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Pourquoi le NPA-révolutionnaires s’intéresse-t-il à la dialectique de Hegel ?
lundi 26 août 2024, par
Introduction
Dans le très volumineux article Point de vue : Lénine 1914-1916, de la dialectique de Hegel à la révolution permanente, article que nous proposons de commenter, le NPA-révolutionnaires (NPA-R) aborde la question de la dialectique à l’occasion des 100 ans de la mort de Lénine, en lien avec les questions de la révolution permanente et du révisionnisme de Bernstein.
Précisons que nos critiques sont adressées à un article qui est l’expression d’une politique du NPA-R et n’ont rien de personnel, même si nous utiliserons souvent le raccourci « l’auteur » pour désigner cet article.
Tout marxiste qui se respecte est l’adversaire du révisionnisme de Bernstein, est partisan du matérialisme dialectique et de la théorie de la révolution permanente, cette dernière s’appliquant à des questions d’actualité comme la Palestine, le Bangladesh etc.
Tout militant marxiste peut commencer sa formation sur ces questions en lisant et relisant le Manifeste du Parti Communiste (Marx et Engels) ainsi que Réforme ou Révolution de R. Luxemburg, où les divers textes que Plékhanov a écrits contre Bernstein.
Indépendamment de la question de Bernstein, tous les ouvrages de R. Luxemburg ainsi que ceux de Plékhanov font partie des lectures incontournables pour qui veut une formation marxiste poussée.
La lecture de Réforme et Révolution, d’Essai sur le développement de la conception moniste de l’histoire, de La conception matérialiste de l’histoire de Plékhanov sont des étapes de base dans une formation.
En conséquence, dénigrer, comme le fait notre auteur dans un article sur Bernstein, les écrits de R. Luxemburg et Plékhanov, qui furent les champions de la lutte contre ce révisionniste, est inacceptable.
Les articles qui dénigrent Plékhanov, Lénine, R. Luxemburg font partie de la littérature anti-marxiste. C’est le cas de l’article du NPA-R, il mérite donc une réponse en défense du marxisme, de R. Luxemburg, Plékhanov, Lénine et Engels qui sont tous attaqués par l’auteur.
Certes il existe un type de littérature marxiste qui est très critique. Mais lorsque tous ces auteurs marxistes cités se sont critiqués entre eux, ils le faisaient en précisant d’abord qu’ils considéraient leurs adversaires comme des camarades qui méritaient le titre de dirigeant marxiste révolutionnaire. L’article que nous critiquons ne fait pas partie de cette littérature marxiste critique, expliquons pourquoi.
Un article typique du centrisme
L’article en question du NPA-R n’a, à notre avis, malheureusement aucun intérêt majeur en lui même. Son seul intérêt secondaire est d’être la n-ième manifestation du pseudo-marxisme d’un parti centriste, dont la mission est de faire croire que les marxistes seraient eux-mêmes les premiers à dénigrer Marx, Lénine, Trotsky, R. Luxemburg etc. C’est seulement dans cette perspective que cet article a un quelconque intérêt, car on est malheureusement confrontés en permanence à cette propagande centriste, il faut en comprendre les mécanismes.
C’est la mission de la propagande centriste (qui permet à des partis comme les NPA ou LO d’apparaitre dans les grands media), d’attirer la jeunesse où les travailleurs qui seraient intéressés par le marxisme ... pour les en détourner tout de suite !
L’article du NPA-R fait partie de ces articles qui sont faits pour décourager les militants souhaitant étudier les questions fondamentales du marxisme. Expliquons-nous : l’auteur fait semblant d’être marxiste, mais dénigre Engels, Lénine, Plékhanov, R. Luxemburg, en essayant d’utiliser les écrits des uns contre ceux des autres. Bernstein est le seul qui n’y est finalement quasiment pas critiqué ! C’est compréhensible, car Bernstein par exemple rejeta la dictature du prolétariat, le NPA-R est en accord avec lui sur ce point. Donnons des précisions sur le « programme » du NPA-R.
Le NPA-révolutionnaires n’est plus marxiste, ni léniniste ni trotskiste
La première question qui se pose face à un tel article est : pourquoi le NPA-R s’intéresse-t-il à Lénine, Bernstein, la question de la dialectique ? De quel point de vue écrit le NPA-R ? Le NPA-R est-il partisan du marxisme, du trotskisme ? La réponse est clairement non !
En 2009 lors de sa création le NPA s’est débarrassé dans son nom du qualificatif de "communiste révolutionnaire" en dissolvant la Ligue Communiste Révolutionnaire.
En 2022 le NPA-révolutionnaires est issu d’une scission de ce NPA. Ce NPA-Révolutionnaires n’est pas revenu en 2022 sur la question de la rupture avec le marxisme, le trotskisme, faite en 2009, puisque le NPA-R proclame haut et fort vouloir continuer ce NPA.
Sur le site de ce nouveau parti, dans la rubrique A propos, qui est la page où ce parti se présente, on lit une "Déclaration du congrès du NPA (11 décembre 2022)" qui ne fait référence ni au communisme, encore moins au trotskisme ou au marxisme, ni à la révolution prolétarienne : "Le NPA s’est toujours conçu comme un pôle de regroupement des révolutionnaires, vers un parti révolutionnaire des travailleurs. Et des travailleuses."
Le NPA-R ne mentionne même pas explicitement l’Anticapitalisme, bien que tenant à garder ce terme fourre-tout dans son nom.
Certes des non marxistes peuvent écrire des choses très intéressantes sur le marxisme. Mais d’un parti qui comme le NPA-R, lors de ses deux congrès fondateurs (2009, 2022 pour le NPA-R) se débarrasse de toute référence au marxisme, on est en droit d’attendre un éclaircissement. Car a priori les articles théoriques publiés par ce parti sont fondamentalement hostiles au marxisme, même masqués par les formules faussement amicales du centrisme
Un article publié avec la caution sans restrictions du NPA-R
L’auteur précise à propos de son article :
Rédigé à l’occasion du centenaire de la mort de Lénine, cet article n’a pas prétention à exprimer le point de vue de toute l’organisation, et encore moins de clore une discussion qui a préoccupé le marxisme depuis des décennies. Discussion qu’il prétend simplement poursuivre et à laquelle il souhaite apporter une contribution.
mais on ne sait toujours pas si lui-même se situe dans ce "marxisme" qu’il mentionne. Qui ne dit mot consent, l’auteur est donc a priori, comme son parti, en dehors du marxisme, du trotskisme. Mais pour un lecteur non averti, l’auteur est "évidemment" marxiste, tout comme le parti qui publie son article. C’est une entourloupe classique du centrisme.
Certes une organisation peut publier des textes qu’elle ne soutient pas entièrement, mais pour un texte qui va ouvertement contre ceux du corpus marxiste de base, un avertissement devrait être ajouté. Par exemple sur Matière et Révolution nous proposerions de signaler : le texte suivant ne nous engage pas, il est l’expression d’un militant avec qui nous sommes en complet désaccord sur ce texte, qui va à notre avis à l’encontre des principes de base du marxisme. Mais le camarade ayant souhaité ouvrir une discussion sur la dialectique, nous publions ce texte pour ouvrir la discussion
En l’absence d’un tel avertissement, le texte que nous allons commenter apparait bien comme un texte diffusé par le NPA-R, d’autant plus qu’il semble servir de support à une discussion des 2èmes rencontres révolutionnaires du NPA-R (voir débats et ateliers « centenaire de la mort de Lénine, 1914-1916, de Hegel à la révolution permanente », dimanche 25 août, ici)
Passons au commentaire.
Le pédantisme académique
Le point de vue de l’auteur n’est pas un point de vue militant. Le début de l’article est un charabia incompréhensible :
On s’excusera aussi des sources purement franco-françaises de cet article. Car la discussion n’est ni nouvelle ni française. La thèse d’une rupture entre le Lénine d’avant et après 1916 est envisagée dès les années 50 par James et Dunayeskaya (alias Johnson et Forest dans le SWP américain) ; la continuité est défendue entre les polémiques sur l’Empiriocriticisme jusqu’à L’État et la révolution par Slaughter du SLL puis WRP anglais, continuité aujourd’hui à la mode avec les derniers travaux de Lars Lih. (L. B.)]
Des notes renvoient à des textes en anglais, aucune référence n’est donnée à propos des "derniers travaux de Lars Lih" qui semblent illustrer la "continuité" qui serait "à la mode". Quelle pédanterie semi-universitaire ! Les "derniers travaux" sont-ils des travaux militants ayant des conséquences dans la politique d’un parti ou d’un syndicat face à un mouvement ? Si vous n’avez jamais entendu parler de Lars Lih alors qu’il est "à la mode" (où ? dans les salons universitaires ? dans des congrès de certains partis ?), vous êtes écrasés par cette énumération de noms qui devraient faire l’objet de paragraphes entier dans l’article, ou apparaitre seulement en note de bas de page.
D’un point de vue militant, l’auteur devrait préciser : nous sommes d’accord avec tel texte, pas d’accord avec tel texte. Cela permettrait au moins au lecteur intéressé de s’y plonger en ayant une boussole, suivre l’historique de deux lignes de pensée après les avoir identifiées. Mais être sans avis sur une flopée de textes que l’on cite d’entrée est le style académique, par lequel on doit montrer dans l’introduction d’un article que l’on connait toute la bibliographie. Mais ce n’est pas le style d’un article militant.
Surtout, l’auteur n’énonce pas clairement sa thèse dès le début : que Lénine opère une rupture en 1914, grâce à sa lecture de la Science de la Logique qui lui permet de découvrir la dialectique qu’il ignorait jusqu’en 1914. Mais que Lénine n’avait jamais vraiment compris combien la dialectique est à la base de la théorie de la révolution permanente.
Cette thèse est fausse à notre avis. Mais elle permet à l’auteur, prétendant donner raison au Lénine de 1914-1916, de dénigrer celui d’avant 1914. C’est le but de ce genre d’articles.
Au passage : si l’auteur à autant de références, pourquoi n’en donne-t-il aucune concernant l’anticapitalisme ? Le NPA se veut anticapitaliste, mais l’auteur ne nous dit pas en quoi sa discussion concerne l’anticapitalisme, et pas seulement "le marxisme".
L’auteur ne fait que confirmer que ce terme "anticapitaliste" ne vaut rien du tout, pour lui autant que pour nous ! Aucun nom de militant anticapitaliste n’existe, voir les noms des salles de réunion du NPA-R ici
Les journalistes peuvent ainsi faire des articles de presse à propos des "marxistes" qui n’en sont plus.
Le révisionnisme de Bernstein
Après son chapeau introductif, l’auteur introduit en cinq paragraphes la situation en 1914 : la trahison de la IIème internationale dont la plupart des organisations soutiennent l’Union sacrée.
La période qui mène Lénine de 1914 à 1916 est certes celle d’une bataille politique, sans précédent de fait dans l’histoire du mouvement ouvrier, et pour cela d’un travail théorique soutenant la lutte contre la guerre, contre le réformisme, pour une compréhension de l’impérialisme, sur la question de l’État. (... )
Comment des dirigeants internationaux de la stature de Kautsky ou Plekhanov ont-ils pu accepter, justifier et commettre une telle trahison ?
Le reproche principal que l’on peut faire à l’auteur est de ne nommer que des "étrangers" qui ont trahi l’internationalisme : le français Jouhaux secrétaire général de la CGT est oublié. Seuls les syndicats allemands auraient trahi. C’est normal, le NPA-R ne mène aucune politique révolutionnaire dans les syndicats, et évite donc de parler de la CGT qui en 2024, est autant dans l’Union sacrée qu’en 1914.
Puis l’auteur en vient au coeur de son sujet, la dialectique et le révisionnisme de Bernstein :
Édouard Bernstein lui-même, un an à peine après la mort de son maître Friedrich Engels a entrepris un examen critique et dévastateur du marxisme tout entier… En 1898, dans une série d’articles regroupés sous le titre Problèmes du socialisme, et qui ont finalement pris en 1899 la forme d’un livre, Socialisme théorique et sociale-démocratie pratique, que visiblement Lénine s’est procuré en août 1899, Bernstein s’est livré à une « déconstruction » avant l’heure du marxisme (c’est-à-dire une destruction en règle), sur tous ses présupposés théoriques
L’auteur oublie d’ajouter : Bernstein théorise l’opportunisme, R. Luxemburg, Lénine et Plékhanov l’ont combattu. Ils eurent raison et leurs écrits nous servent encore pour combattre l’opportunisme dans le mouvement ouvrier, dont les spécimens parmi les pires sont par exemple aujourd’hui les bureaucraties syndicales.
On ne saura jamais si l’auteur est un adversaire de Bernstein, s’il pense que l’opportunisme existe encore dans le mouvement ouvrier. De plus, non Bernstein n’a rien déconstruit, ses articles sont d’un très bas niveau, il est passé au socialisme bourgeois et a voulu le justifier, c’est tout.
La première attaque contre Lénine, Trotsky et Luxemburg qui combattirent Bernstein ne tarde pas :
cinq ans avant que Trotski ne l’aperçoive et quinze ans avant que Lénine ne le comprenne grâce à sa lecture de la Science de la logique de Hegel, c’est bien la dialectique hégélienne que Bernstein a accusé de constituer la logique de la « révolution permanente ».
Ce défi, personne ne l’a relevé ni même parfois aperçu. Ni Rosa Luxembourg dans Réforme sociale ou révolution (qui ne s’intéresse pas à la dialectique ni à la « révolution permanente »), ni les commentateurs tardifs depuis Henri Lefèbvre jusqu’à Stathis Kouvélakis, en passant par Mickaël Löwy, ou Roger Garaudy (quelle que soit la funeste postérité négationniste de ce dernier), pour ne citer que ces commentateurs français, ni bien d’autres dans d’autres pays.
Tous ont vu le tournant théorique opéré par Lénine de 1914 à 1916, dû à sa lecture de la Science de la logique de Hegel. Mais aucun, pas même aujourd’hui, n’a vu ou souhaité commenter le fond de la critique théorique de Bernstein établissant – à notre avis à juste titre – le lien essentiel entre « dialectique hégélienne » et « révolution permanente ».
On est étonné par une telle "découverte" qui est au cœur de cet article.
Car Bernstein, dans son chapitre II, cité par notre auteur, écrit explicitement ce que notre auteur prétend avoir été ignoré par tous depuis :
« Le Manifeste communiste proclama, en 1847, “que la révolution bourgeoise à la veille de laquelle se trouve l’Allemagne, étant donnés le développement du prolétariat et l’état avancé de la civilisation européenne, ne pourra être que le prologue immédiat d’une révolution prolétarienne”. Cette autosuggestion historique digne du premier illuminé venu serait incompréhensible chez un Marx – qui à cette époque, avait déjà sérieusement étudié l’économie – si on ne l’analyse pas comme un reste de la dialectique antithétique hégélienne, dont Marx, pas plus qu’Engels, n’a jamais su complètement se défaire. »
Bernstein
Bernstein est très clair : dans son chapitre II il dénonce en long en large et en travers la théorie de la révolution permanente de Marx, sa théorie de la révolution en général, comme une conclusion erronée obtenue à cause de la dialectique de Hegel. Et c’est cela que notre auteur du NPA-R prétend avoir été resté invisible pendant plus d’un siècle ! Cela ne tient pas la route !
L’auteur de l’article du NPA-R confirme lui-même que tout est dit clairement par Bernstein :
le plus grand crime de la dialectique pour Bernstein est surtout d’arrimer au marxisme ce que d’autres appelleront plus tard, à la suite de Marx et Engels, la « révolution permanente ». En effet, il reproche à Engels d’avoir « reproduit, dans l’édition nouvelle des Révélations sur le procès des Communistes, les deux adresses de mars et de juin 1850, rédigées par Marx et lui, où la “révolution en permanence” est assignée au prolétariat révolutionnaire. » Concession, dit-il, d’Engels à l’anarchisme (ou au « blanquisme »), pourtant si bien combattu par lui dans le parti social-démocrate allemand et dans l’Internationale.
Bernstein critique donc ouvertement la dialectique de Hegel, comme étant responsable des conceptions de Marx en matière de révolution en général, dans la question de la “révolution en permanence” en particulier.
Mais admettons à la discussion le point de vue de l’auteur, qui attribue un grand aveuglement à Lénine, Trotsky, s’attribuant à lui-même une grande découverte.
Passons aussi sur le fait qu’il est gênant de citer sur le même plan des marxistes qui restent nos maîtres (sont-ils ceux de l’auteur ?) : Lénine, Trotsky, R. Luxemburg, avec le stalinien antisémite Roger Garaudy. Et pourquoi ne pas rappeler en deux mots qui sont ces Stathis Kouvélakis (dont un échantillon du verbiage est ici, où il accuse Lénine d’être un des responsables de la trahison de 1914 !) et Mickaël Löwy ? Pourquoi compliquer le problème en ajoutant des noms sans explications ?
Faisons donc le point : nous avons trois grandes révélations en même temps : 1) personne, sur le moment, n’a vu que Berstein s’attaquait à la dialectique de Hegel (bien que Bernstein le fasse ouvertement dans son Chapitre II à propos de la "révolution en permanence" de Marx) 2) Lénine a opéré un tournant théorique entre 1914 et 1916 et a enfin compris la dialectique.
3) personne n’a vraiment vu le lien essentiel entre « dialectique hégélienne » et « révolution permanente » jusqu’à aujourd’hui : sous entendu même Lénine n’est pas allé assez loin dans cette direction, Trotsky l’a juste "aperçu"
Le flou artistique est très gênant dans la critique de l’auteur : pourquoi ne donne-t-il pas pour Lénine et Trotsky la référence à des textes datés précisément, afin que l’on puisse lire ces textes où Trotksy et Lénine expliqueraient comment ils auraient "enfin compris". En quoi consiste vraiment le tournant théorique de Lénine ? Dans les dizaines de tomes de Lénine, dans quels textes Lénine est-il vraiment dialecticien, reniant certains de ses écrits d’avant 1914 ? Pourquoi Lénine n’a-t-il pas fait son auto-critique après sa "conversion de 1914-1916" ?
A notre avis ni 1), ni 2) ni 3) ne tiennent la route.
Rosa Luxemburg avait très bien identifié Bernstein comme ennemi de la dialectique
Rappelons que l’auteur ose prétendre :
Ce défi, personne ne l’a relevé ni même parfois aperçu. Ni Rosa Luxembourg dans Réforme sociale ou révolution (qui ne s’intéresse pas à la dialectique ni à la « révolution permanente ») ...
Or citons de Rosa Luxemburg la conclusion de son ouvrage consacré à la réfutation de Bernstein "Réforme et révolution" :
Bernstein a abandonné les catégories de pensée du prolétariat révolutionnaire, la dialectique et la conception matérialistes de l’histoire
R. Luxemburg Réforme ou révolution
Mais l’auteur du NPA-R affirme quand même que R. Luxemburg "ne s’intéresse pas à la dialectique". Au passage l’auteur sous-entend : R. Luxemburg n’a rien compris au marxisme ! Nous sommes au coeur de ces articles écrits sur le marxisme par les deux NPA : leur but est de mettre à la poubelle Lénine, Trotsky, Plékhanov et R. Luxemburg, sans s’attaquer frontalement à eux, mais au détour de certaines phrases.
"Réforme et Révolution" est un des premiers ouvrages que l’on donne à un militant souhaitant se former. C’est un ouvrage que tout marxiste digne de ce nom a sous le bras en permanence, car dès qu’une trahison syndicale, opportuniste, a lieu, on peut s’y replonger pour trouver la formule dont on a besoin.
L’auteur de cet article ne l’affirme pas. Il pourrait expliquer que R. Luxemburg dans sa réfutation de Bernstien n’a pas assez insisté sur la dialectique mais que Réforme et révolution reste un ouvrage de référence pour nous marxistes. Mais l’auteur, en prétendant émettre des critiques à propos d’une problème très particulier, détourne de "Réforme et révolution" tout militant qui voudrait se former, en dénigrant ce livre et R. Luxemburg
R. Luxemburg parlait bien de la Révolution permanente
L’idée de Marx et Engels derrière la "révolution en permanence" est que toute révolution bourgeoise, avec l’irruption du prolétariat d’industrie (qui n’avait pu avoir lieu en 1789 en France), portera en germe la révolution prolétarienne, ne s’arrêtera donc pas avec la victoire bourgeoise sur le féodalisme, mais continuera en permanence à se transformer en révolution prolétarienne. L’ère des révolutions prolétariennes est ouverte. Les militants communistes doivent en permanence expliquer ce but final. Car toute révolution bourgeoise sera le début d’une transition entre la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne.
Concernant la révolution permanente qui est un mécanisme de transition, R. Luxemburg, à notre avis, en parle très bien dans son ouvrage, même si c’est sans reprendre le terme. Un des nombreux exemples est :
Formulation globale de l’évolution historique du capitalisme, notre programme doit également décrire dans leurs traits fondamentaux toutes les phases transitoires de ce développement, et donc orienter à chaque instant l’attitude du prolétariat dans le sens d’une marche vers le socialisme. On peut donc conclure qu’il n’existe aucune circonstance où le prolétariat serait contraint d’abandonner son programme, ou d’être abandonné par lui.
Concrètement, cela veut dire qu’il n’y a aucun moment où le prolétariat, porté au pouvoir par les circonstances, ne puisse, ou ne soit tenu de prendre certaines mesures en vue de réaliser son programme, des mesures de transition vers le socialisme. Affirmer que le programme socialiste pourrait se révéler impuissant à une phase quelconque de la prise du pouvoir et incapable de donner des directives en vue de sa réalisation, revient à affirmer que le programme socialiste est, d’une manière générale et de tout temps, irréalisable.
Mais si les mesures transitoires sont prématurées ?
Cette objection révèle une série de malentendus quant à la nature réelle et au déroulement de la révolution sociale. Premier malentendu : la prise du pouvoir politique par le prolétariat, c’est-à-dire par une grande classe populaire, ne se fait pas artificiellement. Sauf en certains cas exceptionnels - tels que la Commune de Paris, où le prolétariat n’a pas obtenu le pouvoir au terme d’une lutte consciente, mais où le pouvoir lui est échu comme un bien dont personne ne veut plus - la prise du pouvoir politique implique une situation politique et économique parvenue à un certain degré de maturité. C’est là toute la différence entre des coups d’Etat de style blanquiste, accomplis par " une minorité agissante ", déclenchés à n’importe quel moment, et en fait, toujours inopportunément, et la conquête du pouvoir politique par la grande masse populaire consciente ; une telle conquête ne peut être que le produit de la décomposition de la société bourgeoise ; elle porte donc en elle-même la justification économique et politique de son opportunité.
Si l’on considère les conditions sociales de la conquête du pouvoir, la révolution ne peut donc se produire prématurément ; si elle est prématurée, c’est du point de vue des conséquences politiques lorsqu’il s’agit de conserver le pouvoir.
La révolution prématurée, dont le spectre hante les nuits de Bernstein, menaçante comme une épée de Damoclès, ne peut être conjurée par aucune prière, aucune supplication, toutes les transes et toutes les angoisses sont impuissantes à cet égard. Et cela pour deux raisons très simples.
Tout d’abord un bouleversement aussi formidable que le passage de la société capitaliste à la société socialiste ne peut se produire d’un bond, par un coup de main heureux du prolétariat. L’imaginer, c’est faire preuve encore une fois de conceptions résolument blanquistes. La révolution socialiste implique une lutte longue et opiniâtre au cours de laquelle, selon toute probabilité, le prolétariat aura le dessous plus d’une fois ; si l’on regarde le résultat final de la lutte globale, sa première attaque aura donc été prématurée : il sera parvenu trop tôt au pouvoir.
Or - et c’est là le deuxième point - cette conquête " prématurée " du pouvoir politique est inévitable, parce que ces attaques prématurées du prolétariat constituent un facteur, et même un facteur très important, créant les conditions politiques de la victoire définitive : en effet, ce n’est qu’au cours de la crise politique qui accompagnera la prise du pouvoir, au cours de longues luttes opiniâtres, que le prolétariat acquerra le degré de maturité politique lui permettant d’obtenir la victoire définitive de la révolution. Ainsi ces assauts " prématurés " du prolétariat contre le pouvoir d’Etat sont eux-mêmes des facteurs historiques importants, contribuant à provoquer et à déterminer le moment de la victoire définitive. De ce point de vue l’idée d’une conquête " prématurée " du pouvoir politique par les travailleurs apparaît comme un contre-sens politique, contre-sens dû à une conception mécanique de l’évolution de la société ; une telle conception suppose pour la victoire de la lutte des classes un moment fixé en dehors et indépendamment de la lutte des classes.
Or, nous avons vu que le prolétariat ne peut faire autrement que de s’emparer " prématurément " du pouvoir politique, ou, en d’autres termes, il ne peut que le conquérir une ou plusieurs fois trop tôt pour parvenir enfin à sa conquête définitive ; de ce fait, s’opposer à une conquête " prématurée " du pouvoir, revient à s’opposer, en général, à l’aspiration du prolétariat à s’emparer du pouvoir d’Etat.
R. Luxemburg Réforme ou révolution
N’est-ce pas la "révolution en permanence" qui est décrite ? Le contraire de la révolution par étape ?
Même si ce n’est pas le cas, y a-t-il dans "Réforme et révolution" un seul passage intéressant ? L’auteur du NPA-R n’en mentionne aucun.
L’auteur sait pourtant conseiller des ouvrages, par exemples ceux d’un Marcello Musto, un universitaire :
Le débat est restitué dans un ouvrage passionnant de Marcello MUSTO, Les dernières années de Karl Marx. Une biographie intellectuelle 1881-1883, trad. A. Burlaud éd. PUF, paru en Français en 2023, dans lequel celui-ci traite de la « révolution permanente », mais « sans la nommer » comme dirait le poète, et donc sans identifier complètement le problème. De sorte qu’il croit pouvoir retourner les positions de Marx contre la méthode dialectique (à laquelle il ne connaît pas grand-chose), alors qu’elles n’en sont que la parfaite confirmation. Ce sont les deux seuls défauts de ce livre, dont on recommande donc la lecture !
Citons un extrait du verbiage anticapitaliste de ce Marcello Musto :
La barbarie de « l’ordre mondial » en vigueur, les désastres écologiques provoqués
par le mode de production actuel, l’inacceptable fossé entre la richesse d’une minorité d’exploiteurs et l’état d’indigence de couches de plus en plus grandes de la population, l’oppression sexuelle, les nouveaux vents de guerre, de racisme et de chauvinisme, imposent au mouvement ouvrier d’aujourd’hui de se réorganiser, avec urgence, à partir de deux caractéristiques de l’internationale : la collégialité de sa structure et la radicalité des objectifs à atteindre. Les résolutions de l’organisation née à Londres il y a cent cinquante ans sont aujourd’hui plus pertinentes que jamais. mais, pour être à la hauteur des défis actuels, la nouvelle internationale ne pourra se soustraire à deux exigences fondamentales : elle devra être plurielle et anticapitaliste
Quel jargon centriste !
Entre R. Luxemburg et Musto , nous nous permettons de préférer la première !
Conclusion partielle
Après avoir jeté à la poubelle "Réforme et révolution" de R. Luxemburg, l’auteur s’en prend à Plékhanov, Lénine et Engels.
1) Plékhanov, avec R. Luxemburg le champion de la lutte contre Bernstein, aurait en fait été d’accord avec Bernstein, sur des points que notre auteur oublie malheureusement de préciser :
si Kautsky ou Plekhanov répondent à Bernstein, traité d’« hérétique » et d’« apostat » au congrès de Hanovre (1899), ils sont en fait d’accord avec lui sur bien des arguments décisifs. De fait, il n’est pas exclu du parti.
(rappelons que Plékhanov n’était pas membre du Parti social démocrate allemand, comment aurait-il pu exclure Bernstein ?) Nous reviendrons sur cette affirmation farfelue.
2) Face à Bernstein, Lénine aurait paniqué :
Lénine ne lit finalement l’ouvrage de Bernstein qu’en août 1899. Loin de la lutte, atterré, « il se morfond, ne dort plus, maigrit ». De fait, il n’a pas vraiment lu Hegel, ni en 1894 pour répondre aux populistes, et en particulier à Mikhaïlovski, ce qui ne l’empêche pas de défendre la dialectique, même maladroitement, en ne se référant qu’à Marx et Engels sur une douzaine de pages, ni même – ce qui est plus ennuyeux – en 1908, pour répondre à Bogdanov dans Matérialisme et empiriocriticisme.
En rédigeant "Matérialisme et empiriocriticisme" :
Lénine se bat, se débat, mais souvent se répète et s’embourbe
… Il ne parvient à combattre l’objectivité des sciences que par une forme de « relativité » ou d’« approximation » historiques, renvoyant au progrès infini des sciences l’objectivité absolue. Corrélat prétendu « matérialiste » d’une métaphysique de la « chose en soi » kantienne, dont la dialectique hégélienne puis marxiste (si tant est qu’on puisse faire la différence) s’était pourtant débarrassée.
(...) « Matérialiste », Lénine n’a pourtant pas de concept de « matière », il ne la définit que comme l’existence infinie de la nature « en dehors de nous » : « Car le concept de matière ne signifie […] que ceci : la réalité objective indépendamment de la conscience humaine qui la réfléchit. » Il confond ainsi idéalisme et « abstraction », « matérialisme » et « objectivité » (celle précisément que revendique « la Science » depuis Kant… contre le marxisme).Dans Matérialisme et empiriocriticisme, Lénine ressuscite donc malgré lui cette « chose en soi » qui se cacherait derrière les phénomènes, comme garantie de leur objectivité…
(...)
Pire encore, reprenant la formule malheureuse d’Engels, il ne conçoit donc les sciences et les idées que comme un « reflet »48, une imitation, une « approximation » de la réalité matérielle. Une espèce d’idéalisme platonicien inversé, ignorant ce que Hegel, Marx, et aussi Engels, connaissent sous le nom de la dialectique de la « réflexion » (et non du « reflet » !) tirée de la Science de la logique, fondement du matérialisme marxiste et notamment de sa conception de la « pratique » comme on va le voir. Autant de concessions que Hegel aurait dénoncées comme une contravention au rationnel, et Marx au matérialisme dialectique.
Utiliser Hegel et Marx contre Lénine !
A-t-on affaire à un échantillon de la Pensée Mao Zedong qui sévit dans les deux NPAs ? Ou Lénine, qui n’aurait pas lu Hegel avant 1914, commit-il tant d’erreurs ?
En tout cas c’est à un véritable anti-léninisme que l’auteur se livre, prétendant utiliser Lénine contre lui-même, méthode préférée du centrisme.
L’auteur n’a aucun mot aussi dur contre Bernstein, son article est bien plus contre Plékhanov, R. Luxemburg et Lénine, nos maîtres en marxisme, que contre Bernstein.
Nous y reviendrons dans un prochain article.
Pour conclure temporairement, signalons que le même auteur est l’auteur d’un autre article beaucoup moins hostile à Lénine, bien que là encore, la responsabilité des opportunistes français (en particulier CGT) dans la dégénérescence de l’URSS est effacée. Mais ce qui est commun avec le texte que nous commentons, c’est que pour cet auteur, bon représentant du NPA-R et du centrisme en général, discuter de Lénine et Trotsky, de l’histoire du marxisme, n’a aucun rapport avec le présent. Par exemple notre auteur oublie les concepts de lutte de classes, de réformisme, d’opportunisme pour discuter le programme du NFP.
Pour le NPA-R, le marxisme sert à décorer les jours de fêtes, mais ne nourrit pas la propagande ni l’agitation quotidienne !
Suite au prochain épisode
Messages
1. Pourquoi le NPA-révolutionnaires s’intéresse-t-il à la dialectique de Hegel ?, 26 août, 14:13
Une des références en Anglais de l’article du NPA-R est un texte de Cliff Slaughter qui s’oppose comme nous à ceux qui prétendent qu’avant 1914 Lénine était un matérialiste mécaniste :
Le NPA-R reprend la thèse de Dunayevskaya, prétendant la remettre à jour en en trouvant une nouvelle "preuve" dans le fait que dans la lutte contre Bernstein, ni Lénine, ni R. Luxemburg, ni Plekhanov n’avaient remarqué que la question de la dialectique était impliquée.
Un des articles de Dunayevskaya commence par la contre vérité :
2. Pourquoi le NPA-révolutionnaires s’intéresse-t-il à la dialectique de Hegel ?, 5 septembre, 10:52, par alex
L’auteur du NPA (tendance Fraction l’Etincelle) explique son article dans le topo :
https://npa-revolutionnaires.org/lannee-1914-1916-de-hegel-a-la-revolution-permanente/
Il y affirme bien que selon lui, Bernstein avait entièrement raison !