervenir sur le terrain des généralisations plus complexes, il n’est plus que le conglomérat des préjugés d’une certaine classe à une certaine époque. La simple crise du capitalisme le décontenance ; devant les catastrophes telles que les révolutions, les contre-révolutions et les guerres, le bon sens n’est plus qu’un imbécile tout rond. Il faut, pour connaître les troubles "catastrophiques" du cours "normal" des choses de plus hautes qualités intellectuelles, dont l’expression philosophique n’a été donnée jusqu’ici que par le matérialisme dialectique. (…)
Il ne manque pas, parmi les libéraux et les radicaux, de gens ayant assimilé les méthodes matérialistes de l’interprétation des événements et qui se considèrent comme marxistes, ce qui ne les empêche pas de demeurer des journalistes, des professeurs ou des hommes politiques bourgeois. Le bolchevik ne se conçoit pas, cela va sans dire, sans méthode matérialiste, en morale comme ailleurs. Mais cette méthode ne lui sert pas seulement à interpréter les événements, elle lui sert aussi à former le parti révolutionnaire du prolétariat, tâche qui ne peut être accomplie que dans une indépendance complète à l’égard de la bourgeoisie et de sa morale. Or l’opinion publique bourgeoise domine en fait, pleinement, le mouvement ouvrier officiel, de William Green aux Etats-Unis à Garcia Oliver en Espagne en passant par Léon Blum et Maurice Thorez en France. Le caractère réactionnaire de la période présente trouve dans ce fait son expression la plus profonde. Le marxiste révolutionnaire ne saurait aborder sa tâche historique sans avoir rompu moralement avec l’opinion publique de la bourgeoisie et de ses agents au sein du prolétariat. (…) Leur façon d’identifier la morale bourgeoise avec la morale "en général" se vérifie sans doute le mieux à l’extrême gauche de la petite-bourgeoisie. (…)

Les centristes "admettent" la révolution prolétarienne comme les kantiens l’impératif catégorique, c’est-à-dire comme un principe sacré inapplicable dans la vie quotidienne. En politique pratique, ils s’unissent aux pires ennemis de la révolution, réformistes et staliniens, contre nous. Leur pensée est pénétrée de duplicité et d’hypocrisie. S’ils ne s’élèvent pas, en règle générale, à des crimes saisissants, c’est parce qu’ils demeurent toujours à l’arrière-plan de la politique : ce sont en quelque sorte les pickpockets de l’histoire, et c’est justement pourquoi ils se croient appelés à doter le mouvement ouvrier d’une nouvelle morale. (…) Le matérialisme dialectique ne sépare par la fin des moyens. La fin se déduit tout naturellement du devenir historique. Les moyens sont organiquement subordonnés à la fin. La fin immédiate devient le moyen de la fin ultérieure... Ferdinand Lassalle fait dire dans son drame, "Franz van Sickingen", à l’un de ses personnages :

Ne montre pas seulement le but, montre aussi le chemin,

Car le but et le chemin sont tellement unis

Que l’un change avec l’autre et se meut avec lui

Et qu’un nouveau chemin révèle un autre but. (…)

L’émancipation des ouvriers ne peut être l’oeuvre que des ouvriers eux-mêmes. Il n’y a donc pas de plus grand crime que de tromper les masses, de faire passer des défaites pour des victoires, des amis pour des ennemis, d’acheter des chefs, de fabriquer des légendes, de monter des procès d’imposture, — de faire en un mot ce que font les staliniens. Ces moyens ne peuvent servir qu’à une fin : prolonger la domination d’une coterie déjà condamnée par l’histoire. Ils ne peuvent pas servir à l’émancipation des masses. Voilà pourquoi la IVe Internationale soutient contre le stalinisme une lutte à mort. »

Léon Trotsky, « Leur morale et la nôtre »

Lire la suite :

https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/morale/morale.htm

Diderot et la morale

http://classiques.uqac.ca/classiques/Diderot_denis/voyage_bougainville/voyage_bougainville.html

Marx et la morale

https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2015-1-page-82.htm

Moralistes et sycophantes contre le Marxisme

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6979

A-t-on raison de dire le marxisme révolutionnaire amoral ?

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3663

La morale des communistes révolutionnaires

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6016

Leur morale, de Mac Mahon à Macron, contre la nôtre, de la Commune de Paris à la Gilet jaunisation du monde

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6184

Matérialisme et moralisme

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5488

La cigale et la fourmi, le moralisme du travail...

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4796

« Quand trop de morale pénètre la compréhension de l’Histoire, celle-ci n’est plus analysable de manière rationnelle. » dit Trotsky

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5564

Que veut dire le « Ni rire, ni pleurer mais comprendre » de Spinoza

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article4716

Politique et morale

https://www.matierevolution.org/spip.php?article3835

L’Ordre et la Morale, chez le colonisateur

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2150

Eglise catholique et pédophilie : une morale étroite et arriérée n’évite pas les dérives...

https://www.matierevolution.fr/spip.php?breve268

Quelques contre-vérités antiscientifiques de l’idéologie morale que l’on nomme écologique

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1790

L’indignation morale ne s’attaque pas aux fondements de la tromperie sociale

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2688

Fin du blabla moralisateur sur le travail

https://www.matierevolution.org/spip.php?breve809

Peut-on moraliser un Etat, des partis qui sont avant tout des patrons ?

https://www.matierevolution.org/spip.php?article3367

Quelques grands moralistes

https://fr.wikisource.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:Moralistes

https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/MORALISTE

Qu’est-ce que la morale ?

https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/MORALE

« J’entends par morale ce qui nous permet de dire qu’une action est bonne ou mauvaise »

https://www.fabula.org/colloques/document1347.php

Bossuet moraliste

https://fr.wikisource.org/wiki/Bossuet_moraliste

Dumas moraliste

https://fr.wikisource.org/wiki/La_Vie_litt%C3%A9raire/1/M._Alexandre_Dumas_moraliste

Zola et les moralistes

https://fr.wikisource.org/wiki/Mes_haines/Les_Moralistes_fran%C3%A7ais

Stahl moraliste

https://fr.wikisource.org/wiki/Esquisses_litt%C3%A9raires_-_Un_conteur_moraliste,_P.-J._Stahl

Poètes Moralistes de la Grèce

https://fr.wikisource.org/wiki/Po%C3%A8tes_Moralistes_de_la_Gr%C3%A8ce

Les moralists petits-bourgeois et le parti proletarien

https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/defmarx/dma8.htm

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